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Maïline Beïmbete «Un seau noir»

25.11.2013 1339

Maïline Beïmbete «Un seau noir»

Язык оригинала: «Un seau noir»

Автор оригинала: Maïline Beïmbete

Автор перевода: not specified

Дата: 25.11.2013

Tout a commencé par un seau noir. Aïcha gardait ce seau comme la prunelle de ses yeux. Il y a trois ans, restée sans lui, elle était obligée de courir chez les voisins jusqu’à ce que son mari Birmaganbet, en cédant à ses prières constantes, ait apporté de la boutique et a mis devant elle un seau noir, tout à fait nouveau.

-Je n’entends que «le seau, le seau»! J’ai déjà mal au cœur. Voilà, tiens, au lieu du tabac pour moi, je t’ai acheté un seau. Prends et tais-toi! – a dit Birmaganbet, en soulignant toute l’importance de son acte.

 Mais, en disant d’une manière pareille, Birmanganbet ne voulait pas du tout dire que sa femme était une petite sale et qu’elle ne savait rien faire. Tout simplement il l’a laissée entendre qu’il était un honnête homme et ne tournait pas le dos à la demande de sa femme. Tout l’aul savait l’économie, la propreté et l’esprit ménager d’Aïcha. Elle estimait chaque chose comme si elle était la seule sur mille. Des femmes malpropres en voulant humilier, blesser Aïcha - «l’amateur de propreté», grondaient parfois:   

Et pourquoi est-ce qu’elle garde toute merde tout le temps? Elle ne la prendra pas dans le trou! Un ladre!

Et voilà ce qui s’est passé: on a détruit son seau noir!

Et c’était la jeune femme de Kojagul – une femme balourde, sale – qui flânait à travers les cours et demandait quelque chose, et si elle prenait quelque chose, elle ne le rendait jamais en bon état. Et aujourd’hui elle a soudain eu besoin du seau. Elle s’est rappliquée. D’habitude Aïcha ne laissait pas de tels quémandeurs s’approcher de sa maison.

Vous n’êtes pas plus pauvre que moi. Vous pouvez acheter vous-même, - leur a-t-elle coupé net.  

Et aujourd’hui elle n’a pas répondu comme ça. Elle avait d’autres choses à penser: ça faisait déjà tout un mois que Birmaganbet avait disparu de la maison! D’après ce qu’on disait, il dressait des procès-verbaux aux baïs de là-bas selon l’ordre du district et envoyait ces documents au tribunal. Mais qu’est-ce qu’il a avec les baïs? Et pourquoi est-ce qu’il faut flâner quelque part tout le mois, quand la femme et la famille est à la maison? Et comment est cet homme, qui puisse quitter sa maison sans cérémonie? Les pensées pareilles ne laissaient pas Aïcha depuis déjà quelques jours. Elle sortait la cendre dehors comme d’habitude, allumait le feu sous le foyer, faisait trotter la seule vache bariolée à l’abreuvoir, et elle-même pensait instamment à Birmaganbet.

 Ce n’était pas pour la première année qu’il circulait à travers les auls. Ça faisait trois ans qu’il ne gardait pas la maison. Depuis le moment quand il avait été élu le délégué à la réunion des batraks, on n’entendait de lui que «le congrès», «le groupe», «la résolution». Si le mandataire arrivait dans l’aul – avant tout il appelait Birmaganbet. Et puis partout ils allaient ensemble. Ils appellaient les gens, dirigeaient les réunions,  le mandataire faisait  les communications et quand les gens, en se perdant, se taisaient, et le représentant du pouvoir demandait d’émettre son opinion, - alors c’est Birmaganbet qui prenait la parole.    

Camarades! – disait-il à haute voix.

            Tout le monde tressaillait et buvait ses paroles. Et voilà que Birmaganbet commençait à froisser les uns, taquiner les autres et exciter encore quelqu’un:

            -Camarades! On voit bien que vous avez peur des baïs! Oui-oui! Les uns ont même perdu l’usage de la parole à cause la peur. Alors, n’ayez pas peur! Assez de vous taire! Je sais que vous avez quelque chose à dire. N’est-ce pas? Allez-y, allez-y!

