C’était l’août 1916. Les derniers jours de childé torride, la couronne de l’été, comme on l'appelle ici le temps quand les herbes, buissons sont déjà touchés de fanaison, mais l'automne est encore loin, très loin.
De grosses averses venaient de passer et le ciel éclaircit, bien que les nuages grumeleux cachassent encore l'air bleu, ressemblant à la glace amincie de printemps recouvrant l'eau pure brillante.
Et le soleil se cacha derrière les basses collines recouvertes de buissons clairsemés de karagan . Chevaux, moutons, vaches et chameaux ayant été surpris par la pluie se desséchèrent et broutaient paisiblement non loin de cinq aouls situés dans la vallée traversée par l’Ossen paresseuse et peu profonde. Et les gens jouissaient des bouffées de brise semblables au toucher du tissu en soie délicate au corps échauffé. Sur la rive escarpée de la rivière il y eut trois tombeaux avec de hauts minarets. La chaleur du jour rendait les contours de minarets flous, et ils semblaient s’agiter, fluctuer dans l’air brûlant, mais voilà la fraîcheur tomba et les silhouettes des tours à toits aigus se distinguèrent nettement sur fond du le ciel pâle. Et les sons devinrent beaucoup plus distincts que dans la chaleur de midi.
- Kakh! Kakh! Kakh!.. Ak-kous!.. Ak-kous!.. Kakh, kakh, kakh! – on entendit des voix excitées du côté où les troupeaux broutaient, et sur l’arête de la colline plusieurs cavaliers apparurent soudain galopants de toutes leurs forces. À leur rencontre allait un cavalier au cheval blanc.
Des habitants de l’aoul tous ensemble sortirent des yourtes et ayant mis leurs mains au-dessus des yeux regardèrent avec étonnement les gens galopant. Des chiens se jetèrent devant le troupeau en aboyant furieusement. L'un d'eux, un beagle blanc de l’aoul central prit de l'avance, et il semblait qu'il courait à la vitesse d'une étoile filante. Le cavalier au cheval roux sortit de l’aoul situé dans la partie d’ouest de la vallée, et joignit bientôt les autres cavaliers.
Seul un petit chien noir à poil frisé, gîté près du foyer enfumé d’une petite yourte de l’aoul d'ouest, regardait d’un œil indifférent les cavaliers galopant et des chiens qui aboyaient violemment. Le chien frisé aboya une ou deux fois en espérant que la femme aux sales vêtements rapiécés qui s’affairait près du feu lui donnât un os à ronger, mais la femme ne lui fit pas attention, et le chien grognant de déplaisir retourna à sa place.
On appelait l’aoul de l'ouest d’où le cavalier au cheval rouge sortit "l’aoul de Kadyr". Aoul fut composé de cinq yourtes. L'une d'eux, tordue mais avec une kochma solide appartenaient à Kadyr lui-même. D'autres, rapiécées, basses, enfumées appartenaient à ses fils aînés, Senbaï et Janali, et au marieur de Kadyr. En bref, il n'y eut pas de personnes étrangères dans l’aoul, outre des visiteurs qui se trouvaient non loin de la yourte de Senbaï près de leurs chevaux entravés. Les invités et les hôtes furent au milieu d’une tranquille conversation quand on entendit un bruit dans le troupeau et l'un des interlocuteurs emboucha rapidement son cheval et disparut derrière la colline. De la yourte de Janali des jeunes filles et des jeunes femmes sortirent en échangeant des mots et des rires. Elles allèrent en foule bruyante vers à la rivière, et devant elles des gamins criants et riants couraient en pressant l’un l’autre et frappant la terre de leurs pieds nus.
Jupes larges de jeunes filles touchaient le sol, des cholpas cliquetaient, des ouks s’agitaient, on pouvait voir des kimecheques blancs et des foulards verts et rouges des jeunes femmes. Vestes, tchapans , bechmets ... Débauche de couleurs évoquant involontairement des fleurs vivides de printemps. À la tête de la foule deux jeunes femmes avec koumgans marchaient souplement comme deux cygnes naviguant.
Les hommes assis près de la yourte de Senbaï bougèrent avec réserve suivant des yeux les femmes s'éloignant. L'un d'eux, basané, grêlé, au grand tymak en agneau blanc les regardait fixement, sans ciller, comme un aigle faim aux intempéries d'automne. Un djiguite assis en face de lui ne put pas s’empêcher de sourire.
"Tiens, comment il zieute Aïcha, - pensa-t-il en colère.- Peut-être il espère sa richesses, mais lui-même à qui ressemble-t-il? À un vieux brochet tacheté des eaux molles nidoreuses..."
Les femmes disparurent dans le fourré de karagan. Les unes retroussèrent les manches faisant briller leurs bracelets en argent, prirent des morceaux de savon parfumé et commencèrent à laver en produisant la mousse blanche et épaisse. Les autres, faisant leurs kumgans cliqueter, se disputaient en boutade en attendant leur tour.
Aïcha essuya son visage avec un mouchoir et commença à chanter en regardant autour comme si elle faisait connaissance pour la première fois avec les gens qui l’entouraient. Cependant, son regard ne s’attarda sur rien. Seulement trois minarets hauts sur la rive de l’Ossen attirèrent soudain son attention, car elle se rappela de l'histoire bien connue d'une femme qui s’appelait Kantbala qui disait comment elle se fut enfuie son mari odieux et eut trouvé refuge dans une niche de l'un des tombeaux.
"Dans les moments difficiles, quand on ne peut aller nulle part, l’endroit comme cela peut aussi devenir un refuge", - pensa Aïcha.
Toujours s’amusant les femmes se dirigèrent vers l’aoul. Aïcha resta triste. Elle marchait silencieusement dans la foule des femmes, emmitouflée dans son tchapan noir de satin.
Le visage sombre, sourcils épais froncés, yeux pleins de tristesse... Bien qu’elle n’eût pas la réputation de rieuse dans son aoul, son expression était si éloquente que même un étranger aurait pu remarquer que sa tristesse l’oppressait. Et les cœurs de ses copines furent serrés de pitié pour la jeune fille, mais elles cachaient leurs sentiments, et faisaient tout en essayant de remonter le moral d’Aïcha. Ce fut la soirée calme paisible...
Les femmes disparurent dans une yourte. Les cavaliers qui eurent traversé la vallée revenaient. Le blanc beagle courait à côté d'un cheval roux. Aïcha fut la plus jeune fille de Kadyr.
Chakir, le fils de Boranbaï de la famille de karakessek , visita beaucoup d’aouls à la recherche de la fiancée. Il entendit parler sur la beauté d’Aïcha, et accompagné par le marieur envoyé par son beau-fils, le baï Bimendé, apparut dans l’aoul de Kadyr, où depuis deux jours il recherchait en mariage la femme qui lui plut.
Chakir fut un veuf âgé, donc il était impossible d’avoir des rendez-vous secrets entre les fiancées, ce qui était très communs parmi les Kazakhs. Il voulut emporter Aïcha chez lui, payer le kalym à l'escorte de la future épouse et célébrer un mariage sans délai, comme sa maison avait urgent besoin de la maîtresse. Chakir s’adressa à Kadyr, ses frères et fils aînés et s'entendit vite avec eux: il réussit de faire un marché à propos d’Aïcha en donnant pour elle trente têtes de bétail.
Une telle facilité de la famille de Kadyr fut expliquée par la richesse de Chakir et par le fait qu'il était membre de la famille de Bimendé. Si Chakir était plus jeune et pas chargé des enfants, il aurait, bien sûr, demandé une autre fille en mariage, une fille de parents nobles, avec qui il aurait joué un mariage magnifique, mais les riches et les puissants ne voulurent pas donner leurs filles en mariage avec un vieillard grêlé, à la barbe déplumée, et il dut se contenter d'Aïcha.
Chakir et ses compagnons étaient assis près de la yourte de Senbaï. Le cheval ambleur roux auquel le djiguite courut à la rencontre avec les cavaliers, dépassant le chien blanc, fut le cheval de Chakir et l’homme qui se trouvait en selle était un envoyé du baï Bimendé. Kadyr égorgea un mouton, appela les doyens d'âge des cinq aouls, et les ayant régalés à belles dents de viande et de koumys , demanda leur bénédiction. Avec d'autres le starchyna Suleïman et le mollah Bekir festoyaient, seulement deux fils moyens de Kadyr ne furent pas présent à l’entente. L'un d'eux, Sapargali, travaillait à l'usine de district Nildinski, et l'autre, Abil, faisait paître les troupeaux de son oncle riche.
Kadyr fut content qu’à un jour il soit devenu le propriétaire d'un troupeau considérable. Parfois, cependant, il sentait de la pitié pour sa fille, mais la richesse soudainement tombée sur sa tête fut trop lourde pour être longtemps triste à propos de son sort. Et enfin c’était le destin de femme! Le crépuscule tomba et les quatre djiguites quittèrent la yourte de futur époux et allèrent à la yourte de Janali, où les femmes furent déjà revenues après la purification. L'un d'eux était le meilleur homme de l'époux, l’envoyé du baï Bimendé, les trois autres habitaient dans les aouls voisins.
- Hé, où vas-tu? – s’adressa l’un des djiguites au marieur – quand on vient chez les filles, chante une chanson pour nous...
Il déplaça son tymak couvert de soie colorée au-dessus des yeux, mit du nasybaï derrière sa lèvre, claviota avec plaisir et produit une série de sons avec les cordes d’une petite dombra .
- Je espère que cette fois-ci vous m’aidiez - dit en riant l’envoyé barbu du baï Bimendé.
- Assalamou aleïkoum! Allez-vous bien? – saluèrent les djiguites entrant.
- Ah, bienvenue! Il n’y a pas de fête sans vous... – leur répondirent dans le même esprit des jeunes femmes franches, et les filles cachaient ses yeux selon la coutume. - Faites comme chez vous... Installez-vous... – piaillaient les femmes interrompant l’une l’autre.
Le djiguite avec la dombra se tourna vers ses camarades: - Eh bien! Si notre présence ne gêne pas nos hôtes, nous prendrons place sur le tore ... - Et puis il se tourna vers le marieur- Vas-y, kouda . Assois-toi près de nos filles. Kouda regarda en passant les gens présents et son regard s’attarda un instant sur le visage d’Aïcha.
- Bon, merci pour l'invitation – disaient les djiguites en prenant places.
Un gars à la moustache, le plus âgé d'entre eux, regarda Aïcha, puis le marieur.
- J’ai entendu dire que notre kouda est un bon chanteur. Vas-y, Akhmet, donne-lui la dombra – commanda-t-il.
Ahmed, le gars qui mâchait nasybaï, passa l’instrument au marieur.
- Eh bien, écoutons s’il chant bien, votre kouda – prononça une jeune femme, aux yeux noirs, aux joues rouges, portant un kimecheque blanc.
- Ne me blâmez pas, mais je ne sais pas jouer de la dombra – dit le marieur avec embarras en rendant l’instrument à Akhmet.
Ahmed recula.
- Oh, kouda! Pourquoi es-tu si timide? Qui pourrait croire que l’envoyé du baï Bimendé ne sait pas jouer de la dombra? Ne fais pas de blagues – dit-il en riant.
Le marieur fut embarrassé et rougit, ne sachant pas comment s’en dérober. Il tenait maladroitement la dombra avec ses mains moites et était prêt à rentrer sous terre. Mais il fut sauvé par les jeunes femmes omniprésentes. Elles commencèrent instantanément le jeu "jalgyz khan", Ahmed frappa les cordes, et la fête commença. Seulement Aïcha ne levait toujours les yeux, ne participait ni à la conversation, ni au jeu.
- Aïcha, joue pour nous – s’adressa à elle le djiguite moustachu. – On est venu ici pour s’amuser, et cela nous gêne de te voir triste. Chante quelque chose!..
- C’est vrai... vas-y, joue, donne-toi du bon temps avec tes amies, - le soutint la jeune femme aux joues rouges.
- Vous pouvez vous ébaudir tant que vous en désirez. Et moi, pour quel raison dois-je m’amuser? – répondit Aïcha avec mauvaise humeur.
- Nos vies ne sont pas faciles non plus, mais à quoi ça sert d'être triste? La tristesse ne t’aidera pas, garde la tête haute, petite sœur – dirent à la fois les femmes.
- Bonheur des uns, malheur des autres. Vous pouvez vous amuser si vous en avez envie - dit Aïcha.
- Dans ce cas, on s’en va - dit Ahmed ayant mis la dombra de côté.
- Non, non. Ne faites pas attention à moi. Sadyrbek, viens, je dois te parler – s’adressa Aïcha au djiguite moustachu.
"Jhalgyz khan" continua. Aïcha se pencha vers le djiguite et lui chuchota à peine audible:
- Vas chez eux et répète: Jamais dans ma vie je n’épouserai pas le fils de Boranbaï, même s’ils me couvrent de toutes les richesses du monde. Il est un vieillard, sa maison est pleine d'orphelins, son visage - que Dieu me garde de le voir dans un rêve. Je ne serai pas sa femme. Et si on veut me vendre – je jure devant Dieu: je n’aurai ni père, ni mère, ni frères. Ils me donnent en mariage avec Chakir pour se débarrasser de moi, mais je ne leurs ai jamais causé aucun chagrin ou soucis. Et s’ils en osent tout de même, je disparaîtrai comme le jour disparaît au début du soir, et ils ne me verront jamais. Vas-y, parts et dis-leur mes paroles mot à mot...
Les larmes vinrent dans ses yeux. Sadyrbek quitta discrètement la yourte.
Son départ ne resta pas inaperçu. Comme les larmes d’Aïcha furent remarquées par les femmes et djiguites, donc le jeu fut terminé par lui-même.
- Qu’est-ce qu’il y a? Jouez, je vous en prie, - s’adressa Aïcha à tous.
Mais la fête fut définitivement gâtée. Les djiguites quittèrent la yourte l'un après l'autre suivis par les femmes qui se dirigèrent vers la sortie et Aïcha resta seul avec deux amies proches (Bibiajar et Mouslima) et avec la femme de son frère Rahia. Plus tard, sa belle-sœur aînée Rapych vint. Ses trois enfants s'assirent près du feu, et les femmes s’étant assises sur une kochma, parlèrent tout bas dans le crépuscule à propos du destin difficile de femme. Elles entendaient les sons habituels de l’aoul qui se préparait pour la nuit: des cris des gens faisant des bêtes rentrer sur le kotane , bêlement des moutons, beuglement des vaches.
Dans la yourte entra Salikha, la mère d’Aïcha. Kadyr se maria d’elle après la mort de sa première épouse, qui lui eut donna quatre fils. Il aima Salikha et eut les enfants avec elle aussi. Aïcha fut leur fille aînée. Salikha pensait aussi que Chakir grêlé n’était pas l’homme qu'il fallait à sa fille, mais elle aussi quand même crut en sens doux des mots de l’envoyé du baï Bimendé, séduite pas la possibilité d’obtenir vite tant de bovins. Le deuxième jour, elle allait déchirée par les doutes et ne pouvait venir à aucune conclusion. Et en plus Kadyr n’allait pas demander son avis, parce que toutes les décisions il prenait toujours seul, et s'il entêtait d'une idée personne ne pouvait le faire changer d'opinion...
- Pourquoi êtes-vous assis dans l'obscurité? Soufflez le feu! Et où sont les autres? Sont-ils allés à la maison? – bagoula Salikha et regarda Aïcha, qui gardait sa posture lugubre, d’un œil coupable. – Bon, tout le monde est parti, et il est temps pour nous aussi de partir... Rapych, - s’adressa la mère à sa belle-fille aînée – Reviens chez toi, ton mari doit trouver le temps long sans toi...
- Qu’il attende, je viens de venir ici - rebéqua Rapych, mais il ne fut guère facile de faire face à sa belle-mère.
- Vas-en, on te dit. Rahiïa, cela te concerne aussi! – ordonna Salikha, et les deux femmes partirent avec elle.
De l'obscurité vint Sadyrbek qui semblait attendre leur départ. Il s’assit à côté d’Aïcha, et selon son visage la jeune fille comprit que son envoyé n’apporta pas de bonnes nouvelles.
