À LA VEILLE
En mai 1916 je terminai mes études au séminaire professoral d'Omsk et je vins à Akmolinsk. Là je fus assigné à la voloste[1] de Bouglinsk du district d’Akmolinsk en vue de travailler comme professeur à une école d’aoul au bord de Noura. L'école devait s'ouvrir en automne. Comme il resta trois mois avant les études, je décidai de prendre part au dénombrement agricole passant cet été-là partout en Russie.
La population du district d’Akmolinsk fut conventionnellement partagée en deux parties: partie de nord et partie de sud, et conformément à ce partage on fit deux commissions de dénombrement. La partie de sud fut présidée par Assylbek Seitov qui était venu de terminer ses études à l'université de Tomsk, et moi, je fus nommé chef de la commission de nord. Avec trois mes assistants nous devrions faire le dénombrement dans douze volostes.
C’était le début de l'été. Nous partîmes à la steppe. Approximativement à trente cinq verstes d'Akmolinsk nous fîmes notre premier arrêt dans un aoul qui a dressé ses yourtes dans la vallée de la rivière d'Ichim. Ayant invité l’intendent de voloste et les chefs, nous leur expliquâmes le but de notre arrivée, les demandâmes de rassembler les habitants et nous commençâmes, suivant l'instruction, à faire la liste de population, à compter le cheptel, à inscrire les dimensions des terres arables, à dénombrer le matériel agricole dont chacun possédait. Ayant recueilli les informations nécessaires, nous nous portâmes au fil de l'eau d'Ichim à une autre voloste. En passant successivement d’un aoul à l'autre, d’une voloste à l’autre, nous arrivâmes à la voloste d’Aksirakkoulsk (selon le nom du lac d'Aksirak-kul: une Jambe blanche), avoisinant le district d’Atbasarsk. Presque tous les aouls se trouvèrent à cette époque-là au pâturage d'été à côté du territoire de Choubyra, c'est pourquoi nous y partîmes avec l'intendant de voloste, les chefs, les scribes et les facteurs.
AU CHOUBYRA
Le Choubyra c’était un terrain marécageux avec la végétation luxuriante. Là des collines peu élevées furent tassées; au pied d’elles, sur un terrain bas, des prairies marécageuses verdirent savoureusement. Il n'y avait pas de bois au Chubyra, on ne vit pas de chaîne de montagnes et de hautes buttes. Une riviérette coula là-bas, et à côté d'elle les aouls s'entassèrent. Des herbes diverses couvrirent tout: pentes des collines, terrains bas marécageux et prairies; tout sembla couvert d’un grands tapis aux dessins fantastiques.
Le début de l'été c’est un temps florissant, embaumé du parfum des prairies. On nous mit une yourte dans une place legèrement écartée de la riviérette, où la terre était plus sèche. À côté de nous, dans la yourte séparée s’installèrent l'intendant de voloste, le chef et le scribe. Les yourtes se trouvaient sur l'herbe épaisse luxuriante, mais néanmoins en témoignage du respect spécial envers des personnes qui étaient venues, on étendit les tapis pour nous et on mit une petite table ronde basse au milieu.
Nous nous installâmes avec plaisir dans la yourte décorée avec goût et avec soin, nous étalâmes nos papiers et nous nous mîmes à faire notre travail immédiat.
À mille verstes, douze volostes s’étendirent d’un bout à l’autre. Il était apparent que le peuple local vivait richement, dans l'aisance, et ce qui est riche, celui-là n’est pas dévoré par les besoins, celui-là ne réfuse pas de boire trop de koumys[2], de dormir à volonté. Du matin à la nuit erraient les hommes sous l'emprise de l'ivresse légère, habillés à la hâte, tant bien que mal; ils faisaient la chasse dans les aouls au koumys et aux jeunes filles.
Beaucoup de fainéants s'ennuyant se massèrent près de notre yourte, ils regardaient comment le recensement se passait. Les autres cherchèrent une possibilité de courtiser une jeune fille, ils s'ébattaient comme des taurillons bien nourris, engageaient les jeux facetieux, s'exerçant aux plaisanteries et aux moqueries mutuelles, à la faconde.
Il y eut beaucoup de chanteurs et de dombristes excellents parmi eux. Ils se pétaient la gueule sans retenue, riaient d'une voix retentissante à travers tous les alentours, bref, ils tuaient le temps à leur guise.
On disait que les intendants de voloste, le chef, les arbitres furent tous faits sur le même moule: des beys insouciants, voluptueux. Quand on les voyait se réunir ensemble, on les observait de loin, il semblait que ces bœufs engraissés étaient sur le point de ne plus se sentir dans la peau.
Et seulement les domestiques et les bergers, noirs comme du jais à cause de soleil ardent, avec les gouttes de sueur aux fronts, traînèrent leur boulet sans repos. En succombant sous le grand soleil de la chaleur accablante et de la soif, ils gardèrent les troupeaux des beys aux pâturages. En tentant en vain de se sauver des oestres, ils furent obligés d'apaiser et de traire les juments demi-sauvages violentes. Les valets de ferme malheureux, aux visages tannés par le vent et aux lèvres gercées par la chaleur recueillaient toutes les journées le fumier séché pour allumer un feu de bois et préparer à temps la nourriture pour son maître. Les hilotes, il ne fut pas en leur puissance de cueillir les fruits de leur travail de brute...
Il faut dire que le dénombrement se passait pas sans encombres, il y avait de certaines difficultés parce que les Kazakhs ne disaient pas d'habitude la quantité de bétail, et il y avait peu de bonards qui donnaient les informations exactes.
Dans peu de temps nous finîmes le dénombrement au Choubyra. Il fallut partir au point suivant. La route devait être longue, et à vrai dire, nous ne voulions pas quitter le Choubyra hospitalier. Et juste à propos, l'intendant de voloste, le scribe et le chef commencèrent à nous persuader à prolonger notre visite au Choubyra encore pour deux ou trois jours. Nous l’acceptâmes volontiers. Nous fûmes attirés par une agréable odeur âpre du koumys du saba[3] noir, par la viande bonne de jeune agneau, par l'air frais des prairies vertes et, enfin, par l’affection et la cordialité des gens locaux.
Le temps passa le midi. La chaleur s'adoucit, s'affaiblit, une faible brise douce caressait agréablement les visages. La terre et le ciel semblèrent se fondre, tout autour se noya dans la verdure. Le silence de déclin du jour arrivait. Comme étant figé par la stupeur, l'aoul polyphonique se calma.
Je montai sur une colline la plus proche et je regardai autour de moi. Je vis un paysage paisible: des troupeaux corpulents et à une certaine distance les aouls avec les yourtes mises, selon la coutume, au demi-cercle...
AOUPILDEK
Vers le soir nous partîmes tous les trois aux chevaux de l'aoul pour nous reposer, nous détourner des soins de jour. Nos chevaux furent vifs, et c'est pourquoi notre humeur fut soulevé. Nous contournions les places marécageuses vertes foncées et nous montions les buttes. Ayant laissé nos chevaux galoper vers le soleil couchant, nous arrivâmes au galop à la frontière entre les districts d’Akmolinsk et d’Atbasarsk et nous montâmes sur une des buttes. Les chevaux jouaient avec leurs mors, piaffaient, brûlaient d’envie de s’avancer. Là, aussi loin que porte le regard, des terrains bas et des pentes des collines furent couverts de la verdure épaisse. Ce ne fut pas une terre, mais une mer verte. Le soleil ressemblant un lingot d'or déclina à l'horizon. Le lointain illusoire s'agita, chatoya de différentes nuances. Un souffle du vent de soir caressa légèrement les herbes de steppe. L'horizon fusionna avec le ciel, comme s'étant embrassés fermement. Au loin où le soleil se couchait, dans la direction à Atbasar, on put voir à peine deux lacs contigus. Là-bas le jonc côtier s'assombrit dans le brouillard accourant du soir.
- Quels sont ces lacs-là, comment s'appellent-ils?- je demandai à mon compagnon, l'originaire de ces lieux.
- Ce sont l’Aoupildek et l’Alakol, - il répondit.
- Est-ce que ce le lac, à propos duquel il y a une chanson célèbre "Aoupildek" ?
- Oui, c’est lui. Et la chanson sur une jeune fille malheureuse a été composé ici, dans l'aoul, qui se trouve sur le bord lointain et n'est pas visible d'ici.
J'avais entendu bien des fois la chanson sur le lac d'Aoupildek et sur une jeune fille, la soeur d'un certain Syzdyk. D'après ce qu'on dis la jeune fille ne fut plus de ce monde.
- C’est ça. Elle n'a pas subi, une malheureuse, elle a mouri du chagrin excessif.
