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Ахмет Байтұрсынұлы
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Maïline Beïmbete «Dans les griffes de mort»

25.11.2013 1534

Maïline Beïmbete «Dans les griffes de mort»

Негізгі тіл: «Dans les griffes de mort»

Бастапқы авторы: Maïline Beïmbete

Аударма авторы: not specified

Дата: 25.11.2013

Koïchkary – un jiguite noir, basané, vigoureux – était sur le toit de la hutte et regardait attentivement le point noir qui rampait sous ses pieds dans la dépression.

Ce point tantôt apparassait, tantôt disparaissait, et, enfin, un voyageur a apparu sur la pente du col.

Il était peu probable qu’il ait apparu ici par hazard. Dès l’été passé les armées entières passaient ces parages déserts de steppe et beaucoup de choses se sont passées ici. Koïchkary a vu de ses propres yeux les assassinats, les poursuites, les évasions paniques, et beaucoup, beaucoup d’autres choses.

L’année passée il travaillait comme garçon de ferme chez Temir. Et je me rappelle, que dès que j’ai apporté du foin de la steppe et je me sui mis à ranger le gerbier, quand les soldats ont fait irruption dans l’aul. C’était tout un détachement, et il s’est arrêté près de la maison de Temir.

-Donne les chevaux!

Les gens se sont alarmés dans l’aul. Les adulateurs et les laquais de Temir, qui étaient prêts à tendre les dos des autres sous n’importe quel coup pour le maître, se sont jetés à travers les cours pour réunir les chevaux. Ils choisissaient seulement les rosses de paysan pauvre, comme d’habitude – les rosses minces et pelées. Les pauvres s’irritaient, et le larbin de baï – Tuebaï – leur a expliqué impassiblement:

-  Tout est correct! Les chevaux de baï ne conviennent pas à la course. Ils sont trop bons. Ils ont engraissé en liberté. Dans une telle chaleur on les mettra en nage tout de suite.  

La vieille Beken, ayant perdu la tête de peur et de chagrin, a couru après sa rosse, en criant:

-Il n’y a pas de Dieu en vous! Je suis seule, abandonnée, et c’est pourquoi vous vous moquez! Vous avez crevé ma petite rosse.

-Mais elle n’a que les os qui se montrent.

Elle vient à peine à la maison après le travail. Au moins cette fois-là épargnez-moi!..

Soudain un des soldats (il semblait, qu’il comprenait la langue kazakh) a prêté l’oreille aux hurlements de la vieille et a brusquement braqué le fusil sur Tuebaï:

 -Nous ne touchons pas les chevaux de paysan pauvre, - a-t-il dit en kazakh. – Et on nous donne des coursiers de baï! Est-ce que tu as compris? Toi, le larbin, vois-moi ça! Alors, conduis le troupeau de baï ici! Nous allons choisir nous-mêmes!

Et en ce moment-là Tuebaï s’est tellement décontenancé qu’il a même commencé à bégayer.

-Comme vous voulez...On a fait toujours comme ça...Je...Je...Comme vous voulez.

Et il a amené le troupeau de baï.

Les ignorants réfractaires et craintifs, en traînant les lassos avec des nœuds, ont accouru en tout hâte dans l’aul. Tout a disparu dans les nuées de poussière. La terre vibrait sous le claquement des sabots. Koïchkary tournait au milieu du troupeau, il lançait habilement le lasso aux chevaux qui sont devenus sauvages, le resserrait brusquement, et alors les chevaux les plus forts s’affaissaient lourdement et même  tombaient par terre.     

-A-a! Que tu sois maudi, Koïchkary! – le baï criait d’une voix vilaine. Dans le tohu-bohu le lasso de Koïchkary a atteint le favori de baï – l’amblier bai avec le chanfrein blanc. Dans le déséspoir Temir a même écarquillé les yeux et s’est mis à frapper des pieds, comme si le nœud l’a serré, pas le cheval ambleur.

-           Que tu sois étranglé avec le lasso pareil! Que tu tombes sur le même nœud, le scélérat!! – la baïbichet de baï, grosse comme un cuveau, hurlait près du poêle de terre, en crachant toutes les malédictions possibles.

Koïchkary, ayant entendu le cri effrayé de baï, a pensé, qu’il avait vraiment fait une gaffe, et il a presque relâché un peu le lasso, mais soudain la baïbichet odieuse s’est mise à hurler et il s’est même soulevé sur l’étrier. Et il a tendu le lasso de manière que l’amblier se soit mis à râler, se soit affaissé aux pieds de derrière et se soit mis à trembler du croup bien tendu.

-           Bravo! Le jiguite! – le jeune combattant en uniforme militaire s'est exclamé avec enthousiame et a jeté la bride sur l’amblier.

C’était le gars qui parlait la langue kazakh. C’était lui qui avait ordonné de laisser tous le chevaux de pauvre. Il était habile, léger, bien de sa personne et accroché tout autour des armes.

-           Approche-toi! – a-t-il crié à Koïchkary. – T’es un batrak?

-           C’est ça.

-           Alors, attrape les meilleurs chevaux de baï!

Il y avait quelque chose d’attirant et de plaisant dans ce jeune homme. Il semblait charmer le batrak de baï.

Après avoir choisi les ambliers de choix et les coursiers du troupeau de baï, les combattants ont quitté l’aul. Temir se tenait debout et ronflait comme un cheval traqué. Il semblait qu’il creverait de rage. En maudisant tout le monde, la baïbichet se démenait à travers l’aul, comme une tarentule féroce. 

-           Koïchkary! Que la terre t’avale! Où es-tu?  - le baï s’éraillait la voix. – Avec Minaïdar, tournez vite les chevaux!