Après cela, tous commençaient à prendre la parole en s’interrompant.

La réunion terminait, les gens s’en allaient à la maison, et, assise près du foyer, Aïcha commencait à reprocher à son mari:

-Pourquoi est-ce que tu dois risquer? Est-ce que tu veux qu’on te prenne pour un semeur de discorde? Il vaut mieux que tu restes à la maison et que tu manges ton brouet. Mais non,  il doit obligatoirement prendre la parole!

«Rengaine tes conseils!» - comme si c’était ce que Birmaganbet disait et, en toisant Aïcha du regard coléreux, repoussait la kessuchka. Aïcha savait le caractère irascible de son mari et après cela elle n’a plus  parlé de la réunion.    

Et ils avaient tout dans la vie. Qu’est-ce qu’ils avaient supporté avant? L’humiliation, la honte, les coups de baïs et les jurons de sa baïbichet – Aïcha avait tout avalé. Elle a eu sa famille et son foyer il y a seulement quatre ans. Et Birmaganbet, même marié, continuait à travailler comme un garçon de ferme. Seulement l’année passée il a secoué le joug. Il a reçu quelques têtes de bétail de baï après l’expropriation.

Depuis ce temps-là leurs affaires se sont rétablies. Aïcha gardait ce qu’elle avait. Sa maison était toujours propre et mise en ordre. Parfois ils ne mangaient pas à leur faim et il faisait froid, mais elle ne voulait même pas écouter qu’ils pouvaient abattre ou vendre au moins une tête de bétail. Une fois Birmaganbet a essayé de vendre une génisse brune et d’acheter quelque chose de vêtement, mais Aïcha a fait un tel bruit!..

-Est-ce que tu es fou? Comment peux-tu vendre la génisse? On a été nu-pieds et affamés avant, mais on n’a pas péri! Et on ne va pas périr maintenant!

A vrai dire Aïcha n’a qu’un seul désir: de ne pas perdre ce qu’ils avaient à peine accumulé, de remettre en ordre le ménage et de s’échapper enfin de la maudite pauvreté. Ce n’était pas écrit dans leur destinée d’être pauvre. Ils ont bien connu l’amertume du morceau d’autrui.

C’étaient les pensées d’Aïcha. Et Barmaganbet? .... Est-ce qu’il avait d’autres pensées qu’elle? Et seulement maintenant il a obtenu quelque chose, seulement maintenant la lueur d’espérance a brillé dans son âme. Et pourquoi est-ce qu’il était indifférent au ménage? Pourquoi est-ce qu’il ne restait pas à la maison? Pourquoi est-ce qu’il ne pensait pas à la famille, ne prenait pas soin du bétail? Pourquoi est-ce qu’il ne s’agitait pas comme d’autres hommes, en voyant des à-côtés, en mettant de l’argent de côté?..

Mais tout cela était un rien en comparaison avec ce qui a troublé l’âme d’Aïcha maintenant. Elle s’est décidé à faire ce qu’elle n’a jamais fait et à ce qu’elle n’a jamais pensé de sa vie, ce qu’elle n’a jamais eu en tête, surtout depuis le moment quand elle est devenue une femme. Elle ne pouvait pas comprendre ce qui s’était passé elle-même. Maintenant elle se cassait la tête et ne pouvait pas comprendre: si elle a agi bien ou mal. Elle a essayé de parler avec Alma-gabette – il était son beau-frère, - mais celui-là a tout tourné en plaisanterie et a envenimé le cœur D’Aïcha encore plus. Et voilà quand la tête tournait, cette maudite femme sale a rappliqué de nul part et a obtenu le seau noir.

***

Cela s’est passé comme ça.