Longtemps nous examinions fixement les lacs éloignés.
"Elle a été séparée de son bien-aimé et elle a été vendue pour une rançon à un homme non désiré..." - je pensai tristement.
Je vis devant moi-même ses yeux gros de larmes. Il me sembla, que je la voyais fuir de l'aoul détesté, où l'avaient vendue pour un bétail. Je la vis errer comme un ombre clair dans l'obscurité près du lac de l'Aoupildek...
Le ciel étoilé était silencieux. La terre gardait le silence anxieux. Tout était désert. Seulement le lac argenté s'agitait un peu. Sur son bord une jeune fille solitaire pleurait. Ni terre, ni ciel ne l'entendaient, les herbes étaient sourdes à ses larmes misérables. Seulement le jonc de lac tendre froufroutait doucement, chuchotait, comme la consolant, comme partageant son chagrin. Et des oiseaux de lac lui faisaient écho avec les voix tristes. Les oiseaux pleuraient. La jeune fille pleurait...
Tes joncs, le lac d'Aoupildek,
Soudain ils divergent sous le vent dans les directions différentes.
Je suis assise et je suis triste.
Moi je suis une personne simple,
Et mon âme est derrière les sommets de montagnes.
Si seulement j’avais les ailes...
J’aurais volé vers les nuages.
Et je t’aurais toucher timidement.
Mon destin a la main lourde.
Regarde!
C’est à toi que je suis arrivée!
Tout est couvert de neige.
Les joncs d'Aoupildek se taisent.
Est-ce qu’il y a longtemps que je faisais mes études à l'école?
Réponds à l'appel de mon âme fière. Et emmène-moi de l'esclavage. J’ai seize ans...
Le lac de l'Aoupildek est dormant sous la neige.
Le destin me t’a donné, mon amour, à jamais.
Je ne suis plus capable de vivre sans toi.
... L’Aoupildek chante amèrement, cotonneusement sous l'eau.
Lui aussi, il est triste on ne sait pourquoi. Comme s’il est touché, comme tous,
Par un malheur de cygne et il crie tout au fond depuis beaucoup de jours.
Et un cri triste d'oiseau fend l’air de nouveau,
En se brisant sur les rochers lointains. Comme si le cri peut réussir à
Lever l'eau pour que le lac n’existe plus.
Mais le lac de l'Aoupildek est impitoyable,
Et il n'aidera jamais les malheureux.
Devant mes yeux les images de sa vie triste dans un aoul étranger passèrent l’une après l’autre en file triste. En regardant le lac en silence nous nous tînmes debout quelques minutes et renversâmes les chevaux...
Pendant notre absence les djiguites[4] de l'aoul voisin s’entendirent de faire une soirée. Les chefs de cet évenement se trouvèrent le chef lui-même, le scribe de la gestion de voloste Baïsseit[5] et quelques autres gaillards adroits.
On nous invita, tous les quatre, à la soirée aussi. Nous fûmes deux Tatars, un Russe et moi. Galimzhan était un jeune professeur de l'école tatare à Akmolinske, Nourgaïn était professeur. Ce soir-là Nourgaïn eut mal aux dents, il ne s’amusait pas, et notre compagnon russe âgé Mikhaïl ne s’amusait non plus. C’est pourqoui nous allâmes à la soirée à deux avec Galimzhan.
On vit de loin une yourte de fête, blanche comme neige. Au-dedans elle fut tapissée, décorée élégamment. Il y eut plein de jeunes gens dans la yourte. À peine fûmes-nous entrés dans la yourte avec Baïsseit, Galimzhan et cinq djiguites nous accompagnant, on nous proposa aimablement de prendre les places honorables. Les personnes assises formèrent un demi-cercle. En face de nous les places furent prises par le chef (alias l’akyne[6]) et quelques djiguites, les organisateurs de la soirée. Dans un certain temps l’intendant de voloste entra dans la yourte en compagnie de cinq ou six aqsaqals[7]. On les assit cérémonieusement, honorablement. Ils furent assis isolément, pendant que les jeunes gens s'installaient à tort et à travers, les garçons, certes, tâchaient d’être près des jeunes filles. Selon la coutume les jeunes filles furent assises entre Galimzhan et Baïsseit, entre Baïsseit et moi. On nous servit le koumys. Les uns ne gorgèrent pas encore de koumis à satiété, et les autres, les plus fringants, se furent déjà mis à jouer bruyantement. Les jeunes filles et les jeunes femmes furent habillées élégamment, certaines même luxueusement. Les monnaies dans les tresses sonnaient à chaque mouvement, les poignets furent ornés de bracelets en argent. Les robes de soie froufroutaient mollement, comme si on entendait le bruissement d’une nouvelle canne. Les jeunes filles réagirent avec sympathie à la plaisanterie du djiguite, mais elle eurent une attitude digne. Dans deux ou trois places dans la yourte les bougies brûlaient faiblement. Quelques garnements pénétrèrent sans autorisation dans la yourte, ils commencèrent à s'ébattre comme les autres gens aînés, mais on les firent décamper vite. Quelques-uns se déjà enivrèrent considérablement de koumys. Le chef (l’akyne) prit un dombra et commença à jouer une mélodie rapide, dynamique, en claquant sur les cordes avec les doigts. Il fut agréable de se rafraîchir à un tel moment avec du koumys salubre et bon, du couleur un peu jaunâtre.
Imaginez-vous le début de l'été, le soir chaud velouté et mou, une yourte élégante, décorée des tapis et des cochmas[8] façonnées, avec des stores légers suspendus. Devant vous les jeunes belles femmes de Sary-Arka sont assises émues par l'attention des djiguites. Est-ce qu’on peut avoir toute sa tête ici et le coeur pas fondu d’une telle scène charmante! Un jeu était remplacé par un autre, plus intéressant, et chacun d’eux s'achévaient par une condition obligatoire: chanter une chanson. La dombra circulait de main en main.
Les djiguites chantaient, chacun mieux qu'un autre, les jeunes filles chantaient. Dans les modulations de la mélodie on entendit des allusions moqueuses, le sens des mots de la chanson continrent un secret inquiétant.
Ce fut le tour de la jeune fille assis d'un air pensif entre moi et Baïsseit de remplir la condition de jeu. Elle était tout à fait jeune, probablemement elle avait seize ans, pas plus, elle fut brune aux yeux noirs. Involontairement j'apercevis que dès que son tour s'approcha-t-il, tous s’arrêtèrent dans la yourte. Un des gérants de la soirée demanda instamment:
- Que Khabiba chante sous accompagnement de dombra.
- Les autres jeunes filles chantaient sans accompagnement, - je remarquai.
- Khabiba chante toujours avec la dombra!
Et voilà la dombra fut en mains de la jeune fille. Je m’éloignai serviablement pour ne pas empêcher la chanteuse.
- Ne soyez pas gêné, s'il vous plaît, - Khabiba me dis avec un sourire.
- Vas-y, Khabiba! – on entendis de tous les côtés. - Les visiteurs attendent.
Khabiba accorda la dombra à sa guise et ses doigts fins, flexibles, comme la canne, se mirent à danser, en passant les touches, et les doigts de sa main droite commencèrent à frapper les cordes facilement et d'une manière sonore, comme si le pois d'or se répandait sur une soucoupe en argent.
Khabiba entonna. Les regards des présents suivaient chaque son mouvement sans discontinuer et avec ravissement.
- Oh, ma bonne! – on entendait les exclamations émues des aqsaqals assis à côté de l'intendant de voloste.
La jeune fille ressemblait une alouette qui battait constamment les ailes invisibles et volait à la profondeur des airs dans le chant sonnant, dans une mélodie capricieuse, caressant l’âme. Voilà elle sembla s’arrêter pour un instant et brusquement comme un coup de foudre elle tomba en bas, tourbillona et avec un tintement changeant elle tomba jusqu'à la terre. Elle sembla serrée là, comme s’il n'y avait pas de vaste espace, et la voix monta de nouveau à l'azur céleste, en haut, et chantait déjà comme pas seule, mais en s'entre'appelant avec le chant des autres oiseaux, elle chantait avec regret, et après joyeusement, lentement, avec charme.
Les mélodies se succèdaient, largement, infiniment, comme des perles se couchant l’une après l’autre sur la soie d’une couleur éclatante... L'alouette à mille voix chantait. Tu l'écoutais et tu pensais que la chanson apportait la jouissance non seulement à toi, mais aussi à tout l'univers, elle caressait, bercait tout ce qui vivat sur la terre et dans le ciel...