- Eh bien? Qu’est-ce qu’ils t’ont répondu? – demanda-t-elle pourtant.
- La même chose, - commença Sadyrbek d'un air lugubre.- Je les ai tous dit, comme tu me l'as dit, n’ayant rien manqué. Mais ils sont fermes sur les étriers. "Les caprices féminins", - disent-ils. "Toutes les femmes, - disent-ils, commencent par les caprices comme ça. Mais n’est-ce pas la coutume de nos ancêtres de donner une jeune fille en mariage avec un veuf?" À propos de toi ils disent que tu reprendras ses esprits quand tu te trouveras dans une maison riche de Chakir où tu vivras comme les mains dans l'eau chaude... Ils te disent d’arrêter de t’opiniâtrer, l'affaire est faite... Et tu le sais probablement toi-même: demain, ils vont t’accompagner. D’abord on te mènera à travers nos cinq aouls et dans l'après-midi on te prépara pour un long voyage...
Les yeux d’Aïcha brillèrent, le visage resta de marbre. Pendant un temps quelconque elle était assise en silence, mais ensuite se redressa:
- Eh bien maintenant ce qui doit se faire se fera…
- On m’a maudit aussi. Ils ont dit que je devais de dégourdir au lieu de transférer tes mots - ajouta Sadyrbek comme pour la réconforter.
- Bon, bien qu’ils te grondent, mais s'il te plaît, je t’en prie comme mon frère – vas chez eux et dis seulement une chose: qu’ils ne s'offensent pas de moi. Auparavant, dis-leur je les ai ennuyés, maintenant je ne le ferai plus. Mais qu’ils ne se sentent offensés pas moi. M’as-tu compris?
- Oui, - consentit docilement Sadyrbek et sortit de la yourte. Rahiïa et Rapych revinrent.
- Ouf, on s’est à peine débarrassé de notre belle-mère, - dit Rapych.- Mais pourquoi êtes-vous si tristes et démoralisés? Il est déjà trop tard pour pleurer. Tout est fait. Demain on accompagnera Aïcha - se tourna-t-elle vers les filles.
Bibiajar et Mouslima échangèrent des coups d'oeil en silence. Rahiïa triste tortilla un bout de son foulard.
- Il est nécessaire de visiter tous les parents - remarqua Bibiajar.- Comme la coutume l'exige.
- À quoi bon devrais-je le faire? - sans lever la tête, presque gémit Aïcha.
- Euh, ne dis pas cela, ma chérie, - l’arrêta Rapych.- Tu verras, tu vas devenir la maîtresse, la pleine propriété de la maison de Chakir et tout ira parfaitement bien. Chakir est vieux, toi, tu es belle, il va te porter à bout de bras. Bien sûr, il est difficile de te séparer de ta maison, tes amies. Mais, Dieu merci, on te donne en mariage avec un homme pas pauvre, et on te prend dans une maison riche. Est-il possible de se refuser à un tel mari? On peut rester en carafe...
- Je ne veux pas être vendue, Rapych. Est-ce que le fils grêlé de Boranbaï est un partenaire désirable pour moi? Il pourrait être ton père, alors je ne serai pas heureuse avec lui. Et toi aussi, je vois que tu as perdu la raison à cause de sa richesse. – lui répondit sec Aïcha. Rapych eut le souffle coupé.
- Oh-baï, fille. Est-ce je te souhaite du mal? Je parlais de la richesse de Chakir seulement pour ton propre bien, pour que te ne sois pas si désolée. Ne te fâche pas, chérie... Si tu veux, je vais partir.
- Je ne te chasse pas, - dit tranquillement Aïcha.
- Aïcha, laisse-nous, moi et Mouslima, chanter une chanson pour toi, peut être ton chagrin disparaîtra - proposa Bibiajar ayant brisé le silence douloureux.
- Chantez, chantez, mes chéries - se réjouit Rapych.- Que penses-tu, Aïcha?
- Si elles veulent, qu’elles chantent – dit la jeune fille avec lassitude.
- Oh, Aïcha, hein, ma sœur! On ne va pas être toujours ensemble. La vie nous distancera. Alors vas-y, Mouslima, entonnerons notre chanson préféré pour la dernière fois.
- Qu’est-ce qu’on chante? – demanda Mouslima.
- "Zoulkiïa", commence, je me te joindrai, - dit Bibiajar. Mouslima toussa et se mit à chanter:
À quoi bon est-elle épanouie tant d'années?
Et pour qui elle était svelte, eddie-ah!
Il vaudrait mieux pour elle de ne pas être née
Que de verser des larmes de toute sa vie, eddie-ah!
- Tu pleures depuis longtemps, et il n'y a plus de mots.
Ne pleure pas, ma chérie janym , eddie-ah!
Tena la seconde partie Bibiajar.
La mélodie triste traînante ressemblant à une prière pitoyable, flottait dans l'air de la nuit, et il semblait que tous les aouls écoutaient la chanson.
Un jars blessé est tombé dans un tournant, eldi-ah!
Et une jeune fille est séparée avec sa maison natale.
Le sang de l’oiseau blessé est charrié pas les vagues
L'étranger a emporté la jeune fille, eldi-ah!
Tu dois l’accepter, ma chérie,
Ne pleure pas, ma chère janym, eddie-ah!
Près de la yourte des gens commencèrent à se grouper. Ils se tenaient à distance, sans oser entrer, et beaucoup d’eux avaient des larmes dans les yeux.
Et la chanson flottait toujours au-dessus des aouls:
Qui a respecté les larmes de jeune fille?
Qui a compris la raison de ses sanglots? eldi-ah!
Comment est-il difficile de se lever après être tombé dans un abîme!
Espoir est seulement la volonté du Créateur, eldi-ah!
Ne pleure pas, tes larmes ne charmeront pas ta douleur,
Ne pleure pas, ma chérie janym, eldi-ah!
Les voix fortes des deux filles, le désespoir amer de la musique se débattant comme un faucon capturé, enchantèrent les auditeurs. Sadyrbek approché de la yourte avec les djiguites de l’aoul voisin garda silence, Rahiïa essuyait ses yeux humides ne se cachant pas, Aïcha était assise bossue avec son dos tourné vers les chanteuses, et ses épaules tremblaient ...
Tout le troupeau suive en foule une génisse bien nourrie.
Mes rides sont causées par mes misères, eldi-ah!
On t’a donnée pour l'argent à un homme odieux.
Qui peut discuter avec le Créateur? eldi-ah!
Ne pleure pas, tes larmes ne charmeront pas ta douleur,
Ne pleure pas, ma chérie janym, eldi-ah!
Les mots faibles pathétiques de confort ...
Comment pourraient-ils arrêter les larmes?
Une brebis ne veut pas vivre entravée,
Elle va vivre la vie libre sur la pâture - djaïliaou , eldi-ah!
Et la jeune fille ira en esclavage sur le bon vouloir de son père
Chez un homme mal-aimé, eddie-ah!
Ne pleure pas, ne rends pas, ma chérie, le Créateur facheux!
Ne pleure pas, ma chérie janym, eldi-ah!
Soudain, la foule donna passage à un grand djiguite carré d'épaules. Il avait un kamtcha à la main, un tchekmen fané sur les épaules, ceinturé d’un kouchak, des bottes déformé saptama aux ses pieds. Il était évident qu'il venait d’être en route - même sa toque rouge fut couverte de poussière. Il regardait de tous ses yeux les jeunes filles chantant, Aïcha penchée, Sadyrbek qui s’appuya contre le keregué , tête baissée. Rapych ayant remarqué le djiguite, murmura quelque chose à Rahiïa, et elle leva son visage baigné de larmes.
Et la chanson de Bibiajar et Mouslima continuait à troubler la tranquillité de la région.
Que mes joues se creusent et la rougeur disparaisse,
Que les yeux deviennent aveuglés par les larmes, eddie-ah!
Mais je ne veux pas être vendue comme une bête,
La mort m’apportera la liberté, eldi-ah!
Ne pleure pas, ma chérie, ne pleure pas, arrête!
Ne pleure pas, ma chérie janym, eldi-ah!
- Abil ... Viens chez nous. Quand es-tu revenu? – demanda Rahiya le grand djiguite d’une voix tremblante, mais il sanglota comme un enfant, se détourna et couvrit son visage avec son coude, son kamtcha toujours à la main. On aurait dit que les femmes l’attendaient : elles pleuraient à haute voix, sans se cacher.
Abil, le frère d’Aïcha, fut adopté par leur oncle riche, et après cela le jeune djiguite pâturait toute l'année les troupeaux de son père adoptif. Dans le froid de l'hiver, la tempête de neige, il était souvent gelé jusqu'aux os, mais en été le soleil impitoyable de steppe brûlait sa peau. Mais à qui pouvait se plaindre un enfant adopté? Et est-ce qu’il était juste que les propres enfants de l’oncle grandissaient soignés et heureux, habitaient dans des yourtes ornées, étaient assis sur les tapis chers, mangeaient de la viande de gibier, du mouton gras et buvaient du lait de jument, exigeant le respect de tous leurs caprices. Comment pouvait-il, celui qui travaillait sans relâche jour et nuit, être pire que ces feignants? Après tout, ils furent petits-enfants du même grand-père, mais la richesse maudite les sépara. Et si ce ne fut pas la richesse, est-ce que le père put donner Aïcha douce, comme un cygne blanc à un vieil homme grêlé, chargé par les enfants. Maudite sois-tu, la richesse! Et maudite sois-tu, la pauvreté, la très vielle campagne des Kazakhs... Quatre amis - Bibiajar, Mouslima, Salima et Aïcha – étaient couchées et embrassés sur un grand lit de plumes dans une yourte étroite avec un tioundik bien fermé et chuchotaient à propos de tout, sachant que c’était le dernière la nuit, qu'elles passaient ensemble – le jour suivant Aïcha allait quitter l’aoul, puis et le autres se sépareraient.
Tard dans la soirée, quand les chansons furent chantées, et les gens furent couchés, des compagnons du futur mari firent les femmes clairement comprendre qu’il aurait été bon de laisser le fiancé avec la fiancée tous seuls, comme il fut requis par la coutume, eux furent soutenus par les djiguites des aouls, mais Aïcha refusa catégoriquement. Et le marieur, et le futur époux rentrèrent chez eux extrêmement fâchés aussi par le comportement d’Abil, qui déclara fermement à son père et mère:
- Je ne vous laisserai pas forcer Aïcha. Tant que je vivrai, personne ne le fera.
Puis il jura l’envoyé du baï Bimendé, Korjenbaï respecté, et ayant monté sur son cheval il disparut dans l'obscurité.
Et pendant ce temps, la terre fut engloutie par l'obscurité. Janali avec djiguites Aïdar et Serik gardait l’aoul. Abil se comportait étrangement et allait sans cesse quelque part sous le couvert de l'obscurité, retournait, et repartait...
Il fut après minuit.
Croissant de Lune, ressemblant à un bord détaché d'un plat d'argent, courut d'un nuage à l'autre. Il courut comme un cheval ambleur sur les terrains caillouteux forts, ne laissant aucune trace, en se cachant dans les nuages en lambeaux ... Mais la Lune ne se cacha pas longtemps dans son abri peu fiable. Il réapparut de l'autre côté du ciel, puis couru et se cacha de nouveau, juste comme le beagle blanc, qui au coucher du soleil galopa d'un buisson de karagan à l'autre.
L'aube approchait, et les filles furent silencieuse, se couchèrent calmes et immobiles, comme des colombes embrouillées dans les filets de l’oiseleur.
Aïcha ne pouvait pas dormir, se souvenant des histoires amères d'événements malheureux dans la vie des femmes connues et inconnues... Les histoires qu'elle en avait déjà assez entendues dans sa courte vie. Elle se rappela une histoire de Kantabala de l’aoul voisin qui était comme un conte de fée, malgré le fait que Kantabala jurait les yeux de la tête que tout était juste tel comme elle racontait.
"Mon mari m'a mariée quand j’étais toute jeune, afin que je puisse donner naissance au plus grand nombre possible d'enfants. Après le mariage, en temps voulu, j’ai donné naissance à un enfant, mais mon petit enfant n’a pas vécu longtemps. À partir de ce moment-là les malheurs ont commencé à m’arriver: les enfants naissaient l'un à la suite de l'autre et de la même manière ils mouraient. Et ma vie avec baïbiché est devenue insupportable. Tu dois connaître le dicton: "Celui qui est assis, on lui donne des coups sur la tête, celui qui est debout, on lui batte les pieds". C'était comme ça! J’ai été battue partout. Et mon mari n’a fait à baïbiché aucun obstacle.
Je n’ai pu supporter un tel traitement et me suis enfui de mon mari à ma famille; il a été au printemps. Mon clan errait dans les hauteurs de Sary-Sou, et la nuit sombre, je suis allé toute seule à la recherche de la rivière. Je n’ai eu rien sauf pour un petit sac en mains. La berge a été couverte par endroits de roseau épais, et dans la steppe nue il y eu partout des fosses et des puits d'eau abandonnés. Nuit était impénétrable, sombre. Y allez, cela me donnait des sueurs froides! Soudain, j’ai vu une petite flamme papillotant en avant. Je suis allé à la lumière, et - un miracle! Dans la steppe, sous le roseau une femme a été assise. Cheveux ébouriffés, sein nu elle allumait le feu.
- Qui êtes-vous? - lui ai-je demandé, ne plus me connaissant de peur. Elle m’a regardé et sourit. J’ai eu une peur bleue, parce que j’ai compris qu’elle était une sorcière, une sorcière en face de moi! J’ai frappé le sol avec mon sac et murmuré une prière, puis j’ai regardé et vu que le feu et la sorcière étaient disparus... D'accord, alors j’ai continua mon chemin et j’ai vu une petite flamme encore une fois. Encore une fois j’ai précipité vers la petite flamme, et - horreur - la même sorcière y était assis et souriait... J’ai frappé le sol de nouveau de mon sac, répété la prière et l’apparition a disparu. Et toute la nuit a passé comme ça: le feu follet papillotait en face de moi et sorcière apparaissait avec ses cheveux tombants et les seins pendants. Dans la matinée, il a plu à seaux. J’ai été trempée jusqu'aux os, mais j’ai continué à aller de l'avant. Soudain, j’ai vu dans la pénombre de l'aube en face de moi une haute tour noire. Quand je me suis approché j’ai vu que c’était trois tombeaux aux minarets hauts comme des piques. J’ai eu peur, mais je ne pouvais faire rien d’autre. En murmurant une prière, je me suis réfugiée de la pluie dans un dernier tombeau. Le ciel devenait de plus en plus clair, et à la lumière du jour les silhouettes des tombeaux devenaient plus nettes. Et tout à coup – tu peux me croire ou pas - la tombe, où je me cachais, a été toute éclairé de l'intérieur d’une lumière blanche régulière. Cela vu, j’ai commencé à prier en criant et cela m'a redonné des forces. Puis la pluie a cessé. Je ne me souviens pas comment je suis sorti de la tombe et où je suis partie, je suis revenue à moi seulement quand j’ai rencontré des nomades, et ils m’ont aidé à me rendre à ma aoul natale..."
Et encore une femme Aïcha se rappela. Elle se souvint de Rahiïa pâle, épuisée par le travail ménager lourd, qui échappait plusieurs fois de son mari Akhmet, un homme obèse, couvert de gras. Mais finalement elle atteignit son but: se débarrassa du mari odieux. Les djiguites de l’aoul parlaient encore longtemps sur sa fuite.
- Il est étonnant, comment cette Rahiïa est têtue - dit Azim.
- Exactement. Une bobonne fait des bêtises, et puis revient tout de même à la raison comme il n'y a pas d'autre issue, mais pas celle-ci, - admit Bazeken.
- Qu'est-ce qu’on peut attendre d’une femme, si elle a perdu la honte et de la conscience, - grommela Ouïtkibek.
Et le djiguite Kadyrbek encore et encore racontait à ses amis comment il revenait de Kos-choka, allait le long du rivage de l’Ossen à l’époque où la plupart des clans furent déjà passés aux djaïliaoux, et il vit soudain un homme aller à pied dans la steppe, oscillant dans une brume chaude. Il fut presque impossible de le distinguer parmi la végétation de steppe jaunâtre. Curieux Kadyrbek tourna son cheval vers lui, mais plus il s’approchait, plus il devenait clair pour lui qu'il voyait devant lui un enfant étant pour une raison inconnue dans ces lieux déserts.
