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Ахмет Байтурсынов
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Mousrepov Gabite «Les récits des années différentes»

01.07.2014 2025

Mousrepov Gabite «Les récits des années différentes»

Язык оригинала: «Les récits des années différentes»

Автор оригинала: Mousrepov Gabite

Автор перевода: not specified

Дата: 01.07.2014

Contenu 

LA MERE
LE COURAGE  
LA RAGE MATERNELLE   
AKLIMA
PENDANT VINGT-QUATRE HEURES
LE MELON 
LA LEGANDE SUR LES AIGLES 
LE GUE DES LOUPS 
LA PREMIERE FONTAINE 
DES RECITS AU SUJET DE LA NATURE
QUI A TIRE SUR LE LOUP
TIMKA.
APRES VINGT ANS
LE RECIT DU DOS
LE RECIT LʼOEIL
LE RECIT DE LA PIERRE
LES CONVERSATIONS DANS LE CIEL SUR LES AFFAIRES TERRESTRES
MAÏRA





LA MERE

Quand nous étions encore de petits enfants, le Mollah nous faisait apprendre chez Aytiles chenu. Une chaleur immobile. Sur les collines joue un mirage. Le bétail trouve le froid dans le lac, entrant dans lʼeau jusquʼau cou. A midi le soleil est juste au zénith et à ce temps-là, lʼombre de lʼhomme, ne trouvant où se mettre, se cache sous les pieds. Les bergers, dans leurs vêtements en cuir brut, se chauffent au soleil, pareils aux taureaux sans le poil dʼhiver. Il semble quʼils sont brûlés par le soleil, et quoi quʼon nʼachète, ceux-là se ratatinent  sur leurs corps  en recroquevillant et hérissant. Les femmes, qui passent plus de six collines pour ramasser le fumier, délirent à peine, les sacs sur leurs dos : leurs visages poussiéreux sont croisés par les filets de sueur mélangés  à la poussière.
Portant sous le bras lʼabécédaire arabe, usé comme un vieux feutre de selle, je venais ainsi chez Aytiles. Si les enfants nʼétaient pas encore venus, Aytiles parlait avec le mollah, ou bien avec son hôte habituel - le marchand Ramasan, veule comme un sac de koumis. En parlant, Aytiles, un vieillard aveugle avec une barbe blanche comme la neige, déplissait avec ses doigts puissants sa barbe large. Blanche et somptueuse, celle-ci couvrait son peignoir, comme une bavette brodée aux tranches par le foin. 
Aytiles nettoyait et renouvelait  les événements et les oublis anciens, déjà rouillés et les histoires étincelaient à son interprétation. Le vieillard, après avoir perdu sa vue, avait accumulé toute la lumière dans sa poitrine et dans ses oreilles et secouait les jours bien passés comme des fourrures emballées. 
- Ah, notre jeune paire, quand nous jouions encore avec les oreilles des chevaux!,- commenҫait  Aytiles. - A ce temps-là le combattant Jalpak avait quatre-vingts deux ou, peut-être, quatre-vingts cinq ans. Son cœur était encore chaud, mais il commenҫait à perdre ses forces. Sa voix vive jouait sous le toit  de la yourte. Quand cet homme parlait, nous étions parfois accroupis, soulevant le feutre près du jambage de la porte, et nous lʼécoutions en versant  chaque mot dans nos oreilles et en les tressant dans nos esprits… Ecoutez maintenant quʼest-ce que Janay a raconté une fois…
- Cela sʼest passé il y a déjà longtemps, quand nous étions encore jeunes,- ainsi racontait Janay. - Le combattant Jalpak nous ressemblait dans les auls dʼErguének. Lʼaffaire sʼest déroulée ainsi. Le combattant Jalpak était le gendre malvenu de Bala-Bay. Une fois le juge de la tribu a appelé le combattant et il lui a dit :
- Ouah, Jalpak, Erguének a accompli des incursions sur nos auls deux fois. Une fois ils mʼont pillé, lʼautre fois, cʼest toi qui a été pillé. Ils mʼont pris le bétail et toi, tu as donné ton âme. Est-ce que ce nʼest pas ton âme que tu as donnée, si tu as donné ta fiancée pour laquelle ton père avait payé tous les quarante-cinq bovins ? Il est vrai quʼà ce temps-là tu étais encore petit. Tu étais tellement petit que tu nʼas pas pu non seulement venger tes ennemis, mais aussi tu as à peine réussi  à te sauver quand tu les as rencontrés dans la steppe déserte, en leur laissant le cheval sur lequel tu étais assis. 
Mais maintenant - on te nomme combattant. Comment est-ce que tu oublies ta vengeance ? 
- Juge !, - a crié Jalpak, sautant sur ses pieds. - «Je ne savais pas que sur mon front une tache noire sʼassombri. On me disait que ce nʼétait pas ma fiancée ! Jʼavais six ans quand ils mʼont volé le cheval… Si la victoire est avec moi – je tue les ennemis. Si ce sont eux qui arrivent à vaincre, alors je reste mort dans la steppe, mais sans honte sur le front.  A bientôt. Je vais mʼasseoir sur le cheval au jour heureux – à mercredi. 
- Attends un peu, - a dit Badabay. Partir – tu partiras et tu accompliras lʼincursion. Mais tout dʼabord écoute mon conseil : il ne faut pas rechercher lʼex-fiancée, parce quʼelle est déjà devenue femme. Il vaut mieux de jeter un coup dʼoeil sur les denses troupeaux de chevaux.
Et voilà les quarante djiguites sélectionnés, nous sommes partis pour trouver lʼabondance, ayant lʼouest devant le front et  le sud sur le coude gauche. Jalpak (aux épaules comme une yourte, les poings comme des gourdins, en arrière comme un poêle), allait devant, à la distance dʼun coup de fusil. Son cheval blond et  chauve, secouant sa tête, se courbait comme un arc et sautait comme un bouc de steppe. Mais lʼun des chevaux ne nous rattrapait pas. Au crépuscule sur la septième nuit, Jalpak a dit, en sautant de son cheval :
- Eh, il nʼétait pas un homme simple, passons la nuit sur sa tombe.
Nous sommes tous descendus de nos chevaux. Une grande tombe noire à soixante marches à lʼentourage. A lʼentrée - écriteau. Nous nʼavons pas lu. De ces quarante djiguites personne ne possédait lʼart de lire et dʼécrire …
- Quand on se souvient de cela, dit Aytiles, sʼécartant du sujet, mon âme se rend chaude de lʼidée que maintenant les enfants apprennent. Quoi que lʼon nʼarrive pas aux districts, mais aux  chiens du volost on ne permettra pas de se déchirer ! Donnez du fromage aux enfants,- dit-il sur lʼépaule à sa femme déjà vieille et il continue le récit au nom de Janay. 
- Nous avons fait du feu avec du silex. En jetant dans nos bouches deux pognées de viande séchée, nous avons dormis, mettant sous nos têtes les selles et les feutres – sous nos corps. Lorsque la constellation de Pléiades sʼétait levée au firmament et la belle étoile Urker - jusquʼà lʼhauteur du front, le héros Jalpak a sauté sur ses pieds :
- Les djiguites, desserrez la sangle de devant, celle de lʼarrière tirez plus fortement, sans épargner les chevaux… Quand le soleil sera à lʼhauteur de la lance, nous rencontrons la proie. Si le désir de ma bouée sʼaccomplit, nous attaquerons sur les chevaux…
- Il sʼest trouvé que cʼétait la tombe du vieux combattant Baysar, - a ajouté Jalpak. Pendant la nuit il mʼa dit : «Vous, à qui jʼai donné lʼabri sur ma tête morte, vous, dont les chevaux ont brouté sur ma tombe, nʼosez pas toucher mon peuple. Si non, ne blâmez pas». Nous avons disputé avec le héros toute la nuit, mais nous ne sommes pas tombés dʼaccord. Sʼil est héros, alors nous sommes des femmelettes ? Montez sur vos chevaux, les djiguites. 
Les chevaux, élevés pour les randonnées et préparés pour le chemin, rongeaient leurs freins, tournoyaient comme des quenouilles, se courbaient comme les arcs. 
Le soleil sʼest levé à lʼhauteur de la lance, et nous avons vu les troupeaux, qui couvraient les plaines et les collines. Nous nous sommes jetés vers eux. Deux cavaliers ont sauté du fond et ils ont pris le galop à la destination des collines. Nous ne nous sommes pas mis à les suivre.
Lorsque nous avons tourné les troupeaux dʼun bout, et quand nous avons fait galoper les chevaux en hululant et en sifflant, jʼai vu une petite fille aux yeux noirs avec un sac plein de fumiers séchés. Ses yeux étaient pareils à ceux dʼune chamelle. Tout mon corps a tremblé. Jʼavais appelé mon cheval Kouday-Kok¹. 
Je me suis précipité au-devant dʼelle en coup de vent, je lʼai saisie sur la selle, jʼai fourré ses deux mains dans ma ceinture et je me suis rendu plus loin. De  loin on entendait le cri de sa mère : «Mon petit poulain». 
Bientôt nous avons ramassé un grand troupeau par les coups des fouets et nous lʼavons chassé loin de deux collines. Ici le combattant Jalpak a vu la jeune fille sur la selle et il lʼa sympathisée.   
- Sauga², - a - t - il salué dʼune voix sonore.
- Si tu lʼas aimée, alors que demander de plus. Prends – la, mon héros, lui ai-je dit.  
Il sʼest approché de moi, a embrassé ses cheveux noirs ondulés et il a continué son chemin.                
Dès ce moment cette belle femme dont les attouchements me faisaient monter le sang au visage, est devenue pour moi une grenouille froide. 
Nous avons enlevé tant de chevaux, quʼil était déjà difficile de les poursuivre. Dans la bousculade  les poulains tombaient sous les pieds des juments  et restaient en arrière poussant des hennissements  fins. Nous avons  emmené les troupeaux  à une telle distance que dans la steppe le point est devenu noir.
Elle passait comme une étoile tombante. Nous ne sommes pas arrivés à cligner de lʼoeil, quand  le cheval bai sʼest  jeté dans notre détachement, en portant un vieillard. Cʼétait un gardien de chevaux avec une grande expérience, ayant tout  vu. Sans avoir jeté un coup dʼoeil sur nous, ils sʼest aussitôt approché au galop du combattant Jalpak :
- Supposons que tout va bien. Tu as commis une incursion, tu as enlevé les troupeaux de bai…   
Mais pourquoi, mon  héros, tu as emmené la fille unique du gardien de chevaux ? Si tu as besoin dʼun esclave, tu peux me prendre. Rends la jeune fille, la pauvre mère est tombée dans le chagrin.
Est-ce que le héros entendra des mots pareils ? Jalpak a souri malicieusement, il a cligné le djiguite Keyki, qui était près de lui. Keyki était vite et bien fort, il a plongé la lance dans la poitrine du gardien de chevaux, il a tourné le vieillard en air et lʼa jeté par terre.

¹ Kouday - Kok – Dieu gris

² Sauga – une vieille manière de saluer chez les Kazakhs
Le cheval bai, comme un bouc de steppe, sʼest rué sur le côté. 
Les trois djiguites se sont mis à la poursuite du cheval bai, mais il a seulement frétillé de la queue, comme sʼil avait galopé tout simplement  pour  trouver le gardien de chevaux et reprendre le galope tout de suite.
La jeune fille a sangloté et elle a enlevé ses mains de ma ceinture. Je lʼai mise au-devant et je lʼai examinée attentivement. Ses yeux vraiment étaient pareils à ceux dʼune chemelle. Des sanglots en perle tombaient de son visage. Cʼétait la beauté dʼune fleur du printemps. Je me suis serré et je nʼai même pas osé lʼembrasser par mes mains refroidies. 
Dans la steppe nous avons traversé encore un passage des agneaux. Jʼavais déjà oublié tout ce qui sʼétait passé avec le gardien de chevaux. Les chevaux sʼemballaient. Ayant peur des vaches, le troupeau passait en avant, les chevaux se serraient.  
Soudain nous regardons en arrière : en lance, comme un oiseau de chasse, volant comme une étoile, le point noir a apparu encore une fois dans la e steppe.  Nous nʼavons même pas pu crier : « Auh, arrête-toi»,- lorsque nous avons aperҫu quelque chose blanchissant.
- Maman, a crié la jeune fille de ma selle. 
Cʼétait le même cheval bai, sur lequel était assise la femme du gardien de chevaux, la mère de la jeune fille. Elle sʼest approchée du troupeau avec hululement, ensuite en se tournant, elle sʼest jetée en avant et elle est allée à droite.
Et tout le troupeau comment se rue après elle !
Nous tâchons de prendre à son côté, elle prend lʼautre.
Nous voulons attraper la femme, mais le cheval bai ne nous permet pas, on ne peut pas enfoncer la lance ou atteindre par le gourdin. Quelques fois nous avons tourné le troupeau en arrière, mais en ce cas-là il se mettait à la débandade, même les fouets et les  gourdins nʼont pas pu nous  aider. Enfin le troupeau sʼest heurté  contre lʼunique passage au milieu de la rivière qui menait à lʼîle large. Il était impossible de le chasser…
Au milieu de lʼîle il y avait une colline. La femme est montée sur cette colline dʼoù elle agitait sa coiffure de la femme mariée... Il nous semblait quʼil était déjà possible de la percer par la lance !
- Je suis femme, je suis la mère de cette fille,- a- t-elle crié. Je suis mère pour vous tous !  Une mère comme moi vous a mis au monde, chaquʼun de vous.  On ne fait pas la guerre à la mère. Quelle est la faute de ma fille unique!  Viens à moi, ma petite chamelle.  
Je ne sais pas comment la fille a réussi à sauter de ma selle et comment  elle sʼest accrochée au cou de sa mère. Elles nous ont oublié tout de suite, nous, qui haletaient de colère et qui avaient du sang coulant au front. La mère caresse sa fille, la fille caresse sa mère – elles étaient à lʼaise. 
Keyki nʼa pas pu se retenir :
- Mon héros, si vous me permettez, je les lie et je les ramène sur le poulain. La fille devient votre femme, la mère vous aide dans le ménage. 
Jalpak a tourné son regard vers Keyki, en le parcourant des yeux larges comme la paume, ensuite il sʼest tourné vers la femme :
- Quelle sorte dʼhomme ? Ton courage mʼétonne. Dis-moi qui tu es ?
La femme a répondu :
- Héros, descend de ton cheval ! Il nʼ y a personne pour vous poursuivre : si vous avez effectué une incursion sur cet aul, alors nos djiguites ont fait la même chose dans les auls voisins dès le matin. Tu peux chasser les troupeaux sans te dépêcher. 
Nous sommes descendus de nos chevaux et nous avons pris places autour de la colline : « Quel délire de cette femme noire il va écouter», pensions – NOUS, très mécontent de Jalpak. 
La femme a laissé sa fille et elle a commencé  à parler :
- Je suis la mère de cette fille. Elle a quinze ans.  Au même âge, il mʼest arrivé un malheur pareil, dont le grand froid et la marque noire je porte jusquʼaujourdʼhui.  Que je vous parle de quel peuple ? On dit quʼil y avait un aul de quatre yourtes It-Kula, qui vivotait aux bords des rivières. Je suis la fille de Sinim de cet aul. Il y avait un chef de tribu Balabay (je ne sais pas de quelle race, quʼil soit né dans le désert). Une fois, à lʼoccasion de la circoncision de son fils, il a organisé une fête. Comme prix pour bayga¹ il a proposé neuf bétail et pour le grand prix – un esclave. Comme prix de la lutte encore neuf bétail et une esclave. Mais est-ce quelquʼun donnera pour prix sa fille ? Alors le chef de tribu a envoyé les djiguites dans la steppe pour trouver une jeune fille…
Mon père était en train de réparer lʼaraba, ma mère préparait le repas, quand les dix cavaliers se sont approchés, je les regardais de la hutte. « Salut les djiguites, soyez les bienvenus »,- a dit mon père. « Que le chemin ne soit pas heureux, que soit une jeune fille», ont-ils répondu et ils ont galopé plus loin en me prenant sur la selle. 
Le lendemain, après le  bayga et la lutte, on mʼa faite asseoir sur un dromadaire avec les tapis et on mʼa donnée pour prix. La lutte a vaincu le combattant Baysari, dont la tombe est dans cette steppe. Quand il est arrivé à son aul, il mʼa donnée au chef de tribu Kuletké. Il mʼa fiancée à lʼun de ses esclaves et je suis devenue trayeuse. Ainsi jʼai passé deux ans. 
Kuletké faisait épouser sa fille. Il a organisé des courses des chevaux. Jʼétait le prix du deuxième coursier, mon fiancé était le grand prix. Lʼun des chefs de tribu, Sari, dont les troupeaux vous avez chassé aujourdʼhui, mʼa emmenée. Mon fiancé a été emmené par un autre. Saribay avait un gardien de troupeau, nommé Kayrak. Il a voulu me marier. «Durant toute la vie nous serons comme chiens devant vos portes »,- priait-il au chef.  « Tu travailles comme gardien de troupeau, elle travaille comme trayeuse. Après avoir travaillé tant quʼil le faut, je vous rends la liberté»,- a promis Saribay.
Il y a déjà quinze ans que nous vivons ainsi. Aujourdʼhui mon mari a été libéré par la mort et moi, je suis devant vous. Le long lasso de lʼesclavage a attrapé aujourdʼhui aussi ma fille, voilà pourquoi je vous ai dépassés : donnez-moi un poulain sur lequel je fais asseoir ma fille et nous retournerons…
Les djiguites, qui dʼabord étaient prêts de déchirer la femme, ont maintenant rabaissé les yeux et les oreilles.  Pas de question, pas de réponse, les regards sont sur la terre.

¹Bayga – un jeu national kazakh

Il était clair que la femme avait touché nos cœurs, elle avait avancé ses paumes noires. Mon mari et moi, nous avons  vécu quinze ans, jʼai vu son corps, je le connais bien. Vous avez utilisé la force de vos mains, ainsi que vos lances aiguës pas à lʼégard dʼun héros aux larges épaules. Est-ce quʼil était un ennemi terrible, ou plutôt un estropié suppliant ? Comment est-ce que vous pouvez payer pour lui ? Est-ce que vous emmènerez  sa  fille  en la jetant sur la selle? Est-ce que cʼest courageux et juste ? Ma fille sera une esclave chez vous. Si elle reste avec moi, je lʼélève librement. Je prends ma fille avec moi.
Le stupide Keyki, qui entendait des mots pareils, prononcés par une femme, pour la première fois au long de sa vie, a dit :
- Les femmes sont créées pour être les femmes de leurs maris, quʼest-ce quʼelles ont à faire dans la steppe ? Si tu achètes la fille, elle devient ta femme, si tu la trouve pendant la campagne, elle est encore ta femme. Nous faisons taire la vieille dame, et nous emmenons la fille avec nous. Nous aussi, nous avons le fumier séché pour quʼelle ramasse !
Le combattant Jalpak était dans la rêverie depuis longtemps. Ensuite il a sauté et il a approché son louvet de la femme :
- Pour rédemption, je vous passe tout ce que jʼai. Prends-le et ne pense pas que cʼest peu ! Si tu veux te délivrer de lʼesclavage, alors tu prends de ce troupeau les chevaux au nombre nécessaire et tu vas errer  jusquʼau bout du monde. Mais je nʼai jamais entendu dire quʼil y a dans le monde des peuples sans esclavage. Voilà pourquoi tu dois me suivre, je ne permettrai à personne de vous battre ou de vous tourmenter. 
- Et combien de chevaux vous aurez de ce troupeau ?, - a demandé la femme. 
- Peut-être nous nʼen aurons aucun. Cʼest le chef, qui le sait, a répondu Jalpak. 
- Alors, ne proposez pas le troupeau, même votre cheval. Je ne peux pas te poursuivre –avant dʼarriver à ton aul, tu es un héros libre. Là-bas, toi aussi, tu vas perdre ta liberté et devenir un bâton simple  pour les chefs de tribu. Jʼai vu beaucoup de héros et de combattants. On te mène à la baguette comme un héros et moi, comme une femme - voilà toute la différence. Tu nʼes pas plus libre que moi, nʼest pas mon héros ?
- Le combattant  Jalpak a baissé la tête encore une fois. 
- Nous sommes des djiguites rapaces et aveugles comme les hiboux, a - t  -il dit. 
- Nous nous bougeons quand  on fourre quelque chose dans nos yeux, si lʼon ne fourre pas, nous sommes aveugles. Ma sœur aînée, tu mʼas enlevé ma bête noire. Jʼavais décidé de faire ta fille une poupée pour un tout petit moment de ma vie étendue. Maintenant je laisse cette idée. Dès que je suis libre, je rends la liberté à une autre personne. Ta fille appartient seulement à toi. Vous pouvez vivre en liberté comme lʼair. 
La pauvre était en guenilles, ses mains noires comme les doigts de talca¹, les lèvres gercées de quarante côtés. Mais ses sourcils renfrognés et le feu de ses yeux faisait trembler nos âmes. Ses yeux ne montraient ni la prière, ni la peur, elle avait possédé les quarante djiguites. 

¹ Talca –sorte dʼun plat national, la recette
Comme si elles attendaient  les derniers mots  du combattant : lʼune sʼest jetée sur le louvet, lʼautre sur le cheval bai et elles sont allées à toute vitesse. Alors, nous nous sommes ravisés. 
« Shirkin, femme des femmes», ainsi terminait toujours son récit le combattant Jannay, - a dit  Aytiles lʼaveugle, et nous, les enfants, qui étaient assis à demi-cercle, ont entonné à la demande de Mollah : «Agusé besmellyay… irasiri… ira-siri… »²


2 Des mots arabes de Coran


1935




LE COURAGE  

Cʼétait un automne rarement sec et transparent. 
Sur la steppe sʼagitaient les éclats rages de tonnerre, mais le vent vif nʼamenait aucune trace de nuée. Seulement les feuilles jaunes déracinés dansaient en lʼair. Le vent tirait le feutre des toits de nos yourtes tâchant de lʼarracher. Les côtes en bois des yourtes tressaillaient et gémissaient de ses coups. 
Et quand le tonnerre grondait plus clairement, le vieux Mollah, qui tenait sa place dʼhonneur près du foyer, se pelotonnait mécontentement, enlevait ses yeux vers le ciel et dʼune voix grinҫante sʼadressait à Dieu. 
- Oh, Allah ! Il gronde encore ! Oh, Allah ! Ne lance pas ton enragement sur tes esclaves. Que nos maisons évitent au malheur amer. Soit bienveillant, mon Monsieur !...
Le tonnerre au ciel sans nuages - cʼétait un grondement de fusil, qui nʼétait pas encore devenu habituel pour les habitant de ce territoire. La guerre civile dont il y avait de différents les ouï-dire, sʼétait approchée de leur steppe et avanҫait vers leur aul. 
Juman à face ronde, le patron de la yourte la plus grande et la plus solide, a poussé un soupir et sʼest plaint, sans sʼadresser à personne !
- Mon cœur va se déchirer. Mon âme nʼaccepte pas même le repas, voilà où nous sommes arrivé !  En même temps il caressait avec désolation son ventre gros pareil à un oreiller. Il était évident que Juman croyait que son âme sʼy trouvait.  
- Personne ne lui a pas répondu, tandis que le monde sʼétait rassemblé assez, presque tous les parents de Juman. Les gens pas  riches, même pauvres, venaient ici de leurs yourtes rapiécées, pour se chauffer au foyer. Et aussi, il valait mieux être ensemble à ce moment trépidant, quand on ne sait rien sur le jour, même sur la nuit prochaine. 
Japar - le valet de ferme habitué de Juman, vient de revenir des produits de distillation lointains et maintenant il sʼétait installé au seuil. Sans se dépêcher, pour prolonger le plaisir, il trempait la galette dans lʼécuelle pleine dʼayran¹. Il nʼavais pas encore vu sa mère et maintenant il pensait à elle. Est-ce quʼelle a du bois de chauffage ? A - t – elle quelque chose à manger ? Naguima ne franchissait jamais le seuil de la maison, où son fils était le valet  de ferme. Elle disait à Japar : « Quoique le vent entre dans notre yourte, tout de même, elle est la nôtre »… Et son marceau, même rassis, ne restera pas dans la gorge ».
Cʼest la patronne Janich, qui a détourné Japar de ces idées.  
Elle est entrée, elle a fermé à demi la porte et a dit dʼune manière comme si elle annonҫait une nouvelle :
- On tire encore, est-ce que vous entendez ? Quand est-ce quʼils se fatigueront. A cause dʼeux nous nʼarrivons pas à errer à nos hivernages, est-ce que nous serons obligés de passer lʼhiver dans nos yourtes ?
- Elle sʼest approchée de Japar en passant par le pan de son pourpoint sur son visage et ne faisant aucune attention, elle sʼest mise à enlever ses caoutchoucs.

¹Ayran – le lait fermenté

- Et toi, comme je vois, tu ne peux pas bourrer ta panse sans fond ?- a-t-elle grommelé, sans se tourner vers  Japar.  Est-ce que tu es meilleur quʼUrazali ? Lui, il ne sʼassois pas au repos, il nʼattend pas, dès le matin il porte du bois de chaffage. Elle a tiré sa jambe si furieusement, que le morceau du fumier appliqué à la sole, sʼest retrouvé dans la tasse dans laquelle il y avait encore de lʼayran. 
Passant sa vie en dépendance dʼautres gens, Japar était déjà habitué aux injustices, aux rebuffades, aux moqueries méchantes. Mais en ce cas-là son cœur nʼa pas pu se retenir. Il a jeté la tasse sur le mur, il sʼest levé, il est sorti de la yourte silencieusement et par un coup furieux de son pied il a ouvert la porte. 
Le feu a bougé dans le foyer et la fumée intolérable du fumier séché sʼest étendue. Juman est devenu sombre et il a jeté un coup dʼoeil sur ses parents, qui faisait lʼair de ne pas apercevoir cet accident. 
Janich a grommelé. 
- Quʼon le fouette bien, - a -t -elle commandé. La fouette nʼaidera pas aujourdʼhui… Qui sait ce qui se passera demain et qui sera le patron de lʼaul.
Le vieux Mollah a constaté :
- Cʼest seulement Allah qui sait ce qui est écrit dans le livre du déstin. Cʼest seulement Allah, qui peut faire apparaître le tonnerre et lʼéclair au ciel calme. Cʼest seulement à lui que nous pouvons prier pour écarter le malheur. 
Mollah lʼa dit et dʼun regard lent il a palpé tous les gens réunis. Mais il nʼont rien répondu et ils ont tâché de ne pas se regarder avec Mоllah. Ils ont compris le sens secret de ses mots : Mollah faisait allusion quʼil était prêt de prier pour les pécheurs. La prière et le sacrifice vont ensemble. 
Leur silence caché nʼa pas embrouillé le vieillard expérimenté. 
Il a attendu un peu, ensuite il a continué : 
- Aux moments difficiles les gens doivent se souvenir de Dieu, pour quʼil ne se détourne pas. Cʼest ainsi ou non, Juman ? 
Mollah comptait sur son aide influente et ne tâchait pas de le garder.  
Tes paroles sont justes, Mollah, - a dit Juman dʼun ton expressif, comprenant très bien ce que le vieil homme voulait de lui. Le peuple avait oublié Dieu. Le peuple avait cessé de vénérer ses ancêtres, qui leur avaient légué ses règles et ses principes de morale depuis des siècles. Et tout ҫа ne promet rien de bon. 
Comme la réponse, on a entendu les mots hésitants de lʼun des présents :
- Mais quʼest ce que nous pouvons, nous, les pauvres. Est-ce que Allah va écouter nos voix faibles ? Que les gens riches et estimés de notre tribu nous montrent un bon exemple… 
On lʼa soutenu. 
- Quʼest-ce que le pauvre peut sacrifier à Dieu ?
- Près de mon yourte il nʼy a même pas les traces des moutons !... 
Que je sacrifie lʼécuelle trouée. Un tel sacrifice peut offenser notre Mollah bien estimé. 
- Si quelquʼun dit que jʼai oublié Dieu, alors il ment. Mais est-ce que Dieu sera content si jʼarrache le dernier morceau de la galette des mains de mes enfants ? 
Juman a fait lʼair que tout cela ne le concernait pas, mais il était évident que tous ses parents tâchaient de remettre tous leurs intérêts envers Dieu sur ses épaules. 
- Nous sommes les serviteurs humbles dʼAllah, -a - t - il dit en soupirant et il a enlevé ses yeux vers le ciel. Nous sommes tous égaux pour lui, et il ne partage pas les gens en pauvres et en riches. Chaquʼun de nous doit avoir son réponse, quand Adzraïl ¹ viendra prendre son âme. 
Ils se sont encore tus.  Dans le silence tombé on a entendu le grondement sourd des fusils. Ils sʼapprochaient de lʼaul de plus en plus.  
- Entendez-vous ?,-  a  demendé le Mollah dʼune solennité  sombre. 
- Sʼapproche, la punition de Dieu sʼapproche. Cʼest seulement par les prières que nous arriverons à la faire tourner de vos têtes coupables. 

Mais le temps sʼétait passé et à ce moment les anciens mots avaient déjà perdu la force et le sens.  Il fallait encore comprendre qui parmi eux et pourquoi devrait punir Allah ? Dès le moment où dans le ciel sans nuages on a commencé à écouter les grondements de tonnerre, beaucoup de notions avaient changé. Tout ce que lʼon avait pris pour pêché, maintenant passait pour bien,  et au contraire, le bien avait pris les traits du pêché. Juman le comprenait très bien. Ses parents aussi le comprenaient bien. Le problème était le suivant : le chemin des blancs ou le chemin des rouges traverserait leur aul. 
A cette fois-ci Allah avait décidé dʼéprouver leur volonté et la force de lʼâme et dans leur aul a apparu Antonov. Dans la steppe on lʼa nommé ak-oba – la peste blanche. On pouvait suivre le chemin de son détachement : lʼherbe verte devenait brun à cause du sang et de la fumée, le vent attrapait   et dispersait  les cendres amères des lieux des incendies. 
Les chiens de lʼaul sentaient le malheur de loin. En se dégonflant, ils se cachaient silencieusement derrière les yourtes, sans recevoir les cavaliers avec un aboiement chantant téméraire. Quand Antonov apparaissait, les voisins qui se querellaient depuis longtemps, oubliaient  les offenses vraies ou imaginaires et tâchaient de sʼaider. 
Dans le détachement dʼAntonov il y avait aussi des Russes – portant des carquois, et des hommes de la horde-arach – les siens, les kazakhs, mais tels kazakhs, qui pouvaient faire tirer très facilement une balle dans le front.  
Dans lʼaul, qui était en panique et en peur, cʼétait seulement Juman, qui retrouvait peu à peu son importance perdue. Il disait :
Il est maintenant le temps de régler ses comptes avec les gens malhonnêtes, qui ont trahi les  lois de leurs pères et qui les ont bafoués par leurs pattes sales. Il est déjà le temps de vaincre les pêcheurs qui ont oublié Allah !
On lʼécoutait silencieusement sans entrer en communication. Mais 

¹ Adzraïl – Angel de la mort chez les musulmans

lʼanxiété - un serpent froid et glissant – a pénétré dans les cœurs par à-coups et sʼy tournait par des anneaux raides resserrant. 
Les contre-espionnages dʼAntonov lui donnaient des renseignements exacts sur les dispositions : chaque pauvre de ces lieux, chaque valet de ferme  se couche et voit en rêve lʼarrivée des rouges. 
Il nʼavait pas de forces suffisantes pour défendre cette arrivée. La chance militaire sʼétait retourné de lui, et Antonov reculait. Mais ce quʼil pouvait et voulait  faire, cʼétait de laisser un tel souvenir, que son nom puisse les tourmenter même dans les rêves de septième génération !
Antonov a arrêté son cheval au milieu de lʼaul. Les gens attendaient silencieusement par où il allait commencer. Antonov, lui aussi  sʼest tu, jouissant de la peur qui faisait naître sa présence seule. 
Enfin il a parlé :
- Je sais bien que vous ne mʼattendiez pas… Vous attendiez ceux qui ont des chiffons rouges sur leurs papakhas. Il ne faut pas jouer devant moi, il ne faut pas cacher les yeux ! Les rouges sont encore… Et maintenant, cʼest moi qui vous ai rendu visite ! - Il sʼenflammait  peu à peu. – Je suis venu pour  vous faire mes derniers adieux… Avez-vous compris ? Nous allons faire adieux de telle manière que personne ne puisse se cacher sous les drapeaux rouges déchirés. 
Et  soudain il a répandu  des grossièretés fractionnaires comme dʼun sac troué. Le vieux Mollah a seulement soupiré :
- Oh, Allah ! Dʼoù est-ce quʼil a trouvé des mots pareils, le maudit ? Ses jurons ne peuvent pas nous profaner…
Les gens ont fait des oreilles sourdes à ces injures méchantes. Pour eux il était importent de savoir lʼautre : Antonov, lui-même dans lʼemportement, a laissé échapper que les rouges vont arriver à leur aul. Et dʼaprès ce quʼon dit,  ils nʼoffensent pas les pauvres gens simples. Que Juman sʼinquiète ! Antonov, alors sʼen va. Que  faire – en partant il peut nous causer du mal, parce que le loup traqué qui ne sait pas où aller, montre les dents follement… Eux, il nʼavait rien à faire, sauf compter sur la pitié de Dieu ? Dans lʼaul personne nʼavait dʼarme … 
Quand le flot des injures était terminé, Antonov sʼest précipité et ayant le soutien de Juman, il est entré dans sa yourte. Les cavaliers se sont mis à loger. Ils ont chassé les patrons et ont pris leurs logis. Ensuite, nʼétant pas sûr, que lʼaul sera fidèle aux lois de lʼhospitalité, les antoniens sont allés eux-mêmes aux bouvrils – pour trouver le mouton le plus gros pour la poche. 
On a chassé de la yourte aussi la mère de Japar – Naguima. Elle nʼavait pas encore décidé où est-ce quʼelle pouvait passer la nuit avec son fils, que soudain elle a entendu des appels méchants et un bêlement épuisant connu. 
Deux antoniens traînait de force un mouton, le sien. Lʼun tirait de ses cornes, lʼautre le poussait de lʼarrière par la crosse de son fusil. 
Ce mouton était lʼespoir unique de  Naguima et de Japar. Comme un vrai padischah, il passait dʼun bouvril de mouton à lʼautre. Les voisins payaient pour ses visites par leurs agneaux. La mère et son fils rêvaient souvent : un jour Japar arrivera à changer de part du valet de ferme, ils auront assez de bétail et ils pourront payer pour la fiancée convenable. 
Voilà pourquoi Naguima a oublié tous ses peurs et elle sʼest jetée à leur rencontre :
- Pourquoi celui-ci ? Pourquoi celui-ci ? criait-elle. - Le mouton est dur, sa viande est difficile à mâcher. Je vais vous porter  la brebis la plus grosse, la plus copieuse !
Ils se sont arrêtés.
- La brebis ?
- Oui, oui, je vais  porter la meilleure. Le mouton sʼest arrêté aussi, il a penché sa belle tête au grand front, comme si lui aussi, il attendait son destin. 
- Quʼen penses – tu ? Est-ce quʼelle pourra le faire, quʼon la laisse?,- a demandé dʼune manière indécise  celui qui marchait en arrière. – Il est vrai, quel profit dʼun mouton dans la poche ?
- Ecoutons la femme, - est tombé dʼaccord le second. Quʼelle amène la brebis. Mais quʼelle soit jeune, a-t-il dit à Naguima.
Il parait que lʼon avait déjà arrengé lʼaffaire, mais soudain un officier a  apparu. Son visage était rouge et il concentrait toute son attention pour marcher directement et ne pas trembler. On ne sait pas pourquoi lʼair du mouton humble effrayé lʼa ainsi fait enrager. Il a arraché lʼépée dans son fourreau, lʼair coupé a sifflé et la tête du mouton sʼest enfoncéе dans la terre dʼune corne lourde et son corps, séparé de lui, se tordait convulsivement, les sabots éculaient les mottes, le sang  jaillissait formant de petites nuages poussiéreuses. 
Les soldats se sont retournés et ils sont allés vers le bouvril, pour trouver une nouvelle proie et près de la yourte de Juman quelquʼun a applaudi. 
Là – bas Antonov se tenait debout.
- Bravo, Rudakov,- a-t-il crié à lʼofficier. Un coup de master ! On ressent tout de suite la main du garde à cheval. Maintenant donnez lʼordre de préparer le dîner. Naguima continuait de se tenir debout près du mouton déjà tranquille et ses mains étaient pendues comme des fouets. 
Elle nʼa même pas protesté quand on lʼa obligé de préparer le repas pour les antoniens. En jetant un coup dʼoeil à ses côtés et en sʼassurant que personne ne la suit, Naguima a lancé dans la casserole le membre du mouton qui sert pour le prolongement de la race des moutons depuis des siècles. 
- Cʼest pour vous les chiens,- a-t-elle grommelé. Cʼest pour vous, parce que vous nʼêtes pas des gens, vous nʼêtes pas des gens. Vous ne méritez pas une meilleure nourriture. - Cʼest juste à vos dents ! 
Ensuite elle sʼest mise à obsrever dʼune joie méchante cachée comment les antoniens se sont avidement jetés sur la viande bouillie et il lui semblait quʼelle sʼétait vengée un tout petit peu de leur visite indiscrète, de leur brutalité et de la mort de son animal aimé. 
Le jour suivant les antoniens ont vite sellé leurs chevaux et ils sont partis. Ce passage pacifique était très inattendu pour tout le monde. Avant de se quitter Rudakov, sous lʼordre dʼAntonov, a choisi seize chevaux, mais lʼaffaire sʼest ainsi finie. 
Juman a mis sa main sur son cœur et a exprimé son ressentiment : pourquoi son ami Antonov ne lui avait pas prévenu son visite, son intention de visiter leur aul… En ce cas-là lui, Juman, aurait ordonné dʼamener le meilleur troupeau des pâturages lointains… 
Ni Antonov, ni Rudakov ne lui ont pas parlé. Ils ont mis les chevaux au trot et la poussière de la steppe,  faite par le détachement, cʼest appaisée. 
Juman sʼest retourné vers ses gens :
- Voyez-vous quelles sortes de mensonge on peut entendre au sujet de ces gens honnêtes,- a - t - il dit. Ils ont passé tout le soir, toute la nuit et tout le matin chez nous. Et où est-ce que sont les tués ? Où sont les yourtes brûlées ? On nʼa pas fait quelque chose de mauvais. On a perdu combien de moutons ? Et quoi ? Selon les lois de notre steppe il est défendu de laisser le voyageur sans le rassasier. Cʼest un péché… 
Les discussions et les débats au sujet de lʼarrivée et du départ des antoniens venaient de se calmer, quand lʼaul sʼest agité par un nouvel événement. Cinq cavaliers ayant des rubans rouges vifs sur leurs papakhas, se sont arrêtés près de la yourte de Naguima. 
Japar juste avait rendu visite à sa mère et cʼest à lui que sʼest adressé celui qui était le premier, probablement le plus âgé parmi eux. 
- Bonjour mon ami… Comment vivent les citoyens ici? Est-ce que nous pouvons prendre un petit repos chez vous et nourrir nos chevaux dans votre aul ? Vous nous permettez ?
Et Japar, et sa mère et les voisins qui sʼétaient approchés, étaient bien étonnés. 
A  ce moment-là cʼétait très étonnant que les gens armés ne criaient, ne menaҫaient, ne demandaient rien, mais au contraire, calmement et poliment, ils demandaient la permission - pouvons prendre un petit repos chez vous et nourrir nos chevaux… « Les citoyens» ?  - Japar nʼavait jamais entendu un mot pareil. Quel était son sens ? 
Le plus âgé, qui sʼétait adressé à lui, a expliqué son silence de sa manière :
- Il ne faut pas avoir peur de nous. Est-ce que tu mʼentends, le citoyen ?,- a - t- il continué. Nous avons vu le détachement qui a passé la nuit chez vous. Mais nous comprenons très bien que ce nʼest pas à votre gré, que vous avez salué les blancs. Alors, est-ce  que nous pouvons débrider nos chevaux ? Nous ne sommes pas pour longtemps. Nous devons nous avancer. 
Japar avait déjà compris un peu, et il était pour lui plus facile de prononcer le mot « ami» que le mot « citoyen». Il a dit :
- Vous pouvez vous reposer. Vous le pouvez, mon ami. 
Lʼun dʼeux a sauté du cheval et il sʼest approché de Naguima :
- Maman, donnerez-vous quelque chose à boire. 
« Maman », « ami »… Quoique Naguima ne comprenait pas toute leur conversation, tout de même, de leur ton elle sentait très bien que ces gens-là ne briganderont et ne fouilleront  pas dans les bouvrils, ne couperont pas par leurs épées les têtes des moutons. 
Elle est entrée dans la yourte tenant dans ses mains un verre dʼayran, mais le bruit inquiet des sabots des chevaux lʼa obligée à se figer au seuil. De lʼaul sʼapprochaient, pour le prendre au lasso, les cavaliers, les antoniens à deux torrents, et le soleil éclairait par les lueurs éblouissantes les lames et les tubes nus des carabines. 
Dans la foule le bruit a couru :
- Ak-oba !
- Antonov sʼest retourné ! 
Mais cʼétait son détachement qui se retournait. Les gardes-rouges ont tout de suite pris la direction de la forêt, que lʼon voyait de loin. Les antoniens ont changé de direction pendant la marche et ils les ont suivis. 
A la poursuite les canons ont éclaté.
Tenant encore la tasse dans ses mains, Naguima poursuivait les cinq cavaliers  qui sʼen allaient. Soudain elle a poussé un cri, sʼest avancée, et lʼayran a apparu sur la terre. 
Lʼun de ces cinq cavaliers qui allait au galop, est tombé de la selle au moment, où il restait un petit peu jusquʼau bois de sauvetage. Le cheval bai, habitué déjà à son cavalier, a confusément piétiné sur place, ensuite il sʼest mis à la poursuite des autres, ayant eu peur des coups de fusil.   
Les antoniens se sont retournés pour couper le chemin aux cinq cavaliers. Ils croyaient que le blessé ne pourrait aller nulle part et ils pouvaient le reprendre en revenant. Les coups de fusil sʼéloignaient peu à peu. 
Naguima voyait très bien comment le soldat blessé, celui, pour lequel elle avait emporté  lʼayran, sʼest élevé, a voulu se tenir debout, mais il est tombé de nouveau sur lʼherbe et lentement, très lentement sʼest traîné jusquʼà la forêt. 
Naguima, ayant  oublié la prudence, devant tout le monde a appelé son fils :
- Japar !...
- Celui-ci sʼest approché. 
- Japar, mon fils, - a - t - elle dit dʼune voix basse. Vois-tu quʼil a perdu toutes ses forces et il ne peut pas se cacher. Prends le cheval et va à son aide. Mais vite. Tu le cacheras à Uichik-Jalé. Là on ne le  retrouvera pas même après un an. 
Japar a fait un signe de tête et il sʼest caché derrière la yourte, où était attaché la vieille jument. Après une minute il a apparu sur le cheval sans selle et tout le monde a compris sa direction. 
Jumant  sʼest blanchi, il a tremblé de colère. Il sʼest jeté vers Naguima et il sʼest mis à crier sur elle :
- Tu fais quoi ? Est-ce que tu comprends quʼest-ce que tu fais, ou bien tu es devenue plus folle sans ton mari ? On va arrêter ton Japar pour cela ! Mais Antonov le tuera plus tôt… Pourquoi tu as envoyé ton fils ? Les  affaires des Russes ne te regardent pas, quʼils se tuent, ne te mêle pas !... 
Naguima nʼa rien répondu. Est-ce que son fils arriverait au blessé plus tôt que ses persécuteurs. Est-ce quʼil pourrait le traîner dans la forêt…
Juman a brandillé ses mains, il a craché et il sʼen est allé à sa yourte, pour ne rien voir. La femme continuait de regarder comment après chaque pas de la jument la distance entre Japar et le garde - rouge blessé se raccourcissait. Elle tremblait dʼune seule idée que son fils était sous le danger, mais elle ne pouvait pas autrement agir. Elle ne pouvait pas ne pas envoyer son fils à son aide. Le vent poussiéreux et sec arrachait sous son fanchon ses mèches et les tiraillait, mais Naguima ne lʼapercevait pas. 
- Japar est arrivé à temps !...
Il a sauté pendant la marche, a jeté le blessé sur ses épaules et il a pris la direction du bois très vite, presque courant. Il restait un petit peu...  
Il a très bien fait en laissant le cheval. Il pouvait le trahir en répondant aux hennissements dʼautres chevaux. 
Naguima a respiré légèrement. 
On ne voyait pas encore les antoniens et Japar avait disparu dans lʼombre longue et intense, que le bois rejetait maintenant, et il sʼest dissous parmi les arbres. 
Le soir Antonov était chez Juman et ses gens passaient par les yourtes et cherchaient à savoir : 
- Où lʼon a caché ce soldat rouge ? Celui qui est abattu… Où vous lʼavez caché ? Répondez, sinon ҫa va finir mal.  
Les nagaïkas ont sifflé, les antoniens ont attrapé les poignées de sabre. Mais leurs  menaces nʼont pas pu aider. «Nous ne lʼavons pas vu». « Dʼoù est-ce que nous pouvons savoir?» « Je ne suis pas sorti de ma yourte», - était la réponse. 
Ensuite on a poussé tout le monde près de la yourte de Juman. Antonov est sorti de là et il a fait quelques pas pressés :
-  Tu tʼappelles Naguima ?
Cette question lui sʼen a pris, le nom qu lʼon lui avait donné à sa naissance, a sonné comme accusation. Mais elle nʼa même pas tremblé, elle a supporté sa rebuffade, son regarde sévère et dur, comme la mort. 
- Et pourquoi on ne voit pas ton fils ? Il se trouve où ? Où est-ce que lʼon a caché le salaud rouge ? 
Naguima a compris quʼAntonov savait tout. Juman avait bien tâché. Et elle a répondu dʼune manière comme si cela ne la regardait pas :
- Ils sont loin. Ils sont partis tous les deux. Vous ne pouvez pas les trouver. Antonov a agité sa nagaïka et sur son épaule elle a senti un coup court. Elle nʼa pas bougé. Elle a pensé quʼelle était prête à tout cela au moment, où elle avait appelé son fils et lui avait dit : « Japar, prends la lance et le rattrape».
Autour de la yourte de Juman le silence régnait, comme si lʼaul était mort. Mais tout le monde était debout là, tâchant de ne pas se regarder. Ils ne pouvaient pas soulager sa situation, ils avaient peur : quʼest-ce qui va se passer avec elle, ils avaient honte : devant leurs yeux on battait une femme, qui nʼavait jamais causé du mal à personne.
- Je te ferai parler,  effronté, - a crié Antonov dʼune voix perҫante. 
Sa nagaïka a déchiré entièrement la robe bleue de Naguima  et sur ses épaules, son dos, ses flancs on pouvait voir le corps nu solide de la femme encore jeune. De  plus en plus son corps sʼenflait  par les cicatrices violettes, les cicatrices  saignaient, le sang jaillissait de ses hanches.  Et Antonov  la battait, la battait plus furieusement, en ainsi sentant son pouvoir sur ce corps de femme pas défendu. 
Le fouet en cuir brut est devenu déjà rouge et mou, mais Naguima continuait de se taire. Sʼil était possible de tuer par les yeux, alors Antonov serait déjà couvert de poussière sous ses pieds. 
Ou bien sa main était déjà fatiguée, ou bien il voulait cacher son impuissance devant le courage  ferme de la femme, mais Antonov sʼest retiré et il a ordonné :
- Battez, battez jusquʼau moment quʼelle ne parle, battez en se suivant !... Eh  bien. 
- Je supporterai tout, a dit Naguima. Je nʼai pas peur du mal. Jʼai peur du fait que vous puissiez lever  la main sur la femme, sur la mère. Ou bien, cʼest la louve qui vous a nourri. 
- Tais-toi !, - a crié Antonov. Commencez !
Il a poussé en avant celui qui était le premier et il a fourré sa nagaïka dans ses mains. 
Mais il a tremblé et il a reculé :
- Non, je ne peux pas… 
Nagaïka est tombée dans la poussière et par le bout de sa botte il lʼa poussée à côté  de lʼautre soldat, qui aussi a reculé dʼun pas indécis, sans se pencher pour la prendre. 
Antonov a  très bien compris que cʼétait un moment décisif pour lui : ou bien il les oblige dʼaccomplir son ordre, ou bien il perd son pouvoir vers ses soldats et en ce cas-là il nʼarrive jamais à les faire obéir à ses ordres. Et il a tendu sa main vers sa  fonte en bois, dʼoù se montrait le levier noir du mauser. En ce moment-là - lʼimportant nʼétait pas cette femme : que le diable lʼemporte !... Tout dʼabord il devrait faire revenir ses soldats. 
Il a donné lʼordre – se ranger.
Les soldats se sont rangés à contrecoeur en une ligne, juste devant Naguima. Elle se tenait encore debout, sans sentir le mal, comme si elle sʼétait figée dans sa haine, dans son malheur, dans son inflexibilité. 
Aul sʼétait figé – et les femmes, et les enfants, et  les vieillards et le petit nombre des hommes qui étaient restés à la maison. Ils attendaient avec effroi les événements à venir. Naguima portera sur sa poitrine la première balle, ensuite le sang sʼécoulera en rivière et les serpents rouges enflammés commenceront à ramper dʼune yourte à lʼautre. On disait quʼAntonav commenҫait ses vengeances habituellement par quelquʼun le premier. 
Ils attendaient ce premier retentissement, la première salve, mais au contraire ils ont entendu la voix connue de Naguima :
- Pourquoi retardez – vous ? Levez vos armes et tirez ! Croyez-vous que jʼai peur! Non. Aujourdʼhui jʼai vu dʼautres hommes… Eux aussi, ils avaient des sabres et des armes, mais ils nʼétait pas méchants. Ils disent : Mon ami, Maman, et vous - ak-oba ! Je sais que les rouges arriveront jusquʼà vos maisons. Je sais aussi quʼils ne menaceront pas vos mères. Même vos mères qui ont nourri des loups comme vous !
La nuit était déjà tombée. La lune rousse se levait sur le bois où Japar cachait  le rouge blessé. Peut-être il lʼavait déjà traîné jusquʼaux rouges? Elle ne le saura jamais. 
- Taisez-vous, a- t – il crié, - Les soldats ! - Suivez mon ordre !
Sous le scintillement faible des étoiles une lame a brillé, un coup sourd et un râle ont retenti, et le corps frappé de quelquʼun est tombé sur la terre. 
- Oh, Allah, pardonne à cette femme tous ses péchés. Prends – la sous  ton haut patronage, - a grommelé le vieux Mollah   qui sʼétait caché derrière la yourte de Juman. 
Mais il a créé sa prière prématurément. 
Naguima continuait à se tenir debout. Et les soldats – agités et troublés ont traîné le corps du chef du détachement qui ne se tordait plus.
On nʼa pas pu apercevoir celui qui lʼavait fait. Peut – être dans le silence de lʼentourage on a vu, mais ils ont préféré de se taire. Il est difficile de deviner la cause de ce changement et de leurs humeurs.  Peut-être a affecté le fait que très loin, derrière la forêt, au ciel couvert dʼénormes étoiles, un tonnerre des armes sʼaccroissait : on a vu un foudre instantané et le vent a senti  lʼodeur âpre de la fumée de poudre. 
Naguima perdait ses forces. Elle ne pouvait pas arriver à sa yourte sans aide. Elle nʼavait pas de mots, ni de bons, ni de mauvais. Elle se taisait, pleine de joie inattendue. 
Ce nʼétait pas seulement la joie de la libération. Ni le fouet, ni le sabre, ni son mauser nʼont pas pu faillir sa fermeté. Elle était bien heureuse que les gens au sujet desquels elle disait : « Est-ce que ce sont les louves qui vous ont nourri ?», - ont tout compris et au moment le plus important, tout près de la tombe ont pris le parti de leurs mères.  
Maintenant elle ne savait pas, et même ne voulait pas savoir pourquoi tout sʼétait changé, pourquoi tout sʼétait ainsi passé. Quelques anciens antoniens russes et kazakhs sont restés avec elle, les autres sont partis à la recherche de Rudakov. Mais celui-ci avait disparu, malgré le fait quʼil était sorti de la yourte de Juman avec Antonov et tout le temps il était près de lui. Tout le monde avait vu cela, mais maintenant on ne pouvait pas le retrouver.  
- Quʼest-ce qui va passer avec vous, - a-t-elle demandé dʼune voix basse. 
Les soldats qui se trouvaient dans la yourte ne lʼont pas entendue et ils se sont penchés vers elle. Naguma a continué :
- Je ne comprends pas encore quel chemin vous devez prendre ?
Les anciens antoniens vivaient du moment et ne devinaient rien sur le futur.  Voilà pourquoi ils nʼavaient rien à répondre à la question de Naguima. 
Elle a attendu. 
- Je suis une femme simple dʼun aul pauvre,- a dit Naguima. Je veux que tout le monde se dise : mon ami, maman… Je crois que ҫa soit ainsi. Maintenant partez, je vais prier pour vous.  

