Әдебиеттi ешкiм мақтаныш үшiн жазбайды, ол мiнезден туады, ұлтының қажетiн өтейдi сөйтiп...
Ахмет Байтұрсынұлы

25.11.2013 1388

Mousrepov Gabite «La mère»

Негізгі тіл: «La mère»

Бастапқы авторы: Mousrepov Gabite

Аударма авторы: not specified

Дата: 25.11.2013

Quand on était des enfants, le mollah nous donnait des leçons dans la maison du vieil Aïtilèce.

La chaleur torride, immobile. Un mirage joue sur les buttes. Le bétail trouve de la fraîcheur dans le lac en s’y plongeant jusqu’au cou. A midi le soleil se tient droit au-dessus de la tête, et alors l’ombre d’un homme sans pouvoir trouver sa place se cache sous les pieds.  Les bergers rôtissent sous le soleil dans leurs vêtements non tannés en ressemblant aux taurillons maigres qui n’eurent pas encore leurs poils d’hiver. Il semble qu’ils sont brûlés par le soleil, et que les koupis[1] blottis et hérissés, se ratatinent sur leurs corps. Les femmes qui ont passé six collines pour rassembler  le fumier, cheminent à peine avec leurs sacs sur leurs dos: leurs visages sont traversés par des filets de sueur mélangée avec la poussière.

En portant sous le bras  l’abécédaire arabe usé comme une vieille couverture, je venais chez Aïtilèce. Si les enfants n’étaient pas encore là, Aïtilèce bavardait d’habitude avec le mollah ou avec son hôte de tous les jours, marchand Ramazan, mou comme un sac pour koumys. Aïtilèce, un vieillard aveugle avec une barbe blanche, en parlant caressait sa barbe large avec ses doigts puissants. La barbe, blanche et bouffante, couvrait son surtout comme un plastron tapissé d’argent.

Les événements anciens, couverts de rouille d’oubli, ont été curé et rajeunis par Aïtilèce, et les récits retrouvaient leur éclat.  Après avoir perdu la vue et ayant rassemblé toute la lumière dans sa poitrine, dans ses oreilles, le vieillard remuait les jours reculés comme des fourrures dormant dans les cartons.

-           Oh, à l’époque de notre jeunesse on jouait encore avec des oreilles d’un cheval! – commençait Aïtilèce. – En ce temps-là notre palouan[2]  Janaï avait quatre-vingt-deux ou même quatre-vingt-cinq ans. Son cœur était encore chaud quoiqu’on voyait ses forces décliner déjà.  Sa voix résonnante volait au-dessus de chanyrak[3]. Quand cet homme parlait, il arrivait qu’on restait accroupis près de l’iourte, son feutre soulevé au montant de la porte, en l’écoutant, en versant chaque mot de lui dans nos oreilles et en cordelant dans nos esprits... Voici ecoutez ce que Janaï racontait une fois ...

-           Il y a longtemps de cela, on était encore jeunes, - ainsi Janaï racontait un jour. – Le palouan Jalpak nous rassemblait pour une barymta[4] dans l’aoul d’Yerguenek. Cela fut ainsi. Le palouan Jalpak était un beau-frère dénommé  pour Balabaï. Un jour le biy[5] appela le palouan et lui dit:

-           Ouah Jalpak! Yerguenek a attaqué nos aouls deux fois. Une fois ils m’ont pillé moi, et la deuxième fois c’est toi qu’ils ont pillé.  Ils ont pris le bétail à moi et toi, tu leur as donné ton âme. N’est-ce pas ton âme que tu leur as donné si tu leur as donné ta fiancée pour qui  ton père avait payé de quarante-sept pièces de bétail?.. C’est vrai que à ce moment-là tu étais encore trop jeune.. Tu étais si jeune que tu ne pouvais pas non seulement te venger sur les ennemis, mais aussi même les ayant rencontrés dans la steppe tu t’es à peine débarrassé d’eux en leur donnant ton cheval. Mais maintenant tu t’appelles palouan. Comment peux tu oublier la vengeance?

-           Biy!- s’écria Jalpak en bondissant.- Je ne savais pas qu’il y avait une tache noire sur mon front... On me disait que cette fiancée n’était pas à moi! J’avais six ans quand on m’a privé de mon cheval... Si je vaincs, je tuerai mes ennemis. Si ce sont eux qui vainquent, je resterai mort dans la steppe mais sans marque de déshonneur sur le front! Adieu! Je me mettrai en selle par un jour heureux – mercredi!