Soudain, l'enfant disparut. Kadyrbek se mit à inquiéter, mais ayant regardé plus attentivement, il vit que l’enfant se cacha dans une fossette derrière un buisson de karagan de sorte qu’on ne pouvait voir que sa tête.
- Hé, petiot, pourquoi es-tu ici? Qui sont tes parents? – cria Kadyrbek, mais tout d’un coup il rendit compte de son erreur, parce que ce n’était pas l'enfant en face de lui mais une jeune femme qui couvrait son visage avec ses mains. Kadyrbek fut saisi de stupeur, et son cheval s'ébroua regardant buissons de karagan. Et si Kadyrbek réussit à calmer son cheval à l’aide du fouet, lui-même restait toujours perdu en conjectures.
- Quel miracle, et qui es-tu? Qui est-ce que t’a dépouillée? - Il fouetta de nouveau son cheval et se trouva à côté de la femme.- Hé, peux-tu parler ou tu es muette?.. Pourquoi te caches-tu? Pourquoi ne me répond pas? - harcela de questions Kadyrbek. La femme se redressa et Kadyrbek resta stupéfié en reconnaissant en elle Rahiïa. Elle était complètement nue, seulement ses longs cheveux noirs s'agitaient dans le vent. Femme se cacha de nouveau. Kadyrbek démonta, retira son tchapan, se retourna et le tendit à Rahiïa. Et seulement quand elle cacha sa nudité, il continua à lui parler. il s’est trouva qu'elle se fut enfuie de son mari, se dirigeait à sa famille, mais Akhmet la eut attrapé dans la steppe, la eut battue, déchiré ses vêtements et fut parti, laissant Rahiïa toute nue...
"La pauvre fille a souffert beaucoup, mais elle s’est débarrassée en fin du monstre Akhmet - soupira Aïcha.- Oh, la richesse maudite! Tu changes les cœurs humains en pierre. Si les parents d’une jeune fille avaient pitié d’elle, la forceraient-ils d’épouser un homme mal-aimé, vendraient-ils l’être humain pour des bêtes?.."
Bibiajar s'agita et frémit en sommeil. Les soupirs lourds de l’amie résonnèrent par la douleur dans l’âme tourmentée d’Aïcha.
"Je me demande comment les choses seront faites dans la vie de mes copines? Le fiancé de Salima est un djiguite intelligent et sensible. Mouslima n’est pas encore promise. Et le fils de Dïouïsembaï qui demande Bibiajar en mariage n’est pas du tout un bon épouseur pour elle: fanfaron, stupide, insolent. Il est déjà claire quel mari il sera..."
À quoi bon est-elle épanouie tant d'années?
Et pour qui elle était svelte, eddie-ah!
Il vaudrait mieux pour elle de ne pas être née
Que de verser des larmes de toute sa vie, eddie-ah!
L’oreiller d’Aïcha était mouillé de larmes. "Est-ce que après avoir obéi aux caprices de mes parents, je passerai toute ma vie dans la douleur et le chagrin?" - pensa la jeune fille.
Que mes joues se creusent et la rougeur disparaisse,
Que les yeux deviennent aveuglés par les larmes, eddie-ah!
Mais je ne veux pas être vendue comme une bête,
La mort m’apportera la liberté, eldi-ah!
"Au lieu de souffrir tout au long de sa vie à cause de l'insensibilité des parents, il vaut mieux de mourir comme la belle-fille de Kochkarbaï – pensa-t-elle.- Et est-ce qu’elle a pu faire autrement, cette femme avenante, bien bâtie, ressemblante à une chèvre de montagne? On l’a donnée en mariage au fils loucheur de Kochkarbaï, courtaud, énervé, avec un sourire idiot constant sur ses lèvres minces. Voilà un autre amer destin d’une femme de steppe".
Fils de Kochkarbaï battait impitoyablement sa jeune femme dès les premiers jours de leur vie ensemble.
- Putain! Tu ne m'aimes pas! – gronda-t-il.
Le monstre riche semblait vouloir assouvir sa vengeance à elle pour ses malheurs. Mais est-ce que c’est par la faute de la colombe que le percnoptère ignoble est né les yeux troubles et le tronc tortueux, et est-ce que une chèvre pourrait aimer un crapaud? Une jeune femme courait sanglotant à travers la steppe, le visage complètement couvert de bleus. Tempête se démenait, rauquait, faisait rage parmi les buissons, à peine visibles sous la neige, en sifflant dans les tuyaux des chalets nains d’hiver. Le vent glacial jetait la neige froide en brassées, et le ciel et la terre étaient immergés dans l'obscurité. "Eh bien, cela donc est mon destin. Que ma souffrance se termine le plus vite possible", - murmura la femme.
À peine fit la pauvre femme dix pas que la tempête la retourna, l'aveugla.
Il faisait nuit noire. On n'y voyait goutte, comme c’étaient les djinns qui dansaient autour. On entendait seulement hurlement, gémissement et sanglots. La jeune femme allait en criant follement, mais personne n’entendait ses cris, éteints par le vent. Seulement la tempête de neige soufflait plus en plus fortement, comme se moquant d’elle.
Toute couverte de neige, elle brossait à travers le mauvais temps, trébuchant sur chaque motte, tombant dans chaque fosse. Ses bottes, manchons et poitrine furent pleins de neige, la neige couvrit son visage empêchant de respirer, et elle supplia à haute voix le ciel et la terre pour l’aide. Ses vêtements recouvrirent d’une croûte de glace. Les larmes durcirent en bouloches sur les cils. Son sang fut plus froid que la glace. Seulement son cœur battait encore, la vie brûlait faiblement au fond de son corps mourant. Elle trébucha, tomba, se leva, continua à aller de nouveau et finalement effondra dans un haut banc de neige molle.
Son cœur battait de plus en plus lentement. Des flocons de neige sautaient, tourbillonnaient. Son regard mourant imaginait les djinns méchant assis sur les flocons de neige, battant des mains et se tordant de rire.
Le blizzard aveugle ria, joua, pleura, puis cacha délicatement la femme sous un linceul floconneux de neige et le silence rétablit...
L'excitation inouïe régnait du début de matinée dans l’aoul de Kadyrbaï. Les bovins furent conduits au pâturage, les chevaux furent désaltérés et mis au piquet. Nuages gris de nuit ne furent pas encore dissipés, mais on entendait partout des éclats de voix, et les hommes allaient et venaient entre yourtes, s’offrant du koumys. Des filles, jeunes femmes et djiguites se réunirent dans la yourte où Aïcha eut passé la nuit. Elle était assise sur le tore et parlait tranquillement avec Sadyrbek. Son visage fut tiré après la nuit passée, les yeux gonflés de larmes, regarde vitreux fixé sur un point.
Et les jeunes se turent, s’échangeant quelques mots vides de sens. Les femmes plus âgées secouaient tristement les têtes. Janali entra dans la yourte et à l’entrée se trouva nez à nez avec sa femme Rahiïa.
- Pourquoi cours-tu ici et là, maudite engeance? – l’attaqua-t-il sans rime ni raison.
Rahiïa se détourna sans rien dire.
- Pourquoi tordes-tu le nez? Vas-y, appelle Rapych, stupide...
Bientôt apparut Rapych. Janali se mit à la jurer. Il semblait être possédé et ne pouvait pas se calmer. Et peut-être, il eut honte, que sa jeune sœur fut donnée en mariage avec un vieil homme? Qui sait?..
Les femmes se tenant debout à l'entrée, s’échangeaient des sourires. L'une d'eux dirigea d'un air significatif son regard de Janali à la yourte où le fiancé eut passé la nuit et ironisa:
- La fille pour un, le koumys pour l’autre; les larmes pour un, la richesse pour l’autre.
- Et les parents riches en sus – dit son amie de la même manière. Janali rougit, mais n'ayant rien trouvé pour lui répondre, il sortit d'un bond de la yourte. Et puis Rapych se mit à parler:
- Allez, jeunes, allez faire une promenade. Janali a la raison pour se fâcher: Aïcha avant le départ devrait goûter la régalade que ses parents ont préparée pour elle selon la coutume. Les gens plus âgés l’attendent, et vous ne pouvez pas toujours dire au revoir...
Les jeunes gens se regardèrent, mais aucun d'entre eux bougèrent. Et Aïcha aussi demeura immobile.
- Ne sois pas triste, chérie, - parla de nouveau Rapych. - Nous sommes toutes en passées par là. Est-ce que ce n’est pas pour le foyer étranger qu’Allah a créé la femme? Donc, tout est la volonté de Dieu, et il ne faut pas pleurer pour rien, chérie. Père et mère veulent que tu dises au revoir à tous les habitants aoul, reçoives la bénédiction des aqsaqals , goûtes un repas dans les maisons des gens respectés. Vas-y, ne pleures pas en vain...
Aïcha souleva ses paupières, fronça les sourcils en colère:
- Rapych, j’ai grandi dans tes bras. Et il n'y eu aucun cas que je t’ai désobéi, ou que nous ne nous sommes pas compris. Mais maintenant je te dis: parts, je ne ferai pas ce pour quoi on t’a envoyée.
Rapych eut le souffle coupé de surprise.
- Que dis-tu, chérie, - se hâta-t-elle.- Bon... je me tais... J’ai seulement te passé les mots de tes parents. Donc, ne sois pas fâchée, ma chérie... Elle sortit de la yourte, et bientôt un autre messager des parents d’Aïcha vint.
- Ton père et ta mère te disent d’aller visiter les aouls. Les chevaux sont sellés dès la matinée, et le tien aussi. Si tu es leur fille, donc obtempères et obtiens la bénédiction des aînés, - dit-il.
Aïcha ne bougea guère. Les jeunes gens se regardaient avec perplexité, ne sachant pas comment se comporter.
Dans la yourte entra brusquement la mère d’Aïcha, et tous les yeux se tournèrent vers elle. Salikha fut en colère. Elle fut enivrée de l'idée qu'après être propriétaire de trente têtes de bétail et membre de la famille de Bimendé, elle pourrait se tenir sur un pied d'égalité avec sa femme de Baï Aïnach, et elle oublia son incertitude récente.
- Pourquoi n’écoutes-tu personne? Pourquoi ne visites-tu pas les habitants de l’aoul? – demanda-t-elle agressivement. – Est-ce que tu es la première fille qui quitte sa maison paternelle? Les chevaux sont prêts, les gens t’attendent. Enlève immédiatement toutes te lubies de la tête! – ordonna-t-elle et se jeta soudain sur les gens présents: - Et vous, pourquoi vous asseyez-vous ici comme morts? Prenez Aïcha sous les bras et allez dans la rue. Ne restez pas ici bouches bée comme si vous n’avez jamais vu de l’accompagnage de la future épouse.
Aïcha regarda sa mère d’un regard froid.
- Vous pouvez faire n’importe quoi avec moi, mais je ne vais dire au revoir à personne. Dans quelle maison la régalage est prête pour moi? Quelle bénédiction dois-je obtenir? Et pour quoi me bénissez-vous, parents, me bradant, me vendant à un veuf? Comme un chien sans-abri, vous me chassez à la porte, vous pressant, vous mettant en colère! Je n’aime pas ma famille, si elle me traite comme ça! Et si les chevaux sont prêts, moi aussi, je suis prête. Donnez-moi un cheval. Que les hommes qui doivent aller chez karakesseks pour ma rançon montent les selles. En route! In ne faut pas traîner la patte si l’affaire est faite. J'ai dit tout.
Tous furent silencieux, Salikha baissa la tête. La fille a raison! Séduits par la richesse, ils déférèrent aux supplications, il était à craindre que cela se terminât par un grand désastre. Ainsi, avec sa tête baissée Salikha partit. Allant à pas de loup, à la yourte arriva un djiguite basané, un des compagnons du futur époux.
- Es-tu du clan de karakessek? - le demandai le jeune fille. - Oui.
- Êtes-vous vraiment prêts à partir? - Oui.
- Dans ce cas, prépare pour moi la jument rousse de Chakir...
- Ton cheval est sous la selle depuis déjà longtemps.
- Non, je veux monter le cheval de Chakir. Il est plus rapide - dit obstinément Aïcha, et le djiguite n'osa pas lui contredire craignant son caractère dont il eut beaucoup entendu parler.
- Eh bien, - dit-il en partant, mais elle l’arrêta à la sortie:
- Amène ton cheval aussi. Nous nous assoirons ensemble dans les selles et partirons. Je ne vais dire au revoir à personne, ne l’oublie pas. Et dépêche-toi...
- D’accord - dit encore une fois le djiguite déjà en partant.
- Et toi, vas l'aider - dit Aïcha à Sadyrbek, qui la regarda avec surprise et obéit à l’ordre.
Peu après, les deux chevaux sellés se tenaient debout près de la yourte d’Aïcha. Le djiguite basané et Sadyrbek entrèrent dans la yourte. Les filles, jeunes femmes et jeunes hommes étaient silencieux et regardaient ce qui se passait, doutant de ses yeux et oreilles.
- Tout est prêt? - se tourna Aïcha vers les nouveaux venus. Et ayant reçu une réponse affirmative, elle commença à s’habiller hâtivement. Elle a mis le tchapan, ceintura sa taille et pris le kamtcha.
- Bon, adieu, - se tourna-t-elle le groupe de jeunes gens. - Je ne vais plus dire ce mot à personne outre vous. Désormais, je n’ai ni père, ni mère, ni parents. Dès maintenant, c’est les karakesseks qui sont mes parents. Adieu, adieu à tous! Et si j’ai offensé l'un de vous par ma parole ou mon action, ne gardez pas du mal envers moi dans votre cœur. Allah est le plus grand!..
Soudain, la foule éclata. On se mit à pleurer et se lamenter:
- Aïcha-aou, est-ce que tu vas vraiment partir commença?
- Emporteras-tu l’offense dans ton cœur?
- Ah, chérie, et tu ne diras pas adieu à tes parents?
- Ne sois pas fâchée, chérie, nous t’aimons.
- Reste un peu plus longtemps.
- Aïcha, janym, est-ce que tu t’offenses de nous aussi?
- Au moins dis-nous adieu à l'aimable. Tous gémissaient, soupiraient, embrassaient Aïcha.
Enfin, elle s'arracha avec peine à l'étreinte. - Assez! Assez!.. Filles, cessez de pleurer... Adieu…Pardonnez-moi pour tout... - Elle essuya ses larmes montées et grimpa sur une jument rousse amenée par le djiguite.
Les filles garçons, enfants, jeunes femmes coururent en foule après elle. Les habitants adultes de l’aoul regardaient en silence tout ce qui se passait. Aïcha ne regarda même pas sa mère, père et famille.
- En route! – ordonna-t-elle, agitant son kamtcha, et le cheval prit le galop. Et le fiancé, et marieurs, et parents restèrent bouches bée de surprise, comme les radeliers, qui laissèrent échapper leur radeau. Mais bientôt Chakir revint à soi et monta en selle. Son exemple fut suivi par tous les autres. Parents, rattrapant Aïcha, voulaient lui dire au revoir au moins là, dans la steppe, mais dès qu’elle entendit le bruit des chevaux approcher, elle seulement pressa un cheval de l'éperon, sans même regarder en arrière. Cheval ambleur roux, le favori de Chakir, se précipita et laissa les escortes loin derrière lui. Sur son dos se tenait avec ténacité, comme un faucon, une fille avec les sourcils épais froncés.
Le ciel dégagé et le soleil inonda la terre de son rayonnement. Cavaliers courraient à l'ouest, où les karakesseks vivaient.
Pendant ce temps, de derrière du sépulcre, sur les rives de l’Ossen sortit un homme sur un cheval gris. Visage large plat, dasané... Il porta de vieilles bottes immenses aux pieds, un tchekmen doublé avec le poil de chameau au-dessus d’un bechmet usé noir. À la tête il porta un tymak. En ses mains il y eut un kamtcha avec une grosse poignée blanche. Au flanc il porta un soïl lourd. Le djiguiteIl fut caché de l’escorte d’Aïcha par l'herbe haute et les espaces ouverts il traversa au galop. Ainsi, il dépassa les cavaliers et ayant choisi un endroit confortable il mit pied à terre, se plia et prêta l'oreille, tenant fermement les rênes.
