La nuit lunaire calme. Des milliers de feux lointains scintillent dans le ciel clair sans nuages. Les constellations se voient nettement. L’oeil observateur devine tout de suite – l’août est venu. Ça fait grand temps de se déplacer des pâturages éloignés plus près des stations d’automne.
Dans le territoire Kenozek ça fait deux jours que cinq auls ont installé leurs yourtes. Il y en aura jusqu’à vingt vers la fin du déplacement. Les jaїliaoux sont très bons à Kenozek. La vallée est vaste, elle verdit avec l’herbe savoureuse jusqu’à l’automne avancé. La rivière tortueuse est toujours pleine de l’eau fraîche. Et c’est si facile de respirer ici! L’air est frais, un peu froid. Le vent de montagne souffle même dans les jours les plus chauds, il vient ici de hauts glaciers. L’herbe ne se fane pas sur les collines de Kenozek. Il semble qu’elles resteront fraîches et jeunes pour toujours.
La nuit lunaire est calme et immobile. Kenozek, vêtu en brouillard léger et transparent, est fantastique. Comme si les rondes des oies blanches se sont figées près de la rivière, ce sont les yourtes de baї*.
Elles sont sorties de l’obscurité en rencontrant le rayon lunaire. Et les yourtes vilaines des pauvres se cachent et racommodent le feutre déchiré avec un chiffon noir de la nuit. Le feu s’est éteint dans les foyers. Les tunduks sont fermés. Les moutons se sont calmés dans les enclos. Les travailleurs dorment, l’appel rythmique des gardiens berce Kenozek, il appelle de se reposer et de s’oublier. Même le bruyard s’agite tellement rythmiquement au-dessus de la vallée comme s’il a décidé de s’allonger ici pour s’endormir.
La nuit a apaisé tout le monde! Seulement les yourtes de baï ne sont pas calmes. D’habitude même la vie se calme plus tard ici et aujourd’hui les reflets rougeâtres vacillent tout le temps au-dessus des tunduks ouverts, - les foyers n’arrivent pas à s’éteindre dans les yourtes blanches. Les chevaux sellés attendent leurs maîtres près des piquets.
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*baï – un grand propriétaire foncier
Il y a même des coursiers qui ont occupé les places d’honneur. On les reconnaît tout de suite – secs avec les queux attachées.
On a choisi des baїs des argamaks de tous les troupeaux et on les a amenés vers leurs yourtes. Les chevaux sont sous la selle dès l’après-midi. Ils échauffent encore maintenant. A peine il y a du bruit, ils s’inquiètent – ils henissent, écoutent attentivement, battent leurs sabots par terre.
Qu’est-ce qui a inquiété les yourtes blanches cette nuit calme? Pourquoi dans tous les auls les coursiers sellés sont prêts à côté des piquets? Le barymta*! On a peur du barymta.
Chaque année les khazaks de Tersakkan et de Karaganda se rencontrent près de Kenozak et chaque année la vieille haine recommence. Les familles populeuses, belliqueuses, riches en bétail habitent dans les deux volosts (volost – un district rural). De tout temps la guerre intestine les partage. Et les meneurs s’efforcent en plus, ils ravivent la haine. Tout l’été les auls observent les territoires de
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*le barymta – l’usurpation du bétail.
campement de l’adversaire, ils s’agacent
si l’occasion le permet. Et si leurs chemins se croisent, cela ne se passe pas du barymta – les chasseurs sont toujours prêts à brigander. Et puis les litiges des veuves commencent – chez quels parents du mari elles doivent passer, et à propos du koun – de la rançon après l’assassinat. Et ainsi ça se passe chaque année.
Et qu’est-ce qu’on a eu ici l’été passé! Cela est presque devenue une vraie guerre. On ne parlait même pas de la réconciliation. Les meneurs des familles ont bien dépensé pour les avocats. Ils envoyaient des plaintes même au gouverneur. Mais ça n’a pas apporté du succès à aucune partie. Le gouverneur n’a pas voulu se mêler de leur conflit.