La voix de Khabiba descendit comme une alouette et s'interrompit. Les auditeurs se taisaient encore un certain temps sans detacher les yeux d'elle. Avec un mouvement lent la jeune fille passa la dombra à un djiguite assis au contraire, mais tout le monde se mit à réclamer: "Chante encore, Khabiba, s’il te plaît!" La jeune fille ne refusa pas, elle chanta encore quelques mélodies.
Après le chant de Khabiba on ne voulut plus écouter d'autres. Les jeux furent commencés de nouveau. On apprit que le Tatar Galimzhan n’avait pas encore vu tels jeux amusants kazakhes et il n'avait presque pas entendu nos chansons. Et autour de nous tous jouaient à l’"Oramal tastamak", au "Bouguibaï", au "Myrchim"[9].
Tous se tranquillisèrent et commencèrent à s’en aller au petit matin. Avant de partir je demandai Khabiba de chanter l’"Aoupildek" encore une fois et elle exauça mon vœu.
Nous allâmes à pied vers notre yourte. Chemin faisant Galimzhan s'enthousiasmait longtemps:
- Eh bien, Saken, j'ai vu les Kazakhs pour tout de bon seulement aujourd'hui! J’ai compris pour la première fois le charme de vos chansons! Ma parole, j'ai commencé à regretter de ne pas être né Kazakh, ou au moin de ne pas grandir parmi vous. Si je n’étais pas marié, je te jure que je m'enfuirais de la ville à l'aoul kazakhe!…
Longtemps encore Galimzhan épanchait ses ravissements avant de se coucher. Et moi-même, je ne pouvais non plus me délivrer longtemps de l'impression que le chant de Khabiba avait produit sur moi. Sa voix charmante, on peut dire, m'avait ensorcelée. Je voyais devant moi des broussailles côtières froufroutant, je voyais la surface argentée du lac féerique et le nid de cygne dans les joncs épais à son milieu.
Le jonc chuchotait d'un air insinuant, on entendait une chanson triste du cygne ressemblant au son de chalumeau. De temps en temps les rides légères parcouraient le miroir du lac, comme si quelqu'un inconnu répandait à travers le lac les grains de verre blancs comme neige. Les oies cacardaient, les canards nasillaient avec les voix dissonantes, et outre le brouhaha d'oiseau l’oreille humaine distingait quelques soupirs sourds étranges de l'eau, entrecoupés et douloureux. C’était un oiseau aoupildek qui gémissait dans la profondeur sombre du lac. L'oiseau semblait être étranglé avec l'eau, et il gémissait cotonneusement de son poids froid: "Aoul! A-ou-ou-p-p! A-a-ou-ou-ou!…"
Écrasé par le poids excessif l'oiseau tâchait désespérément de se lever, de se secouer. Sa voix sonnait oppressée et sinistre, elle allait droit au coeur, causant de l’ennui et de la tristesse. Si tu l’écoutais, une jeune femme semblait gémir quelque part près, en dévorant ses larmes, la femme quittée et solitaire. Ses soupirs tristes fusionnaient aux chansons du cygne, s'entre'appellent avec l'oiseau invisible.
Raconte ton secret, le lac méchant.
Tu es cruelle juste pour tous.
Comme les joncs bruissent tristement au-dessous de toi.
Le cygne digne pleure dans son nid.
Les images de la chanson malchanceuse passèrent lentement devant mes yeux, sa mélodie sonnait dans mon coeur, et des autres mots vinrent à ma tête, et je voulus passionnément les partager avec tous:
Est-ce que le cygne est capable de sangloter comme les gens?
Qui a fait souffrir ce bel oiseau? Peut-être il pleure en livrant le déjeuner aux cygneaux,
(Ce sont seulement les gens qui comprennent un cri d'offense),
Ou bien appelle-t-il son amie, et lui, elle est toujours absente,
Et peut-être elle ne sera jamais à côte de lui.
ÉPOUVANTAIL
Nous quittâmes le Choubyra. Une longue route nous attendit. Tantôt au trot, tantôt au galop, en sellant de temps en temps les chevaux de réserve, nous hâtâmes du matin au soir et seulement le lendemain nous parvînmes à l'endroit indiqué.
Il nous fallut alors nous occuper de dénombrement dans les trois volostes: Monchakty, Karaboulak et Kzyltopyrak.
Nous nous approchâmes de l'aoul de Nourmagambet Sagnaev connu dans ces lieux, surnommé par le peuple Pan (ce que signifie un monsieur orgueilleux, hautain).
Chemin faisant je demandai à mon accompagnant, pour quoi Pan avait reçu une distinction du tsar. Il me répondit le suivant. Une fois, en voyageant, l'héritier de la couronne arriva à Omsk. En l’honneur de cela on fit ici un festin inouï, auquel toute la noblesse de steppe se réunit: beys notables, myrzas[10] haut placés, intendants de voloste. En souhaitant voir l'héritier de leurs propres yeux, les gens nobles d'Akmolinsk, d’Atbassar, de Koktchetav, de Petropavlovsk, de Karkaralinsk, de Pavlodar, de Baïan-Aoul et d'autres places arrivèrent à Omsk. Pour se distinguer des autres, chacun transporta avec lui les yourtes, la décoration luxueuse, chacun tâchait d'éclipser les autres avec la richesse, la splendeur. Pan Nourmagambet surpassa tous. Il réussit à attirer l'attention spéciale de l'héritier par ce que parmi les yourtes luxueuses des adversaires il mit la sienne, décorée d’ornements d'or. L'héritier honora la yourte dorée de sa visite et il but là-bas du koumys d’un saba noir, en remuant son koumys avec son petit brassoir en argent orné des pierres précieuses. En outre Nourmagambet amena à la fête trois troupeaux de jeunes juments de différents pelages. L'héritier était beaucoup passionné des chevaux, et Nourmagambet courtisan lui offrit tous les trois troupeaux avec la yourte dorée en surplus. Comme on dit, ce qui est bon à prendre est bon à rendre. L'héritier décora Pan de la médaille d'argent.
...Quand nous entrâmes à l'aoul de Nourmagambet, le soleil brûlait insupportablement. On voulut avant tout éteindre la soif et seulement après cela aller voir Pan.
Les yourtes des gardiens de chevaux se trouvèrent à une distance respectable de la yourte de Nourmagambet. Derrière une butte, sur un terrain bas, dans une prairie verte nous vûmes quatre yourtes blanches comme neige, installées par deux. La distance entre elles était au moins de centaine de pas, et, étant donné que l'herbe entre elles n’était pas piétinée, on put penser qut les gens qui vivaient ici n’étaient pas proches.
À peine eûmes-nous arrêté le char devant la yourte la plus proche, qu’un djiguite bronzé n’habillé que d’un bechmet[11] sortit à nous rencontrer. Il nous salua et demanda qui nous étions et d'où nous venions. Puis le djiguite disparut dans la yourte, sortit de nouveau dans un certain temps et nous invita: "Bienvenue".
Dans l’antichambre vide il y eut des tapis et des cochmas ornées. Avec un geste silencieux le djigiute nous invita à nous avancer. Étant entré dans la deuxième yourte, nous vîmes le luxe admirable. Il n'y eut pas de parcelle grande comme la main, qui ne fut pas été couverte de tapis bariolé en soie. Les murs furent décorés des tapis de velours, l'atlas brillait, l’argent luisait. Tout près du mur se trouva quelque chose ressemblant un banc en demi-lune de l’hauteur d’une archine[12] couvert de tapis chers à franges et aux glands.
Ouyks[13] et chanyrak[14] furent colorés en bleu clair et enroulés de ruban frangé. À la place honorable les couvertures de soie furent mises par-dessus les tapis. Un visiteur pouvait s'installer sur ces couvertures s’il voulait, ou s'asseoir sur le banc de tapis. À droite de la place honorable, sous un baldaquin en soie bleue, nous vîmes le lit métallique luisant et Nourmagambet assis sur lui. Il fut seul dans la yourte. Pan trônait sans bouger, silencieusement, comme un idole. Un chapeau de castor
reposait sur la tête, des lunettes en or papillotaient sur le nez, les épaules étaient couvertes de surtout en drap gris au col en velours roux-brun, sous le surtout on a vu un bechmet de même drap gris cher. Il porta les ichigues[15] brillants et les couvre-chaussures en caoutchouc. Avec sa main vêtue d’un gant blanc comme neige Pan manoeuvrait une petite canne en argent. Il porta la barbe bleuâtre et la moustache, on lui donnerait plus que cinquante ans. Quand nous entrâmes et le saluâmes, en promenant nos regards sur la décoration luxueuse, Nourmagambet se leva gravement et rendit le salut de façon indistincte, comme sans souhaiter se déranger par un discours fort. Nous nous assîmes sur le siège de tapis. Pan se taisait, nous ne prononcions non plus le moindre mot, en continuant à examiner les murs avec curiosité.