Le mandataire est venu dans l’aul et a convoqué les habitants à la réunion. L’aul était petit, il y avait une vingtaine de cours et même moins et c’est pourquoi tout le monde est entré dans la maison de Sartaï. Toutes les femmes se sont aussi réunies. Aïcha était parmi eux. Kaïralap était assis à la place d’honneur, en étalant la barbe, Idris était assis à côté, en avançant le gros menton. Pendant la récolte passée on a bien secoué deux richards et on leur a annoncé un boycott. Je me rappelle que pendant une réunion Birmaganbet a dit:

-Il est désirable qu’il n’y ait pas de baïs-intrigants. Que les batraks et les kedeï gèrent leurs affaires eux-mêmes.

Et à l’instant même on a chassé Kaïralap et Idris de la réunion. Maintenant, en se profitant de la situation que Birmaganet n’était pas dans l’aul, deux baïs se sont traînés sans crainte à la réunion et même ils se sont assis l’un à côté de l’autre. Cela a blessé Aïcha d’une façon désagréable. Quels types, ils ont pris de l’audace! Est-ce qu’ils pensent que si Birmaganbet est absent, ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent? Oh non! Demain le mari va revenir et Aïcha va lui raconter tout, et il fera quelque chose avec les richards tout de suite! 

Passe, Aïcha! Tu n’as pas eu la chance d’assister à la réunion à cause de ton mari, - a crié quelqu’un de jeunes jiguites, - Alors, prononce un discours, tandis que Birmaganbet est absent!

Et, ayant senti une moquerie dissimulée, Aïcha s’est fâchée encore plus.  

L’aulnaï était le bègue Orynbaï, en traînant le sac de toile qu’il ne quittait pas, parlait bas avec l’un, puis avec l’autre.

L’étranger bronzé à la chevelure ébouriffée regardait le bègue de travers d’un air mécontent et a dit:

-Camarade-président! Je pense que c’est assez de chuchoter dans les coins? –Il est grand temps d’ouvrir la réunion, non?

L’étranger bronzé était le mandataire du district. Il a fait le rapport et l’a fini comme ça:

-Alors, camarades, il est temps de mettre fin à la petite exploitation stupide et passer à la grande exploitation collective, à la méthode de l’exploitation socialiste!

Les gens se taisaient, comme s’ils avaient été pris par le sommeil.

-Qui aura quelles questions? – a demandé le président quelques fois, pourtant personne n’a même pas ouvert la bouche.

Ia, Allah, sauve-nous, les coupables! – a soupiré Kaïralap à haute voix.

Ei, pourquoi est-ce que vous vous taisez! Dites, au moins, quelque chose!

 Voilà est Aïcha qui s’est animée. Probablement, elle veut dire quelque chose! – quelqu’un de jiguites a remarqué d’un ton badin.

Elle est la femme du militant. Si elle veut, elle peut couper d’une telle façon, - a repris encore quelqu’un d’autre.

Soit Aïcha s’est complètement irritée, soit elle avait vraiment intention de prendre la parole, mais elle a avancé tout de suite.

-Et quoi? Je vais parler! Est-ce que vous croyez, que j’ai peur des baïs? Que je ne suis pas comme vous êtes!

Le mandataire a levé la tête, a regardé Aïcha attentivement. Elle s’est troublée, s’est arrêtée pour un instant.

Parlez, jengueï! Soyez plus courageuse! – a souri le mandataire.

Avant tout je veux dire que deux maïkotes sont assis ici. Qu’ils quittent la réunion.

Les gens ont échangé des coups d’œil. Satybaldy, en regardant Aïcha en dessous, a hoché la tête avec étonnement. Le mandataire s’en est pris au président du conseil d’aul, en exigeant de nommer ces «maïkotes». Et, en apprenant qui ils étaient, a demandé:

-Et qui vous a appelés ici?! 

Oïbaï, mon cher, on a dit à tout le monde de venir à la réunion. Voilà qu’on est venu. Je pense que si je ne viens pas, je sera coupable de nouveau...- Kaïrapal a commencé à se justifier.

On a chassé les baïs. Le mandataire s’est adressé à Aïcha:

-Continuez, jengueï.

