On dit qu’il ne peut pas considérer mort celui dont la mémoire gardent les vivants.
Ainsi pour moi Béїmbet Mayїline, notre Bi-aga, comme les jeunes journalistes et littérateurs l’appellaient avec respect, il ne partira jamais. Il avait seulement cinq, six, sept ans âgé que chacun de nous, mais on le considérait l’ aqsaqal [1].
Il ne quittera jamais ma vie. Je peux le rencontrer à tout moment. Pour ça il me suffit de revenir dans les années mi-vingtièmes. C’était le journal «Enbekchi kazakh», son cabinet – le cabinet du secrétaire exécutif. Je me rappelle Maуїline du temps dans une kossovorotka[2] de soie blanche, serrée par une ceinture noire; aussi de soie; les mains pendent, quand il marche avec indignation du bureau à la fenêtre, semançant un de nous pour négligence et insouciance. Et ses grands yeux gris sont en flamme. Mais le feu baisse et je le vois penché sur un manuscrit et d’après son habitude il enroule sur le doigt une mèche des cheveux noirs.
Je me rappelle une fois la nuit tard il a frappé chez moi à l’hotel – c’était déjà 1936, la première décade de la littérature et de l’art kazakh à Moscou. Sans s’asseoir Béїmbet a commencé à parler affaires. La réunion dans la chambre du premier secrétaire du kraillekom[3] Mirzoyan L.I. venait de terminer. Il insistait sur qu’il fallait faire un scénario de film d’après notre pièce sur Imanov Amangueldy[4], sur la révolte des kazakhs contre le tsarisme en 1916. On s’était déjà mis d’accord avec «Lenfilm»[5]. Il faudrait engager au travail un des écrivains russes éminents.
Le lendemain matin suivant au village Peredelkino, à la datcha[6] de notre compatriote Vsevolod Ivanov, on s’est assuré de son accord. On s’est entendu que c’était moi et Béїmbet qui devaient faire la collecte des matériaux supplémentaires à la patrie d’Amangueldy, nous devions aller voir les gens qui le connaissaient, qui prenaient part aux événements mémorables.
Bientôt après le retour à la maison nous nous sommes mis en long voyage. Et d’ici au clair le récit, que je voulais écrire il y a bien longtemps, commence.
Comme beaucoup de mes autres récits, celui-ci commence aussi par la route. Et c’est évident que le chauffeur doit apparaitre parmi les personnages.
Il s’appelait Daїirbaille.
La route de steppe ressemblait à trois serpants, se trainant à une certaine distance l’un de l’autre. Tandis que c’étaient les terres de son région, Daїirbaille se retenait encore, mais dès qu’on a traversé la frontière il a éclaté bien que la route, qui avait été laissée derrière, ne soit pas meilleure que celle-là.
Il a plu la nuit, le ciel était toujours nuageux. Notre stupide «gazik»[7] se trainait sur la boue salifère gluante. Les roues glissaient de temps en temps de l’ornière et cela provoquait de nouvelles une marées de colère de Daїirbaille. A vrai dire, il n’y a aucune possibilité de transmettre exactement sur le papier le discours direct de Daїirbaille. Elle doit complètement consister en points de suspension – au début de la phrase, au milieu et à la fin.
- Qui a eu... une idée... de construire la route... sur telles fondrière! Ce cheval... aux longues oreilles... a été le premier qui a frayé...un chemin ici... pardi...C’est...un chameau... avec une grosse tête qui s’est trainé après... le cheval!
Je pense que c’est encore la présence de Béїmbet qui le retenait – la présence de l’écrivain célèbre dont le nom était bien connu dans la steppe et qui a joui du respect absolu. Alors Daїirbaillen’a pas utilisé tous ses réserves de la parole intarissables.
La steppe a été derrière nous, la steppe se trouvait de deux cotés de la route et s’étendait devant. Quel grand ciel on avait besoin d’avoir pour couvrir ce vaste espace interminable! Combien de nuages noirs bleuatre on devait avoir pour le couvrir comme ça, hermétiquement.
Les nuages jettaient des feu du ciel fulgurant. Le tonnerre, qui ne s’apaisait pas, roulait dans le ciel, comme l’Allah[8] tout-puissant remuait des pierres immenses là-bas en décidant de créer ce monde de nouveau, ce qu’il n’avait pas réussi à faire dès la première fois.
- Cache ton arme, - a dit Béїmbet avec précaution. – Est-ce que tu ne sais pas que le fer attire l’éclair?