-           Attends, batyr[6]!  –disait Balabaï. – Oui, tu y iras et tu feras cette incursion. Mais écoute mon conseil: ne cherche pas ton ancienne fiancée, il y a longtemps qu’elle est devenue une femme. Il vaut mieux jeter un coup d’œil sur les haras serrés de chevaux!

Et voilà nous  sommes partis pour la barymta, quarante djiguites[7]  de choix en tenant l’ouest sur nos fronts et le sud sur nos coudes gauches. Jalpak (large aux épaules comme une iourte, ses poings comme des massues, la vue d'arrière comme un poêle) était devant à cheval à la portée du fusil. Son cheval chauve à la crinière claire en agitant sa tête se penchait comme un sadak[8] et sautait comme un saïgak[9].  Pas un seul cheval ne pouvait le rattraper!

Dans  la septième nuitée entre chien et loup Jalpak a dit en sautant du cheval:

-           Ce n’était pas un homme simple! On va rester coucher  sur son tombeau.

Nous tous descendîmes de nos chevaux. Il y avait un grand tombeau noir à soixante pas dans un cercle.  A l’entrée il y avait une inscription. On ne l’a pas lue, de quarante djiguites pas un seul savait lire...

-           Quand on s’en souvient, - dit Aïtilèce en s'écartant de son histoire, - mon âme se réchauffe à la pensée que maintenant les enfants apprennent. Même si ceux de district sont trop loin, vous ne céderez pas à ces chiens de volost [10]!Donnez du kourtе[11] aux enfants! – dit-il à sa vieille femme en lui montrant le dos et il continua l’histoire de la part de Janaï. 

...Nous allumâmes le feu à l’aide de silex et fîmes le feu. Ayant jeté deux ou trois poignées de viande séchée, nous nous couchâmes ayant mis des selles sous nos têtes et nos couvertures sous nos corps. 

Quand la constellation de la Pléiade se leva vers la voûte du ciel et la belle étoile Ourker se leva à la hauteur de front, le batyr Jalpak bondit:

-           Djiguites! Dessanglez le sangle de devant et serrez le sangle de derrière, ne plaignez pas vos chevaux... Quand le soleil sera à la hauteur d’une pique, nous verrons la proie. Si le vœu de mon biy se réalise, on attaquera leurs chevaux...

-           Il se trouve que c’est le tombeau du vieil palouan Baïsar, - dit encore Jalpak. – La nuit il me disait: «Vous, à qui je donnai l’abri sous ma tête morte, vous, dont les chevaux broutaient l’herbe près de mon tombeau,  n’osez pas faire du mal à mon peuple. Si vous le faites, vous aurez des ennuis». Nous avons discuté avec le batyr pendant toute la nuit mais on n’a pas trouvé d’accord commun. S’il est batyr, nous sommes des nanas ou quoi? Montez à vos chevaux, djiguites!

Les chevaux préparés à l’expédition et au voyage rongeaient les freins, tournoyaient comme des quenouilles, se contournaient comme des sadaks.

Le soleil se leva à la hauteur d’une pique, et nous vîmes les haras qui couvraient les plaines et les coteaux. Nous nous jetâmes vers les haras. Deux chevaliers déboulèrent du plein cœur du haras et se précipitèrent vers les coteaux. Nous ne nous mîmes pas à leur poursuite.

Quand ayant contourné les haras d’un côté, nous chassâmes les chevaux avec des sifflements, je vis une jeune fille avec les  yeux noirs avec un sac de fumier sur son dos. Ses yeux ressemblaient à ceux d’un chamelon. Mon corps entier languit. Mon cheval s’appelait Koudaï-Kok[12], je me jetai vers elle comme un éclair, mit ses deux mains dans ma ceinture et continuai le chemin à la volée. De loin j’entendis sa mère s’écrier, ayant défait ses cheveux elle se lamentait: «Mon petit poulain»[13]. Le cri de sa mère me toucha moins qu’une piqûre d’un moucheron.

Bientôt à l’aide des coups de fouet nous rassemblâmes un grand haras et nous les chassâmes à deux coteaux. Là le palouan Jalpak vit la fille sur ma selle et on voyait bien qu’elle était à son goût de batyr.

-           Saouga[14]!- me salua-t-il d’une voix timbrée.

-           Si elle est  à ton goût, que lui reste-t-il encore à désirer! Elle est à  toi, batyr!- dis-je.