Aïcha ne savait même pas de quoi parler ensuite.  Rien de pertinent ne lui venait en tête. Mais si le mandataire demandait de continuer, c’était incommode  de se taire. Et elle a dit brièvement:

-Je peux encore dire: tout ce que le mandataire disait, est juste. Je le soutiens!

-Et pourquoi est-ce que tu ne supportes pas. Ton bétail n’est pas gagné à la sueur de ton front, tu l’as obtenu pour rien.  On a pris des uns et donner aux autres. Bien sûr, ce n’est pas difficile de le donner au kolkhoze. Et que les autres disent, - a remarqué Kussain.

A vrai dire, Aïcha n’a pas compris elle-même ce que collectiviser le bétail signifiait. Pas tout était clair dans le rapport du mandataire. En l’écoutant, elle pensait aux choses qui l’intéressaient, de ce qui ne sortait pas de sa tête les derniers jours. Et maintenant elle s’est sentie gênée.

J’ai une question, - Jaman a donné de la voix. – Donc, bien. Supposons, que nous serons un collectif. On va unir toute l’économie, tout le bien.

'Boycottés.

Et qu’est-ce qu’on fait avec les familles? Est-ce qu’on va habiter chacun dans sa masure comme avant ou comme les parents de Smat – on va commencer à laper d’un seul baquet en nombre de quarante personnes?

-Bien sûr, tu vas laper d’un seul baquet, - Kussain a devancé le mandataire.

On a commencé à faire du bruit.

Pourtant le mandataire a pris la parole, il a expliqué en détail comment l’economie collective sera formée et comment les membres de l’artel agricole viveront et tous se sont calmés.

Camarade mandataire! – s’est adressé Tmakbaï. – Par exemple, on prend un pauvre. Supposons, qu’il n’a rien. Il est soit disant un gueux. Il gagne sa vie en cousant. Est-ce que vous allez aussi accepter une telle personne dans l’artel?

Jussup, Kadyrbergue, Jakip ont pris la parole après Tmakbaï. De leurs paroles Aïcha a bien compris qu’on allait collectiviser le bétail. Mais seulement comment ça? Il n’y a pas longtemps qu’elle et Birmaganbet se sont procurés de certain bétail. Ils se refusaient du vêtement, du repas, en rêvant au moins d’accroître un peu le cheptel. Est-ce que  maintenant, soudain, tout sera commun? Les tettes de la pauvre pestruchka sont un quart d’archine. Elle donne un seau pendant une traite. L’année passée, pendant la confiscation du bien de Bazaubaï, le mandataire a appelé Aïcha. «Jengeï, - dit-il, - vous, avec votre mari, avez assez courbé l’échine devant ce baï. Alors choisissez n’importe quelle vache de son troupeau».   

Parmi les vaches de Bazaubaï, l’espèce rouge avec une marque sur le front différait par son rendement. La pestruchka était de cette espèce. Aïcha a accouru  chez elle, l’a embrassée dans le cou... Et maintenant, soudain, sa chère pestruchka, sa nourrice, sera commune, la femme négligente de  Kojagula recevera son lait, son beurre? Oh, mon Dieu, qu’est-ce que c’est que ça? Mais le plus important est que le maître ne sera pas à la maison, le propriétaire de tout le bétail. Il est intéressant, est-ce qu’on commence à collectiviser le bétail ou on attendra quand Birmaganbet revient?

On a fini à poser les questions. Le président de la réunion a commencé le vote.

-Alors, ceux qui sont d’accord à entrer dans le collectif, levez les mains!

Les habitants d’aul, en se louchant, se taisaient, attendaient, ne tenaient pas en place. Personne n’osait lever la main le premier. Aïcha s’est rappelée comment Birmaganbet avait agi dans les cas pareils. Il se levait brusquement, levait la main et disait:

-Votons!

Et tous ensemble on levait les mains.

Aïcha s’est aussi exclamée brusquement:

-Votons, camarades! Alors!

Quelques mains se sont levées timidement et puis tout le monde a voté. On a pris une décision unanime: «On va créer un collectif!» Maintenant il fallait choisir un président. De différentes propositions ont commencé à tomber. Le mandataire a demandé la parole:

-Si vous m’écoutez, vous allez choisir cette jengueï-là d’être le président. Vous ne le regretterez pas!