Il me fit l’impression d’un homme borné, un peu indolent, mais au caractère rigide. Il eut l’air d’un épouvantail habillé joliment. Nourmagambet fit un signe à peine considérable avec la barbe au djiguite accroupi près de l'entrée. Le djiguite qui suivait, comme un chien, chaque mouvement de son maître, sauta et sortit. Dans une minute il apporta avec un autre serviteur un teguène (un grand pot en bois) de koumys, lourd, garni d'argent. Ayant remué le koumis avec un grand puisoir de corne, ils commencèrent à le verser aux bols de porcelaine pure résonnant. Nous dégustâmes avec délectation une boisson fraiche, parfumée et au goût fort. Les serviteurs n’eut que le temps de remplir et de nous donner les bols pourpres.
Nourmagambet but aussi lui-même, sans être en arrière de ses visiteurs. Le silence régnait dans la yourte.
Étant sorti de la yourte de Nourmagambet, nous demandâmes qui vivait dans deux autres yourtes blanches comme neige. Il se trouva que là, à cent pas, c’était une habitation de la femme de Pan. La cérémonie d'invitation se répéta: le djiguite entra dans la yourte, dans un certain temps il sortit et il prononca avec dignité:
- Bienvenue à son habitacle.
Nous entrâmes et nous vîmes la même décoration rouge bigarrée, cochmas et tapis à dessin, frange, ouyks et chanyrak colorés en bleu et enroulés de ruban frangé. La femme de Pan reposait sur la couverture de soie de couleur rouge vive pliée en quatre. À côté d'elle il y avait six coussins de duvet élevés, au-dessus de sa tête les plis du baldaquin rouge de soie divergeraient. Elle portait un surtout de soie blanche, un kimecheque[16] de soie de la même couleur sur la tête, tombant jusqu'aux couvertures. Le kimecheque orné des perles fut porté très serré autour de son visage. La femme maigre pâle répondit à notre salutation à voix à peine audible, comme si en gémissant, et avec un geste à peine visible elle ordonna d'apporter du koumys. Nous vîmes un teguène de la forme plus originale, que celui chez Nourmagambet, il fut aussi garni d'argent. Les annelets en argent du puisoir sonnaient mélodiquement. Le koumys fut aussi froid, jaunâtre, odorant, il nous fut servi aux bols de porcelaine bleu clair. Nous buvions du koumys, et la femme était assise, comme une momie, sans faire attention à personne.
Nous laissâmes derrière nous les yourtes à deux coupoles blanchissant sur une prairie verte. Dans une d'elles Nourmagambet était assis solitaire comme un idole en pierre, dans une autre, à cent pas, la femme de Pan souffrait du désoeuvrement, fragile, efféminée, rappelant un cygne mourant...
"Les aristocrates, les fonctionnaires, les myrzas sont tous de même espèce, les écornifleurs et les parasites! Comme des blaireaux ils boivent le sang de peuple!" - le camarade Sorokin m’avait répété bien des fois encore en hiver à Omsk. Et maintenant je me rappelai ses mots et je les répétai à haute voix.
- Tiens, il a tapé dans le mille! - mon compagnon le Tatar remarqua avec étonnement.
- Et comment ces chiens ne s'ennuient pas de vivre! – son camarade glissa.
AVANT UNE TEMPÊTE
À la fin de juin nous arrivâmes à la volost de Korzhoun-Koulsk, avoisinant le district de Pavlodar de la région de Semipalatinsk. Là, dans le clan de Kanzhygaly, à cette époque-là il y avat une lutte entre deux partis pour le poste de l'intendant de voloste. Un parti fut présidé par le chef de voloste, et un autre était lâché contre lui par un myrza corpulent, luisant de graisse. Le chef de voloste opprimait le peuple impitoyablement, c'est pourquoi beaucoup de gens furent mécontents de sa gérance. Parmi une mille et demi de maisons pas plus que centaine d’elles restèrent de la partie de chef de voloste. Mais le chef de voloste détenant le pouvoir ne fut pas encore soumis et, comme un loup furieux tombe sur le dos de sa proie impuissante, il attaquait le peuple effrayée, en lui demandant d’accomplir ses caprices.
Nous expédiâmes un messager en avant pour prévenir d'avance de notre arrivée les habitants des aouls disposés au bord de deux lacs pittoresques: Achtchykol (Lac salé) et Kaskaat (Cheval chauve). Le soleil déclinait à l'horizon, quand nous arrivâmes au bord occidental de l'Achtchykol.
On vit non loin quelques yourtes blanches. À l’autre bord deux ou trois aouls peu nombreux s’installèrent. Les bergers cavaliers amenèrent vers le lac un troupeau des chevaux pour l’abreuvage. Après nous avoir remarqués un des cavaliers tourna le cheval et se mit à galoper à notre rencontre. Le beau cheval noir rapide semblait étre prêt à passer à travers une roue. La selle argentée scintilla. Le cheval ne restait pas sur place, il louchait sauvagement, se démenait comme un beau diable, comme pour montrer encore une fois l'argent de la selle du cavalier, un grand djiguite, habillé de manière urbaine: il portait les souliers, le chapeau, mais le sourtout était kazakh. Je reconnus Tolebaï, avec qui nous étions allés à l’école ensemble dans la ville d'Akmolinsk. J’appris qu'il travaillait comme le scribe de l’administration de voloste de Korzhounkoulsk. Et c’était son oncle Olzhabaï qui fut un chef de volost.
- Assalamou aleikoum!
- Oualeikoum assaliam![17]
- Quelle rencontre!
- Il est venu quand même, le jour quand nous nous sommes revus!
Voici comme joyeuse et enthousiaste la rencontre avec un ami d'école fut. Tolebaï nous amena chez le cousin du chef de voloste et après la conversation détaillée sur de différents sujets il me demanda brusquement:
- N'as-tu pas entendu dire que les Kazakhs seraient engagés aux travaux de l'arrière? On a reçu l’ordre de la ville de dresser les listes de tous les djiguites à partir de dix-neuf ans jusqu'à trente-et-un ans.
- Non, je ne l’ai pas entendu, - je répondai et à mon tour je pressai mon camarade de questions de retour: - Où est-ce qu’on les engages? Qui? Quand?
- Les gens ne savent pas si on doit croire ou pas ces rumeurs, - Tolebaï continua. - Tout le monde est effaré, tous sont effrayés et alarmés. Mon père est allé en ville pour vérifier ces rumeurs inquiétants, et il a dû revenir encore hier, mais jusqu'à présent il s'attarde on ne sait pourquoi.
Notre conversation dura. Nous fûmes assis à la yourte cosy, propre, à six ouvrants. Il n’y eut pas de luxe superflu là, mais les grilles murales et ouyks furent bien peintes et la décoration fut en général pas mauvaise.
La maîtresse était affairée, elle mit le samovar[18] à chauffer et commenca à préparer les sucreries pour le thé. La chaleur torride baissait, une faible brise calmante humide vint du lac, l'aube pourpre colora l'horizon. Fatigués d'un long cahotement dans le chariot allant à travers champs, nous nous couchâmes sur les courtepointes et les coussins blancs pas très frais. À côté de nous le chef de voloste était assis les pieds croisés et causait tranquillement.
Une petite table ronde basse couverte d’une nappe verte bariolée à franges s’apparut devant nous. La vaisselle rouge de porcelaine sonnait, les baoursaks[19] pétris au koumis, fraîchement rôtis, se répandaient sur la nappe. Sur le dastarkhan[20] il y eut deux assiettes d'huile, le samovar bouillit, et après toutes ces préparations on nous invita à la table. Assis au cercle, nous buvions du thé, et dans l'entre-temps le scribe envoya un messager à rassembler les gens des aouls des environs.
Le lendemain vers le midi le père du scribe Barlybaï, le frère aîné du chef de voloste arriva de la ville. Ce moment-là beaucoup de peuple des aouls les plus proches vinrent déjà. Les djiguites sortirent pour rencontrer Barlybaï. En retenant le cheval par la bride, ils l'aidèrent de mettre pieds à terre, lui ouvrirent la porte obséquieusement, tâchant à toute force de lui montrer le respect. Les gens dans la yourte se levèrent quand il entra, ils commencèrent à serrer la main de Barlybaï. Nous suivîmes leur exemple. On sentit que tous étaient préoccupés et attendaient des nouvelles avec impatience. Juste après la salutation on entendit les voix:
- Qu’est ce qu’il y a de nouveau dans la ville?