Il arriva jusqu’à moi, caressa la tête de la jeune fille, baisa ses cheveux noirs ondulés et continua son chemin. A partir de cette minute la belle fille dont les frôlements me donnaient de la fièvre avant, devint pour moi plus froide qu’une grenouille.

Nous enlevâmes tant de chevaux qu’on avait du mal à les tenir ensemble. Dans cette bousculade les poulains tombaient sous les pieds des juments et restaient hors de course en poussant des hennissements aigus. Nous chassâmes déjà les haras à la mi-distance du campement, quand un point noir apparut dans la steppe derrière nous.

Elle allait à toute vitesse comme une étoile filante. Nous n’eûmes pas le temps de ciller qu’un bai avec un vieillard dans la selle fonça à travers notre campement. C’était un vieux gardien de chevaux, expérimenté, qui vit des choses: il ne nous même regarda pas et se lança droit vers le palouan Jalpak:

- D’accord, voyons: tu as fait une incursion, tu as détourné les haras de bey... Mais à quoi bon tu as besoin de la fille unique du gardien de chevaux, batyr? Si tu as besoin d’un esclave, prends-moi. Mais rends-moi ma fille – sa mère malheureuse est inconsolable. Elle a un seul enfant qui a fait élargir son ventre étroit, qui a fait fondre sa poitrine de pierre.

Mais est-ce que le batyr va écouter des mots pareils? Jalpak sourit sous sa barbe et fit un clin d’œil au djiguite Keïki qui allait à côté de lui. Keïki était rapide et puissant, il enfonça la pique dans la poitrine du vieillard, le tourna et retourna dans l’air et le jeta à terre.

Le bai comme un beau saïgak se rua de côté. Trois djiguites  se lancèrent à sa poursuite, mais on ne vit que sa queue comme s’il était arrivé au galop juste pour livrer le vieillard et s’en aller au galop.

La jeune fille éclata en sanglots et dégagea ses mains de ma ceinture. Je la posai en avant et l’examinai attentivement. Ses yeux ressemblaient vraiment à ceux d’un chamelon. Des flots de larmes perlées coulaient sur son visage. Ça alors, il se trouve qu’une beauté pareille à une tendre fleur printanière! Je meus même apitoyé sur elle et n’osai pas l’embrasser de mes bras de marbre...

On fit encore une traversée d’agneaux dans la steppe. L’accident avec le gardien de chevaux fut complètement oublié. Les chevaux s'échauffaient . Craignant les cris le haras marchait en avant, les chevaux s’écrasant.

Tout à coup, en regardant en arrière: comme une flèche, comme un oiseau de chasse, comme une étoile, un point noir réapparut dans la steppe. On n’eut pas le temps de crier: «Aouh! Arrête-toi!»qu’on aperçut une chose qui blanchissait.

-           Chechetaïm-aï[15],- s’écria la jeune fille assise dans ma selle. Il se trouvait que c’était le même bai, mais cette fois-là c’était la femme du gardien de chevaux, la mère de la jeune fille. Elle se jeta vers le haras en sifflant et ensuite, après avoir tourné, avança et se lança à droite.

Et tout le haras se rua après elle!..

Nous essayons de le faire tourner d’un côté, il prend un autre.

Nous voulons attraper la femme, et le bai ne nous laisse pas l’approcher, on ne peut pas soit l’enfoncer avec une pique, soit la frapper avec une massue. Plusieurs fois on faisait le haras revenir en arrière, mais alors il courait à la débandade, ni les fouets, ni les massues n’aidaient pas. Enfin le haras se lança à travers un couloir unique sur une large île au milieu de la rivière. C’était maintenant impossible de l’en chasser...

Il y avait une petite butte au milieu de l’île. La femme alla sur cette butte et agita son jaoulyk[16] ... Alors, maintenant, on va lui enfoncer cette pique!

-           Je suis une femme, je suis la mère de cette jeune fille ! – cria-t-elle. – Je suis la mère pour vous tous. Chacun de vous a été mis au monde par une mère pareille... On ne fait pas la guerre avec sa mère. Quelle est la faute de ma fille unique! Viens ici, mon chamelon![17]

Je ne sais pas comment la jeune fille quitta ma selle et comment elle se pendit au cou de sa mère. Elles ne se préoccupent pas de nous, de nous qui respirons à peine de colère, de nous dont le sang coule des sourcils. La mère caresse sa fille, la fille caresse sa mère, elles sont livrées à elles-mêmes.

Keïki craqua:

-           Batyr, - s’adressa-t-il à Jalpak,- si vous me permettez, je vais les ficeler et conduire sur mon poulain. La fille sera ma femme, la mère portera le bois. 