J’ai caché l’arme sous les outardes bigarrées obtenus en voie. En fait, je pourrais répondre que toute notre voiture était faite de fermais j’ai préféré garder le silence. Quand Béїmbet craignait quelque chose, il ne comprenait pas les blagues.
- Cache la de façon que la bouche ne s’appuye juste en moi. Ferme-la plus fortement.
J’ai accompli docilement cette demande aussi.
Tout à coup parmi les nuages noires ébouriffées une nuage blanche comme la barde d’un vieillard vénérable a apparu et tout de suite une grande grêle est tombée. Les grêlonsont commencé à battre d’une manière assourdissante sur le dessus tendu en grosse toile. Mais sous un tel bombardement massif on n’est pas allé longtemps. La nuage blanche a passé plus loin, les nuages se sont serrées un peu, et les lances solaires les ont percées de part en part.
La route est devenue encore pire. Le terrain salifaire se collait sur les roues par les boules d’une poud, puis les boules se détachaient et avec un bruit sourd se cognaient contre la terre. Dans la lutte avec la voiture qui se dandinait sur la route glissante, Daїirbaille n’avait pas le temps de prononcer toutes ses phrases, c’est pourquoi à travers les dents serrées on n’entendait que le son sifflant.
D’après ses gestes on pourrait comprendre que Daїirbaille était devenu un chauffeur relativement récemment. De plus il pressait l’embrayage comme s’il donnait un chenkel[9] au cheval. Mais «gazik»[10] ne comprenait pas une telle manière de traiter et ne soumettait pas beaucoup au chaffeur qui poussait des jurons à la voiture sans laisser un vif sur la pauvre.
- Qu’elle crève... c’est sa voie! Voilà encore l’année passée – qu’est-ce que tout le monde cherchait d’obtenir de nous? Ils trouvent quelque part un bon cheval et cherchent instamment à l’obtenir. Et maintenant donne-leur une voiture! – Il sous-entendait des chefs des districts d’où on est parti le matin. – Maintenant en été, - nous nous acheminons à peine sur cette route. Et qu’est-ce qui va se passer quand l’automne vient? Qu’est-ce qu’ils vont utiliser comme moyen de transport, je vais voir. Ils auraient...
Moi, j’ai encore écouté sa conversation mais Béїmbet semblait être absent. Je l’ai appris assez bien pendant beaucoup d’années de notre amitié, donc je comprends: Bi-aga était encore avec les gens qu’on avait rencontrés la veille du soir, il récapitulaitles récits des témoins et des participants de la révolte, supputant comment ils seront utiles pour le futur scénario.
Daїirbaille n’a pas pu venir à bout du volant et notre voiture en hurlant et en ralant s’est arretée en travers de la route.
Béїmbet s’est abstrait de ses pensées.
-Tu es fatigué, jiguite[11], - dit-il.
Cette manifestation de la sympathie a provoqué l’accès neuf de Daїirbaille.
- Fatigué!.. Et je peux ne pas être fatigué comme un chien qui... Avant hier je me suis embarrassé avec le chef du zemotdel[12]! Hier un railleispolkom[13] a pris une voiture. Aujourd’hui il faut vous... voiturer chez les voisins...qu’ils soient... La nuit je reviens, raillekom[14] va aller à l’obkom[15]. Il y a un plenoum[16] là... Et pour tout le district nous n’avons que ce coucou! Ses pneus se sont effacés comme les sabots d’un chameau...Et tout le monde veut l’utiliser... Et encore trois assistants de nos trois meneurs me fâchent. Tu arrives comme si... tu n’as pas le temps de prendre une tasse de thé, la femme ira bientôt commettre un adultère avec les voisins quand un tel assistant court chez toi. Il se compose un visage... Et la mine comme s’il a le dos tourné devant toi! Et il dit: Daїirbaille, demain à six heures!.. Ah, qu’ils soient...
Ce que Béїmbet ne supportait pas du tout c’était de la rudesse. Quand pendant nos réunions littéraires des discussions furieuses commençaient il m’écrivait une petite note avec un seul mot: «Partons?..» Et moi, sortant de la salle, je le déjà rencontrais. Bi-aga faisait les cent pas près de la porte et faisait une grimace douleureuse.
- Si tu...essaies...de ne pas pousser des jurons, - j’ai dis à Daїirbaille, - si tu patientes juste jusqu’à ce... monticule, je vais te donner une prime – un paquet de cigarettes «Safo». Regarde – voilà sont ces cigarettes, tout un paquet pas encore ouvert.