-Laisse! – Aïcha s’est levée brusquement prise de frayeur.

-Peut être personne n’aura pas d’objection contre ce camarade, - Kussain a commencé à traîner, en cherchant ses mots, - mais elle est illettrée...

-Mais, on peut apprendre à lire et écrire. Moi personnellement, je vais voter volontier pour la belle-fille Aïcha. Levons les mains! – a dit le respectable Dossym, et tous ont suivi son exemple en levant les mains.  

Ainsi, Aïcha a été choisie le président de l’artel nommé «Le nouveau foyer».

Les événement de ce jour-là ont semblé à Aïcha un rêve étrange. Soudain le pouvoir est venu dans ses mains. Pourquoi? Pour quels mérites? Comment cela finira-t-il? Bien ou mal? Est-ce que Birmaganbet sera content? Est-ce qu’il agirait comme ça, s’il était ici? Ou, au contraire, il ne dirait mot en restant pétrifié?

   Aïcha est venue à la maison, et là, le petit fils de huit ans Kuandyk, en réunissant ses amis de tout l’aul, a mis tout dans le désordre.

Les garnements ont apporté du foin de la cour, ils ont répandu la cendre, ont versé de l’eau. D’habitude Aïcha chassait sans pitié ces petits diables de la maison, et les gosses, en sentant qu’ils seraient grondés, se sauvaient dès qu’ils voyaient Aïcha. Pourtant cette fois-là Aïcha n’a pas commencé à crier comme d’habitude et n’a pas mis dehors les batailleurs attardés. En se poussant, en se pressant ils sont partis, et Aïcha, sans rien remarquer, s’est appuyée contre le poêle et a commencé à regarder par la fenêtre. La tempête de neige commençait. Une grande congère s’est élevée derrière la fenêtre. Le vent violent heurtait contre cette congère, levait des tourbillons de neige, hurlait lugubrement. La tempête de neige a couvert la petite fenêtre d’en bas et il est devenu sombre dans la maison. 

Le collectif! On l’a fondé pour bonheur ou pour malheur? A la réunion quelqu’un a proposé avec une pointe de malice ou de gravité:

-Collectivisons les femmes alors !

L’autre lui a tout de suite répondu:

-Eh, nous savons, nous savons que tu as des visées à la jeune Jeksen!..

Et si on collectivise vraiment les femmes...Aïcha s’est rappelée comment Birmaganbet était irascible et chaud. En plus, il était jaloux, affairé, irritable. Parfois il disait: «Je t’aime le plus dans le monde. Quand quelqu’un braque les yeux sur toi, tout tourne dedans moi». Et qu’est-ce qui va se passer maintenant? Si...Oh mon Dieu, à quoi est-ce que je pense!..  

Et juste en ce moment-là la femme cadette de Kojagul est venue. Jaoulyk est taché de graisse et sale. Les caoutchoucs de cuir sont éculés de côté. Elle s’est essoufflée comme si elle a été poursuivie avec un bâton. Elle a gratté le dos contre le mur. Elle est restée comme ça un peu de temps et a commencé à babiller:

-Apyrmaï, qu’est-ce qui se passe avec le temps! Est-ce que le ciel s’est écroulé! Il y a une tempête de neige chaque jour! On peut devenir hébété. Et il y a encore ceux qui flânent et visitent des réunions dans une telle effervescence. Il se peut qui’ils s’énervent à cause de la fainéantise.

Cinq personnes du « Fendage de bouleau» sont venus nous voir, ils nous ont fait une visite.  

Ils se sont installés comme leur propre père est venu! Et qu’est-ce que les gens pensent? Il n’y rien à manger. On a abattu un seul bétail vilain pour l’hiver et on a débité la culotte déjà hier. Et pas plus que dans le creux de la main, il n’y a plus rien...

