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Maïline Beïmbete «Quatre-vingts roubles»

25.11.2013 1282

Maïline Beïmbete «Quatre-vingts roubles»

Язык оригинала: vingts roubles»

Автор оригинала: Maïline Beïmbete

Автор перевода: not specified

Дата: 25.11.2013

Après le thé du matin Eguéoubay décida de se mettre au travail - mettre tout en ordre, retoucher l’étable. C’était déjà la seconde moitié de novembre mais il n’y avait toujours de neige. La terre était noire et gelée. Les vents glacés soufflaient, ils étaient vrais comme on les appelait, « kara-daoul » - « la tempête noire ». Les flocons de nuage couraient dans le ciel méchant. Sitôt que Eguéoubay - en sueur, en nage à cause du thé copieux – soit entré dans la grange, un vent glacial s'abattit sur lui – il soufflait là de toutes les fissures - et il sécha immédiatement et il fut transi de froid. Froncé les sourcils, il se tint près de la porte, tourna le cordon de sa douillette déteint à blanc, puis sortit de la grange, fit quelques pas et a vit que la clôture était tombée. « Il faut rapiécer ce trou d'une manière quelconque » - pensa-t-il tristement, puis il prit une pelle et commença à mettre en tas le fumier pourri. Ayant entendu le grincement de la pelle, le hongre à courte queue hennit dans la stalle. « Tu as faim aussi,  - murmura Eguéoubay - et qu'est-ce que je peux te donner ? Je n’ai rien même à nourrir les enfants ». Il grimpa sur le tas de fumier et commença à boucher le trou, et à ce moment-là quelqu'un s’approcha vers et lui dit :

-  Assalaoumagaleykoum ! 1

Eguéoubay tressaillit de surprise et se retourna.

- Alik salem... Ah, c'est toi, Tnymbay ? Donc, tu n’es pas sorti ? Je ne t’ai pas vu  deux jours.

- Je suis rentré hier, - répondit Tnymbay - De la réunion.

Eguéoubay descendit du tas de fumier et s'appuya contre sa pelle :

1 La salutation.

- Hé, donc, tu es revenu de la réunion ? Alors qu'est-ce qu’il y a ?

- Rien d’intéressant. Ils disen que « Alach Orda »1 a annoncé les exactions... Cinq ou six délégués ont été présents, parmi lesquels il y avait un tel homme représentant, menaçant, peut-être il est leader... Aujourd'hui, ils sont partis pour Nayzaly. Le chef du volost a reçu l’ordre collecter d'urgence de l'argent. Mais notre aoul est pauvre, quels droits peut-on collecter ? On a pris la décision : Que les autres aouls écopent. Et pourtant, chaque maison doit payer quatre-vingts roubles, alors ...

- Quatre-vingts roubles !

La pelle tomba des mains de Eguéoubay. Il se mit soudain à trembler, les ronds noirs nagèrent devant les yeux. « Quatre-vingts roubles, oh mon dieu, quatre-vingts roubles !.. » - répéta-t-il pratiquement stupidement.

Tnymbay s'inquiéta gravement, il recula même d’un pas. Il ne croyait pas que ces nouvelles frappèrent ainsi Eguéoubay.

Enfin, il murmura :

- Est-ce que dans notre aoul il n’y a pas de richards ? Peut-on déclarer « les droits de bey » ? 

- Nous avons pensé à propos « des droits de bey » et nous avons pensé, mais l’aoulnay2 s'est obstiné. Il a dit que nous ne sommes pas si pauvres. Nous pouvons collecter ! Eh bien,  que faire ? Nous l’avons approuvé.

- Apyrmay, ah ! - Eguéoubay arpentait la cour. - Quatre-vingts roubles ! Mais qu'est-ce que c'est ? Et alors ?

Tnymbay se leva et s'en alla. Eguéoubay arpentait-arpentait et alla aussi chez lui. Sa femme rapiécait ses vêtements putréfiés. Ayant capté son regard, Eguéoubay dit tristement :

- Il n’est pas le temps pour le thé maintenant ! Dis-moi où pouvons-nous prendre quatre-vingts roubles ?