- Ouf, - Barlybaï réponda en respirant difficilement – Qu’est-ce qui peut être de nouveau? Les Kazakhs seront egagés. Voici le décret, - Barlybaï murmura. En s'assoyant il sortit de la poche un papier roulé avec de grandes lettres russes et le donna à son fils.
Son fils commença à lire.
Les visages des personnes présentes expressaient l’effarement, tous attendaient en silence le scribe analyser le texte russe et expliquer le contenu en kazakhe. Ayant pris connaissance, le scribe me passa le papier.
C'était une explication du gouverneur d’Akmolinsk à propos du décret suréminent de l'empereur du 25 juin sur l’appel aux travaux de l'arrière des gens kazakhe à partir de dix-neuf ans jusqu'à trente-et-un ans. Pendant que je faisais connaissance avec l'explication, on entendait sans arrêt les voix inquiétées demandant de dire plus vite le contenu du document.
- Oui, la situation est difficile, je dis. – Le gouvernement a besoin des ouvriers, c'est pourquoi les Kazakhs sont appelés aussi.
Personne ne crut qu’il ne s’agissait dans le décret que de l’appel aux travaux de l'arrière, et pas au front.
- C’est une tromperie! Nous serons envoyés à la guerre, comme les vrais soldats. Oh, Allah, pour quoi subissons-nous tels désastres terribles? Pour quoi sommes-nous damnés comme ça! – les gens se mirent à faire du bruit dans la yourte de plus en plus fort et de plus en plus inquiétant.
Ayant fini le dénombrement avec hâte, nous partîmes de l'aoul vers le soir et nous couchâmes, ayant passé pas plus que trois verstes, au bord du lac de Kaskaat. Le lendemain nous nous divisâmes en deux groupes: Galimzhan avec Mikhaïl partirent pour faire le dénombrement à Spassk et Karaganda, et nous avec Nourgaïn, nous nous avançâmes le long de la vallée de la rivière Slet.
Le lendemain nous envoyâmes un exprès à l'aoul du chef de voloste, à cinquante verstes. Ce jour-là le chef de voloste n’eut pas le temps de venir à notre appel. En l’attendant nous nous reposions dans une petite hutte au bord d’une riviérette presque sèche. Ayant entendu parler sur le dénombrement les gens locaux commencèrent à se réunir, mais nous ne pûmes pas commencer notre travail jusqu’à l'arrivée du chef de voloste et du scribe.
On vit que les gens vivaient ici beaucoup plus pauvrement, qu’au Choubyra. Le chef nous visita, ayant pris un outre de bon koumys avec lui. On égorgea un agneau âgé d'un an et l’ont mis sur zher-ochak – un approfondissement oblong pour le foyer – chaudron pour la cuisson de la viande. À côté du zher-ochak un samovar de cuivre commença à fumer épaissement. Les gens curieux commencèrent à se réunir peu à peu, à causer, à échanger quelques mots sans forcer la voix, à parler de choses et d'autres.
Il était chaud, et le koumys enivrant intensifiait la chaleur. Nous suâmes, comme du sport de combat excessif, il nous fallut déboutonner les chemises pour nous rafraîchir la poitrine.
Vers le soir le chef de voloste et le scribe arrivèrent, tous les deux fatigués d'une longue équitation, affaiblis pas le grand soleil. Les ayant vus, les gens se amassèrent à côté de notre habitation. Jusqu’à la nuit profonde avec le chef de voloste et le scribe nous nous occupâmes de la préparation du prochain dénombrement. Nous nous couchâmes tard. Les nuits d'été sont courtes et au début du jour nous fûmes réveillés par les pleurs forts tristes féminins. Je me réveillai difficilement, ces sons me semblèrent entendus dans le rêve. Mais ce moment-là je clairement entendis les lamentations des femmes et les voix rustaudes des hommes les calmant posément. L’un d'eux, étant entré dans notre masure, réveilla le djiguite nous accompagnant et prononça sans forcer la voix, avec un petit rire:
- Les femmes stupides, elles hurlent, comme des vaches. Elles se sont réunies de bon heure, font du bruit, font du boucan, pleurent, on ne sait pas ce qu’elles veulent.
En clappant les lèvres le djiguite à moitié endormi répondit:
- Ha, ce cotillon! Il a entendu une vache braire, mais il ne sait pas dans quelle étable. Les femmes montrent leur bêtise ici et là.
Je me réveillai complètement. Il devenait chaud dans la masure à cause du soleil levant. Je vis que sur la poitrines de la personne entrée une chose à une lanière tannée à la graisse scintillait, quelquechose ressemblant une médaille de cuivre grosse comme le sabot du poulain âgé d’un an. Il portait un bechmet noir avec les pattes d'épaule rouges en fines tresses, à son côté il avait un sabre en gaine plate noire avec les anneaux de cuivre. Il fut facile de reconnaître selon ses vêtements un courrier, comme ceux qui arrivaient d'habitude de la ville avec les avis urgents. Les pleurs féminins ne se calmaient pas en dehors. Je demandai le courrier en quelques mots quel était le but de son arrivée.
- Ce matin quelqu'un est venu d'Omsk ici et a fait courir la rumeur stupide qu’on va envoyer des jeunes gens au service militaire. Et encore moi, je suis venu ici. Donc les femmes stupides se sont inquiétées, - le courrier expliqua.
Je m’habillai vite, Nourgaïn suivit mon exemple.
Dans quelques minutes nous apprîmes le suivant. L'aoul, où nous nous trouvâmes, fut situé à la frontière avec le district d'Omsk. Ayant entendu parler sur le décret, selon lequel la jeunesse kazakhe serait appelée aux travaux de l'arrière, quelques djiguites effrayés s’étaient enfuis du district d'Omsk, en répandant les rumeurs sur ce que les Kazakhs seraient tous devenir soldats, ce qu'au district d’Omsk la mobilisation avait déjà commencé et qu’on avait engagé les Kazakhs non pour les travaux de l'arrière, mais pour aller directement au front. Tous les gens mobilisés allaient rencontrer la mort imminente...
Cette rumeur exagérée, embellie, amenée à l'absurdité, s’ébruita instantanément aux aouls. Et là en plus un courrier vint. Et quand les gens commencèrent à lui poser les questions, en cherchant la pacification, le courrier les excita encore plus, les stupéfia en inventant maladroitement:
- Même si vous devenez soldats, quoi donc? Est-ce que vous allez refuser? C’est le décret du tsar lui-même, vous ferez cela ou vous direz pourquoi! Vraiment, il vous vaut mieux vous préparer avec l'aide de Dieu.
Comment pouvaient les femmes rester calmes là, comment pouvaient-elles ne pas avoir peur dans les aouls!
"Oh, Allah, qu’est-ce que nous avons fait pour gagner ton châtiment!.. Comment t’avons-nous fâché! Nous te sacrifierons l'aksarybasse et le bozkaska[21], la plus chère sacrifice, sois seulement protecteur pour des malheureux!.."
Les femmes avec hurlements forts et avec lamentations commencèrent à appeler les noms de leurs fils et leurs frères, comme s’ils avaient déjà été séparé pour toujours.
On nous entoura. Sans écouter, en interrompant l'une l'autre, les femmes firent du chahut:
- Nous avons appris, que votre dénombrement est un tissu de mensonges! Vous êtes venus pour dresser la liste de futurs soldats!
- Même si vous êtes Kazakhs, vous êtes tout de même des espions des Russes, vous voulez leur vendre nos fils et nos frères!
- On vous a soudoyés!... Est-ce que vous n’êtes pas musulmans?…
- Nous ne vous dirons rien pour le dénombrement, nous ne donnerons aucunes informations!
- Revenez par le même chemin que vous avez pris pour arriver ici!
Sans écouter nos explications et nos arguments, les femmes nous entourèrent plus étroitement, en criant les souhaits pas trop flatteurs à notre adresse. Quelques-unes avaient des nagaïkas[22], les manches des pelles, ketmens[23]. Les hommes se taisent, en cachant leur vrai humeur, et ils tâchèrent de faire semblant de retenir les femmes pour donner le change. Et en realité ils les aiguillonèrent sournoisement.
Avec chef de voloste et le scribe nous réussîmes tant bien que mal à calmer la foule, à expliquer que la tâche du dénombrement etait tout à fait différente et que nous n'avions aucun rapport à la mobilisation.
Les femmes se sont calmées graduellement et commencèrent à s’en aller. Ayant rassemblé les hommes avec peine, nous commençâmes le dénombrement. À ce moment on vit que les gens ne nous croyaient pas et ils pensaient que nous cachions les tâches réelles et nous dressions en sous-main la liste de ceux qu'il fallait envoyer au front.