Jalpak regarda Keïki, lui jeta un coup d’œil large comme sa paume, et ensuite se tourna vers la femme:

-           Qui es-tu? Ton courage m’étonne. Dis-moi qui es-tu?

La femme répondit:

-           Batyr, descends ton cheval. Il n’y a personne à te poursuivre: si vous avez attaqué cet aoul, alors nos djiguites sont aussi allés pour une barymta chez les voisins. Tu pourras détourner les haras sans te dépêcher. 

Nous descendîmes nos chevaux et nous installâmes autour de la butte. «Pourqoui va-t-il écouter le délire de cette femelle?» - pensions-nous, mécontents de Jalpak.

La femme desserra son étreinte et se mit à parler:

-           Je suis la mère de cette jeune fille. Elle a quinze ans. A son âge j’ai eu le même malheur: un froid insupportable, une marque noire de ces jours-là sont toujours avec moi... De quel peuple dois-je vous parler? On dit qu’il y avait un aoul Yt-Koula, il se composait de quatre iourtes et menait sa vie au bord des rivières. Je suis la fille de Synym de cet aoul... Il y avait là un biy Balabaï (Je ne sais pas de quelle famille il était. S’il était seulement né dans un désert!) Une fois, à l’occasion de la circoncision de son fils il fit un toï[18]. Il misa neuf pièces de bétail comme prix pour la baïga[19] et un esclave comme prix principal. Il misa neuf pièces de bétail comme prix pour la lutte et une esclave comme prix principal. Mais y a-t-il quelqu’un qui donnera sa fille en qualité de prix? Le biy envoya les djiguites chercher une fille dans la steppe...

Le père fixait l’araba, la mère cuisait une bouillie, dix chevaliers se lancèrent vers eux, et moi, je les regardais de la cabane. «Eh, djiguittes, que votre chemin soit heureux!» - les salua mon père. «Que notre chemin ne soit pas heureux, pourvu qu’on ait une fille!» - répondirent-ils et continuèrent leur course m’ayant posée sur la selle...

Le lendemain, fête, baïga et lutte finies, on me mit sur un nar[20] avec des tapis et m’offrit en prix. Le vainqueur de la lutte fut le palouan Baïsary dont le tombeau se trouve dans cette steppe. Arrivé dans son aoul il m’offrit au baï[21] Kouletke. Le bey me fiança avec un de ses esclaves et me fit trayeuse. Ainsi vécus-je deux ans.

Kouletke mariait sa fille et fit un toï. Moi, j’étais le prix du  deuxième coursier, et l’esclave fiancé à moi était le prix principal. Il était parti chez un maître, moi chez un autre, chez le bey nommé Sarm dont les haras vous avez détourné aujourd’hui. Sarybay avait un gardien des chevaux nommé Kayrak, il me demanda pour femme «On va être des chiens près de votre porte pour toujours», priait-il le biy. «Sois gardien de chevaux, et qu’elle soit trayeuse. Quand vous travaillerez un peu, je vous libérerai», - promit Sarybaï.

Quinze ans ont passé depuis ce temps-là. Mon mari a été libéré aujourd’hui par la mort, et moi, je  suis devant vous. Un long lasso d’esclavage a été jetée sur le cou de ma fille aujourd’hui, c‘est pourquoi je me suis lancée à votre poursuite: donnez-moi le poulain, je vais y faire monter ma fille et je l’emmènerai avec moi...

Les djiguites étant d’abord prêts à déchirer la femme baissèrent les yeux. Aucune question, aucune réponse, leurs regards se posèrent par terre.

La femme aurait regardé dans nos cœurs. Elle tendit ses paumes noires vers nous.

-           Je vécus avec mon mari pendant quinze ans en égale, je vis son corps et je sais. Votre puissance, vos piques aigues auraient dû s’employer auprès d’un batyr fort et large d’épaules. Est-ce qu’il s’est présenté en ennemi redoutable et pas en infirme implorant? Et comment vous le payez? Vous l’emmenez sa fille en selle? Est-ce que cela ressemble au courage ou à la justesse? Ma fille vivra avec vous comme esclave. Si elle reste avec moi, elle grandira en liberté. J’emmène ma Fille avec moi.