Et maintenant ils réglent les anciennes dificultés eux-mêmes. La haine amassée cherche la sortie. Au début de cet été les familles se préparaient à la bataille décisive. Ils s’observaient un peu d’une façon éveillée, se bornaient aux petites mêlées. Mais quand le territoire de campement a commencé, ils ne quittaient pas les selles. Chaque jour apportait des nouvelles sur une nouvelle attaque. Le barymta devenait plus méchant. Les conversations ont commencé: «On a emmené les meilleurs chevaux». – «Tout le troupeau a été emmené!» - «Barymta, barymta!» - Est-ce qu’il y aura encore quelque chose?» - faisaient des suppositions les vieillards. – On n’évitera pas un grand malheur».
Cette nuit calme Kenozek est devenu le centre de la lutte de deux familles.Et tout ça à cause de l’arrivée de Dosbol, l’ennemi le plus mauvais des habitants de Karaganda, qui est venu ici un de ces jours avec son aul. L’aul de Dosbol est le plus riche à Tersakkan. Et personne ne peut s’opposer aux ordres de ce baї. Les conflits, les litiges, le barymta – tout s’écoule de ses mains.
Récemment – ça fait un mois – il a décidé de donner une leçon à l’ennemi: il a attaqué l’aul principal d’Aїdar avec le barymta. Il a volé un grand troupeau. Aїdar a perdu trente chevaux. La semaine passée les envoyés du victime y sont venus, mais Dosbol n’a pas voulu les écouter. Ils sont partis sans rien. Kenozek est anxieux depuis ce moment-là. Les gens savent qu’Aїdar ne pardonnera pas cet outrage. Les habitants de Tersakkan prennent garde de la vengeance. L’aul de Dosbol est le plus sur ses gardes.
Dosbol est riche. Il a beaucoup de domestiques fidèles et obéissants. Ils oppressent les pauvres kedeїs, ils les tiennent ferme dans les mains. Cela est devenu la règle: dès que Dosbol appelle, les jeunes fils des kedeїs prennent leurs chevaux en vitesse et ne ménagent pas leurs vies en protegeant le bien de baї. Quels braves combattants Dosbol a!
Le meneur de Terkassan a passé tout le siècle au brigandage et aux batailles. Il a appris de vaincre en restant sain et sauf. Le loup à crinière grise est bien malin. L’ennemi ne l’a jamais pris au dépourvu. Et maintenant il a fait ses gens et les voisins se mettre dans la selle. Jour et nuit ses gens errent dans la steppe, chacun a dans ses mains un soil – une longue perche avec un nœud. Ils cherchent les traces de l’ennemi. Et ça peut faire mal à l’habitant de Karaganda s’il se risque d’aller à la steppe tout seul. Il peut tomber sur le détachement volant et il n’évitera pas le nœud du soil, il sera arraché du cheval, il se cavalera à peine vivant.
Dosbol est aussi prudent. Ses troupeaux riches ont été donné sous la garde sûre. Les monte-en-l’air reviennent sans rien chez Aïdar. Cela ne se passe pas de dix-douze cavaliers. Ça arrive qu’on laisse les amis dans les mains des gardiens de chevaux.
L’armée de Dosbol est prêt. Ce ne sont pas les soils que les jiguites ont, ils ont encore des chokpars – les massues avec les tenons de fer. Le vieux loup a même donné en cachette un fusil à quelqu’un.
Dosbol a confiance en hardiesse de ses combattants. Mais parmi les combattants c’est Kalbagaï qui est le plus brave. Il est l’espoir particulier de Dosbol. Kalbagaï n’est pas jeune. Il a déjà trente ans, il a déjà une barbiche noire. Il est vigoureux – la poitrine, ainsi que les épaules! Et le regard comme si c’est l’épervier dans la steppe qui regarde. Il n’a pas son égal dans le courage, dans la maîtrise de soi et dans sa habilité à se battre. Ce n’est pas en vain que les habitants de Karaganda l’appellent - «le diable»!
Et il est tellement fidèle à son maître! Aucune force ne peut le faire quitter les troupeaux de baï. Une fois une telle tempête monte qu’il ne voit pas les oreilles de son cheval – mais tout de même Kalbagaï est près du troupeau. On dit à propos des gens pareils: «il étendra de la glace et se couvrera de la neige». Batyr est endurant. L’enfance ne l’a pas gâté. Il grandissait dans une famille pauvre. Il est le seul fils de la vieille mère. Elle ne le voit presque pas. Le fils de kedeï ne dort presque pas – il prend soin des troupeaux de baï. Ni le loup, ni le voleur, ni barymtatch ne s’enrichissent pas quand il travaille.