Pendant toute la nuit les anciens antoniens discutaient leurs pas.
Lʼun insistait : partir le matin et se lier aux rouges. Les autres avaient peur : pour leurs actions faites on ne passera pas la main dans le dos, mais on les poussera au mur. Ils proposaient de sʼen aller au trot, ensuite - se disperser et aller seul  à la maison: là, où on ne savait rien. 
Ils ne sont pas tombés dʼaccord et le détachement sʼest divisée. 
Ils sont partis avant le jour. 
Si on ne se voit pas dans ce monde, on se verra absolument dans lʼautre. 
Et la mère dit :
- Je vais prier pour vous. 
- Eh bien, la prière maternelle a de la force, que ҫa soit musulmane ou orthodoxe. 
Naguima, qui sʼétait couchée dans sa yourte, a attendu leurs voix. 
Japar ici est arrivé à lʼaube. Il ne soupҫonnait pas quʼest-ce qui cʼétait passé à lʼaul. Il a bridé la  vieille jument -  la jument avait bien couru à la maison après être laissée près de la forêt. Japar avait décidé de prendre le côté des rouges avec le blessé.
Naguima sʼest traînée jusquʼà la porte, ensuite sous le seuil elle sʼest levée en sʼappuyant sur le feutre rugueux. 
Elle suivait de regard son fils et chuchotait:
- Bonne chance, mes enfants… Bon chance.
Le soleil sʼest levé. 
La steppe et le bois lointain avec son Uichik – Jalé sûr, ont apparu de lʼobscurité et dans le ciel sans nuages on entendait, plus proche que le jour passé, le tonnerre croissant.  

1936







LA RAGE MATERNELLE   

- Pourriez-vous nous permettre de passer la nuit chez vous ?
Sous le seuil de la yourte était debout une femme maigre en haillons. Le patron a levé son regard peu aimable. Dans la voix inconnue pour lui, il a entendu pas la demande, mais plutôt lʼordre. 
En serrant fortement ses lèvres crépitées, elle attendait la réponse patiemment. Ses rides minces et profondes formaient un filet autour de ses yeux et sur son front. Par le trou de la manche courte et déchirée on pouvait voir son bras noir avec une bague en argent, pareil à un  tisonnier en bois charbonné. Ce bras déjà noir noircissait plus fortement avec son éclat. 
-Vous êtes qui ? Vous  êtes dʼoù, - a demandé le patron. 
-Si je te raconte même toute ma généalogique, un casanier comme toi ne comprendra rien. Comme on voit très bien, tu reconnais seulement les parents de ta femme ! Mais on parlera de cela un peu plus tard, tout dʼabord il faut résoudre le problème  de ma couchée… Lʼhôtesse a souri. 
Le patron était bien confondu, et ne trouvant pas la réponse nécessaire, il a gromelé : Si vous voulez passer la nuit… En clignant dʼoeil peureusement, il a jeté un coup dʼoeil sur sa femme, comme sʼil demandait par son regard : « Délivre -  moi de cette femme folle, si non,  elle me percera de regard !». 
Mais la femme a décidé de sa manière :
- Que faire, vous pouvez rester et passer la nuit chez nous, a – t – elle dit à la femme inconnue. 
Lʼhôtesse est entrée, elle a accroché près du seuil son pourpoint déjà en trous, et en sʼapprochant du foyer dʼun pas lent et fatigué, a attiré ses mains maigres et noires vers le feu.  Les enfants, qui étaient assis autour du foyar, se sont gênés, pour céder place à cette femme. 
- Jʼai eu froid, parce que je viens de loin, - a – t – elle dit. 
Il y avait tant dʼamertume dans ses mots, que le patron a eu honte de leur accueil pas aimable : il voulait maintenant lui parler, demander quelque chose, mais il nʼosait pas, en attandant que la femme parle la première. Mais celle-ci se taisait. 
A ce temps – là, la patronne avait pris lʼécuelle de la farine et sʼétait tout de suite mise à préparer la pâte, en jetant des coups dʼoeil inquiets sur lʼhôtesse. 
- Il est clair que vous êtes trop fatiguée, mais sʼil nʼest pas difficile pour vous, pourriez-vous nous raconter qui êtes-vous et dʼoù vous venez ? 
- Je vous le raconterai absolument, - a répondu la femme, et elle a rajusté ses cheveux grisonnants qui se faisaient montrer sous sa coiffure. Comme on voit, ton patron est dérouté, il a eu peur de moi. Qui est cette vieille sorcière ?
Elle a regardé le patron dʼun sourire moqueur et elle a continué : 
-Je suis de la ville. Il y a déjà dix jours que je mʼen traîne à peine. Je 
suis née aux arguins¹ lointains – à lʼaul Baden. 


¹ Nom de la ville principale

La femme sʼest tue, elle a soupiré, et elle a continué son histoire :
-Je suis devenue veuve très tôt. Je suis restée seule avec mon fils en bas âge. Je lʼavait appelé Bahit¹, mais à cause de lui jʼai été obligé de passer dix – sept mois dans la prison. Cʼest ainsi… 
La patronne de la maison, en rajustant ses cheveux par le dos de sa main sali par la pâte, est restée bouche bée :
Le patron sʼest trémoussé sur le feutre. 
- Cʼest ainsi, a continué lʼhôtesse,- le propre fils est plus cher pour la mère que sa propre vie. On sacrifie nʼimporte quoi pour lui. Mon Bahit a quinze ans accomplis lʼan dernier. Il y a déjà deux ans quʼil est berger chez Altibas - le chef de tribu. Il fait paître les vaches…… Et voilà je dis à mon fils : « Demande à ton patron quʼil te donne tout ce que tu as gagné pendant ces deux ans». Mais le maudit a refusé de lui payer. Il dit : « Tu travailles pour la lait que ta mère prend de chez nous». Où est-ce que pourras – tu aller te plaindre ? Bien sûr chez le volost. Le volost est le fils du chef Altibas. Il est jeune, il a vingt et un ans, mais il est un coupe-jarret affreux : lʼun de ses yeux est plein de sang, comme un chien enragé, lʼautre est plein de veines rouges. Quand mon Bahit est allé chez lui, il lʼa battu comme plâtre, et il lui a défendu de se plaindre de son père Altibas. 
« Je ne travaillerai plus chez vous !», - leur a crié Bahit et il sʼest enfuit. Il est rentré à la maison. Mon Dieu….
- Tout a commencé dʼici, - a – t –elle dit en se taisant. Mais est-ce que les pauvres peuvent éviter le malheur ? Ils ont annoncé la mobilisation pour les travaux de lʼarrière et jʼai entendu dire que mon fils était tombé dans la liste noire. Dʼabord je nʼai pas compris. Mais comment, mon Bahit ne convient pas par son âge, il est encore jeune, très jeune. Le bruit venait de se calmer. Mon fils devrait aller aux travaux de lʼarrière aux parages lointains. Comment est-ce que je pouvais lʼaider : le marier, quʼil reste à la maison ? Et je me suis soumise. Mais le peuple ne sʼest pas soumis, ils se sont levés contre les lois tsaristes. Une manifestation sʼest élevée. Je ne mʼétais pas encore remise, soudain mon faucon a sauté avec dʼautres djiguites. Ainsi les jours  se sont écoulés, puis les mois. Les manifestations ont défait. Les uns à la potence, les autres en Sibérie. Heureusement, le fait que mon fils était avec les autres nʼa pas porté ombrage à Bahit. Mais on a parlé des travaux de lʼarrière de nouveau, et on notait de nouveau le nom de mon fils dans la liste. Le peuple est confus, les mères effrayées se taisent,  comme si elles ont oublié quʼelles maudissaient le tsar, et ses règles. Je suis allée chez les femmes de notre aul, pour leur parler de mon malheur, sinon on se débarrassera de moi le plus tôt  possible. « Tu ne peux rien faire contre la volonté tsariste. Compte sur la bienveillance dʼAllah»,- mʼont – elles répondu. Que ҫa soit ainsi ! Je fais attention aux discours des gens : ceux qui sont riches ont pu libérer leurs fils de la mobilisation. Comment – je ne sais pas. Mais nous, les gens pauvres nʼarriveront à rien faire. « Les bons gens ! Pouvez-vous mʼaider ! Le nom de mon fils – soutient de famille, est dans la liste. Il est encore très jeune… Ayez pitié de lui !». On me répond : « Réconcilie –toi ! Cʼest la volonté de 


² Bahit – signifie le bonheur 

Dieu !» Où est-ce quʼon peut trouver la vérité. Je suis allé chez le chef de tribu Altibas, je suis toute en larmes, je lui prie : « Est-ce que tu peux délivrer mon fils, sinon il va se perdre. Si tu le délivre, je le te donnerai à lʼasservissement pour toujours !». Il me répond : « Je ne peux pas, jʼai des gens comme ton fils beaucoup plus que des moutons dans mon troupeau». Sa femme était jeune, fière, avec arrogance. Elle mʼa chassée de la yourte : « Va tʼen, tu ne peux pas rester, bientôt des hommes viendront chez nous, ce nʼest pas ta place». Jʼai voulu crier : « Est-ce que je suis un chien ?». Mais je me suis retenue, jʼai caché ma rage et je me suis rappelée que le peuple lʼa nommé obstinée, pas en vain. 
Je suis allée chez son fils, lʼintendant de volost. « Ce nʼest pas un grand malheur, le peuple ne deviendra pas orphelin sans ton fils, les femmes ne deviendront pas veuves», - mʼa- t – il répondu effrontément. « Je nʼai rien à faire, cʼest la faute de ton mari, qui lʼa inscrit plus âgé», - a – t – i l ajouté et il a ordonné à son commissionnaire de me faire sortir du bureau. 
Je suis allée battre les seuils des juges et des chefs de lʼaul. Jʼai pleuré toutes mes larmes. Enfin on a cessé de mʼécouter. Je priais au commissionnaire et il se moquait de moi : « Laisse ton fils partir, laisse. Cela sera mieux pour lui. La viande de porc russe lui engraissera ». Chez le commissionnaire jʼai rencontré quelquʼun à barbe noire, il était toujours au volost : « Tu es encore jeune, belle», - a dit lʼhomme à barbe noire. « Ton fils te dérange seulement de vivre ta vie pour tes plaisirs. Quʼil parte creuser des tranchées, on te délirera les mains». Je proposais pour mon fils tout ce que jʼavais. Prenez tout : mon dernier cheval, ma dernière vache, mais libérez mon fils. Mais est-ce quʼils avaient besoin dʼun tel pot – de – vin ? 
Jʼai passé une semaine autour du bureau de volost, je mangeais les restes de la table pauvre des valets de ferme, je me couchais sous le ciel. Jʼai perdu toutes mes forces et une fois le soir je me suis couchée sous la télègue dʼAltibas, pleine de fumiers séchés. Je venais de sommeiller que soudain quelquʼun mʼa attrapée de lʼarrière. Cʼétait lʼhomme à barbe noire. Il tend ses mains  vers moi, il veut mʼembrasser. Il est clair, quʼest-ce que lui fallait de la veuve. Il est vrai, que jʼétais célèbre par ma beauté et les 
gens me nommait Ayna – Koza¹.  Je me suis arrachée de ses mains à peine, je  lui ai donné un coup de pieds de toutes mes forces juste sur sa bouche. Il a rougi de douleur et il est tombé à la renverse. Jʼai tout de suite sauté sur mes pieds, lui aussi, il sʼest levé : « Folle, je préférerai nʼimporte quelle jeune fille honteuse à toi. Jʼai voulu tʼaider. Pourquoi tu nʼacceptes pas ?»  Et moi, je lui réponds : «Tu me mens, le diable noiraud ! Tu ne me prendras pas vivante», - et jʼai saisi la hanche qui était sur la terre. Lʼhomme à barbe noire a eu peur, ou bien il a eu honte, mais je vois quʼil recule : « Méchante, maudite, mauvaise femme !». 
Mais ce nʼétait pas seulement lui, qui mʼimportunait  quand je marchais ou me penchais. Tu vas prier pour ton fils, mais on braque les yeux avares, sans honte et ils commencent les discours onctueux : « On 

¹Ayna-Koza – Des yeux attirants, de beaux yeux

parlera de ton fils un peu plus tard, la veuve. Maintenant on va parler dʼautre chose». Voilà pourquoi je suis pleine de méchanceté envers les gens ! Déjà mon fils me suppliait : « Maman,  arrêtez-vous. Il vaut mieux que je parte aux travaux de lʼarrière, que vous soyez la risée. Rentrez à la maison». Et moi, je devenais de plus en plus enragée. 
Je me suis décidé au dernier pas. Jʼai pris mon fils par la main et je lʼai amené chez lʼintendant. Nous nous approchons. Volost sʼétait couché sur les oreillers blancs et il buvait du koumis dans sa yourte. Lʼhomme à barbe noire était avec lui. En me voyant il a pris un air hargneux. « A, a, a», - a sourit lʼintendant – blanc-bec. «La veuve est venue, Ayna – Koza est venu. Entre ma bonne. Assieds – toi près de moi !». Et il sʼest mis  à se moquer de moi, il me regardait par ses yeux affamés, nʼayant même pas honte de mon fils. Bahit nʼa pas pu tolérer ces persiflages à mon adresse. Il a fermé ses oreilles et il est sorti de la yourte. « Vis avec nous pendant un mois, je ne serai pas contre», - me dit lʼintendant, en montrant lʼhomme à barbe noire. Je me suis jetée de la yourte et mon fils se sauve à toutes ses jambes. Tout est devenu noir pour moi, mes jambes me manquent, ma tête me tourne. Jʼai failli tomber. Qui suis-je ? Une esclave … Qui sont ces gens – là ? Des hommes honorés ? … Ils peuvent faire tout ce quʼils veulent. Mais est-ce que je suis obligée de tolérer leurs moqueries pendant toute ma vie ? Est-ce que je suis un homme ou bien un chien ? Et soudain je vois que le djiguite porte dans la yourte un plat avec besbarmak¹. En haut – la tête du mouton, à côté du plat – un couteau pointu. Maintenant je ne me rappelle pas comment tout cela sʼest passé. Jʼai arraché tout de suite le couteau, je suis rentrée à la yourte, je me suis approché de lʼintendant  de volost, qui sʼétait couche sur les oreillers. Jʼai enfoncé le couteau dʼabord dans sa gorge, ensuite juste sous son cœur. Jʼai perdu la raison. Je suis devenue féroce. Je me suis jetée sur lʼhomme à barbe noire. «Oh, … ! o, o, o »,-  a – t – il crié, se cachant par ses mains. Il me rgardait par ses yeux devenus vitreux. Je me rappelle bien comment le plat est tombé des mains du djiguite, comment la tête du mouton se roulait par la terre avec ses dents montrées. Je me rappelle très bien comment jʼai frappé lʼhomme à la barbe noire avec le couteau. Si je ne me trompe pas cʼétait deux fois. Je ne me souviens plus de rien. Jʼai perdu connaissance…
Elle sʼest tue et elle sʼest mise à réfléchir. Le patron et sa femme se taisaient aussi. Les enfants se sont serrés lʼun contre lʼautre, ayant peur des mots de lʼhôtesse. 
- Quand jʼai repris connaissance et jʼai ouvert mes paupières, la troupe des mouches sʼest envolée de mon visage, - a continué la femme à peine. Sur moi le ciel bleu et clair. 
-Où suis – je. Je ne comprends pas quʼest-ce qui sʼest passé avec moi. Je ne sais rien. Je ne peux pas tourner ma tête - jʼai mal. Je veux me lever, mais je ne peux : tout mon corps était couvert de plomb. Je veux bouger mes mains pour palper mon corps, mais je ne peux pas. Mes pieds ne se bougent non plus, comme sʼils ne sont pas les miens. Tout est dʼautrui, seulement les yeux sont à moi. Scélérats, monstres… Il me 

¹Besbarmak -  Un plat national kazakh

semblait que lʼon mʼavait bien battue, découpée et ensuite on mʼavait rejetée dans la steppe, loin de lʼaul. Je ne pouvais pas comprendre quʼest-ce qui sʼétait passé avec moi. Mais ils ne mʼavaient pas découpée, ils mʼavaient enchaînée par les mains, les pieds et la tresse à cinq lieux. Ils mʼavaient battue par le fouet… Je ne sais pas combien de temps ils mʼont battue. Quʼest-ce que de plus ils avaient fait avec moi, je ne sais pas. Je sais seulement que mon âme malheureuse nʼa pas encore quitté mon corps. Je me suis souvenue de mon fils, jʼai pleuré amèrement : « Tu es où ?», - ai-je soupiré. « Tʼes-tu ranimée, la mauvaise femme ?»,- a dit quelquʼun près de moi. Et ils se sont mis à me battre par les fouets. Je croyais que cʼétait déjà la mort.  
Lʼhôtesse a regardé la patronne. 
Il est peureux pour vous de mʼécouter, - a – t –elle dit. Ton mari a voulu courir de sa maison à cause de sa peur, nʼest-ce pas ?. Et dans quelle situation je me trouvais ? Et bien ! Je vous raconte bref. Après un mois et sept jours on mʼa arrêtée. La prison était froide et sombre, comme la tombe. Mais je suis sortie de la tombe : tsar avait renoncé à son trône et les bolcheviques mʼont rendu la liberté…Je ne sais  pas quelle sorte dʼhomme, mais je crois quʼils sont bons, sʼils arrêtent tous ces monstres et ces bourreaux … Et elle a jeté un coup dʼoeil interrogatif sur le patron, comme si elle disait : « As-tu tout compris ?» Celui – ci a détourné ses yeux en se tremblant. - Cʼest tout. Maintenant je cours à mon aul. Je me dépêche pour trouver mon fils. Comme je vois, il ne me cherchera pas… 
Elle nʼa pas bu de thé, elle nʼa pas mangé les galettes que la patronne avait préparées pour elle. Peut-être à ce moment-là elle sʼimaginait comment elle embrassait son Bahit, comment elle lui disait les mots les plus tendres et les plus chers. Ses yeux brillaient plus vivement que le feu dans le foyer qui se trouvait au milieu de la yourte. Les enfants, qui sʼétaient cachés dans les coins, peu à peu sʼapprochaient dʼelle, sʼasseyaient sur ses genoux, en la couvant des yeux. Quand elle a prononcé les mots  «tout est pour vous »,  et a touché leurs têtes avec tendresse, ils se sont étendus vers elle. 
Le patron ne pouvait pas détacher son regard de lʼhôtesse, il était toute attention, pour ne pas laisser ses mots.
Devant lui sʼétait assise une femme forte et hardie. Elle avait passé par tous les supplices de sa vie noire et elle avait tout supporté.  Devant lui sʼétait assise la mère qui savait très bien comment on doit se battre pour son droit dʼêtre heureuse.

1934


AKLIMA

« Mama»,- cʼest ainsi que commenҫait la lettre du soldat. « Mama» - ce mot magnifique a survolé dans tout le monde.
«Ma chère, je me suis bien ennuyé sans toi… »
Points de suspension. Pourquoi sont-ils ici ? Pour quelle raison. Ils  faisaient rappeler les gouttes des larmes tombées. Peut - être celui qui lʼécrivait, a perdu le souffle de lʼangoisse qui lʼétouffait et ne pouvant trouver des mots nécessaires, il a mis des points de suspension ? Où bien quelque chose dʼautre, peut-être le soldat nʼa pas voulu continuer et il a renfermé tous ses sentiments dans les mots suivants : «je me suis bien ennuyé sans toi…». 
Tout a chancelé devant les yeux dʼAklima, qui avait reҫu cette lettre. Il y a déjà quatre ans que son fils unique Kassim est parti au front. Le cœur de la mère, blessé par lʼanxiété tressaillait de chaque petite nouvelle du front, comme une corde bien montée dʼun instrument musical, qui tremblait dʼun moindre souffle du vent. Il y a deux ans, quʼelle avait reҫu la dernière nouvelle annonҫant la mort de Kassim. Jusquʼà ce moment elle la gardait au font du coffre, et lʼespoir ne cessait pas de vivre dans le cœur de la mère : « Il reviendra, il restera vivant». 
Et voilà le facteur est venu, apportant une lettre. La lettre avec le timbre du secteur postal.
- Nurial, chérie ! Viens vite ici, - a crié Aklima, sortant sur la terrasse. 
A ces jours – là, les gens se rapprochaient facilement. Une seule nuit pouvait les rapprocher pour toujours. Aklima sʼétait récemment  liée dʼamitié avec sa voisine jeune: elles avaient des intérêts communs, elles sʼaidaient. 
Dès que Nurila est sortie sur la terrasse, elle a vu le visage triste dʼAklima, la lettre dans ses mains, alors elle a tout compris et ne rien demandant, elle a sauté habillement la barrière qui divisait la terrasse en deux parties. 
Son visage est devenu vermeil. Elle a pris la lettre des mains dʼAklima. 
- Arrête, il ne faut pas pleurer !,- a – t- elle dit. Sinon, je ne le lis pas… Cʼest la joie, ma sœur. 
Elle a fait sourire Aklama, mais, lisant les mots «je me suis bien ennuyé sans toi», elle sʼest arrêtée, ses mains tremblaient de lʼémoi. La veine bleue a palpité sur son cou, et les larmes ont assombri ses beaux yeux noirs. Lʼennui infini bouillonnait dans sa lettre, comme une cascade orageuse tombante du haut. Pour exprimer ses sentiments il avait trouvé tels mots que Nurila ne pouvait pas lire de haute voix. Elle a très vite passé la première page, lʼa retournée et a déjà continué de haute voix.
« Maman, jʼai envoyé ma première lettre à la station Agadir. Je pensais que tu y es déjà revenue… Mais je suis heureux que tu es à Karaganda…»
- Arrête – toi, arrête – toi !, - sʼest confondue Aklama, quelle     station ? Quel Agadir ?
Nurila continuait à lire :
« Maman, tu demanderas sans doute pourquoi ainsi ? Je tʼen parlerai un peu plus tard. Maintenant écoute, maman». 
Aklima écoutait. Elle vivait par chaque mot de la lettre, par chaque intonation de la voix de Nurila, suivait ses mouvements. Les yeux dʼAklima, qui nʼavaient pas encore perdu lʼattrait passé, exprimaient tous ses sentiments et toutes ses idées. Ses yeux devenaient chauds de lʼamour envers son fils, ou bien ils sʼélargissaient, ou bien elle clignait ses yeux du soulagement. Le soldat écrivait :
« Maman, pendant cette guerre jʼai passé deux milles quarante - neuf kilomètres. Lʼévénement dont je veux te parler sʼest passé aux derniers quarante – neuf. Si je ne me confonds pas, ce jour – là tu fêtais ton  quarante-neuvième anniversaire. Quelle coïncidence. Excuses-moi, que je ne tʼai pas félicitée… Le lettre est restée dans ma poche insigne et je nʼai pas pu lʼenvoyer».
- Mais est-ce quʼil a oublié que jʼai encore quarante-quatre ans, - a–t – elle exclamé avec amertume et tristesse. – Oh, Kasim, Kasim !
« Pendant la guerre quarante-neuf kilomètres nʼest pas une grande distance, surtout pour nous, les  tankistes. Mais il arrive parfois, quʼun kilomètre tʼoblige de tʼarrêter pour longtemps. Et voilà je me suis arrêté. Jʼai passé tant de chemin, mais je nʼai pas pu voir Berlin».
La voix de Nurila sʼest tremblée dʼun pressentiment absurde, elle a cessé de lire un petit instant et Aklima la regardait impatiemment : « Quʼest-ce qui lui avait dérangé ?» 
« Maman, je sais très bien que tu peux accepter héroïquement et les joies, et le malheur. Je me rappelle bien que cʼétait ainsi, voilà pourquoi tu dois écouter sans peur, parce que je suis ton fils, cʼest toi qui mʼa mis au monde.
« Kasim, Kasim»,- a soupiré Aklima.
Nurila lisait : « Je me souviens de tout très bien, cʼétait ma dernière nuit en avant-garde. Pendant trois jours et trois nuits nous étions debout au bord dʼune petite rivière et nous nʼarrivions pas à la forcer». Le bord opposé, ceint par les barbelés, par les piquets antichars, par les champs de mines et par les ouvrages permanents, fermaient les rideaux de feu. Les Allemands tiraient et tiraient par les  canons, les obus explosaient partout et la rivière écumait des éclatements. La rivière est étroite, pas profonde, mais le passage dʼun cours dʼeau est impossible. 
La troisième nuit. On sent le brûlé. A lʼest de petites étoiles brillent. Les nuages de plomb bas, épais se couvraient au ciel en se levant de lʼhorizon. Les positions des ennemis sʼimmergeaient peu à peu dans les ténèbres. Je ne me rappelle pas si ces ténèbres se dissipaient ou non.  Maintenant il ne sʼagit pas de cela. Lʼimportant était de chasser les Allemands de leurs positions de fortification. Là-bas ils ne pourraient pas se retenir contre nous. Nous y pensions tout de même. Je me rappelle que le commandant du détachement, le colonel Révizov fort, aux épaules larges, est venu chez nous. Pendant la nuit il nous semblait un géant. Il a passé à travers le rang des tankistes par un pas lent. Nous sommes debout au garde - à - vous, nous attendons et nous sentons, quʼil va nous donner un ordre bien important. Cela se voyait par lʼair du commandant et aussi les officiers cadets, venus avec le colonel, étaient très inquiets. Et voilà. Révizov sʼest arrêté au milieu du rang et il a parlé. Il a parlé dʼun ton tranquille, sans élever sa voix, comme sʼil était notre ami proche.  Les soldats estiment un discours pareil. 
- Camarades, il faut conférer !, a dit le colonel. Nous avons une mission difficile. A vrai dire, je ne veux rien promettre : ni les ordres, ni les titres. Vous en avez assez et il est difficile de trouver  une décoration correspondante… En un mot, quʼen pensez-vous, est-ce quʼil nʼest pas le temps de passer sur lʼautre bord ?
Nous étions calmes et le colonel nous regardait dʼun œil scrutateur : il me semblait quʼil lisait nos idées.
Nous nʼavons pas réussi de passer pendant la marche. Nous avons manqué le temps.  Est-ce que vous pensez ainsi ? Ah ?, - a demandé Révizov. Il est vrai, je sais. Mais tout de même il faut passer avant. 
Ces mots ont été prononcé dʼune tranquillité amicale, sans une emphase fausse, sans jurons et sans menaces, ils ne sonnaient pas comme un ordre, et pour les soldats, qui se sont ennuyés de la chaleur de leurs maisons paternelles et qui se sont déjà fatigués des ordres et des rebuffades, le bon mot du commandant est le plus cher.
Et on a trouvé la décision : nous devrions passer à lʼautre bord par le fond de la petite rivière avec nos tanks le plus vite possible et nous devrions nous y fixer. 
Cinq commandants ont fait un grand pas en avant. Moi, jʼétais parmi eux. 
Nous nous approchions de nos machines silencieusement, en calculant mentalement la distance que nous devrions passer sous lʼeau, en  tâchant de nous représenter les obstacles à passer. Les plongeurs – éclaireurs ne cachaient pas que lʼennemi avait reformé le fond de la rivière à une barrière imprenable : il y avait mis des piquets antichars en béton armé et des nœuds de fil de fer. Ici la déraison ne peut pas aider, il nous faut un calcul raisonné, du courage et de la fermeté. Tout simplement nous devrions éviter les mines sous - marins, ne pas sʼembourber, ne pas donner à lʼeau dʼinonder les moteurs.  Et que lʼeau nous suffise ! Sinon nous deviendrons des poissons dans un filet dur. 
Nous avons tâché avec nos amis silencieusement, nous nous sommes serrés les mains, nous avons jeté un coup dʼoeil sur la superficie foncée de lʼeau et sur les obus ébouriffés par  des explosions. Les Allemands, ayant peur de notre attaque, ne cessaient pas de tuer la nuit durant. Et jʼai bien réfléchi : «Au revoir, maman, si lʼon ne se voit plus».
Mais non, maman ! Non ! Je nʼai pas dit «Au revoir ». Jʼai eu cette idée  maudite quelques fois, mais je lʼai toujours chassée. Je ne voulais même pas faire adieu à la fumée des locomotives qui emmènent du charbon des puits noirs de Karaganda… Je me souvenais toujours de toi… Je pensais ainsi : je prendrai avec moi la lettre que je tʼai écrit le matin. Je le prends à lʼautre bord, demain jʼy ajoute deux mots « vivant et sain» et je lʼenvois. Oh, maman ! Il sʼest trouvé quʼentre la date dʼaujourdʼhui et de demain, entre la nuit où jʼallais à mon dernier combat et ces moments il y a une grande éternité…
Les deux femmes comprenaient très bien lʼidée cachée de ces mots, et elles nʼont pas osé de se regarder avec des yeux confus et pleins de chagrin. 
Les cheveux bruns clairs de Nurila, épinglés légèrement sur sa nuque, se répandaient sur ses épaules. 
- Quʼest-ce qui se passe avec toi, la jeune fille ? Tu pleures ? , - lui a demandé Aklima dʼune voix basse et sa voix se tremblait de lʼinquiétude. 
- Quʼest-ce que vous dites, ma sœur… Vous avez un tel fils, est-ce quʼon peut pleurer ? , - a répondu Nurila faisant semblant de sourire, mais le tremblement de sa voix lʼa trahie. Elle continuait de lire :
« Maman, tout a commencé : notre tank lourd sʼest plongé dans lʼeau à toute vitesse. Nous allions ainsi en nous plongeant tantôt dans les fossés, tantôt en nous soulevant. Le grondement assourdissant est devenu plus calme. Les camarades nʼarrachaient pas leurs regards des instruments, et moi, je donnais des ordres :
- Tiens droit ! … A gauce !… Tire tout droit ! … A droite !...
Les aiguilles du chronomètre tremblaient lentement devant mes yeux, comme les ailes  dʼun papillon gelé. Deux secondes se sont passées. Deux et   demie. Trois secondes. Et cʼest ici que jʼai compris la part de la seconde, - une éternité entière pendant laquelle on peut faire le tour du monde entier. Il me semblait que tout se déroulait en mes rêves. Le sentiment incompréhensible de lʼindifférence paralysait mes mouvements. Lʼodeur de lʼhumidité chatouillait mes narines. Lʼeau dans les tanks était jusquʼaux genoux. Que le moteur ne cale pas ! Soudain, lʼeau agitée sʼest élevée jusquʼà nos poitrines et sʼest mise à tomber vite.  Nous avons compris que nous étions déjà au bord opposé.
Notre tank était le second, trois autres nous suivaient. Je ne sais pas encore parmi eux qui  a forcé la rivière et qui non. En ce moment-là il nʼy avait pas assez de temps pour vérifier. Devant nous – les ennemis, derrière nous – nos armées, qui attendaient leur heure, attendaient le commencement de lʼattaque. 
- En avant, - crie - jʼau chauffeur. Ne ralenti pas la vitesse !
Et nous allons à toute vitesse. Les explosions, les éclatements arrachent de lʼobscurité les nœuds de fil de fer,  les piquets antichars des soldats Allemands qui se jetaient de tous côtés. 
- Du feu !,- crie – jʼau tireur.
 Les balles et les fragments griffaient déjà nos tanks. Nous sommes dans le feu. Notre tueur, Petya Tchernov ne cesse pas de tuer les Allemands. La sueur coule à flots de son visage. Et Rakhim Saribasov – le chauffeur – jette le tank juste au plus épais de la foule des soldats Allemands, qui sʼenfuyaient de nous dans la panique. Rakhim se retourne vers mois : ses yeux étroits noirs brillaient.
- Kolya, -crie -jʼà Nikolay Sorokin, notre radio. Lʼinfanterie est–elle allée ? 
Il a fait un signe négatif. Vraiment  il est encore tôt de repartir. Que ҫa soit le plus vite possible ! Le plus vite possible ! 
Nous nous sommes déjà plongés  dix kilomètres du bord. Cʼest à dire on a passé deux milles quarante-neuf kilomètres et je me suis rappelé que tu fête ton quarante-neuvième anniversaire.  Jʼai touché ma poche insigne. La lettre est toujours là. 
Peyta Tchernov sʼest retourné vers moi pour se cacher des canons, il a voulu me dire quelque chose et tout de suite le tank a tremblé et nous avons senti la fumée âcre. Tchernov est tombé en soupirant. Jʼai voulu me jeter à son aide, mais jʼai senti quelque chose bien froide et perforante sur mon visage. J ʼai regardé et  jʼai vu sur ma main mon sang chaud. 
- Mon commandant !, - jʼetends la voix de ma radio. - lʼinfanterie franchit. La section des tireurs à la mitraillette est déjà sur ce bord … - Soudain il sʼest arrêté et il mʼa crié : - Le nez… Le nez…
Et je lui ai montré Tchernov. Soudain quelque chose a éclaté dans le tank et la fumée sʼest étendue. Et je  me suis souvenu tout de suite de ma lettre. La lettre que je nʼai pas pu tʼenvoyer, sʼallumera dans ma poche. Mon visage était tout en sang, je voudrai lʼeffacer par la manche de ma  vareuse, mais mes vêtements  se sont enflammés. Je tâchais de les éteindre, je voulais arriver jusquʼà la trappe, lʼouvrir et sortir sur la terre, mais quelque chose très lourde et pointue mʼa frappé sur les pieds et jʼai senti que je tombe mortellement dans un gouffre noir dʼoù je ne pourrais pas sortir… Voilà cʼest tout. Quʼest-ce qui sʼest passé ensuite avec moi, je ne sais pas. Jʼai repris connaissance après six mois et dix jours … ».
Soudain ses jambes ont manqué à Nurila, qui lisait la lettre en se tenant debout, et elle a saisi le mur, pour ne pas tomber. Les feuilles de la lettre tombaient de ses mains et couvraient la terre. Les forces dʼAklama lui manquaient pour quʼelle puisse se pencher et les ramasser.   Elle avait la gorge serrée et ne pouvait pas respirer. 
Les enfants sales, qui revenaient de lʼécole, étaient debout près de la terrasse et ils écoutaient. Lʼun parmi eux portait sur sa tête le calot de son père et tenait dans ses mains  sa serviette. 
- Est-ce que tu as compris comment il faut battre les fachos ? ,-a–t – il demandé à son ami. Je le sais déjà. Mon père mʼa raconté… Dʼabord il faut entrer à lʼarrière – front et ensuite battre !
Il a voulu montrer comment il fallait battre, il a levé ses mains, mais son ami  sʼest rapidement  glissé à lʼautre côté et lʼenfant  au calot, perdant lʼéquilibre est tombé par terre. Les livres de sa serviette se sont éparpillés… Lʼautre garҫon, sans perdre le temps, sʼest mis à sa poitrine et il lui a fermé la bouche par sa main. 
- Et ensuite !... Encore une fois – un coup, - a – t – il parlé. On lie la bouche à lʼAllemand et on le traine chez le commandant.
Ils jouaient à la guerre. Et sur la terrasse étaient assises les deux dames, étonnées par la vérité la plus affreuse de la guerre réelle. 
- Lis Nurila, lis tout jusquʼà la fin !, - a à peine prononcé Aklima, voulant  boire la coupe infine du malheur jusquʼà la lie. Et Nurila sʼest mise à lire :
« Quand jʼai pris connaissance, la première chose  que jʼai comprise, cʼest que mes mains étaient saines. Je me suis réjoui.  Tous les dix doigts étaient complets. Ils sʼembrassent comme de vieux amis après une longue séparation. Je me trouve où ? Quʼest-ce qui sʼest passé avec moi ? Pourquoi tout est calme et sombre autour de moi.  Peut – être cʼest la nuit… Oui, oui, cʼest la nuit !, -ai- je pensé. Cʼest la même nuit quand mon tank s ʼest brûlé. Ou bien, peut – être elle ne cʼest même pas  brûlé. Peut – être  je me suis endormi à ce temps – là, et tout ce qui cʼétait passé était un grand rêve, une grande quantité de plusieurs rêves lourds. Je palpe par mes mains ma poitrine… Elle est aussi saine… Je sens les battements de mon cœur. En se soutenant mes mains se lèvent jusquʼà ma tête… Voilà les lèvres. Et mes lèvres, et mes dents sont saintes…  Voilà maintenant mon nez. Au lieu de mon nez mes mains ont trouvé un pansement mou, sous lequel comme un plomb fondu sʼétend le mal. Et mes pieds ? Je sens que ma cuisse gauche devenait gourde, et les doigts du pied droit – la courbature. Mes mains glissent en bas et elles ne les trouvent pas. Aux lieux de mes pieds – des coupes. Jʼai perdu connaissance et quand je lʼai reprise, jʼai retrouvé le même calme, le  même lit mou et les mains de quelquʼun qui changerait de pansement de ma tête.
- Ecoutez, quelle heure est-il ?, - ai-je demandé. Jʼai demandé encore une fois, mais je nʼai pas entendu ma voix. Quʼest-ce qui cʼétait passé ? Je suis sourd ou muet ? Jʼai levé ma main. Alors la voix basse de quelquʼun a parlé tout près de mon oreille dʼun ton à peine perceptible :
- Soyez tranquille. Vous êtes sauvé et vous serez vivant. Vous êtes à Saratov, à lʼhôpital militaire. Après deux mois vous marcherez. Mʼavez-vous compris ? La voix inconnue de cet homme lʼa répété encore une fois. 
- Oui, jʼai compris : je vivrai et je marcherai. Mais deux mois ne mʼont pas suffis pour me lever du lit. Maintenant je pourrai compter les jours, les semaines et les mois. Une demi - année sʼétait déjà passé de ce momant, mais je ne pouvais pas me lever de mon lit. La vue me revenait peu  à peu, jʼai commencé à parler difficilement. Les chirurgiens de lʼhôpital militaire ont refait mon nez. Mais jʼai toujours peur que mes amis-camarades ne me reconnaissent pas. 
Mon visage défiguré, pas de pieds. Il y a déjà longtemps que je nʼhésitais pas de tʼécrire cette lettre, ma chère maman. 
Mais je veux vivre… Mes mains sont saines, mon cœur bat. Cʼest à dire tout nʼest pas encore perdu. 
Maman, je peux écrire. Quel mot magnifique – pouvoir. Quel grand bonheur – écrire ! Au front je chantais souvent une chanson, dont jʼai déjà oublié et les paroles, et le sujet. Mais cʼétaient mes paroles et mon sujet.  Je ne sais pas sʼils étaient bon ou mauvais pour les autres. Mais je sais une autre chose : je sentais quelque chose dʼinexplicable : Ou bien je nageais dans la mer infinie, ou bien jʼétais debout au sommet de la montagne. Jʼoubliais tous les malheurs, la tristesse, la  peur, la rage. Je chantais… Et pourquoi ne pas chanter maintenant ?  Pourquoi ? Que les paroles de ma chanson tâchent de voler  jusquʼau ciel, comme les oiselets dont les ailes ne sont pas encore devenus forts. Que ҫa soit pas tout de suite, mais quand même ils apprennent à voler. 
Et la dernière, maman. Quand tu lis déjà cette lettre, je suis dans la ville dʼeaux. Jʼapprends à marcher sur les jambes prothétiques. Jʼai mal aux coupes de mes pieds. Mais je marcherai absolument. Je le ferai. Jʼattends ta lettre. Dès que je lʼaurai reҫu, je reviendrai à Karaganda. Jʼattends notre rencontre, jʼattends le moment quand tu mʼembrassera fortement. Ton fils Sapar».
- Sapar ?!, - a crié Aklima. Qui ? Quel Sapar ? Peut-être tu as voulu dire Kasim ?
- Non. – Nurila sʼétait confuse pas peu quʼAklima. Ici il est écrit clairement: Sa…par. 
- Sa-a-a-apar ? , - a respiré Aklima, en se redressant. 
Le coeur est devenu tranquille. Pas lui…
Elle ne pouvait pas cacher sa joie: ces tortures inhumaines nʼont pas touché son fils: quelquʼun dʼautre, tout à fait inconnu est devenu estropié, pas Kasim, non. Aklima a regardé Nurila par ses yeux éclairés et elle a tressailli. La jeune fille sʼétait tellement changée, que sa propre mère ne la reconnaîtrait pas. Elle sʼétait laissée abattre, elle sʼétait courbée, même sa robe en soie rouge  foncée, avec des fleurs bleues collant fortement sa taille, paraissait  froissée, comme fanée.
Aklima a eu honte de sa joie momentanée. 
- Il aimait vraiment sa mère, - a – t – elle dit plutôt à soi-même quʼà Nurila et dans sa voix on pouvait entendre le souci maternel.
- Oui, - a crié la jeune fille. Cʼest moi qui lʼa trouvée. Elle vivait ici, dans la même chambre, où vous vivez maintenant. 
Et Nurila a raconté tout ce quʼelle savait. Pendant la guerre, après avoir terminé lʼinstitut, elle est venue à Karaganda, elle sʼest rencontrée avec Sapar et sa mère. Une fois Nurila revenait de la réunion. La nuit était déjà tombée. Soudain un homme nu a couru près de la jeune fille. En hiver elle a vu à Karaganda un homme nu, seulement en culotte, courant dans le froid! Il est sûr que Nurila a eu peur. Elle sʼest précipité vers la maison et sur la terrasse de sa voisine Ulbala, elle a vu lʼhomme, qui mettait sa vareuse. Le matin, quand Nurila est sortie de la maison  pour aller au travail, elle a rencontré le jeune lieutenant de haute taille, avec des cils épais et des cheveux noirs coiffés en arrière. 
- Ma soeur, - a – t –il dit en souriant. Il me semble quʼhier soir vous avez eu peur de ma vue … Excusez –moi … Chaque soir je me frotte par la neige. Vraiment je ne voulais pas vous faire peur. Ma parole dʼ honneur !
Cʼétait leur dernière rencontre. Le soir le jeune lieutenant est parti au front. Mais il est resté pour toujours dans les souvenirs de Nurila. Ensuite Ulbala lui a dit que cʼétait son fils, quʼil sʼappelait Sapar. Après deux ans Ulbala est morte et dans sa chambre sʼest installée Aklima.  Cʼest tout ce que Nurila a pu raconter. 
Et dans lʼâme de Nurila ont encore une fois nettement sonné les paroles de la lettre, la voix forte et lointaine du soldat. Comme elle la comprenait bien. Mais que faire ?  Comment aider Sapar ? Comment lui dire que les bras maternels nʼembrasseront  jamais sa tête blessée du soldat, quʼil nʼécoutera jamais la voix de sa mère ?
- Nurkech,- a dit Aklima avec hésitation. Et si je lʼappelle … Si je lui écris au nom de sa mère … Viens, mon fils. Quʼest-ce qui se passera,  Nurkech ? Maintenant je sais bien que mon Kasim ne reviendra jamais. 
Nurila nʼa rien répondu. Elle a seulement levé ses grands yeux bruns, pleins de larmes, elle a pris la main dʼAklima et lʼa fortement serrée. 
Le même jour un télégramme est parti de Karaganda à Sapar:
«Reviens mon fils, je tʼattends. Maman». 
Et Aklima sʼest mise à attendre. Mais pas lʼestropié Sapar, non. Des hommes pareils ne deviennent jamais des estropiés qui pensent seulement à leurs malheurs, à leurs destins amers.   
Chaque avion qui survolait sa maison, faisait battre plus               fortement son cœur maternel.  Peut-être cʼest son fils, le soldat Sapar, qui revient. 