Daїirbaille m’a regardé avec surpris:
- Ho! Après un tel monticule je serai délicat sans aucune prime. La route là plus loin est meilleure, et mes paroles seront plus délicates...
Il nous avait fallu deux heures environ pour surmonter quinze kilomètres abominables et boueux. Et après le monticule vraiment était la sable, solide après la pluie et «gazik» a pris la vitesse dont il était capable.
Le soleil couchait, Daїirbaille conduisait très vite, il ressemblait à un jiguite qui a changé du cheval trait et essayait de rattraper le temps perdu.
En avant dans les vagues de stipa un homme a apparu. D’abord jusqu’à ceinture. Nous nous sommes approchés et on a vu: une voiture, une sœur de notre «gazik», est restée son nez en haut sur la colline en pente douce du ravin, elle n’a pas eu assez de forces pour partir. Le capot était ouvert, l’homme était debout sur la roue et il n’y avait pas de doutes à propos de ce qu’il faisait. Il pissait mais il le faisait dans le radiateur en s’installant du coté sous le vent.
- Oibaїille[17]! – a crié notre chauffeur. – Le moteur a calé sur la montée. Et je le connais, cet homme. C’est le chef du railleispolkom lui-même qui vient de là où nous allons.
En nous voyant le railleispolkom s’est boutonné en vitesse. Il s’est approché. Son visage, déjà bronzé, a devenu encore plus brun à cause de la honte. Il a tendu sa main à Béїmbet mais il l’a tout de suite retirée en toute hate.
- Dès le matin je me voiture d’un kolkhoze à l’autre, - il a dit, - J’ai entendu dire que vous venez chez nous et je me dépechais au raillecentr[18] pour vérifier si tout est prêt à votre arrivée.
Le chef s’appelait Bekich. Pour qu’il ne se sente pas gêné nous avons essayé d’engager une conversation sur leur district, sur les affaires de village, sur nos soins, qui nous ont amené ici... Mais il changeait du son sujet tout le temps:
- Ça prend quarante kilomètres jusqu’à notre raillecentr. Nous n’avons pas mesuré nos forces avec le chauffeur. Nous n’avons pas eu assez d’eau. Alors on a dû... D’abord le chauffeur et puis moi... Pardonnez- moi, Bi-aga! – C’est le désert...
Daїirbaille était débout à coté, il se taisait. Il était content qu’il réussirait – ça et là – à gagner quelque kilomètres. C’est pourquoi sans marchander il a soutiré un seau d’essence, a pris sa prime promise bien qu’il n’ait pas rempli les conditions et il est vite revenu.
Et nous avons pris les places dans la voiture de Bekich.
La nuit est presque tombée.
La capitale du district était l’aoul[19] qui consistait de cinquante – soixante maisons le long de la petite rivière de steppe. La lumière des phares glissait sur les murs en terre battue des maisons, elle attrapait l’absinthe épaise qui poussait sur les toits plans. Les yeux des moutons et des chèvres s’enflammaient en saphirs éblouissants, ils ont été ramenés à la maison pour la nuit.
La voiture a freiné près de deux maisons de bois situées dans le voisinage, - raillekom et railleispolkom. On entendait le choeur polyphonique des grenouilles de la rivière. Il semblait que c’était à cause de leur chant que l’air calme de soir agitait.
-Je reviens dans un instant, - a dit Bekich et a fait claquer la portière.
Trois personnes étaient assis au perron du railleispolkom. Bekich a échangé quelques mots avec eux et il est revenu.
-Tout est fait, pendant que j’étais absent,- dit-il, - La couchée est préparée. Il faut se reposer et demain on va s’occuper des affaires. A l’hôtel, - il s’est retourné vers le chauffeur.
-A l’hôtel? Où est l’hôtel? – a redemandé celui-là et j’ai entendu la perplexité dans sa voix.
-Tu ne sais pas, n’est-ce pas? Comme si tu n’es pas d’ici, mais étranger,- Bekich a dit avec impatience. – Va, va... Là, derrière la pignada il y a un hotel!
Il me semblais il a poussé le chauffeur avec son genou d'une façon significative. Et Béїmbet a évidemment senti une certaine réticence, - comme par inertie il m’a transmis ce coup.
Notre «gazik» a passé dans la rue en éclairant tantôt ici, tantôt là des vieillards vénérables occupés avec la prière de soir.