Quand le détachement a quitté l’aul, le jeune combattant qui parlait la langue kazakh, s’est approché de Minaïdar et  Koïchkary. Il se tenait dans la selle habilement, solidement, pas comme tous les autres russes.

-           Et donc, camarades, vous ne vous vexez pas que vous alliez aux chevaux de baï? – il a souri malicieusement et s’est présenté:

-           Andreï. J’ai travaillé comme garçon, de ferme chez le baï dès mon enfance dans le pays de Baganaly. De là je suis parti à la guerre. J’ai fait la guerre pendant un an. Après la révolution je suis revenu à la maison. Est-ce que vous avez entendu parler des bolcheviks?..Voilà nous, on est les bolcheviks, - a-t-il encore dit, a atteint Koïchkary, l’a saisi par la ceinture et l’a tiré fortement vers soi.

-           Qui va renverser qui, ah?! – Puis il s’est rappelé soudain que Koïchkary a manqué de courage, ayant entendu l’appel fort du baï et a vite expliqué que dès le moment le kedeï et le batrak auraient un autre temps.

Le plus important est de ne pas avoir, de ne pas être timide! Ton heure a sonné! Maintenant les batraks sont forts!

Ainsi le jiguite est parti avec le détachement.

 Le soir le détachemene s’est arrêté dans un aul, près du méandre de la rivière. L’herbe était haute ici, elle montait jusqu’à l’étrier. Le  bétait bon et gras marchait ici. Quelqu’un regardait Minaïdar et Koïchkary de travers: c’était vous qui les aviez amené ici!

Et à peine le crépuscule est descendu, les chiens se sont mis à aboyer avec acharnement et on entendu le bruit des sabots. Le coup de feu a retenti. Andreï et ses combattants se sont jetés vers les chevaux, mais alors un grand détachement armé a fait interruption dans l’aul. Le tir a commencé. Les sanglots et les hurlements ont éventré le silence de nuit..

C’étaient les blancs qui étaient venus. On a saisi Andreï et ses camarades. Et bien qu’on ne les aient pas tués, on les a roués de coups. 

-           Vous vous êtes engagés de les accompagner! – le meneur maigre et adroit comme une libellule, rugissait Minaïdar et Koïchkary et, mis en fureur, fouettait Koïchkary sur le dos.

Il fouettait avec une telle force que l’écho retentissant répondait à chaque coup. Il semblait qu’on battait la poussière de vieux feutre dans la nuit.

Le matin les blancs sont partis. On a aiguillonné les bolcheviks captifs, à demi vêtu, à pied. Andrei était tellement extémué, qu’il se traînait à peine. En disant adieu, il a fait un signe de tête à Minaïdar et Koïchkary sans rien dire.

-On va maintenant tuer les pauvres, - Minaïdar a poussé un soupire.

-Oui...Et nous ne sommes pas capables de les aider, - a dit Koïchkary d’un ton accablé.

Les blancs ont aussi pris les chevaux de baï. Koïchkary suppliait de les rendre, mais on ne l’a pas même écouté, en plus un des habitants de l’aul, un gars noir rusé, en désirant de sauver ses chevaux, en indiquant sur les jiguites, a crié:

-           Prenez ceux-là aussi! Ce sont les espions rouges!

Temir a perdu le souffle de colère et de dépit, quand il a appris ce qui s’était passé. Son bâton jaune avec une pointe de cuivre dansait sur les têtes de Minaïdar et Koïchkary qui se tenaient la tête baissée. La baïbichet Uljan poussait des cris perçants, toute en colère:

-Tue! Tue ces chiens! Ils ne coûtent pas un amblier!

Mais Temir ne s’est pas satisfait seulement des coups. Il a donné les gardiens de chevaux  au tribunal des anciens d’aul. Les aksakals ont décidé que le baï a perdu les chevaux à cause de la vieille Beken et Koïchkary. La vieille était l’instigatrice: elle a été la première qui avait poussé une beuglante, et Koïchkary a attrapé l’amblier et encore quelques coursiers de baï de ses propres mains. Sans ces semeurs de discorde, le détachement aurait volé les rosses fatiguées et serait parti calmement.

En ce moment-là, d’après la décision des aksakals on a pris tout le bien des vieilles et du gardien de chevaux  pour indemniser le prix de neuf chevaux de baï. Temir a chassé Koïchkary. Il prétendait d’être un bolchevik. Les femmes d’aul naïves regardaient le jiguite avec  peur et curiosité:

-           Oh, mon Dieu! Qui tu es en vérité? Un homme ou un loup-garou?

            Seulement Kulbiket a sympathisé avec lui:

            -C’est un vrai jiguite! – a-t-il dit. – Au moins il a fait parler de lui!

            Après cet incident Koïchkary est allé dans les cités russes. Il y a eu un travail salarié, il se nourrissait et nourrissait ses parents.

***

Bientôt Koïchkary a discerné le voyageur. C’était un soldat dans une capote grise, il courait vers l’aul. Et quelques minutes après Koïchkary s’est exclamé:

-           Oïbaï! C’est Petr! – Et il s’est jeté à sa rencontre.

            A vrai dire c’était Petr. Ce Petr, avec qui Koïchkary avait travaillé comme garçon de ferme pendant cinq longs ans chez Temir.

-           D’où es-tu? Où est-ce que tu cours? Qu’est-ce qui se passe avec toi? – Koïchkary était en train de le  presser de questions, quand ils se sont rencontrés, mais Petr a seulement dit:

-           Puis, puis! Et entre temps cache-moi quelque part... Que personne ne me voie. – Et il a regardé autour d’une manière traquée.