1943



PENDANT VINGT-QUATRE HEURES
(HISTOITR VRAI DʼARAL)

Uzun  Kulak – « Lʼoreille longue » de la steppe, plutôt la chaîne des bouches et des oreilles, racontant des nouvelles, travaille mieux que le télégraphe. Les télégrammes peuvent être en retard, le train ou le délégué peuvent arriver tard. Pour Uzun Kulak cʼest ignoré. Dès quʼune loi, un ordre ou une nouvelle concernant un événement important arrivent jusquʼà Orenbourg, alors on les attrape et on les répand  dans les steppes étendues kazakhes. Il arrive parfois quʼOrenbourg ne sait encore rien, mais la nouvelle vole déjà par les steppes sur les chameaux et les chevaux, menant des informations de Moscou, même de Paris ou de Londres. 
Cette fois – ci aussi Uzun  Kulak a rapporté la nouvelle  par Tamarcha. Où ce  djiguite est – il parti ? Tout simplement à Kazanlisk. A ce Kazanlisk, où les maisons sont des huttes grises, portant la tache de lʼhumidité, et elles se regardent dʼune manière extraordinaire par les yeux des portes et des fenêtres qui  ne se ferment pas. A Kazanlisk dont des cheminées sortent les fumiers pareils à la caravane des chameaux, allant vers la steppe. A lʼarrière de la caravane courent aussi les chamelles – les fumiers des tubes des samovars. La nouvelle que cette fois – ci apportait Tamarcha nʼentrait pas dans les têtes des habitants des steppes. 
- Lénine ! Lui – même avait envoyé une lettre aux pêcheurs dʼAral. 
Au centre de la chaumière de lʼartel ronde comme la yourte, formée à peine des saxaouls et des verges, le feu sʼenflammait. Autour du feu étaient assis des hommes ; cʼétait lʼartel qui sʼoccupait du métier de la pêche et de la préparation du combustible pour les locomotives. Les gens regardaient Tamarcha dʼun air méfiant. Le messager était debout et il souriait  parfois heureusement, parfois perdu. Salut. 
- Et qui nous a écrit ? Lénine lui – même ?
- Oui, Lénine ! Il a envoyé une lettre spéciale. Salut aux pêcheurs dʼAral. Les moustaches rares dʼEslamkul, le plus âgé parmi les artelstchiks, ont tremblé. Ses yeux sont devenus des fentes rectangulaires. 
- Ecoute-moi, le garҫon ! Il ne faut pas faire des moqueries pareilles, si tu ne veux pas que lʼon te frappe. Mʼas-tu compris ? 
Et avec sa baguette longue - lʼarme du conducteur de chameaux, Eslamkul sʼest mis à ringarder le feu. La flamme sʼest envolée répandant   des millions dʼétincelles. 
- Quʼest-ce que tu dis Eseké, a demandé Tamarcha. Qui peut plaisanter ? Voici la lettre de Lénine. Il a arraché de son sein un papier dʼemballage gris plié huit fois et lʼa tendu à Eslamkul. 
Aksakal ne sʼest pas bougé. 
- Lis, - a - t – il ordonné.
Il est en russe, impossible de lire.
Tous les deux ont regardé la feuille dʼun air perplexe. Quelquʼun des artelstchiks a toussé cachant le rire. Et ici quelque chose est venu à la tête dʼEslamkul et il a arraché le papier des mains de Tamarcha. Il lʼa examiné en face et en inverse.
- Peste de lui dieu, qui tʼa envoyé comme chef pour nous ! Le  papier est de chez nous, celui par lequel on emballe le melon flétri. Est-ce que tu crois que Lénine nʼaurait pas trouvé une feuille de papier blanche. 
- La feuille a passé de mains à mains, faisant un tour. 
Il est vrai que le papier est de Kazanlisk, - ont parlé les artelstchiks. Et le goudron ne sʼest pas encore séché. On imprime ainsi seulement à Kazanlisk. Ils n ʼétaient pas contre de se réjouir au sujet de Tamarcha. 
- Et quoi, Tamarcha ! Est-ce que Lénine a visité notre Kazanlisk ? Est-ce que tu as avalé quelque chose comme de la bière dans le train ? Le visage basané de Tamarcha en se rougissant peu à peu, est devenu pourpre. Et vraiment comment il nʼa pas pu reconnaître le papier de Kazanlisk ? Tamarcha a dit dʼun ton distrait : 
- Je vous ai apporté du thé et aussi quelque chose dʼautre. Et aussi fleur de farine etc. Je vais les apporter…
Et il est sorti de la chaumière le plus vite possible. Le nom vrai de Tamarcha était Djangabil. Mais il était de petite taille rare, quoi que depuis deux ans il charriait du tamarcha – surtout les petits billots en saxaoul coupés courts et des broussailles pour chauffer les locomotives. Voilà pourquoi on a nommé ce djiguite Tamarcha, tout en oubliant son propre nom. 
A ces temps  difficiles la livraison du combustible pour le transport et lʼalimentation du peuple était lʼun des problèmes le plus grave pour le gouvernement. Les Kazakhes, qui vivaient aux bords de la mer Aral dans leurs huttes, avaient  organisé des artels, en y préparant du combustible pour le chemin de fer et ils pêchaient dans la mer Aral. Pour ce travail ils recevaient les produits les plus nécessaires: de la farine, du thé, du sucre et du tabac. La makhorka de Saratov était quelque chose de très précieuse pour ce temps- là. Dans les auls, qui erraient loin du chemin de fer, il était possible de recevoir un chameau par deux paquets du thé en tablettes. 
Tamarcha était quelquʼun comme dirigeant dans lʼartel de sept personnes, qui faisait provision du saxaoul et de la broussaille et sur les vingt chameaux apportait le combustible au chemin de fer. Si lʼon fait un calcul juste, alors parmi ces sept artelstchiks seulement quatorze virgule trois pour-cent possédait la grammaire, cʼest à dire une seule personne - Tamarcha. Les mots «poud», «livre», «archine», «thé», «sucre», «farine» il écrivait sans aucune faute. Mais les mots «saxaoul» et «broussaille» il nʼarrivait pas à écrire. Voilà pourquoi on peut dire que lʼinstruction élémentaire de Tamarcha ne dépassait pas quatorze pour-cent. Mais il était un homme calé, et cʼest pour cela quʼEsmalkul, en se moquant, lui parfois appelait chef, ce qui était très offensif.  
Aujourdʼhui Tamarcha partait à Kazanlisk pour recevoir au comité dʼapprovisionnement du volost les produits nécessaires pour une semaine de travail.  Il y a reҫu deux pouds de farine, dix paquets de makhorka, deux paquets de thé en tablettes, douze archines dʼindienne avec des poses rouges-vertes-blanches, un sac de sucre et encore quelques mille ou quelques millions de monnaies fiduciaires.  Cʼétait une grande brassée. Les monnaies de trois roubles étaient imprimées sur les  feuilles de papier pas découpées. 
Tamarcha, qui avait reҫu tant de richesse, a voulu savoir les nouvelles  parce quʼil devait les apporter de la ville du volost aux artelstchiks. Dressant lʼoreille à tous les discours possibles à écouter, il est arrivé jusquʼà la dernière chambre du long couloir du  comité dʼapprovisionnement du volost. La pièce était pleine de gens, de fumée bleue et de voix enrouées de ces gens. Cinq ou six gens disputaient autour de la grande table. Près de cette table on faisait la queue dont le bout était dans le couloir. Par lʼhabitude de ces jours Tamarcha aussi faisait partie à cette queue. 
- Prends et va tʼen, - disait lʼhomme qui portait un veston et un képi en cuir noir. Il  était probablement Russe. Mets ta signature ici. Que demain tous les pêcheurs sachent cela. 
Il donnait à chaquʼun quelque chose pareille à un paquet de thé en tablettes, enveloppé dans le papier. 
Tamarcha a compris sans faut: ce que donnait cet homme, était tout à fait gratuit, il fallait seulement signer.  Il a fermement décidé-  il ne faut pas quitter la queue et il a approché son sac de farine qui lui arrivait jusquʼà son coude. 
Le tour de Tamarcha est arrivé, il sʼest penché sur la table du commissaire Similguin, et a tendu sa main à lʼencrier.
- Tu es venu dʼoù ?,- a demandé Similguin fixant ses yeux sur lui. Trafiquant du marché noir. Bourgeois. 
- Non, deux fois non ! Pas bourgeois. Connais- tu la mer Aral? Les miens y pêchent, traînent du saxaoul. Première sorte de la fleur de farine, du thé, du sucre.
Il a touché son sac. Ensuite, il sʼest trouvé que dans son sein il avait beaucoup de récépissés de paie. Il les a mis devant Similguin.
- Ça suffit, ҫa suffit, lʼa arrêté le commissaire, - jʼai tout compris.  Cache tous tes récépissés. Et moi, je te donne ce papier. Cʼest un très bon papier, la lettre de Lénine aux pêcheurs dʼAral. Cette lettre est à vous, as – tu compris, prends – la! 
Cʼest ainsi que la lettre de Lénine, multipliée à lʼimprimerie de Kazanlisk, est tombée dans les mains de Tamarcha.
Comment ne pas être fier? Il a reҫu la lettre avec tous les chefs du volost. Ce nʼétait pas un papier simple, cʼétait la lettre de Lénine ! Et quand Tamarcha est revenu à Aralsk, il sʼest approché de la hutte de lʼartel, sans enlever le sac du dos de chameau, tellement il voulait raconter la nouvelle!
- Lénine, lui – même avait rédigé une lettre aux pêcheurs dʼAral.  
 Maintenant, en détachant les sacs, il ne se dépêchait pas, il se refroidissait, cherchant les mots pour mieux répondre à Eslamkul. Il est difficile de vaincre lʼhabitude – il nʼavait jamais  contredit au vieillard. Quoi quʼon ne dise – son propre oncle. Mais le papier que Tamarcha avait apporté était vraiment la lettre de Lénine. « Je vais exposer tout et à mon oncle et aux autres : cessez vos bavardages ».
A ce moment que Tamarcha faisait sortir tous les produits apportés – le thé, la fleur de farine, lʼun des artelstchiks a arraché du bout  du papier de kazanlisk une ligne oblique  pour « le pied-de-biche ». Jetant sous le seuil le sac, Tamarcha a tiré de ses mains la feuille de papier. Les deux extrémités propres étaient déjà écorchées par trois côtés et les deux autres artelstchiks fumaient déjà le « pied-de-biche », enveloppé dans ce papier. Tamarcha les a tirés de leurs mains et en les jetant dans le feu, il a dit:
- Voici les sacs où il y a beaucoup de biens, partagez –les. Je recevrai ma part de lʼautre réception. Et maintenant je vais à lʼaul. 
Et il est sorti en serrant ses lèvres. 
Lʼaul où est parti Tamarcha, était le petit village Aralsk. Du côté de la station il était déjà pareil à une banlieue dʼune ville présentable. Au bord de la mer qui sʼébrouait à ce temps-là juste aux portes dʼAralsk – se trouvait le vrai aul, une petite ville formée des huttes entassées. Chaquʼun y savait quʼest-ce qui se passait chez son voisin, on pouvait entendre le moindre bruit. La meute des chiens a accueilli Tamarcha. Les uns annonҫaient à lʼaul que qulquʼun de la maison est venu, les autres, au contraire, annonҫaient lʼarrivée dʼun étranger ! Selon les anciens ordres de la steppe, les gens sʼélanҫaient dehors :
- Et qui nous rend visite ?
- Cʼest moi, Tamarcha.
- Et qui dʼautre, si ce nʼest pas Tamarcha ?,- on entendait le rire des jeunes femmes. 
- Entre les deux bosses du chameau ne sort que sa tête. Cʼest seulement lui, qui est ainsi. 
- Tamarcha, où est-ce que tu te dépêches si tard ?
- Jʼai une grande nouvelle. Lénine a écrit une lettre. A nous, aux pêcheurs dʼAral. 
Tamarcha a dirigé son chameau chez le Conseil de village. Le Conseil était fermé.  Alors Tamarcha a retourné son chameau et il est allé chez le maître de lʼécole. Ici, derrière la haie de saxaoul, celui-ci trayait sa chamelle. 
- Assalamaleikum, bonjour!
- Agaleikumsalam, Tamarcha. Je vais  finir, mon cher. Ma femme est accouchée, et comme tu vois, je dois traire moi-même. Je tire encore une ou deux fois et je viens, attends un moment.
Mollah auparavant, maintenant le maître de lʼécole kazakhe de deux classes, Adjibay continuait à traire. En terminant, il a invité Tamarcha à la maison. 
- Tient, mollah-eke, est-ce que cʼest la lettre de Lénine, ou bien cʼest quelque chose dʼautre ? Examine – le !
- Nʼétant pas assez fort en grammaire russe, Adjibay regardait la feuille en lʼapprochant à la petite lampe à pétrole. Ensuite il a dit : 
- Il est difficile d ʼinsister sur le fait que cʼest vraiment la lettre de  Lénine. Le premier cʼest la signature de quelquʼun au nom Ulyanov. La signature de Lénine est la seconde. Il a signé ici…
- Il a lu par les syllabes, en utilisant les principes de la lecture arabe il a prononcé quelques mots et finalement : Lénine. Pour la suite consulte ta côte. Il est maintenant une heure comme ҫa – ni lʼaube matinale, ni le crépuscule… La hardiesse me manque pour mʼapprofondir dans une écriture pareille. 
Tamarcha a souri malicieusement : « Il est le maître, mais il ne sait pas encore ce qui est claire pour nʼimporte quel habitant de la steppe ne sachant la grammaire». Mais, tout de même il a demandé :
- Peut-être vous mʼexpliquerez quelque chose ?
Le maître a longtemps examiné la lettre, tâchant dʼadapter le principe de la lecture arabe à un texte russe. Enfin, il a prononcé :
- Oui, il est vrai. Aux pêcheurs dʼAral. De bons mots. Ensuite une mauvaise nouvelle. A Volga une famine affreuse et meurtrière,- il est écrit ainsi. Puis un mot, que je nʼai jamais rencontré, entendu et lis. 
Il était triste de regarder le maître -  il se torturait ainsi. 
- « So-li-da-ri-té ». En un mot – comme des frères. 
« Aidez ceux qui sont en faim, partagez tout ce que vous pouvez ». – Et perdant finalement ses forces, il a rendu la lettre de Lénine à Tamarcha. 
- Merci, mollah-eke, jʼai tout compris.
Maintenant Tamarcha retourne à la maison, pour voir sa mère. Il sʼest trouvé que dans leur hutte il y avait beaucoup de monde. Ceux qui ne pouvaient pas entrer à la maison, sʼaccumulaient dans la cour, entourée par la haie. Chez la ville dame il y avait une fête: «Ton fils a reҫu une lettre de Lénine, lui-même»,- lui disaient les gens. Il est vrai quʼil faut régaler. Les vieillards buvaient du thé de deux pialas cassées et serrées de tous les  côtés par des anneaux en fer, en se suivant. La jeunesse, qui était debout près de la porte, fumait la makhorka de la patronne. La mère pleurait.  Les larmes Claires de la joie coulaient de son visage en haut du sourire. 
La vielle dame priait à Allah, quʼil protège son fils du mauvais oeil et du mauvais mot. La femme dʼEslamkul pleurait avec la mère de Tamarcha. Très souvent elle avait obligé à Tamarcha de travailler, parfois même en jurant par de mauvais mots. Mais où était Eslamkul ? Pouvait-il arriver quʼil nʼétait pas venu à cause de son caractère rigide. 
Les jeunes femmes et les jeunes filles qui épluchaient parfois Tamarcha, maintenant ne se sentaient pas à lʼaise. 
- Mais Tamarcha, prenant place près dʼeux, sʼest mis à expliquer ce que Lénine avait écrit.
Tamarcha sʼest assis près de sa mère, et dʼun ton sûr, comme sʼil lisait la lettre, il sʼest mis à expliquer:
- Lénine transmet ses salutations à tout le monde. Aux enfants et aux vieillards, aux garҫons et aux jeunes filles – à vous tous !
- Merci, quʼil soit toujours sain !
- Mes chers pêcheurs dʼAral, vos filets sont tellement pleins de poissons, que vous les trainez au bord par vos chevaux. Nous nous réjouissons chaque fois en le sachant…  
- La vérité sainte, le grand homme voit tout. 
- Cʼest à dire, il sait que parfois nous trainons les filets à lʼaide de deux chameaux. 
- Il est ainsi dit, mes chers ?
- Oui, il est ainsi dit. Et sur la rivière Volga, mes amis, la famine règne. Vos amis, qui vous ont aidé à faire tomber  le tsar, à vous débarrasser des bandes des blancs, ont faim. Tout ce que  vos  mains chaleureuses calleuses  peuvent aujourdʼhui donner, sera rendu par le pouvoir soviétique, nʼoubliez pas!
- Oh chef, notre cher Tamarcha, réponds à Lénin, réponds. Comme on dit, réponds à lʼexpress. Que la foudre apporte la réponse. Quʼelle éclaire et la lettre soit sur la table de Lénine. 
- Donnerons tout ce que nous avons, en donnerons même de plus. 
Les pêcheurs nʼont pas dormi toute la nuit. Les mots de Tamarcha, prononcés en langue maternelle, parfois pareils à fanatisme, atteignaient le but, arrivaient jusquʼaux coeurs. Tout est devenu léger et heureux pour les gens. Est-ce que tsar ou son chef dʼaul se sont rapportés avec eux comme avec les gens ? 
De lʼembouchure de Volga jusquʼà Chine sʼest répandu le peuple nommé kazakh, mais  qui les prenais pour peuple ? On leur avait enlevé même ce nom «kazakh». Mais voilà Lénine leur avait écrit : - mes frères. La steppe kazkhe, qui ne leur appartenait pas, enfin a été livrée au peuple qui y vivait. Ce qui cʼétait accumulé dans lʼâme de lʼhomme travailleur comme de lumignon dans la chaudière, sʼest déjà fondu.  
La lettre de Lénine est devenue une chanson et elle résonnait sur les cordes des instruments. Le matin déjà la légende de la lettre de Lénine aux pêcheurs dʼAral retentissait loin dʼAral aux vastes étendues de Kazakhstan. Avec la légende sʼétait répandu aussi le nom de Tamarcha.
A midi les  gens se sont rendus au bord de la mer. Les hommes et les femmes, les personnes âgées, les enfants se sont ramassés sur la langue de terre de sable. Tous portaient leurs vêtements de fête. Celui qui avait un bon chameau ou un bon cheval, lʼavait montré. Cʼétait une réunion de Lénine où les gens parlaient solennellement et avec tendresse. Ils dictaient la lettre – réponse à celle de Lénine. 
- Voici devant nous sʼest couchée, joue et danse notre mer Aral – une casserole en argent pleine de poissons.  Les grands poissons sont ici au fond – étant luisants comme les poulains au printemps. Et quand ils commencent à jouer, alors la mer nʼarrive pas à les retenir : la carpe dorée et la sandre argentée sautent sur le bord. Si les deux poissons ne remplissent pas la casserole, alors nous ne les prenons pas, nous les rejetons dans la mer… Ecrivons cela à Lénine la première!
Chers habitants de la région de Volga ! Aral nʼépargnera rien pour vous. Ne nous laissez pas tranquilles dès le moment où vous nous écrirez que vous nʼavez plus faim et que vous êtes devenus riches ! Ne priez pas, mais ordonnez. Nos paumes calleuses sont chaleureuses, avec chaque train attendez nos poissons dʼAral. Malheureusement nous vivons loin lʼun de lʼautre, sinon nous obligeront à la mer Aral de pomper plus proche à vos auls. Ecrivez cela à Lénine la seconde !
- Selon votre ordre, notre cher Lénine, nous avons chassé les industriels du poisson et nous avons organisé des artels. Nous pourrions envoyer chaque jour cinq mille pouds de poissons, mais nos navires ne sont pas bons. Comme une vieille botte du grand-père : quand elle se heurte par son nez contre la mer, tout de suite elle avale. Mais nous nʼavons rien, pour les réparer. 
De tous ces mots, prononcés de tout notre cœur, nous avons rédigé le télégramme. 

Une nuit dʼautomne assez froide. Sous la lumière de la pleine lune, brille le clapotement de la mer, et sur cette glace passent les vagues rares et lentes à la couleur du plomb foncé. Sur la langue de terre les femmes enfilent les poissons à la ficelle. Malgré à lʼheure tard – personne ne dort – les enfants jouent, les chiens échangent des coups de crocs, les samovars bouillissent. 
Les hommes emmènent sur les chameaux le poisson séché et fumé jusquʼau chemin de fer et les embarquent dans les wagons. Ils avaient décidé dʼenvoyer vingt wagons de poissons salés et fumé, mais il en suffira seulement pour quatorze ou quinze.
- Que ҫa soit notre premier cadeau à Ilitch Lénine,-  se disculpent les pêcheurs. – En hiver, quand la mer se glacera vers ses bords – nous mettrons des tas de poissons sur la glace !
A ce jour – là, lʼautorité de Tamarcha sʼétait bien élevée. Quand le temps de lʼenvoi du poisson est arrivé, il a cessé le transport du combustible et il a amené tous les vingt chameaux à la langue de terre. Dès que Tamarcha apparaissait ici, il passait pour le délégué de Lénine. Il était devenu le chef dʼéquipe des pêcheurs. Et à son nom habituel on avait ajouté le mot « camarade ». 
Si quelque chose ne se passait pas, alors les hommes sʼadressaient à lui :
- Camarade Tamarcha, la ficelle ne suffit pas. 
- Court vite au magasin,- que Fayramkhan ouvre sa boutique ! 
- Dire, que camarade Tamarcha a ordonné lui-même ?
- Dis, ce que tu veux, mais que la ficelle ne manque pas.
- Camarade Tamarcha ! Quatorze wagons sont embarqués jusquʼau plafond, il nous reste du poisson pour un demi-wagon, que faire ?,- demande lʼoncle Eslamkul à Tamarcha, malgré le fait quʼil travaillaient ensemble, en sʼaidant. 
Tamarcha a souri malicieusement : 
- Quʼil reste. Je nʼaime rien  transactionnel. Nous lʼenverrons la fois prochaine.
Et les wagons sont partis. 
- Moscou, Kremlin! A Lénine …,- criaient joyeusement les pêcheurs à la suite du train.
Les jours froids sont arrivés. Les golfs pas profonds de la mer se sont gelés. Et tout de suite sur la glace ont apparu les premières piles du poisson gelé. Bientôt des piles ont agrandi à une cité avec des douzaines de locomotives et de rues. Le poisson fraîchement pêché était couché par des tas. 
Aujourdʼhui Tamarcha revenait aussi de Kazanlisk. Et il apportait encore la parole de Lénine adressée aux pêcheurs. Cette fois-ci il portait deux feuilles imprimées en russe et en kazakh. 
Tamarcha ne lisait pas en russe. Mais le texte kazakh de l ʼordre il avait presque déchiffré au tambour du wagon des produits et maintenant  sʼétant assis sur son chameau et se balanҫant dʼun côté à lʼautre, il répétait les mots de cet ordre extraordinaire :
« Au camarade Lem Non Kritsman, - les deux lettres placées au debout du nom de cet homme, Tamarcha a lu en arabe - Au camarade Lem Non Kritsman… Pendant vingt- quatre heures … ».
Entre les deux bosses du chameau blanc on ne voit que la tête de Tamarcha. Au  tact du mouvement des pas du navire de steppes branlaient les oreilles du chapeau de lièvre du patron. Les lèvres de Tamarcha répétaient : « Au camarade Lem Non Kritsman… Pendant vingt- quatre heures … ».
Quand le coureur de la steppe avec la tête de Tamarcha entre ses bosses est arrivé à lʼaul dʼAral, les gens se sont jetés à sa rencontre. 
- Quoi de neuf ?,- camarade Tamarcha.
- De Lénine, encore de Lénine. Ressemblez-vous au conseil de village, je vais lire. 
Le président du Conseil de village est un peu élégant, à mesure complaisant, sachant lire et écrire, en partie pareil à un vieil chef de lʼaul et en autre partie - au président du Conseil de village, aux habits des habitants de la ville – sur sa tête une calotte noire – était assis dans son bureau, ne sachant comment passer le soir. Tamarcha ne lui a pas plu, quand il y est entré sans permission. 
- Quʼest-ce qui sʼest passé ? Pourquoi vous entrez à mon cabinet sans me demander la permission ?
- Jʼai un ordre de Lénine ? ,- a répondu Tamarcha.
- Si cʼest un ordre, alors il arrivera premièrement au Conseil. Pourquoi tu cours si hébétement sans faire quelque chose. 
- Lʼordre est bien urgent, le président du Conseil !
- Si cʼest urgent, alors nous lʼaccomplirons à la ligne. 
- Non, camarade président, tout dʼabord écoutez-le.
Et Tamarcha tout dʼune haleine a raconté tout ce quʼil se souvenait de cet ordre : « Au camarade Lem Non Kritsman… Pendant vingt- quatre heures examinez la requête pour six chantiers de réparations avec deux excavateurs, au bord de la mer Aral … Et encore quatre… Et aussi pour la machine-outil de tourneur et la machine à fraise».
Voici. En russe et en kazakh lʼordre de Lénine. Tenez.
Il a mis lʼordre sous les yeux du président du Conseil de village. Il sʼest mis à réfléchir : « Quʼest-ce que Tamarcha veut-il ? Peut-être il veut devenir président du Conseil de village». Mais il ne faut pas rester indifférent à lʼordre de Lénine.
- Bien, camarade Tamarcha, nous recevrons lʼordre si pas aujourdʼhui, alors demain.   Nous inviterons le peuple et nous lʼannoncerons. Et comment se déroulent vos ... ?
Et à ce moment-là les pêcheurs sʼétaient mis à frapper des pieds contre la porte. Ils marchaient en se bousculant et en marchant sur le pied de celui qui était en avant, par leurs bottes en caoutchouc ou kazakhes devenues blanches à cause du sel. Lʼhomme travailleur nʼa jamais assez de temps pour sʼoccuper des conversations simples et les pêcheurs sont aussitôt entrés chez le président. 
- Quʼest-ce que notre cher Lénine nous écrit-il ?
- Le Conseil nʼa encore rien reҫu. Recevrons, nous vous inviterons pour écouter. 
- Quand même tu nous diras le sel. Le sel. Nous devrons savoir, que nos réseaux peuvent partir comme graissés. 
Le président sʼest tu. Tamarcha a jeté un coup de lʼoeil sur lui.
Le président a déjà reҫu lʼordre de Lénine. Je lʼai lui apporté, il est sur sa table. 
Si le président nʼa pas assez de temps pour vous dire le sel, je vous le lirai entièrement. Venez chez moi le soir ... 
Le soir dans la hutte de Tamarcha sʼétaient ressemblées tout dʼabord les jeunes femmes et les jeunes filles. Qui parmi eux se moquait de lui ? Qui disait quʼil était presque impossible de voir sa tête entre les deux bosses du chameau. Il me semble que personne. Sur les cils des jeunes filles palpitait lʼestime,  au fond de leurs yeux – le sourire et quelque chose dʼautre. Tout le monde avait changé de vêtements, on portait des boucles dʼoreille et des bracelets. 
Tamarcha disait à ces hôtes : « Entrez, asseyez-vous», mais il restait toujours le même -  un peu timide comme toujours, il ne trouvait pas les mots nécessaires pour leur parler. Il souriait seulement et suait. 
Les jeunes filles ont pris places lʼune à côté de lʼautre au premier rang de la hutte. Les jeunes femmes avaient entouré de lʼattention la vieille mère. On a mis le samovar, on a fait du feu dans le poêle, elle découpait les morceaux de saxaoul durs comme la pierre. Pour les hôtes on a mis la nappe, bariolée de différentes pièces. Tout est devenu calme. Les jeunes filles qui étaient habituées de couper par les mains calleuses le pain de mil et de mettre aussitôt un grand morceau dans la bouche, aujourdʼhui le mordaient tout simplement. Elles mettaient du sucre juste au bout de leurs langues par les cuillères en fer-blanc. Quʼest-ce qui cʼétait passé avec elle ? 
- Pourriez-vous me passer la piala, Tamarcha – aga, sʼil vous plaît, - a osé dire lʼune dʼelles. 
- La nuit, en revenant de la pêche, les pêcheurs se sont jetés dans la hutte. Les hommes ont repoussé les femmes et les jeunes filles près du poêle, ainsi formant un troupeau des chèvres. 
- Maintenant camarade Tamarcha,  racontez –nous quʼest-ce qui est écrit dans lʼordre de Lénine. 
Et encore une fois Tamarcha a articulé chaque mot par cœur : « Au camarade Lem Non Kritsman… Pendant vingt- quatre heures…». 
- Des mots sacrés …
- Mais quʼest-ce que cela veut dire – « extebator». Chez nous cela veut dire « héros pour deux fois».
- Pas « extebator», mais excavateur, le nom dʼune voiture. 
- Et nous croyions quʼil fait deux fois de plus, que peut faire lʼhomme.
- Pas deux, mais cent fois. 
Mais dans les têtes des gens sʼétaient plus fortement fixées ces vingt-quatre heures, pendant lesquelles ils devraient accomplir lʼordre de Lénine. Dès ce moment la steppe kazakhe mesurait sa vie pas par les heures ou les jours, mais par des siècles. Et soudain « pendant vingt-quatre heures».
Parmi nos djiguites il y a ceux, qui peuvent dormir pendant ces vingt-quatre heures. Vingt-quatre heures passera au bâillement. Encore vingt-quatre heures pour se recueillir…
- Ça sera bien, sʼils travaillent ensuite pendant vingt-quatre heures avec ferveur… 
Quoique les pêcheurs nʼestimaient pas leur travaille, ils se présentaient le travail de Lénine universel et difficile. 
Ils secouaient leurs têtes en sifflant : Est-ce que Lénine travaille toutes les vingt-quatre heures sans sommeil chaque jour ?
Au long de la conversation on a touché aussi le président du Conseil de village. 
- De ces mots de Lénine on peut faire un talisman et mettre au cou du président, - a dit Eslamkul. 
En ainsi disant, il a regardé Tamarcha dʼun air confus. Dès le jour, où lʼon avait ajouté au nom de son neveu le mot « camarade»,  Eslamkul  nʼhésitait pas de pérorer devant lui. 
Tamarcha a regardé silencieusement les jeunes filles, ensuite dʼune manière inattendue pour tous, il a éclaté dʼun flot de mots :
- Khadichajan, sʼest-il adressé à la fille pas la plus belle, mais à la plus jolie des jeunes filles, tu étudies à lʼécole nʼest-ce pas ? Alors, trouve pour moi du velours rouge à une archine de longueur et à demie-archine  de largeur. Et brode par un fil en soie blanche : « Pendant vingt-quatre heures. Lénine ». Pourras-tu broder ?
- Les yeux de la jeune fille se sont enflammés. Tamarcha est devenu rouge. Cʼétait pour la première fois pendant toute sa vie quʼil a dit tant de mots à une jeune fille ! Khadicha ne répondait non plus – elle nʼétait pas sûre quʼil ne se moquait pas. Ou bien ce choix difficile sʼétait vraiment arrêté sur elle ?
- Pourquoi ne brodera-t-elle pas ?,- a dit le père de la fille,- brodera. 
La jeune fille se taisait jusquʼau moment, quand elle nʼa pas vu devant ses yeux les mots brodés par elle-même sur le velours rouge. Ensuite elle a aussitôt répondu :
- Broderai.
- Ma chérie, pendant vingt-quatre heures ?
Khadicha a fait un signe affirmatif.
- Brodera, brodera !, -ont acclamé de tous les côtés.
Sa mère Aimangule est la première à broder à grains de verre les ramages nationaux kazakhs. 
- Ainsi, devant leurs yeux sʼest grandie, est devenue un homme connu dʼabord une personne – Tamarcha, ensuite, une autre personne – la jeune fille au nom Khadicha. 
Et au bord de la mer une autre légende est née : comment Lénine demande aux gens de travailler et comment il travaille lui-même. 
La vérité est toujours la mère des légendes. Qui cherche la vérité dans notre légende, la retrouvera en ouvrant le 53-ième volume des compositions de Lénine. 


1970



LE MELON 

La locomotive soufflait difficilement avant le long chemin, et moi, je répétais ses souffles près du wagon, faisant adieu à ma femme et à ma fille.
Lʼmployé de la station, un vieillard de haute taille, bien rasé, a sonné la cloche une fois, ensuite la seconde fois, et dès quʼil a levé sa main, pour faire la même chose encore pour la troisième fois, une vieille femme très ancienne a apparu près de lui, comme sous de la terre et elle lui a demandé :
- Mon fils, eh mon fils ?... Et par quelle direction partira ton train ?
Le vieillard, sans avaler de travers, a admis cette allocution « mon fils», et sʼest mis à expliquer tranquillement que le train numéro trois part jusquʼà Moscou. 
A ce temps – là Turcsib était encore trop jeune, et les passagers sʼétaient déjà habitués aux pareils retardements du départ. Ils se dispersaient sur le quai, tandis que le vieillard expliquait à la cramponne encore et encore des fois :
- Si le train part pour Moscou, alors tu ne peux pas arriver ni à Tachkent, ni à Pichkek¹. 
Le soleil mûr du mois dʼaoût sʼétait couché derrière la selle de Kaza-Kourga, où autrefois, incroyablement depuis longtemps, selon les légendes kazakhes, sʼétait installé Noé, avec son arche. Et grâce au fait, que nos ancêtres ont pu se sauver du déluge, sur la terre il y a maintenant des êtres vivants qui peuvent demander : où le train va – t – il, partir pour Moscou en mission, se séparer et se retrouver. 
Enfin la vieille femme (je ne mʼétonnerai pas si elle avait été lʼune des habitants de cette arche) a laissé tranquille  lʼmployé et celui-ci a sonné pour la troisième fois plus sûrement, joyeusement et hardiment. Lʼéquipe de la locomotive a répondu par un souffle accéléré.
- Te souviens – tu, Bolat, mʼa demandé dʼun air sévère ma femme incomparable, Botagoz ? - Tu nous écriras tous les deux jours. 
Et ma fille a demandé pour la centième fois de lui acheter une grande poupée, grande comme sa mère. 
- Bien sûr que je lʼachèterai, ai-je répondu. Ma Karligach, je tʼen achèterai deux. Mais je nʼécrirai pas tous les deux jours. Il sera ainsi, un jour - une lettre, - je me suis tourné vers ma femme, et je lʼai embrassée vite, parce que les roues en fonte sʼétaient déjà mis en marche dʼun grincement lourd.