Elle a repris souffle et s’est emportée de nouveau:

-On a décidé de leur offrir du thé pour se débarrasser d’eux et quelle est la raison de se trimballer avec un seul seau dans une telle tempête? Peut être toi, ma chère belle-fille, tu me donneras ton seau noir?

Aïcha n’écoutait le moulin à paroles sale que d’une oreille, tout à fait distraitement. Elle n’a compris qu’elle avait besoin du seau noir. Une autre fois Aïcha ne la laissait pas s’approcher de ce seau, mais maintenant elle voulait éconduire la hôte importune le plus vite possible et rester seule, avec ses pensées et elle a fait son deuil:

-Il est là, dans le coin! Prends!

 Le soir est venu, il a fait nuit, il fallait aller prendre de l’eau. Juste en ce moment-là Aïcha a compris quelle bêtise elle avait faite et est devenue froide. La femme cadette de Kojagul était une rare maladroite. Ce qui venait dans ses mains, pouvait être considéré perdu. Si elle prenait une tasse évasée, elle la cassait en deux, si c’était une théière, elle cassait obligatoirement le bec ou l’anse, si c’était le seau... Et sans se tenir, Aïcha s’est élancée dehors. Elle courait, en trébuchant, en tombant dans les congères. Et elle ne le remanquait pas. Pourvu qu’elle atteigne la maison de la souillon le plus vite possible. Pour vu qu’elle voie son seau noir plus vite...  

Ayant défait ses tresses sales, en soulevant les bouffées de cendre, la femme de Kojagul était assise près du poêle. Ayant vu Aïcha, qui avait fait irruption dans la maison, elle a commencé à ringarder voilemment les charbons à l’aide de longues pinces. La cendre s’est mise à tomber, la fumée noire s’est mise à monter.

Je suis venue prendre le seau, - a dit Aïcha en pressentissant quelque chose de mauvais.

Ce...garçon balourd...Alors, je l’ai rossé tellement qu’il s’en souviendra pour toute sa vie...-la salisson a bougonné sans se détacher du poêle.

Aïcha, sans se rapeller, a avancé sévèrement. La salisson a balbutié, en perdant contenance un peu:

-Qu’est-ce que tu fais, qu’est-ce qu’il y a?! Porte respect aux adultes! Calme-toi! Voilà est ton seau.

Le seau, aplati, avec le fond enfoncé, se traînait au seuil. Aïcha a perdu le souffle de colère et d’offense. Elle a saisi le seau défiguré, l’a jeté dans la femme hirsute et s’est mise à pleurer.

-Oïbaï-aï! –s’est mise à hurler la salisson d’une vilaine voix. – Cette ca-na-ille m’a tu-ée!

Kojagul est entré. Les glaçons sur la barbe et la moustache se fondaient, en s’égouttant sur la poitrine. Et ses yeux, déjà grands, se sont élargis encore plus. Il semblait que les yeux sont sortis des orbites.

Il est resté debout un peu de temps, puis a remué les lèvres et a poussé un soupir:

-  Qu’est-ce qu’il y a, la chère belle-fille, tu bats notre femme?

-Qu’elle ne prenne pas et ne casse pas les choses d’autrui!

- Bien sûr, c’est juste. Ce n’est pas bon de casser. Mais qu’est-ce que cela a avec «d’autrui»? Vous avez été à la réunion et vous avez entendu ce que le mandataire a dit. «Tous les moyens de production nécessaires seront collectivisés». Il a dit comme ça. Et le seau est aussi le moyen de production. Et aussi nécessaire. Cela signifie que  tout le monde peut l’utiliser. Il ne faut pas le casser. Je suis d’accord. Mais si vous avez cassé par hasard, est-ce que c’est bien de faire le fendant tout de suite? Le mandataire ne l’approuvera pas aussi. En plus on vous a choisie le président. Si on écrit une plainte, en indiquant que le président bat les gens, prenez en considération qu’on vous traduira en justice bien vite!  