La route pas aplanie menait le long de la rivière, puis elle a commencé à s’éloigner, et les chiens d’aoul sont restés en arrière, ceux qui ne pouvaient pas manquer l’occasion d’aboyer contre une grande télégue de fer avec les yeux jaunes. Le choeur des grenouilles s’est calmé un tout petit peu. Quand nous allions sur la colline du grand monticule, beaucoup de tournesols ont apparu en avant. Ils nous saluaient nonchalamment avec leurs chapeaux ronds.
-N’est-ce pas pignada dont vous parlait? – s’est intéressé Béїmbet.
-Ahh, vous avez entendu parler? – a répondu Bekich, - Oui, c’est ce qu’on appelle la pignada. On l’a plantée au printemps et les voisins ont ri: désormais,vous allez avoir toute une forêt. Et c'est resté. L’hôtel était une maison de bois propre. Ses fenêtres étaient illuminées: on nous attendait.
Les portes de deux chambres sortaient dans un corridor large. C’était la table couverte qui a attiré l’attention des voyageurs fatigués.
Les baoursaks,[20] le sucre en morceaux étaient dispersés sur le papier bleu croustillant, le beurre jaunissait dans les soucoupes, le berlingot multicolore s’élevait en monticule. Le foie de mouton bouilli coupé en tanches fines ornait les morceaux de graisse de queue de mouton par-dessus. La graisse scintillait un peu sous la lumière de deux lampes linéaires.
Sur les places honorables il y avaient des chaises molles avec les dos et les pieds courbés, un peu plus loin les chaises simples, puis les tabourets, et enfin on avait mis les planches rugueuses sur les tabourets.
Je n’ai pas trouvé de bouteilles par-dessus, mais quand j’ai regardé sous la table je me suis calmé: il y avaient trois boîtes. J’ai même pensé que c’était beaucoup Mais de deux chambres tous qui se sont réunis à cette rencotre sont sortis: le deuxième secrétaire du raillekom, le département de femmes, railleprosse, aguitprop,[21] raillezem[22], raillepotrebsoyuz[23] ...Ils sont tous venus avec les femmes et les yeux ont été émaillés du velour rouge, bleu, noir, de nouveau bleu, doré... Il y avaient des femmes élégantes et fluettes comme des gazelles à goître et il y avaient aussi des femmes grosses qui ressemblaient au samovar aux quarante seaux.
Enfin tous les mains ont été serrées et nous nous sommes assis.
Le premier secrétaire est parti dans la région à la session plénière, c’est pourquoi Bekich était maintenant le maître principal.
Après les salutations habituelles à l’honneur des hotes, il a dit:
-Peut être après la capitale ça ne vous semble pas très riche ici. Mais nous sommes devenus un district il n’y a pas encore un an. La maison près de ce monticule c’est seulement le début! La place ici est beaucoup meilleure que celle où l’aoul se trouve. Le centre de district sera ici plus tard. Voilà, on a commencé la construction par cet hôtel. Pour qu’on puisse acueillir de tels hôtes chers et respectables comme vous. Je propose de boire à vos santé!
On a bu à moi et à Béїmbet, puis à chacun à part. Nous avons offert un toast pour les maîtres accueillants. Bi-aga qui était assis à la droite de Bekich essayait de temps en temps d’engager une conversation d’affaire s’il y avaient des gens dans le district qui avaient rencontré Amant-gueldi dans leur vie, ceux qui étaient allés en campagne avec lui...
Bekich a souri et a répondu:
-Cher Bi-aga!.. Ce soir vous êtes nos hôtes. On va remettre toutes les affaires au lendemain. Nous allons tout faire pour vous demain, on va aller où il faut, on va accorder ceux qu’il faut.
Et de nouveau c’étaient les toasts. Les verres taillés dénonçaient sourdement, - et si une partie des voeux prononcés ce soir-là se réalisait, Béїmbet pourrait devenir Lev Tolstoї, et moi –Gorki[24]...
La soirée a mis du temps jusqu’à tard dans la nuit. Avant de se quitter j’ai offert un toast – que leur district soit le plus progressif dans la région au Kazakhstan, dans tout le pays et qu’un vrai bois de pins grandisse chez eux!
Puis tout le monde s’est levé unaniment. Dehors il y avaient des chevaux de selle près du piquet.