¹Pichkek – Le nom ancien de la ville Frounzé 

Je suis monté dans le tambour près de la conductrice, qui tenait un drapeau vert déployé et je me suis tourné pour faire un signe paternel à ma fille. Mais mon attention a tiré une femme qui courait vers le wagon. Dans une main elle tenait sa malle, dans lʼautre un panier - tressé… Mais non, elle ne peut pas arriver. Il est plus sûr quʼelle manquera le train. 
Mon cœur a tressailli, comme toujours, quand je vois quelquʼun qui est dans le malheur. Et en plus, la femme, qui allait manquer le train, était dʼune beauté vive et provocante. 
(Et pour la conséquence, nʼimporte quel rappel à ce sujet, même le plus indirect, faisait sonner avec indignation les boucles dʼoreille de ma chère Botagoz, même après dix, après quinze ans, parce que la femme nʼoublie pas même après cent ans).
Je nʼai pas pu me retenir. Jʼai accompli un acte, qui a noirci dʼune tache ineffaҫable ma réputation conjugale pure jusquʼà ce moment. Pour un instant jʼai oublié que ma femme voyait tout… Jʼai sauté du marchepied  et jʼai couru vers la femme. Le petit parapluie a tremblé devant mes yeux, comme un papillon dʼAral, et lʼodeur fin des parfums inconnus a attrapé mon nez. Jʼai remarqué tout cela, faisant mon travail : jʼai arraché de ses mains ses malles, et jʼai pu la retenir, quand elle a trébuché. 
- Courez, vite !... Cela a résonné un peu rudement, mais elle a obéi, elle a couru, et ainsi ses pieds élancé, dans les bas transparents en fil de Perse, portant les souliers gris clairs, apparaissaient furtivement. 
Jʼai donné au conducteur les malles et le panier, en marchant. Jʼai fait asseoir la femme sur lʼautre plate-forme du tambour. Et moi, jʼai à peine attrapé les mains courantes du dernier wagon. 
Jʼai tout réussi le mieux possible, et ensuite jʼai regardé en arrière. Jʼentendais les mots qui mʼétaient adressés :
- Le télégramme !... Attends !… Sale type … Tchimkent.  Ingrat ! Aktubinské ! Attends mon télégramme ! ...
La voix de ma femme devenait de plus en plus faible, elle se répandait. La gare sʼétait déjà caché derrière le détour. 
Les nuages orageux couvraient les sommets aigus dʼAlataü. Le soleil lui-même sʼétait déjà caché derrière la selle de Kaza-Kourga, mais les cils dorés du soleil touchaient prudemment les nuages en les obligeant de sʼéclairer.  
Mais quʼest que jʼai fait de mauvais ? Est-il possible … Est-il possible que le télégramme soit si sévère et si irréconciliable, que je serai obligé de revenir à mi-chemin,- je me demandais, sans savoir que répondre.
Le train prenait de la marche. 
La crinière blanche longue traînait derrière la locomotive qui sʼétait déjà délivré de lʼentrelacement des voies de gare et criait dʼune haute voix, ainsi saluant le chemin. 
Elle pleure peut-être et notre fille la console comme elle le peut faire…, je mʼimaginais tout ce qui se passait sur la plate-forme. Mais comme je ne pouvais pas les aider, alors je me suis tranquillisé. 
Comme de concert, la femme, qui venait de manquer le train, partait dans notre wagon numéro cinq. Elle sʼappelait Lidia Nikolaevna, elle portait deux noms – Zerkalskaya-Golts. Je ne me permettrai pas de deviner son âge. Elle me semblait une femme sage et connaissant la vie, voilà pourquoi on ne pourrait pas la prendre pour une jeune femme… Le mot « dame» aussi ne lui convenait pas, on ne pouvait pas sentir en elle cette solidité de dame. En un mot, une femme jeune, charmante, belle, attirante, et cʼétait tout à fait suffisant pour que tous les passagers masculins du cinquième wagon apparaissent dans les couloirs, juste après le départ du train. Personne ne pensait même à sʼhabiller en pyjamas, comme se dépêchent de faire tous les passagers du train de long parcours. 
En un mot, Lidia Zerkalskaya attirait lʼattention commune, et le complément Golts, ajouté à son nom, paraissait inutile et drôle et provoquait la malveillance sourde et lʼenvie secrète envers celui, qui a eu lʼimpertinence de se nommer son mari. Dʼaprès lʼair de Lidia Nikolaevna, on pouvait juger quʼelle était mariée avec un homme fondateur, qui tenait une position importante et qui était soucieux envers tout ce qui touchait sa femme. Les hommes de notre wagon étaient jaloux de ce Golts invisible. Lʼunique fait consolant était ce que cette fois-ci il sʼétait rendu coupable devant elle : étant occupé de ses affaires de service, il nʼa pas pu lʼaccompagner. Hors cela, il avait oublié de mettre dans la voiture le panier avec les fruits, et ils ont été obligés de revenir, voilà pourquoi elle venait de manquer le train. Juste à la première station elle a demandé à lʼun de nous dʼenvoyer un télégramme dont le texte était comme blâme sévère que lʼon devrait mettre dans lʼaffaire personnelle. 
Les gens se regardaient avec méchanceté. Mais toutes ces émotions étaient pour la partie masculine. Pour les femmes il était suffisant de regarder Lidia Nikolaevna une seule fois – un regard pareil est égal à un coup de poignard – et comme-ci elle a cessé dʼêtre vivante pour elles. 
Dʼaprès tout, cela nʼinquiétait pas Lidia Nikolaevna. Le premier soir elle est dans notre coupé à me remercier pour mon aide et il faudrait écouter quelles expressions gracieuses et agréables elle choisissait en augmentant  la noblesse de mes pensées et la résolution de mes actions. Je devenais comme héros dʼun poème héroïque. Mais à vrai dire je nʼétais pas contre aux augmentations pareilles. 
Le voisin de mon coupé, le vieillard chenu, professeur –microbiologiste a même rougi, comme-ci tous ces éloges étaient adressés à lui. 
Comme on a su ensuite, Lidia Nikolaevna partait pour Sotchi, au sanatorium, mais dʼabord elle devait rendre visite à sa mère, à Leningrad. Si elle manquait le train dʼaujourdʼhui, alors  elle devrait attendre une semaine, et en ce cas-là elle aurait le choix suivant : ou bien ne pas partir pour Leningrad, ou bien être en retard pour la ville dʼeaux.
Je comprenais très bien : jʼétais hors de concurrence. Si quelquʼun près de moi tâche dʼattirer lʼattention de Lida (je la nommais ainsi mentalement, pour être plus court), alors une tentative misérable, voué à lʼéchec, la ferait rester perplexe. 
Mais aujourdʼhui … cʼest aujourdʼhui. Et nous devrons partir ensemble pas un seul jour. Et en plus, jʼavais décidé de tâcher dʼaffermir les succès déjà obtenus. (A vrai dire, les paroles de ma femme : « Ingrat, télégramme, Tchimkent…», me rendaient un peu confus, mais pas si fortement que je cesse de réfléchir aux plans  des actions suivantes). Jʼai décidé quʼil sera mieux faire semblant dʼavoir mal à la tête. (Le héros du poème héroïque a souffert au champ de bataille, sauvant la femme du désastre). Et est-ce quʼelle pourrait laisser sans attention celui qui lʼavait sauvé ? Elle sʼest mise à me soigner – elle le faisait si joliment, si légèrement et si librement, comme si elle a été sœur de charité toute sa vie. Jʼai même eu honte de simuler. Mais enfin, jʼai vraiment eu mal à la tête.
Elle mʼa donné une pilule. Elle a mouillé son mouchoir de batiste dans lʼeau froide et elle lʼa mis sur mon front. « Maintenant vous vous sentez comment, Bolat ? Vous vous sentez déjà mieux ? Restez couché, je vais vous apporter du thé fort avec du citron».
Il faut supposer quʼà ces moments - là les gens de notre wagon me détestaient plus fortement que Golts, qui était loin, et moi, jʼétais tout proche. Le lendemain matin le professeur a soupiré, quand il devrait changer de place avec Lidia Nikolaevna. 
Elle est venue dans mon coupé. 
A Tchimkent je suis allé à la poste, et jʼai pris le télégramme de ma Batogaz avec les dernières préventions. Jʼai décidé de ne pas montrer le télégramme à personne et pour la réponse jʼai composé un message convaincant : (si tu allais manquer le train et personne nʼétait pas venu à ton aide, est-ce que ҫa serait bien ?).
Je suis revenu dans mon compartiment et le train a continué son chemin. 
Le vieillard – professeur est venu, et nous nous sommes mis à jouer au poker, pour faire passer le temps. 
On ne sait pas pourquoi, mais Lidia Nikolaevna a dit, que cʼest son mari qui lui a fait apprendre à jouer au poker. Elle faisait des bluffs si hardiment, que lʼon ne pouvait pas deviner : la carte lui venait ou bien elle nʼavait rien dans ses mains. 
Encore une nuit de route. 
Je me suis réveillé tôt. Lidia Nikolaevna courait  à la rencontre du ciel bleu comme la mer, qui tombait juste à la fenêtre ouverte. 
Le train diminuait sa vitesse, les maisons trapues en rondins et les maisonnettes se faisaient voir. Orenbourg ? Oui, la banlieue dʼOrenbourg, de la ville de ma jeunesse. Hélas, mais je nʼai pas pu bien examiner  et comprendre quels changements elle avait subi pendant notre séparation. La ville se noyait dans  la brume légère de lʼaube. 
Et quand même les souvenirs mʼont tellement envahi, que je nʼai pas tout de suite entendu : - Lidia Nikolaevna sʼest levée de sa place, la soie de Boukhara de son peignoir a fait frou-frou, la porte du coupé sʼest ouverte.
Bientôt elle est revenue, et au bruit de ses pas, jʼai levé ma tête de mon oreiller. 
- Vous vous – êtes déjà levé. Ah, si vous saviez quel magnifique melon je viens de voir !
- Oui ? Et où ?
- Ici, à côté de nous il y a un marchand de quatre saisons. Savez-vous je nʼai même pas pu lʼenlever, comme il était lourd. 
- De Tchardjur ?
- Non … Je ne sais pas. Rayé … Enorme.
- Et notre train cʼest-il arrêté pour longtemps ?
- Il me semble, il nous reste encore dix ou vingt minutes. 
Jʼai dit :
- Pourriez – vous vous retourner pour un instant.
Elle se tenait debout, son visage contre la fenêtre, et moi, je suis sauté du rayon dʼen haut. Il est vrai que je nʼétais pas convenablement vêtu pour un si grand nœud de communication comme Orenbourg : le pantalon de pyjamas chiffonné, un gilet court et des sandales aux pieds nus. Mais je nʼavais pas assez de temps pour changer dʼhabits. Jʼai fourré mes mains sous mon oreiller, pour prendre lʼargent nécessaire et je suis sorti du wagon le plus vite possible. 
Même à cette heure matinale dans la station il y avait beaucoup de monde. Il y avait ceux qui étaient déjà arrivés et ils en sortaient, les uns étaient venus à la rencontre de quelquʼun, les autres voulaient déjà partir. 
Il fallait passer deux cent mètres pour arriver au petit marchand de quatre saisons. Il est tout à fait sûr, que si lʼon relève au chronomètre, on découvrira, que jʼavais établi un record républicain pour une course de telle distance.   Jʼai même pu repasser le charretier qui se dirigeait vers la ville. 
Chemin faisant je me suis enfoncé dans la cohue du marché, et je me suis tourné à ce côté où lʼon vend dʼhabitude des melons dʼeau et des melons. Le melon, duquel parlait Lidia Nikolaevna, ne pouvait pas rester inaperҫu. Un vrai dirigeable !   Et rayé, comme un vrai tigre. Mais le temps me manquait pour le comparer avec quelque chose. 
- Ça coûte combien, ai-je demandé en écartant les gens qui examinaient cette curiosité.  Près de lui, les autres melons semblaient lamentables et misérables. 
Sans disputer, jʼai donné au patron tant dʼargent qui  suffisait pour un bon mouton, je lʼai serré à mon ventre et je lʼai amené. Beaucoup des gens, que je voyais en revenant, connaissaient déjà mon melon. Lʼun dʼeux mʼa demandé : « Comment vous avez risqué de lʼacheter ?» - comme si jʼavais acheté pas un melon, mais un vrai tigre rayé. Lʼautre a fait une mauvaise plaisanterie : comment le melon a pu devenir un ventre pareil. 
Ils ne mʼintéressaient pas. Je me dépêchais en goûtant dʼavance le regard bienveillant de Lidia Nikolaevna (Lida), jeté sur le melon et sur moi. Mais quand je suis arrivé jusquʼau quai, je nʼai pas trouvé notre train sur la première voie ! Sur lʼautre voie jʼai vu lʼéquipe sur les wagons duquel les écriteaux blanchissaient : « Moscou –Achkhabad ».
Mais le train – le train numéro trois cʼétait disparu. Et moi, je suis resté à Orenbourg, portant le pantalon de pyjamas et le gilet. 
Jʼétais un peu tranquille, parce que jʼavais pris avec moi tout mon argent. Il est vrai que le melon était aussi avec moi. Il accablait mes mains et je le jetterais avec plaisir sur les rails. 
Quʼest-ce que je devrai faire ? Où est-ce que je pourrai aller ?  A peine je suis entré dans le cabinet du chef de la gare. Lʼhomme maigre et peu aimable avait un air tourmenté, comme peut être tourmenté le chef de la gare par la quelle passent des mille et des mille de passagers en été. 
Mon apparition ne lʼa pas rendu enthousiaste. Il mʼa examiné de tête jusquʼaux pieds, ensuite des pieds jusquʼà la tête en arrêtant son regard un peu plus longtemps sur mon melon rayé, ensuite ses yeux sont de nouveau devenus indifférents.
- Citoyen, je ne peux pas vous aider,- mʼa – t – il dit sévèrement.  – Le tour est commun. Vous devez acheter un billet et continuer votre chemin. Si tout le monde manque son train, alors les billets ne suffiront pas pour les passagers normaux. 
Et quand même il a pris le récepteur et il a appelé lʼemployé. Allah merci, lʼemployé a reconnu, mais pas moi, il me voyait pour la première et la dernière fois. Il a reconnu le melon et il sʼest rempli de sympathie envers lʼhomme, qui a risqué de lʼacheter, en ainsi tombant dans le malheur.
Mon air de campagne, ébouriffé, confus, lʼa rendu bien joyeux. Il parlait en me tournant le dos, pour ne pas éclater de rire. 
- Que ҫa soit ainsi …,- a – t – il dit enfin. Nous allons trouver une solution pour vous. Après deux heures lʼexpress de Tachkent arrivera. Il va vite repasser votre tortue. Ne vous perdez pas de nouveau … Dès que lʼexpress de Tachkent aura apparu, je vous passerai de mains en mains  au chef du train. Mʼavez-vous compris ?
- Oh, merci ! Cʼest tout ce que je vous demande. 
- Bien, bien … Suivez- moi. Dès que je rencontre lʼexpress, vous vous approcherez de moi juste à ce moment.
Ses mots : «vous vous approcherez de moi juste à ce moment », on pourrait comprendre de manière suivante : jusquʼà ce moment vous devez vous tenir loin des lieux fréquentés, pour ne pas effrayer les femmes et les enfants. 
Mais où est-ce que lʼon peut se cacher à la gare dʼOrenbourg ? Quand je cherchais un coin un peu plus calme, jʼétais obligé de supporter les regards moqueurs. Et quʼest-ce que je pouvais faire avec le melon. Il est impossible de le manger même en dix traits. Je ne trouvais un autre moyen pour mʼen débarrasser. Mes tentatives timides de le vendre nʼont pas eu de succès, on me soupҫonnait de lʼavoir envolé. Cʼétait dommage de le jeter, voilà pourquoi nous marchions enlacés. 
Des jeunes gens dégourdis sʼapprochaient de moi et parlaient dʼune manière incompréhensible, en langue des malfaiteurs, comme si jʼétais lʼun dʼeux … Ne trouvant aucune réponse, ils sʼéloignaient et continuaient de me regarder de loin. 
Enfin je me suis fiché de tout et en choisissant des petites rues désertes, je suis arrivé jusquʼau parc du désert du vieux caravan sérail. Là, dans le silence, jʼai mis le melon sous lʼombre du chêne, et lʼherbe haute mʼa caché. Si je nʼétais pas dans  les habits si à la légère, jʼirai dans la ville et je passerai près de lʼédifice de lʼuniversité ouvrière. De la même université ouvrière où les professeurs enfonҫaient soigneusement leurs sagesses dans ma tête. Il peut arriver que le concierge Mohamed est encore vivant : un homme dʼun air sévère, mais bon en réalité, qui nous a sauvés aux moments du désespoir le plus aigu, et qui nous a toujours permis dʼentrer dans le foyer dʼétudiants, quoique nous ne sommes pas revenus trop tard. 
Je me suis couché sur lʼherbe en songeant quʼil nʼest pas quelque chose dʼaffreux de manquer le train. Lidia Nikolaevna lʼacceptera comme un exploit accompli pour elle. Peut-être il faudrait envoyer un télégramme : « Je vais vous attraper par lʼexpress de Tachkent». Mais jʼétais sûr que Lidia Nikolaevna sʼmmaginerait que jʼarriverais dans le cinquième wagon du train numéro trois, même sur les ailes. 
Lʼexpress de Tachkent est arrivé juste selon lʼordre. 
Des passagers très gais et sans souci sortaient des wagons – ils étaient bronzés, en habits noirs  - on pouvait devenir tout de suite quʼils étaient venus du Sud. 
- Je ne mʼéloignais pas de lʼemployé de la gare. Dès quʼil tournait sa tête, je faisais aussitôt quelques pas, pour quʼil ne me perde pas de sa vue. Et comme il tournait sa tête très souvent, alors je marchais presque sans cesse autour de lui. 
Pendant ces manœuvres un homme sʼest approché de moi et il mʼa demandé si je ne vendais pas le melon. Je lui ai répondu :
- Non, ҫa ne se vend pas. 
Je mʼétais déjà bien fatigué avec lui, et maintenant je devrais lʼapporter avec moi sain et sauf. 
Le chef du train sʼest approché, il mʼa regardé dʼun air moqueur, mais dans ce regard je nʼai pas trouvé de compassion. Et jʼai souri, je disais nʼimportes quel mots pour pouvoir le disposer en ma faveur. Mais son air continuait dʼêtre mécontent. 
Mais lʼemployé de la gare lʼa persuadé de me prendre, pour que je fasse quelques parcours avec son équipe. Je suis devenu tranquille seulement au moment quand il mʼa amené au wagon et par une clé triangulaire il a ouvert la porte de son compartiment. 
Le train sʼest mis en marche lentement, sans cahot et la gare dʼOrenbourg a passé par la fenêtre… Le chef ne revenait pas, cela signifiait quʼil marchait par les wagons. Comme je nʼavais rien à faire, alors je tâchais de deviner le caractère du patron dʼaprès lʼair de son compartiment. Sur la table il y avait une pipe, alors il était un homme réfléchi, juste dans ses réflexions. Quel quʼil ne soit, je pars, je pars pour rejoindre mon postal. Quel quʼil ne soit, il ne me fera pas dérailler. 
La porte sʼest ouverte, le chef du train est entré, il sʼest couché sur le rayon bas dʼun air fatigué, il a enlevé et il a accroché la casquette de son uniforme :
- Vous - êtes dʼoù, camarade ?
- Le mot « camarade» … nʼétait pas si indifférent comme le mot « citoyen», par lequel mʼa accueilli le chef de la gare dʼOrenbourg.    
- Comme jʼétais profondément touché, alors je me suis mis à raconter toute ma biographie, et il mʼécoutait attentivement, surtout lui avait plu lʼincident avec le melon. Il ne me permettait pas de couper mon melon juste dans son coupé. 
- Le Nord de Kazakhstan je connais très bien, - mʼa-t-il ainsi parlé de ma patrie. Je suis Sibérien. Jʼai rencontré et des kazakhs, et ceux, qui vivent pas trop loin de Kurgan. Un peuple bon et simple. Eh, bien. Je dois passer par les wagons. Et toi, mange quelque chose et couche - toi, pour te reposer. Quand nous aurons attrapé le postal, je te réveillerai. 
Et je viens de comprendre comment je me suis fatigué pendant ce jour long et mal organisé. Le matelas splendide du rayon haut a reҫu mon corps fragile et je nʼai même pas remarqué comment je me suis endormi. 
Je me suis réveillé le soir, quand quelquʼun me tiraillait les épaules en me disant :
- Regarde, nous nous approchons de la gare ! Le postal doit y être. Mais nous sommes ici  de passage, tu sortiras à la station prochaine et tu lʼy attendras. 
Je me suis penché hors de la fenêtre. 
La locomotive a crié longuement, ainsi annonҫant son arrivée et en demandant que personne ne risque de prendre sa place. Il passait tout près de la station et de lʼéquipe longue des passagers. Sur lʼun des wagons jʼai pu remarquer « Alma-Ata», et « Moscou» jʼai lu sur lʼautre.
- Le mien !... 

Ainsi, maintenant cʼest le postal qui devait me repasser, et pas le contraire. Le melon est avec moi. Lidia Nikolaevna sera agréablement étonnée. Alors, tout va bien. 
A lʼautre station, nous, tous les quatre, nous nous sommes quittés. Lʼexpress et son chef ont continué leur chemin, et moi, je suis resté à marcher sur le quai avec mon melon. Comme la station nʼétait pas si grande, alors je pourrais ne pas mʼinquiéter pour mon air. Aux questions des curieux concernant  mon melon je répondais avec présomption :
- Il a cinq ans, il est dʼune sorte nouvelle – le melon vivace, je lʼapporte  à Moscou pour une exposition agricole de toute lʼUnion. 
Je racontais tout en détails et tournais en même temps ma tête pour voir lʼarrivée du postal si désiré. Enfin son tronc long vert sʼest replié au tournant. Le train a rampé à la station, et mon numéro cinq sʼest arrêté tout près de moi. 
Les mots me manquent, pour décrire lʼétonnement de Lidia Nikolaevna à ma vue. Mais je me suis trompé, en croyant que lʼaccueil pareil était  provoqué par ma bravoure, par ma compétence de trouver la solution de nʼimporte quelle situation. Tout était plus clair. Lidia Nikolaevna mʼa annoncé avec sourire, quʼelle avait ramassé elle-même mes objets et quʼelle avait passé ma male au chef de Nouveau-Sergueyevsk – la même station, où lʼexpress ne  cʼétait pas arrêté. 
Je me taisais, ne sachant quʼest-ce quʼil fallait répondre aux situations pareilles. Je souriais stupidement. Et Lida ne cessait pas se désoler. Je voulais la tranquilliser, je continuais de couper le melon, pour ainsi adoucir les échecs de ce jour-là. Mais Lida trouvait que le fondement de tous les échecs était dans ce melon, et elle refusait catégoriquement de le laisser dans son compartiment, en voulant ainsi nous garder dʼun autre malheur. 
- Non, non, non, cʼest impossible, - a-t-elle dit dʼune voix triste.
Ses yeux étaient encore tristes quand elle me regardait du haut en bas, par la fenêtre ouverte. 
Lʼun des passagers est monté vite dans le wagon.
Le train devait déjà se remettre en route. On a entendu les dernières cloches, et les roues ont recommencé leur chanson de chemin.  Mais cette fois-ci cette chanson nʼétait pas pour moi. 
Je ne pourrai rien faire. Je devrai attendre un autre train pour aller chercher mes objets. Pour les heures proches il nʼy avait pas de train, et je suis sorti sur la petite place inaperҫue devant la gare. 
Près de lʼédifice de la station il y avait une voiture « soviétique» - gris de la poussière des chemins vicinaux.  Sous cette voiture se faisaient voir les pieds en bottes en grosse toile. Le chauffeur  y examinait quelque chose : ou bien les ressors, on bien le pont de derrière. 
Comme il mʼétait difficile de rester seul avec mes malheurs, alors je me suis approché de lui.
- La voiture est à qui, ai-je demandé dʼun ton indifférent.
- A moi, et pas à quelquʼun dʼautre, a – t - il répondu dʼen bas.
Je nʼavais pas dʼautres questions à lui poser, pour pouvoir ainsi continuer la conversation et je me suis retourné pour aller dans la salle dʼattente, mais le chauffeur est sorti à ce moment et il a vu dans mes bras le melon.
- Quel monstre, tu lʼa trouvé où,- a –t –il exclamé étonnement, comment  avaient déjà exclamé les autres, en vue de mon melon. 
- De la melonnière, - ai-je répondu pas trop ingénieusement. 
Le chauffeur sʼest approché, il a tiré de mes mains le melon, pour sentir sa lourdeur. Mais moi, jʼavais besoin de quelquʼun pour lui parler des événements qui sʼétaient déroulés. Le chauffeur était un très bon auditeur, il sʼinquiétait tellement pour chaque détour des actions,  que jʼavais envie de continuer, et encore de continuer mon récit. 
- Que le diable lʼemporte, - disait-il. En même temps il tâchait de deviner le déroulement du sujet, et exprimait son attitude envers tel ou autres héros.  Cʼest surtout le chef de la gare dʼOrenbourg qui lui a déplu. Il ne lʼa pas aimé pour son comportement sec et rude envers moi. 
Ainsi jʼai deviné son côté faible et jʼai commencé à décrire le ton noble et malveillant de ce chef. 
- Et quoi maintenant ?, - a demandé le chauffeur, quand jʼai terminé mon odyssée.   
- Quoi !... Jʼentends le train pour partir à Nouveau-Sergueyevsk pour retrouver ma valise, et ensuite, si je réussi, alors je prendrai le train de Moscou… Jʼai entendu un petit peu et jʼai ajouté :
- Sʼil y avait une voiture libre, alors lʼaffaire sʼarrengerait plus facilement. 
On ne peut pas dire que ces mots étaient comme allusion. Le chauffeur a tout compris, et jʼai remarqué des traits dʼhésitation sur son visage.  
- Par la voiture – il est possible, - a – t –il commencé avec hésitation. Mais ҫa coûtera trop cher. 
- Lʼargent nʼest pas important,- ai-je répondu. Il mʼest important dʼarriver à Moscou, à temps. Aide – moi, mon ami…
- Cinquante roubles, pas moins…
A ces temps-là cela formait le quart du docker, mais je nʼavais pas une autre solution. 
- Que ҫa soit cinquante roubles ! Dʼaccord ?
Le chauffeur a tapé du pied par ses bottes en grosse toile, et par ses paumes il a frappé fortement sur ses cuisses :
- Que ҫa soit ainsi ! Partons ! Dʼici jusquʼà Nouveau-Sergueyevsk fait dix-huit kilomètres. 
Devant nous sʼétait élancé le chemin glisse de la steppe, pas pis de lʼasphalte. Jusquʼà ce moment jʼavais vu une course pareille seulement dans les films des cow-boys, quand quelquʼun se sauvait de la poursuite. Les arbres et les maisons du village apparaissaient et la poussière derrière elles, valait le mur. Le melon, comme vivant, sautillait sur mes genoux. 
Il nous a fallu vingt minutes pour arriver à  Nouveau-Sergueyevsk. Le chef de la gare mʼa obligé dʼénumérer tout ce quʼil y avait dans la malle fermée que lʼon lui avait laissée à la garde, il a noté le numéro de mon passeport, où, quand et par qui il mʼa été délivré. Il a aussi noté mon adresse à domicile.
Quel type dʼhomme était ce chauffeur Vacili K. (Je ne dis pas son nom entièrement, pourquʼil nʼaie aucun problème avec ses chefs).
Comme il était maintenant partie du sujet, alors il faisait tout son possible pour un bon dénouement. Il sʼemballait.
- Tu nous mens ! Nous rattraperons, - criait-il. Rattraperons et repasserons !
- Sautillant sur les fondrières, jʼai à peine pu mettre dʼabord ma chemise,  puis mon pantalon. Comme jʼétais déjà habillé, je me sentais alors plus sûr et moi aussi, je criais : « Rattraperons et repasserons !», mais il ne nous fallait pas repasser le postal, parce que je ne devrai pas partir pour Moscou avec Vacili.
Il me semblait que la voiture aussi comprenait comment nous nous dépêchions. Nous avions déjà négligé toutes les vitesses permises et prévues, et même il secouait peu. 
- Plus de gaz – de fosse !,- criait Vacili. 
Nous allions à fond de train, et le train tâchait de se détacher de nous.  
Et voilà, au lieu de son exclamation «rattraperons », il a prononcé regrettablement : « Ah, toi, que le diable tʼemporte».
- Mais quʼest-ce qui se passe ?, - ai-je demandé dʼun ton inquiet. 
- La benzine nous suffira pour trente kilomètres. 
- Nous en avons passé combien ?
- Quatre – vingt. 
- Il nous en reste encore combien ?
- Je crois quʼil nous reste cinquante ou soixante kilomètres, pour y arriver. 
- Et que faire alors ? 
Nous devons retourner. Ici il y a un hangar de tracteurs, je crois que nous pouvons faire notre plein dʼessence, mais seulement …
- Je vous ai compris. Je paie pour la benzine.
- Et ajoutez aussi un peu pour moi et pour la voiture. Jʼai peur quʼaprès une telle course je doive changer de ressorts. 
Le soleil sʼétait déjà couché. Les contours du bois se mêlaient à lʼhorizon. Le vent sʼétait déjà calmé, et on pouvait entendre comment les cailles sʼentrʼappelaient. 
Vacili a déclenché lʼallumage et nous avons tourné un peu de la voie du chemin de fer. 

Quand nous avons fait notre plein dʼessence chez les tractoristes et nous nous sommes mis en route, la nuit était déjà tombée.  Et nous avons recommencé la poursuite. Impatiemment je me jetais en avant en ainsi risquant de meurtrir mon front contre le pare-brise. Sur le siège en toile cirée je me sentais comme le cavalier sur la selle, poussant son cheval toujours en avant. 
- Rattraperons !,- criait Vacili. 
- A plein gaz, - criais-je.
Maintenant en moi parlait le sang de mes ancêtres qui ont erré sans cesse et pendant ces longs chemins ils ont su le prix de la vitesse et nʼont rien épargné pour un bon cheval. 
Le chemin bourdonnait sous les roues de la voiture, et la vive lumière de ses phares criblait lʼobscurité épaisse. 
Après deux heures de grand galop (grand galop, si lʼon prend en considération toutes les fondrières passées) nous avons atteint le train. Il partait comme si rien ne sʼétait pas passé, fixant sur nous ses fenêtres jaunes. Le chemin menait près des remblais de la voie ferrée et par la fenêtre ouverte du cinquième coupé jʼai vu Lidia Nikolaevna. Jʼai ressenti une douleur aiguë à mon cœur : près dʼelle – mais comment a-t-il risqué ! - un homme inconnu de haute taille était debout et il disait quelque chose en se penchant. 
- Voilà cette femme, la voisine de mon coupé, - ai-je dit à Vacili pour quʼil ne doute pas que nous avons rattrapé le même train. 
- Lʼhomme près dʼelle est mon directeur, - a-t-il répliqué. Je lʼai amené à la station, quand nous nous sommes rencontrés. 
- Est-ce quʼil a pris ma place, ai - jʼexprimé mon inquiétude. 
- Et quoi ? …  Vous partez maintenant dans sa voiture. Cʼest encore bien quʼil fait nuit et quʼil ne peut pas apercevoir «son chèvre», sinon jʼy laisserai ma peau. 
Il a augmenté la vitesse, nous avons rattrapé lʼéquipe et nous nous sommes approchés de la gare, en le repassant. 
Le buffet était ouvert. La femme âgée, en tablier blanc a versé cent grammes pour chaquʼun de nous. 
- Pour notre rencontre, - a levé son verre Vacili. 
Nous avons bu, et la buffetière a versé encore la même quantité pour chaquʼun de nous. 
- Et maintenant pour la séparation, ai-je dit. 
En disant adieu nous nous sommes embrassés, tandis que je nʼaccepte pas cette coutume – le baiser entre les hommes. 
Jʼai enlevé ma valise, par lʼautre main jʼa fortement tenu le melon et je suis sorti sur le quai couvert du galet croustillant. La locomotive roulait en sifflant et en soufflant, ramenant le troupeau des wagons. 
- Votre billet, - a voulu commencer la conductrice, mais en me reconnaissant elle a reculé, comme si jʼétais venu de lʼautre monde. 
Et moi, avec un air dʼimportance, je suis monté par les escaliers et je suis entré dans mon wagon, comme si rien ne cʼétait pas passé. 
Le corridor a fait du bruit :
- Bolat ? …
- Mais tu es vraiment Bolat ! 
- Est-ce que tu nous rattrapais par lʼavion ?
- Un vrai djiguite.
Et pendant ces effusions, le deuxième conducteur a réussi de libérer ma place dans mon coupé et dʼun air vainqueur jʼai regardé le directeur de Vacili. Ne répondant à personne, gardant mon air fier du vainqueur, je suis rentré et je me suis assis. 
Lidia Nikolaevna a poussé un cri, a levé ses bras au ciel et elle sʼest mise à rire. 
- Et maintenant vous ne voudrez prendre le melon cette fois aussi,- ai-je demandé sévèrement. Si vous refusez, alors je le jette de la fenêtre par mes mains. Ma parole dʼhonneur.
Cette fois ci elle ne pourrait pas refuser. 
Jʼenfonҫais le coteau pointu dans ce melon rayé comme le tigre, avec une jouissance cachée. Il a justifié mes attentes : il était bien mûr et odorant, et fondait dans la bouche. 
Nous lʼavons mangé par tout notre wagon, mais le héros de ce soir aussi étais moi.

1939



LA LEGANDE SUR LES AIGLES 

 -Ça me plaît ?
-Alors, je la consacre à vous.
-Ça ne me plaît pas.
-En ce cas-là aussi je la consacre à vous…


Auteur
Erjan appelait instamment lʼaigle qui sʼenvolait :
- Kyal, kyal, kyal !
Il le crait de sa manière, selon Erjan, et le cri court, prononcé dans le nez, était compréhensible seulement pour lui et pour son aigle, et un petit nombre dʼhommes pourrait y comprendre le simple « kel» - viens.
- Kyal, kyal, kyal !
Lʼaigle nʼest pas revenu à son patron, il ne même pas regardé en arrière. Il prenait de lʼaltitude légèrement.  Pour lui nʼexistait ni Erjan, ni le lièvre rusé, quʼil avait remarqué juste au moment, quand on lui avait enlevé son harnais en cuir -  appelé tomaga. Soudain il a ramassé ses ailes et il a commencé à tomber comme une pierre. Il a paru au chasseur que lʼaigle va se meurtrir sur les rochers aigus. « Où as-tu pondu, quʼest-ce que tu as cru voir ?, - pensait Erjan avec inquiétude. Peut-être un renard, ou bien un loup ? ». Ces derniers jours-là - mais cʼest seulement maintenant que le chasseur confrontait cela - lʼaigle nʼétait pas à son aise, il se menait énigmatiquement, comme sʼil était emparé par une passion secrète. 
Hâtant la baie, Erjan a pris la direction des montagnes, là, où il sʼagitait son aigle. Mais peut-être il nʼest pas déjà le sien ? 
Le sentier était couvert dʼune neige profonde, qui arrivait jusquʼau poitrail du cheval.
- Eh, il sʼen est allé, sʼen est allé !... 
Erjan fouettait la baie, qui sʼétait enlisé dans un dense tas de neige qui fumait un peu dʼen haut. 
- Kyal, kyal, kyal !
- Kyal, kyal, kyal ! – a répondu lʼécho fin.
Et en fait, cʼétait juste avant-hier quʼErjan avait amené de la chasse deux renards – dont les peaux flambaient, cʼétait un reflet dʼAltaï. Le soleil obligeait à la peau duveteuse de jouer, et à travers lʼor ducat dense, sur les flancs se faisaient voir les traits blancs comme le neige, et les pieds avaient un teint noir. Tout le monde était heureux pour son succès rare : la fille du chasseur, qui avait quatre ans, a tout enlevé, essayant sur son cou la queue du renard, la peau molle comme le duvet ; son fils, âgé de deux ans, claquait de mains hautement et demandait les reins du renard pour le repas (il était déjà habitué que les reins des lapins et des moutons étaient à lui).   Les voisins ont couru à féliciter pour les rouges altaïques. Ils ont souhaité à Erjan une telle chasse qui ne cédera pas à une récompense féerique, qui se compose, comme on le sait de neuf parties, dont lʼune cʼest trois troupeaux de cheval ! Et que dans la yourte dʼErjan on sente toujours lʼodeur du sang frais  et que jamais ne disparaisse la viande grasse !...
Et selon les lois anciennes, et selon les lois nouvelles, cʼest mal pour le chasseur de jouir seul de la chasse. Le temps était difficile : à la fin de lʼhiver long le gros devenait mince, et le mince devenait pareil à une ombre. Mais quand même Erjan a organisé un dîner de gala : on avait mis sur la table un plat national, de la vodka (sans elle on ne se passait maintenant même dans lʼ aul), on avait mis aussi de différentes friandises : du kurt, du sucre et des bonbons.
- Ton Chapchan¹ est un vrai aigle, lʼaigle des aigles !
-   En cet hiver notre Erjan a de la chance pour les renards… Il est vrai quʼil a mis à un autre endroit une vingtaine ? Ah, Erjan ?
Erjan faisait le modeste :
- Supposons que je suis encore loin de vingt … Il mʼen faut encore trois. 
Mais les éloges lui plaisaient, et il se hâtait pour remplir le verre de son voisin qui avait dit ces mots. 
Est-ce quʼil y a quelque chose mieux que la chasse avec lʼaigle royal. Il nʼest pas en vain, quʼAbaï lui – même lʼa célébrée. Vous vous – rappelez ?… 
- Et comment est-ce que lʼon peut oublier ! Il a dit : quand lʼaigle royal vigoureux attrape sur la neige blanche un renard, alors tu vois la combinaison divine des couleurs et des mouvements virils rudes. 
- Et tu représentes involontairement comment nage la vierge rose à peau blanche et comment elle pressure ses tresses au bord. 
- Abaï savait comment il fallait dire … Et notre Ejran lui-aussi a quelque chose dʼAbaï, - a exprimé son avis un autre voisin, - et tout le monde sʼest rappelé comment leur patron joyeux et généreux à son temps a refusé du poste du chef de la ferme en faveur de la chasse. 
Pour des mots si flatteurs il était obligé de remplir encore une fois les verres et Erjan a tendu ses mains vers la bouteille encore une fois. 
Leur conversation, qui était déjà devenue un peu désordonnée, a été interrompue par le cri inattendu de lʼaigle. 
Quʼest-ce qui sʼétait passé avec Chapchan ?… Lʼaigle était assis à sa place habituelle, dans les ombres froides, derrière la cloison. En général il sʼendormait tôt, avant le crépuscule, mais aujourdʼhui, malgré lʼheure tarde, il ne voulait nullement se calmer. 


¹ Chapchan – celui, qui est vite, impétueux

Il était difficile de juger quʼest-ce qui pouvait lui remettre en déséquilibre pareil : ou bien cʼétaient les belles altaïques, à lʼhonneur des quelles les gens sʼétaient maintenant rassemblés chez Erjan, ou bien cʼétait de dépit quʼil avait une fois manqué le loup. Que ҫa soit ainsi ou non, quand même lʼaigle remuait dans son nid, battait de ses ailes la cloison en planches, par son bec en fonte il tâchait de rompre la chaîne de ses pieds. Il se trouvait dans un accès de tristesse. Il sʼennuyait de la liberté, il avait une grande envie de  monter au ciel, il voulait devenir libre et indépendant. 
Mais cela ne comprenaient ni Erjan, ni ses hôtes. Ils ont décidé que Chapchan se brûlait dʼenvie de participer de nouveau à la chasse et attraper encore pas un seul renard à lʼaide dʼAllah.  Pour cela on a été obligé de verser encore une fois. 
Erjan a accompagné ses hôtes, il est revenu, il est entré dans la chambre à coucher et il a dit à sa femme :
- Fais coucher Esentaï… Et toi aussi, tu dois déjà te coucher. 

Et Erjan est allé à la chasse encore une fois.
Sa femme lui a prévenu quʼon nʼaura rien à manger pour le dîner, sʼil nʼapporte un lièvre, ou bien, il vaut mieux dʼen apporter tous les deux. Voilà pourquoi quand Erjan a enfin vu un lièvre blanc, qui avait sauté des buissons, il a tout de suite enlevé de la tête de Chapchan le bonnet et lʼa poussé brusquement à la poursuite du lièvre. 
Et Chapchan, au lieu de tomber comme une pierre sur la proie,  il sʼest mis de se retirer de son patron. 
- Il est allé où ?
Si lʼaigle avait vu un animal plus présentatif que le lièvre, alors il était juste le temps de se jeter, parce quʼil  avait pris assez de hauteur. Il était seul avec le ciel pur, il était libre et rien ne lʼoccupait. Il prenait son vol, ou bien se mêlait  avec le bleu sans fond, ou bien il tombait comme une pierre, ou bien il faisait un tour aisé à lʼautre côté. Parfois il pliait ses ailes et commenҫait à tomber, mais tout de suite il tournait, en ainsi tendant sa poitrine contre le torrent froid. Dans lʼair apparaissaient furtivement ses ailes.
- Kyal, kyal, kyal !
Mais Chapchan était indifférent à lʼappel inquiet de son patron. Il a enfin vu ce que lui rendait si soucieux  tous ces jours-là. Il savait très bien quʼest-ce qui se passerait ce jour – là, il le savait très bien, quand il était assis sur son cheval bai, couvert dʼun harnais en cuir. Quʼil serait ainsi savait tout le monde : et le jour de gel clair, et le son des ailes  invisibles que lʼon entendait par miracle, et le cœur qui ne pouvait pas obliger dʼêtre un aigle, si cʼest vraiment un cœur dʼaigle, et la jeunesse avec son énergie  ardente, qui se cherchait une sortie. 
Maintenant Erjan aussi a vu le motif qui avait fait oublier à lʼaigle fidèle tout ce qui était terrestre. Et il a tout compris. Dans la grande hauteur, accessible à la vue du chasseur, volaient trois aigles : les deux jouaient avec insouciance, le troisième, qui était le plus âgé parmi eux, se tenait à lʼécart. A son temps il se jetait sur les parents les plus forts, mais maintenant il volait tranquillement et jouissait du jeu des jeunes. 
Le jeu venait de commencer. Chapchan lʼa compris tout de suite du premier coup dʼoeil, et il ne se hâtait pas de sʼy mêler : mais une seule fois, quand les joueurs se sont abattus de très proche, comme sʼils voulaient se jeter dans ses bras, il nʼa pas pu se retenir : passant comme une tempête sur eux.
« Fort ! Fier ! Energique ! Et sur ses pieds brille quelque chose que lʼon nʼa jamais vue sur les pieds des autres», - a pensé lʼaigle femelle, admirant involontairement lʼinconnu. Sʼemportant, elle sʼest envolée trop haut, en tendant avec plaisir sa poitrine contre la forte gelée. 
Elle avait eu sa rencontre avec lʼaigle de la race Tas-Kara¹ à lʼaube, quand elle sʼétait envolée de la forêt étouffante. A ce moment le noir avait attiré son attention. En jouant, elle se tenait dʼabord pas trop haut. Ensuite, en se regardant, ils se sont envolés de plus en plus haut, mais Tas-Kara parfois nʼarrivait pas à soutenir le rythme  violent que lʼaigle femelle lui proposait.
Pour la race dʼaigle le monde est large et étroit en même temps. Il a beaucoup dʼamis et des ennemis à gogo.  Voilà pourquoi il faut une telle  postérité qui nʼaie pas peur de la forte gelée sibérienne, ni de la chaleur ardente asiatique. Une telle  postérité qui ne se couche pas après un repas opulent. Une telle, qui ne se  contente pas de la marmotte et qui ne se cache pas devant le trou de souris, malgré quʼil ne va guère et ne demande aucun risque. Les aigles le savent dès leur naissance, savent sans aucuns efforts mentaux. Cela est de la nature. Voilà pourquoi lʼaigle femelle examine tout dʼabord le père futur de ses enfants, avant de le laisser sʼapprocher. Avant lʼunion nuptiale on passe une longue épreuve. Et si lʼaigle se montre lâche, mesquin, alors quʼil reste sans merci: les aigles femelles peuvent se défendre et alors un autre Tas-Kara apparaisse sur la terre avec son jabot déchiré.
Malgré le fait que Tas-Kara rusait parfois en restant en arrière, quand même lʼaigle femelle ne le blâmait pas, continuant le jeu. 