Le bête Keïki, en entendant une femme parler ainsi pour la première fois dans sa vie, dit:

-           Les femmes sont créées pour être femmes à leurs maris, sinon qu’est-ce qu’elles ont encore à faire dans la steppe? Tu achètes une fille, elle sera ta femme, tu voles une fille dans une expédition, elle sera aussi ta femme. Djiguites! Faisons cette vieille se taire, emmenonsla aussi ! Nous avons du fumier pour elle à ramasser!»

Le palouan Jalpak resta assis pendant longtemps, plongé dans ses pensées. Après il bondit sur ses pieds et emmena son louvet vers la femme.

-           Pour réparer notre faute, -dit-il, - je te donne ce qui m’appartient. Prends-le, ne pense pas que ce soit peu! Si tu veux être libre, prends autant de chevaux de ce haras que tu veux et voyages avec eux jusqu’au bout du monde. Mais je n’entendis pas dire qu’il y a sur terre des peuples chez qui l’esclavage n’existe pas. C’est pourquoi suis-moi, je ne permettrai à personne de vous battre d’une aile, de vous ronger d’un bec!

-           Combien de chevaux de ce haras aurez-vous à vous-mêmes? - demanda la femme.

-           Peut-être que pas un... C’est le biy qui décide, - répondait Jalpak.

-           Alors ne m’offre pas le haras, ne me donne pas ton cheval. Je ne peux pas te suivre : tu es un batyr libre jusqu’à ce que tu gagnes ton aoul. Et là toi aussi, tu seras privé de ta liberté et deviendras une simples massue de ton biy, des batyrs et des palouans, j’en vis beaucoup. On te rudoie en batyr, et moi, on me rudoie en femme, c’est la seule différence. Tu n’es pas plus libre que moi. N’est-ce pas ainsi, mon batyr?

Le palouan Jalpak rabaissa sa tête.

-           Nous sommes des hiboux aveugles et rapaces, nous les djiguites, -dit-il. – On bouge si l’on nous pique dans les yeux, sinon on ne voit rien. Tu m’as fait voir des choses, apa[22]! Je voulais faire  ta fille un jouet de ma vie large pour peu de temps! Je me recule devant cette idée. Tant que je suis libre, je veux donner la liberté à quelqu’un. Mais ta fille t’appartient. Vivez libre comme le vent!

La malheureuse a une robe en haillons, les bras très noirs comme les doigts de talky[23], les lèvres fissurées aux plusieurs endroits. Mais ses sourcils froncés, ses yeux étincelants font trembler nos âmes. Elle n’a ni peur, ni prière, - elle s’empara de quarante djiguites. Comme si elles attendaient les derniers mots du palouan: l’une monta sur le louvet, l’autre sur le bai et elles fuirent à toute vitesse. Ce n’est que là qu’on se ressaisit.

 

-           «Chyrkin[24], la femme des femmes » - ainsi le palouan Janaï finissait-il toujours ce récit, - dit l’aveugle Aïtilèce, et nous, les enfants, assis en demi-cercle, se mîmes à entonner après le mollah: «Agousé... besmellyaï... iraciri...iraciri»[25].

 



[1] Koupi (kout) –survêtement avec une doublure de laine de chameau ou d’agneau

[2] Palouan – lutteur professionnel, hercule

[3] Chanyrak – anneau supérieur de la charpente d’une iourte

[4] Barymta – incursion

[5] Biy – chef d’une tribu turque

[6] Batyr – hercule, preux

[7] Djiguite - un cavalier brave en Asie centrale et au Caucase

[8] Sadak – un arc

[9] Saïgak – un bec de steppe

[10] Volost – unité administrative en Russie

[11] Kourtе – un produit asiatique de lait tourné, comprimé, desséché sous le soleil, un peu salé

[12] Koudaï-Kok – un Dieu gris

[13] «Mon petit poulain» - une expression hypocoristique, affectueuse chez les kazakhs

[14] «Saouga» – «Félicitations pour ton trophée!» Selon une tradition ancienne les kazakhs donnaient une partie de leur butin au premier qui les avait salués.

[15] Chechetaïm-aï – ma petite  mère

[16] Jaoulyk – un foulard blanc des femmes kazakhs mariées

[17] une expression hypocoristique, affectueuse chez les kazakhs

[18] Toï – fête

[19] Baïga – une course de chevaux

[20] Nar – dromadaire , chameau à une bosse

[21] Baï – un homme riche et honorable, d'une manière générale canaille

[22] Apa -–une  soeur,une  tante

[23] Talky – un outil pour broyer le cuir ; une machine à broyer

[24] Chyrkin  - les mots exprimant le degré supérieur d’admiration de quelque chose

[25] Les mots arabes tirés du Coran

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