Quand nous nous préparâmes à continuer notre chemin, il se trouva que dans l'aoul il n'y eut aucun chariot, on nous les avaient cachés. À grand-peine le chef réussit à trouver un chariot. Le chef de voloste et le scribe allaient partir avec nous, voulant se séparer plus vite du courrier, qui apporta en effet une directive pour tous les chefs de voloste de dresser au délai le plus court possible les listes nominales des hommes à partir de dix-neuf ans jusqu'à trente-et-un ans.
Nous décidâmes d’aller au plus vite à l'aoul où habitait un médecin vétérinaire. Cet aoul, situé dans une vallée de la rivière d'Olenti, fut à deux cents verstes. Cela faisait déjà longtemps que nous attendions un chariot, c'est pourquoi le djiguite, qui nous accompagnait, partit en chercher un. Pendant ce temps-là, nous nous trouvions dans la yourte d’un bey local. Notre djiguite revint très vite, en entrant essoufflé dans la yourte et s'exclamant: "Personne ne nous prête de chariot! Un gredin m'a chassé et m’a même frappé avec sa nagaïka. Pas de chevaux ici pour nous, il ne nous reste donc qu’à y aller à pied". M'étant fâché, je décidai d'utiliser toute la totalité du pouvoir et pour menacer le bey, je sortis un crayon de la poche, et je demandai de me dire les noms du bey lui-même et de l’homme qui faisait du scandale près du zheli[24]. Mon air fâché produisit un effet: le bey donna l'ordre et dans quelques minutes on nous donna un chariot.
Nous continuâmes notre chemin. Près du zheli nous garnîmes un étalon gris à crinière épaisse du troupeau de bey et nous fîmes notre djiguite accompagnant le seller. À ce moment-là, ayant compris la situation dans les aouls, nous décidâmes d’arrêter l'activité liée au dénombrement, de venir chez le médecin vétérinaire, de lui prendre les informations générales sur la quantité de bétail et de revenir dans la ville le plus vite possible.
En passant nous remarquions que les gens locaux nous rencontraient et nous suivaient anxieusement, nous regardant de travers. Vers le coucher du soleil nous arrivâmes à un aoul solitaire pauvre. En soupçonnant que nous avions des intentions méchantes, les habitants cachèrent les chevaux d'attelage. Nous dûmes retournér les chariots prêtés chez le bey. Et on les rendit, ayant laissé pour nous seulement l'étalon gris du bey.
Après nous avoir persuadés qu’on ne nous donnerait pas de chevaux ici, nous attelâmes avec peine au chariot l'étalon, pris à l'ennemi. Il fut non dressé, violent et dès les premiers pas il nous tira à toute allure à travers champs. Le chariot craquait, les roues faisaient du bruit, en touchant à peine la terre. Le djiguite tâchait en vain de tirer les rênes, je me mis à l’aider, mais sans succès. Nous passâmes par-dessus une monticule, et là la mancelle se déchira. En en clin d’oeil le chariot se renversa, les quatre roues en l'air, quelque chose craqua et nous nous trouvâmes par terre. Personne, heureusement, ne fut sérieusesement blessé, et nous nous levâmes immédiatement d'un saut. L'étalon tirait l'avant-train à deux roues avec une limonière, il ne pouvait s'en délivrer en aucune manière, il ruait avec rage et tournoyait autour de nous. Nous réussîmes à l'attraper. On repara à la va-vite le chariot cassé, on lia la lèvre de l'étalon avec la manche de fouet, on lui banda les yeux avec un foulard, l’a attela de nouveau et on continua à s’avancer lentement.
Le jour baissait. Les crépuscules arrivèrent. Il y eut personne autour de nous, tout fut silent, la steppe sembla déserte. Le ciel fut couvert de nuages. Le chemin étroit peu fréquenté devint un sentier. l'étalon fut à bout de forces, et nous dûmes aller à pied. Le pauvre étalon tira à peine le chariot cassé. Nous nous arrêtions parfois, écoutions la steppe de nuit en esperant d’avoir vent du logement humain et nous cheminions de nouveau. Enfin le sentier disparut tout à fait, et nous nous trouvâmes au bord d’un lac séc, couvert de jonc, de scirpes et d’halophytes. Nous nous traînâmes longtemps, en trébuchant contre les mottes et en tombant aux fosses marécageuses. Il sembla que personne n’y avait encore marché. L'odeur du lac séc et de l'herbe pourrissant fut fort. Nous sortîmes du marais avec peine et nous continuâmes à aller au sud à travers champs. Les nuages épais commencèrent à s'éclaircir graduellement, le ciel se nettoya vite, et nous retrouvâmes le sentier. Notre guide resella l'étalon, et nous continuâmes à cheminer derrière le chariot.
Nous tombions de fatigue. Avant l'aube on fit une halte, on attela l'étalon, on l’attacha avec la dossière au chariot et on s’endormit à côte de lui.
Aux premiers rayons du soleil nous nous montâmes sur une colline la plus proche pour examiner les alentours et pour définir où nous nous trouvions. Le sentier trouvé dans la nuit menait à l'ouest. On vit au loin de nombreux troupeaux des chevaux. Nous rebandâmes les yeux à l'étalon reposé, le djiguite le sella, et nous nous montâmes au chariot avec Nourgaïn. Non loin du troupeau, ayant gravi une petite élévation, nous vîmes devant nous quelques aouls et nous nous avançâmes à leur direction. Deux gardiens de chevaux se détachèrent du troupeau et se mirent à galoper à notre rencontre. Nous tournâmes volontiers notre étalon martyr vers eux. Un des gardiens de chevaux attela complaisamment son cheval à notre chariot et nous accompagna jusqu'à l'aoul extrême.
Nous comprîmes qu'en nuit nous avions atteint les terres du district de Pavlodar. L'aoul commença à se réveiller. Bientôt nous fûmes entourés de tous les côtés de femmes et d’enfants, nous examinant avec curiosité et nous interrogeant, qui nous étions et d'où nous venions. En prenant en considération l'expérience triste de notre rencontre précédente, nous ne dîmes pas que nous nous occupions du dénombrement, nous nous appelâmes géomètres, prétendant devoir examiner des terres frontalières des districts d’Akmolinsk, d'Omsk et de Pavlodar. Je portai l’uniforme de maître aux boutons jaunes, et de ce fait il fut plus facile pour moi de passer pour un géomètre officier. En plus, pour être plus convainçant je décidai de prétendre ne pas savoir parler kazakh et je me mis à parler russe. Nourgaïn, ayant compris mon projet, commença à traduire mes paroles.
- Yapyrymaï! - les femmes s'étonnaient. - Mon Dieu, comme il est pareil au Kazakh!
- C'est à s'y méprendre ce fonctionnaire est un Kazakh moulé! Mais pourquoi ne parle-t-il pas kazakh?
- Son père était un Kazakh baptisé, - Nourgaïn expliqua assurément. - Cette personne ne connaît pas le Kazakh. Maintenant il visite les aouls spécialement pour faire connaissance avec la vie du peuple. Il s’intéresse de tout, probablement, une force inconnue l’attracte ici.
- Oh, un pauvret! - une des femmes soupira. – C’est pourquoi il est semblable au Kazakh, regardez ses yeux...
On nous invita à la yourte. J’étais tellement fatigué que je tombai sur les coussins tout de suite. Nourgaïn veillait. Notre guide s'occupait de quelque chose près du chariot. Pour ne pas réchauffer la curiosité des femmes, je fermai les yeux et je prétendis dormir, tandis que Nourgaïn s'intéressait aux nouvelles fraîches et faisait sortir de la yourte les gens trop curieux et loquaces.
- Monsieur est très fatigué après un long voyage, - Nourgaïn persuadait des badauds entrant dans la yourte. - c'est pourquoi je vous demande de ne pas le déranger et de partir.
Aux autres, à ceux qui étaient plus sérieux, il disait:
- En attendant Monsieur se réveiller et boire du thé, veuillez préparer les chevaux, s’il vous plaît.
Parfois Nourgaïn s'interpellait prudemment avec moi en russe, en me consultant.
Nous bûmes du thé. Le maître de l'étalon gris, avec qui nous avions souffert la nuit passée, vint et l'emmena.
Ayant pris le chariot, nous partîmes. Le temps de la prière de midi déjà passa quand nous arrivâmes chez le vétérinaire à Olenti. C’était Khoussaïn Kozham-berline, mon parent éloigné, qui était l’aide-médecin vétérinaire là. Il vivait avec sa famille. Chez lui nous nous reposames à merveille, nous passâmes la nuit et le lendemain nous prîmes la direction à Akmolinsk.