- Quels  quatre-vingts roubles ?

- Ordinaires ! « Alach Orda » a annoncé les exactions, est-il compris ? Ce sont les dépenses pour elle ...

1 L’organisation nationaliste kazakh.

2 Le staroste de l’aoul. 

- Qu'est-ce que c’est cette horde ? – s’étonna la femme.

- Si tu ne sais pas, ne demande pas. Moi, je ne comprends pas vraiment. Une chose est claire : car les exactions ont été annoncées, ça signifie qu’il faut donner une pièce de monnaie.

- Que pauvres  nous sommes... que malheureux nous sommes... – se lamenta la femme.

Eguéoubay fut plongé dans ses pensées sombres. Il était criblé de manques, de problèmes, l'économie tombait en ruine sous ses yeux, il n’y avait aucun espoir.

Il y avait un mois, lorsque on  accompagna les djigites d’« Alach » pour le service de sécurité, leur aoul collecta cinq mille pour le fils de Korkèmtay et trois mille pour l’amblier Erkébay. Alors, chaque maison avait du payer quatre-vingts roubles . Eguéoubay fut présent à cette réunion-là, et quand il toucha un mot qu’il ne fut pas possible pour lui de donner une telle somme, les hâbleurs de l’aoul chuchotèrent au délégué d’Alach qui appela les djigites que Eguéoubay était soi-disant bolchevik. Alors il faillit tomber prisonnier. Il emprunta quatre-vingts roubles et était heureux. Puis, il dut vendre une génisse de la vache rouge. L’année précédente la femme reçut cette génisse comme un cadeau ritual des parents. Eh bien, il paya alors, et maintenant, où il pouvait prendre ces nouveaux quatre-vingts roubles ? Et en plus, chaque jour l’aoulnay demandait de l’impôt. Il prit de l’étoffe pour la robe de sa femme douze roubles par archine. Il promit de rembourser en automne, mais il ne rendit jamais. Il devait rembourser une centaine pour le thé au marchand Yéraly – il était également à sa charge. En hiver, il était nécessaire de tuer un bétail quelconque. Car il était impossible de vivre sans viande. Sur quinze pouds de grain, qu’il avait acheté en automne, il n’en restait que huit pouds. On ne pouvait pas laisser les enfants sans pain. Il était vide, nu dans la maison... Et à tout alors il fallait trouver sans aucune raison quatre-vingts roubles. Comment pouvait-il ne pas désespérer, comment pouvait-il ne pas hurler ?

« Oh » - un lourd soupir s'échappa de la poitrine de Eguéoubay.

« Les délégués sont venu chez l’aoulnay ! » Cette rumeur lugubre tomba comme une pierre sur l’aoul encore le soir, et immédiatement quatre-vingts roubles  scintillèrent sous les yeux de Eguéoubay.

Il sua même. Il lui semblait que quatre-vingts roubles étaient son âme, et le délégué était l’ange de la mort Azrael, qui vint à son âme. Son cœur se mit à battre fréquent et il tremblait, et il avait une boule dure dans sa gorge. Son épouse servait le thé concentré, aromatique, mais Eguéoubay put prendre à grand-peine et sans aucun plaisir une piala. Après il pignocha les nouilles de lait et grimpa dans le lit. Une seule pensée perçait son cerveau : quatre-vingts roubles ! Les délégués ! Combien de temps pensa-t-il et cassa sa tête – mais il ne pouvait pas trouver la décision. Il était impossible de ne pas payer, mais il n’avait rien à payer. Finalement, il décida qu’il se sera levé de bon matin, se sera mis à son hongre et sera allé à Samalyk chez le père de la belle-fille. Bien sûr, il n’aura pas pu tortiller, mais au moins au début il ne sera pas tombé sous les yeux des délégués. Il ne pouvait trouver rien de plus intelligent dans sa tête. Dans la matinée, à peine à l'aube, il réveilla son épouse, ordonna  de cuisinier du thé, et il conduisit son hongre vers le puits.