Quand escorte d’Aïcha passa devant lui, il examina soigneusement chacun d'eux, puis il remonta en selle et partit sur leurs traces. Midi fut déjà passé, lorsque de derrière d'un autre tombeau le deuxième cavalier apparut. Les flancs de sa jument claire efflanquée avec une courte crinière et la queue claire furent couverts de sueur. Dès que le cavalier s’approcha d’un minaret, de son puits une troupe d’huppes fasciées s’envola soudainement. Le cheval se démena avec frayeur, mais djiguite le rassura et, traînant son soïl, alla au bord de la falaise. Là, il s’arrêta, rabattit l’oreille de son tymak de fourrure. Puis il toucha la croupe de son cheval avec son kamtcha et suivit les traces fraîches laissées par le cheval gris de l’homme au visage large.
Sur la lèvre supérieure du djiguite la moustache poigna légèrement. Mince, blond, aux pommettes saillantes, il allait rapidement et facilement, comme un virevoltant poussé par le vent. Quand il atteignit les sommets des collines d'Ak-Tasse, le soleil se fut déplacé à l'ouest, derrière le bosquet de Chotan. Le jeune homme regarda la steppe plate baignée par de la rivière le Sary-Sou, la vallée de Kara-Chalguy. Au loin, troupeau allait en soulevant un nuage de poussière. Les yeux perçants du jeune homme distinguèrent un groupe de cavaliers allant en queue du troupeau.
- Les voilà - dit-il à haute voix et immédiatement remarqua un djiguitea solitaire qui suivait les cavaliers d’une allure de loup se cachant et se masquant. Il sourit légèrement d’un air satisfait, il alla à travers la steppe étalé comme une nappe devant lui. Il alla au galop sans pitié de son cheval, et bientôt atteignit le bord de la Kara-Chalguy. Deux paires d'yeux et d’oreilles – ceux de cavalier et se son cheval – regardèrent et écoutèrent attentivement chaque bruissement. À chaque brut étrange le cheval se trémoussait d’un pied sur l’autre facilement comme un chamois, remuait les oreilles avec circonspection et tournait peureusement les yeux brillants.
Soudain, il frissonna et recula de côté. Le djiguite presque tomba de la selle de surprise.
Silencieusement, comme un faucon planant, devant lui apparut le même djiguite sur un cheval gris, qu'il eut observé de loin, mais puis perdit de vue.
- As-tu pris peur, Alkeï – taquina son ami le djiguite sur le cheval gris.
- Oui, un peu, Abil - rit le jeune homme. – J’ai été si pressé que je n’ai pas remarqué comment je t’ai dépassé. Et le cheval, chacun sait, a les yeux et les oreilles à l'avant, donc tu nous a pris par surprise.
- Est-ce eux? – indiqua Abil une tache noire mouvant, à peine perceptible dans le crépuscule.
- Oui, ils se dirigent vers Aydeké, mais probablement ils passeront la nuit dans l’aoul de Syzdyk, chez le baï Bimendé. Eh bien, nous aussi, on doit aller parque que la nuit tombe et on peut les perdre de vue - dit Alkeï.
- Tu as raison, ils ne passeront pas par les parents si riches, - accepta Alkeï. Sa jument hennit et le cavalier tira les rênes. Le cheval gris d’Abil seulement mut son oreille d’un air désapprobateur à l'appel de la jument.
Le soir est tomba. Le cortège d’Aïcha vraiment décida de s’arrêter en aoul de Syzdyk. Ils se partagèrent en deux groupes. Korjenbaï mit le fiancé et ses amis chez Bimendé, et les femmes et marieurs, allant pour l'achat, s’installèrent chez Moussérélé.
Syzdyk dont le nom fut porté par l’aoul, fut le père de Bimendé. Muserele, l’homme très calme, pas riche, fut le neveu de Syzdyk. Syzdyk épousa sa mère après la mort de son frère, le père de Moussérélé.
Baï Bimendé eut deux yourtes, chacune pour une femme. Yourtes étaient proches, presque se touchant. La yourte grande appartenait à l’épouse aînée, et la plus jeune femme habitait dans la yourte plus petite. Outre cela, dans une petite yourte on gardait les peaux tannées, produits, biens pour la vente et l'échange.
Chakir et ses compagnons s’installèrent à l'aise dans la yourte de l’épouse aînée de Bimendé, comme s’ils étaient dans leur propre maison se sentant ravis et réjouis comme les gens, dont les chevaux gagnèrent le prix dans la compétition.
Bimendé fut un bon maître. Derrière ses yourtes il y eut les chariots, moissonneurs. Les vaches ruminaient, reniflant bruyamment, les moutons et les veaux grouillaient, chameaux se tassaient avec des chamelons.
Les chevaux des visiteurs furent attachés près de la yourte plus petite. Il y avait aussi des samovars bouillant, à côté de lesquelles des figures féminines allaient et venaient.
Baï Bimendé samblait gonflé d’arrogance. On aurait pu penser qu’il se sentait étranglé dans sa yourte par les pensées à sa propre grandeur. En fait, sans quitter sa maison, sans lever le petit doigt, il arrangea le mariage de Chakir avec une magnifique fille. Pour lui, maître du fricotage à l’aide de la tromperie la plus impitoyable, il était agréable de voir une telle confirmation démonstrative de son importance.
Rayonnant comme une flaque d'eau au soleil, le visage gras, il se tourna vers la femme aînée.
- Qu’on égorge un gros mouton. Regarde quel oiseau notre parent a attrapé.
- On peut donner n’importe quoi à un bon homme – dit la femme dans la même manière de la femme, mais elle ne put pas se retenir d’une remarque sarcastique: - Touchons du bois!... Et pourquoi n'a-t-il pas choisi sa fiancée parmi nos filles? Est-ce que nous n’avons plus des colombes dignes de un tel aigle? - Ne babine pas sur ce que tu ne comprends pas, femme! Que je n’entende plus cela – l’interrompit Bimendé assombri.
Femme partir en riant. Elle regarda dans la yourte de tokal , donna l'ordre de tout préparer pour le désossage, ensuite elle choisit au kotane un mouton approprié et ayant terminé les tracas, elle retourna à sa yourte. Elle fut suivie par Korjenbaï.
- Vas-y, assois-toi à la place d'honneur – lui sourit Chakir.
- Euh, je vois que la chasse fructueuse pour le renard roux vous a lié d'amitié - remarqua Bimendé d’un air débonnaire.
- Le beagle doit être récompensé pour une telle proie, le chien attend pour une régalade - fit allusion en plaisantant Korjenbaï, assis sur le tore.
Bimendé rit allégrement, se battant le ventre tendu aves ses poings. Bokal entra avec une autre femme portant un énorme samovar bouillant et commencèrent à faire infuser le thé.
Prends du "cent-neuvième" ou "belokhvostka" . Et donne-nous de la crème la plus fraîche laisse, celle du séparateur, - lui ordonna Bimendé.
- Ne t’inquiètes pas, nous vous donnerons du meilleur thé que nous avons, - le calma sa femme aînée.
- Forte thé à la crème est une boisson parfaite pour les personnes qui accompagnent une fille parfaite – prononça Bimendé d’un air important, et les invités se mirent à hocher les têtes, bouger, ahaner exprimant ainsi le plaisir.
Dans la yourte regarda timidement un homme bas à la barbe emmêlée mince, portant des vêtements usés. Il hésita, s’arrêta à l'entrée et salua:
- Bonjour, Bimendé. Salam, Chakir. Mes félicitations.
- Merci, si tu ne rigoles pas. Comment vas-tu? - demanda Chakir.
- Comme ci comme ça, - dit l'homme vaguement.
- Ravi de te voir, Konyrbaï. Chanteras-tu aujourd'hui en l'honneur de Chakir? As-tu déjà entendu, quelle jeune fille il a obtenue? – lui s’adressa Bimendé.
- Bon, d’accord - consentit Konyrbaï.- Je chanterai pour Chakir comme je lui ai chanté la dernière fois. Je sois venu plus tôt, mais j’ai un enfant qui est malade et j’ai passé toute la journée près de lui. Même pour arriver ici, je peux dire qui je me suis échappé de la maison par ruse. J’ai voulu beaucoup venir voir Chakir et vous.
La femme aînée mit devant des invités une nappe multicolore, mit des baoursaks et du sucre. Dans l’entre-temps Tokal versa du thé dans les tasses façonnées en porcelaine.
- Konyrbaï, mais pourquoi tu ne te marie pas? Est-ce que c’est possible de vivre en vieux garçon avec de petits enfants? J’ai entendu parler que tu même récoltes le lait par toi-même? – s’adressa la femme âgée de Bimendé affairée près du samovar au nouveau venant.
- Oh, Joumabiké penses-tu que le mariage est rien du tout? Qui m’épousera? - dit Konyrbaï.
- Euh, le pauvre... Oui, pourquoi pas alors? Regarde Chakir – un mois s'est à peine écoulée qu’il a enterré sa femme, et voilà, il en amène déjà une nouvelle. Ou Bimendé: je n'ai pas encore eu le temps de mourir, et il a épousé une seconde femme – piqua son mari baïbiché. Korjenbaï, Chakir et Bimendé éclatèrent de rire.
- Ah, Joumabiké, ce ne sont pas les choses comparables. Je ne suis pas égale l’estimable Bimendé. Et qui donnera gratuitement sa fille en mariage avec un pauvre homme? Et moi, je n’ai guère de moyens pour acheter mon épouse – s’attrista Konyrbaï.
- Comment puis-je savoir? Dans la vie tout est possible de faire d'une façon ou d'une autre, on doit seulement le vouloir - répondit baïbiché.
- Asseyez-vous à côté de nous - proposa à Konyrbaï Akach, l'un des compagnons de Chakir.
- Pas de souci. Continuez à manger. Je suis venu seulement vous voir - dit Konyrbaï embarrassé.
- Vas-y, vas-y, - lui fit signe Bimendé et Konyrbaï finalement décida de s’approcher au dastarkhan .
- On dirait que tu n’as pas besoin de la femme, sinon tu trouverais les moyens pour payer, - lui s’adressa Korjenbaï de manière désinvolte, versant de l’Infusion épaisse de "belohvostka" dans la soucoupe - L'année dernière, quand tu as erré au djaïliaou, tu as eu beaucoup de bétail, je m’en souviens...
- Je m’en souviens aussi. Mais je n’ai plus de ce bétail - dit Konyrbaï en tendant maladroitement la main pour prendre un minuscule baoursak.
- Si tu confesses combien de bétail tu vraiment possèdes, bon, je vais te trouver une épouse convenable - continua à se moquer de lui Korjenbaï.
- Oh, le pauvre... Voilà qui s'appelle parler!... Et il la vraiment trouvera!.. Notre Korjenbaï est un marieur débrouillard! - sourit Joumabiké mordit avec craquement dans un morceau de sucre. Tous éclatèrent de rire de nouveau.
- Et vraiment, tu dois présenter ton bilan à Korjenbaï, si tu veux que ton affaire soit faite - reprit Bimendé.
- D’accord, calculez... Deux vaches avec des veaux, dix moutons avec des agneaux, un cheval, un chameau et un taurillon âgé d’un an. Voilà mes bovins, et trois enfants dans la yourte bouches ouvertes, comme des petits choucas...
- Oh! Mais qu’est-ce que tu as fait avec le reste de tes bovins? Est-ce que du vivant de ta femme tu en as eu autant? - demanda Korjenbaï d’un air méfiant.
- Tu demandes ce que j’ai fait... On a mangé quelques-uns, plusieurs d’autres sont mortes pendant le djoute, certains bovins ont été perdus... L'un jour passé, par exemple, des escrocs ont volé ma dernière bonne jument... Et en hiver dernier Abdrakhman crapule a pris un chameau, il m’a dit qu’il allait transporter le chargement de l'usine en ville et qu’il me payerait de l'argent. Et ne m’a pas rendu le chameau, et je n’ai reçu presque aucun argent de lui, sauf pour le dépôt. Mais le dépôt a été une somme ridicule.
- Comment cela peut être possible? – s’étonnèrent les gens présents.
- Oui c'est vrai. Je lui ai demandé, où mon chameau était? Et il m’a dit: "Ton chameau fut arrêté par un agent de police et donné aux soldats".
- Quels soldats?
- Ceux qu’ont été appelés des villages pour se battre avec les Allemands. Abdrakhman disait: "Dès que je suis sorti de la ville, j’ai vu une troupe de soldats. Quand je me suis approché d’eux, des policiers et des gardes, qui accompagnaient les soldats, m’ont dit de descendre du chameau, mais je n’ai pas obéi. Puis ils me battaient, ont pris ton chameau avec tout ton harnais et l’ont arrêté. Puis ils se sont assis sur la traîneau et partis".
- Et ont-ils pris seulement ton chameau? Et les autres, on ne les a pas touchés? - demanda Chakir.
- Oui, il me l'a dit...
- Et on ne lui a donné aucun morceau de papier?
- Il dit que non.
- Et il ne t’a pas rien payer?
- Il m’a payé un patard, je l'ai déjà dit, le dépôt. Qu'il il crève plus vite avec son dépôt! - échappa à Konyrbaï.
- C'est de la prestidigitation!- dit Korjenbaï, en regardant Bimendé et Chakir.
- Mais pourquoi n’as-tu pas demandé notre Bimendé de faire Abdrakhman te payer le coût de chameau? - demanda Akach.
- J`ai demandé, mais notre honorable Bimendé est un homme occupé, - Konyrbaï se replia d`un air flatteur de ne pas regarder le baï. Et Bimendé se gonfla de nouveau.
- Seulement un fou peut faire des affaires avec Abdrakhman, - dit-il. – On ne doit pas donner à ce chien même de la graisse de chameau sans parler déjà du chameau. Mais... peut-être qu'il ne ment pas. C’est vrai qu`en hiver dernier beaucoup de gens ont été appelés sous le drapeaux des villages et aouls, et beaucoup d'entre eux ont rôdé sur les routes. Quand nous sommes rentrés en hiver dernière de la ville avec des charrettes, j’ai dû aller en avant jusqu'au moment quand nous avons passé les villages sur les rives de la Noura. Et pendant tout notre chemin nous avons été dérangés par des soldats. "Donnez-nous ceci, donnez-nous cela"... Mais si on leur parlait à l'amiable, ils ne touchaient personne. Je me rappelle rencontrer le fils de l`homme à la moustache blonde, russe de Zhylanda qui était habillé dans les vêtements en lambeaux, et toute sa bande avait le même air. Il m`a reconnu, m`a serré la main et a dit plaintivement: "Nous allons à la guerre... On ne sait pas si les allemands nous laisseront partir vivant, ou nous y laisserons nos os..." J’ai sorti cinq roubles de la poche lui ai donné. Il l'a pris. Et il ne m`a pas touché.
- On vient d’appeler son frère aussi - dit Korjenbaï.
- Il est difficile, je suppose, pour eux d’être dans un pays étranger - dit Akach.
- Mais si! Bien sûr, qu’il est difficile. Ne sont-ils pas des êtres humains? Tout le monde souffre quand les Allemands égorgent tous comme des moutons, - dit Korjenbaï.- Que diras-tu? - Il se tourna vers Chakir.
- Et que puis-je dire, eh bien, qu’il égorge ces kafyrs . Ils ont voulu occuper nos terres, prendre notre bétail, ils ont halé des brigadiers de brandir les kamtchas au-dessus de nos têtes, donc Allah les punit. Est-ce vrai, Konyrbaï? - s'échauffa Chakir.
- Oui, mais avec eux notre frères meurent. L'Allemand n'épargne personne, l’allemand vole à travers le ciel, jetant des bombes enflammées de dessus. Le Russe n’y est pour rien, c’est l’officier de police qui est coupable, il a pris mon chameau - se décoinça tout d'un coup Konyrbaï.