-Demain nous allons vous amener des chevaux, - a dit Bekich étant déjà assis dans la selle. – Quand vous avez un cheval, l’essence ne disparait pas, n’est-ce pas? – Il a ri d’un air malin, en faisant allusion à ce que seulement nous connaissons et nul autre.
En rentrant avec Béїmbet à la maison j’ai compris: la terre est vraiment déclive et elle tourne vraiment.
Dans ma chambre il y avait un lit étroit avec un treillis de cuirasse. Le lit tantôt s’approchait, tantôt s’éloignait comme un bateau qui danse sur les petites vagues souples.
Tandis que je déboutonnais ma chemise avec les faux doigts, j’ai compris: mon seul sauvetage est de saisir le lit à temps et quand il s’est approché de nouveau j’ai saisi son dos et je suis tombé sur le matelas.
Je ne sais pas combien de temps j’ai dormi. Je me suis réveillé quand j’ai entendu frapper les fenêtres fortement et d’une façon persévérante. Ça faisait encore nuit dehors. Les verres tremblaient à cause des coups continus dans la croisée. Et du coté opposé quelqu’un frappait du poing méthodiquement dans la porte.
- Qu’est-ce qui se passe avec vous, vous vous êtes crevé? Vous ne m’entendez pas? – on a entendu la voix méchante de vieillard derrière la fenêtre – Ouvrez, je vous dis!
La voix qui venait de la porte était suppliante:
- Mes chers je devrais vous causer du dérangement. Ouvrez, s’il vous plaît.
Je me suis approché de la fenêtre:
-De qui avez-vous besoin? Qu’est-ce que vous voulez?
-Où est la jeune fille-dogdir[25]? J’ai amené une femme, elle est en train d’accoucher. Que la jeune fille-dogdir sort la voir.
- Aqsaqal, vous vous êtes peut-être trompés. C’est l’hôtel ici. Et vous devez aller à la maison d’accouchement.
- Ne plaisantes pas avec moi. Plaisantes avec les personnes de ton âge. Ça fait déjà une heure que je suis près de la fenêtre. Si tu couche avec la jeune fille-dogdir, laisse-la partir... Je te supplie. La femme est en train d’accoucher.
J’ai n’avais plus envie de dormir. Et je n’avais aucune gueule de bois. Béїmbet, qui a été aussi réveillé par le bruit et les voix, est entré dans ma chambre.
- Quand as-tu eu le temps d’amener une jeune fille? – il m’a demandé d’une façon suspecte.
- Quelle fille? – j’ai répondu d’un ton sévère.
Un homme près de la porte a cessé de taper des poings:
- Mes chers, ouvrez... Je suis le gardien. Laissez-moi entrer. Je vais vous tout expliquer.
Je lui ai ouvert, j’ai frotté une allumette, j’ai trouvé une lampe sur la table pas rangée et j’ai allumé la meche. Le vieux gardien piétinait à coté. Il avait une jambe faite de bois. Les planches criaient plaintivement.
- Je dois avouer. Nous n’avons pas d’hôtel. C’est la maison d’accouchement. Quand nous avons appris, que vous allez venir, on a pensé: où peut-on loger de telles personnes respectables? Nous n’avons pas de meilleur logement que ce bâtiment. Et ça fait quatre jours qu’il n’y avait personne ici, pendant quatre jours la maison était vide. Comme par un fait exprès! Cette femme a décidé d’accoucher!
Sans s’arrêter de gronder, le vieux qui a frappé dans la fenêtre est entré dans la maison.
- Qu’est-ce qui se passe dans le monde, - dit-il. - Nous n’avons eu personne plus propre que cette jeune fille-dogdir. Nous la citons comme exemple à nos filles. Et maintenant elle est aussi!.. – Il a vu la table pas rangée et il est monté sur ses ergots: - Oh, les mécréants! Ils ont bu la pire vodka! Et toi?.. – Il s’est retourné vers moi. – Je te connais. Tu travailles dans notre département politique.
Un vieux a pu à peine calmer l’autre vieux, il a expliqué qui nous étions. L’étranger a arrêté de jurer.
- Hmm... Je m’en fous, qui sont-ils? Qu’ils aident à transporter la femme.
Le gardien avec sa jambe de bois ne pouvait pas nous aider, il pouvait seulement donner de la civière en grosse toile.
- Peut-être tu vraiement caches la jeune fille-dogdir chez toi? – a demandé Béїmbet à voix basse.
- Non.
- C’est très dommage. Pourquoi est-ce que personne n’a deviné de l’inviter?.. Et pourquoi tu ne fais rien? Allons...