Koïchkary est devenu froid. Alors, cela signifiait que Petr était un fuyard! Et on donnait une lourde peine pour le recel du fuyard. Mais il ne pouvait pas chasser Petr! Ils avaient travaillé ensemble pendant cinq ans. Ils n’avaient pas seulement travaillé, mais ils étaient devenus de grands amis, et on pouvait dire qu’ils avaient habité au coude à coude. Quand  on a pris Petr en service militaire, Koïchkary se consumait tellement de chagrin comme s’il avait perdu son propre frère. Avant de se quitter ils se sont embrassés.

«Surveille ma mère. Ne la laisse pas devenir pauvre!» - Petr lui a demandé en partant. Et  Koïchkary a promis de faire tout ce qu’il pouvait. Et voilà ils se sont rencontrés de nouveau.

-           Eh, Petra, n’est-ce pas? Tu es revenu sain et sauf, mon cher? – la vieille Umut, la mère de Koïchkary, a salué joyeusement le fuyard.

-           Ohh, Petra, mon fils! Et toi, apyrmaï, tu es devenu un grand jiguite, non? -  a souri le vieillard pâle, de petite taille.

C’était Etykbaï – le père de  Koïchkary.

Umut et Etykbaï aimaient Petr comme leur propre fils. Quand il avait travaillé avec leur fils chez Temir, Umut lui lavait tout et l’habillait. Il arrivait, que les femmes curieuses demandaient:

- Et pourquoi est-ce que tu l’aimes, ce russe?

Et Umut répondait constamment:

-Est-ce que ce n’est pas le Dieu qui avait créé le russe? Il est le même que mon Koïchkary. Ils travaillent ensemble, habitent ensemble. Ils prennent le parti l’un de l’autre. Pourquoi est-ce qu’il nous doit être étranger?

Petr s’est aussi attaché sincèrement à Umut et l’appelait, aussi que Koïchkary, «ajet».

-           Bonjour, ajet! Je suis sain, sain je suis, et sauf aussi! Pourtant, il y a un tel danger qui me menace! Cachez-moi! Ne me livrez pas!

Petr a poussé un soupir. Umut a eu peur. Son visage ridé a pâli.

-Comment ça, mon fils? Qu’est-ce qui s’est passé? – Etykbaï s’est alarmé tout de suite. 

-           Dis franchement, - Koïchkary ne s’est pas contenu. – Qui es-tu?

-           Un bolchevik! – Petr a répondu.

Les maîtres ont tressailli et ont échangé des regards. «Un bolchevik»! Après le vol des chevaux de baï l’année passée, les vieilles ont entendu ce mot, pas une fois. Une fois Etykbaï s’est intéressé auprès de petit marchand d’aul Kanych: «Qui sont ces gens – les bolcheviks?» - «Les voleurs et les sangsues, les semeurs de discorde et les bandits», - a brièvement expliqué le petit marchand.   

Et depuis ce temps-là, si quelqu’un appelait Koïchkary un bolchevik, Etykbaï s’indignait et s’offensait: «Qu’est-ce que vous dites? Est-ce que mon fils a jamais fait du brigandage?»

On parlait souvent des bolcheviks dans les auls. Deux-trois personnes se réunissaient et parlaient des semeurs de discorde mystérieux. Personne ne savait au juste qui ils étaient, c’est pourquoi on attribuait les choses les plus absurdes et les plus cruels à ces gens-là.

Minaïdar et Koïchkary, après la rencontre avec Andreï, pensaient aux bolcheviks d’une autre façon. C’était Koïchkary qui cassait la tête surtout beaucoup de temps et souvent. Est-ce que les bolcheviks étaient les concussionnaires? Voilà Andreï s’est appelé le bolchevik, et s’il était un concussionaire, un voleur? Est-ce qu’un bandit commencerait à parler de la liberté? Est-ce qu’il prendrait soin des ceux qui étaient restés orphelins et des malheureux? C’était lui qui nous avait inspirés: «Tout est dans vos mains maintenant! Si les batraks se réunissent, les baïs ne resteront pas vivants». Et qui sont les bolcheviks? Qui répand les cancans absurdes sur eux? Qui? Qui?

Koïchkary ne le savait pas. Et maintenant, ayant entendu ce mot terrible de Petr, il s’est complètement troublé. Tous les doutes et les frayeurs ont tout de suite apparu dans sa tête.

-Oh, le créateur! Qu’est-ce que cela signifie? – la vieille Umut s’est exclamée avec frayeur et a regardé son fils.

-           N’aie pas peur, ajet. Qui peut Petr être si pas un bolchevik? Tous les batraks sont les bolcheviks! Et moi aussi, je suis un bolchevik! – Koïchkary a brusquement dit.

-           La main, mon ami! – Petr a souri et a serré fortement sa paume.

Etykbaï et Umut se sont regardés avec embarras et ont soupiré. Ils étaient évidemment perplexes. Pourtant dès ce moment-là ils ont commencé à se considérer les bolcheviks...

On a envoyé Etykbaï dehors comme un patrouilleur, et Petr et Koïchkary sont restés tête-à-tête pour se reposer, parler de tout. Mais les vieux amis n’ont même pas eu le temps de se réjouir, quand Etykbaï effrayé a fait interruption et a chuchoté en confusion:

-Ils vont!

Le traîneau, attelé par une paire de chevaux, a passé en coup de vent derrière la fenêtre. Les papakhas velues, les capotes grises avec les revolvers à la ceinture, avec les fusils au traîneau ont apparu furtivement. L’un de ceux qui a sauté du traîneau était gros et moustachu.  Koïchkary a regardé par la fenêtre et a pâli:

-Un vicieux Aouesbaï!

-Et qui est-il? Un kazakh? – Umut, perdue, a demandé, en regardant autour d’un air impuissant. – Essaye, parle avec lui...