- Ça suffit de parler ici à propos de l’officier de police et du brigadier- les arrêta Bimendé. Le silence gêné s’établit. Joumabiké passa dans une petite yourte où les djiguites déjà écorchèrent et étripèrent le mouton, et tokal faisait la vaisselle.
- Bon, Konyrbaï, du courage! J’essayerai de t’aider - frappa Bimendé son genou avec la paume. - Et maintenant chante une chanson en l'honneur de Chakir et son épouse – ordonna-t-il, appuyant son dos contre les oreillers.
- Je ne sais quoi dire, je ne suis pas en voix aujourd'hui - commença à refuser Konyrbaï.
- Chante. Ne fais pas de manières? - le reprocha Korjenbaï.
- Je ne fais pas de manières. D’accord. Qu'est-ce que vous voulez que je chante? Je chanterais une chanson courte. Comme celle-ci, par exemple - dit Konyrbaï et commença:
Notre vie est sombre comme la nuit
Et serré comme la prison.
Oh, sans nos querelles
Elle aurait pu être heureuse!
On est dans les heures d'amertume,
Tous ont besoin de terre et d'eau.
L’âme ne peut pas confiner tous les désirs,
La douleur est profonde comme la mer.
- Non, tout de même, je ne suis pas en voix aujourd'hui – s’étant raclé la gorge, dit tristement Konyrbaï.- Permettez-moi de vous dire des poèmes...
Et sans attendre la permission, il se mit à réciter:
Kazakh, tu es aveuglé par l'ignorance,
Pour les tribus culturelles tu n’es qu’un risée.
Tu ne penses guère à l'avenir de la steppe,
Ton insouciance t`apporte le chagrin et le gémissement.
Kazakh, pourquoi es-tu si irréfléchi?
Tu es fatigué de nomadisme! Et, comme un lapin coure dans les buissons
Tu t`enfuis vite du policier en tremblant.
Les gens, pourquoi êtes-vous devenus des lâches?
Vous ne pouvez pas, n`osez ne pas reprendre
Ce que votre seul frère vous a pris.
Qui nous éclairera? Et qui fixera
Son regard audacieux et décisif sur l'ennemi?
Qui va donner le cœur pour son peuple aimé?
Où est l'homme? Et quand viendra-t-il?
Personne n`a pas besoin de paroles des pauvres,
C`est seulement le baï qui crie, bien que sa bouche soit courbée.
Konyrbaï termina sa lecture par un long soupir et se recroquevilla de nouveau, évitant de regarder Bimendé.
Mais baï resta imperturbable. Il semblait incapable de même imaginer que les dernières lignes du poème de Konyrbaï auraient pu avoir une moindre relation avec lui.
- Tu es un vrai akyn ! - exclama Korjenbaï.
- Bon mots. Bons mots! - remarqua Akach.
- Regarde notre famille: nous sommes dépossédés des meilleures prairies sur les rives de la rivière Koura et des meilleures terres – on a donné tout aux migrants. Le commissaire de police nous a fait quitter ces places-là. Mais vous le savez tout vous-même, mon père a été forcé de se déplacer chez karakesseks, la terre de la famille de ma mère.
- Bon, assez de ouinouiner – l’interrompit Bimendé et se tourna avec l'air digne vers Konyrbaï:
- Oui, tu es un vrai akyn. Dis-nous, est-ce que tu composes ces chansons par toi-même?
- Non, je ne suis pas capable de les compose, - murmura Konyrbaï, toujours détournant les yeux. – Je chante ce que je lis dans les livres.
- Donc, sais-tu lire des livres? Mais pourquoi caches-tu ta connaissance? Les gens comme toi doivent enseigner les enfants! - s'écria Korjenbaï.
- Je ne pourrais pas être professeur – dit Konyrbaï avec un geste désabusé de la main. – Je pige seulement un peu en turc. Je lis tout ce que me tombe sous la main. Et si quelque chose me plaît, je l’apprenda par cœur. J’adore la poésie depuis mon enfance...
Soudain, dans la yourte entre timidement un garçon au pantalon déchiré. Joumabiké le remarqua la pemière.
- Euh, à qui est ce gamin? N’est-il pas ton fils, Konyrbaï?
Konyrbaï tapota le garçon sur la tête.
- Qu’est-ce qui s'est passé? Pourquoi es-tu venu? – demanda-t-il.
- Outèche pleurer... il t’appelle - murmura l'enfant embarrassé.
- Il pleure, dis-tu? Eh bien, alors allons-y – se leva Konyrbaï.
- Viens chez moi. Un de ces jours, je vais aller en ville et peut-être je ferai quelques démarches pour toi, - jeta Bimendé à sa suite.
- Merci, aga . Que Dieu garde votre maison. Et Chakir sois heureux, - dit Konyrbaï après avoir dit au revoir.
Bimendé, Chakir et Korjenbaï recommencèrent à parler de de choses et d'autres. Akach qui fut responsable pour le soin des chevaux, sortit après Konyrbaï. Les chevaux furent attachés solidement, et Akach, prenant un garçon comme l'escorte se dirigea vers la yourte de Moussérélé, où se trouvait Aïcha. Après avoir parlé un peu avec son frère Janali, il l'invita à Bimendé. Chakir et Korjenbaï étaient assis près de la yourte, parlant tranquillement. Dans le silence on entendait clairement la respiration bruyante de vaches et de veaux. Peu après Korjenbaï entra dans la yourte où il échangea quelques mots avec Bimendé. Ils sortirent déjà ensemble, mais Bimendé immédiatement disparut dans la yourte de tokal ayant donné aux djiguites le signe de le suivre. Dans la petite yourte il y avait le séparateur d’un côté de l'entrée et de l’autre côté se trouvaient des ballots de marchandises et des peaux tannées. Au fond on pouvait distinguer quelques coffres empilés l'un sur l'autre. Au centre, au-dessus du foyer une chaudière était accrochée. L'odeur du lait, crème, peau sèche, viande séchée flottait dans la chambre. Bimendé ouvrit l'un des coffres et commença à en sortir des coupes de toutes sortes de tissu.
- Voici le satin de coton - quarante kopecks. Voilà un ballot - vingt kopecks pour une archine... Soie – un rouble vingt kopecks... Bekessap - six hrivnas. Metketon - trente kopecks. Cretonne - vingt kopecks pour une archine. Il y a l’article à côte, drap, velours. En bref, tout ce que ton cœur désire - dit-il à Chakir.
- D'abord, tu prends tout ce que tu veux et puis moi – se tourna Chakir vers Janali.
Bimendé agita l’archine en bois. La tissu craqua. Tous ces achats étaient destinés, bien sûr, à Aïcha.
Elle était accompagnée à karakesseks par cinq personnes, y compris sa mère. Deux accompagnants, Janali et Aïdar, étaient ses frères, les deux autres, Serik et Tinjen était aussi des parents de Kadyr. Tinjen était le frère aîné de Rapych et Serik était le frère cadet de Rahiïa, la femme de Janali.
Les accompagnants s’installèrent confortablement dans une grande yourte fumée de Moussérélé et restaient silencieux, tâchant de toutes les forces de leur donner un air sérieux.
La fille de Moussérélé, du même âge qu’Aïcha, était assise en face de la fiancée, qui fut placée de côté droit de la yourte sur le lit de belle-fille.
La belle-fille de Moussérélé était occupée par la préparation du thé. Près du foyer le maître était assis, passant posément la main sur sa barbe.
Sa femme âgée entrait et sortait de la yourte, surveillant sa belle-fille préparer le thé. Puis elle alla au kotan, où, après avoir examiné les brebis et béliers, elle commença à murmurer vigoureusement quelque chose à son fils. Le fils, l'ayant entendue, entra dans la yourte.
- Aké , puis-je vous parler une minute, s’il vous plaît...
- Oui... - Moussérélé se leva d'un air compréhensif. – Qu’est-ce qu’on préparera pour régaler nos visiteurs? - lui demanda à voix basse sa femme.
- Comment dois-je savoir? Choisis toi-même, - dit-il.
- Peut-être égorger l'un des deux chevreaux gris?
- Est-il convenable?... Les rumeurs suivent les visiteurs?.. Ils accompagnent toutefois la fiancée du le fils de Boranbaï. Si Boranbaï sais que nous avons servi chevreau, c’est nous-même qui aurons honte... Égorgez l'agneau pour une telle occasion - décida Moussérélé.
- Agneau de la brebis jeune sans oreilles, n’est-ce pas? - dit sa femme.
- Non, il vaut mieux de prendre celui de la vieille brebis. Sans agneau elle au moins s'engraissera vers l'hiver - objecta le fils de Moussérélé.
- C'est vrai. De la vieille brebis. Allez-y vite, au travail - dit le maître, retourna à la yourte et s’adressa à sa belle-fille: - Mis le feu et fais-le plus chaud, ne ménage pas de bois janym. Et où est ton thé? Est-ce que tu ne vois pas que les gens sont fatigués par la route. Et toi Aïnach - il se tourna vers sa fille – vas aider ta mère, avant qu’il fait complètement sombre.
Les visiteurs se rendirent compte qu'on allait leur servir de la viande, et certains d'entre eux perdirent tout d’un coup son air faussement digne. Et un mince Tin-Jan sans barbe du clan de karakessek, allant en tant que représentant honorifique de Boranbaï même clappa des lèvres en attente et secrètement avala sa salive. Le thé fut servi. Moussérélé s’assis près du feu. Aïnach alluma la lampe. Baïbiché et le fils de Moussérélé traînèrent dans la yourte un agneau butant. Derrière lui, dans la yourte glissa un chien à la poitrine blanche. Il remuait la queue, dirigeait son regard de l’animal tremblant à son maître et léchait doucement ses lèvres.
- Ah, avez-vous amené la bête? Faites la prière, et toi, Tursun - Moussérélé se tourna vers son fils – tu égorgeras l’agneau... Vas-t'en! – cria-t-il au chien. Le chien à la poitrine blanche partit la queue entre les jambes, mais pas loin. S’étant arrêté près de l’entrée, il se mit à attendre le bon moment pour revenir dans la yourte.
Le ciel se couvrit de lourds nuages gris. Ténèbres enveloppèrent et la rivière Sary-Sou, et la steppe avec l'herbe haute, et les montagnes, et les collines. Seuls les petites lumières des aouls voisins clignotaient légèrement dans l'obscurité. Et encore, de temps en temps on entendait des bribes de grands éclats de rire ou quelques mots des habitants des aouls.
Il eut beaucoup de bruits dans l’aoule de Syzdyk composé de huit yourtes. Toutes les yourtes furent éclairées. Les gens se trouvaient partout. On entendait partout les voix des visiteurs et des hôtes. Chevaux des compagnons d’Aïcha furent attachés près de la yourte Moussérélé. À côté de la yourte Bimendé les chevaux Chakir reniflaient.
Les foyers rutilaient. Les chiens sentant l'odeur du sang frais se chamaillaient en grognant. On entendit le râle de la mort de l’agneau et le chien à la poitrine blanche se jeta comme un éclair vers la yourte de Moussérélé.
On mit une cuvette de sang chaud près du seuil, et le chien à la poitrine blanche y trempa sa gueule. On l’entendit manger bruyamment et avidement. Un chiot roux s’approcha aussi à la cuvette, mais le chien à la poitrine blanche montra ses dents et grogna d'un air menaçant. Le chiot mit la queue entre les jambes, lécha le bord du bassin et regarda humblement le maître de la situation. Le chien à la poitrine blanche fut calmé par les signes si évidents de l'obéissance, il cessa de payer attention au chiot et se consacra à son expérience agréable, se gorgeant rapidement du plat savoureux.
Se cachant dans l'obscurité de la nuit, les deux cavaliers avec les soïls s’approchèrent prudemment de l’aoul. Tous les deux avaient les côtés de tchapans retroussés et les oreilles des tymaks pliées. Leurs chevaux marchaient silencieusement comme les chats. Les cavaliers scrutaient l'obscurité intensivement, jusqu’aux picotements des yeux.
- Faits attention à ta brider pour qu’elle ne tinte pas - murmura à peine audiblement Abil, qui fut un peu en avance sur son compagnon.
Avant cela ils surveillèrent longtemps l’aoul. Ils se déplaçaient à pas du loup, en essayant d’aller derrière les dos des yourtes. Soudain, un chien se mit à aboyer fortement. Les chevaux se figèrent sur place. Les cavaliers écoutèrent.
- Ils ne sont pas ici... Il me semble que ce ne soit pas l’aoul de Syzdyk. Et pas de chevaux, on ne peut pas voir que les visiteurs viennent d’être dans ces les yourtes, - murmura le garçon blond. L’aboiement de chien sa termina.
- Oui, nous sommes allés à gauche, - dit Abil.
Ils tournèrent leurs chevaux de façon à passer le long du ravin. Dans une grande yourte trouvée sur la pente, une petite lumière clignota, on entendit des voix. Presque bord à bord de la grande yourte, comme si étant dans ses bras, se trouvait la deuxième yourte, plus petite, mais là il n'y avait pas de feu.
Le blond Alkeï se tourna vers son ami:
- Regarde, il y a quelque chose de sombre près d’une grande yourte. Je pense que c’est un cheval attaché.
- Approchons-nous – suggéra-t-il.
Ils passèrent le long du fond du ravin et bientôt sortirent à une prairie avec l'herbe coupée. Soudain, la jument grise frissonna. Le cheval gris d’Abil fit un pas et s’arrêta aussi. Le djiguite à la face large eut le cœur glacé. Il frappa légèrement son cheval, mais le cheval ne bougea pas, il resta debout comme une chatte qui flaira une proie ou comme un souris en alerte.
Alkeï tâchait de voir quoi que ce fût. Ses yeux perçants semblaient forer l'obscurité.
- Oï-baï, le cheval a aperçu quelqu'un - dit Abil.
- Il me semble qu’il n’y a aucuns visiteurs dans cet aoul non plus. Le cheval se tient près du kermé . À qui est-il, que penses-tu? Je pense que c’est Moussa, le fils d’Issabek, qui attache le cheval de cette façon... Ce doit être son aoul...
- Je voudrais savoir ce que mon cheval voit. Il regarde ces ravins-ci. N'y a-t-il quelqu'un là-bas? Allons-y regarder - suggéra Abil. Cela dit, ils virent la silhouette d’un djiguite portant des vêtements longs. La silhouette apparut à la distance de cinquante pas d’eux et immédiatement disparut dans le ravin. Au même moment, une autre ombre, selon les contours ce fut une femme, se courbant vers la terre, courut à la steppe. Les chevaux se jetèrent de côté et s'emballèrent. Des chiens se lancèrent à leur poursuite en aboyant, mais les chevaux semblèrent évaporer dans le néant de l'obscurité de la nuit.
Des gens sortirent des yourtes et commencèrent à encourager les chiens avec leurs des cris. La belle-sœur de Moussa essoufflée raconta à la hâte à son beau-frère comment elle se fut rencontrée avec les deux cavaliers:
- Oï-baï, je suis allé à me soulager là-bas et j’ai vu deux cavaliers. Dès qu’ils m’ont remarquée, ils sont partis. Tiens, comment les chiens s'acharnent...
Elle préféra de ne rien dire, au motif connu seulement à elle-même, à propos de l’ombre, se cachant dans un ravin. Son beau-frère, un jeune djiguite, eut le souffle coupé:
- Oï-baï, dis-tu qu’ils sont partis? Ils sont des voleurs! Il est clair que ce sont des voleurs! Pourquoi t’es-tu attardée? Pourquoi n’as-tu pas simplement crié?
Sans attendre sa réponse, il se jeta à corps perdu dans la yourte et tomba nez à nez avec Moussa. Il vint en boitillant chez sa belle-fille.
- Qu'est-ce qu’il a... Combien étaient-ils? Par quel chemin sont-ils partis? Aoul s'alarma. On entendait partout des cris: - Voleurs! Voleurs!
Mouvement de Moussa devinrent pressés, sa voix s'interrompait, et même la boiterie semblait s’intensifier.