Ni moi ni Béїmbet n’arrivait pas à aborder la femme effrayée et timide. Il me suffisait de la toucher du doigt, elle poussait des cris perçants et en ce moment-là Béїmbet faisait un bond en arrière comme s’il était piqué.
-Ne me touchez pas, ne me touchez pas, - gémissait-elle. - Oh, ne me prenez pas sous les bras! Ne me touchez pas par les jambes!
-C’est assez! – j’ai crié.
Nous avons quand même réussi à l’enlever du tarantass et à la faire descendre sur la grosse toile. Dans ma chambre nous avons fait bouger le matelas sur le plancher, on a étendu le drap. Ce n’était pas difficile de la remettre de la civière sur le matelas.
Dans la cour Béїmbet s’est adressé aux vieux:
-Lequel de vous peut appeler la femme-docteur?
Le gardien a répondu:
-On pourrait aller à l’aoul sur le taureau, mais je ne sais pas où elle habite.
Le vieux étranger rajustait silencieusement le joug sur le cou du taureau, qui était attelait au tarantass.
- Et vous, aqsaqal?..
- Notre aoul est le plus lointain. Et ici moi, sauf vous, je ne connais personne. Je l’ai amenée juste du champs je vous l’ai donnée. Vous avez mangé ici, vous avez bu ici, vous vous êtes trainés ici. Vous aurez la responsabilité devant raillekom si quelque chose se passe... C’est son premier enfant. Et moi, je suis une personne étrangère.
Il s’est installé dans le tarantass sur le foin et a touché le taureau. Béїmbet a roulé une mèche de cheveux sur l’index.
-Oui...Il est sûr que la jeune fille est ici, qu’elle se cache. C’est pourquoi il se hâte de partir. Il part et elle ira chez l’accouchée tout de suite et tout sera bien. Voilà le sujet... Est-ce qu’il n’y a pas quelqu’un expérimenté parmi les femmes à proximité? – il s’est adressé de nouveau au gardien.
-Non, nous n’allons pas trouver. Il y a une femme qui aide le dogdir. Mais elle a obtenu la permission d’aller à la maison pour trois jours.
-Alors, ainsi, vous devrez rester jusqu’au matin...
-Non, non! – le gardien a eu peur. – Mon affaire c’est de garder la maison. Et que je m’occupe des accouchées – cela ne m’est jamais arrivé.
Deux écrivains et le gardien boiteux se sont installés d’un air impuissant sur les marches du perron qui avait une odeur forte du bois. On entendait des gémissements étouffés qui venaient de la chambre:
-Dog-dir... D-o-g-d-i-i-i-r».
Bi-aga soupirait comme si la douleur de la femme était sa propre... En effet combien de fois dans nos livres nous avons écris à propos de la femme, de la mère, du grand sacrement de naissance. Et maintenant il fallait construire le sujet pas sur le papier, pas au bureau. Il fallait agir dans la vie réelle, pas imaginée.
J’ai regardé Béїmbet avec espoir. Il était plus âgé que moi, enfin c’était à lui la parole décisive. Mais Béїmbet a soupiré de nouveau. Et soudain il s’est retourné brusquement:
-Comment je ne suis pas rappelé tout de suite!
-Qu’est-ce que vous vous êtes rappelé, Bi-aga?
-Tu as traduit le récit de Gorki «La naissance d’homme» il y a trois ans. J’ai encore loué ta traduction.
-Oui, je l’ai traduit.
-Alors, tu dois maintenant...Qui encore, sauf toi? Tu dois te souvenir comment Gorki a agi. Va, va chez elle.
Mon dernier espoir a abattu. J’ai prêté l’oreille: peut être elle va se calmer, peut etre elle va patienter jusqu’au matin? Mais la femme a commencé à gémir de nouveau.
Elle était toujours couchée sur le plancher, sur le matelas en mordant l’oreiller avec les dents.
-Bientôt? – j’ai demandé.
-L-è-v-e...L-è-v-e ma tête s’il te plaît...
-Bi-aga! Donnez la lampe!
-Il…ne…faut pas.. Il ne faut pas prendre la lampe!
Béїmbet en entrouvrant un peu la porte, a jété craintivement un coup d’oeil dans la chambre.
- La lampe!
Il est devenu plus clair dans la chambre. J’ai conduit Béїmbet dans le coin et j’ai chuchoté:
- Il faut encore préparer de l’eau chaude...