¹ Tas-Kara – en pierre, noir 


La nuit tombait déjà, mais Chapchan continuait son vol pour son plaisir en apparaissant et  ensuite en disparaissant. Deux fois il sʼest approché de lʼaigle qui se tenait un peu loin. Quand ils volaient ensemble, Chapchan se tenait modeste et  dʼune manière admissible :
- Assalamagaleikum, aksakal ! Vous volez irréprochablement. Mais pourquoi vous vous écartez toujours ?   
- Parce que mon temps sʼest déjà passé et jʼadmire ma relève, jʼadmire son vol, je veux deviner ses pensées. Je sais dʼaprès moi que chaquʼun marque pour soi la hauteur quʼil veut atteindre. Mais si quand même tu ne lʼatteint pas – que le but haut vient à ton esprit : que les passions sublimes ne te déshonorent pas, même si tu montes très haut. Rappelle-toi, toujours et partout soit digne à titre dʼaigle… Voilà tout ce que je te souhaite, mon ami. Si tu agis comme je tʼai dit, alors tu comprendras que signifie la vraie hauteur. 
On a bien sûr exprimé tout cela sans aucun mot, mais les aigles ont tout compris. Le vieillard a paru à Chapchan un peu édifiant, mais il était possible de le comprendre, prenant en considération son âge. 
Mais ici le vantard Tas-Kara, voulant briller par sa bravoure, a fait une gaffe. Il a décidé de se jeter sur le vieil aigle. De la hauteur il a pris une grande vitesse, il a fondu sur le vieillard, visant sa gorge : sans merci !  
Mais le vieillard ne pensait même à lui demander. En faisant briller ses yeux sévèrement, il a fait montrer ses griffes calleuses comme en fer tors, en ainsi se préparant au combat décisif : que quelquʼun sʼapproche !  Le vieil aigle, armé de griffes et musculeux, était plus expérimenté aux combats et celui sans expérience a cédé, en se lanҫant comme sʼil ne voulais pas se jeter sur quelquʼun. 
Le dénouement pareil nʼa pas plu à lʼaigle femelle. Et ce nʼétait pas parce quʼelle voulait le sang de quelquʼun. Il ne faut pas de sang pendant le jeu des courageux et des vaillants. Elle avait soif du courage, de la générosité et de la largeur. Elle préfère des aigles qui ont assez de ces qualités. Blâmant silencieusement Tas-Kara, elle sʼest envolée vers les montagnes, vers lʼest. Pourquoi fallait-il importuner le vieillard paisible ? Et si tu as importuné, alors où est ton courage ? Le peureux ne peut pas devenir le compagnon de lʼaigle femelle.
Elle sʼest tourné à lʼautre côté et elle sʼen est allée librement, impétueusement. Tas-Kara nʼarrivait pas à lʼatteindre. Jusquʼà ce moment tout était facile : on faisait seulement de petits tours, prenant la hauteur une seule fois, en un mot le vol nʼétait pas des fatigants. Maintenant cʼest tout à fait autre. Maintenant on devait éprouver la distance. Tout en gelée froide, lʼaigle femelle ne remarquait ni le grand froid, ni la forte résistance du torrent contraire. 
Bientôt Tas-Kara a reculé, il nʼavait pas tant de forces de voler avec cette belle jeune et forte. Le consolant était ce que le vieil aigle le suivait de loin.
Chapchan a facilement atteint lʼaigle femelle qui sʼétait déjà détachée de tous et volait dans la solitude :
- Bonjour.
Lʼaigle femelle a répondu discrètement, et ils ont volé ensemble. Ils avaient le même mal aux épaules à cause de la gelée :
- Vous avez quoi aux vos pieds ?,- sʼest-elle intéressée.
- Cela sʼappelle  des entraves. 
- Et quʼest-ce qui brille ?
- Ce sont des anneaux en cuivre. 
Sans parler les aigles ont continué leur vol ensemble. Ils se regardaient. On a remarqué avec plaisir : les battements pareils, la même haleine,  la même vitesse. Un vol rare et enviable. Dans lʼair froid les ailes sonnaient. Le froid nʼétait pas affreux, le sang chaud les chauffait, appelant de plus en plus haut, vers le ciel. Le vent qui sifflait dans leurs ailes envierait à cette vitesse folle.
Pendant le coucher du soleil ils ont choisi un gîte : un pin branchu de deux brasses. Ils lʼont choisi après un vol long et méticuleux sur les montagnes de la forêt dense. Ils se sont assis lʼun à côté de lʼautre, en se suivant attentivement. 
- Et si nous fourrons ici notre nid ?
- Le nid ? Le nôtre ? Elle a remué son aile étonnement. 
- Ces branches épaisses sont très bonnes pour le nid, il faut seulement emporter des verges … et aussi de la couronne dense, elle défendra nos oiselets de la pluie et du vent, et aussi de lʼoeil méchant. 
- Mais est-ce que ce nʼest pas en vain que vous vous dépêchez ?... Il nʼest pas encore clair quʼest-ce que jʼen pense.
A ce moment dans la forêt a apparu lʼautre aigle noir sans expérience, à qui ils avaient déjà cessé de songer. Alors, il nʼavait pas perdu lʼespoir, et il voulait sʼinstaller près de lʼaigle femelle, mais il ne se décidait pas, elle haussait ses épaules avec désapprobation, et les yeux de Chapchan éclataient dʼun feu noir et méchant. Tas-Kara sʼagitait, il volait dʼune branche à lʼautre inhabilement, dès quʼil ne sʼest pas perché sur une branche haute. Là, il a vaincu son trouble, en retrouvant son aplomb. La belle pause devait expier son inhabilité, montrer quʼil est insensible envers lʼaigle femelle de laquelle il ne se détacherait pas, sʼil voulait lʼaccompagner.  
Le vieillard aussi est arrivé. Les jeunes ne lʼintéressaient pas, et il sʼest installé à part. Nʼimporte quelle branche ne pourrait pas soutenir son corps lourd. Il sʼasseyait longtemps et sans se dépêcher, comme se déshabille un homme âgé revenu du froid. Enfin le vieil aigle a trouvé une branche convenable et il sʼest calmé. 
Les jeunes aussi se sont calmés, ils se sont figés en attendant ainsi le matin. La nuit et le noir – ne sont pas le destin des aigles. Ils ont besoin de la lumière et de lʼespace. 
Cʼest le vieillard qui sʼest réveillé le premier. Les griffes rudes – elles  sentent la proie ; il est allé à la steppe sans tarder,  espérant obtenir si pas un lièvre, alors un grès.   
- Que nous volions ?,-  sʼest secoué Chapchan.
- Volons ! Son courage a passé à lʼaigle femelle.
En dégourdant leurs corps devenus muets, les aigles volaient ensemble : lʼaigle femelle se tenait au milieu, Tas-Kara et Chapchan – à ses côtés. Lʼaigle femelle ne chassait pas le noir, tandis quʼelle sympathisait seulement Chapchan. Il sʼen suit, que les belles du ciel aussi ne sont pas contre dʼavoir un autre amateur tout près.
A lʼheure du dîner la troïka était déjà loin du lieu du gîte : en bas sʼétendait paisiblement la steppe. Il nʼ y avait aucun nuage dans le ciel. Soudain, en invitant à jouer, lʼaigle femelle sʼest envolée en haut. Tas-Kara sʼest mis à la suivre tout de suite. Ne réduisant pas sa vitesse, lʼaigle femelle continuait de prendre son essor. Le manœuvre inattendu a confus Chapchan. Mais malgré cela, il a repassé son ennemi sans aucun effort, continuant de monter. Tas-Kara a atteint et a  repassé lʼaigle femelle. Il semblait que celle-là ne remarquait ni lʼun, ni lʼautre. Ou bien elle prenait son vol rapidement, ou bien elle se jetait comme la pierre dans lʼabîme. 
Les ennemis ont commencé un duel, excité par lʼaigle femelle. Tandis que Chapchan faisait de grandes attaques, menant ainsi un jeu honnête, Tas-Kara rusait : il ne montait pas si haut comme son ennemi, il préférait dʼattaquer dʼune manière inattendue.
En général, la ruse nʼest pas interdite dans le jeu. Mais si toute votre ruse mène à lʼattitude (Tas-Kara évitait toujours le duel, en se cachant même derrière lʼaigle femelle), alors les aigles ne le pardonnent pas.   La conduite de son ennemi a fâché Chapchan. Et en attendant la suivante attaque fausse, il sʼest immédiatement couché sur son aile droite, en se jetant à lʼattaque. Tas-Kara a reҫu le coup en fer de son côté gauche et dʼen haut. Avec son aile battue il est arrivé difficilement jusquʼà la terre, où sʼétait assis lʼaigle vieux. 
Maintenant le cœur de lʼaigle femelle sans le partager, appartenait seulement à Chapchan.
Les aigles, sʼils sont de vrais aigles, jouent ouvertement, ne se cachant de personne – ni des cancaniers, ni des envieux. On ne peut pas les confondre ni par les écoutes, ni par les espionnages. Parce quʼils ne jouent pas pour la distraction, ils jouent pour le prolongement de la race  des fiers, des courageux et des nobles. 
Le jeu provocant quʼavait suscité lʼaigle femelle, a attiré Chapchan. Ils jouaient avec enchantement, avec passion et avec ardeur, parfois en sʼécartant, parfois en se rapprochant pour sʼembrasser, mais ils éloignaient ce moment. 
La nuit déjà tombée, ils sont revenus dans leur gîte sur le pin, qui maintenant nʼappartenait quʼà eux,  à eux deux, et ils ne se querellaient pas au sujet de leur nid à construire. 
Les deux petits aigles, nés au printemps, étaient déjà forts, et les parents songeaient soucieusement à leur premier vol. Tous les quarante jours lʼaigle femelle a couvé deux œufs aigus, en donnant toute sa chaleur. Elle était tout à fait épuisée dʼêtre toujours assise, sans se bouger. Ce nʼest pas un grand malheur, quʼelle sʼest tellement maigrie – la peau et les os - le gras apparaîtra encore, ce nʼest pas un grand malheur que ses ailes se soumettent mal, elles  se dégourdiront et deviendront plus fortes. Demain dès à  lʼaube, elle ira au lac pour y nager. Et elle boira à volonté. Elle était heureuse de la connaissance que les jours où lʼon se contentait  seulement de flocons de neige et de gouttes de pluie, sont déjà passés. 
Le temps se passait, les petits aigles devenaient de plus en plus grands et prenaient courage. Ils avalaient les morceaux chauds de la viande fumante. En se regardant jalousement, ils buvaient du sang frais du lièvre et du renard. Ils se querellaient. En un mot ils devenaient de vrais aigles. 
Lʼaigle femelle se changeait aussi. Au moment quand elle couvait les œufs, elle nʼavait que le sentiment maternel : elle était froide même avec Chapchan, mais maintenant les oiselets prenaient courage, et elle le reconnaissait déjà – le père de ses enfants – et elle devenait plus tendre avec lui. Maintenant il naissait en eux un seul sentiment, cultivé dans les parents sages de leur nature : que les oiselets reconnaissent la vie le plus vite possible et éprouvent lʼamertume de lʼéchec. Lʼhiver nʼest pas loin, et il serait mieux de leur faire apprendre la vie. Ils avaient envie de voir le plus vite possible que les oiselets comprennent enfin que tous quʼils mangent ici, dans leur nid, tous ces animaux courent sur leurs quatre pattes dans la steppe et dans les montagnes et ils seront obligés dʼattraper les lièvres, les renards et les marmottes eux-mêmes. Quʼils voient le plus vite possible que tout cela se donne avec peine et par la lutte…
Le père et la mère attendaient les premiers vents de tempête, pour laisser les petits aigles au premier vol. Il faut les pousser de leur nid confortable, le vent fort les attrapera,  les tourbillonnera et les tournera, ainsi on volera involontairement ! Que lʼon regarde à ce moment les oiselets, que lʼon écoute leur cri. Ou bien, Dieu nous en garde, ils commencent à piauler sans aide. Voilà tout ce qui inquiète les aigles. Ils envient aussi de voir les oiselets devenus déjà des aigles, dʼentendre leur premier cri. 
Lʼautomne avec ses vents forts ne sʼest pas tardé. Lʼaigle femelle voulait bien laisser les oiselets, mais Chapchan était implacable – il attendait une vraie tempête. Quʼest-ce que lʼon peut comparer avec la bourrasque violente, qui démolie tout ce qui est pourri, qui emporte tout ce qui est suranné, qui nettoie la forêt de la poussière de bois pourri, de la stagnation. Et que tes oiselets commencent leur premier vol à la tempête pareille. 
En attendant Chapchan nʼétait pas tranquille, et il ne laissait pas tranquille ses oiselets. En écartant leur mère, il leur faisait courir dans leur nid vaste : il les  obligeait à battre des ailes, à sʼagriffer aux branches - quʼils travaillent leurs muscles, quʼils soient tenaces, que leurs ailes soient raffermies.
Le matin le vent a atteint la force de tempête. A lʼaube Chapchan a appelé lʼaigle femelle par un cri entrecoupé :
- Que lʼon les laisse ?
- Laissons !
Dʼabord ils ont survolé leur nid, pour se dégourdir. Ensuite ils sont revenus  chez leurs petits aigles et ils les ont poussés contre le vent. Lʼimpulsion nʼétait pas comme dʼhabitude, pas pareille à celles auxquelles ils sʼétaient habitués. Docilement, sans rien comprendre, ils se sont enfoncés dans le ciel que tempêtait. La bourrasque violente les a attrapés. Les petits aigles se sont envolés. Ils se sont envolés tout simplement, sans aucun cri, sans piaulement, sans montrer leurs émotions. Maintenant leurs yeux se brulaient : sévères et courageux comme les yeux de leur père. Dʼabord ils étaient agités, ensuite ils sont devenus calmes et plus sûrs. Maintenant ils volaient courageusement contre la bourrasque forte, en exprimant leur joie par la voix de triomphe, inconnue jusquʼà ce moment – le cri dʼaigle.
- Ah, comme il est bien de voler ! Comme le monde est grand ! Et pourquoi nous ne le savions pas jusquʼà ce moment ? Pourquoi nous avons passé si longtemps dans notre nid ? Et la tempête ? Comme elle est bonne ! Elle nous fera apprendre à voler comme il le faut. Nous resterions encore trop longtemps dans notre nid, si la tempête nʼapparaisse pas. Et maintenant de plus en plus haut… Quelle joie, quel bonheur de voler !
Le père et la mère écoutaient leurs enfants, et lʼinquiétude des parents commenҫait à se dissiper. Il nʼy rien pour craindre. Leurs enfants ont pu passer leur première rencontre avec la tempête.
Eux aussi, ils sont montés dans le ciel, pour voler avec leurs enfants.


1966




LE GUE DES LOUPS 

Le jour et la nuit, le jour et la nuit,- le temps se passait dans la vieille steppe avec la lenteur du  troupeau des moutons. Et encore le soleil a surpris Aygule et ses moutons. 
Ces heures si longues ne paraissaient tout à fait tristes à Aygule, qui était habituée dès son enfance à la liberté, à la diversité unique et à lʼinconstance de sa steppe. Il y déjà vingt ans, du moment quand la guerre a cessé de différencier le travail entre masculin et féminin, Aygule, sous le grincement de la selle, errait dʼun pâturage à lʼautre,  dʼun puits à lʼautre. Cette action établie avait son ordre et elle savait déjà que le vent froid du mois dʼoctobre la surprendra à son cheval, et au printemps, avec le premier ruisseau formé de la neige pas abondante du sable de la steppe, elle sera obligée de revenir à lʼaul pas pour longtemps, pour y rendre compte comment sʼest passé lʼhivernage, est-ce quʼil y a eu lʼépizootie, combien de moutons y a-t-il dans le troupeau et quel est lʼaccroît ?
Mais si Aygule sʼétait déjà habituée à la procession lente du troupeau, alors son jeune cheval doré-roux ne voulait et ne pouvait pas sʼy habituer. Par une lanière longue il suivait son patron en transposant négligemment ses pieds forts et élancés.  Parfois il la repassait, abaissant son museau sur son épaule, comme sʼil la pressait. Il était possible de le consoler par un morceau de sucre, mais Aygule nʼen avait pas. Alors il cessait de remuer ses lèvres potelées dʼune manière suppliante et par une décision désespérée, à sa peur et à sa crainte, il se poussait  en avant. Par ses manœuvres fortes et habiles, Aygule le retenait et pour une période de temps il se soumettait humblement à la marche des moutons. 
Il y déjà longtemps quʼils sont sous le soleil, devant eux brillait la superficie dʼeau et enfin le troupeau y arrivait. Les moutons sont entrés dans lʼeau. Ils devaient errer par lʼeau un jour entier, une nuit entière et encore un jour – à cette saison de lʼannée il était difficile dʼéviter les débordements sans bornes de Sirdari. Et cʼest seulement demain vers le soir quʼapparaîtra la bosse voyante de la colline sableuse, et là-bas se trouvent les  demeures chaudes des bergers, en un mot tout ce quʼavait promis le chef du kolkhoze.  Il était impossible de voir la fin de ce débordement, pareille à la mer. En été partout de la poussière. Par les deux côtés du chemin brillent les salifères dures comme la pierre. Et maintenant sur le débordement, comme des îles, sortaient des mazaras anciens. Sur lʼun dʼeux se voyait un point noir – un milan immense ayant bien appris, lui aussi, le temps de la vie nomade, maintenant sʼétait assis en attendant patiemment un agneau affaibli.
Mais dans la haute antiquité ici il nʼétait pas si désert. La vallée Sirdari, riche en eau est devenue pour les laboureurs un vrai berceau et le voyageur passant par ici était entouré par leurs champs et leurs jardins de longs jours: on y cultivait du riz, du blé, de lʼorge, fleurissaient le cerisier et le plaqueminier, les melons dʼeau et les melons devenaient de plus en plus lourds.  Il était ainsi, et Aigule le savait par les légendes anciennes, quʼavaient gardées les kazakhs du temps où ils nʼavaient pas encore leur écriture.  
Par ces légendes elle savait aussi une autre chose. Subuday-bagadur, la main droite de Tchingizkhan, méfiait profondément les gens, qui préfèrent nʼimporte quelle herbe à la viande chaude fumante, comme le bétail. Les chevaux des cavaliers mongols piétinaient les semences, et ensuite les incursions des locustes, les vents et les sables errants terminaient tout ce qui était déjà commencé : la steppe sʼétait bien approchée aux bords de la rivière. Les aryks, restés de lʼancienneté, causaient seulement du mal : du fond de la terre ils soulevaient du sel qui sʼétendait par lʼécume blanche sur la superficie, en ainsi détruisant tout ce qui était vivant, et aussi les aryks refugiaient les anophèles. 
A notre temps il nous a fallu pas un seul quinquennat pour trouver un équilibre entre les champs et les pâturages, pour que le riz et le blé ne se querellent pas avec le mouton et le cheval. On ne pouvait nullement brider la rivière possédée.
Sirdari fabriquait tout ce qui était possible. Parfois il était impossible de distinguer sa générosité de lʼastuce méchante. Mais si lʼon néglige pour un moment son caractère, la rivière se fera rappeler : elle noyait les agneaux, et en même temps pas seulement les agneaux, mais aussi les moutons, elle affouillait les champs de riz, inondait les auls et les villages par le ruisseau large trouble. Le vent ridait de lʼeau sur leurs rues, et quand il se calmait un peu, on pouvait voir dans le débordement, comme  dans la glace, les nuages nageant tout près. 
Et Aigule avait peur que cela ne se répète pas cette année aussi. La rivière nʼattendra pas. Et si elle se déchire. En ce cas-là il sera impossible de tâcher de venir à bout. 
Aigule pensait avec envie que ses voisins - les tadjiks et les uzbeks se trouvent dans une meilleure situation. Pendant son cours Sirdari ne se gelait jamais sur leurs terres. Mais si la glace arrête son cours permanent, quand même la rivière  débâcle deux semaines plus tôt quʼaux pays dʼaval. Là-bas il ne faut pas trouer des arrêts, pour ainsi éviter le déluge. 
Pendant de longues années de solitude Aigule avait formé lʼhabitude de parler à haute voix. Et maintenant aussi elle parlait à elle-même :
-Quoi de plus nous devrons supporter dʼelle !... Mais non,  cʼest déjà impossible. Nous avons fait assez de choses, et à ce qui concerne lʼélevage du bétail, nous - les kazakhs, nous sommes restés nomades comme nous lʼétions ! Je me rappelle, jʼai lu quʼà Kazakhstan il y a des centaines, plusieurs centaines de rivières. Et nous nʼavons pas encore calmé aucune. Elles font tout ce quʼelles veulent.
Aigule avait ces idées depuis longtemps et elle avait lʼintention de les exprimer pendant une conférence importante ou une réunion – que ҫa soit pendant la session du Conseil Suprême, où elle a représenté son peuple plusieurs fois, comme député inamovible. Elle sʼétait mise plusieurs fois à réfléchir son discours futur. Elle avait des faits, des arguments et des propositions à gogo et ils se serraient, se dérangeaient, pas pis que les moutons quand on les gagne à lʼabreuvoir.
Les moutons traînaient par lʼeau, et de leur poil long pas coupé tombaient des gouttes brillantes. 
Pendant ses visites de député  Aigule a rencontré plusieurs personnes : des bergers comme elle, des gens cultivant le riz, ceux qui font des travaux dʼirrigation. Elle se présentait très bien leur travail difficile et savait leurs besoins. Elle ne les quittait même pas pendant les longues nuits de la solitude dʼhiver – elle se rappelait toutes ses visites, ses conversations avec ces gens : ainsi elle supportait plus facilement le grand froid, le vent et les autres surprises que peut rencontrer le gens, passant par la steppe avec le troupeau. 
De Sirdari jusquʼà leurs produits on bâtissait un canal. Quand elle y arrivait, elle entendait toujours : « Que lʼauto-boutique passe plus souvent», « On nʼa pas projeté un film depuis longtemps», «Que quelquʼun montre aux artiste de la ville le chemin dʼici ». Mais lʼimportant cʼest : « De lʼeau… Que lʼon apporte de lʼeau sans interruption». On pourrait ne pas lui expliquer quelque chose concernant lʼeau, parce quʼelle avait obtenu deux camions – citernes de plus. Mais dans la steppe déserte lʼeau à boire ne suffisait pas toujours, on la distribuait par des bocaux de litre selon les arrondissements. Et que dire encore de la toilette ! Et si tu passes un jour dans la salle de bains du bulldozer ou du scraper, dans la chaleur ou dans la poussière…
De ces pensées lʼont faite revenir les bêlements pauvres des agneaux.  Lʼun dʼeux – pareil aux autres - oreillard, noir comme le  charbon, aux boucles molles – voudrait bien se coucher, mais il était entouré de lʼeau, et se hâtait convulsivement  après sa mère, qui regardait de tous les côtés et lʼappelait par des cris courts. 
Aigule a pris lʼagneau sur ses bras. Mais alors son cheval, fatigué déjà de toutes sortes dʼarrêts et de retardements, a encore une fois fiché sur son épaule. Elle a gardé lʼéquilibre à peine, mais lʼagneau est tombé et il a avalé assez considérablement de lʼeau devenue salée.  Ensuite il éternuait longtemps et se léchait les lèvres. Aigule lʼa pris et elle a essuyé son museau. Elle sʼest mise à marcher vite, sans faire attention où il est profond et où il est sur une petite profondeur, et ses bottes en caoutchouc se remplissaient de lʼeau, les semelles se collaient sur le terrain devenu aigre. 
En se tenant debout sur son pied comme une cigogne, Aygule sʼest déchaussée et elle a emmené lʼagneau vers sa télègue. Cʼétait un carrosse fait soi-même, où elle mettait les petits affaiblis, et que traînait un chameau. 
De sa hauteur le chameau clignait les yeux sur le vieillard qui le menait. Cette entreprise de se traîner dans lʼeau de très loin, ne plaisait résolument  au chameau : comme si lʼon ne pouvait pas attendre jusquʼau moment où tout devienne sec ici. 
Le vieillard, lʼaide dʼAygule a pleurniché dʼune manière fâchée, quand elle sʼest approchée de la télégue et elle y a mis lʼagneau. 
-Il y en a déjà près de cinquante, - a-t-il dit sans sʼarrêter et continuant de mener le chameau par la bride. Le soir est encore loin, ma chère Aygule ! Mais le temps des moutons est venu… Tu ne leur persuaderas pas de patienter. Est-ce quʼil accoucheront juste dans lʼeau ? Alors on sera obligé de les couper…
- Vous ne savez quʼune chose – prendre le couteau !, - a dit Aygule dʼun ton fâché, mais sachant très bien que le plan reste le plan et il faut lʼaccomplir, mais quand même elle ne pouvait pas se débarrasser du sentiment de pitié serrante. 
- Je peux même jeter le couteau, sʼil te fâche ainsi, - a continué le vieillard. – Et toi, reviens à tes moutons et  leur persuade dʼattendre… Non, maintenant, lui aussi, il sʼest fâché. – Comme on ne le savait pas ! Est-ce que le zootechnicien ne savait pas quand est-ce que commencera lʼagnelage de masse. Ou bien, cʼest toi, qui ne le savait pas ?
Il était difficile pour Aygule de protester, mais elle a trouvé des arguments atténuants. 
-Mais quʼest-ce que je pourrais faire ? Ou bien quʼest-ce que pourrait le zootechnicien ? Comme pour contrarier, aucun des moteurs à vent ne pompait pas dʼeau dans les puits. Quʼest-ce que nous pourrions donner à boire aux moutons aux pâturages dʼhiver ? Mais quʼest-ce que je vous explique, comme si vous ne le savez pas !, - a-t-elle rejailli. 
-Que ҫa soit ainsi, - a dit le vieillard dʼun ton conciliant. – Je vis sur la terre plus longtemps que toi… Je me rappelle une seule fois que le chaud est venu si vite, que toute la neige sʼest fondue presquʼen un jour et en une nuit. Et nous sommes été obligés de nous fuir de lʼaridité. 
-On ne sait pas que choisir,- a soupiré Aygule. – Que les moutons et les agneaux se crèvent de soif, ou quʼils se noient dans lʼeau. - Et maintenant le vieillard ne pouvait ou ne voulais pas sa calmer. 
-Et quoi Aygule, est-ce que nous avons mis chez nous les moulins à vent pour la décoration ? Quʼils battent leurs ailes ?
-Tu ne sais pas ? Ils doivent pomper de lʼeau. 
-Oui, de lʼeau… Une roue tourne lʼautre, une dent sʼaccroche 
à lʼautre dent, et lʼeau se lève. Le zootechnicien, le perma¹, le baskarma² doivent travailler comme des pignons bien ajustés. Mais quʼest-ce que nous avons ? Nous avons des puits, nous avons mis des moulins à vent, mais nous nʼavons pas dʼeau ! On nʼa pas pu apporter de nouvelle conduites dʼeau, pour remplacer celles déjà usées. 
A cette reproche aussi Aygule nʼavait rien à répondre, et elle a préféré de se taire. Elle est allée, mais elle a été obligée de revenir, parce quʼun autre agneau était tombé dans lʼeau. Et quand elle lʼa mis dans la télégue couverte, toute cette garderie dʼenfants sʼest mise à se plaindre de différentes voix. 
- Ils ont faim,- a dit le viellard.
Aygule continuait de marcher près de la télégue en caressant les museaux des agneaux qui essuyaient les tranches de côte en bois. 
-Vous devez prendre patience,- disait –elle, en les consolant. Vous devez patienter jusquʼau coucher du soleil et encore lʼautre jour entièrement. Et ensuite vous pouvez téter tout votre soûl. 
- Regarde ! Regarde ! Emportera ! … ses conventions  a interrompu le vieillard en montrant par la main le troupeau qui sʼétait étendu dans lʼeau. 
Le calme de ce jour de printemps a été dérangé par le  sifflement des ailes immenses, ensuite on a entendu le bruit sourd dʼun corps tombant -  lʼaigle de steppe tombait du ciel. 
Dʼabord Aygule a eu peur, ensuite elle sʼest mise à rire. 
- Que ҫa soit ainsi,- a-t-elle crié. Il nʼa jamais reҫu un dîner pareil. 
Ne distinguant, lʼaigle sʼest jeté sur les bottes quʼAygule avait laissées en arrière - les tiges sortant de lʼeau. Etant déjà prêt de sʼaccrocher par les griffes lancées, lʼaigle a compris quelle faute impardonnable il a commis, et il sʼest jeté à lʼautre côté. Ensuite il nʼa rien visé tâchant de sʼéloigner dʼune honte pareille. 
La faute dʼaigle a égayé Aygule pas pour longtemps. Loin de lʼhorizon on pouvait apercevoir un cavalier. Il faisait galoper son cheval, et celui-ci répandait de lʼeau. En apercevant quʼAygule nʼétait pas près du troupeau, le cavalier sʼest retourné vers la télégue. Dès loin il agitait son chapeau, ainsi faisant comprendre que son affaire est très importante et urgente. 
Cʼétait Verden, le berger de la septième brigade, et cʼest quʼil a crié : « Camarade le député», nʼayant pas pu sʼapprocher, ne promettait rien de bon. 

¹ Perma –  le chef de la ferme
² Baskarma – le président 
Près de la télégue Verden a acculé son cheval. 
-  Camarade le député, a-t-il répété.
-  Verden est-ce que tu ne pourrais pas descendre de ton cheval, il a un souffle lourd sous toi. 
- Jamais… Je vous ai rejoint parce que mes affaires vont mal. Après une heure, cʼest le maximum, mes agneaux se noieront. Le Gué des Loups est en avant. 
Nʼayant pas entendu de ce quʼil parlait, le vieillard a crié :
-As-tu eu peur de loups ? Pourquoi alors sont tes chiens ? 
-Mais qui a peur des loups ? , - a répliqué Verden. Je parle du Gué des Loups. Les moutons passeront à lʼaide  dʼAllah. Mais les agneaux ? Je dois les sauver. 
Il ne fallait rien expliquer à Aygule concernant le Gué des Loups. Cʼest un ravin ayant la longueur plus de vingt kilomètres, et qui se rempli dʼeau de Sirdari aux jours de ses débordements. Il nʼ y avait aucune possibilité de lʼéviter.  Cette fois ci Aygule a eu de la chance : Son troupeau a passé le Gué des Loups la veille, quand lʼeau n ʼy était pas encore arrivée. Mais le Gué des Loups affirmait son nom, chaque printemps il ne manquait de cas à avaler les moutons. 
Chaque nouvel président du kolkhoz promettait dʼy faire construire un pont, mais le pont manquait jusquʼau moment. 
-Si jʼétais seul… a continué Verden. Mais à ma suite deux autres troupeau sʼapprochent du Gué des Loups. 
-Tu dis encore deux ?
-Oui, mais de loin je nʼai pas pu remarquer à qui ils étaient. Et vers le soir ou la nuit des autres sʼapprocheront. 
-Est-ce que vous les pauvres, vous nʼavez pas deviné de préparer une télégue pareille ?, - sʼest retourné le vieillard. 
-La télégue !, - a grommelé Verden. Mais ce nʼest pas une télégue, la vôtre. Il était difficile de nommer cette construction télégue : deux vieilles roues de la motocyclette, les deux roues avant de la charrue, aux côtés les barreaux de la yourte. Et tout cela était couvert de feutre. 
Aygule sʼest enragée contre Verden. Qui est cet homme impuissant ! Ce nʼest pas en vain que lʼon disait quʼil ne peut pas faire un seul pas sans la permission de sa femme. Et il porte ainsi des pantalons !... Ne pourrait-il pas tout sʼimaginer et faire lui-seul. Il sʼest jeté vers Aygule, comme si elle pouvait faire passer ses moutons sur ses bras par le Gué des Loups. 
Mais elle a pu se retenir, ne faisant montrer son irritation, qui lʼavait prise entièrement. Aygule a dit tranquillement :
-Bien, tu peux revenir. Je vais vous rattraper. – Elle sʼest approchée de très proche au vieillard :
-Voilà une telle affaire… Je dois aller voir et mʼinformer de tout. Peut - être je reviendrai vers la nuit. Et si je ne reviens, alors que le troupeau continue son chemin. Vous suivez seulement que les chiens ne sʼaccrochent pas à moi.
Le vieillard a levé sur elles ses yeux sans couleur. 
-A mon temps cʼétaient les hommes qui venaient à lʼaide des dames. Peut – être maintenant on fait autrement ? Et ce Verden ! U-u, le pauvre ! Sʼil avait son troupeau, est-ce que se mettrait-il en route, sans préparer nʼimporte quelle télégue. La mienne lui a déplu. Que ҫa soit ainsi ou autre, lʼimportant cʼest dʼaider les agneaux. Et maintenant Verden a eu peur et il a décidé de prendre le député à témoin, pour pouvoir se justifier quʼil était impossible de faire quelque chose pour arrêter le malheur… Tuf ! a craché le vieillard et il a continué son chemin. 
Aygule est revenue à ses bottes – les tiges sortaient sur la superficie de glace, elle a vidé lʼeau et elle sʼest rechaussée.
Elle a sauté facilement sur son beau roux et lʼa tourné en arrière. Pour le cheval piaffe la direction nʼétait pas importante -  seulement ne pas marcher après le troupeau et il a galopé tout de suite.
De lʼarrière on pouvait écouter des cris  enroués :
-Qyakh ! Qyakh, Qyakh… Qyakh !
Cʼétait le vieillard qui appelait les chiens. 
Comme Aygule avec son troupeau ne sʼétait trop élognée du Gué des Loups, alors le cheval vif lʼa emmenée tout de suite. 
Sur le bord opposé les troupeaux attendaient on ne sait pas quoi. Ce nʼétait pas seulement le troupeau de Verden, mais aussi deux autres troupeaux. Sur les moutons sʼélevaient les chameaux portant de différentes yourtes et de barda domestique. Deux jeunes bergers se sont avancés sur leurs chevaux vers Aygule dès quʼils lʼont vue. Ils ne ressemblaient pas aux bergers comme on était déjà habitué de les nommer. Ils étaient bien coiffés, comme sʼils venaient de sortir du salon de coiffure du centre de région, lʼun dʼeux portait aussi quelque chose pareille à la cravate, lʼautre - un chandail disparate. Des jeunes garҫons. Ils avaient terminé leurs études lʼannée dernière. Quel sens de leur présence dans la steppe. 
Aygule a sèchement répondu à leurs salutations respectueuses exagérées :
-Je crois que vous vous rappelez très bien sur quoi nous nous sommes entendus avant de nous séparer :
Ils se sont regardés confus.
- Nous nous souvenons, - a commencé lʼun.
Lʼautre est venu à lʼaide de son ami :
-Est-ce quʼil est important que nous nous rappelions ? Le chef de la ferme hier a ordonné : Allez, est-ce que vous voulez rester sur la même place. 
Aygule a touché son cheval. Il est entré dans le torrent trouble avec hésitation. Lʼeau arrivait jusquʼà son poitrail et les pieds dʼAygule aussi se sont enfoncés. Elle aussi forait maintenant de lʼémeute pas pis comme ce torrent. A cause de la bêtise, de lʼincurie de quelquʼun les gens sont dans le malheur. 
Les bergers continuaient dʼexpliquer et de se justifier:
-Nous pourrions attendre facilement. Chez nous, sur notre terrain le moulin à vent fonctionnait et nous avions de lʼeau.
-La mangeaille suffirait aussi. Mais le chef de la ferme a ordonné…
Aygule les écoutait en se serrant les dents : «Le chef de la ferme a ordonné». Oh, comme elle connaissait très bien cette humilité que lʼon avait héritée du vieil aul. Lʼhumilité.
-Tu ne comprends pas !
Ayule a sauté de son cheval, elle a arraché de son cou lʼécharpe et elle lʼa jetée dans lʼeau sans penser. Lʼécharpe aussi a pris la direction de Sirdari.  Lʼécharpe a repassé le chapeau de Verden, qui avait fiché un gros mouton, sʼétant jeté de lʼautre  côté avec peur. 
-Arrêtez les troupeaux,- a crié Aygule à haute voix. Quʼils se reposent un peu. Nous attendrions un jour et demain, quand tout sera déjà sec, nous repartirons ! Et vous ne savez pas qui est-ce qui nous a aidés ? Les constructeurs ! Les constructeurs  qui ont fait un canal de Sirdari jusquʼaux produits. 
Aygule y a été pas une seule fois. Elle aidait lʼadministration de construction et de montage de recevoir la technique de terrassement qui manquait. Au centre régional elle a pu arranger lʼaffaire pour que les ouvriers partent le plus vite possible. Les constructeurs se dépêchaient, mais ils étaient avares à promettre. On croyait que le canal serait terminé vers le milieu de lʼété. Mais est-ce que lʼeau tue maintenant, cela veut dire quʼils ont pu dépasser le temps. Ils ont terminé deux mois plus tôt. Le nouveau canal avale avec avarice les grandes crues pour ensuite les faire arriver jusquʼaux  régions sablonneuses et aux pâturages de produits qui sont bien loin. 
Aygule nʼa pas écouté jusquʼà la fin les bergers, qui étaient heureux pour un dénouement pareil. Comme une jeune fille de seize ans, elle a sauté sur la selle, et elle sʼest mise à atteindre son troupeau. 
Aygule pouvait ne pas se hâter ainsi, mais il était difficile pour elle de rester sur sa place, et le cheval roux sʼest étendu sur lʼeau, comme sʼil comprenait très bien lʼhumeur dʼAygule. 
Et lʼeau devenait de plus en plus moins.

1961



LA PREMIERE FONTAINE 

Asanbay a passé deux équipes au puits de sondage, et à la troisième équipe il a décidé de rentrer à la maison.
Il était quatre heures de la nuit. Mais que faire, il faut aller à la maison au moins une fois par jour. Sa jeune femme Ajare lʼattendra sans fermer les yeux, même sʼil y restera pour la troisième équipe. Comme elle ne dormait pas suffisamment, elle avait commencé à perdre son lait. Si lʼon continuait ainsi, alors on serait obligé de sevrer  Télgar qui nʼavait que quatre mois. 
Il était difficile de reconnaître Asanbay : il était tout en poussière dense, ses longs cheveux noirs étaient tout à fait blancs à cause de cette poussière. Sous la lumière vacillante de lʼunique lampe terne il semblait à Ajare que son mari ressemblait maintenant à un bouru¹ puissant poilu couvert de givre à cette forte gelée violente. La poussière molle blanchissait sur ses sourcils noirs denses, sur ses cils, sur les ailes de son nez droit grand, sur ses joues et sur ses pommettes.  
Mais Ajare aime quand son mari a un air pareil. Parce que cet ainsi quʼil apparaît soudain devant elle. Ses joues rougissent et ses yeux noirs brillent joyeusement et tendrement. Pour ce moment extraordinaire elle ne dort pas des nuits durant et attend son mari patiemment.
Et à vrai dire lʼimmense chameau bossu nʼest pas tout à fait laid. Quand il passe par la steppe puissant, grand, avec des lèvres raides, le givre sur sa crinière noire, tenant haut sa tête, alors il a un air imposant et terrible. Ajare, qui avait passé son enfance dans la steppe, aimait ces animaux forts fiers, elle les examinait longtemps en les regardant de bas en haut. 
En bondissant, Ajare sʼest accrochée au cou de son mari. Légèrement, sans aucun effort, il lʼa enlevée comme une jeune fille.
-Tu nʼas pas dormi cette fois aussi ?
-Mais que faire si le sommeil ne vient pas. 
Les doigts minces dʼAjare se sont enfoncés dans les cheveux de son mari. Sur la tête dʼAsambay sʼest formé un nuage blanc de  la poussière. Mais tout cela ne lʼa pas rendu confuse, dʼun mouvement léger de ses doigts elle a fait tomber la poussière des cheveux de son mari dès quʼils ne sont pas devenus noirs, ensuite ses lèvres vives se sont étendues aux  lèvres de son mari, dures et couvertes de la même poussière. 
La poussière à Manguichlak est particulière : légère, molle comme la farine. Il nʼy a pas une poussière pareille nʼy à Kzil-Orda, ni à Turkestan. Il peut être quʼune telle poussière il y a au fond des lacs de lune. Dès que deux machines passent à Manguichlak en se suivant, un rideau de 

¹ bouru – la race des chameaux

poussière se lève aussitôt, et tout le ciel grandi, se couvre  dʼune manière comme si une bombe atomique sʼest explosée. Des tourbillons lestes capricieux  passent par la steppe librement. Soudain apparaît un entonnoir de poussière et tout de suite la colonne raide de la trombe sʼélance vers le ciel. Se vissant à lʼair brulant il erre par les contreforts et les vallées sèches  comme sʼil sʼenivre à sa volonté.
-Et maintenant va te laver, le thé est déjà prêt,- a dit Ajare. 
Tandis quʼAsanbay se lavait, elle préparait le lit dans la chambre à coucher petite comme une niche. Manguistaü – une steppe pas encore peuplée, les villes confortables ne la décorent pas encore. Les fontaines du naphte ne sʼy battent pas encore. Et lʼingénieur Asanbay vit encore dans une maisonnette avec un couloir très étroit, où deux personnes peuvent se situer à peine. Dans la steppe nue brûlée par le soleil on avait fait précipitamment quelques casernes dont les murs sʼétaient lézardés et  fendus. 
Après avoir se laver Asanbay sʼétait à peine mis à table quand dans le couloir il a entendu des pas. En marchant difficilement par les planches grinҫantes, le foreur Baysetay est entré dans la pièce. Lui aussi, il est rentré à la maison après la deuxième équipe, à la suite dʼ Asanbay.
-Je ne peux pas mʼendormir, Asanjan, si tu nʼest pas contre, alors je vais pour la troisième équipe, - a-t-il dit. – Je sens que je ne peux pas mʼendormir aujourdʼhui. 
- Mais pourquoi ainsi, Beyséké ? Ou bien Aynel-apa a préparé pour toi un lit rude ?
-Les blattes ne me permettent pas de mʼendormir, - a grommelé  Beysetay. 
Asanbay lʼa regardé dʼun air moqueur. Il était vrai quʼil y avait beaucoup de blattes dans la caserne. Mais le vieux rusé  Beyséké parlait tout à fait dʼune autre chose : son voisin de la chambre était le conducteur Tarakanov, un homme brouillard et sans faҫon. Il venait dʼépouser une buffetière, on ne sait pas venue dʼoù pour le métier. Les jeunes mariés étaient des gens inquiets et importuns. Mais ce nʼétaient tout à fait les voisins qui obligeaient Baysetay dʼaller pour la troisième équipe. Les Tarakanov étaient tout simplement le  prétexte.  Baysetay a saisi le regard fin et moqueur  de lʼingénieur et il a parlé confusément :
-Si je comprends quelque chose,  alors celui qui dormira toute cette nuit, perdra grande chose… Mais si tu nʼes pas contre, alors je mʼen vais. 
Baysetay sʼest retourné et sous ses pieds les planches sèches ont grincé et elles ont gémi. 
Asanbay, lui aussi comprenait très bien que le moment décisif sʼapprochait. Lui aussi, il avait peur de sʼendormir et manquer cette minute, voilà pourquoi il  passait deux ou trois équipes au puits et ne rentrait à la maison que pour de petits moments. Le vieux Baysetay sentait quelque chose : ce nʼétait pas en vain quʼil travaillait sur le métier toute sa vie durant et par une intuition secrète il sentait le pouls de la terre. Que dire, il est vrai que Baysetay est un foreur expérimenté, mais lʼingénieur Asanbay, lui aussi est sûr dans ses calculs.  Mais qui sait… Il peut arriver nʼimporte quoi… Asanbay nʼa pas pu se retenir et il a sauté :
-Attendez, Beyséké, attendez…
Baysetay est revenu vers la table à contrecœur,  avec ses doigts noueux, bruns il a pris de lʼassiette le baürsak¹ vaporeux, rose et en disant « bismilla»², lʼa mis dans sa bouche. 
-Cʼest votre supposition ? Ou bien les instruments montrent quelque chose,- a demandé Asanbay. – Il est vrai que vous avez quitté le puits plus tard que moi. 
-Que ҫa soient les instruments, ou que ҫa soit moi… Ce nʼest pas important. Lʼessentiel cʼest que le naphte va se rejaillir. La foreuse fonctionnait difficilement aujourdʼhui – et jʼai pensé quʼelle va se rejaillir pendant mon équipe… Jʼespérais, mais en vain. Ah, comment elle se jetterait en haut ! Par la colonne juste dans le ciel. Et dʼune manière quʼelle  se jette elle-mê. 
-Mais quʼest-ce que vous dites aksakal,- a crié Asanbay dʼune manière effrayée. Si nous perdons le naphte, personne ne nous caresse pas la tête. Voilà pourquoi nous sommes toujours près du puits, le jour et la nuit, pour quʼil ne sʼélance pas. 
-Eh, eh, on a enchaîné tous les puits de lʼexploitation… Que lʼun sʼélance en liberté. Que la fontaine de Manguistaü arrive jusquʼau ciel. Que tout le monde reste bouche baie de lʼétonnement. Et à ce temps –là, les metteurs en scène auront le sujet pour tourner un film, et les écrivains – pour écrire. La fontaine… Que le naphte  trompette jusquʼau tintement dʼoreilles. 
Asanbay regardait dʼun air ravi le vieux maître :
-Alors, comme jʼai compris, vous êtes un homme dangereux, Beyséké. 
Tous les deux ont ris joyeusement. Lʼingénieur et le maître de la foreuse sʼétaient déjà habitués de se comprendre dʼun demi - mot. Asanbay a pris par sa fourchette un concombre salé.
-Réfléchi toi-même Asanjan, un litre de benzine coûte trois kopecks, un verre dʼeau gazeuse aussi coûte trois kopecks.  Il sʼen suit que le naphte coûte trois fois à bon marché que lʼeau douce. Sʼil en est ainsi, pas un péché de le laisser une seule fois jusquʼau ciel. Asanbay nʼa pas pu répondre. 