Petr a lugubrement hoché la tête:

-Pas de chance. Quelqu’un a déjà rapporté. Ah, j’ai fait une gaffe! Je n’ai pas dû venir ici...

Deux soldats, en tenant les fusils pointés, ont fait irruption dans la hutte. Petr s’est levé et a levé les mains. Aouesbaï est entré et a sévèrement froncé les sourcils. Il y avait un revolver dans ses mains.  Un soldat a commencé à perquisitionner Petr, l’autre se tenait à côté.

-           Mon cher, je vois que tu es le fils de kazakh. Ce garçon dès son enfance grandissait dans notre aul, - Etykbaï était en train de commencer avec hésitation, mais Aouesbaï a braqué le revolver sur le maître et a  rugi:

-           Ferme la gueule, le vieux birbe! Sinon, je vais t’achever!

Etykbaï s’est mis à trembler et de peur il a même fermé les yeux avec la main.

-  Pourquoi est-ce que toi mon cher, tu effrayes le vieux homme? Il ne faut pas le faire, - Umut a dit avec douceur, en saisissant Aouesbaï par les pans de la capote, mais celui-là a donné un tel coup dans la pointrine à tour de bras qu’Umut a roulé vers le seuil, en poussant un cri.

Aouesbaï a lugubrement levé la moustache tout droit:

-Tiens, où il a fait son nid?!

-Tu te trompes, je...- Petr a voulu commencer, mais le soldat, un grand flandrin roux l’a frappé avec la crosse  et il est tombé, comme foudroyé.

 Koïchkary, abasourdi, perdu, se tenait et ne comprenait presque pas ce qui se passait autour de lui. Petr se traînait, ayant perdu connaissance, tout couvert de sang, et lui, son ami intime, ne pouvait pas l’aider. Et il se tenait, en tressaillant de sainte colère. Ce n’était pas bien! Il s’est rappelé qu’une fois Temir a commencé à le fouetter sans pitié pour une faute, et alors Petr s’est jeté vers lui et a tendu son dos sous les coups. Voilà ce qu’un vrai ami signifiait...   

Et après l’avoir rappelé, Koïchkary a saisi la perche par le gosier.

-Pourquoi est-ce que tu le fouettes, ah?!

La bagarre a commencé. Le revolver a jappé deux fois. Koïchkary s’est attaché furieusement au gosier de la perche et a commencé à l’étrangler, mais Aouesbaï s’est précipité et, en s’ingéniant, a frappé le jiguite dans la tempe avec la poignée du revolver. Le sang a commencé à couler.  Koïchkary a desserré les doigts. La perche, s’échappant, est tombée sur lui avec fureur...

Les gens se pressaient autour de la hutte. Les uns se tenaient avec les yeux écarquillés de peur, les autres criaient quelque chose, disputaient, faisaient de différentes suppositions, et tous ensemble poussaient en avant, en se bousculant et en brûlant de curiosité.

Certains, ayant appris ce qui s’était passé, pourtant ne se décidaient pas à exprimer leur attitude envers ce qui s’était passé et hésitaient, en adaptant à l’état d’esprit de la foule.

-On n’aura pas de paix jusqu’à ce qu’on n’emporte pas ce salaud! – Temir s’enflammait, qui s’est aussi trouvé ici on ne sait comment.

 -Tu dis juste! Une boulette de mouton va détériorer toute une outre de beurre. Un salaud diffamera toute la région! – Le mullah Omar est précipitamment venu en aide du baï.

Les adolescents et les jiguites, qui évidemment sympathisaient avec Minaïdar et Koïchkary, piétinaient sur place sans rien dire...

Aouesbaï est resté pour la nuit chez Temir. On a amené Petr et Koïchkary sur le traîneau et les a poussés dans la grange de bois de baï. La baïbichet Uljan avec un sourire moqueur sur le visage soigné a sorti de la poche de la fourrure de renard luxuriante une clé et a fermé les deux jiguites de ses propres mains. 

-           Je savais que la mémoire sacrée de l’amblier et des coursiers vifs châtiera les coupables. Et voilà que le châtiment est venu!..

D’après les anciennes coutumes kazakhs, le baï et la baïbichet étaient obligés d’être les protecteurs de ses habitants d’aul. Ils devaient protéger l’aul de tout malheur extérieur.  Et le fait que la baïbichet a fermé à clef elle-même  Koïchkary, battu jusqu’au sang, a laissé un arrière-goût désagréable dans l’âme des parents. Pourtant, Temir et Uljan étaient tellement aveuglés par la colère qu’ils ne remarquaient rien. D’ailleurs, ils pouvaient avoir leur propre intérêt. 

On a mis le batrak de baï Minaïdar pour garder la grange. Aouesbaï l’a percé du regard, a agité le revolver devant son nez et a rugi:

-Ei, le sot aux yeux à fleur de tête, prends en considération: si tu les laisses échapper, je te tuerai!

Et Minaïdar a frissonné, a pâli.

L’aul faisait du bruit, hurlait, médisait. Les femmes, qui étaient allées prendre de l’eau, qui avaient porté dehors la cendre, qui ramassaient le fumier séché, discutaient cet événement sans cesse. Chacun, bien sûr, le faisait à sa manière. Il y avaient ceux qui portaient Aouesbaï aux nuées. Il était le fils de petit marchand de ville – «le kazakh-chala» ou «demi-kazakh», comme on appelait les gens pareils dans les auls, et il était un parent lointain de plusieurs habitants dans cette région aussi. Il se faisait des mamours avec Temir depuis déjà beaucoup d’années. On disait d’Aouesbaï dans les auls de la manière suivante:

  -Evidemment, il a pu s’insinuer aux autorités. On dit, qu’on va le promouvoir bientôt.

Les vieux le citaient comme exemple aux jeunes:

-Celui-là ira loin! Il fera son chemin!