- Est-ce que c’est d’après l’oeuvre de Gorki? – il a demandé.
- Où est-ce que Gorki pourrait trouver de l’eau chaude? – j’ai montré les dents. – L’action se passait dans les montagnes, près du chemin.
-Maintenant je vais regarder ce qui est resté dans le samovar.
La femme s’est ajetée encore plus follement. Comme dans le récit de Gorki elle battait des mains sur le plancher, ses jambes se tordaient, et les yeux ont été injectés de sang et sont devenus insensés.
Moi, en conformité complète avec la source première littéraire, j’ai tourné son dos vers moi, et par derrière je me suis serrée contre elle et je me suis mis à frotter ses doigts engourdis dans la crampe, je massais le ventre, la poitrine, le visage. La femme s’est ingéniée et a piqué mon petit doigt. Je l’ai battue sur la joue pour la remettre en conscience.
Elle s’est mise à pleurer:
-Oh Allah! Pourquoi est-ce que tu me punis?... Pourquoi est-ce que tu m’as livrée aux outrages de ce gredin? Ce serait mieux que tu me tues?
J’ai serré la femme encore plus fort et j’ai commencé à masser son ventre chaud et tressaillant de nouveau.
- Tu es prêt bientôt?
- Va-t’en! Laisse-moi!
Béїmbet a demandé de derrière la porte.
-Comment allez-vous?
La femme a poussé un cri particulièrement fort, elle m’a oublié, - peut être la douleur est devenue tout à fait insupportable. Puis elle a poussé un long sanglot et de nouveau elle s’est noyée dans le cri.
J’attendais, j’attendais – et puis c’était la tête de l’enfant qui a été une surprise miraculeuse. Il l’a fait tourné comme s’il était surpris porquoi un tel bruit accompagnait son arrivée.
- Bi-aga! Bi-aga! Apportez de l’eau plus vite, de l’eau chaude!
- C’est tout? Il n’y a pas d’eau, il n’y a qu’un verre dans le samovar!
- Est-ce qu’il y a du koumis[26]?
- Tant que tu veux! Tout un seau!
Si Gorki pouvait baigner le nouveau-né dans l’eau de mer salée, pourquoi koumis était pire? J’ai coupé le dras avec le couteau et Béїmbet, sérieux de fierté, a coupé le cordon ombilical. Le bébé a respiré – ainsi comme Béїmbet avait respiré récemment en angoisse. Le bébé a crié.
La mère s’est animée:
-Oibaї! Donnez-le moi, mon bébé. Le fils? La fille?
- Le fils, le fils, les parents de ton mari seront ravis. Mais tu ne recevras pas ton fils tout de suite. Avant tout il faut le bagner. Et toi aussi, tu dois te baigner. – Ma voix sonnait d’un ton péremptoire. – Je ne te le donnerai pas pour nourrir avant que tu ne te baignes.
Son visage tiré brillait de sueur.
-Je ne savais pas que vous êtes aussi un dogdir, - dit-elle timidement. – C’est pourquoi je m’opposais. Si je savais...
-Oui, je suis un dogdir, - j’ai dit en continuant à tenir dans les mains tendus un petit corps chaud rouge.
Je me suis injurié avec les pires mots, même Daїirbaille pouvait les enviait. Comment je n’avais pas eu cette idée dès le début? Si je m’avais nommé un docteur cette femme aurait pu être beaucoup plus calme.
-Est-ce que tu te rappelles que tu m’as mordu?
-Excusez-moi...Je ne vous connaissais pas. Pourquoi vous n’avez pas dit tout de suite? Vous êtes probablement venu il n’y a pas longtemps?
- Hier. Je suis venu pour vérifier le travail de la maison d’accouchement.
Entre temps Béїmbet a rempli la coupe de bois avec du koumis, et moi, j’y ai descendu le petit. Ainsi il a pris son premier bain. Enveloppé dans le drap il a fait la première promenade dans les bras de Béїmbet dans le corridor.
Et moi, je suis resté avec la mère.
-Baigne-toi...
-Dans le koumis?
-Pourquoi pas? Est-ce que le koumis est pire que l’eau, si on n’a pas d’eau?
Elle a mis en pièces sa robe. Elle n’avait rien à changer.
-J’étais dans la brigade, dans le champs, - justifiait-elle. – C’est pourquoi je n’ai pris rien avec moi.
-Tais-toi, tu ne dois pas parler beaucoup... Je me suis complètement imaginé docteur. – On va te trouver une robe.