¹baürsak – le pet-de-nonne

²bismilla – Allah, béni !

Moukatay, le fils de Baysetay, âgé de cinq ans, est entré dans la chambre. Il était tout à fait nu. 
-Papa, a, papa, - a-t-il dit en regardant avec malveillance, - je ne porterai plus ce pantalon bancal. Je lʼai jeté. Voilà tout. Il sʼest déchiré à cet endroit. Il sʼest retourné par son dos à son père et il a frappé sur cet endroit dʼune manière sonore. 
-Quelle mauvaise femme, - a grommelé  Baysetay, - elle a  renvoyé secrètement le petit garҫon. Il nʼy a pas longtemps que tu étais assis sur mes genoux et tu te taisais. Viens, allons-y. Quʼa-t-elle inventé – un pantalon bancal.
Et ainsi Asanbay nʼa pas pu dire au maître que ce nʼétait pas le naphte qui coûtait à bon marché, mais cʼétait lʼeau gazeuse qui coûtait excessivement cher. 
Quand le maître est sorti, Ajare a dit avec inquiétude :
-Mange le plus vite possible et va te coucher pour deux ou trois heures. 
- Une ou deux heures, mais non, aujourdʼhui cela est impossible. Mais si tu me promets de me réveiller après une demi-heure, alors je tâche de mʼendormir. 
-Dʼaccord, je te réveille après une demi-heure. Elle regardait le visage de son mari fixement, mais en cachette. Ses traits sʼétaient tirés et son visage était devenu jaune, ses yeux sʼétaient creusés. Il était sorti de chez soi hier et pendant un jour entier il nʼavait rien mangé. Voyez comme il fait entrer dans ses deux joues. Il mange du saucisson avec du concombre, sans arracher ses yeux du potage chaud. Le jeune ingénieur – ingénieur affamé. 
-Telgara, le chiot somnolent, ne sʼest pas encore réveillé, - a dit Asanbay en souriant, la bouche pleine.
Une voiture sʼest approchée de la maison avec  une grande vitesse et elle sʼest arrêtée brusquement. Ajare reconnaissait la voiture de son mari par le son. 
-Il me semble que lʼon est venu à me trouver, - a levé sa tête Asanbay. 
Tarakanov est entré dans la pièce sans frapper à la porte, en grondant par ses bottes ferrées.
-Nous sommes en panne.
Personne nʼa rien ajouté. Ajare conduisait son mari dʼun regard triste. Le potage à demi bu se refroidissait sur la table. 
Lʼingéneur a compris tout ce qui sʼy était passé sans arriver jusquʼau puits. Dans la steppe où régnaient seulement des  tourbillons de poussière, se jetait la colonne noire du naphte.  Sur une grande hauteur sʼétendait sa force titanique et  la masse veloutée noire tombait en bas. De loin on pouvait croire quʼun géant de conte marchait par la brume de poussière portant un chapeau fantastique. La fontaine sʼest rejaillie dʼune profondeur de deux et demis kilomètres. Elle est sortie en liberté avec le râle et le sifflement. La colonne balanҫante devenait de plus en plus proche. Il était clair que la nouvelle avait déjà apparu partout. Un grand nombre dʼhommes était venu de la cité ouvrière. Si lʼon voyait de plus proche, alors le haut de la fontaine nʼétait pas noir – il se répandait par le plumage le plus fin du paon, brillant et variable. 
La voiture sʼétait arrêtée à peine que le foreur Niclay Petrov sʼest jeté vers Asanbay :
-Nous nʼavons pas pu retenir, la solution était faible…
Et soudain a apparu Baysetay, comme sous de la terre. 
-Comment était-il possible de retenir ? ,- a – t – il crié avec un ravissement mal caché. – Regarde comment il pourrit. Je viens dʼarriver, mais elle tire déjà si fortement !  Je suis arrivé à juste moment. Jʼai tout vu par mes propres yeux. 
-Asanbay lʼa regardé vite et fixement. 
Le naphte bourdonnait quelque part sous la terre et il se jetait sur la superficie avec le grondement en tout y arrosant par son souffle chaud. 
On nʼavait pas de temps pour admirer la fontaine, on devrait le calmer le plus vite possible. 
-Quelle est la hauteur du jet ?
-Quarante - cinq mètres, - a répondu Pétrov. 
-Jusqʼau soir il arrivera vers cent mètres, - a ajouté Baysetay dʼun air satisfait. Ils étaient prêts de rire, de crier avec admiration, seulement quʼAsanbay sourie. Comme sʼils ne sʼinquétaient pas de ne pas retenir le naphte. Il semblait quʼils avaient oublié tout, sauf ce jet grand et puissant. 
-Mais cette une vraie rivière ! 
-Et voilà Manguistaü ! Il nʼest pas poussiéreux, il est en or. 
- Mais quelle rivière ! Cʼest une vraie mer !, - a exclamé Baysetay. Il était bien ému de la joie. Mais cʼest quelque chose de plus énorme que la rivière. Si lʼon compare, alors seulement avec la mer Caspienne. Par le  cuivre de Djezkazgan, Kazakhstan a mis le pays sur la première place. Que lʼon nous donne un peu de temps et le poussiéreux Manguistaü sera le premier dans le pays ! Dis-moi, est-ce que lʼun des quarante puits nous a-t- il joué un mauvais tour ? 
Un homme inconnu sʼapprochait dʼAsanbay. Il avait une tête ronde, un front mince, portait un gilet rayé, un pantalon large  chiffonné et il tenait une grande serviette sous son bras. 
-Avez-vous informé les instances les plus hautes de la panne et de ses causes, a- t- il demandé dʼun ton douteux. 
Cet homme nʼavait aucun rapport à la production du naphte, il était venu du syndicat régional et tâchait dʼavoir une réunion avec les pétroliers mais en vain. Une seule fois il a réussi de ressembler les gens, mais cette fois-ci, comme au contraire, les  supérieurs nʼétaient pas là : mais quelle réunion sans les supérieurs ? Baysetay était lʼun des débiteurs frauduleux. Il y avait déjà un demi - an quʼil nʼavait pas payé sa cotisation au syndicat. En mettant toutes ses dettes dans lʼenveloppe, il a envoyé sa femme chez le responsable. Mais celui-ci sʼest obstiné, en disant : « Quʼil vienne lui-même. Jʼai à lui parler».
Baysetay a examiné le responsable de la tête jusquʼaux pieds et il a dit avec une voix triste :
-Il serait mieux de rentrer à la maison et de faire repasser ton pantalon, parce quʼil paraît que tu portes une thermos de trois litre entre tes pieds…
-Arrête-toi Beyséké,- sʼest fâché Asanbay. 
Le responsable sʼest jeté sur Baysetay :
-Tu as fait une panne, et maintenant tu te réjouis ! Tu seras obligé de répondre pour cela.
-Cʼest toi, qui voit ici seulement une panne. Mais que le peuple se réjouit, alors ҫa ne te regarde pas… 
Cette conversation a fait perdre lʼéquilibre à Asanbay et il a crié :
-Que tout le monde, saufs les foreurs, sʼéloigne des puits. 
Les gens ont reculé et ils ont commencé à se disperser à contrecœur. Seulement trois garҫons, âgés de six ou de sept ans sont restés. En baissant leurs pantalons ils luttaient pour faire la fontaine la plus haute. Lʼun parmi eux était le fils de Baysetay. Les garҫons ont parié sur le sujet de la fontaine : le père de qui avait embrayé la fontaine de naphte, et  comme ils nʼont pas pu se convaincre, alors ils ont décidé de terminer la parie de leur manière. En les voyant Baysetay sʼest mis à enlever sa ceinture. Les  garҫons ont sauté tout de suite et ils se sont mis à sʼenfuir, en boutonnant leurs pantalons chemin faisant.
Le naphte chaud  part vers le ciel violemment. Le vent sauvage de Manguistaü jette par les côtés la colonne noire élastique, la balance, déchire son chapeau multicolore et arrose la terre par la pluie noire. Autour du puits les gens portant les casques en fer et les combinaisons en grosse toile  se trémoussaient. Ils étaient noirs et mous comme les marmottes. Près du puits du côté du vent ont apparu des supports, des pavois et des derricks en fer et en bois, sur les pieds longs maladroits. Avec la force originelle de cent vingt atmosphères sort de la terre la première fontaine de naphte de Manguistaü. Il est clair que lʼon ne pouvait pas couvrir un jet pareil par un chapeau. 
La poste de la cité ouvrière nʼarrivait à se reposer même pour un instant. Dès que lʼon a envoyé le télégramme-unique annonҫant quʼà  Manguistaü le naphte a jailli, alors Moscou et Alma-Ata ont entièrement pris la ligne de communication. La région a passé aux avions par force. Lʼun sʼatterrit,  lʼautre sʼenvole. Tout le monde cherche à parler à Asanbay. Mais le puits est entouré par des fanions de signaux, et personne ne peut repasser ce cercle. Personne ne voit quʼest-ce que font les pétroliers dans le tourbillon infernal, comment ils captivent  la fontaine répandue. 
A midi Asanbay a parlé avec Moscou et avec Alma-Ata, mais ensuite aucun coup de téléphone nʼa pas pu lʼarracher de son travail. Avec le naphte il sortait aussi du gaz des couches profondes. Comme si lʼélément avait décidé dʼéprouver le jeune ingénieur. 
Enfin, de nouveau la conversation avec Moscou. 
-Est-ce que vous arriverez de brider votre fameuse fontaine ? Ou bien vous aurez besoin de notre aide ?
-Nous peinerons  encore deux ou trois jours… Mais je crois que nous pourrons tout faire sans votre aide. 
- Et comment est-ce que vous appréciez les réserves du naphte de Manguistaü ? 
Asanbay a répété involontairement les mots de Baysetay :
-La mer.
-Oho, mes félicitations. 
Avec Alma-Ata la conversation a été tout à fait différente. Dʼune manière vague, avec quelques allusions on a demandé  de la panne. 
« Quelquʼun a déjà chuchoté»,- a pensé Asanbay et il a tout raconté directement et en détail.
Narguise Jambolatova, la représentante du comité exécutif de district  a apparu  à lʼexploitation juste à temps. Elle a pris dans ses mains  les relations entre les foreurs et le monde extérieur : elle portait des tas de télégrammes, racontait courtement les conversations téléphoniques. Les foreurs ne pouvaient répondre aux questions, ils ne pouvaient même pas se retourner. Narguise a amené près du puits une femme avec le repas chaud et les thermos brillantes sous le soleil ont fait la queue autour  du cercle défendu. Toute la nourriture de ce jour-là  des foreurs était dans les thermos – du thé. Du thé frais, sans sucre, brun, avec de la crème. Parfois les thermos disparaissent, ensuite elles réapparaissent, pleines de nouveau. 
Et la fontaine continue de se jeter dans le ciel brûlant, sans nuages. Les pétroliers sʼapprochent dʼelle de plus en plus. De la poussière et du gaz. Du naphte et de la sueur. Le souffle chaud de la terre et le soleil brûlant. Un jour sʼest passé, ensuite une nuit, mais la victoire ne se voyait pas. Les foreurs courent vers les thermos de plus en plus fréquemment… Narguise a apporté un nouveau télégramme : les félicitations des foreurs dʼAzerbaïdjan,  de Tatarstan et de Bachkirie. Les gens tombaient de fatigue, ils avaient les vertiges à cause de la faim. Le naphte continuait de se jeter vers le ciel victorieusement. Mais les gens le serraient, lʼappaisaient de plus en plus fortement. 
Le lendemain, vers le dîner le drapeau rouge a apparu. On avait apaisé la fontaine. 
Les gens qui regardaient de loin – sur leurs chevaux, à pieds, par les voitures, sur les chameaux - se sont précipités vers le puits tout de suite. En avant couraient les garҫons à toutes jambes, comme les étincelles du grand feu. 
La foule joyeuse et excitée a entouré les foreurs. On les balanҫait, les embrassait mous, noirs, à peine vivants de fatigue. Tout le monde parlait, mais ils nʼécoutaient pas les uns aux autres. Jamais on nʼavait annoncé les sons dʼune allégresse pareille à Manguistaü. 
On avait envoyé partout les télégrammes seulement avec deux mots : «On a apaisé la fontaine». 
En sʼarrachant à peine des mains de ses amis, Asanbay est allé à la maison pour se reposer un peu. 
Et cʼétait seulement Baysetay qui est allé au magasin pour acheter un nouveau pantalon pour son Moukatay. 


1964



DES RECITS AU SUJET DE LA NATURE
QUI A TIRE SUR LE LOUP

Nous étions trois. Le ministre, le savant, et moi, lʼécrivain. Chaquʼun de nous avait un trousseau de faisans. Leurs plumes brillent, coulent sur le soleil, comme les plumes des paons. Tous les faisans sont des mâles. Nous nʼavons pas tiré sur les femelles. 
Nous traînons nos trousseaux à peine. Nous sommes tombés sur une place lointaine, où nʼavait jamais apparu lʼhomme, et où il y avait beaucoup de faisans. Après nos coups de fusil les uns tombaient comme la pierre, les autres - en étendant leurs ailes. Il y avait aussi ceux qui  tombaient juste dans le panier. La chasse était réussie, tellement  réussie, que les conversations à ce sujet suffiront, on peut supposer, pour deux ans. 
On nous disait depuis longtemps que dans les plaines  inondables il y avait un lieu bien tranquille où les faisans sont des tas et des tas. Et vraiment au milieu de la rivière il y avait trois petits îlots. Pendant toute lʼannée personne nʼy avait pas passé. Ici poussaient le saule dense, le djidja et le djinguil. Les buissons étaient tellement entrelacés, quʼil était impossible de passer. Lʼherbe - jusqʼà la ceinture.
Lʼun des îlots était un peu loin. Les buissons y alternaient aux collines sablonneuses. Au milieu de lʼîlot se pendait un turanga seul.
Bien fatigué, mais content de la chasse réussie, nous sommes allés sur cet îlot. Les vrais chasseurs ne se reposent pas là, où il y a beaucoup de gibiers. Nous aussi, nous avons décidé de nous éloigner de la tentation. 
Cʼétait la fin du mois dʼaoût. Il faisait une chaleur sèche. 
Nous sommes entrés dans lʼeau et nous nous sommes traînés vers lʼîlot. Tous les trois nous étions de la taille moyenne, lʼun un peu plus de petite taille, lʼautre un peu plus de grande taille. Les trousseaux des faisans se traînaient derrière nous par lʼeau. Et nous venons de comprendre que nous avons montré trop de zèle.  Chaquʼun de nous avait la permission de trois faisans. Il sʼen  suit que nous les trois en avions pour neuf. Mais nous avions tiré autant que  nous les portions à peine. Tout le monde était mal à lʼaise, voilà pourquoi nous nous traînions par lʼeau silencieusement. 
Le premier a parlé le ministre :
- Il me semble que nous avons exagéré, a, les djiguites ? Si lʼon nous arrête, alors nous nous trouverons en posture embarrassante. 
- Cela nʼest rien. Nous partirons la nuit tombée. On ne nous apercevra pas, - a répondu le savant dʼun ton hésitant. 
Je me suis tu. Mais le trousseau que je portais sur mon dos, mʼa paru deux fois plus lourd.  
Nous sommes arrivés jusquʼà lʼîle et nous nous sommes mis à cacher vite le gibier. Le savant a lestement creusé un fossé  au pied de la colline sablonneuse et il y a enterré ses faisans. Avec le ministre nous avons caché notre gibier dans le buisson, près de turanga seul. 
Les vrais chasseurs ne font pas de grands feux, ils ne fument pas sans raison aux alentours. Voilà pourquoi nous avons sorti nos thermos et nous les avons mises devant nous. Les vrais chasseurs sont généreux. Nous aussi, nous avons ouvert nos sacs lʼun devant lʼautre et nous avons dénoué les nœuds. Les bouchons blancs et rouges des bouteilles ont apparu. Les vrais chasseurs nʼont pas le droit de faire du bruit. Voilà pourquoi nous aussi nous parlons en voix basse, discrètement. Les chasseurs experts sont toujours à leurs gardes. Nous aussi, nous sommes à nos gardes. Dans nos mains nous tenons nos verres, mais nos yeux suivent tout autour de nous et nos oreilles entendent nʼimporte quel bruissement. 
- Oybay, le daim ! - sʼest exclamé dʼune voix basse le savant et il est tombé sur la terre. Son cou sʼest allongé et il a fait un effort, ses yeux ont brillé fiévreusement et dʼune manière rapace. Son verre sʼest renversé et sur le journal sʼest répandue la mare brune du cognac.  
- Ce nʼest pas le daim, cʼest un chevreuil,- a chuchoté le ministre et lui aussi, il sʼest caché en se serrant contre la terre. Son verre sʼest penché et  une goutte de cognac a coulé. 
Et moi, je nʼai rien vu, mais moi aussi, je me suis serré contre la terre en renversant mon verre de cognac. Mon cœur a bondi dans ma poitrine. 
Il nʼy avaient ni le ministre, ni le savant, ni lʼécrivain. Seulement les chasseurs. 
Trois chevreuils se sont approchés de lʼabreuvoir par les  broussailles de djinguil.  Cʼétait la femelle avec ses deux petits. Fins et tremblants, les animaux regardent autour, comme sʼils sentent le danger. On sent la vigilance même dans la conduite des petits, mais la confiance et le  caractère espiègle enfantin ne les avaient pas quittés.
Leurs oreilles sont éveillées et ils se serrent à leur  mère tendrement. 
Lʼun  des enfants est entré dans lʼeau jusquʼà ses genoux, il a trempé craintivement son museau aigu et il a levé sa tête. Comme si lʼinstinct ancien le gardait. Et voilà le chevreau sʼest penché encore une fois vers lʼeau…
Et soudain, la mère – chevreuil avec son deuxième  petit a sauté  lʼautre côté et elle sʼest tout de suite cachée derrière la colline, en soulevant la poussière. Un loup acharné a bondi des  broussailles de djinguil. Le chevreau a sauté dans lʼair juste devant le museau du carnassier. Nous avons entendu comment il a claqué des dents. Le chevreau a couru vers nous par lʼeau. Il sʼétait pelotonné et il sautait en avant impétueusement par la course élastique. Le loup le suivait avec menace, en soulevant les nuages des gouttelettes.
Mais amis ont pris leurs armes. 
- Le loup, tire le loup !,- sifflait impatiemment lʼun à lʼautre. Le carnassier poursuivait le chevreau en sʼapprochant de nous de plus en plus proche. Le chevreau faisait des bondissements désespérés de deux mètres et le loup, tirant sa langue, le suivait lourdement. 
Le chevreau a sauté sur le bord tout à fait affaibli. Le loup restait en arrière de cinq mètres, mais il ne sʼessoufflait même pas. Quand il a senti sous ses griffes le sol dur,  il sʼest mis à courir plus vite. La distance entre le chevreau et lui est devenue affreusement courte. 
Evidemment le chevreau nous avait aperҫus, il a fait un écart et il sʼest mis à courir juste par la crête de  la colline sablonneuse. Le loup avait déjà ouvert sa bouche toute grande, il rugissait méchamment et sourdement, ses yeux étaient devenus blanchâtres de la rage, - il nous semblait quʼune seule saccade ou bien un claquement des dents et le cœur craintif du chevreau ne supporterait plus.
Les deux coups de fusil ont retenti presquʼen même temps. Le chevreau a trébuché un petit peu, il sʼest renversé quelques fois sur sa tête, et il sʼest figé la tête dans le sable. 
Le loup sʼest jeté de côté et il sʼest caché derrière la butte, comme sʼil nʼy avait pas été. 
Nous avons regardé les un les autres. 
Nous nʼavons même pas ouvert nos thermos. Chaquʼun rangeait ses objets silencieusement. Nous tâchions de détourner nos regards. Nous nous sommes approchés de la voiture dʼun air sombre. Le petit tué du chevreuil était couché sur le sable, le cou tiré en avant, ses yeux noirs ressortis devenaient ternes lentement. Personne ne pensait à le prendre avec nous.
Après ce jour-là, nous les trois chasseurs nous ne nous sommes plus rencontrés. 




TIMKA.

Jʼavais commencé à visiter ces bains encore avant le commencement de la guerre. Ils se trouvaient dans une impasse noire, et ne se distinguaient pas par la propreté. Et en plus, pour pouvoir se laver, il fallait faire une longue queue. Mais tout de même je mʼétais bien habitué à ces bains. Il y faisait toujours chaud, et cʼétait très confortable.
Je demandais toujours, si  cʼétait le baigneur russe qui était de service :
- Est-ce quʼil y a un balai ? 
- Il y en a,- répondait-il toujours et il allait silencieusement pour lʼapporter. 
Si le vieux Uigur était de service, alors à ma question est-ce quʼil y a un balai, il répondait de même, et courtement : « bag». Pas « bar»  et pas « bah», il prononҫait un mot extraordinaire que je nʼarrive pas à répéter.  
Quand je mʼadressais au troisième baigneur, un vieux Kazakh, alors il ne me répondait rien, tout simplement il me tendait le balai. Et à vrai dire à quoi parler ? Chaquʼun savait depuis longtemps combien coûtait le balai.
Je mʼétais tellement habitué à ces conversations, que je croyais : aux bains il ne peut pas être autrement. 
Tim, Timocha, Kim, Simka, Dim, Dimka… tous ces noms appartiennent à la même personne. Personne ne savait son vrai nom. Moi non plus, je ne le savais pas, mais je ne le demandais pas. 
Cʼétait un homme incroyablement maigre (comment est-ce que sʼy tenait son âme), maladif, illettré. Cʼétait le même Kazakh, qui me tendait chaque fois le balai silencieusement. 
Je me rappelle  bien, comment il entrouvrait la porte de la salle dʼattente, où les gens se morfondaient dans la queue et il criait dʼune voix enrouée :
- Un seul. 
Cela signifiait quʼune seule  personne pouvait entrer au vestiaire. 
- En arrière, - criait-il, -  si au lieu  dʼune personne deux faisaient irruption au vestiaire, - en arrière.
Si tu entres à ton tour, alors il prendra ton billet, il te montrera une petite armoire libre et il te donnera un balai, si tu en as besoin. Ensuite  il se retournera vers la porte :
- Un seul.
Un homme oublié, malheureux. On voit clairement quʼil nʼa jamais mangé à sa faim, il portait nʼimporte quel vêtement, et le travail nʼavait pas vu le grain. Lui aussi, il est «seul»,  vraiment seul, lʼun des seuls. Il se taisait toujours, ou bien il disait toujours les mêmes mots. 
Ainsi plusieurs années se sont écoulées. Et voilà une fois ils sʼest approché de moi et dʼun sourire confus et avar il mʼa demandé de lui emprunter dix roubles. 
- Ils me sont trop nécessaire, agay, - a-t- il dit.
Cʼétait pour la première fois pendant un quart de siècle, que le baigneur sʼest adressé à moi, et pour la première fois il mʼa regardé directement. 
Je lui ai donné tout mon argent que jʼavait à ce moment avec moi. Je ne me rappelle pas cʼétait combien, mais cʼétait plus de dix roubles, jʼai même renversé toutes mes petites monnaies dans ses bras. 
Il a pris lʼargent, mais il ne sʼest pas mis à me remercier. 
Combien de fois ensuite jʼai fait la queue aux bains. Parfois je jetais un coup dʼœil  sur Timka, espérant quʼil aura pitié de moi et il me laissera passer  hors mon tour. Mais hélas ! Il ne mʼapercevait même pas. Mon tour arrivera, il prendra mon billet, ensuite il me laissera entrer. Si je demande le balai, alors il me le donnera. Il prendra lʼargent nécessaire et il se tournera. Cʼest toute notre connaissance. Je ne sais pas pourquoi, mais nous ne saluions pas et même nous ne nous connaissions pas par les noms. Il y déjà un quart de siècle que nous étions des connaissances inconnues. 
Une fois jʼai rencontré aux bains lʼun de nos écrivains célèbres. Il mʼa frotté le dos, et moi, jʼai fait la même chose pour lui. Nous nous sommes chiffonnés, nous nous sommes étrillés et nous nous sommes bien amusés. Très contents, nous nous sommes assis lʼun à côté de lʼautre et quand nous voulions passer déjà aux commérages de la ville, nous avons entendu les cris de Timka qui se répandaient du vestiaire : « En arrière !». Il semble que quelquʼun a apparu à lʼentrée dʼune étuve : « En arrière ! En arrière !».
Et nous nous sommes mis à parler de Timka. Lʼécrivain lui aussi connaissait quelques étrangetés du baigneur. Il mʼa raconté quʼune fois il a donné à Timka une pièce en cinq kopecks en plus et celui-ci a rendu lʼargent silencieusement. A mon tour je lui ai raconté comment jʼai emprunté de lʼargent à Timka. Nous avons ris inoffensivement, de tout notre âme. 
Mais soudain lʼécrivain a cessé de rire et il mʼa demandé dʼune faҫon suspecte :
- Mais pourquoi tu me le raconte maintenant ? Ou bien tu as senti que moi aussi, jʼai lʼintention de te demander de lʼargent ?
- Mais quʼest-ce que tu dis ? Pourquoi est-ce que tu dois emprunter de lʼargent ? On publie ton livre de trente pages, nʼest-ce pas ?
- On le retarde pour cinq mois.
- Alors sʼil te plaît. Il te faut combien ?
- Deux cent.
- Très bien. Viens me voir demain.
- Mais tu ne penses pas que je suis comme le baigneur, - a- t- il dit, jʼemprunte et voilà tout, comme si je nʼai aucune idée de toi. Dès que mon livre apparaisse, je te rends ton argent tout de suite. 
Quelques jours plus tard jʼai quitté la ville pour  mes affaires, et je nʼai pas été aux bains pendant cinq mois. 
Et quand jʼy suis revenu en automne, les vieillards-baigneurs, le Russe et lʼUigur, me regardaient et ils souriaient  énigmatiquement. Timka nʼétait pas là. Jʼai demandé sʼil ne sʼétait pas passé quelque chose avec lui.
- Ne demandez rien, cʼest seulement le rire…
- Mais quʼest-ce qui se passe ?
- Timka a pris son congé au début du mois…
- Et maintenant tout le jour il se lave aux bains. Voilà le rire…
- Le samedi et le lundi il est fourré aux bains du matin jusquʼau soir, - racontaient les baigneurs en riant.
- Mais pourquoi il vient ici ?, - ai-je demande.
- Il veut voir vous tous. 
- Il dit quʼil a une affaire !
Il était évident que pour les baigneurs cʼétait bien amusant que le taciturne Timka avait affaire à quelquʼun. 
- Aujourdʼhui cʼest lundi. Il va  se traîner. 
Les vieillards nʼont pas pu rire à volonté parce que Timka est vraiment venu en se traînant à peine. Les vieillards ont tout de suite cessé de rire et ils se sont tournés. Mais ils jetaient des regards sur nous, parce quʼil était bien intéressant pour eux quelle affaire pourrait avoir Timka avec moi. 
Cette  fois aussi Timka ne mʼa pas salué. Il sʼest approché de moi, il a enfoncé ses trois doigts sous la ceinture de son pantalon, il en a fait sortir quelque chose ronde, dure, pliée, un vrai bouchon de la fiole de nasibay, et il lʼa mise juste dans mes mains. Jʼai cru que cʼétait ou bien une Déclaration, ou bien une lettre, mais quand jʼai déployé, jʼai vu deux cinq roubles collants.
Il me semble que jʼai rougi, mais Timka ne mʼa même pas regardé. Il sʼest retourné et il sʼen est allé. 
- Tim … attends – moi un peu !, - lʼappelais-je. 
- Jʼarrive, - a-t-il répondu  et il a couru quelque part. 
Je me suis assis sur le banc, en continuant de tenir dans ma main les cinq roubles salés et suants. Ils étaient encore chauds. 
Les vieillards – baigneurs, le Russe et lʼUigur se sont approchés de moi en me regardant avec curiosité.
Je mʼétais assis et je ne savais pas que répondre. 
Bientôt Timka est revenu. Mais maintenant il était joyeux, heureux, avec un sourire large sur son visage émacié. 
- Viens tʼasseoir près de moi, lʼai - jʼinvité.
Mais Timka a refusé de sʼasseoir et il mʼa tendu encore quelques kopecks. 
- Tenez, agay, cʼest le reste…
Il était impossible de faire parler à Timka. Mais il était plus difficile de persuader de reprendre son argent. Je lui expliquais en vain que je ne lui avais pas prêté cet argent, je le lui avais donné parce quʼil en avait besoin. Mais il faisait un mouvement négatif de la tête. Je tâchais de lui fourrer cet argent néfaste, mais il desserrait sa paume. Lʼargent en papier est tombé sur le plancher mou, et les sous, en sonnant sourdement,  ont roulé dans des directions différentes et ils se sont dissipés. Et quʼest-ce que je pouvais faire avec lui ? Je me suis vite levé et je lʼai embrassé sur ses épaules. 
- Mon cher ami ! Si tu ne prends pas lʼargent, alors je mʼoffenserai pour toute ma vie. Et en ce cas-là je ne reviendrai pas  à ces bains. Tout simplement tu ne mʼestimes pas…
Je me rappelle très bien quʼà ce moment-là je nʼépargnais pas les mots pour convaincre Timka, ce baigneur timide, silencieux. 
Enfin il est tombé dʼaccord et il a repris lʼargent. 
Etant déjà bien tranquille, je suis allé à me laver. 
En échaudant mon balai par lʼeau bouillante, je suis entré à la salle de bain et jʼy ai vu mon écrivain connu. Etant en sueur, rouge, il se fouettait par son balai, sʼétant bien accommodé au rayon en haut. Il mʼa aperҫu et il sʼest retourné. 
Je ne me suis pas mis à le troubler. Je ne me suis même pas approché de lui.
Parfois il est bien sʼil est sombre aux bains… Il est bien si la salle de bain est  entièrement en vapeur dense. Mon débiteur est passé rapidement « imperceptiblement» à lʼentrée dʼune étuve. Et tandis que je me lavais, il a réussi de sʼen aller. Dès ce moment, quand il mʼaperҫoit, il passe sans me remarquer. Il fait lʼair de ne pas me connaître. 


1965



APRES VINGT ANS
LE RECIT DU DOS

Oh, cʼétait un vrai coup. Un coup de poignard. Mon dos nʼavait jamais senti un coup pareil. Il mʼa courbé en arc et il mʼa obligé de gratter ma tête par mes talons. Mes remerciements au sport : grâce à sa trempe je suis maintenant vivant.
Autrefois, dans mon enfance, moi aussi, je faisais des coups de poignard aux autres et je ne cache pas, parfois cʼétait moi qui était battu. Mais un coup pareil, si inattendu et si écrasant… mais non, un coup pareil, je nʼai ni porté, ni reҫu jamais. Si ce nʼétait pas mon dos, mais supposons le dos dʼun vieillard, dʼune femme ou dʼun enfant, alors jʼen suis sûr, on serait obligé de dire adieu à sa tête, que lʼon voie seulement comment il roule par la chaussée asphaltée.
A ce jour-là beaucoup de têtes ont roulé…
Et quand ma tête sʼest enroulée absurdement, jʼai eu le temps de regarder autour de moi. Mais je nʼai rien vu – derrière moi était le vide. Oui, cela sʼest passé en un instant. Mais, le regard humain est évidemment plus vite. Il a une minute que les hautes maisons en pierre sʼy serraient les uns contre les autres. Mais maintenant on ne les voit pas, elles ont disparu. Il y restait seulement lʼuni argenté fumant qui faisait peur. Je me rappelle très bien que même après les grands incendies, les forts tremblements de terre, même après eux reste quelque chose : des murs brûlés, des cheminées uniques traînant dans lʼair, des arbres couverts de poussière, des ruines. Mais ici rien nʼest pas resté, vraiment rien, comme sʼil nʼy a rien été. Les montagnes que lʼon ne pouvait voir derrière les hauts bâtiments, maintenant se voyaient très bien : elles étaient à leur place.  Et en plus jʼai pu remarquer comment les planches extraordinairement larges tombaient comme la pluie. Cʼétaient des toits qui descendaient dʼun vol qui était pour eux pas ordinaire et pas jamais rêvé. Parmi ces centaines de toits il y avait quelque chose que lʼon ne pouvait pas distinguer. Mais moi, jʼai reconnu les gens, plutôt leurs cadavres. Il me semble quʼils se sont envolés en même temps avec les toits. Mais là-bas, en lʼair quelquʼun les avait triés selon leurs poids : les cadavres tombaient plus vite. Il y avait parmi eux qui faisaient rappeler des croix. 
Jʼai vu tout cela au moment quand jʼétais courbé en arc, quand mes pieds et ma tête se dépêchaient de se rencontrer, en me laissant ainsi entre leur trajectoire singulier. Jʼai vu quand ma raison et mes sentiments ne mʼobéissaient pas bien, quand le blanc ma paraissait noir, et le noir – blanc. Jʼai vu comment la pierre noire tombée pas loin de moi a éclaté dʼune flamme brillante comme le coton. Et ensuite… Ensuite la syncope, évanouissement, le tétanos, lʼabrutissement. La dernière chose que je me rappelle cʼest le lieu où jʼai reҫu le coup perfide. Cʼétait la banlieue de la ville, avec des rues étroites pleines des maisons à un étage. Des banlieues pareilles des villes japonaises sont confortables pour la vie et elles sont belles à leur manière. Pour la règle générale se sont les coins les plus peuplés de la ville, ils ont été peuplés même par les grands-pères de nos ancêtres. Les  murs de ces maisons sont formés par les pierres toutes petites et les cours pas très grandes ressemblent aux paysages japonais : les montagnes microscopiques nous font rappeler de vraies montagnes japonaises, les petits bassins ressemblent aux vrais lacs japonais – les mêmes rivières et les mêmes ponts. Les cerisiers bas, les pins trapus. Des chrysanthèmes absolument. Ce nʼétait pas une cour simple, cʼétait plutôt un tapis vert dense coupé… Les Japonaises aiment bien et elles peuvent en même temps, garder la cour. A ce sens – là, la guerre même ne les dérange pas. 
Je marchais par les rues étroites, en écoutant la mélodie silencieuse et triste. A ce temps-là, sauf la musique triste les Japonais ne jouaient pas dʼautre musique,  sʼils avaient honte pour la guerre quʼils ne menaient pas à leur propre volonté. Il était un peu étouffant. Mais je ne sentais pas  le manque dʼair : jʼétais captivé par les sons tristes, qui venaient de la maison de quelquʼun. Je me trouvais dans cette situation  quand jʼai reҫu ce coup de poignard. Etourdi, je nʼai pas pu remarquer quʼest - ce qui sʼest passé avec le quartier des maisons à un étage. 
Pour moi il reste toujours comme énigme comment et où jʼai repris connaissance. Je ne sais pas depuis quand je me trouve dans les fers de cet embauchoir en gypse. Parfois il me semble que jʼai été sans connaissance pas pour longtemps : probablement pendant deux jours. Mais on dit quʼà lʼinstitut américain le médecin-militaire sʼest fâché contre moi pendant deux mois entiers. Quel nigaud entêté, qui cache depuis longtemps comment et à la quelle distance de lʼépicentre de lʼexplosion il a pris son dos à partie. Est-ce quʼil ne comprend pas comment la science militaire a besoin de cette information. Mais non, il le comprend très bien. 
Mais il ne veut pas, il nʼenvie pas de parler. Est-il offensé ?... Vexé ?... Est-ce quʼil proteste ? Mais quelle protestation si tout le Japon  sʼest penché devant nous humblement. Tout le Japon est tombé devant nos pieds, lʼempreur est humble, ton soleil aussi sʼest soumis, le Japonais drôle ! ... 
Cʼétait en vain que le médecin-militaire américain et ses collègues de 
 lʼinstitut se fâchaient contre moi, car je ne mʼoffensais pas. Je nʼavais pas le temps pour cela. Je me suis indigné un peu plus tard. Au moment, où le mal des brûlures sʼest calmé un peu. Le mal de lʼindignation, lʼamertume de lʼoffense sont bien sûr plus forts que le mal physique. Mais il est venu un peu plus tard. Les Américains se fâchaient contre moi en vain… Vraiment  en vain.
Mais non, je ne mʼobstinais pas, je ne pouvais même pas mʼobstiner, parce quʼà ce moment-là je ne comprenais rien, pourquoi jʼétais emmuré et me trouvais à lʼhôpital. Ma connaissance faible ne pouvait rien rétablir, sauf une seule vision liée au coup de poignard. Mais quʼest-ce que jʼai vu ? Même cela nʼétait pas facile de comprendre. 
Lʼinterprétation est venue plus tard. 
Quand jʼai repris connaissance, jʼai demandé pourquoi jʼétais à lʼhôpital. 
- Votre dos est pareil à la carte géographique de Japon, a plaisanté le docteur. Hokkaido sʼétait installé sur lʼomoplate droite… Le Grand Honeyu    avait pris, comme il fallait lʼattendre, le flanc droit entièrement. Il se divisait de son voisin Kyushu par une bande étroite sainte – le détroit Simoneau-séca. Remerciez Dieu, que ces îlots se sont situés au flanc gauche. 
Justement quand, combien de mois plus tard après le coup de poignard jʼai posé cette question au docteur, -  je ne me rappelle pas. Je me rappelle seulement quand je me suis efforcé de la poser, mais je nʼai pas pu je ne sais pas pourquoi. 
Lʼautre fois les plaisanteries du docteur ont flatté mon amour-propre de plus. Il mʼa dit : «Votre air est excellent, mon ami. Croyez-moi que même le paysage japonais vous enviera-t-il. Des montagnes. Les voilà : Fujiyama, Asaï. Il y a aussi des crêtes : je reconnais Tugoku, Kyushu. Même Hiroshima et Nagasaki sont représentés ici à leurs places, malgré quʼils nʼexistent depuis longtemps. Non, aucune carte géographique en relief des années de la guerre ne peut rivaliser des images sur vous… Une carte juste, jolie … ».
- Docteur mais comment tout cela sʼest-il passé ?
Ses yeux ont lancé des éclairs.  Il paraissait que les glaces de ses lunettes ne pouvaient pas supporter une rage pareille. Les yeux des Japonais sont petits, mais sages et un peu tristes. Mais, mon dieu, les yeux du docteur joyeux étaient pleins dʼindignation ! Ils regardaient sévèrement, avec menace. 
- Taneka Urika, - le docteur sʼest retourné brusquement vers la femme au moyen âge. – Pourquoi vous ne lui avait pas expliqué jusquʼà ce moment ?
- Jʼai expliqué… Tant même jʼai tâché dʼexpliquer… 
- Oui, elle a raison, elle tâchait de mʼexpliquer, mais je ne me présentais pas comment cela a pu anéantir deux grandes villes, tuer la plupart de la population en un instant. 
Le docteur sʼest assis près de moi.
- Je vous en prie, soyez plus audacieux et écoutez-moi tranquillement. Les Américains ont jeté des bombes atomiques sur nos deux villes. Il était évident que le docteur calmait à peine son anxiété. 
– Pourquoi ? Mais est-ce que je ne vous ai pas prié dʼêtre plus courageux. On faisait des expérimentes. La première fois pour lʼépreuve, la seconde fois pour se rassurer que les résultats  de ce bombardement ne sont pas au hasard… Quoi ? Il nʼy a pas dʼavis unique à ce sujet. Peut-être pour battre le Japon définitivement qui a tant de même admis sa défaite… Et aussi pour faire peur aux alliés… Les guerres supposent toujours quelques partages – chaquʼun veut toujours sʼapproprier de plus et ainsi affirmer sa supériorité… Ets-ce que ce nʼest pas ainsi ? Voilà pourquoi, on dit, ils ont jeté leurs bombes. Et maintenant  reposez-vous. Repos complet. 
- Jʼavais la mère, jʼavais une sœur, est-ce quʼil est possible dʼavoir la communication ?  
- Quel est votre nom ?... Où est-ce que vous habitiez ?
- Au quartier « Lʼaube».
- Ce quartier nʼexiste plus…
- Ma mère travaillait au parc central…
- Au lieu du parc est le vide… Et maintenant tais-toi et repose-toi… 
Le docteur avait raison, il fallait se taire… Le malheur ici nʼaidera pas : si le peuple conquis commence à se plaindre, à pleurer, à se consumer jour et nuit, alors il contractera la jaunisse et rien de plus !
De ces jours –là vingt ans a déjà passé. Pendant ce temps on mʼa mis à lʼhôpital seize fois. Seize fois on mʼa rapiécé le dos. Il est bien difficile de supporter un fardeau pareil, comme la géographie dʼun pays. Il est clair que mon dos nʼest pas affectionné entièrement, il y aussi des lignes étroites saines de ma peau, qui nous font rappeler, comme dit mon docteur, les lignes bleues des eaux entre les îles japonaises nombreuses. Et  voilà on coupe de ces lignes et on les met sur les lieux affectionnés. Et ainsi sans fin. Et là, où lʼon coupe, de nouvelles plaies apparaissent…
Maintenant jʼai la leucémie. Les corpuscules blancs de sang en sʼagrandissant gênent le sang rouge. Pour vivre vingt ans, jʼai été obligé de bien résister. Je  résisterai encore plus.
Je nʼai même pas quarante ans. Je désire dʼavoir ma famille. Mais qui est-ce qui se mariera avec moi ? Epouser quelquʼun qui souffre de leucémie ? Je ne veux pas, je nʼai pas lʼenvie dʼaugmenter le nombre des monstres dans le monde entier. Hélas, mais le docteur avait raison. Il faut être audacieux, il faut avoir de la patience, il faut être endurant comme lʼhomme. 