- Il faut informer les aoul le plus vite possible... Oteïa! Assaoutaï! Allez prevenir Oumbet. Beïssembaï, Akkouba, allez vite chez Iskander. Joumagul! Sat! Allez chez Bimendé! Ils ont des visiteurs dans son aoul et beaucoup de chevaux. Mettez avec pridence des djiguites près des troupeaux. Que tous se tiennent sur le qui-vive! – ordonna-t-il.
Puis il demanda de nouveau sa belle-fille de ce qu'elle avait vu. La femme rusée répéta sans hésiter:
- J’ai pris mon koumgan et je suis allée me soulager. Alors... Tout à coup, j’ai vu deux cavaliers que se trouvaient dans le ravin et regardaient notre cheval bai clair. Mais au début, je n’ai pas remarqué que c’était des cavaliers. J’ai pensé que c’étaient les chevaux que se sont attardés derrière notre troupeau. Plus je suis venue plus près et j’ai vu deux cavaliers. Et à ce moment-là, ils m’ont remarquée, eu peur et se sont enfuis. Ce fut alors que je me suis rendu compte qu'ils étaient les mauvaises personnes, mais je ne l’ai pas compris au début c’est pourquoi je n’ai pas crié.
- Oï-pyrmaï ! Allah merci! Si pas Kantbala, on aurait volé nos chevaux. Nous avons des troupeaux sans gardiens! - se lamenta Moussa.
Le premier effarouchement passa, et les gens s’échangeaient déjà des blagues. Pendant ce temps, six aouls furent notifiés, et les habitants commencèrent à prendre en hâte toutes les mesures possibles de protection. Ceux dont les chevaux pâturaient aux troupeaux, s'accordèrent sur l'envoi des cavaliers là-bas. Avec Joumagulov et Sat encore deux djiguites partirent pour l’aoul de Syzdyk. L'un d'eux fut le fils de Bimendé, l’autre fut le voisin du baï. Ils salutèrent Moussa et les gens s’entassés autour de lui.
- Musa eké ! Mon père a demandé si on peut envoyer encore de cavaliers? Il a dit qu’il fallait envoyer une personne de chaque aoul au troupeau. Père dit qu’il est nécessaire d’équiper plus de gens, - dit le fils de Bimendé.
- Oui… Il a droit… Je suis d'accord... Attendez, je vais revenir. Et vous Joumagul et Outen, trouvez des chevaux pour vous-mêmes, et sinon montez au moins des chameaux, mais allez vers le troupeau. Les autres restez protéger l’aoul, - ordonna Moussa et ajouta: - Si les chevaux ne sont pas suffisants, asseyez-vous les deux sur un cheval, mais soyez dans le troupeau! Et moi, je vais chez Bimendé. Hé, quelqu'un là-bas! Apportez-moi ma lance!
Son cheval piaffait, reniflait, déchirant les rênes.
- Oï-pyrmaï, probablement, il sent qu’il aura une course folle. Oh, Allah!.. Eh bien, où est la selle? Sellez plus vite!.. Lance, où est ma lance? - s'agitait Moussa. On entendait la viande d'agneau juste abattu gargouiller dans un chaudron. Aïcha se leva pour sortir accompagnée par la fille de Moussérélé. Belle-fille, qui était occupée près du feu, laissa le travail à se joignit à eux.
- Mes chéries! Attention, regardez plus souvent autour de vous, la nuit est sombre!.. Comment vont les chevaux de nos visiteurs? Dites au veilleur de ne pas somnoler - instruisait Moussérélé sa fille et sa belle-fille, bien que son regard fût fixé sur Aïcha. Aux pantalons, tchapan, toque en jambes de renard, elle avait l'air d’un jeune djiguite et seulement si on la regardait de plus près, il était possible de comprendre comment elle était charmante. "Quelle fille!" - pensait Moussérélé admiré.
Après la vive lumière, l’obscurité environnante semblait impénétrable aux femmes.
- Quelles ténèbres! On n'y voit goutte, - dit la fille de Moussérélé.
- Il fait noir comme dans un four. Prenez garde de ne pas trébucher. Il fait si sombre que c’est effrayant - enchaîna la belle-sœur.
- La crainte ne nous aidera pas. La vie de chaque personne forcée est sombre. Il ne faut pas avoir peur de l'obscurité, nos yeux s'y habitueront bientôt - dit Aïcha, et marchant avec précaution, elle commença à faire le tour de la tente.
À leur approche, Serik qui gardait les chevaux, se leva.
- Comment vas-tu, Serik? - demanda Aïcha, s'arrêtant devant lui.
La question inattendue de la jeune fille qui eut gardé bouche cousue tout le chemin, surprit le djiguite.
- Voilà, je fais la garde... Ne voulez-vous pas m’aider? – plaisanta-t-il.
- Mais est-ce que tu es fatigué? – intervint la belle-sœur.
- Je ne dors pas la deuxième nuit. Je n’arrive que somnole parfois par à-coups - confessa Serik.
- Quel gardien es-tu, si tu commences à le rêver du lit de plume à partir du soir – le taquina sa belle-fille.
- Qui pourrait penser à voler des chevaux d’un aoul tellement peuplé? Qu’il dorme combien il veut, - sourit Aïcha.
Femmes en riant marchèrent dans le fourré de stipa.
- Crier plus fort, effrayons le voleur ou le loup se cachant - Aïcha se tourna vers ses compagnons.
- Laisse-moi essayer – proposa la fille de Moussérélé. - Hé! Aït!
Aïcha avec la belle-fille rirent et firent chorus avec la jeune fille. Le frère Aïcha Aïdar sortit de la yourte et commença à chuchoter avec Serik. Parfois ils regardaient à l'endroit d’où les cris des femmes venaient, mais ils ne pouvaient rien voir, bien qu’ils entendissent des rires, des exclamations, le tintement des koumgans venant du fourré de stipa. La voix Aïcha qui disait quelque chose à la fille et belle-fille de Moussérélé, sonnait comme un ruisselet se frappant contre la glace fragile. Aïdar, faisant semblant d'inspecter les chevaux, quelque fois cria fort:
- Aït!.. Hé!.. Oushout!..
Puis il revint à la yourte.
Nuit était tranquille. On n’entendait que les bribes des conversations et le bêlement des moutons venus des aouls voisins. Soudain, il sembla aux femmes que quelqu'un caché dans les ténèbres se soit approché furtivement d’elles: une touffe de stipa chancela devant elles.
- Je pense qu'il y a quelqu'un qui marche ici – la belle-sœur dit, montrant un buisson.
- Mais qui peut être ici? - répondit calmement Aïcha. La touffe de stipa chancela de nouveau.
- Oh, il y a en effet quelqu'un là-bas... Oï-baï, et si c’est vraiment le voleur? Allons vite à la maison, disons-le à nos gens – sursauta la fille de Moussérélé.
- Assez! Le voleur a besoin des bovins, et la conversation des jeunes filles et des jeunes femmes n’intéresse que les djiguites. Tu verras, de là sortira l’un de ceux qui veulent parler avec toi, - l’assura Aïcha et s’adressa à la touffe qui s’agitait:
- Veillez nous montrer votre visage. Il n’y a personne ici sauf des filles et une jeune belle-fille.
Soudain, de derrière des tiges de stipa on entendit le murmure étouffé:
- S'il vous plaît, n’ayez pas peur de moi...
- C’est un homme! – poussa un cri aigu la fille de Moussérélé.
- C’est un homme! – lui fit écho la belle-fille.
- Ne faites pas de bruit! Je dois vous dire quelque chose, - dit la voix. Dans les fourrés un djiguite blond se montra. - Bonjour...
- Bonjour! - dirent les filles et la belle-fille stupéfiées.
- Aïcha, pardonne-moi ... J’ai besoin de toi. Que tes compagnonnes t’attendent un peu, - dit le djiguite.
Aïcha sauta. – Restez ici, s'il vous plaît, et je vais parler à cet homme.
- Bon, d’accord, - balbutèrent avec effarement la belle-fille et la fille de Moussérélé. Djiguite et Aïcha se cachèrent dans les buissons, Aïcha pourtant retourna bientôt.
- Je dois lui donner une chose. Il est spécialement venu pour elle de notre aoul. Allons à la maison, je trouverai ce qu'il demande, mais vous ne dites à personne à propos de notre rencontre, - dit-elle.
La jeune femme et la jeune fille pensèrent qu’elles commençaient à comprendre de quoi il s’agissait.
- Oï-baï, pourquoi devons-nous le dire à quelqu’un? Il ne faut pas parler trop – Se mirent-elles parlé à l'unisson.
- Allons-y! - ordonna Aïcha. – J’ai mis un paquet sous un oreiller sur lequel j’ai été assise ce matin. Là il y a quelques bagues avec des pierres, enveloppées dans un chiffon. Et dans le korjoune , enveloppés dans un autre chiffon se trouve un bracelet et des pièces d'argent. Je les ai promis au djiguite. Allez, trouvez-les et apportez ici. Je ne peux pas allez et partir si souvent, mais vous êtes chez vous, donc vous pourrez les emporter en silence.
- Veux-tu que nous que nous fouillions dans ton korjoune? Dis-tu qu’il y a deux paquets: l'un est dans le korjoune et l'autre est dans la taie? – demanda la belle-fille.
- Oui...
- Où as-tu mis le paquet, sur le sol ou entre les kochmas? - continua à chercher à savoir la belle-fille.
- Si je ne me trompe pas, je l’ai fourré entre les kochmas... S’il n’est pas là, regardez sur le sol. En dernier recours, dites à ma mère, elle le trouvera.
- Nous pouvons le trouver nous-mêmes - déclara en toute confiance la fille de Moussérélé. Elles s’approchèrent de Serik.
- Pourquoi vous êtes-vous promenées si longtemps? – sourit-il.
- Est-ce que cela a été longtemps? Il nous a semblé que non.
Serik ricana et ne trouvant pas quoi à répondre, seulement toussa d'un air significatif.
- Je vais rester ici et vous allez-y – s’adressa Aïcha à ses compagnonnes.- S’ils demandent à propos de moi, dites-leur que je suis restée près du djiguite qui garde les chevaux. Allez et ne revenez pas les mains vides.
- D’accord, bien entendu...
Et la belle-fille avec la fille entrèrent dans la yourte.
Aïcha se tourna vers Serik.
- Serik! J’ai caché une chose dans un couvre-reins... J’avais dû la donner à Rahiïa, mais j’ai oublié et je suis partie avec elle. Je vais te la donner, l'occasion est belle. Amène-moi mon cheval - dit-elle hâtivement.
- Et c’est quoi cette chose-là? – s’intéressa Serik.
- Amène-moi mon cheval, je la sortirai et tu verras.
Serik alla au kermé, détacha rapidement son cheval et l'amené à Aïcha. Dans la yourte on entendit des bruits de sabots et quelqu'un cria:
- Hé, qu’est-ce qu’il y a, Serik?
- C’est moi. J’attache le cheval mieux, - dit le djiguite. Aïcha se mit à fourrer dans les plis de la kochma.
- Oï-baï, c’est pas ici! Donc, il faut chercher au korjoune. Vas vite, trouve mon korjoune et apporte un petit baluchon enveloppé dans un chiffon blanc. Je vais attacher le cheval moi-même. Dépêche-toi, pendant que les femmes ne reviennent pas – commença-t-elle à presser Serik, en lui prenant les rênes.
Les yeux d’Aïcha brillaient d'excitation mais Serik ne l’ayant pas remarque, se précipita vers la yourte.
Quand il disparut derrière les rideaux, Aïcha détacha le kouchak avec lequel elle était ceinturée, ceindra fermement avec lui son tchapan et sauta sur le cheval roux.
- Emporte-moi d'ici, mon Toulpar – chuchota-elle, tirant la bride.
Tout était encore calme dans aouls, mais deux djiguites avec soïls en garde, se cachant dans le fourré de stipa, étaient prêts à se battre: tchekmens et tchapans ceinturés fermement, tymaks enfoncés, les cordons noués serrés sous le menton.
Le premier qui sentit l'approche de la jeune fille fut le cheval gris d’Abil. La jument grise sous le djiguite blond dressa l'oreille aussi. La silhouette de la jeune fille apparut.
Abil tapota d'une manière rassurante le cou de son cheval et dit doucement à son ami:
- Écoute comment le cœur du pauvre animal batte.
Soudain, le cheval alerta de nouveau et se tourna brusquement vers la droite. Djiguites furent stupéfiés: sous le couvert de l'obscurité quatre cavaliers s’approchaient d’eux.
- Aïcha est là, la poursuite est ici. Ils nous ont pistés, donc il est tard de nous cacher. Ça fera que ça fera, je vais combattre. Et toi galope à Aïcha. Si ce n’est pas elle, va directement à la yourte. La débâcle générale va être ici et tu pourras l’emporter dans ce remue-ménage - ordonna Abil. Pendant ce temps, les quatre cavaliers, ayant brisé le silence avec leurs cris, ont commencèrent à attaquer les djiguites.
Ceux les derniers chassèrent leurs chevaux soulevèrent les soïls.
Les chiens de tous les aouls environnant se mirent à aboyer à tout rompre. On entendait partout des voix excitées, le trépignement fractionné de cheval.
- Batte! Pique! Ennemis! À cheval! – braillaient les cavaliers attaquant à toute allure les fourrés de stipa.
Ajitant des armes, ils s’approchaient d’Abil. Deux soïls le touchèrent, mais il réussit à un coup de pied à éjecter le gourdin des mains de l'un des cavaliers. Pendant ce temps Alkeï rejoignit Aïcha.
- Allons-y, n’as pas peur! Abil va les arrêter – dit-il à la jeune fille, et alla à côté d'elle.
Mais deux attaquants, s’étant détachés de leurs compagnons, se lancèrent à la poursuite. L’encerclement des cavaliers qui sortirent de tous les aouls se serrait. Voix s’approchaient.
- Ne vous perdez pas! Ne vous trompez pas de chemin! L'ennemi est ici! Ici! – criaient-elles. Abil agita le soïl, long comme la distance entre le tore et la porte de la yourte, et ayant fouetté son cheval, allait vite directement aux cavaliers.
- Crevez comme des chiens! Je vous tuerai tous! - Il rugit. Et ne pouvaient pas résister à son attaque, ils reculèrent vers les roseaux sur la berge de la rivière, et se tapirent pour un temps. Cependant, deux cavaliers poursuivant Aïcha et Alkeï s’approchaient déjà d’eux.
Abil, qui ne savait pas si son ami eut rencontra Aïcha ou non, alla au trot suivant les deux cavaliers qui se précipitaient après les deux premiers poursuivant Alkeï et Aïcha. Et bientôt il les dépassa.
- Arrête-toi! – lui cria l’un des cavaliers.
- Descends le cheval, sinon tu vas regretter - l'autre cavalier, ayant percé en avant, leva sa lance au-dessus de lui.
- Tu vas crever plus vite! - Abil, ayant lancé son soïl comme un fuseau, le leva, mais le cavalier avec la lance volta habilement et recula d’Abil.
- Où est l'ennemi? – entendait-on des voix.
- Il est ici. Venez-y –entendait-on assez proche.
Abil perça en avant de nouveau. Il fut suivi par le cavalier avec la lance. Ainsi ils couraient, se poursuivant dans la steppe de nuit. Voyant enfin les deux cavaliers en avant et reconnaissant en eux son ami et sa sœur, Abil soupira avec soulagement. – Ne laisse pas échapper! Ne laisse pas échapper! – cria-t-il.
- Vas à côté de moi. Et je vais éjecter mon poursuivant de la selle - proposa Alkeï.
Le cheval gris, jument grise et cheval roux couraient côte à côte. Le cavalier avec la lance arrêta son cheval en attendants ses compagnons. Abil regarda vite par-dessus son épaule et dit en allant:
- On est suivi par les autres. Parmi eux il y a un gros lard ressemblant Bimendé. Pendant longtemps je veux défoncer les côtes de ce Bimendé. Le cheval de celui la lance est un vrai cheval de course. Il m'a rattrapé deux fois, mais seulement il ne sait pas bien tenir la lance, il doit être un grand lâche. Mais si ceux qui nous suivent ont les chevaux si bons, il aura vite du courage et nous aurons des problèmes. Quant à Bimendé, je lui casserai la gueule, quoi que cela me coûte. Comment vont vos chevaux?