Je lui ai tendu un pantalon rayé et une veste.
-Oibaї! Comment est-ce que je peux mettre le vêtement d’homme?
- Cesse de te disputer! Ce n’est pas le vêtement d’homme. C’est le vêtement pour tout le monde. Cela s’appelle le pyjama...
Je ne sais pas pourquoi mais la parole étonnante l’a persuadée. Elle a docilement enfilé le pantalon et je lui ai tendu la veste.
Béїmbet a apporté le petit qui nous avais causé tant de soins imprévus, et le bébé, comme s’il n’attendait que cela, a cessé de crier et s’est mis à clapper des lèvres.
La femme lui a donné le sein. Sa tête était alitée paisiblement sur l’oreiller.
-Comment est-ce qu’on peut le nommer? – elle a demandé d’un ton heureux enroué. – Peut-être – Dogdirbaї?
Chez les kazakhs on peut rencontrer des noms tout à fait différents. Le père est revenu du bazar[27] quand le fils est né, il sera Bazarbaї. Si les enfants étaient nés et mourraient, pour tromper le destin on pouvait nommer le garçon Itemgen – suçant un chien, celui qui ne vaut rien, alors il ne faut pas le prendre, qu’il reste vivant. Et si le docteur recevait l’enfant, c’était clair que son nom devait être Dogdirbaї.
-Nomme-le Bi-aga, - j’ai proposé.
-Un bon nom, - elle a vanté.
Derrière les fenêtres l’aube de steppe lente se prenait. Nouveau Bi-aga a mangé a sa faim et s’est calmé. Tout allait bien. Et la femme s’est apaisée, - elle semblait s’assoupir. Seulement maintenant j‘ai remarqué qu’elle était extremement belle.
-Tu vois, - Béїmbet m’a dit d’un ton édifiant. – Tu vois, comment la connaissance solide des belles-lettres peut être utile.
-Je vois, - j’ai partagé son opinion. – Mais je donnerais beaucoup pour ne plus appliquer mes connaissances obstétricales..J’en ai assez...
-Mais tu peux écrire un récit sur ça.
Plus de trente ans ont passé.
Béїmbet nous a quitté depuis longtemps. Mais il est agréable de penser que quelque part dans la steppe de Turgaї il y a un jiguite qui porte le nom Bi-aga. Maintenant il a presque le même âge que j’ai eu quand il était né.
[1] Aksakal - un doyen d'âge, une personne honorifique, âgée dans le peuple turc
[2] Kossovorotka - une chemise boutinnée sur le côté
[3] Kraillekom - Comité de District
[4] Amangueldy Imanov- Un chef de la révolte populaire en 1916 contre le tsarisme
[5] «Lenfilm» - Un des plus larges studios de cinéma en Russie
[6] Datcha – (en russe : дача) désigne, en Russie, une sorte de résidence secondaire à la campagne.
[7] «Gazik» - dans un langage populaire c’est le nom d’une voiture ancienne soviétique
[8] Allah – Dieu musulman
[9] Chenkel (spécial) – une cuisse, une partie des jambes du cavalier (du genou à la cheville) qui est tourné vers le cheval et qui aide à le diriger. Donner un chenkel signifie presser fortement.
[10] «Gazik» - dans un langage populaire c’est le nom d’une voiture ancienne soviétique
[11] Jiguite - un cavalier brave en Asie centrale et au Caucase
[12] Zemotdel - département de terre - (ici) – ouvrier du département qui s’occupte de la possession foncière.
[13] Railleispolkom - le comité executif du district
[14] Raillekom - le comité du quartier
[15] Obkom - district de région
[16] Plenoum - une réunion plénière
[17] Oibaїille – une interjection kazakh, qui exprime l’exclamation, l’inquiétude, l’étonnement, un synonyme de «Oh, mon Dieu!»
[18] Raillecentr – le centre de district
[19] Aoul – un village du Caucase et d’Asie
[20] Baoursaks – un plat traditionnel des nomads et éleveurs d’Asie Centrale: des petits beignets soufflés frit dans une cocotte de la pâte levée
[21] Aguitprop - le département de propagande
[22] Raillezem - le département de terre de district
[23] Raillepotrebsoyuz - l’union des consommateurs de district
[24] Maxime Gorki
[25] Dogdir - «docteur» en kazakh
[26] Koumis - une boisson à base de lait fermenté de jument, originaire d'Asie centrale
[27] Bazar – un marché