Dans un des aouls de la voloste d’Ereïmensk, où les Kazakhs du clan de Kanzhygaly habitaient, nous vîmes l'émotion extraordinaire semblable à la préparation d’une révolte. Les hommes partîmes aux chevaux quelque part, probablement, pour une réunion secrète.
Les femmes et les serviteurs de bey nous assignèrent une yourte séparée et vide pour nous nous y coucher. Nous allions au lit sans bougies, dans l'obscurité complète.
Le matin on attela pour nous un mauvais chameau à la voiture de place et on nous emporta tant bien que mal jusqu'à l'aoul voisin.
Ainsi, en trouvant à grand-peine des chariots, nous arrivâmes au bord du lac d'Achtchykol, à l'aoul, duquel j’avais déjà parlé. Les rumeurs sur la mobilisation y inquiétèrent tous. L'aoul bourdonnait comme une ruche. Les hommes aux chevaux se réunissaient en foules, et la conversation était toujours la même: les Kazakhs ne devons pas faire leur sevice militaire. Et si quelqu'un essayait de dire quelque chose de contraire, celui-là serait déclaré l’ennemi. On sentit que le peuple là était vraiment soulevé et qu’il avait l'intention d’opposer de la résistance. Nous nous rencontrâmes de nouveau avec Tolebaï, son père Barlybaï, son oncle Olzhabaï, nous les interrogeâmes en détail sur tout pour avoir une image complète de l'état actuel des choses.
On partit de là directement en ville. Chemin faisant on vit à chaque pas des groupes et des détachements des Kazakhs aux chevaux. À la mention des Russes tous crachotaient à la paume, en faisant semblant d’être tout à fait prêts à commencer la bataille acharnée. Vers le soir on s’arrêta dans un des aouls. Les jeuns gens nous rencontrèrent en nous regardant d'un mauvais oeil. À peine fûmes-nous nous installés dans la yourte de Zhakhoud, dont le fils nous connaissait, que quelques djiguites ont y firent irruption en cohue et commencèrent à nous interroger sans respect spécial: qui nous étions et quel était le but de notre visite? Nous commençâmes à parler amplement sur l'injustice du tsar russe, sur les misères de la vie des Kazakhes. Et seulement parce que l’aqsaqal Zhakhouda intervint en notre faveur et grâce à quelques injures envers le tsar les djiguites énervés partirent en paix en prononçant: "Voilà l'affaire".
Akmolinsk fut alerté. Les rumeurs paniques de plus en plus terribles se répandaient parmi les citadins avec la rapidité de l’éclair:
- En voloste de Tinalinsk on a tué le commissaire de police Ivanouchkin. Les troupes régulières arrivent d'Omsk.
- Le gouverneur Kotchoura-Masalskii arrive.
- Les Kazakhs créent l'armée, ils ont élu des khans sans autorisation, ils font des fusils, pics, haches, ils moulent des balles.
- Ils préparent les cottes de mailles et enseignent l'art militaire aux jeunes gens.
Je passai une semaine dans la ville. On n’entendit pas dans les rues d’anciennes chansons, d’ancienne gaieté. La ville effrayée fut tout oreille.
Peu de temps après, une commission de dénombrement des volostes du sud avec le médecin Asylbek Seitov à sa tête arriva. On apprit que les Kazakhs de Tinalinsk et de Temèche les avaient battus fortement, les avaient liés, leur avaient rasé les têtes, les avaient fait prier de manière musulman et les avaient incarcérés pour quelques jours, jusqu’à ce que le marchand d’Akmolinsk, le militant Zhouman rendit la commission libre.
Le gouverneur vint. Il réunit les aqsaqals, beys, chefs, beys de la steppe et de la ville. Beaucoup de petit peuple vint aussi. Le gouverneur semblable au mâle-chameau alerté prononça un discours. Les gens se trouvèrent sans bonnets, en se pressant côte à côte. Le truchement traduisait les mots terribles du gouverneur aux gens, qui écoutaient, leurs chapeaux ôtés humblement:
- Je suis arrivé ici après que j’eus entendu la nouvelle honteuse: on prétendais que les Kazakhs d’Akmolinsk ne souhaitaient pas se soumettre à l’ordre tsariste d’aller aux travaux de l'arrière et qu’ils allaient se révolter. C’est une folie, une insanité, c’est une bêtise atroce! Est-ce que les Kazakhs inarmés peuvent résister à la force de l'arme russe? Qu'ils laissent cette folie avant qu'il ne soit trop tard!… Les aqsaqals, vous êtes les gens respectés dans la steppe kazakhe. Je vous demande de partir vite aux aouls et de persuader les hommes d’aller aux travaux de l'arrière selon le décret tsariste au cours d’une semaine. Si vous n'atteignez pas ce but, ne comptez pas sur ma bienveillance. J'enverrai des troupes à la steppe, aux aouls avec l'ordre d'exterminer les Kazakhs, comme des moutons. Vous savez ce que c'est une mitrailleuse. C’est une arme qui sème les balles, comme la pluie. Mes troupes sont armées de ces mitrailleuses et faucheront les Kazakhs, comme l'herbe verte. Si vous n’arrivez pas à calmer le peuple dans le délai d'une semaine, les troupes sortiront à la steppe et fusilleront chacun, qui sera sur leur chemin. Les mitrailleuses seront établies sur les véhicules blindés, résistantes à toutes les balles. Si vous ne calmez pas le peuple dans huit jours, tout d'abord je mettrai vous-mêmes sous les verrous! Je vous donne quinze minutes pour tenir conseil, après quoi vous devez me donner la réponse décisive.
Les gens réunis eurent les mines allongées. Les aqsaqals perplexes s’assirent autour dans la cour les jambes ramenés sous eux. Ils étaient assis, ayant l'air sombre et renfrognée, et se conseillaient sans forcer la voix.
- Allons-y demander le gouverneur de nous donner un ajournement, - on endendit les voix élevées des gens les plus audacieux. – Beaucoup d’aouls se trouvent loin de la ville, nous n'aurons pas le temps d'y aller et revenir dans le délai d'une semaine.
Dans quinze minutes aqsaqals, les têtes nues, comme les brebis effrayés par les hautes eaux mugissantes, allèrent en se poussant chez le gouverneur pour lui présenter leur demande.
Le gouverneur ne consentit pas à leur donner un ajournement. Et qui oserait le contredire?…
Les aqsaqals exprimèrent à l'unanimité l’empressement de tranquilliser les aouls effervescents dans un délais de huit jours, bien qu’ils savaient que le peuple provoqué ne se calmerait pas immédiatement comme ça. Ils le savaient et ils ne résistèrent pas quand même à la colère du gouverneur menaçant, ils consentirent à aller dans la steppe.
La noblesse kazakhe se trouva au point mort. Un tournant profond fut devant elle, et les piques pointéés étaient derrière son dos. Avec l’air triste et désespéré les aqsaqals allèrent aux maisons, en soupirant et en s'exclamant: "Oh, Allah, que ferons-nous?"
Les aqsaqals et les beys partirent à la steppe aux chevaux. Je les suivis pour apprendre la situation dans les aouls, pour être au plus profond des masses.
MOUVEMENT DE LIBÉRATION KAZAKH
(1916)
En passant d'Akmolinsk à la steppe je m'intéressais de l'humeur des gens non seulement dans les aouls kazakhes, mais aussi je visitais certains villages russes. Près de la ville l'inquiétude des Kazakhs fut réservée. Certains de jeunes djiguites tenaient les chevaux sellés prêts et ils semblaient attendre, quel serait le tour des événements. En cas du malheur ils furent tous prêts à galoper vers le lieu de la résistance armée. Cependant toutes ces humeurs furent masqués soigneusement, les préparations à la révolte furent imperceptibles. On ne saurait dire si les aouls de banlieue avaient l'intention de se tourner franchement contre le gouvernement.
Mais dans les aouls un peu éloignés d'Akmolinsk, on déjà commença à parler sur ce qu’il fallait quitter doucement les places dont on avait pris l'habitude et aller plus loin dans la steppe. Le désarroi et la peur furent sur tous les visages.
Les rapports entre les Russes et les Kazakhs furent très tendues.
Les riches Russes de ville et les gros paysans de village parlant avec les Kazakhs disaient avec embarras et avec fuel: "Vous possédez une telle terre immense, vivez tranquillement, dans l'aisance, et vous êtes encore en mauvais rapports avec les Russes, vous refusez de servir le tsar!"