Personne n’a son semblable dans l’habilité de traiter un cheval à Tersakkan. C’est l’art qui est dans le sang de Kalbagaï. Tiens, comment il galope dans la steppe sur le cheval puissant à crinière claire après les neuks – l’athlète, l’aigle! Les chevaux semblent le sentir, - en tremblant, ils s’arrêtent. Tout, même le cheval le plus féroce de quantre ans, qui n’a pas encore essayé la bride, tombe par terre avec hennissement, serré par le nœud ou saisi par les oreilles avec les doigts de fer. Quoi que l’étalon sauvage fantasque tâche de faire, quels sauts casse-tête il n’imagine pas, - il se tortune seulement. Il ronfle, tout en sueur, les yeux sont injecté du sang, et le cavalier semble être cloué à son dos. Le sauvage se soumet, il se donne à la main ferme. Voilà est Kalbagaï, le fils du paysan puavre!
Cette nuit les troupeaux de Dosbol sont gardés par ce batyr Kalbagaï. Pendant la journée un des éclaireurs a remarqué dans la steppe un grand détachement d’ennemi. Les cavaliers se dirigeaient vers Kenozek. Quand l’éclaireur est venu, il faisait déjà nuit. Ça ne fait rien de courir après l’ennemi pendant la nuit. Et Dosbol a décidé: «On va se défendre dans l’aul».
On attend l’attaque vers l’aube. On a rassemblé les troupeaux plus près de l’aul et on s’est réuni près des foyers: on mange de la viande et on cause.
Les aksakals prédisaient: «Une grande bataille aura lieu. Aïdar s’est beaucoup fâché, il ne fera grâce à personne». Dosbol lui-même le sentait. Kalbagaï le comprenait aussi. Ils sont arrivés à comprendre: Aïdar a décidé de ne pas manquer la victoire. Il a pris les voleurs les plus téméraires dans son détachement.
On dit qu’il a même appelé «les évadés» - deux frères voleurs de chevaux: Konakaï et Jolaman. Les auls souffrent à cause d’eux depuis longtemps. Même le commissaire de police poursuit les frères. Combien de fois on a envoyé des détachements pour prendre les voleurs et pour les donner aux autorités. Ils sont rusés, ces gros loups. Ils cachent quelque part dans les montagnes ou dans le fourré des joncs près du lac de steppe et ils recommencent le brigandage. Chaque fois ils deviennent de plus en plus violents. Les auls gémissent de leurs attaques de brigand. On dit que les frères ne laissent jamais leurs armes. Ils dorment en tenant prêts le chokpar, le poignard et le fusil. Ce sont ces «évadés» qui ont été lâchés contre Dosbol par Aïdar. Celui-là a promis de les cacher des autorités comme la récompense pour leur service fidèle. C’est avec ces pillards que Kalbagaï doit se rencontrer cette nuit!
Les hommes sont assis dans la yourte de Dosbol, ils mangent à leur faim, se souviennent des exploits de Kalbagaï, louent sa force et son courage. Et ils parlent des frères évadés. Surtout de Konakaï: «Il est violent!..»
Soudain on entend des cris anxieux du bout lointain de l’aul. Tout le monde sort en courant dehors.
-Aux chevaux! – on entend un cri de guerre.
Et le silence de nuit disparaît: on entend des coups sourds, le bruit des sabots des troupeaux effrayés, des gémissements des blessés. Les jiguites près de la yourte de Dosbol, en se poussant, saisissent leurs soils, en s’entreappelenant, montent aux chevaux. Les chevaux sont agités, ils ont senti la bataille, ils tournent sur place sous les cavaliers.
Les exclamations de prières tristes des aksakals mont ent au-dessus du bruit tracassier: «Oh Allah, sauve-les! Oh Allah, protège-les contre le malheur». Les voix perçantes interrompent les vieillards: «Assez de hurler! Les jiguites, sachez votre affaire!» Derrière, en cachant l’un derrière l’autre, les jeunes filles et les enfants se pressent. Ils tremblent, ils ont peur, parce que maintenant les frères et les pères vont aller pour se battre. Voilà les combattants sont dans les selles, les chevaux se mettent de leurs places dans la carrière. Et ils disparaissent dans l’obscurité, Dosbol les emmene. On n’entend encore que des cris guerriers de loin.