Et aujourd’hui Aouesbaï est devenu un vrai héros de jour. Tous parlaient de lui.

- Aouesbaï a amené une centaine de soldats ici, - Gabbas bancal et sale a annoncé avec un air important, -  Il l’a laissé quelque part derrière. Probablement, il surviendra demain!..

Et d’ailleurs, il levait la tête, en montant sur ses ergots, comme si c’était lui qui avait amené cette centaine. Janibek, un babillard connu, évidemment, ne voulait pas rester en arrière de Gabbas.

-           Dans cette campagne Aouesbaï a tué cent bolcheviks, - disait –il.

Le vieux Etykbaï était considére un étranger dans cet aul. Sa famille n’avait que trois maisons ici. Ses deux parents – Rakhmet et Sugur – étaient calmes, modestes, les gens de l’aisance moyenne. A vrai dire, près de leur foyer, il n’y avait pas de personne plus courageuse que Rakhmet, mais en public il était timide et même tout simplement peureux. Et Sugur était un vrai lambin, on pouvait l’égorger, il ne dirait pas un mot. Tous les deux n’avaient aucune idée de l’honneur de parenté et de la dignité. Mais ils reconnaissaient en Etykbaï leur parent, pourtant cette fois-là ils l’ont renié sans se cacher. 

Et non seulement ils n’ont pas défendu son fils, mais même ne s’approchaient pas de lui, ayant peut des cancans et parfois avec tout le monde déblatéraient franchement le vieux.

Temir régalait l’hôte à la manière de ville. Il a envoyé le courrier trouver du samogon dans le village russe voisin, a réuni tous les gens d’aul notables et respéctés, a largement couvert le dastarkhan. La baïbichet Uljan était joyeuse et solennelle, comme si son petit-fils était né. Elle a mis dans la chaudière le kazy – la graisse abdominale de cheval et la karta – le saucisson de cheval, et la partie au-dessous de la crinière – jal, et la culotte – jaya. 

-Les jiguites! Certains de vous, probablement, n’ont pas encore goûté dans la vie l’arak. Et donc...les kazakhs n’ont pas eu une passion pour un tel boisson. Mais aujourd’hui, buvez! Mes hôtes sont particuliers, ils sont chers. Ils sacrifient leurs vies pour notre paix. Ils réveillent les rebelles. J’espère que vous comprenez quelle honneur cela fait pour nous d’être assis avec ces gens  près d’un seul dastarkhan!

Et Temir a balancé la kessuchka avec samogon de telle manière comme si c’était le koumis. On sentait que pour la plupart des gens ce «boisson de satan» était ordinaire. Tous se sont mis à remuer et à sourire.

 -Ce n’est pas mal de boire en l’honneur du hôte éminent! – Tuebaï a remarqué.

Une grande nappe secrète a été sortie du coffre, on l’a étendue au milieu de la chambre. Tuebaï a noté en pensée que cette nappe rayé a été étendue pour la dernière fois, quand le père de Temir, le dévot Turlybaï, était revenu de la Mecque. Les gens qui s’étaient réunis au dastarkhan alors, buvaient l’eau sacrée – «ziam-ziam».

-           Pour la santé du monsieur Aouesbaï! – Temir a proclamé, après avoir levé la kessuchka avec samogon.

-           Apyrmaï, que je ne tombe pas malade...Je n’ai jamais pris dans la bouche, - quelqu’un de ceux qui n’étaient pas courageux  a marmotté.

-           Tu ne peux rien faire. Si Temir a dit – bois, même si tu meurs! – insistaient les autres, qui étaient plus courageux.

Peu à peu le samogon a délié la langue.

-Monsieur Aouesbaï! Vos frères brûlent d’entendre de bonnes nouvelles de votre bouche. Soyez bon, racontez-nous, ce qui se passe dans le monde...Qu’est-ce qu’on dit à propos d’«Alach-Orda»? – Temir rouge, tout en sueur, a demandé.

-«Alach-Orda» fait son affaire, - Aouesbaï a répondu avec un air d’importance. – Alikhan s’est rendu à Omsk pour les négociations avec Koltchak.

  -Oï, brave, oï, sarbaz!..Le pauvre ne sait pas de repos...Il s’occupe de nous, les kazakhs, jour et nuit, - les hôtes se sont mis à pousser des oh et des ah, en tournant les nez et en rejetant la tête en arrière.

Il est devenu bruyant dans la maison de baï. On parlait de plus en plus hautement, de manière de plus en plus criarde, en s’interrompant et bientôt personne ne s’écoutait.

 La nuit était froide. Pendant le jour la neige fondait, et maintenant la neige durcie de glace s’est figée. L’obscurité tombale a enveloppé la steppe. Les étoiles solitaires, errantes dans le ciel froid,  scintillaient d’une lueur pâle quelque part, à travers les nuages sombres. Le sommeil lourd et alarmant a paralysé l’aul. Le mauvais pressentiment s’est insinué dans les cœurs de ceux qui ne dormaient pas.

Minaïdar, ressemblé à un croque-mitaine,en mettant la tête dans le col de la fourrure rude, était assis sur le rondin près de la grange de bois. Aujourd’hui il était le gardien. Il passait des heures à réfléchir douleureusement, assis dans la pose abattue: «Apyrmaï, quelle est leur faute?» Petr et Koïchkary étaient ses vieux amis. On peut dire qu’il s’est apparenté avec eux. Il s’est apparenté parce que, sauf eux, il n’avait personne dans le monde entier. Minaïdar ne savait pas comment et quand il était arrivé ici, d’où il venait, le fils de qui il était. Dès sont enfance il se rappelait seulement comme le batrak du baï Temir. Maintenant il avait vingt- trois. Et il n’a encore vu rien de bien... 