2.

LE RECIT LʼOEIL

Jʼai reconnu Ayko de loin. Elle mʼa reconnue aussi. Les jeunes filles étaient assises dans la voiture depuis longtemps, mais Ayko mʼavait attendue. Les Japonaises nʼaiment pas crier, nous nʼavons pas lʼhabitude de crier à haute voix, et elle agite tout simplement son filet à provisions où elle a mis la thermos – elle me dépêche.
Elle me dépêche, parce que nous devons aller au bourg voisin, pour aider à réparer  leur école.  Je suis restée à lʼautre côté de la rue : les tramways qui venaient dans le sens inverse pour sʼapprocher de la station, me dérangeaient.  
Jʼai attendu jusquʼau moment quand ils sont repartis et je me suis dépêchée vers le jardin de notre école, là, dʼoù Ayko agitait son filet dʼune manière dʼappel. Lʼécole était entourée dʼun jardin dense, voilà pourquoi on nʼy attendait pas le bruit des tramways. Je me hâtais, sans garder mes pieds. Pour moi il était honteux de les faire mʼattendre. Mais jʼentends maintenant comment les filles chantent, je vois comment Ayko agite son filet à provisions plus impatiemment, en sʼinquiétant pour moi. Le couvercle de thermos en nickel, reflétant sous le soleil, faisait des cercles en argent. Ayko ne se décourageait jamais. Elle pouvait toujours réjouir… Sa bonne coquetterie lui venait très bien. 
Mais soudain lʼinimaginable est parvenu, il nous a semblé que le ciel a crevé. Mais, en effet, ce nʼétait pas le ciel, cʼétaient mes oreilles qui ont crevé. Tout à fait stupéfiée, jʼai regardé en haut. Là-bas, sur la ville, en sʼenfonҫant dans le ciel, se tenait une colonne toute blanche, comme si en neige, cʼétait une colonne de feu, faite en neige et en feu. Elle versait du feu, elle répandait  le rayon perҫant jusquʼau mal. Ensuite elle a bouilli en sʼélargeant en haut et elle a retenti. Où repose sa fondation ? Je nʼai pas pu comprendre. Quelle était son épaisseur ? Mais comment vous le dire… Dans notre ville, juste au centre, il y avait un pavillon dʼexposition, un palais rond. On dit que sa charpente reste jusquʼaujourdʼhui. Il me semble que cette colonne est plus épaisse que la charpente de ce palais. 
A lʼautre instant je me suis souvenue de lʼécole. 
- Ayko, Ayko, crie-je, mais je nʼentend pas ma voix. 
Je ne vois rien. Je ne vois pas Ayko, je ne vois pas les voitures, je ne vois pas lʼécole. Tout avait disparu. Devant mes yeux seulement le vide noir. Le vide noir est partout : et là, où se trouvait lʼécole, et là, loin de lʼécole. La suie et le vide noir sont partout…
Les arbres tombaient avec le bruit et le craquement, en ainsi fermant le chemin.  Ils mʼont ébouillantée. Les boutons chauds de ma robe sʼabsorbaient dans mon corps. Ensuite lʼignorance, lʼobscurité et le vide. Jʼai passé mes dernières vingt années dans ce vide noir. Tout ce que je vous raconte maintenant ne remet même pas la centième part de tout ce que jʼavais vu à ce temps-là. Je dis le feu, la flamme et la neige blanche… Mais est-ce que cʼétait tout ce qui sʼétait passé ? On nʼa pas encore inventé son nom, on ne peut pas le comparer avec quelque chose. Dans notre dictionnaire il nʼy a pas de mots autant justes et autant affreux, pour lʼexprimer. La mort … la destruction… la catastrophe… mais non, ces mots aussi ne décrivent pas justement !
Nous parlons du fer, de la pierre, quʼils deviennent brûlants, quʼils se fondent. Mais que dire du fer et de la pierre, qui réduisent en cendres en un instant ? Comment, par quel mot exprimer que toute une ville disparait en un instant devant vos yeux, devenant de la poussière ?
Oui, vraiment il est difficile de lʼexprimer, mais maintenant ce nʼest pas cela qui mʼinquiète. Il y déjà vingt ans que je suis dans lʼobscurité. On dit quʼon a reconstruit, refait la ville. On dit quʼelle est devenue plus belle et plus riche quʼauparavant. Je veux bien la regarder. Même par un œil, même une seule fois.
Je vis par cet espoir de voir. Mais je ne peux pas et je ne veux pas ne pas espérer. Quand jʼai repris connaissance la première chose que jʼai demandé au docteur, cʼétait sur mes yeux. 
- Dites-moi, sʼil vous plaît, quʼest-ce qui se passe avec mes yeux, -priais-je.
- Mais pourquoi tʼinquiètes-tu, ma chérie. Ils sont toujours charmants. 
- Mais je ne suis pas devenue aveugle, nʼest-ce pas ?
- Non, non… Il est vrai, que tu ne vois pas, mais cela va se passer. 
- Et comment est mon visage , il a quoi ?
- Aucuns changements sérieux. Il est excellent comme le marbre blanc. Il est beau comme avant.
- Et mes cheveux?
- Nous avons été obligé de les faire raser. Mais ils pousseront vite.
Mais où sont mes pieds et mes bras? Je mʼinquiète pour mon visage et pour mes yeux. 
Je tâche de les palper vainement, mais mes mains ne mʼobéissent pas comme si elles ne sont pas les miennes. Peut-être on les a coupées depuis longtemps. Mes pieds aussi comme si ne sont pas les miens, eux aussi, ils sont désobéissants. 
Mais mes yeux… Je crois quʼils se sont sauvés. Je retrouverai ma vue, le visage je maquillerai, je le sais faire. Mais peut-être il ne faudra rien faire, parce que comme disait le docteur, mon visage était blanc comme le marbre. Non, elle se confond, ce nʼest pas la blancheur de marbre, ma blancheur est une autre. Mais pas seulement la mienne. Ayko enviait toujours mes yeux, elle disait quʼils sont tout noirs, et mes cils qui étaient trop longs…
Lʼétonnant était ce que personne ne me nommait aveugle. Personne parmi ceux qui venaient ici pendant ces vingt années. Cela me consolait un peu. Voilà pourquoi je ne cachais pas mes yeux. Je regarde hardiment là, dʼoù jʼentends les voix. Je salue, je souris… Si jʼétais comme un monstre, si mon visage était couvert de balafres, et dans le crâne bâillaient les orbites – alors sans doute vous auriez peur.
Maintenant jʼai trente – cinq ans. Quand jʼai perdu ma vue et ma vie, jʼavais quinze ans. Mais ces vingt ans comme si nʼexistent pas : je ne peux pas les considérer comme la vie. Jʼai encore quinze ans. Jʼespère que je recouvrerai ma vue. Jʼai encore quinze ans, parce que lʼespoir de recouvrer ma vue ne me permet pas de devenir vieille. 
Quand jʼaurai recouvré ma vue, jʼirai absolument à lʼécole. On dit que là-bas un nouveau jardin a repoussé. On dit aussi que lʼécole se compose maintenant de cinq étages. On  dit que ma photo est accrochée au lieu le plus visible. Il ne me restait quʼun an pour terminer mes études. Quand jʼaurai recouvré ma vue, je les terminerai absolument. Ensuite jʼentrerai à lʼuniversité, à la nouvelle faculté de la nourriture des enfants. 
On dit que maintenant il nʼy a pas ce désert, que tout est devenu vert autour et que les gens ont déjà oublié le malheur. Le malheur, la tristesse…  Il est clair quʼils nʼembellissent pas la ville. Mais les gens… Les gens nʼont pas le droit dʼoublier. Si je recouvre ma vue, alors je souhaite  de décrire ce jour-là, décrire tout ce que jʼavais vu au prix de la perte de ma vue. Je me rappelle tout. Aux premières années lʼespoir mʼenthousiasmait et parfois je retrouvais dans ma mémoire de nouveaux détails. Maintenant tout est autrement, je sens que quelques détails deviennent ternes, perdent de clarté. 
Si je ne recouvre vite ma vue, alors, jʼai peur dʼoublier beaucoup de choses. 
On dit quʼaprès la catastrophe tout le monde sʼest inquiété, il a protesté. Je ne sais pas et je ne pourrai pas savoir, parce que jʼai failli mourir, si ce proteste était bien décisif. Et comment cela sʼest passé chez  vous ? 
La moitié de la ville nʼexistait plus, elle était réduite en cendres. Et tout cela en deux secondes. Ma ville nʼétait pas militaire, à ce moment-là y vivaient seulement les femmes, les enfants et les vieillards. Elle ne causait pas de mal à personne, elle ne menaҫait personne, elle nʼavait rien de particulier. Je ne peux pas comprendre jusquʼà  ce moment envers qui et en  quoi elle était fautive. En quoi étaient fautives mes amies, elles voulaient tout simplement faire du bien – aider ses voisins à reconstruire leur école, parce quʼil nʼy avait plus dʼhommes. Vingt-deux jeunes filles étaient réduites en cendres, en un instant elles étaient réduites en cendres. Je suis la vingt-troisième, et je me suis sauvée. Je dis «Je me suis sauvée »… Mais est-ce que cʼest la vie.
Eh Ayko, Ayko ! Tu étais le soutient pour les faibles, les vieillardes de trois chaumières se cramponnaient à toi. Tu les soutenais par ta douceur, par ta joie quotidienne. Et tu préparais si bien ! Il te suffisait un grain de riz, une botte dʼognons et un petit morceau de poisson, pour préparer le dîner pour toute la famille… Tu étais bien adroite, et dans tes mains habiles tout sʼenflammait. Tu nʼavais pas dix doigts, mais dix mains. 
Lʼâme vexée parfois cherche à se venger. Parfois on souhaite que la tempête de la rage humaine se répande sur le verre du thé que ton offenseur tend avec appétit à ses lèvres. On désire que sa maison se couvre de la poussière tachetée qui commence par la mort. On souhaite que lui aussi, il se sente comme estropié… Que ses enfants et les enfants de ses enfants naissent comme les estropiés…
Non, je ne suis pas rancunière. Mais vous ne me croyez pas, si je dis que je nʼai jamais voulu me venger. Je souhaitais de le faire et pas une seule fois. Mais chaque fois je me retenais tellement que maintenant il me semble que ce sentiment de la rancune commence à me mépriser. 
« Cela je ne souhaite même pas à mon ennemi». On dit ainsi chez nous. On dit ainsi peut-être partout. Notre peuple est chaleureux et bon. Je ne souhaite cela à personne. Je ne veux pas que le malheur arrive à quelquʼun. Je ne veux pas que leurs habitants se brûlent comme des fourmis. Je ne veux pas que la cendre tachetée tombe sur le monde. 
Beaucoup de gens me visitent. Tout le monde me prie de raconter cela. Peut-être mon récit semble affecté, mais je ne peux rien faire : jʼai été obligé de  le raconter trop souvent… 
Je vis par lʼespoir… Je suis vivante par les espoirs. Mais je suis privée de la possibilité de les réaliser. Il mʼest bien intéressant à quoi rêvent les autres ? …
Ah, si je recouvre ma vue ! Seulement recouvrer la vue, recouvrer la vue ! …


3.

LE RECIT DE LA PIERRE

Moi, je suis le marbre noir, je suis la pierre noire. Je brille après avoir été dans les mains de lʼhomme. Je vois tout, décisivement tout. Lʼhomme ne peut pas regarder le soleil, mais moi, je peux le faire. Lʼhomme ne voit toujours juste : il admire ce quʼil voit, il se réjouit, il sʼindigne, il sent la peur quand il regarde. Mais moi, je regarde tout simplement, je vois tout clairement, parce que les émotions ne me dérangent pas. Je vois tout et toujours. Je ne vois seulement pendant la nuit. 
Moi, je suis le marbre noir, je suis la pierre noire. La joie mʼest étrange, la peur mʼest inconnue. Lʼinquiétude aussi mʼest étrange. Je reflète seulement ce que je vois. Il ne mʼintéresse pas comment les hommes emploieront mes témoignages.
Ce nʼétait pas un jour de fête. Il nʼy avait rien qui nous rappellerait  la fête. A ce temps personne ne souriait comme sʼil était honteux de sourire, parce que la guerre pesait sur tous, tout le monde avouait lʼamertume de la perte. A ce jour-là beaucoup de gens passaient près de moi, beaucoup de gens tristes. Les adolescents, les écoliers, les femmes et les vieillards étaient venus. Pas joyeux et vêtus malproprement. Même les jeunes filles ne souriaient pas. Les enfants… Eux avaient oublié entièrement la pétulance. Les femmes sont accablées, les enfants étaient abattus, en général tous les gens étaient peu attrayants, ils étaient devenus plus petits et plus minces. Imperceptiblement et calme, sans le grondement passé, les voitures militaires passaient.
Il était un jour chaud et clair. Fatigué de chaleur, la forêt sommeillait paisiblement, les arbres se tenaient debout dans les rues, comme sʼils prêtaient oreille à quelque chose. Moi aussi, je somnolais. 
Soudain quelque chose a éclaté et une colonne en feu a surgi. Par un bout la colonne sʼenfonҫait dans la ville, par lʼautre elle brillait sur lʼhauteur de demi - kilomètre en formant une cloche bouillonnante. Partout jaillissait un torrent du feu inattendu, un torrent de la lumière inattendue. La ville sʼest roulée en tube comme le papier jeté dans le feu et elle a disparu. Le fer était réduit en cendres. La pierre était réduite en poussière. Toute  la ville était réduite en poussière, qui a disparu en un instant comme si un pharynx monstrueux lʼavait avalée. Seulement la place de la ville est restée, brûlée et accidentée. 
Le torrent en feu lanҫait les gens sur moi, en tas et par un seul. En se heurtant contre moi, il sʼéloignaient de moi. Les mains, les pieds sʼenvolaient. Les têtes se cassaient en mille morceaux. A Dieu ne plaise que lʼhomme  donne de la tête contre une pierre… Lʼair se brûlait. 
A la station de tramway il y avait beaucoup de monde. Ne parvenant à sʼen aller, le tramway comblé sʼest enflammé. Il sʼest enflammé et il a disparu, en découvrant pour un seul instant sa carcasse métallique. Les gens aussi ont disparu, et ceux qui avaient réussi à pénétrer dans le tramway comblé, et ceux qui nʼavaient pas réussi à le faire. Ils étaient réduits en cendres sans le sentir. A Dieu ne plaise quʼil entende comment soixante-quinze milles hommes gémissent  en se brûlant. A Dieu ne plaise quʼil voie comment la flamme avale par milliers les yeux innocents des enfants, comment jaillit  lʼuniforme de mille écolières, comment leurs corps nus grésillent et rôtissent dans le feu. Dieu merci que tout sʼest terminé trop vite, tellement vite que même le serpent nʼaurait pas pu faire sortir sa langue. La ville est devenue un terrain inculte noir. Sur la pente la plus proche de la montagne se sont dénudées des pierres trop grandes comme si des éléphants tués, les feuilles des arbres ont disparu en un instant, comme la volée effrayée des oiseaux dʼautomne. 
Ensuite un vent fort a soufflé. Il a soufflé en tourbillonnant, impétueusement, comme si voulant ainsi chasser la force méchante qui a dissipé la ville si subitement. Le vent était méchant et décisif : sʼil rencontre une maison, même la maison dʼun pauvre homme, alors il lʼemportera, sans regretter. Mais rien ne lʼempêchait et le vent qui embrassait toujours chaque arbre des parcs denses comme la forêt, maintenant se passait seul par les tas des suies noires, en étouffant de la poussière de la cendre. 
Ensuite les premiers indices de la vie ont apparu : les enfants sont sortis en regardant de tous les côtés avec étonnement. Et il y avait à quoi sʼétonner : le monde a reconnu une tragédie pareille pour la première fois. Les gens lʼont créée pour détruire les uns les autres, cʼest leur création. 
Ensuit les femmes sont sorties, les vieillards aussi sont sortis. Ils regardent tout autour. Où est la ville ? Avec le sentiment confus de lʼétonnement et de la peur se frottaient les yeux : est-ce que cʼétait leur ville ? Les gens ne cherchez pas la ville, ne vous efforcez pas en vain. Vous cherchez tout simplement dʼoù vous est arrivé ce malheur noir ? Cherchez le mal, trouvez où sʼest-il caché. 
Il y avait jadis au centre de la ville un bâtiment rond de cinq étages. Maintenant à sa place était un champ noir et polie au centre duquel était restée seulement la carcasse brûlée. Comment sʼétait-elle sauvée ? Peut-être la flamme monstrueuse avait décidé de laisser une seule trace de tout ce quʼil y avait été, ou bien elle a paru plus résistante grâce à sa forme aérodynamique. 
Et voilà les gens se sont bougés – au lieu de lʼincendie la  vie recommenҫait. Les gens brûlaient les restes des hommes et ils brûlaient définitivement les cadavres réchauffés. Ils nettoyaient leurs nids brûlés. Je nʼécoutait pas comment ils sanglotaient à ce moment-là, - je nʼai pas dʼoreilles, - mais je crois que cʼest bien que je nʼai pas dʼoreilles, je ne le supporterais pas, même si je suis la pierre. 
Bientôt près de moi ont apparu quelques planches, quelques annonces qui donnaient les premières informations sur la catastrophe : la température est près de trois cent mille degré, au rayon dʼun kilomètre du centre de lʼépicentre tout a disparu – les êtres vivants, et pas vivants, et ensuite, hors de ce cercle, la force de lʼexplosion est devenue un peu faible– là-bas la pierre et le fer se sont sauvés, tant même eux aussi, ils commenҫaient à se fondre. 
Moi, je suis le marbre noir, je suis la pierre noire. Je ne sais pas compter et je ne sais pas combien de jours se sont écoulés après cette catastrophe, combien dʼannées ont passé. Je connais seulement lʼéternité-pour moi il existe seulement une dimension - lʼéternité.
Maintenant la ville sʼest restaurée. Elle est plus haute et plus belle, qua jamais. Les parcs sont encore devenus vifs. Les rues sont plus larges. Rien ne nous rappelle la catastrophe. Décisivement rien, parce que les années ont bien travaillé, les gens ont bien tâché. Ils sont dignes à lʼéloge le plus élevé. Mais je nʼavais pas lʼintention de rendre célèbre la tâche de lʼhomme. On sait bien sûr sans moi comment est laborieux  le simple Japonais. Je voulais seulement parler de ce jour affreux. Du jour, où se fondait le fer, se fondait la pierre. Je voulais que les gens se rappellent toujours ce jour-là. Et quʼils se gardent. 
Au centre de cette ville qui a survécu cette catastrophe, maintenant un homme de pierre sʼélève. Sa main droite levée rappelle aux hommes où se trouve le ciel. Sa main gauche sʼétend aux hommes en demandant la paix et la tranquillité. Ses yeux couverts de paupières lourdes prient que le malheur ne se répète jamais. 
Voilà tout ce que je voulais faire apprendre à vous, les gens. Jʼespère que vous ne demanderez à pierre quʼest-ce que vous devez faire pour ne pas ressentir la même chose encore une fois. 

Nagasaki – Hirossima   1966




LES CONVERSATIONS DANS LE CIEL SUR LES AFFAIRES TERRESTRES

L'emblème de la compagnie d'aviation indienne est – l'Hindou de faïence en turban blanc. En disant adieu il s'est penché en salut d'honneur - et déjà la chaleur ardente de Delly était remplacée par le climat tempéré du salon de première classe. 
Le salon s'est détaché du chemin gris en béton et il a grimpé vers le ciel en prenant la hauteur obstinément. 
Mon chemin me faisait passer par Calcutta et Hong-Kong et ensuite à Tokyo, où je devrais avoir des rencontres avec les écrivains Japonais. Selon nos idées d'aujourd'hui dix heures du vol est très long, et je me suis mis à m'installer comme chez moi : j'ai enlevé mon costume, et je me suis débarrassé de ma cravate, j'ai jeté sur la petite table la boîte de cigarettes «Djambul» presque carrée bleue-foncée et les allumettes «Berezka» avec une étiquette vive qui ne représentait pas les images de la nature, mais de jolies filles Russes qui s'étaient figées dans leur danse harmonieuse. 
Dans le salon il y avait tout le confort pour les passagers : devant les fauteuils du premier rang il y avait des petites tables, des cigarettes de toutes sortes, des gommes à mâcher, des journaux illustrés luxueusement. Si l'on compare nos «TU-104», alors le liner anglais était plus lent, mais plus calme. Et de temps en temps on pouvait entendre le bruit du climatiseur. 
Il est évident que pour me sentir entièrement au vol destitué des affaires embarrassantes terrestres, j'ai mis dans ma bouche une gomme à mâcher épicée, je me suis rejeté au dos du fauteuil et j'ai pris dans mes mains un gros journal anglais, où je pouvais seulement regarder les images, comme un petit garçon. 
En feuilletant les pages compactes avec les couleurs extraordinairement vives sur les photos en couleur, je sentais sur moi le regard examinateur de mon voisin – à ma gauche, par un passage. Comme il n'avait rien à faire, il s'était mis à m'examiner. 
Comme son examen m'importunait déjà, alors j'ai décidé de ne faire aucun pas à sa rencontre pour faire la connaissance. 
Mais quand même, la curiosité de mon compagnon a vaincu, et aussi le voyage fait changer de présentation sur les règles de la décence, et il s'est tourné à mon côté
- Excusez-moi, s'il vous plaît. Etes-vous de Russie ? , - me s'est-il adressé en russe, avec un accent doux insaisissable. 
- Oui, je suis de l'Union Soviétique, - ai-je répondu en me détachant de la photographie de Merlin Monro, qui venait de se suicider.
Nos yeux se sont rencontrés et j'ai pu l'examiner mieux. Il était de moyenne taille, plutôt mince, sur sa lèvre du haut – la moustache bien soignée, à la couleur dont les possesseurs la nomme la couleur de blé, mais en réalité plutôt roux. Son oreille a flambé, éclairée par le rayon perçant du soleil. Son âge ? Probablement quarante ans. 
- J'ai peur de vous paraître importun, - a – t- il continué. Mais vos cigarettes et vos allumettes ont attiré mon attention. Je ne sais pas que veut dire «Djambul», mais « Berezka»… Oh, j'ai vu votre ensemble bien connu. A Paris. Je suis un parisien traditionnel, j'y suis né et grandi, j'y vis. Mais je suis Russe. 
Quelle est la cérémonie spéciale de la connaissance de voyage ? Le voyage se compose des joies pareilles : rencontrer sur la hauteur de sept kilomètres un homme, la conversation avec qui t'aidera à diminuer le trajet de dix heures, pour ne pas se sentir tout à fait muet. Il y avait ici quelque chose touchante : l'homme qui était né et qui vivait loin de la patrie de ses parents n'a pas pu se retenir pour ne pas s'avancer vers les jeunes filles en sarafanes qui dansaient sur l'étiquettes d'allumette. 
Je lui ai offert une cigarette, et j'ai frotté une allumette à tête rouge. Et lui, en me disant : «Permettez- moi, je… ». Et il a pris courtoisement de mes mains l'allumette chaude, d'abord il m'a donné à fumer, ensuite il a fumé, lui-même.
- Chez nous, seulement des briquets…, - a – t – il dit confusément, et en avalant une bouffée de tabac, il a fait de grands yeux, en ainsi appréciant le goût du tabac. – Vos cigarettes sont bonnes, - a – t – il continué. Et que veut dire «Djembul» ?  
- Excusez-moi, mais je dois corriger : Djambul. On appelait ainsi le poète national Kazakh. 
Ma nouvelle connaissance s'est représentée comme l'employé de l'ONU pour la contribution de l'aide économique au pays de l'Asie sud-ouest. Et aussi, il était l'arrière-petit-fils de Martinov. Oui, oui, de lui-même ! 
Il lui suffisait seulement de dire ce nom, couvert d'infamie, et moi, évidemment, je n'ai pas pu cacher mes sentiments, et comme un cheval de la steppe, sentant le danger, moi aussi, j'ai dressé mes oreilles. 
Il a attendu un petit peu, et fixant son regard sur moi, il a commencé la phrase suivante par mes mots, comme s'il savait lire les pensées :
- Oui, oui, de lui-même, de ce commandant en retraite Nicolay Solomonovitch Martinov, qui n'a jamais tiré au fusil sur Lermontov, et cela signifie qu'il n'a pas pu le tuer !
Tranquille jusqu'à ce moment, il a ainsi terminé son affirmation, avec un point d'exclamation. 
J'ai senti un défi dans ses mots. Le défi par toutes ses règles. L'arrière-petit-fils de Martinov me lance le défi, moi, l'arrière-petit-fils du Kazakh de la steppe Musrep, d'où notre race a son nom. 
Je n'avais rien que d'accepter le défi. Je me suis dit : « Aide-moi Allah et Andronikov Irakli» et je me suis approché de la barrière. 
Au sens connu le droit du premier coup de fusil était à mon interlocuteur. De ce jour tragique du mois de juillet déjà s'était écoulé cent vingt ans de plus, et la race de Martinov a choisi de toutes les versions du duel telle qui justifierait le commandant de l'armée en retraite, « qui n'a jamais tiré au fusil sur Lermontov, et cela signifie qu'il n'a pas pu le tuer ».
Et moi ? … Son affirmation m'a confondu, et je me suis vite rappelé tout ce qu'il m'était connu de cette histoire.
Il est vrai qu'après mon abécédaire, les œuvres de Lermontov en un volume sont devenues mon premier livre en russe.  Le livre m'a offert l'inspecteur national en présence de mon professeur Beket Utetléüov, il y a déjà un demi-siècle, dans l'aul kazakh, où il y avait une école russe de deux classes. Je lisais assidûment les vers de Lermontov. Je lisais sans comprendre juste la moitié des mots. Mais peu à peu, à l'aide de Beket même, j'ai découvert les profondeurs et la beauté des vers de Lermontov, que je me rappelle de ma jeunesse par cœur et «Térek», et « Le sommet de la montagne», «Le débat», «Le poignard», « La mort du poète». Et quand en 1941, pour le centenaire de la mort du poète on a publié ses œuvres traduites en kazakh, j'ai été obligé d'écrire sa préface. Et ensuite mes connaissances sur ce deuxième, à mon avis, célèbre poète russe du dix-neuvième siècle en or, enrichissait Irakli Andronikov, qui était le chercheur passionné et fin de son art et de sa vie.
Et voilà le duel a commencé. Le duel sans les témoins. Ici personne ne convenait pas au rôle du jeune prince Vasiltchikov et de l'officier de la garde à cheval ou bien - au rôle de Mongo Stolipin et de Trubeskoï, dont les participations aux duels étaient bien cachées durant de longues années. Les cinq ou les six passagers au salon de la première classe ne pouvaient pas passer pour les témoins : ils ne parlaient pas russe et en général, ils étaient trop loin du sujet de la querelle. 
La première attaque de l'arrière-petit-fils de Martinov («… il n'a jamais tiré au fusil») a paré l'arrière-petit-fils de Musrep qui, en réalité ne pouvait pas parer en détails la version nébuleuse sur un Kazakh, qui s'était caché dans les buissons de l'entourage de Piatigorsk, où se passait le duel. Mais il savait bien, que le groupe des experts médico-légal vient de refuser catégoriquement une telle supposition, quand elle a apparu encore une fois.
Par les répliques - oui, non, il a été ainsi, et pas ainsi la vérification mutuelle des caractères, des moyens d'attaque et ceux de défense, de pondérabilité des conclusions et de degrés de compétence se terminaient. En tout cas, le mystérieux Kazakh qui s'était caché dans les buissons, n'a plus apparu pendant notre conversation. 
Le descendant de Martinov a mentionné encore quelques légendes. Il s'en suivait que beaucoup de gens appartenant au haut corps des officiers, croyaient leur devoir de se faire écrire comme la mère de Martinov, en ainsi rejetant l'accusation que son fils s'est déshonoré par le meurtre du poète. Mon adversaire employait des expressions que je me rappelais selon quelques documents et des souvenirs de ce temps-là : un duel honnête, le duel ayant les mêmes conditions. Comme on a su, on a protesté aussi contre l'arrestation de courte durée, comme innocent…
Mais j'ai trouvé beaucoup d'objections pesantes. Il n'était pas en vain que j'avais lu Andronikov, et pendant les rencontres avec lui, j'ai entendu de lui aussi les travaux d'autres savants.
Il est vrai que la plupart tâchait d'accuser l'assassiné, en dépeignant «son caractère insupportable». Mais il y avait aussi un grand nombre de gens qui employaient au lieu du « duel honnête» un autre mot : l'assassinat. Et ce n'est pas en vaine que le chef de l'état-major (à ce moment-là je ne pouvais pas dire son nom, mais je l'ai ensuite précisé - Traskine) a ordonné à tous les jeunes officiers qui étaient à Piatigorsk d'aller à leur service. Il voulait ainsi prévenir un nouvel duel possible. Entre les jeunes il y avait beaucoup ceux qui étaient prêts à réclamer satisfaction du meurtrier de Lermontov. 
Je comprenais tout cela et beaucoup d'autres choses aussi. La difficulté du débat est ce que mon adversaire fasse un mouvement brut de la main pour réponse aux conclusions les plus convaincantes comme s'il les a notées. Et quand j'utilisais des noms comme Sviatoslav Raëvski, Viskovati, Andronikov, il clignait ses yeux froidement, et il semblait qu'il était prêt de se quereller, se quereller avec tout le monde : commençant de ceux qui étaient contre à ses interprétations des contemporains du poète jusqu'aux savants d'aujourd'hui, qui prouvait irréfutablement le rôle infâme de Martinov dans le destin de Lermontov. 
Il s'emportait en dépit de son éducation européenne. :
- Ce sont des métaphores, des métaphores !... Est-ce qu'ils y étaient présents. Est-ce qu'ils peuvent montrer sous le serment qui a demandé la satisfaction de qui. Tout cela a passé honnêtement… Tous les deux ont eu des témoins. On a mesuré la même distance. Les fusils ont été de même calibre, du même système, Kuhenreytor numéro deux. 
Tout cela je savais. Et j'ai posé une question, qui contenait, comme dans la plupart des cas, mon comportement vers ses tentatives de prouver que l'on avait gardé le codex du duel :
- Alors pourquoi, à un propos si misérable, on a décidé de passer le duel sur la distance de six pas, jusqu'aux trois coups de fusil, en utilisant les fusils pour le combat à grande distance ?
- Eh, quoi ? Cela ne prouve encore rien. Pour nous et vous Lermontov est un poète génial. Et pour Martinov il était ami du collège d'officier. Martinov ne pouvait plus supporter ses railleries en présence des dames, ses surnoms offensifs et ses caricatures. Et il l'a appelé. Et le duel a passé dans tous ses ordres. On a tiré deux fois. C'était Lermontov qui a tiré le premier. 
- Oui, mais Il a tiré en air. 
- Vous ne le savez pas sûrement. Est-ce que le lieutenant a tiré en air… Ou bien il a failli. Cela est aussi difficile de prouver, s'il on examine les événements sans parti pris. 
- Mais on a prouvé que votre arrière-grand-père a tiré à bout portant, et il a percé son cœur d'une balle de part en part. Cela veut dire que Martinov n'a pas estimé la distance et l'ordre successif des coups. A propos, il a avoué lui-même, qu'il s'est emporté. Alors, comment on peut parler d'un duel honnête ? 
- Les intérêts, les bruits courts, les commérages… Mais moi, je peux nommer autre document bien significatif : l'état-major du corps kazakh – après avoir examiné tous les faits, a annoncé que le lieutenant Lermontov est mort au duel. Dans ce document il n'est pas écrit qu'il a été assassiné. 
- Peut-être, je ne me rappelle pas. Mais je me souviens très bien du premier examen médical du docteur Barklaya-de-Toll…
Si mon opposant croyait qu'il pouvait me vaincre facilement, maintenant il voyait très bien que ce n'était pas possible. Et ici, mais une seule fois, il a utilisé un procédé défendu :
- Mais, quand-même, vous n'êtes pas Russe… Et voilà pourquoi, peut-être il vous est difficile de comprendre tous les détails de ce duel, toutes ses nuances. 
- Oui, je ne suis pas Russe, je suis Kazakh. Mais quant à cette histoire, j'en sais beaucoup de choses. Peut-être commencerons du surnom que Lermontov a donné à votre arrière-grand-père à Piatigorsk ? Je ne pouvais pas le répéter en français. En russe ça sera : le chevalier des montagnes sauvages, l'homme avec un poignard grand. 
Mais soudain notre conversation, qui était déjà dans une impasse, a été soudain interrompue par l'apparition sans bruit de la petite table sur les roues. Fine comme la canne, belle comme une fée, chantée par Lermontov, la fille Indienne - l'hôtesse de l'air nous a offert un déjeuner opulent. Sa place importante y tenait aussi le cognac – le brandi anglais. 
Les sandwichs excellents, les bananas, du citron coupé par des tranches en dentelles – tout cela me semblait insipide. A mon avis, l'arrière-petit-fils de Martinov, qui regardait distraitement le hublot, a fait une gorgée de brandi avec une grande indifférence et maintenant il suçait une tranche de citron.
Et quand-même après le déjeuner notre conversation se passait dans un ton tout à fait différent. Elle était maintenant un peu élégiaque. Mon interlocuteur, en me souriant amicalement, me disait :
- Permettez-moi de remarquer que vous n'êtes pas si correct dans vos accusations. Vous dites : la race de Martinov montre l'irrévérence envers le souvenir de Lermontov. Est-ce que vous-voulez savoir ? Dans notre appartement de Paris, jusqu'à aujourd'hui dans la place la plus honoraire, nous tenons sous cloche, le volume de Lermontov, avec la signature au titre de donation à Nicolay Solomonovich Martinov, lui-même. Pour nous c'est une relique sainte.  
Je montrais un grand respect à l'égard de cette énonciation, mais je ne pourrais pas le prendre comme argumentation pour la supposition exprimée juste au commencement de notre duel, comme si Martinov ne pouvait lever son arme contre son ami et contre le camarade d'école. 
- Je crois que le livre est gardé grâce aux sœurs de votre arrière-grand-père. On sait très bien, que sa mère, qui est votre arrière-grand-mère éprouvait une grande hostilité à l'égard de Lermontov, quand ils se rencontraient encore à Moscou. Et ses filles l'acceptaient avec plaisir. Je ne sais pas la cause de ces désaccords et de ces malentendus familiaux. Je peux seulement supposer que le livre est gardé grâce aux sœurs de Martinov.  
- C'est bien probable. Mais notre arrière-grand-mère n'éprouvait aucune hostilité à l'égard de Lermontov. C'est un rien. Il a évoqué sa désapprobation par son seule action.  
Quelle bagatelle, quelle action, il ne s'est pas mis à entrer dans les détails.
Je regrette bien, mais à ce moment-là je ne pouvais pas lui avancer quelques arguments, lesquels me sont devenus clairs seulement après mon retour à Alma-Ati, où j'ai repris le livre au sujet du destin de Lermontov, sous l'impression de notre conversation. Cette bagatelle pourrait être le paquet que Lermontov devrait délivrer à Martinov. Dans le paquet il y avait de l'argent. Mais pendant le trajet on l'a volé. Il est clair, que Lermontov a récompensé l'argent. Ou bien – le commérage que Lermontov a repris la lettre des sœurs Martinov. Comme si c'était la cause de la querelle et du duel. 
Les savants ont prouvé que ce malentendu avec le paquet s'est passé bien avant le deuxième exil à Caucase. On a tiré au clair ses relations, Martinov et Lermontov continuaient de fréquenter. 
Je me permets une citation du livre d'Andronikov, où il exprime tous ces faits. Ces faits m'ont bien manqué au ciel indien, sur la hauteur de sept mille mètres :
« Juste à ce moment, quand Dubelt propageait par Pétersbourg le récit sur les lettres ouvertes, par Moscou se sont répandus des ouï – dire que « Martinov avait le droit » d'appeler Lermontov, « comme si la princesse Marie, sa sœur…» 
… La calomnie a fait son affaire. Les racontars sur la princesse Marie et sur le fait que Gruchnitski représente Martinov lui-même, en ainsi accordant à cet événement un caractère scandaleux, ont attiré l'attention commune à l'autre part, en ainsi permettent, comme il semble, de cacher pour toujours le caractère politique du duel. 
Non, le poète n'a réussi de se cacher des manteaux bleus derrière la chaîne de montagnes de Caucase. A Piatigorsk le lieutenant Kuchinnikov a tellement tourné le déroulement de l'enquête pour pouvoir cacher la vérité et il le faisait sachant très bien non seulement la volonté de ses chefs Dubelt et Benkendorf, mais aussi du prince lui-même.
Je sentais que nous n'avions plus à mener une conversation. Mais l'arrière-petit-fils de Martinov ne voulait ainsi terminer la conversation, à demi-mot. Mais soudain il s'est réanimé et il s'est penché vers moi :
- Serait-il intéressant pour vous de savoir, qui j'ai rencontré l'année passée quand je suis venu à Genève, - a – t – il dit en souriant mystérieusement. 
- Et qui ?
- L'année passée j'ai rencontré l'arrière-petit-fils de Dentes ! Parole de l'homme d'honneur ! De Dentes lui-même.
Il devait ainsi gagner du temps, pour se remettre de l'inattendu. Deux grands poètes, deux grands assassins. Mais la vie se continue, et maintenant, à nos jours, leurs arrière-petits-fils tâchent de présenter les événements ainsi, comme si il n'y avait rien d'extraordinaire dans les duels entre l'élève de l'école militaire - Pouchkine et le lieutenant Lermontov. Mais la rencontre de ces deux descendants – quel écrivain pourrait se permettre une invention pareille :
- Oui, de Dentes ! – a – t – il répété et il a prononcé en soulignant, comme si en déclarant : - l'assassin de fameux Pouchkine…
- Et qu'est-ce qui s'est passé ? – La question pas trop sage, mais je n'en ai trouvé une autre. 
- Cela s'est passé dans un restaurant… A ma table s'est approché et s'est assis un homme bien élégant, un peu plus jeune que moi. A vrai dire, ses manières ne m'ont pas plu. Un tel ton… Complaisant et protecteur. Un reptile. Comme s'il voulait me faire son compagnon. Tout de suite il a répliqué qu'il connaissait très bien ma généalogie, et il m'a dit à quelle race il appartenait… Il m'est devenu évident, qu'il s'était assis près de moi pas par hasard. J'ai tâché de vite payer l'addition et j'ai vite quitté le restaurant, sans lui serrer la main pour faire adieu. 
J'ai cru à son récit.
Il était bien possible que l'arrière-petit-fils de Dentes cherchait volontiers une rencontre avec l'arrière-petit-fils de Lermontov. Le descendant de l'homme qui a mené un combat honnête avec Lermontov, n'a pas voulu partager son dîner avec le descendant de l'assassin vil de Pouchkine !
- Et savez-vous, - me suis-je souvenu. –Est-ce que vous savez que Dentes faisait son service militaire au régime de cavalier de la garde. Et votre arrière-grand-père, lui aussi est entré à l'armée aussi des cavaliers de la garde. 
Cette coïncidence remarquable, mais tout à fait par hasard, n'a pas réjoui mon interlocuteur. Il s'est tu.
Dans notre duel avec lui il n'y avait ni le vainqueur, ni celui qui avait vaincu, ni celui, qui avait perdu. Personne n'a changé d'avis. Il ne me restait qu'à m'étonner que la race de Martinov, même dans sa cinquième génération, se tenait à la version, qui avait paru insolvable aux gens intelligents, il y a cent vingt-cinq ans. Plus tard j'ai pensé, que ce n'est pas tout à fait par la naïveté, même pas par l'ignorance de vraies circonstances de la vieille affaire, qui n'a pas cessé d'être moins infâme avec le temps passé. 
L'arrière-petit-fils de Martinov s'est mis à se préparer. Il devait sortir à Hong-Kong, et à vrai dire je ne regrettais nullement que je devrais passer le reste du trajet tout seul. 
Il m'a demandé de lui offrir un paquet d'allumettes, avec une étiquette russe si agréable et si vraie. Je lui en ai offert deux. Il m'a promis de m'envoyer de Paris un exemplaire de mon roman « Le soldat venu de Kazakhstan», que l'on y a publié dans la traduction française. (Le facteur emmène le livre probablement à pied, parce que je l'attends jusqu'à ce moment). 
Nous avons fait adieu à l'aéroport de Hong-Kong, et ici, à vrai dire, je pourrais terminer le récit au sujet de vieilles affaires terrestres, que j'avais entendu dans le ciel, sur la hauteur de sept mille mètres. 
Mais mon récit va se suivre.
Dès que je suis arrivé à Tokyo, j'ai été pris par le remous de nouveaux événements, de nouveaux soucis, de nouvelles affaires – bien agréables, pas trop agréables, et tout à fait désagréables.  Dans ce cahot j'avais oublié entièrement le nom de l'arrière-petit-fils de Martinov. Il me l'avait dit pas très distinctement au commencement de notre connaissance. Il est vrai, qu'il l'a ensuite répété quelques fois. Mais, que faire, je l'avais oublié !
Il n'y avait qu'une seule solution : écrire à I. L. Andronikov. Il sait absolument le nom de celui avec qui j'avais passé six ou sept heures sur le trajet de Delly à Hong-Kong. J'espérais sur la riche mémoire et sur l'érudition universelle du savant. Et je ne me suis pas trompé. 
Je ne pouvais pas lui annonces les indices précis. Il porte le nom de sa ligne maternelle, - c'est surtout de ce côté que Martinov, s'étant marié à Kiev, a reçu un héritage riche. Chitko, ou bien, peut-être Tichko. Il commence par T ou Ch, et si je ne me trompe pas, alors il se termine en O.
L'homme qui était bien obligeant à l'ancien mode, Irakli Louarsabovich n'a pas retardé sa réponse. Il m'a envoyé une grande table généalogique des Martinov, pas moins détaillée, que pourrait être la généalogie de Gengis Khan ou de Tamerlan. Tout y était écrit : qui, quand et avec qui s'était marié, et quelles d'autres branches s'étaient formées de la ligne et quel comportement chacun d'eux avait par rapport à ce duel ancien…
Le nom de mon ami de cette querelle n'était ni Tichko, ni Chitko…
Et comment ?... 
Je ne pourrais commencer ce récit depuis longtemps, parce qu'il y avait toujours des affaires qui me détournaient. Comme un homme d'ordre j'ai tâché de garder la lettre d'I. L. Andronikov au lieu le plus sûr, où je pourrais la rechercher facilement, et, qui est le général, y n'atteindraient pas les mains de ma femme et de mes enfants. 
Mais je l'avais cachée où, je ne pouvais me rappeler, quand le temps est arrivé pour écrire ce récit. A ce moment-là quel lieu m'a paru le plus sûr ? Dans les œuvres complètes de Tchernichevski ? Ou bien de Bélinski ? Ou bien de Lermontov lui-même ?  
Ils se taisent tous. 
A ce propos j'ai eu une conversation sévère pas une seule fois avec ma femme, en somme de laquelle le coupable étais bien sûr moi. Peut-être ma femme avait raison.
Mais moi – j'ai eu dans le ciel la rencontre avec l'arrière-petit-fils de Martinov, qui s'est heurté avec l'arrière-petit-fils de Dentes, à Genève. 
- Et ici, c'est moi, qui a raison. 

* * *
Nous avons enfin trouvé la lettre.
Son prénom était – Kvitko.