Les femmes et les enfants effrayées restent devant la yourte. Oumsyn, la mère de Kalbagaï est parmi eux. Ses lèvres pâles chuchotent: «Oh mon Dieu, oh les saints! Ne permet pas que mon seul meurre! Protège l’orphelin, oh mon Dieu!». Kalbagaï n’est que son seul soutien. Ils habitent en deux, le fils n’a pas de famille. Il ne peut pas payer la rançon – il est pauvre! Il mourra ainsi peut être, la mère ne bichonnera pas les petits enfants.
Qu’est-ce qui se passe dans la steppe de nuit? Il est agité dans l’aul désert, les vieux et les femmes s’inquiètent, ils écoutent. Ils essayent de deviner d’après le bruit du combat: qui triomphe?
Voilà de loin on entend quelque chose de sourd: «Aux chevaux!» Ce sont les habitants de Tersakkan des auls voisins qui se dépêchent à l’aide de Dosbol. Il y en a beaucoup – huit cent cavaliers. La vallée de Kenozek hurle: les sabots des chevaux cognent, les soils craquent, les gens crient. Les femmes ne tiennent pas en place, elles courent d’un aul à l’autre: peut être il y a des nouvelles.
Les aksakals décrépits élèvent la voix sur eux: «Cessez de bavarder! Chut!» - et ils écoutent très attentivement la steppe bourdonnante. Les sons faiblissent. La bataille s’étend plus loin. On tire! Qui est-ce? Les coups se taisent et tout se calme autour. La poursuite s’est transportée au sud dans le semi-désert dépeuplé.
Ce jour-là dès le soir Kalbagaï a été surtout sur ses gardes. Il savait qu’aujourd’hui on attendait le barymta. Il mettait en humeur les gardiens des chevaux, il ne les laissait pas s’endormir, il les faisait rire avec ses récits, envoyait inspecter les troupeaux.
Et lui-même se tournait autour. Les étalons tâchaient tout le temps d’emmener leurs troupeaux plus loin dans la steppe. Kalbagaï les a réunis dans un troupeau commun. De temps en temps il partait dans la steppe en reconnaissance, examinait les lieux dangereux – les creux, les pentes et les collines. En ôtant le chapeau de sa tête il restait immobile avec le cheval et se mêlait avec l’obscurité de nuit. Maintenant tout est calme.
Pendant une de telles sorties Kalbagaï, en contournant le troupeau, veut déjà tourner le cheval – mais il se fige. Les cavaliers ont apparu au sommet de la haute colline. Eclairés par la lune ils sont distinctement vus. Ils deviennent de plus en plus nombreux. Un instant et les cavaliers, en frappant les soils, se s’élancent en nuée noire en bas. Il n’y en a moins que quarante. Et il n’y en a que quinze personnes avec le troupeau. Les barymtatchs volent en vitesse folle avec hilulement et hurlement. Les chevaux éffrayés ont fait un écart et retournent en toute vitesse vers les auls.
Quelques gardiens de chevaux suivent leur exemple. Seulement douze personnes font face à l’ennemi, en arrière est Kalbagaï. Ils avancent courageusement sur les gens d’Aïdar, et les cris retentissent dans la steppe: «Aux chevaux! Aux chevaux!». Ce cri d’alerte alarme tout Kenozek.
La nuée noire s’approche, passe du côté – l’ennemi décide de serrer en rond la poignée de braves. Les soils, levés en haut, blanchissent au clair de la lune. Encore un instant et les cavaliers peuvent se renverser.
Les soils cassés commencent à craquer, les chevaux irrités se misent à hennir, ils se cabrent et se harcelent. Les combattants, en se montant, crient les noms de ses ancêtres. Les chokpars forgés cognent.
Les ennemis se partagent. La moitié du détachement sera assez pour venir à bout d’un groupe des gardiens de chevaux. La deuxième moitié pousse les troupeaux dans la steppe. Kalbagaï essaye d’empêcher, mais il ne réussi pas. Cette fois-là le calcul de l’ennemi est exact. Voilà déjà le dernier troupeau se cache derrière la colline. Les monte-en-l’air n’ont plus rien à faire ici. Le butin est dans leurs mains.
La première malchance n’effraye pas Kalbagaï. Il ne veut pas donner les chevaux. Il galope avec ses gens pour prendre des barym-tatchis. Ils se sont étendus en longue chaîne rare et attaquent l’ennemi. Les gens d’Aïdar se dépêchent d’emmener la prise plus vite avant que l’aide vienne. Les gardiens audacieux de Kalbagaï les empêchent en imposant l’échauffourée.