- Le cheval d’Aïcha va facilement, et ma jument grise peut nous jouer un mauvais tour - dit Alkeï.
- Tâchons de nous dégager de ce trio. Mais si les autres tout de même arrivent, toi, Aïcha, galope tant que tu peux. Nous les détenons ensemble. Et si nous rencontrons Bimendé, je te jure que nous allons faire le salop dégueuler du sang.
- Tu as raison ... Il faut les arrêter ici. Aïcha a un bon cheval, qu’elle aille seule, et nous lui rejoindrons plus tard... As-tu compris, Aïcha? Vas et rappelle les mots de code "khol tabar" et "ne laisse pas échapper " As-tu compris? - dit Alkeï à la hâte, en écoutant les cris de ses poursuivants.
- Oui, j’ai compris... Mais si je me perds?
- Tu ne te perdras pas. Sui une seule direction le long du bord des ravins, et nous te trouverons – la calma son frère.
Les trois poursuivants montaient s’approchèrent tout près. Abil suivait avec vigilance chaque leur mouvement.
- Hé, je vais tirer. Arrêtez-vous! - cria l'un des hommes arrivés.
- Et nous tirerons. Nous avons aussi une arme à feu. Nous n’avons pris aucune votre chose - pourquoi nous poursuivez-vous? Que voulez-vous de nous? - demanda Alkeï.
- Nous voulons que vous mettiez pied à terre. Quoi qu'il en soit, nous ne vous laisserons pas continuer votre chemin, - dit-il.
- Ne laisse pas échapper! - On dirait que vous n’appréciez guère votre vie. Tirez-vous, - cria Abil.
- Nous ne partons pas sans vous attraper.
- Vos mains sont trop courtes – rirent les djiguites. Alkeï se tourna vers Aïcha.
- Ne perds pas le temps, Aïcha, vas-y... Nous les tourmenterons un peu. Parce qu’ils ne vont pas décoller eux-même.
- Soyez prudent! - demanda Aïcha.
- Ne t’inquiéte pas pour nous. Tout va se passer bien... Aïcha s’enfuit.
- Séparons-nous à l’aimable. Nous ne nous connaissons pas - suggéra Abil.
- Batte! Fracasse-les! – cria les cavaliers.
Abil serra les côtés chauds du cheval avec ses genoux et se précipita tel un torrent vers le flanc gauche de l'ennemi. Alkeï sa tourna à droite.
Le trio ne comprit pas la manœuvre des djiguites et fut serré des deux côtés. Abil tourna brusquement son cheval.
- Eh bien, faits ta prière, tu es cuit! – cria-t-il, brandissant son soïl, et attaqua l'un des cavaliers.
Celui-là tomba de son cheval comme un tymak de la tête. Son cheval renifla, effaré.
Les deux autres poursuivants criant suivaient Abil.
Alkeï, ayant talonné sa jument, se lança à la rescousse. Le cavalier avec une lance, poursuivant Abil, se tourna vers lui et pointa sa lance sur lui. Alkeï saisit son soïl avec les deux mains et lui donna un coup écrasant. La lance tomba des mains du cavalier, et lui tout abattu, il saisit la crinière du cheval.
Le troisième cavalier se précipita à son secours, mais en ce moment Abil l’attaqua comme un faucon noir, qui se jets comme une pierre de la hauteur pour plonger les griffes dans sa victime.
- Enfin, je donnerai une bonne leçon, chien Bimendé! Je vais satisfaire le désir de mon cœur. Je te mettrai en charpie, épicier et putassier, - chuchota-t-il.
Son adversaire retourna son cheval, et prit la fuite, mais Abil la rattrapa et l’assourdit d’un coup de soïl.
Il fit une culbute de son cheval. Le cheval trébucha et s’arrêta. Ayant tourné son cheval, Abil galopa au-dessus de l'ennemi vaincu.
- Bette le chien! – cria-t-il à Alkeï.
Tombé de la selle Bimendé se vautrait sur le sol, comme un immense carcasse de bœuf, et respirant lourdement. La blessure sur sa tête saignait.
Vers le lieu de carnage, les autres cavaliers allaient aux chevaux en agitant leurs soïls violemment, et Abil avec Alkeï partirent en se précipitant.
Le cheval roux d’Aïcha courait comme un tourbillon. La jeune fille semblait toujours entendre les cris "atta", "ennemis". Soit à droite, soit à gauche elle semblait entendre le trépignement fractionné de cheval, et elle se repliait, comme le bout du kamtcha, et regardait d'un œil vigilant l'espace sombre, ayant lâché les rênes pour donner au cheval la possibilité de choisir la voie convenable.
Enfin on n’entendit plus de cris et d’exclamations. Et le trépignement de la chasse fut laissé loin derrière elle. La brise douce de la nuit caressait le visage d’Aïcha, refroidissait les côtés suants du cheval, et aucun bruit ne troublait plus le silence épais de la nuit. Aïcha serrer la bride et regarda autour. Le cheval excité ne se tenait pas sur place et piétinait nerveusement. Et la nuit était toujours silencieuse, comme si elle avala tous les sons et les bruits. Aïcha, ayant froncé les sourcils noirs, cherchait des yeux habitués à l'obscurité ses sauveurs, Abil et Alkeï, mais il semblait que la nuit avala aussi et les djiguites. "Est-ce qu’ils me ont passée?.. Ou quelque chose leur est-elle arrivée?.. Peut-être on les a saisis? Dois-je donner de la voix?.. Non, il ne fait pas. Ma voix attirera la poursuite de nouveau. Ou peut-être un étranger arrivera à ma voix? Que ferai-je, si je rencontre un méchant homme dans la steppe? - pensait Aïcha émue et immédiatement se calmait – Il ne faut pas paniquer. Je dois tout simplement continuer mon chemin, c’est la meilleure chose, car je ne vais pas rester ici jusqu’à l'aube... Mon cheval est fort et robuste. Et en attendant les djiguites vont me rejoindre bientôt ".
Ainsi elle alla regardant sans cesse derrière elle et enfin elle se trouva au pied d'une chaîne de collines. Elle s’arrêta de nouveau, écouta encore. Pas un bruit. Et l'endroit semblait tout à fait étranger pour elle.
"Je me suis perdue" - comprit Aïcha et regarda le ciel. Elle était à la recherche à travers les yeux des "Jeti karakchi" et "Temir Kazyk" mais les nuages floconneux couvrirent les étoiles. "Il suffit seulement pour une personne de tomber dans le pot au noir, et les cieux l’oublient," – sourit-elle amèrement.
Elle continua à aller, essayant de se retrouver en examinant les collines. Elle sortit sur un endroit plat et aperçut au loin une nouvelle chaîne de collines. Ses pensées se battaient comme un homme cherchant la sortie d'une grotte sombre. "Un des problèmes s’est terminé, attende pour un autre. Vagabonds...Loups rôdent dans la steppe... Djinns, diables... Et si toutes ces histoires à propos de mauvais esprits disent la vérité?.. Mais... Dois-je me faire peur? Quant à Kantabala – on ne sait jamais ce qu’elle a pu imaginer étant effrayé? Ce n'est pas pour rien que le dicton dit: "La peur grossit tout..." Laissons Kantabal! Il vaut mieux de penser à baïbiché Oukejan qui s’étant habillée comme un djiguite est partie dans la nuit juste comme celle-ci de la maison mal-aimée. Elle a erré toute la journée et la nuit, a passé deux nuits dans la stepe, et enfin elle est sortie vers le camp de Tursekène. On lui a donné à boir et seulement après avoir remonté en selle elle a demandé le chemin vers l’aoul de Kokène. Selon sa voix la baïbiché de Tursekène a identifié une jeune femme en jeune djiguite. Et quand Oukejan a décidé de fuir, elle était une femme timide, opprimée, épuisée par le travail de brute. Et moi?.. Je suis en bonne santé, pleine de forces, sur un cheval fort. De quoi et de qui dois-je avoir peur?" Elle se regarda attentivement. "Est-ce que je ne suis pas un vrai djiguite?"
Mais cette pensée ne lui donna non plus du courage. Djiguite ou pas, quel est la différence si le chemin fut perdu, et il était difficile de savoir où aller dans cette obscurité: à gauche, à droite ou en arrière?
"Je devrais attendre l'aube, sinon je ne vais pas sortir d’ici" - fut-elle forcée de l'admettre.
Elle imagina soudain qu’au pied de la colline se dressant à droite il y eut quelques silhouettes sombres, et cela lui glaça le cœur. Les ombres restaient complètement silencieux. Aïcha serra légèrement la bride. Pas un bruit. Approchée tout près, elle vit quelque chose ressemblant soit à une cour, entourée par une clôture délabrée, soit au champ funéraire. La peur la fit faire à la hâte le tour de la structure mystérieuse. En outre, le cheval devint soudain agité de nouveau.
Le cheval courait, en louchant sur les ruines, et pour un instant Aïcha sentit du soulagement ayant compris que cela fut vraiment un camp d'hivernage abandonné et pas un champ funéraire. Tout d’un coup le cheval s’arrêta si brusquement qu'elle faillit survoler au-dessus de sa tête. Le cheval ne dressait plus les oreilles mais regardait fixement et obstinément l'obscurité. Aïcha sentit le fourmillement au dos, parce que juste de dessous terre, sembla-t-il, vint un gémissement plaintif. "Djinns? Diables? Loups?" lui passaient par la tête des soupçons terribles. Un long gémissement fut remplacé par hurlement persistant maussade. Le cœur d’Aïcha battait furieusement, son front se couvrit de sueur froide. Et le cheval ronfla soudainement et sauta brusquement vers la gauche. Aïcha fut sur le point de tomber de la selle. Miraculeusement, elle réussit de se tenir en selle et elle seulement serra plus fortement les côtes du cheval avec ses genoux. Le hurlement fut entendu et à gauche, et à droite, et en avant. Le son ne venait pas d'un point particulier, mais changeait toujours la direction. Le hurlement fur entendu plus près et les yeux attentifs et vigilants d’Aïcha distinguèrent enfin les silhouettes effroyables des loups accroupis. Les petites lumières verdâtres mates de leurs yeux luisaient. On pouvait entendre même les bruits de leurs ongles aigus.
"En hiver, les loups ont dévoré Karanaï. Sur la neige, il y eu seulement les os rongés sanglants,"- se rappela Aïcha avec tremblement d’une autre histoire terrible. Le cheval renifla avec impatience, comme si avant une compétition, piétinant. Les loups poussant des cris aigus, se tapirent à distance et suivaient attentivement chaque son mouvement.
"Je me suis sauvée des gens qui sont pires que les loups. Donc, est-ce que je dois mourir des dents des bêtes?" - pensait tristement Aïcha, en regardant dans la cour sombre semi-délabrée du camp d'hivernage, à peine perceptible dans l’obscurité.
"Si la porte n’est pas cassée, je pourrais me cacher à l'intérieur avec le cheval... mais la clôture est faible, effondrée, et les portes devraient être sûrement brisées, donc je vais ainsi me donner moi-même à dévorer... Ou bien, peut-être je pourrai trouver un bâton dans la cour, et quand je l’agiterai, les loups s’enfuiront... Ce n’est pas pour rien qu’on dit qu’ils ne touchent pas celui qui est à cheval.
Et loups devinrent de plus en plus osés se rapprochant de plus en plus près. Les petites lumières verdâtres brillaient ici et là.
Les premiers qui dominèrent la peur furent les deux gros prédateurs acharnés. Ils vinrent très près et commencèrent à creuser d'impatience la terre avec leurs ongles.
- Hé.. Aït! Aït!.. - cria Aïcha de toute sa force. Et le cheval martela des sabots en rauquant. Les "acharnés" se retirèrent et se mêlèrent avec les autres dans la bande.
Aïcha se précipita vers le camp d'hivernage.
En regardant en arrière, elle vit que la bande l’accompagnait pas à pas.
- Hé.. Aït! Aït!.. – cria-t-elle de nouveau et s’arrêta. Les loups suspendirent leurs pas aussi.
"Et il n’y a aucune âme vivante autour. Qu’est-ce que je dois faire? "- souffrais Aïcha. Le logement non habité, qui l’eut effarouchée tellement au début, en ce moment-là lui semblait un refuge sécurisé. Le cheval louchait sur les loups qui les suivaient, sur la clôture, qui se dressa devant eux.
Bien qu’Aïcha fût sûre que le camp d'hivernage était inhabité, elle ne put pas résister et cria:
- Hé, y-a-il quelqu’un?.. Au secours! Venez m'aider!.. Bien sûr, personne ne lui répondit, seuls les loups les guettant hurlaient encore plus tristement.
Aïcha entra à cheval dans la cour, regarda autour d’elle et vit une moyette maigre, entourée d'une clôture. Sans descendre de cheval, elle ébranla et tira un pieu lourd. Entre-temps, les loups encerclèrent la cour. L'un d'eux s’avança, mais le cheval s'ébroua de nouveau, martela ses sabots, Aïcha cria, agitant un pieu, et le loup se recula.
- Aït! Aït! - Aïcha frappa le sol de pieu faisant un bruit retentissant. Retournée dans la cour, elle examina attentivement chaque son coin. Il n’y eut pas de porte. Une petite cabane n’eut aucune fenêtre intacte, dans la cour voisine tout fut aussi détruit. Et les animaux s’étant remis de la peur, recommencèrent leur attaque, et si mauvaise que la cour fût, elle put tout de même protéger mieux que la steppe ouverte. Aïcha mit le cheval près de la clôture, ayant créé ainsi la protection de l'arrière, et se prépara pour la défense.
Les mêmes loups acharnés se détachèrent de la bande et se lancèrent en avant, mais Aïcha, criant comme un putois, se mit à frapper la clôture du pieu et les prédateurs fléchirent.
La jeune fille eut le vertige. Il fut peu probable qu'elle pût déterminer à ce moment-là où fut l'est, où fut l'ouest, bien que, pendant qu’elle se dégageait des loups, le ciel se découvrit, l’obscurité nocturne déteignit et les contours des alentours se distinguèrent plus.
Les nuages cachant le ciel devinrent plus rares et on put voir dans les clairs les étoiles scintillantes et un pâle mince croissant lunaire brillant...
Mais la lumière de la lune éteignit aussi et l'horizon devint visible.
Aïcha épuisé par la poursuite de nuit et par la lutte avec les loups, se réjouit indiciblement de voir les étoiles brillantes et la lueur claire de l'aube. Cela lui sembla un bon signe du destin, et elle retrouva ses forces perdues et l’envie de vivre. Elle regarda autour, en essayant de reconnaitre le lieu au crépuscule de l'aube.
Le cheval reprit aussi du courage. Aïcha frappait avec une force doublée la clôture du pieu, et les loups, sans oser renouveler l'attaque, poussaient des cris aigus plaintifs et reculaient de sa victime de plus en plus loin.
L’obscurité se dissipa. Les contours des objets environnants furent clairement visible, et tout à coup de derrière les collines éclairées par la lumière douce de l'aube, vint un long bruit. Il semblait briser le silence sinistre. "Oh, qu’est-ce que c’est? D’où vient-il?"- pensais fébrilement Aïcha. Le son s’interrompit brusquement. Après une courte pause le long bruit recommença. Aïcha examina attentivement les collines, la chaîne de montagnes s’élevant vers le sud d’elles et soudainement elle se senti soulagée. Elle reconnut le lieu. Ses yeux s’allumèrent, comme si elle voyait à l'horizon celui qu’elle eut cherché en vain toute la nuit.
- Euh-euh! – cria-t-elle, et ayant fouetté fortement le cheval elle sauta sur la bande de loups. Et les loups accroupis, la queue entre les jambes, allèrent paresseusement au petit trot loin. Aïcha les chassa un per, puis se tourna vers la colline, où il eut entendu ce bruit mystérieux de matin qui l’eut aidée à échapper à la mort.