Parfois une tristesse indestructible le saisissait, et alors il venait chez Etykbaï, se couchait sur la couche, tout à fait triste, accablé, et se taisait pendant longtemps.

-Est-ce que tu es en bonne santé, chragym? Pourquoi est-ce que tu es couché sans rien dire, en poussant des soupirs? – Umut demandait. «Chragym est un mot tellement tendre – mon cher, ma pupille, mon flambeau! C’était seulement Umut qui appelait Minaïdar comme ça. Plus personne ne lui disait de mots pareils dans le monde. Et il n’y avait personne.

Minaïdar poussait des soupirs et demandait la vieille:

 -Checheï, dis, peut être tu sais si j’avais en général les parents?

-           Bien sûr, mon cher?! Comment est-ce qu’on peut être sans parents?  - Umit répondait tendrement. – Je n’ai pas eu la chance de voir ton père. J’ai seulement entendu dire, qu’il était mort. Et ta mère, je l’ai vue, je me rappelle. Elle était au visage rond, aux yeux noirs, d’une belle stature. Elle ne te laissait pas de ses mains. «Mon Mintaï, mon cher», - disait-elle...Elle t’aimait, comme toutes les mères.

D’après les récits d’Umut Minaïdar s’imaginait dans ses pensées plus tard l’apparence de sa mère. Dès qu’il fermait les yeux, quand une jolie femme au visage rouge, aux yeux noirs apparaissait devant ses yeux. Elle le serrait contre sa poitrine, l’embrassait et disait tendrement: «Mon Mintaï! Le seul!..»  Il est tellement bien quand il y a une mère!.. Et sa mère, suivant les mot d’Umut, a été vendue. Quand? Pourquoi? Qui a vendu?! Quand Minaïdar y pensait, son cœur se serrait et commençait à saigner. En ce moment-là, il était prêt à étrangler avec ses doigts tenaces et noueux l’ennemi odieux, qui avait vendu sa mère...

Minaïdar s’est éveillé, a tressailli:

-Qui est là?

Etykbaï, courbé de froid et de chagrin, se tenait devant lui.

-           Cher Minaïdar, est-ce que tu n’as pas appris s’ils étaient au moins vivants?

Le vieux pleurait, ses lèvres tremblaient.

«Le pauvre, pauvre père!.. Il est prêt à donner son âme pour son propre fils...»

-On a mal, notre fils... – Etykbaï a essuyé les larmes à l’aide de la manche de son fourrure. – La vieille, la malhereuse, n’arrive pas à se calmer...

Et c’était bien sûr la vérité.

Umut tendre, toujours ayant pitié de tout le monde, maintenant était assourdie par le chagrin. Elle n’avait qu’un seul fils. Et ce vieillard tranquille, qui n’avait jamais vexé personne dans sa vie, aussi ne se trouvait pas une place. Il vaguait les nuits, pleurait. Qui leur sympathisera? Qui aura pitié d’eux? Qui aidera?   

«Personne! Une telle personne n’existe pas!» - Minaïdar a pensé avec tristesse et vexation.

La nuit s’approchait. La lueur de taupe des lampes s’est éteinte dans les fenêtres. Le froid devenait plus méchant, il ne pinçait plus, il mordait. La fourrure en peau de mouton volumineuse ne semblait plus lourde à Minaïdar. Un état étrange le saisissait.  Il avait chaud, puis froid. Les oreilles le tentaient, de ronds noirs flottaient devant ses yeux. Les pensées se dispersaient par les sentiers bizzares innombrables. Et qu’est-ce que cela lui faisait? Il se sentait bien. Il était en fourrure, il avait mangé quelque chose de chaud il n’y a pas longtemps. Et comment est-ce que ces pauvres se sentaient dans la grange? Ils devaient avoir très froid. Ils devaient avoir faim. Ils étaient battus. Le sang a séché sur eux.  Et cela n’inquiétait personne, et n’alarmait pas. Et pourquoi est-ce qu’on se moquait tellement d’eux? Etykbaï s’est approché de la grange, a regardé dans la fente, a marché autour, a tendu l’oreille. De temps en temps le vieux regardait Minaïdar plaintivement. Il se peut, qu’il ne se décide pas à demander d’ouvrir la porte. Et peut être il fallait vraiment  essayer?

Minaïdar s’est levé, s’est dirigé vers la maison de baï.

-           Ce n’est rien pour moi. Je suis battu...Je vais tout endurer, tout supporter – Petr a dit, en tâtant la tête de Koïchkary prudemment. Tandis qu’il faisait du solei, le rayon aïgu pénétrait dans la fente de la grange et les amis pouvaient se regarder. Tous les deux étaient couverts de sang. Le sang s’est figé, les a couverts de la croûte brune. Les os leur faisaient mal, le corps semblait étranger.  

-           Qu’est-ce qui se passera avec eux? -  Koïchkary a poussé un soupir.

-           Qui sait...Bien sûr, ils sont heureux qu’ils aient saisi l’ennemi...Et il n’y a personne qui puisse défendre...

Les deux le comprenaient. Et les deux imaginaient distinctement quel sort les attendait, pourtant personne ne se décidait à le dire franchement l’un à l’autre. Calmés, abattus, ils se serraient, se réchauffaient par le chaud et la respiration. Ils ne se consolaient pas et ne se repentaient pas, mais tout simplement étaient assis sur la vieille pelisse courte dans la grange sombre dans l’évanouissement, dans le semi-sommeil. L’âme compatissante, en les regardant de côté, aurait laissé tomber une larme.

«Les pauvres gars, - aurait dit cette âme compatissante, - sont perdus dans la fleur de l’âge!..»