Les chevaux se culbutent ici et là, les soldats se battent. Mais voilà deux cavaliers d’Aïdar, attirant les regards, se sont détachés du détachement. Les deux sont vigoureux sur les grands chevaux. Sous l’un est gris en pommes. L’autre semble être fondu avec l’étalon énorme. Il y a une étoile sur le front, le queue coule en vagues jusqu’à la terre. Les gardiens reconnaissent tout de suite en cavaliers Konakaï et Jolaman. Les frères laissent les pérsecuteurs s’approcher et se jettent sur eux furieusement avec les cris méchants saccadés. Les coups de soils tombent. Il y a déjà trois amis de Kalbagaï qui se trouvent sur la terre. Et les frères rejoignent leur détachement et restent en arrière pour assumer un nouveau coup.
Les monte-en-l’air galopent, la poursuite galope. Ils se battent en course. Voilà Kalbagaï avec ses amis atteint le troupeau de queue. Il y a une centaine de chevaux dans ce troupeau. Les gens d’Aïdar éperonnent fortement, ils battent les chevaux détachés avec les soils et les fouets.
Kalbagaï ne pense même pas de céder la victoire. Lui et ses gens ont déjà appris à s’adapter – ils repoussent adroitement, se jettent sur l’ennemi plus hardiment, ils commencent à agir plus sûrement. Kalbagaï a une idée. Il s’enfonce au plus épais des ennemis. Le coup et l’assaillant avec la tête cassée se serre contre la crinière de son cheval. Encore un coup et il y a moins ennemis. Kalbagaï se retourne vers ses amis: «Avec moi, tenez ensemble, on va partager le troupeau!» Il fouette son étalon et, en repoussant adroitement les coups, galope comme une foudre vers les rangs de devant. Derrière lui, comme une seule personne, tous ensemble, son détachement va. Le troupeau est en deux parties. Les chevaux effrayés se jettent de côté, une partie est revenue dans l’aul. Kalbagaï ne donne pas la possibilité de se remettre, il s’enfonce dans le troupeau encore et encore. Maintenant les gens d’Aïdar conduisent seulement trente chevaux devant eux. Encore une pression et seulement quinze chevaux restent. Les monte-en-l’air ne pensent même pas de réunir les effrayés, ils n’ont pas le temps, il faut conserver au moins le reste de la proie. Les cavaliers prennent les chevaux dans le cercle solide. Le bruit de la poursuite approche du côté des auls. Le cri belliqueux est de plus en plus entendu, le bruit des sabots des chevaux sont de plus en plus distincts, - l’aide arrive, se dépêche à Kalbagaï. Les gens d’Aïdar ne peuvent pas perdre le temps, s’ils pourraient fouetter plus fort ses coursiers et aller plus loin dans la steppe, mais Kalbagaï les a mis en colère. Au moins il faut montrer la force en dernier lieu, qu’il sache pour qui il les prend. Ils laissent cinq personnes pour garder le petit troupeau et la plupart des cavaliers retournent à la rencontre des gardiens de chevaux.
Il y a moins de trente ennemis maintenant – Kalbagaï a fait tomber des chevaux de cinq personnes et deux ont été fait tomber par ses combattants. Ils ont aussi des pertes sérieuses. Il leur manque six soldats, ils ont été abattu, en se retirant, Konakaï et Jolaman. Kalbagaï n’est pas peur: il entend que l’aide est tout près. Il réunit ses amis de combat avec les cris et les encouragements. Et voilà de nouveau tous s’enfoncent au milieu du détachement d’ennemi.
C’est une vraie bataille. En heurtant contre les gardiens, Jolaman sort un revolver de dessous du tchapan. Il fait feu deux fois et crie: «Retourne! Plus vite! Je vais te tuer!» Mais les jiguites de Kalbagaï se sont déjà accrochés avec l’ennemi. De nouveau les tourbillons de poussière se montent vers le ciel étoilé et la nuit claire s’obscurcie. De nouveau le craquement des soils, les coups des chokpars et les gémissements des blessés troublent le sommeil paisible de la steppe. Les gens se jettent avec l’acharnement des chiens qui échangent des coups de crocs à cause de l’arête. Les gourdins fuissent de plus en plus vite dans l’air, les coups s’écroulent sur les têtes, les cavaliers tombent.