Les loups disparurent. Il fut tout à fait clair. Aïcha courait à travers la steppe. De loin, elle aperçut un tas de pierres – oba, ressemblant à la figure humaine, figée dans l'herbe haute. Soudain, elle bougea, comme si un homme imaginaire fit un mouvement. "Peut-être qu'il y a vraiment quelqu'un vivant là-bas?" - pensa Aïcha, mais bientôt se mit à rire, réalisant son erreur: au sommet de l’oba était un grand oiseau. "Aigle royal. Et il est pareil à l’aigle royal du chasseur Seïdvaliï" - défini Aïcha. Aigle royal tourna la tête et regarda la jeune fille sans ciller, d’un œil fixe et fier. Elle sourit.
"Le bruit a réveillé avant l’heure lui aussi, le pauvre. Oui... Maintenant c’est sûr que les loups n’oseront pas s’approcher. Probablement ils savent quelque chose que je ne sais pas...". Le cheval frémit. Aigle royal déploya ses ailes et décolla. Il volait vers l'aube, battant doucement des ailes fortes. Il se levait de plus en plus haut, faisant des cercles de plus en plus larges, et enfin, ayant clignoté à la lueur de l’aube, il disparut derrière les collines... Quand le soleil de matin levé de derrière les montagnes répandit d'or de ses rayons sur la terre, Aïcha, galopant vers l'aube, atteignit enfin les collines de Nildinski.
Et l'usine Nildinski célèbre, située sur la pente d’ouest de la colline, s'éploya devant elle comme un immense pays inconnu. Bien que les collines de Nildinski furent les terres d’origine des ancêtres d’Aïcha et l'usine portait le nom de sa région natale, elle ne l'eut jamais vue et savait de son existence seulement des récits des hommes d'expérience. Ainsi, son frère Sapargali qui travaillait là, pendant ses rares visites à l’aoul paternel parlait toujours des machines de fer, de longs fours étroits, du charbon ferme comme une pierre, à l’aide duquel on alimentait ces fours, des puits, qui, comme les trous de taupe, fouillaient tous l'intérieur de la montagne, des blocs de minerai, lourds de cuivre jaune, des immenses casernes de brique où les travailleurs habitaient, des magasins, pleins de toutes sortes de marchandises merveilleuses, des Russes et des Anglais avec leur accent étrange guttural, et enfin de la sirène qu’on appelle "sabbat" et qui annonce le début et la fin du travail.
Ce n’est pas pour rien que l'on dit: "Ce que l'oeil ne voit pas, l'oreille l’entend". Le son long venant de derrière les collines, celui qui eut effrayé tellement la jeune fille d'abord et puis les loups, était, comme elle déjà savait, le "sabbat" connu par elle des histoires de son frère.
Elle se tenait sur la colline. Cous longs des tuyaux jetaient dans le ciel de nuages de fumée noire épaisse. Autour des bâtiments d'usine avec de nombreuses fenêtres des travailleurs grouillaient comme des fourmis. Charrettes grinçaient. Vaches beuglaient chassées par les femmes aux visages blancs et aux vêtements étranges: foulards noués d’un coin et longues robes avec les bas larges. Leurs enfants se furent accrochés aux bas des robes. Aïcha jeta un pieu qui fut toujours serré dans sa main. Elle tourna son cheval vers le village placé du côté ouest de l’usine et composé d'une quinzaine d’yourtes de tailles les plus diverses. Tout était curieux dans ce nouveau village: et ces nuages de fumée, et de grands bâtiments si différents des maisons de son kystaou natal, beaucoup de fenêtres dans chaque bâtiment, le bruit incessant, le fracas. Seulement des annexes basses et des yourtes de feutre lui étaient familières et connues. Involontairement elle comparait les hauts bâtiments d'usine à ceux vus pendant toute sa courte vie. Et combien misérable trouvait-elle les habitations d'été des Kazakhs, leurs huttes d'hiver, bricolées au va vite n'importe comment de pierre, d'argile et de torchis. Elle devenait de plus en plus sûre: l’usine est un pouvoir, et quiconque y protégé ne doit plus avoir peur des loups de steppe, sous n’importe quelles apparences qu’ils fussent. Si elle savait comment elle se trompait. Mais elle eut tout cela à l’avenir - et l’illumination, et la vie réelle. Elle s’approcha des yourtes et rencontra deux femmes kazakhes chassant de vaches au troupeau.
- Hé, chérie, où vas-tu si tôt? – lui s’adressa la femme plus âgée.
- De l’aoul de Kadyra. Mes compagnons sont restés derrière, et je leur ai dépassés. Mon frère Sapargali travaille ici, je vais le voir. Savez-vous où il habite? - dit Aïcha. Les femmes se regardèrent.
- Sapargali? Et de quel clan est-il? – lui s’adressa de nouveau la femme âgée.
- De quel clan? Il est de notre famille. Du clan de Toque - dit Aïcha.
- Il y a beaucoup de gens de la famille de Toque ici. Nous sommes aussi originaires de cette famille-là, et vous ne te connaissons pas. Dis-nous, ton Sapargali n’est-il pas un parent de Choulenbaï et Bijan? - demanda la deuxième femme.
- Oui, oui... – répondit Aïcha ravie.- Ils sont nos parents.
- Bon, il est clair maintenant. Ils habitent là, dans les yourtes du bout. Et si ton frère n’est pas encore allé au travail, il devrait être à la maison en ce moment. Quand Aïcha vint à l’endroit, d'une yourte une jeune femme sortit un couple de seaux dans les mains. Voyant Aïcha, elle s’arrêta, les yeux fixés sur elle et sur son costume d’homme.
- Bonjour, connaissez-vous Sapargali - demanda Aïcha.
- Oui. Et qui êtes-vous pour lui?
- Je suis sa sœur cadette.
- Il habite dans cette yourte.
- Savez-vous s’il est à la maison ou pas?
- À la maison. Il vient de revenir du travail de nuit et dort, je suppose.
Aïcha serra la bride. La jeune femme la suivit du regard curieux. Aïcha, n’en fit pas attention, descendit de cheval et l’attacha par son licol à la barre d'attache. Le cheval se secoua, son mors cliqueta.
- Elle ressemble à un djiguite, mais en fait c’est une fille – dit la jeune femme à haute voix à quelqu’un.
Aïcha ouvrit une porte en bois et entra dans la yourte basse et sombre.
- Qui est là? – demanda une jeune femme, ayant levé le bord de la voile étant sorti la tête.
Aïcha ne lui répondit pas. Elle regarda les trois hommes couchés côte à côte sur le sol.
- Tu es sourd ou quoi? – répéta la femme d'une voix suraiguë.
- Est-ce que Sapargali est ici? - enfin se ressaisit Aïcha.
- Ici ... Et qui es-tu?
- Je suis sa sœur cadette.
- Aïcha? Quel bon vent t’amène? Oh, mon Dieu... Je ne t’ai pas reconnue dans l'obscurité... Hé, hommes, levez-vous – dit la femme à la hâte.
Après avoir sauté du lit, ayant jeté sur elle des vêtements, ayant couvert n'importe comment sa tête avec un foulard, elle se précipita les pieds nus vers Aïcha.
- Ma chérie, d’où es-tu venue? Es-tu venue seule? Ah? Avec tioundik fermé je ne te reconnue pas dans l'obscurité – se lamenta femme et recommença à réveiller les hommes dormant:
- Hé, Sapargali! Lèves-toi! Levez-vous! Aïcha est venue chez nous! La femme, en laquelle Aïcha reconnut l'épouse de Sapargali, ouvrit le tioundik et il fut plus clair dans la yourte. Tous les habitants de la yourte se réveillèrent. Sapargali, un djiguite grand, large d'épaules, en chemise en toile de coton, cligna des yeux bouffis de sommeil court:
- Oh, Aïcha, est-ce toi?
Gémissaient en s'étirant Sadouakas et Aryn - parents de Sapargali, qui travaillaient avec lui à l'usine, et habitant avec lui dans la yourte, qui était leur seul gîte.
Bientôt, tous les habitants de la yourte furent assis près du samovar chaud et écoutaient avec un vif intérêt l’histoire d’Aïcha. Ils l’interrompaient sans cesse précisant les détails, la faisant répéter ce qu’elle venait de dire. Le sang bouillait dans les veines de Sapargali quand il apprit ce qu’on eut voulu faire avec sa sœur la donnant en mariage avec un vieux monstre. Et les autres furent émus pas moins de lui. Courage d’Aïcha et des djiguites impressionna tous. Femme gémissaient écoutant comment la jeune fille eut failli mourir quand elle eut rencontré la bande de loups.
- Et où sont Abil et Alkeï? Est-ce qu’ils sont rentrés? - demanda Sapargali quand Aïcha termina son histoire.
- Je ne sais pas. Il est peu probable. Nous sommes convenus qu’ils m’amèneraient et m’installeraient ici. Comment reviendront-ils, ne sachant pas si je suis arrivée en toute sécurité. Peut-être qu’il leur est arrivé quelque chose – s’attrista Aïcha.
- Peut-être qu'ils ont capturés par des ennemis, - suggéra Sadouakas, dont la femme était la jeune femme aux grands yeux qu’Aïcha eut rencontrée recherchant son frère.
- Mais non! Ils ont les chevaux excellents. Abil garde les troupeaux de l’oncle Choulenbaï, donc est-ce qu'ils n’ont pas choisi des chevaux ambleurs les plus fringants? - objecta Sapargali.
- Oui, ils tous les deux sont plus forts que dix dans une bagarre - soutint Aryn.
- Est-ce qu’Alkeï est aussi gardien de chevaux de Choulenbaï ? – s’étonna Sadouakas.
- Oui, il travaille pour lui depuis déjà deux années. Alkeï est le meilleur ami d’Abil - dit Aïcha et rougit on ne sait pour quelle raison. Sadouakas regarda attentivement sa sœur, sourit et secoua la tête.
- Je voudrais savoir, s’ils ont parlé de leur départ aux autres gardiens de chevaux de Choulenbaï? – frappa Sadouakas son genou.
- Probablement, ils ont dit. Après tout, ils étaient sur ses chevaux. Et s’ils n’ont pas dit, ce n’est pas grand-chose - rit Aryk, le plus jeune des hommes.
- Je ne pense pas qu’il leur est arrivé malheur. Même si on les a attrapés, Bimendé n’osera pas détenir les gens de Choulenbaï, il est en outre un lâche considérable - décida Sapargali ayant réfléchi.
- Oï-baï, je dis qu’Abil vaut dix hommes, et Alkei n’est pas plus faible que lui. Ils ont perdu Aïcha dans l'obscurité, et maintenant ils la cherchent – dit Aryn avec excitation.
- Oui, oui... C’est ça – admit Sadouakas.
- Le plus important est ce qu’Aïcha est maintenant avec nous. Et si elle est avec nous, nous ne la livrerons à personne, même au diable lui-même - résuma Sapargali.
- Ils ne la déroberont pas maintenant de nos mains! – s’écria Aryn.
- Il est peu probable qu’ils viennent ici maintenant, après une telle honte - ricaner Sadouakas. Sa femme Gouljikhan était affairée près du samovar, mais son attention était fixée sur les aventures d'Aïcha.
- Regardez, quelle brave jeune fille est notre Aïcha! – s’exclamait-elle sans cesse.
- Hé, de quoi doit-elle avoir peur? Elle est maintenant une femme indépendante. On a déjà dit qu’on ne la donnera pas non seulement au fils de Boranbaï, mais au fils de Dieu - riait Sadouakas.
- Oh, bien sûr, pourquoi doit-on la donner? - fit chorus l’épouse à son mari. - Pourtant, la prudence ne sera pas inutile. Les premiers deux ou trois jours, quand nous irons à l'usine, il est nécessaire de ne pas laisser Aïcha seule dans cette yourte. Nous devrons l'accompagner chez le maître Ibraï ou chez le Russe Sergueï à la fin du village - suggéra Sapargali.
- Bonne idée, bien qu'ici personne n’ose pas la toucher – fut d'accord avec lui Sadoukas.
- J’irai parler à Sergueï et Ibraï – se leva Sapargali.- Ils sont les nôtres, les travailleurs, on peut leur faire confiance...
Dans l'après-midi, près de la petite yourte de Sapargali et Sadoukas des cavaliers apparurent. Leurs chevaux furent couverts d'écume. Alkeï et Abil vraiment firent fausse route dans la nuit, recherchaient longtemps Aïcha d’abord ensemble, puis séparément, et finalement décidèrent d'aller à l'usine. Ils furent ravis de savoir que la jeune fille vint chez les gens de sa famille et se trouvait en toute sécurité. La tête Abil fut couverte d'un fichu: des coups de soïl de baï ne furent pas vains. Il couvrit la tête de son tymak et se coucha ainsi, épuisé par la route, excitation et insomnie. Aïcha dormait comme une souche sur le lit Sadoukas derrière du rideau.
- Emmène les chevaux dans la cour du voisin Joldybek, attache-les à côté du cheval roux, qu'ils se refroidissent. Et dis à la femme de Joldybek de les surveiller - dit Sapargali à Aryk.
- Attends. Dis de ne rien leur donner à manger jusqu’au coucher du soleil. Et relâche leurs sous-ventrières – se releva Abil, voyant qu’Aryn se dirigeait vers la sortie.
- D’accord - dit brièvement Aryn.
- Abil, as-tu un grand mal de tête? - demanda Sadoukas avec intérêt.
- Mal de tête c’est pas grave. Seulement je n’ai pas dormi deux nuits et j’ai sommeil - dit Abil. Alkeï leva aussi sa tête de l'oreiller et rit doucement:
- Cette tête résistait à beaucoup de choses...
- Votre peau, je peux voir, est plus dure que celle de bœuf, gars, - Sapargali sourit. Tous rirent.
- Laisse-les. Qu’ils se restent, somnolent un peu avant la longue route - intercéda Sadoukas et pourtant ne put pas s'empêcher d'ajouter admirativement:
- C'était vachement chouette comment vous vous êtes acquittés avec Bimendé et Chakir. Vous les avez fait avaler une bonne pilule...
Le soleil se couchait derrière les montagnes quand on nourrit enfin les chevaux. Sapargali et Sadoukas devaient faire le quart de soir. Avant de partir pour le travail ils emmenèrent Aïcha chez le maître Ibraï. Abil et Alkei étaient déjà debout, prêts à revenir.
Tout le monde se disait au revoir. Et c’était un moment émouvant. Dans une petite foule rassemblée devant les cavaliers se trouvaient Sapargali, Sadoukas et Aryn, habillés déjà pour le travail, Gouljikhan, la femme de Sapargali, le Russes Sergueï et des voisins, les Kazakhs.
Sadoukas s’adressa aux djiguites:
- Si vous en voyez des dures, revenez chez nous. Là vous êtes seuls, et ici nous sommes nombreux. Vous pourrez travailler ici. Lui, il vous aidera à obtenir le travail - désigna Sadoukas Sergueï.
- Exactement. Si vous avez des problèmes, venez. Tout ira bien, si nous sommes ensemble - confirma Sergei.
- Nous n’avons pris rien chez personne. Que peuvent-ils nous faire? – dit Abil.
- Bon, juste à tout hasard. Qui sait ce qu’ils peuvent faire, ces hommes riches – dit Sadoukas d'un air pensif.
- Merci. Nous n'oublierons pas votre gentillesse, - remercièrent les djiguites.
- Et nous nous souviendrons de votre courage. N’est-ce pas, Sergueï?
- Oui, c’est ça, Sadoukas.
- Eh bien, au revoir, au revoir. Gardez Aïcha comme la prunelle de vos yeux - dit Abil.
- Je pense que... dites-lui que nous nous verrons bientôt – osa dire finalement Alkeï.
- Eh bien, on va voir. Elle est maintenant à l'usine, parmi nous, donc ne vous inquiétez pas - dit Sapargali. Les djiguites talonnèrent les chevaux. Sonna la sirène de soir, le "sabbat", tellement familier à Aïcha.
Les djiguites s’éloignaient. Ils devenaient de plus en plus petits, mais les gens continuaient à les suivre de regard jusqu'à leur disparition derrière les collines.
...C’était l’août 1916. Les derniers jours de childé torride, la couronne de l’été, comme on l'appelle ici le temps quand les herbes, buissons sont déjà touchés de fanaison, mais l'automne est encore loin, très loin.
1922 -1935
Traduction par R. Seïssenbaïev