...La porte de la grange a grincé et s’est ouverte. Quelqu’un est entré, a fouillé autour, puis a appelé en chuchotant:

-Koïchkary!

Petr et Koïchkary ont reconnu la voix de Minaïdar et se sont levés brusquement. Comme s’ils ne sentaient plus la pesanteur, la douleur et la fatigue. Le cœur battait d’une manière retentissante, il les a pris à la gorge.

 -Courez! Sauvez-vous! – marmottait Minaïbar d’un air deconcerté.

-Où sont les soldats?

-Ils sont ivres...ils couchent tous en tas.

Petr agissait résolument et énergiquement. Il a dit brièvement à Minaïdar ce qu’il fallait faire. Minaïdar devait pénétrer dans la maison de baï, ramasser  et leur apporter le fusil. En même temps Koïchkary devait atteler une paire de trotteurs de baï.

Petr avait la main cassée, mais il n’y faisait pas attention. Il savait qu’il ne pouvait pas lambiner, il n’aura pas une autre occasion pareille.

La baïbichet avait la meilleure ouïe dans la maison de baï, mais elle a bu en l’honneur d’Aouesbaï tout un verre de samogon et maintenant était couchée presque raide morte.

Etykbaï a a tressailli, ayant entendu le craquement du traîneau derrière la fenêtre.

-Apyrmaï, de nouveau, non? – Umut a chuchoté d’une voix faible.

 La maison était sombre et froide, la chandelle vacillait à peine. Tout était dans un complet désordre, comme si ça pouvait être après l’enterrement. Et c’était vrai, que la maison chaude et confortable ressemblait à un tombe froid.

-Aje! – on a entendu les voix pressées.

Petr et Koïchkary sont entrés. Chacun portait un pelisse courte et une touloupe de baï. Les fusils et les sables pendaient sur les ceintures.

Umut s’est levée maladroitement et avec peine, elle a embrassé les deux hommes. Les larmes chaudes leur coulaient derrière le col. Mais les jiguites ne lambinaient pas, ils devaient s’enfuir. Où? Ce n’était pas encore claire. Ils étaient mûs par une seule chose – de s’échapper des griffes de mort. S’ils parvenaient à s’enfuir de la poursuite, tout se déciderait d’une façon indépendante.

-           Agataï, reste au moins pour une nuit! – la fille noiraude aux cheveux noirs vaporeux suppliait, en pleurant.

Koïchkary appelait avec douceur sa petite sœur «Montaï» - la Perle. Il disait souvent: Je ne donnerai la Perle qu’à son aimé. Et maintenant le frère aîné, le seul soutien de la famille, a décidé d’aller quelque part. Il laissait les vieillards  et sa sœur aimée abandonnés, en sachant qu’ils n’avaient même rien à quoi vivre. Qui veillera aux vieillards? Qui prendra soin de la jeune Montaï? Ou est-ce que de nouveau le père cacochyme à la barbe grise, qui voyait à peine, devait prendre un bâton blanc dans ses mains et devait se traîner après le troupeau de moutons de baï?   

Et est-ce que la mère malade, courbée devait visiter les cours, arracher la laine, filer et porter les grasses dehors? Et qu’est-ce qu’ils avaient d’autre à faire.

-           Je ne peux pas, ma chérie! Ne t’offense pas contre le frère. Moi- même je suis perdu. Et une épreuve difficile m’attend. Tu vas t’ennuyer. Tu t’exténueras... Mais essuie les larmes, chasse le chagrin, soutiens tes parents. Ne sois pas une fille faible! Sois un fils! C’est ce que je te demande, ma chère. Approche-toi, je vais t’embrasser avant de se quitter.

Il embrassait longtemps la petit sœur délicate. Umut et Etykbaï, perdus, comme dans un rêve, se tenaient à côté.

-Alors, tu pars, mon fils? – Umut a demandé.

-Je pars! – a répondu Koïchkary.

-Que tu aies de la chance! Que le chemin des justes s’ouvre devant toi! On se sentira mal sans toi. Mais je ne me plains pas. Je remercie Dieu qu’il me t’ait donné. Je ne demande qu’une seule chose: où que tu sois, que tu te rappelles ton père cacochyme et moi, inconsolable, rappelle-toi notre vieillesse, que tu est notre seul soutien, rappelle-toi que...

Umut n’a pas fini. Les larmes l’étouffaient. Il semblait que ce n’était pas elle qui parlait mais un bon souhait venait de quelque part de côté.

Quand la constellation de la Pléiade a décliné vers l’horizon, les voyageurs ont quitté l’aul. Minaïdar conduisait les chevaux. Les trotteurs de baï en bon état rongeaient les freins, arrachaient les brides. Le traîneau allait à toute vitesse  sur le chemin plat et détruit. Les chevaux dérapaient aux virages, la poussière de neige tourbillonnait de dessous des patins.

Minaïdar a tenu les brides sur l’enfourchure.

-Donc, dans quel côté est-ce qu’on va?

Un des chemins menait dans la ville, l’autre dans la forêt épaisse. Les villages se sont cachés là, dans la forêt. La vie s’arrêtait là en hiver. Le voyageur y passait rarement. Et seulement en cas de grand besoin les habitants des fourrés quittaient les maisons chaudes.

Ils étaient complètement isolés du monde pendant de longs mois d’hiver. Les nouvelles de la ville n’y transpiraient pas. Ils se contentaient des rumeurs des villages et des auls. C’était leur vie. La vie de bois, isolée...

Les fuyards ont décidé d’aller à travers la forêt. Ils allaient tout le jour avec une seule halte. Vers le soir on est arrivé au village qui s’était caché dans le fourré épais parmi les congères. Le village était assez grand. Quelques personnes conduisaient le bétail vers le lac au bout du village. Ayant vu les voyageurs, quelqu’un a crié:

-Arrêtez-vous!