Le fils de l’aoulnay s’envola dans leur maison quand Eguéoubay mit seulement devant soi une piala de thé fumant.

- Grand-père, les délégués vous appellent.

- Pourquoi dois-je aller chez eux ?

- Je ne sais pas ... On dit pour que vous ne vous attardiez pas...

Eguéoubay laissa tomber la piala. Il se leva, s'agita, jeta sur ses épaules son vieux manteau de fourrure rapiécé, mit ses pieds dans ses bottes en cuir brut et sorta d’un bond dans la rue. Sa femme lui cria :

- Mais où vas-tu sans chapeau, malheureux ? Tu as déjà mal aux oreilles. Tu peux prendre froid...

La maison de l’aoulnay.

Trois personnes en uniforme militaire se trouvaient dans la place d'honneur. Le djigite noir grêlé faisait considérablement l’important, comme s’il soulignait sa supériorité sur le reste des compagnons.

- Prenez, s'il vous plaît, donc mangez de l’huile, pour sûr vous avez faim – régala assidûment l’aoulnay. 

Eguéoubay fit irruption dans la maison, salua confusement. Puis il s'assit sur le seuil de la porte, et demanda poliment :

-          Ça va,  aoulnay ?

Celui-la remua seulement les lèvres à la réponse.

- Et c’est - l’aoulnay dit un peu plus tard à ses compagnons – vieillard Eguéoubay. Il doit payer quatre-vingts roubles.

« Quatre-vingts roubles » - cela était déjà pour Eguéoubay comme si une maladie, après ces mots il commençait à trembler de fièvre.

- Don, mon vieux, donnez l'argent - dit le djigite noir grêlé.

- Oh, mon cher, mais je n'ai pas d'argent !

- Qu’est-ce que signifie votre « non » ? Je ne veux pas même l’entendre !

- Il faut croire qu’il est un trompeur astucieux – murmura l'un des invités.

- Argent, mon vieux, argent – répéta le djigite noir.

- Mais, je n’ai pas, mon cher, d’un sou rouillé. Faut-il prendre de dessous la terre ?

- Je vois que tu es contre « Alach Orda » ? Oui ?

- Non, mon cher, de grâce !

- Nous te connaissons... Tu es juste Eguéoubay, une fois nous avons failli t’arrêter. Tu regarde de travers « Alach » depuis longtemps ! Combien de bétail as-tu, hein ?

- Un canasson, une vache et son veau ... Je ne sais pas comment nourrir les petits enfants ...

- Peut-être nous pouvons prendre son cheval et rendre le reste ? – l’aoulnay proposa.

- Oui, ce sera bien – approuva le meneur. - Va, Erjan, à la maison de cet homme, et amène le cheval.

Le grand djigite à visage clair, recouvert tout avec les armes, se leva :

- Allons, mon vieux !

Trébuchant, Eguéoubay se traîna chez lui. Le soldat le suivait instamment comme s'il avait peur que le vieillard aura pu échapper. Son fusil sortait derrière son dos. « Et pourquoi il était tant enragé contre moi ? » - pensa Eguéoubay. Et tout à coup il se souvint : pendant la dernière élection, il avait été parmi ceux qui n’avaient pas voté pour l’aoulnay. Pouvait-être celui-là  décida alors de se venger...

Il amena le hongre à courte queue par la bride vers le délégué.

- Non ! - dit le délégué sévèrement. – Mène toi-meme !

Eguéoubay alla et amena son hongre abattu.

La femme, qui se tenait à la porte et regardait que son mari menait le hongre de la stalle, essuyait les larmes avec son poing et cria après eux :

- « Alach Orda » vola un seul canasson. Dieu, comment pouvons-nous exister maintenant, comment pouvons-nous vivre ? Ouille ! ouille ! ouille !

 

1918