Aïcha se taisait. Elle avait honte de son emportement. Elle avait vraiment oublié toutes les paroles, dites à la réunion sur la collectivisation des moyens de production. Et vraiment le seau était commun maintenant. Cette salisson l’avait pris. Elle l’avait cassé. C’est ça la liberté. Quel droit elle, Aïcha, avait pour tempêter? Pourtant c’était amer d’en penser. Le seau noir écrasé fuyait devant ses yeux. Puis la femme sale de Kojagul, hérissée comme une socière, a fui. 

Et Aïcha a eu peur et elle a regretté. Elle s’est laissée abattre, elle n’a pas pu calmer le tremblement qui la frappait, elle s’est mise à traîner à peine à la maison.

            ...La nuit est venue. La fenêtre était couverte de neige. La tempête de neige rageait, le vent sifflait, hurlait. Dans l’obscurité de la nuit, en serrant Kuandyk contre elle, Aïcha s’est recroquevillée. Le sommeil l’avait quittée. Les pensées tristes accablaient la femme. Elle a soupiré péniblement.

Quelqu’un a tiré fortement la porte. Aïcha s’est levée brusquement avec frayeur:

-Qui est-ce?

-Moi!

La voix connue, chère, impatiemment attendue. Aïcha s’est précipitée au-devant de son mari  tout de suite et a commencé à l’aider à se déshabiller.

Apyrmaï, comment as-tu osé venir dans une telle tempête de neige?!

Birmaganbet était tout couvert de neige. Il y avait du givre sur la barbe, la moustache était couverte de glaçons. De taille moyenne, au visage rouge, il soufflait, gloussait en se déshabillant.

-Oï, ma chérie, tu t’es épuisée pour sûr, tu t’es ennuyée sans moi. Viens, je vais t’embrasser!  

Froid, maladroit, dans le vêtement épais, il l’a tirée vers soi, en essayant de la serrer dans ses bras, et Aïcha s’est enflammée comme une jeune fille, s’est repliée et a tendu le visage.

Elle ne l’a pas vu, Birmaganbet, il y a une éternité! Aïcha s’est tellement offensée contre le mari, qu’elle menaçait en pensée de ne pas même le regarder quand il reviendrait. Et maintenant, contente, heureuse, elle tendait docilement la joue pour un baiser.  Mais Birmaganbet était comme ça! Quel kazakh, en revenant à la maison, appelerait la femme «ma chérie», et en plus embrasserait?! Les autres croyaient même honteux de saluer la femme. Et Birmaganbet était tout à fait un autre homme. Il avait un caractère particulier...  

Aïcha a raconté en détail à son mari tout ce qui s’était passé dans l’aul pendant son absence. Birmaganbet meuglait approbativement. Et quand il a appris que la femme était entrée dans le collectif et qu’elle avait été choisie son président, et il s’est beaucoup réjoui et a éclaté de rire.

-Attend, ne ris pas. Je n’ai pas encore tout dit!

-Alors, raconte.

-On veut me traduire en justice!

-Qui?!

            Et Aïcha, en s’agitant, en suffoquant d’offense et de  colère, a raconté l’histoire sur la perte du seau noir à voix tremblante.

            -Oh-là-là, tu as trouvé de qui avoir peur! – a hoché la tête le mari.

            - Kojagula! Est-ce que tu sais qui il est? Un mercanti! Un mollah! Cet automne il masillait encore la prière des agonisants auprès de défunt Berbol et il a emporté la génisse rouge. Je répète au fils de Kakimjan qu’il frappe le vieux d’un impôt.  Mais celui-là, envers et contre tous, le protège tout de même. On ne peut pas les laisser s’approcher du collectif! Convoque demain tous le membres de l’artel, je vais le révéler devant tout le monde et on va le chasser avec éclat. Et même s’il est dans le collectif, cela ne signifie pas du tout qu’il est permis de casser les choses d’autrui. Est-ce que le seau peut être collectivisé?!

-Et  la vache!..Est-ce qu’elle doit être collectivisée? – a demandé Aïcha avec tristesse
...La nuit sombre, sur le lit près de son mari pour un instant Aïcha a vu la vache bariolée avec le pis lourd et gonflé. Et encore le seau noir aplati lui a apparu.

1930 г.