Un homme s’est approché, couvert de la barbe ébouriffée jusqu’aux yeux. Il a enfoncé le vieux chapeau de soldat à la tête. Il a percé les voyageurs de ses yeux piquants, il a tout demandé.

-Continuez votre voyage, - a-t-il dit. – Il y a le détachement de blancs dans le village. Vous allez avoir des problèmes, si vous tombez dans leurs mains.

Et sans terminer, il s’est retourné et a suivi son chemin.

Et tout de suite trois cavaliers ont surgi au sommet de la colline neigée. Les blancs! Les fusils se faisaient voir derrière leurs dos. La rencontre avec eux ne promettait rien de bien.

 -Vite! Entre dans la porte! – Petr a ordonné et a sauté du traîneau.

Ils sont entrés dans la cour inconnue, ont tourné autour. Il n’y avait de place pour se cacher. Il y avait un tas à l’arrière-cour. Ses bouts étaient ameublis, la paille était jetée partout. Tous les trois, sans lambiner, sont allés en courant vers le tas, se sont enfouis et se sont cachés...

Les gardiens, qui faisaient le tour du village, ont remarqué une paire de chevaux de baï, attelée au traîneau. Ils ont fouetté les chevaux et ont galopé à la rencontre. D’après leur vêtement ils ont deviné tout de suite que les voyageurs étaient les kazakhs et se sont réjouis d’obtenir la bonne proie. Les chevaux étaient gros. Le moustachu a mis pied à terre, a couru dans la maison, a traîné dehors la femme extremement effrayée.   

-           Dis, la chienne, où les as-tu cachés?! – le moustachu s’éraillait, en fouettant la femme.

-           Je ne sais pas! Vraiment, je ne sais pas! – hurlait-elle.

            Le fouet bien tendu, tressé de huit courroies non tannées, a brûlé le dos gros de la femme. Elle a poussé un cri perçant.

Les soldants ont fait irruption dans la maison, ils ont tout secoué, ont jeté un coup d’œil dans la grange, dans la décharge. Les fuyards étaient nulle part.

- Alors, ils doivent être ici, dans la paille, - l’un a dit. – Prend les fourches et chatouille-les comme il faut!

Le moustachu roux, en respirant avec effort, a commencé à enfoncer les fourches dans la paille.

-C’est tout! Ils ont péri! – Koïchkary a chuchoté.

-Tu mens! Tu ne prendras pas! – Petr a crié d’une voix effrayante et, en sautant, a tiré trois fois avec son revolver. Tous les trois gardiens sont tombés par terre. Leurs chevaux, en ronflant, sont partis loin en toute hâte .

-Au traîneau! – Petr a ordonné. – Tourne! Il y a des fusils et assez de cartouches. On ne va pas capituler!

Ils ont vite enlevé le fusil des tués, se sont jetés dans le traîneau et ont chassé les chevaux à toute vitesse. IL n’y avait pas encore de la poursuite. Les coups se sont retentis quelque part au centre du village. Puis quelques cavaliers ont apparu aux congères.

Le crépuscule s’est condensé. Le vent s’est levé, le vent rasant a couvert. Les nuages tourbillonnaient au-dessus de la tête. La neige ne cessait pas de tomber. Bientôt les chevaux ont perdu leurs forces, ont commencé à s’ébrouer, à éternuer. La tempête de neige a commencé. Encore un peu plus tard tout s’est mis à tourner, tourbilloner, dans le hurlement de la tempête, dans le vent glacé. La neige aveuglait les yeux, bouchait les narines. On ne pouvait rien distinguer à deux pas.

-Apyrmaï! Il semble, qu’on a perdu le chemin. A Dieu ne plaise, on se perd! -  Koïchkary a crié.

Les chevaux, en s’enfonçant dans les congères jusqu’au ventre. Et on venait de suivre le chemin. Elle était quelque part très près, mais seulement où? A droite ou à gauche? Koïchkary est descendu du traîneau et il est allé pour le trouver.

Le vent s’est tout de suite jeté sur lui et l’a rejeté à quelques pas de côté. En trébuchant, en tombant, soudain il a tâté sous lui le terrain dur et a pensé qu’il avait grimpé à la colline. Puis il a deviné que c’était le chemin! Il s’est retourné et n’a rien vu sauf l’obscurité tombale. Il a tourné sur place et a pensé qu’il avait perdu le point de repère. On ne voyait aucune place, où le traîneau et les chevaux devaient se trouver, même pas de neige sous les pieds.

Il s’est mis à crier. Il n’y avait pas de réponse. Il s’était perdu! Il est resté seul dans la steppe de tempête de neige de nuit. Sans aucun fusil. Sans rien. Quand il sentait encore la route sous les pieds, il la prenait, en suivant le vent et contre la tempête, et criait, criait, criait – en s’éraillant la voix, en s’étouffant de l’enrouement et de l’épuisement. De temps en temps l’ouragan le couvrait avec la haine sauvage, en essayant de le souffler et le rejeter de la route.

Le vent tiraillait la fourrure spacieuse, se glissait sous le col, dans le sein, pinçait, mordait et brûlait du froid. Bientôt Koïchkary a été frigorifié. «Ainsi je serai complètement gelé». – a-t-il pensé et le désespoir, la colère l’ont saisi. Il mordait les lèvres et criait des malédictions. Il n’était plus capable de résister au vent flexible, il continuait à marcher, en mettant la tête dans les épaules, en enfonçant les mains gelées dans les manches de la fourrure, en tâtant le terrain dur avec les pieds. Il continuait à marcher, poussé par le vent... Et il s’est perdu ainsi dans l’efferverscence de neige.

1929

 

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