1968



MAÏRA

Je ne sais pas comment cela résultera…
… Mais quand même il faut tâcher et se présenter des sables sourdes loin de la rivière inquiète, les vagues muettes des dunes du désert, les broussailles fantasques du saxaoul et les touffes denses des plantes sur les pâturages des produits de distillation, les terrains diamantifères des salifères, - pour y revenir et revoir Maïra. 
Si cela arrive en automne de novembre ou bien aux premiers jours de l'hiver, alors il est le plutôt possible de rencontrer Maïra et son mari Tanach – le berger en chef aux étendues de Djnguilda, pour ce temps-là ils y gagnent le troupeau. 
Mais le jour, où se déroulera le récit, Maïra est restée seul dans les sables. Il a coïncidé ainsi… La veille, le vieillard – le garde de nuit – a obtenu la permission de partir à la maison pour quatre jours, à l'aul, comme on nomme la maison et dépendances centrales du sovkhoze. Et Tanach a été obligé de se préparer à l'improviste. Leur fille Aïgueuse, âgée de trois ans a pris froid… Qu'elle reste sous la garde de sa grand-mère et de son grand-père. 
Il a fait chaud la semaine passée, et le soleil a fondu la neige tombée à la fin du mois de novembre. Dans le silence on pouvait entendre le craquement amical qui conduit le troupeau au pâturage. Dans l'après-midi Maïra a retourné. Malgré que les moutons n'ont plus faim, quand-même ils ne cessent pas de brouter, et ils arriveront jusqu'à la bergerie au coucher du soleil. Juste comme il le faut…
Elle les suivait sans se dépêcher, et le cheval roux du berger, avec sa crinière et sa frange pas coupée, était bien habitué et il savait qu'il fallait ainsi, il ne tâchait même pas à repasser à son galop léger, sentant le retour. 
Affaiblie sur la selle, Maïra songeait qu'elle aussi n'était pas contre de rencontrer les vieillards, d'aller au magasin et au cinéma, cancaner avec ses amies, de qui elle ne se séparait avant, mais maintenant elle les voit seulement de cas en cas. Elle était même prête d'être présent aux réunions, où l'on dit des éloges aux éleveurs des moutons et on les gronde dans la mesure, et parfois les gens n'ayant jamais tenu dans leurs mains le bâton du berger, expliquent les nuances de ce métier. Elle pouvait ramener Aïgueuse aussi, mais Tanach avait des affaires au bureau. 
Les chiens accompagnaient le troupeau au petit trot affairé – il y en avait trois à Djnguilda. Aucun d'eux, même le gros meneur du troupeau à la couleur noire-blanche n'appartenait pas à une race pure. Mais ils sont nés dans les sables, leurs ancêtres les plus arrières sont nés et ils ont passé toute la vie près des yourtes des bergers, et voilà pourquoi dans leur sang était établi de servir à l'affaire de leurs patrons par tous les moyens bons ou mauvais. Rien ne pouvait se cacher de leur vue perçante et de leur flaire excellent, et ils ne s'abaissaient jamais par une fausse alarme ou par un aboiement en vain. 
Soudain le meneur du troupeau, ayant bon flair, a senti quelque chose et il s'est jeté vers Maïra, il a sauté près de l'étrier, en gémissent, ensuite il s'est mis à aboyer éperdument et il continuait d'aboyer sans cesse, comme si voulant prévenir quelque chose à sa patronne. Mais – quoi ?
Ses jeunes aides, n'ont même peut-être compris qu'est-ce qui s'est passé ou doit se passer, mais ils se sont tout de suite rejoints au supérieur. 
Les moutons se sont mis à leurs gardes selon la conduite des chiens. 
Les moutons, tous les quatre-vingts, ont levé leurs têtes, se sont entassés et en écarquillant leurs yeux fous, se sont mis à regarder de tous les côtés effrayés. 
Maïra s'est soulevée sur les étriers et elle n'a pas eu le temps de jeter un coup d'œil, quand un coup de vent a frappé à tour de bras. Le vent l'a rejetée sur la selle, a mélangé la crinière du cheval et par la frange il a fouillé ses yeux. Par un seul instant tout est devenu calme. Le jour plein de soleil s'est obscurci, comme si cette bourrasque a éteint le soleil, et tout de suite s'est élevée une tempête de sable. Il est devenu difficile de respirer. Le vent frappait de tous les côté : latéralement, en arrière et en face… Le plus tôt possible était ce que s'étaient heurtés notre propre « afghan» du sud-ouest et la tempête de neige du nord. Le sable, levé en air, se mêlait avec la neige, ce mélange battait à coups de verges le visage, se rassemblait derrière les cols, sous les revers du veston. 
Le cheval sous Maïra tournait hébété à la même place, n'hésitant pas de se mettre en marche, il baissait sa tête vers la terre. Il n'y avait qu'un salut – arriver jusqu'à la bergerie le plus vite possible de n'importe quel moyen : à travers le vent, par la force. 
Parmi les animaux bêtes du monde les plus bêtes sont les moutons noirs-gris. Dès qu'ils se serrent l'un contre l'autre, ils perdent le moindre reste de l'imagination, et si l'un se jette par la direction du vent, alors tous les autres le suivent.
Deux vents de deux différents côtés se tournaient, se heurtaient, s'éloignaient et de nouveau – qui à qui ils se jetaient du sable et de la neige violemment. Les moutons se jetaient sans raison à la suite des bourrasques, et le plus dangereux c'était de les manquer.
Maïra a sauté sur la terre, et en trainant le cheval par la bride, elle est arrivée à la tête du troupeau à peine. 
- Tchok, tchok, tchoké !... Tchok !...,-criait-elle, en ainsi appelant le meneur - le bouc gris avec les taches blanches, mais le plus jeune et le plus compréhensif.
- Le bouc, en repoussant les moutons en désordre, s'est poussé à la cuisse de la patronne. 
Quand les moutons de devant ont remarqué le bouc, et avec lui le cheval roux connu et aussi Maïra en veston noir, ils se sont calmés un peu, ils les ont suivis, et les autre ont trottiné.
Maïra a sifflé d'une manière assourdissante – merci à Tanach, il a travaillé assez avec elle pour pouvoir la faire apprendre le sifflement du berger. Le chien aîné a répliqué et tous les trois chiens ont pris leurs places à tous les côtés du troupeau et en arrière, en repoussant les moutons par l'aboiement exigent. 
Il est bien qu'aujourd'hui elle faisait paître pas loin. Sinon, qu'est-ce qu'elle devrait faire ? Le vent peut chasser facilement le troupeau par une centaine ou une demi-centaine de kilomètre… Comment on le gardera dans ce tourbillon affreux. 
Quand Maïra s'est heurtée contre la haïe tressée de la bergerie et elle s'est mise à s'approcher de la porte cochère en marchant sur le mur, la tempête a tout de même vaincu la résistance de « l'afghan». La neige est devenue plus dense, il faisait froid. Mais les moutons n'ont pas compris où est-ce que le bouc les menait si obstinément, pourquoi les chiens se fâchaient, en les repoussant, sans permettre de retourner, - les boucs ont reconnu leur bergerie et ils ont commencé à bêler, comme si en s'étonnant comment est-ce que cette bergerie s'est apparue sur le chemin dans l'obscurité totale où il était impossible de comprendre quelque chose. 
La tempête a accéléré l'arrivé des crépuscules d'hiver quand-même précoces. Déjà presque dans l'obscurité Maïra est allée à la maison – à cent pas d'ici, après avoir fait rentrer les moutons et poussé le verrou lourd de la porte cochère.
Aux pâturages de l'hiver la maison du berger était faite en pierre, et elle se composait de deux pièces. La petite maison semblait perdue parmi les sables. C'était le poste récepteur en transistor qui aidait Maïra et Tanach de survivre le sentiment de l'isolement. Ils le mettaient en marche, sans arriver à se déshabiller – il était depuis longtemps leur ami et leur interlocuteur, et même pour Aïgueuse il racontait des contes pas terribles. 
Maintenant aussi Maïra a tout d'abord cliqué le bouton métallique et juste après elle a apporté une brassée de saxaouls battus pour le poêle à carreaux de faïence, qui chauffait toutes les deux pièces et avait un point commun avec le poêle de la cuisine. 
Il faisait froid dans la maison. Il y avait un courant d'air entre les fenêtres. Voilà… La première tempête comme si vérifie comment ils se sont préparés pour l'hiver ! Elle a garni la fenêtre de couverture. Et voilà… Le poêle s'est enflammé, la flamme pourpre-jaune se faisait voir parmi les trous de la porte, comme s'il faisait un peu plus chaud, mais la vapeur continuait de sortir, - comme si elle avait fumé, comme Tanach – une cigarette de la boîte rouge de « Prima».  
Elle a mis la bouilloire sur la cuisinière, elle avait décidé de faire bouillir l'eau dans une casserole légère en aluminium.  Dans le réservoir il en restait pour un seau et pas plus. Mais ce n'était rien. On a un seul profit de la tempête, c'est qu'elle a amoncelé et amoncèlera de la neige tant que l'on veut. On peut la fondre et ne pas se traîner avec le tonneau vers le puits. 
Maïra ne s'inquiétait pas pour soi-même. Mais Tanach, c'était déjà une autre chose… Il était parti avec Djanisbek, le directeur de la ferme. Celui-ci ne les a pas pris avec plaisir dans sa voiture, il se plaignait des ballons – chacun de quarante pièces, mais ils réussiront encore d'arriver… Qu'ils ne soient pas en retard ! Qu'ils puissent !
Il était vers cinq heures, mais dans la maison il était sombre, comme pendant la nuit, et en dehors on ne voyait goutte, quand Maïra, s'étant ceinte plus solidement, est allée à l'écurie.
Après la neige tombée si fortement on devinait l'écurie à peine et à son côté transsudait à peine le logement pour les chameaux. Et la bergerie qui se trouvait à peine de cent pas, ne se faisait voir nullement, comme si la tempête l'a balayée et l'a emportée ! 
Premièrement Maïra est entrée chez les chevaux, elle a couvert le roux et le cheval bai par les caparaçons, elle les a attachés à la crèche, tressée par les pousses du saxaoul jeune. Le foin leur suffira encore, ensuite on va voir. Comme on voit clairement un jour ne suffira pas à la tempête pour pouvoir se bien promener. 
Seulement qu'ils arrivent. Qu'Allah les garde de ne pas rester dans un vallon… Mais non, non ! Djanisbek conduit la voiture comme un vrai chauffeur. Il est vrai qu'il se plaignait des ballons, mais sa «voiture soviétique» est toujours en marche. Peut-être il y avait ses affaires dans la ville, mais Tanach et Aïgueuse lui ont dérangé. 
Il fallait emmener Aïgueuse chez les vieillards, ici pas de soupçons… Mais comment maintenant Tanach manquait à Maïra. Il enlèverait ses yeux vers le haut et il chanterait : « Le cheval-coursier, la belle femme… Voilà tout ce qui donne de la force à djiguite !». Ce sont les deux lignes uniques qu'il sait par cœur de la vieille chanson kazakhe nationale. 
Le plus souvent Tanach selle pour lui-même le cheval bai. Mais – le coursier, c'est un peu exagéré. Le cheval bai ne participe même pas aux courses qui passent entre les sovkhozes. C'est un simple cheval de travail.
Et la belle femme… Il est clair qu'il se proposait de Maïra. Est-elle belle ou non, elle ne le savait pas… Elle savait seulement que son visage était clair, il est impossible de pincer ses joues… Son nez est un peu levé. Mais les yeux… Tanach dit, si la nuit est sombre, et on ne voit pas les étoiles, alors il trouve le sentier de sa maison par ses yeux. Probablement il exagère… Et il aime encore quand elle sourit ou quand elle rit. Il dit que ses dents sont en perles fines, mais d'où est-ce que l'on a trouvé tant de perles dans leurs sables, loin des mers du sud, au moment où ils projetaient Maïra. 
Le chameau hongré doré-roux s'appuyant par sa bosse presque sur le plafond, mâchait du tabac et il n'a fait attention à l'apparition de sa patronne. Sa bosse était bien imposante. Et comment – tout le printemps, tout l'été et juste la moitié de l'automne il ne faisait que traîner leur yourte d'un terrain à l'autre. Maintenant aussi il n'a pas beaucoup de choses à faire : un ou deux tonneaux d'eau du puits voisin. Mais il est toujours mécontent quand on lui met des brides, il rugit, il vocifère, il proteste. 
Si l'on le met sur la litière de paille et si l'on l'embâte, alors le chameau hongré est prêt de rester couché dans cette situation tant qu'il le faut, même si la tempête s'enrage pendant deux semaines. Mais non, il ne faut pas que la tempête dure si longtemps. 
En cachant son visage par ses deux mains de la neige épineuse, en s'étouffant, se tenant à peine sur ses pieds, Maïra a tout de même repassé les cent pas, et elle a vérifié si l'on a bien poussé le verrou lourd de la porte cochère. A son retour – le vent l'a repoussée vers sa maison par trois ou quatre coups. 
Maintenant il ne restait qu'à donner manger aux chiens, et ensuite elle pourrait prendre soin d'elle-même. 
Le poêle à carreaux de faïence ne s'était pas chauffé comme il le fallait, amis dans la chambre il n'était pas tellement froid. Le saxaoul s'enflammait, en pétillant dans le foyer, et la bouilloire aussi bout, et dans la casserole aussi l'eau bouillonnait. Mais il fallait amener du saxaoul encore en plus, pour que le poêle en fonte devient plus rouge, pour que les pièces chauffées ressemblent à un logement. Ils se sont retenus aux pâturages d'automne, et alors Djanisbek n'a pas envoyé chez eux à Djnguilda la brigade pour y faire des réparations, comme il l'avait promis. Et si l'hiver est sévère, alors est-ce que le saxaoul suffira ? Il faut demander d'envoyer une ou deux voitures de charbons. 
Deux fois elle est allée à la cuisine pour apporter du saxaoul. Enfin elle pouvait enlever et le veston, et le chapeau garnis de la fourrure du renard. 
Le poste de récepteur a parlé du temps – comme on a su, par tout le pays passent des tourbillons, des tempêtes, des ouragans en causant beaucoup de mal. Seulement qu'il puisse, seulement que Djanisbek puisse arriver jusqu'à la tempête à l'aul ou bien jusqu'à Erdanla, ou se trouve la cité ouvrière de la troisième succursale du sovkhoze. 
Maïra a tourné un petit peu le bouton et le poste récepteur a attrapé le régional de leur ville. Le speaker a dit que maintenant va prendre parole le chef de la gestion de l'agriculture de la région Daükénbaëv, il semble que son nom était ainsi. Maïra l'a vu une seule fois – il passait par les pâturages avec les chefs des régions et des sovkhozes. Ils s'étaient retenus à leur bergerie, ils ont dit des éloges pour la situation des animaux, mais ils ne sont pas restés pour boire du thé, malgré que tout était prêt, ils ont continué leur chemin. C'était au moment quand on faisait le contrôle pour savoir comment on accomplissait leur devoir de faire accroître dans la république le nombre des moutons jusqu'à cinquante millions. 
Maintenant Daükénbaëv parlait d'une voix rauque, peut-être il donnait des coups de téléphone aux régions, criait dans le récepteur, pour savoir au juste comment vont les affaires, et c'est plus pis que passer un jour entier sous le vent. Il y avait du bruit dans le poste récepteur et Maïra n'a pas compris beaucoup de choses. Mais elle a compris que la tempête a déjà pris tous les districts de la région. Encore Daükénbaëv avait dit «… il y aura un courant d'air aux fenêtres encore trois jours… aux pâturages… toutes les mesures… ».
Maïra a souri : Peut-être il sait même comment il faut prononcer correctement le mot « fenêtre», mais il le prononce de manière habituée. 
- Trois jours ?, - a – t – elle prononcé à haute voix en s'adressant au poste récepteur. En tout cas – compteront cinq. Ou bien six. Et elle a pensé : je serai obligée de tout faire seule. Tanach ne réussira pas à repasser. Que Dieu le garde pour ne pas tâcher de le faire. Sept vallons profonds sur le chemin des enclos jusqu'à Djnguilda. Sans doute ils sont tous couverts de la neige jusqu'aux bords. Même le bulldozer ne passera pas par là. « Le berger avancé ne s'est pas habitué de se perdre dans n'importe quelle situation, même dans la plus difficile», - s'est-elle rappelée une proposition d'un article lu. – Alors il est maintenant juste le temps de garder le nom du berger avancé ! 
Il faut aussi du cabinet de débarras froid emporter à la maison le pantalon piqué en coton – demain elle ne se passera pas sans ce pantalon, malgré le fait qu'elle n'aimait pas un tel habit pas féminin. Mais elle pourrait faire tout à fait une autre chose – vivre dans l'enclos central ou dans le district ? Pourquoi pas … Mais non seulement elle le pouvait, elle y avait même vécu ! Tanach a débauché quand leur fille avait déjà un an. Avant elle, Tanach travaillait déjà dans la brigade des bergers et il a aimé les sables pour le sentiment de la liberté, pour la sûreté de ses forces, la quelle tu éprouves quand tu erre avec le troupeau d'un pâturage à l'autre… Mais ensuite elle aussi a aimé les sables…
  Maïra s'est vite déshabillée et elle est tombée sur son lit, elle s'est couverte de deux grosses couvertures, en les mettant soigneusement sous elle-même, pour ne pas sentir nulle part le courant d'air. Dans cette affaire, gloire à Djanisbek, on n'aura pas besoin de n'importe quelle brigade de réparation !
    Maïra s'est endormie plus tôt que sa tête a touché l'oreiller en taie d'indienne, couvertes de joyeuses fleurs du printemps. Et encore elle n'a fait rêve que…
Comme si quelqu'un l'a poussée à l'épaule, et elle a ouvert ses yeux dans l'obscurité profonde. Elle a prêté l'oreille. Comme avant, maintenant aussi la tempête hurlait de différentes voix, et même ces voix étaient devenues plus dures. Ou bien tout cela lui semblait à moitié endormi :
…Il était cinq heures moins le quart, quand elle a allumé la lampe de paraffine. Elle pouvait s'endormir encore une heure, mais déjà elle se sentait reposée, prête aux événements inattendus du jour difficile, et elle ne s'est plus mise à se coucher. 
Elle a mis en marche le poste récepteur, mais celui-ci se taisait, il sifflait seulement, comme s'il l'avait appris de la tempête.
Elle a pris son petit déjeuner à la hâte, elle a bu du thé, elle s'est habillée plus chaudement et elle a ouvert la porte de l'entrée. Maintenant il était un peu possible de voir. Pendant la nuit la tempête a sculpté de grandes congères de neige, a tiré les crêtes des remparts de neige, mais tout cela ne lui suffisait pas, les essaims denses des flocons de neige volaient dans l'air, en ainsi formant un rideau épais. Pendant la nuit la neige s'est gelée. Maïra est arrivée à la bergerie, sans laisser des traces. 
La veille le soir quand elle s'était couchée pour s'endormir, elle était sûre que le matin elle ouvrirait le chemin jusqu'aux grandes meules de foin – encore cent mètres loin de la bergerie, elle y chasserait les moutons pour mâcher tant qu'ils voulaient. Maintenant elle a compris qu'elle ne pourrait rien faire. La tempête avait accumulé tant de neige, que l'on n'avait pas vue pendant d'autres hivers. En continuant de poser la pelle dans la neige durcie, 
Maïra pensait désespérée - ici il faut mettre en marche le bulldozer, ici il faut un aul entier des hommes bien forts qui puissent creuser la neige sans sentir de la fatigue ! Mais qu'est-ce que peut faire une seule pelle dans les mains d'une telle femme. Cent mètres… On peut creuser jusqu'au printemps, mais jusqu'au printemps la neige se fondra tant-même.
Maïra a pleuré du sentiment de l'impuissance, de l'impasse totale. Elle se tenait debout, accroupie sur la pelle et elle sanglotait amèrement. Seule… Si à sa place était un homme, alors il inventerait et il ferait absolument quelque chose. Mais si l'on pleure – alors on gèle seulement les joues… Nul d'autre profit des larmes. Et agiter en vain la pelle, cela aussi ne sert à rien. Tout simplement on se fatigue…
Elle est revenue vers la maison, elle est allée vers l'écurie. Le cheval bai et le roux ont tourné leurs têtes au bruit de ses pas, et ils ont fait un somme. Ils ont besoin de quoi ? Il est clair- pas de foin dans les crèches… Ils ont bien tâchée…
O, les âmes des ancêtres décédés, apprenez-moi que faire ! Ils ne se perdraient pas sans doute. Ils n'avaient aucune idée sur les bulldozers. Mais est-ce qu'il serait possible de trouver tant de pelles et tant de mains dans la bergerie perdue ? Et les tempêtes, elles passaient dans les sables à ces temps aussi, et elles étaient aussi cruelles, que maintenant. Mais les ancêtres décédés ont trouvé des solutions, n'est-ce pas… ? Ils étaient éleveurs du bétail avant d'être nommés Kazakhs. De quatre sortes permises du bétail, chaque sorte avait son protecteur. Le protecteur-Kambar – pour les chevaux, l'âme-protectrice Zéngui – pour les taureaux et les vaches, Oïcil – le protecteur des chameaux, Chopan-protecteur pour les moutons. Comment est-ce qu'ils agiraient ? Il fallait être un issu, il n'y a jamais au monde des situations sans aucun issu !
Elle avait entendu quelque chose pareille… Vraiment elle avait entendu… Mais il fallait faire des efforts et se rappeler : quoi ?
Dans la famille de Tanach son grand-père parfois disait, maintenant on ne se rappelle pas pour raison, que le mouton ne mourra là, ou il y un cheval juste à côté. Cela veut dire que le protecteur-Kambar viendra à son aide. Mais il n'a pas de pitié pour les fainéants et les fainéantes, qui sont debout les mains lâches, penchés sur le jambage de la porte cochère et versent des larmes. 
Maïra a essuyé à sec ses joues par ses gants. 
- Non, vous n'aurez pas maintenant rien à manger, - s'est-elle adressée au cheval bai et au cheval roux, et ils ont dressé leurs oreilles tout droit. – Vous devez gagner votre dîner, m'avez-vous compris ?
Elle les a détachés, elle s'est enlevée, et dans ses habits lourds elle s'est à peine jetée sur le cheval roux sans selle, et elle a tiré le cheval bai par sa bride. Mais il est arrivé – sur la neige durcie du pâturage on gagnait le troupeau en avant et en arrière, et les chevaux fragmentaient, concassaient la couverture de la neige, pour que les moutons puissent arriver à la bergerie. 
Au lieu du troupeau elle a maintenant deux chevaux, huit onglons… Mais il ne sera pas nécessaire de travailler sur tout le pâturage, il faudra tout simplement ouvrir un chemin de la bergerie jusqu'à la meule, pour que le troupeau puisse passer, et – tout autour – enlever le neige, pour que les moutons ne se noient pas jusqu'aux ventres. 
Elle avait déjà perdu le compte – combien de fois elle avait fait ce chemin, et toutes les fois en plein galop. A la fin elle a passé aussi à pied, pour voir le résultat, pour savoir si le troupeau arrivera à passer. Il faut tâcher, parce que le bêlement des moutons qui avaient faim, devenait déjà insupportable. 
Elle a risqué :
- Tchok, tchok, tchoké ! ... Tchok !  Tchok !
Comme hier, aujourd'hui aussi elle passait sur le cheval en avant, le bouc la suivait, en montrant sévèrement ses cornes, parce que la tempête le tirait par sa barbe, et cela ne lui plaisait pas. Les chiens – par les côtés et en arrière. 
Quand ils sont arrivés jusqu'à la meule, elle a de nouveau pris la pelle, mais elle n'avait plus ce sentiment de désespoir, comme le matin. Les moutons la suivaient pour arriver jusqu'au foin, et le craquement ordinaire des moutons, que la tempête même ne pouvait pas tuer, calmait et donnait de la force à Maïra. L'odeur du foin frais a fait rappeler l'été, préoccupé dans la meule emballée. 
Le cheval bai et le cheval roux aussi ne s'en retiraient pas, tout simplement ils la repassaient parfois, pour attraper les moutons agités. Maïra ne croyait pas que cela se terminerait un jour… Mais enfin un assez grand territoire était ouvert. Le craquement devenait de plus en plus fort. Il est vrai que les moutons se serraient en peu, mais la place suffisait à tous, et là, où le lieu suffisait, ils se retiraient eux-mêmes, pétrissant la neige. 
La deuxième partie du jour avait déjà commencé. Il commençait à faire sombre. Elle était obligée d'oublier les mots tels que la fatigue et la faim. Elle a encore songé – elle est tombée dans les sables non pas parce qu'il n'y avait pas assez de place à l'aul pour elle ! Elle résistera à cette tempête aussi, mais d’où est-ce qu'elle prend tant de force pour souffler sans cesse même contre le Dieu, si elle n'a aucune d'autre occupation que de suivre la femme qui est restée seule sur le cheval du berger. 
Les moutons plumaient les côtés de la meule, et il était vraiment impossible de les chasser. Maïra a décidé, comme il ne faisait pas encore nuit de rentrer à la maison, pour se chauffer un peu et manger quelque chose.  
Les chevaux se sont retirés pas volontiers, mais deux ou trois coups de fouet ont augmenté leur pétulance, ils ont pris le galop en dissipant le rideau de neige, et ils se sont arrêtés brusquement seulement devant les portes cochères de l'écurie. 
A la maison la lumière de la lampe à pétrole a éclaircit les fenêtres fermées par les couvertures d'indienne par les sourcils touffus poilus.  
Ou bien c'était le temps du déjeuner ou bien du dîner… Que préparer pour que ça soit facile et simple ? La queue grasse du mouton ?... La pomme de terre n'est pas endommagée par la gelée – y ajouter aussi des pommes de terre. Et bien sûr du thé. Mais avant que tout cela soit prêt, il est juste le temps de sucer un morceau de curd, qui apaise et la faim, et la soif.  
Tanach devrait maintenant se prélasser dans le chaud, si la chance les a accompagnés hier. Mais aujourd'hui elle n'a pas eu un seul moment pour penser à Aïgueuse.
- Ne vous inquiétez pas pour moi, tout sera bien,- s'est-elle adressée à eux. Tout simplement je vous prie de ne pas me détacher de mes affaires, n'apparaissez pas devant mes yeux… Restez deux ou trois jours sans moi. Est-ce que c'est si long ? Mais non…
Elle a ri de ses instructions. Mais quelqu'un doit faire des plaisanteries dans leur maison, si ce soir on n'entend pas celles de Tanach !
Tandis que la queue grasse du mouton cuisait, Maïra a décidé de faire accrocher une lanterne, appelée on ne sait pas pourquoi «la chauve-souris », il est ainsi écrit dans l'inventaire de la déclaration. Mais quand elle a enlevé en dehors la lanterne, alors celle-ci a failli devenir vraiment volante – le coup de vent a failli l'arracher de ses bras. 
Alors elle l'a emmenée dans la stalle, chez le chameau - il y était couché, et il se sentirait mieux avec la lumière. Et en cas du danger, les loups aussi ne s'approcheront du lieu, où il y a de la lumière. 
Elle tâchait d'ouvrir déjà l'anneau de la porte cochère, quand soudain – dans un endroit calme entre la stalle de chameau et l'écurie – ont brillé d'une lumière perçante les yeux lilas-bleus, trois pairs des yeux on ne sait pas de qui ! Ne laissant pas la lanterne de sauvetage, elle s'est jetée en arrière, elle a pris dans le hangar un bâton, que Tanach avait préparé pour elle, selon sa main, elle a sifflé ses chiens et elle est revenue.
- Ket-ket !, - a – t – elle crié, tâchant que sa voix soit décisive, grossière, et virile. 
L'animal de six yeux n'avait pas l'intention de reculer. Les chiens ne s'étaient pas encore approchés avec leur aboiement, mais Maïra, en levant plus haut sa lanterne, avait déjà compris qui avait trouvé l'asile dans leur bergerie. 
A l'aboiement terrible du chien bigarré l'un des venus a crié lamentablement.
- Eh, vous, les pauvres…, - a dit Maïra. Vous aussi, vous ne vous sentez pas à l'aise à la tempête pareille ?
Quand les chiens y ont trouvé seulement des antilopes, ils se sont calmés tout de suite. Ils les prenaient, comme c'était en réalité, pour les proches directes des boucs et des moutons. Il n'y avait rien à s'inquiéter… Les chiens se sont mis à faire des câlineries à Maïra, en faisant rappeler que si le temps du déjeuner est déjà passé, alors il faut penser au dîner. 
- Attendez un peu, un petit peu, - s'est-elle débarrassée.   
Les antilopes ne cessaient pas de trembler – de froid, de peur et de faim… Elles étaient trop maigres – la peau et les os. Les têtes des deux étaient ornées de cornes, la troisième était femelle. 
- Vous vous tenez sur vos pieds à peine, - a reproché Maïra, - et maintenant !... Vous avez couru tous les deux après cette belle et vous n'avez pas remarqué où vous a chassés la tempête. Mais ça ne fait rien, mes djiguites.
Elle a ouvert la porte cochère, a pendu la lanterne sur le crocher du dedans, et par un, en commençant de la femelle, elle a fait passer les antilopes dans la stalle. Ils n'ont pas résisté, mais par sa main elle sentait le battement désespéré du cœur de chacun. 
- Vous y serez plus calmes…
Le chameau hongré roux n'a fait aucune attention sur les venus du soir, à cause de sa morgue innée. Il ne l'intéressait nullement d'où ils étaient venus si impuissants. Il a avancé la lèvre inférieure poilue en ainsi faisant comprendre que les affaires d'autrui ne le regardent pas et qu'il n'a aucune intention de s'y mêler, tout simplement que l'on le laisse tranquille. 
- Partage ton foin avec les hôtes, - a dit Maïra.
Elle en a jeté deux brassés devant les antilopes, mais ils n'étaient pas encore capables de se mettre à manger. Mais, il est vrai, qu'ils le mangeront après avoir repris l'haleine.  
Quand Maïra est sortie, elle a bien fermé la porte cochère. Peut-être demain aussi elle aura la possibilité d'amener quelques brassés de foin pour le chameau hongré et pour les antilopes aussi. 
Elle donnait à manger aux chiens dans le hangar, derrière la maison. Elle leur a donné de la viande et aussi quelque chose à manger. Mais elle devrait y attendre, pour qu'ils ne se battent pas. Et c'était vraiment ainsi – le grand bigarré rugissait sans aucune occasion et montrait les crocs. 
Maïra a crié sur lui :
- Mais qu'est-ce que tu fais ?... Est-ce que l'aîné offense les petits sans aucune raison ?
Elle a aussi versé dans l'écuelle la soupe restée d'hier en le chauffant un peu sur le poêle. 
- Et maintenant – chez les moutons ! Chez les moutons !
Le chien bigarré a disparu dans la tempête le premier. 
Il faisait déjà sombre. 
Quand Maïra a pris la poignée de la porte, elle s'est soudain arrêtée, choquée par supposition momentanée. Les antilopes…  Comment elle n'a pas deviné tout de suite ? Peut-être les antilopes se sont jetées vers l'habitation humaine, en se sauvant ainsi des loups. 
- Il faut se dépêcher…
Elle l'a dit déjà dans la chambre.
L'homme deviendra sauvage, s'il ne prononce pas pendant le jour une qualité fixe des mots. Combien de mots, les savants n'ont pas encore fixés. Mais parler - c'est aussi une nécessité vitale, que le repas, la boisson et le sommeil… Maïra n'en a pas pensé, mais sans doute elle en avait besoin – voilà pourquoi elle parlait non seulement avec Tanach, qui était absent, mais aussi avec les moutons, avec le bouc barbu, avec les chiens et les antilopes, avec le chameau roux hongré, plein du sentiment de sa propre dignité. 
Et dans la chambre elle s'était adressée à elle-même. 
- Mais qu'est-ce que tu fais ?... Regarde… Si tu restes assise près du poêle, alors les loups emmèneront tes moutons pour le dîner. Alors tu ne te passeras pas des reproches toute la vie ! Alors mange plus agilement et vite chez le troupeau !
La queue grasse du mouton était déjà prête à manger, on sentait le pain, la croûte de l'entame gelée qu'elle avait mise sur le poêle, s'était un peu brûlée. 
- Ça sera aussi bon que le bœuf-stroganov, - a – t – elle dit. 
Une fois ils ont dîné avec Tanach dans le restaurant, quand ils étaient dans la ville. Ils ont mangé du borchtch, et pour second plat – ce même bœuf-stroganov, les morceaux de la viande avec des pommes de terre. Elle avait erré assez longtemps dans les magasins avec Tanach, et le borchtch, et bœuf-stroganov leur ont paru extraordinairement bons. Ensuite ils ont bu du thé. Tanach se menait comme un vrai habitant de la ville. Il a appelé la jeune fille en tablier blanc, qui apportait à manger, et il a dit d'un ton important : « Avez-vous des gâteaux. Des gâteaux, s'il vous plaît…».
Elle a bu encore du thé, du thé tout noir, mais on ne préparait pas un thé pareil au restaurant– pour faire passer la somnolence. Elle a mis aussi dans son sein une poignée de curt, les mêmes ancêtres savaient très bien qu'est-ce qu'ils faisaient en le prenant pour le chemin. Elle a poussé la clef de la poêle, pour qu'il reste un peu chaud jusqu'au matin. Elle a un peu abaissé, mais elle n'a pas éteint complètement le feu de la lampe, en laissant pour la nuit. Que les fenêtres s'éclairent dans la tempête. 
En faisant adieu elle a regardé dans la stalle du chameau hongré. Les antilopes se tremblaient encore, mais elles s'étaient déjà levées et elles ramassaient le foin dispersé sur le sol en terre battue. 
Ensuite – encore sur le cheval roux, en tirant le cheval bai par sa bride, elle a passé le chemin jusqu'à la meule invisible. 
Ici les chiens l'ont accueillie avec grand plaisir, surtout tâchait le bigarré, en ainsi déclarant que les moutons sont saints et en sûreté, et maintenant surtout, quand la patronne est avec eux, tout sera mieux. 
Les chiens accompagnaient Maïra, quand elle visitait le troupeau mâchant. Les moutons avaient déjà considérablement mangé la meule de ce côté, les uns, qui étaient déjà rassasiés, s'étaient couchés en se serrant. 
- Je vous laisse à la garde du protecteur Chopan, qui est le protecteur des bergers et de leurs troupeaux, - a – t – elle prononcé solennellement. La grande touloupe noire enveloppait Maïra des pieds jusqu'à la tête. Les chiens s'étaient installés à son voisinage. De l'autre côté étaient debout les chevaux. En s'adossant contre le foin, Maïra sentait comment tremblait la meule sous la pression de la tempête, elle tremblait ne pouvant pas se retenir et elle a pensé que Tanach se querellait avec les conducteurs des tracteurs venus pas en vain, en exigeant de ne pas bousiller et de mettre le foin plus copieusement et plus sûrement… Que la tempête souffle… Il fait chaud dans la touloupe, de ce côté le vent ne cause pas de souci. Elle peut s'endormir une ou deux heures. On dit que le mouvement donne de la force et le sommeil de l'activité… Il est vrai qu'aujourd'hui elle a supporté seulement la première partie de cette édification. Mais dormir… Soudain elle s'est souvenue qu'elle avait lu quelque part : « Le sommeil est le bâillement de la mort». Maintenant ces mots ont passé pour une précaution. Si tu t'endors, la tempête remplira de terre elle-même, elle chantera elle- même le requiem et elle se jettera en avant, dans la recherche de nouvelles victimes. Peut-être cela n'est pas si dangereux, comme elle s'imagine, parce qu'elle a des chiens fidèles qui l'accompagnent. Mais elle ne sera pas obligée de s'endormir. Elle a lu aussi dans les œuvres d'un écrivain Kazakh que les Kazakhs sont un peuple ensommeillé. Il y a ceux qui sont prêt de manquer tout au monde, mais si Maïra pouvait confier toutes ses idées au papier, alors elle écrirait : les Kazakhs sont un peuple réveillé. Mais tout de même comment on veut s'endormir après un jour entier dans le froid, sous le vent. On s'endort sans remarquer !
Elle a délivré ses bars sous la touloupe et elle a donné un coup de gourdin à la pelle. La voix a été sourde, grinçante… Eh, voilà, elle n'a pas deviné ! Il fallait prendre un réservoir vide et frapper sur lui, alors elle gagnerait ainsi la somnolence. Il faudra faire ainsi. Selon le cours des événements, elle n'aura pas la possibilité de faire la grasse matinée. 
Si l'on suit toujours la règle – ne pas laisser à demain tout ce qu'il est possible de faire aujourd'hui, alors la plupart aurait la possibilité d'éviter les déboires. Au milieu de la nuit le chien bigarré a brusquement levé sa tête, il a sauté et il s'est mis à aboyer d'une manière menaçante et effrayée en même temps. Les chevaux ont ronflé. Les moutons couchés se sont levés et ils se sont serrés contre la meule.
Tous les trois chiens aboyaient en même temps et le hurlement des loups déchirant, triste, bas, venu de l'obscurité de neige a répliqué d'un écho pas pareil… Et comment, une tempête pareille – sans eux. Maïra a repris le gourdin et elle s'est mise à frapper à la pelle de toute sa force, parfois manquant dans l'emportement. 
A ces deux premiers un troisième a répliqué. Mais oui, - le vrai temps des mariages de loup. Les mâles montrent leur force, leur habilité, leur tolérance, leur chance, et enfin la louve part avec le vainqueur. Il a été ainsi, et il sera ainsi. Mais la faim… la faim gouverne pas moins violemment, que l'amour. Peut-être ils n'ont même pas senti les antilopes qui s'étaient cachées à la bergerie. Mais voilà – ils n'ont pas passé à côté de son troupeau !
Elle continuait de frapper par son gourdin, et le grincement de fer incompréhensible faisait taire les loups pour un moment. Mais il était tôt de se calmer.  Ces fantômes gris devinent toujours tout et savent toujours tout, mais on ne sait pas comment. Peut-être ils ont deviné que le troupeau garde une femme. L'homme ou bien crierait, ou bien il tirerait au fusil mortellement... Et les chiens… De ces trois chiens seulement l'un demandera assez de force pour venir à son bout. Les deux autres – ce n'est rien – un coup de croc… Les loups, par la prudence et pour agir plus sûrement, maintenant ils s'étaient cachés, ils se patientaient et tâchent de s'approcher le plus proche possible… Ils ne jetteront une proie attirante. 
Juste avant l'aube ils étaient déjà presqu'à côté. 
Le chien bigarré a sauté sur le tas de neige par un aboiement effaré.
Maïra a frappé par son gourdin plus fortement. Mais non, elle ne restera jamais sans arme, que l'on mange même tous ses moutons. 
Le jeune chien a suivi le chien bigarré, mais dans la pousse il a espéré en son meneur, il s'est trop avancé et tout de suite Maïra a entendu son crissement désespéré, et tout est devenu calme. 
- On l'a attrapé, - a – t – elle crié dans son rage sans force. 
Jusqu'à l'aube les loups n'ont pas fait des efforts pour s'approcher. 
Le chien bigarré n'aboyait plus, il maugréait sourdement, et le poil de sa nuque s'était hérissé. 
- Notre recette – trois antilopes, - disait Maïra, en imitant le comptable du sovkhoze. Notre dépense – un chien… Mais voilà la nuit est venue, les loups ont encore faim, et les moutons sont intacts !
Durant tout le jour venu Maïra se préparait pour la nuit en avant, parce que la tempête n'avait aucune intention de se calmer. 
Maira a fait sortir la touloupe de réserve, elle l'a distendue sur les bâtons près de la meule, en haut elle a adapté le vieux chapeau de Tanach pour que les loups sentent l'odeur masculine, et elle a armé l'épouvantail par les fourches. Elle est allée encore une fois à la bergerie, et elle a amené un réservoir vide. Elle a donné un coup d'essai, et comme si l'on a tiré au canon dans le voisinage ! 
Cette salve comme si a influencé les loups, elle les a impressionnés. Pendant toute la nuit ils n'ont pas apparu aux environs. Ou bien ils s'étaient retirés complètement. En tout cas les chiens étaient prudents, mais calmes. 
Maïra a réussi de s'endormir in peu, mais toutes les fois, quand elle se réveillait, elle prenait son gourdin et donnait des coups sur le réservoir : un coup, l'autre, le troisième, le quatrième… Ensuite elle prenait de l'épouvantail les fourches, et elle allait voir le troupeau près de la meule. 
Quand Maïra s'est encore réveillée à n'importe quelle fois, elle a eu peur, son cœur a tressailli – quelque chose n'allait pas bien… Etait-ce possible…
La tempête s'était fatiguée. 
Il se trouve que le ciel est couvert d'étoiles. Et les étoiles disparaissent quand de la lisière du sable glisse l'orbe du soleil. Mais regarde, le poste récepteur mon ami n'a pas menti, il a dit juste, que la tempête sera furieuse pendant trois jours. Et le soleil rouge - c'est déjà le givre, il pique les joues, et son cœur refroidi. 
A travers l'écharpe qui enveloppait sa tête, à travers l'épais chapeau avec les oreilles, Maïra a attrapé quelque bourdonnement régulier.
Hélicoptère ?
D'habitude elle riait, en le nommant irrespectueusement « faisant du bruit », tandis qu'il faut avouer que c'était l'hélicoptère qui leur amenait les nouvelles les plus fraîches de l'aul, telles que l'on ne pouvait pas entendre à la radio, et toujours était prêt de venir à l'aide – une fois on a amené un médecin à la yourte voisine, quand Magripa, son amie, avait décidé d'accoucher plus tôt. 
L'hélicoptère a fait un tour et il s'est mis à s'atterrir, en faisant du vent, un peu loin. Le cheval bai et le cheval roux continuait de crépiter le foin-ils s'étaient déjà habitués à ce que cet oiseau immense descend du ciel, mais il ne présente aucun danger. Et les moutons oublieux se sont jetés de côté et ils se sont noués dans le tas de neige.
Quand la porte s'est ouverte, Tanach est sorti le premier et il a couru vers elle, en agitant son chapeau. Il criait quelque chose, probablement « Le cheval-coursier… La belle femme – voilà ce qui donnera de la force au djiguite ! ». 
Il était déjà près d'elle :
- Salut… ma chère… comment est-ce que tu seule… Ma pauvre ! Ma bergère… Comment vas-tu ?
Djanisbek, le chef de la ferme s'est approché :
- Avons-nous perdu quelque chose ?, - a – t – il demandé.
Maïra n'a pas répondu ni à l'un, ni à l'autre. Elle s'est sentie petite, comme Aïgueuse et aussi sans aide. Elle a eu envie de pleurer et que Tanach la console. 
Elle a souri silencieusement.
- D'où est-ce que tant de perles…
Djanisbek a coupé la parole de Tanach :
- Je continue notre chemin en hélicoptère… Est-ce que Maïra vient avec nous ou non ?
- Vous la reprendrez à votre retour, Djaké… Que l'hélicoptère atterrisse près de la maison, nous serons là. 
- Quelle soit prête après deux heures, - a dit Djanisbek. Que nous ne l'attendions pas. 
Les joues de Maïra étaient brûlées du vent de givre, mais elle ne le sentait pas encore. Tanach a pris sa main, et ils se sont dirigés vers la maison, en laissant les chiens de garder le troupeau. 
- Que je n'oublie pas, Aïgueuse a demandé de lui amener le singe noir de peluche, - a dit Tanach. Elle ne peut pas s'endormir sans lui…
Avant de rentrer à la maison, Maïra a conduit Tanach de voir les trois antilopes perdues. 
La porte cochère était ouverte. Probablement les derniers coups de tempête l'ont secouée, et une fente s'était formée.
Les antilopes n'y étaient pas. 
… J'ai commencé mon récit par les mots : « Je ne sais pas comment cela résultera»…
Je gardais à l'esprit : réussirai-je – tout simplement, sans aucune broderie, sans aucun excès littéraire raconter quelque chose sur Maïra, pour que vous aussi eussiez le désir de visiter Djinguilda et de faire sa connaissance et la connaissance de son mari - Tanach. 



1976