Plus longtemps la bataille dure, plus les gens s’acharnent, ils se frappent plus impitoyablement. Six chevaux sans les cavaliers sortent d’un bond de la bataille commune et ils partent en toute hâte dans la steppe...
Kalbagaï cherche une rencontre avec Jolaman et Konakaï. Il jettait des coups à droite et à gauche mais il ne voyait les frères nulle part. Soudain il a entendu la voix fière: «Je suis Konakaï!» Le cavalier au cheval gris aux pommes s’est enfoncé au plus épais de la bataille. «Si c’est ainsi, je suis Kalbagaï» - a répondu le gardien et est allé au galop tout droit sur Konakaï.
Et voilà ils se trouvent en face l’un de l’autre. Les massues sont élevées en haut d’un air menaçant. Personne ne tressaille. Ils restent immobiles avant le combat mortel. Ils s’écartent, ils se soulevent dans les étiers et, en fuissant comme un éclair, commencent le duel. Ils ne se ménagent pas. L’un frappe, l’autre répond avec deux coups en plus. Ils se battent pour la mort, pas pour la vie, comme des ennemis jurés. Ils ne voient pas ce qui se passe autour parce qu’ils sont captivés par le combat.
Le terrain de bataille devient vide. Il n’y a personne à côté, ni les amis de Kalbagaï, ni les gens d’Aïdar. Ue nouée féroce des cavaliers galope du côté des auls, de plus en plus près. C’est la fin de Konakaï! Celui-ci revient en soi, il fouette le cheval et va en toute vitesse après le compagnon de lutte qui s’enfuit. Derrière son dos les coups des sabots deviennent plus élevés et les cries sont plus distincts – la poursuite rattrape.
Kalbagaï ne reste pas en arrière. Il faut se défendre tout le temps. Il presse de nouveau. Il lève l’arme mais sans succès. Et le gardien donne un tel coup sur la tête en réponse que Konakaï s’allonge sur le cou de son cheval. Il n’y a plus de forces pour se battre. La tête bourdonne, ça fait sombre dans les yeux. C’est le coursier aux pieds légers qui peut aider maintenant. Mais le cheval gris de Kalbagaï court après et presse celui gris aux pommes. Konakaï regarde par-dessus l’épaule, son regard est troublé – les cavaliers roulent en avalanche de la colline. Il bat le coursier avec les jambes de toutes ses forces, il le pousse en avant.
Kalbagaï remarque que l’adversaire capitule, son courage récént a disparu quelconque! Il n’ouvre plus ses épaules puissantes, il ne bombe plus sa poitrine. Il se serre maintenant contre le cheval comme s’il veut se cacher derrière la crinière palpitante. Kalbagaï fouette le cheval, il rattrape le barymtatch, le saisit encore une fois. «Descend du cheval, dépêche-toi, tandis que tu sois encore vivant!» - il ordonne.
Konakaï se tient à peine, il glisse sur le côté, il s’agrippe à la crinière de ses dernières forces, il est en train de tomber par terre.
Jolaman vient en vitesse au secours de son frère, Kalbagaï est prêt à rencontrer un nouvel ennemi. Il en finira avec Konakaï et préparera une massue pour son frère. Konakaï essaye de retourner à l’autre côté, mais il ne réussit pas, il a juste le temps de crier: «Je suis perdu, tire! Tire enfin!» Et il tombe aux pieds de l’étalon gris de Kalbagaï.
Et Jomalan vise déjà au front du cheval gris. Mais celui-là secoue la tête, il a peur. La balle passe à côté et perce la poitrine de Kalbagaï. Jomagal saisit deux chevaux par la bride et s’éloigne au galop...
Les étoiles pâlissent, la lune s’éteint, la nuit part. Les gens révoltent leur paix, ils ont fait sanglante la nuit paisible. Et pourquoi?
Voilà deux ennemis, deux batyrs endormis pour toujours, sont couchés sur l’herbe de steppe sèche. Les bras sont étendus, le regard est immobile. Qu’est-ce que ces deux fils des kedeïs n’ont pas pu partager? Le troupeau de baï? Il n’entreront plus dans leurs vieilles yourtes, leurs mères ne les verront pas ce jour-là. Oumsyn pleura beaucoup – la vieille mère de Kalbagaï. Elle s’affligera seule – elle ne sera pas rappelée dans les yourtes de baï.
1925