Mais les Kazakhs déclaraient courageusement: "Le tsar nous a pris notre terre et notre eau, maintenant il veut prendre nos gens, les envoyer sous les balles germaniques pour que des Kazakhs soient fauchés, comme l'herbe. Le tsar veut nous démolir complètement. Il vaut mieux pour nous de mourir sur notre terre natale, qu'en Allemagne éloignée!"
L'hostilité entre les villages russes et les aouls kazakhes se fut sentir particulièrement dans les endroits éloignés, de banlieue du district.
Au sud d'Akmolinsk, approximativement à cent cinquante kilomètres dans la direction vers notre aoul, sur le bord de Noura il y eut un village de Zakharovskoe. Là habitait un commissaire de police, qui était responsable pour l’ordre dans les volostes de sud du district d’Akmolinsk. Étant venu à Zakharovskoe, je vins chez le commisaire de police. En parlant avec moi il n’était pas sincère, il posait évidemment, en tâchant de montrer par tous les moyens d’avoir le cœur qui saignait pour les Kazakhs.
En retenant le sourire, je demandai au commisaire de police:
- Si vous êtes tellement préoccupés par le destin des Kazakhs, pourquoi n’iriez-vous pas aux aouls et ne donneriez-vous pas de conseils sages?
- Mais si les Kazakhs me tuent? - commissaire de police réponda. "Mais c’est vrai, - je pensai. – Les gens d'aoul peuvent descendre ce chien".
Un cocher russe m'emmena à contre-coeur du village le plus extrême à l'aoul le plus proche et, m’ayant fait descendre vite, il tourna les chevaux tout de suite dans la direction inverse.
Je me trouvai dans l'aoul de Zholboldy, où les Kazakhs d’un clan abondant de Toque habitaient. Les gens m'entourèrent immédiatement, et ayant eu le temps de saluer à peine, ils me pressèrent des questions tout de suite. J’entrai dans la yourte de l’aqsaqal Kopbey, mon proche parent.
Kopbey fut pas très bon accueil au voyageur de la ville d'Akmolinsk. D'abord sans se hâter il m’interrogea tranquillement sur la situation dans la ville, sur d'autres nouvelles pas trop importantes, et ensuite avec l’air inquiété il se mit à parler de l'essentiel:
- Qu’est-ce que les autorités russes vont faire? Est-ce que c’est vrai qu’on équipe les troupes contre nous? À quoi cela nous mène-t-il?
Dans ces lieux des Kazakhs alertés ne cachèrent pas déjà de leur mécontentement. On sentit l’empressement de se tourner contre le pouvoir russe. Les djiguites ne dessellaient pas les chevaux, ils préparèrent les piques, les haches et les matraques. Entre des aouls circulaient sans cesse de long en large des groupes des cavaliers, les matraques serrés dans les mains, les longs bâtons au niveau de genoux avec les haches aux bouts (haches de guerre). Les pointes des piques levées étincellaient au soleil. Une force inconnue leva non seulement des jeunes gens, mais aussi ceux vieux, tous se préparèrent au combat.
Les aouls aux bords de Noura choisirent sans autorisation le khan - le hadzhi[25] Alsen. On vit que rien n'arrêterait le peuple, il ne reculerait pas devant les troupes royales, sans mesurer ses forces avec celles des ennemis, même si contre les fusils, les mitrailleuses et les canons on exposerait seulement les matraques et les pics.
- Nous mourirons sans peur et sans regret, mais nous devons lutter contre le tsar russe qui s’est approprié nos terres et notre eau et qui va maintenant saisir nous-mêmes, - c’était comme ça que les Kazakhs s’excitaient l'esprit combatif.
La conversation dans la yourte de Kopbey tantôt murmurait, tantôt faisait du bruit, comme les hautes eaux de printemps. Mais on ne sentait pas de volonté de prendre une décision quelconque, de commencer à agir d’une façon indépendante. Les conversations restaient des propos en l’air.
Ayant passé la nuit dans l'aoul de Zholboldy, je me mis en route de bon matin et vers le soir j’arrivai à mon aoul. Le peuple s’y vraiment souleva. Les conversations furent bruyantes et émotionnelles. Notre aoul qui avait été autrefois pas trop laborieux, paresseux, ce jours-là laissa son ménage à l'abandon complet.
Il n’y avait pas de gens indifférents, tout le monde s’alarma, se souleva. On allait élire le hadzhi Amet khan. Et encore un ou deux hadzhis furent destinés à être ses vizirs. Les jeunes gens forgaient les piques, les poignards, les haches.
Les pointes du piques étincellaient au soleil, les djiguites galopaient en foules entre les aouls, la steppe bourdonnait.
"Il vaut mieux rencontrer la mort sur la terre, où nous avons été nés et où nous avons fait nos premiers pas, que mourir en Allemagne inconnue étrangère! Quoi qu'il arrive, nous serons prêts à nous sacrifier, nous irons à la guerre sacrée – gazavat[26]! Celui qui périra au gazaval, celui-là sera bienheureux dans l'autre monde..."
Des femmes, des enfants et des vieilles pleuraient. Des pauvres mères, qui avaient les fils arrivés à l'âge de conscription, sanglotaient particulièrement amèrement. La tristesse des mères fut comme un brouillard noir. Les enfants furent la lumière des yeux maternels. Quoi que leurs fils aillent batailler avec le "Germain" et y laissent leurs vies, quoi qu’ils commencent la bataille avec la troupe royale et périssent là - en tout cas la pauvre mère serait affligée. Le jour et la nuit elle pensait à son fils, elle était triste et pleurait à chaudes larmes.
Dans deux volostes dans le voisinage de notre aoul l’arictocratie kazakhe du clan de Kareké élut Nourlan Kiyachov pour être khan. De longues années il était chef de voloste. On répandit une rumeur sur ce que les aouls du clan de Tinali fit un détachement de quinze mille insurgés. Ils construisirent quarante forgeries et produisaient les fusils. Le hadzhi Kouanych qui était devenu khan envoya partout les messagers avec l'appel de s'unir. Et on dit que les autres clans avaient soutenu les gens de Tinali.
Au Karagach les insurgés se réunirent au détachement et déclarèrent Ospan, le fils de Tchon, leur khan. Ospan envoya les messagers chez nous.
Parmi les gens de Tinali le mollah Galaoutdin apparut. Il commença à prêcher: "Les Giaours seront vaincus. J'irai devant notre troupe, et les balles ne blesseront personne". Après le clan de Tinali les aouls de Tourgaï se soulevèrent et élurent aussi le khan. Les aouls d'Atbasar suivirent leur exemple.
Le peuple s'inquiétait. L’une après l'autre se répandit les nouvelles sur la révolte qu’on préparait. Les Kazakhs décidèrent de résister à tout prix à la mobilisation tsariste. Il devint évident qu’il n’était pas possible de calmer l'agitation du peuple sans accident, sans conflit armé. Il y aut partout des mollahs prêchant la charia[27] instamment. Les mollahs appelaient tous à prendre part à la guerre sacrée contre le tsar. C’était le devoir de chaque musulman de participer au gazavat. Si le tsar avait violé sa promesse de ne pas faire les Kazakhs aller au servire militaire, ce n’était pas un péché de lutter contre lui. Un mollah Koumisbek apparut et lanca un appel: "N’ayez pas peur vous, les musulmans, vous vainquez! Si les soldats tsaristes lèvent les fusils, la poussière leur obscurcira la vue. S'ils tirent, les balles s'envoleront au ciel".
Le peuple le croyait et faisait chorus avec lui: "Que le Dieu le donne!"
Les rumeurs furent invraisemblables. D’après ce qu’on disait un vieux berger vit Anouarbek, le sultan turc. On apprit que le sultan savait voler. Il s’approcha en volant en avion au troupeau du vieux berger et il atterrit. Le vieillard eut peur, mais Anouarbek s’approcha de lui vite et le calma: "N’aie pas peur de moi, je suis Anouarbek. Je suis venu ici pour regarder ce qui se passe dans les aouls. Dis à tous les Kazakhs, qu'ils ne craignent rien, je viendrai encore. Et maintenant je dois me presser". Et on disait que le sultan s'était envolé.
On endendait à tout moment: "Il faut nous unir avec les gens de Tintali. Il est temps de nous préparer sérieusement".
Très vite je me persuadai qu'aucune persuasion des aqsaqals, envoyés par l'ordre du gouverneur d’Akmolinsk ne produirait pas d’effet. Les gens ne les croiraient pas.
"Ce serait mieux que les jeunes djiguites kazakhs fassent leur service militaire, - me disais-je. - Ils apprendraient l'art militaire et le maniement des armes, pour ensuite se soulever contre le tsar". Mais de telles considérations ne seraient guère convaincantes dans une situation tellement tendue.
En observant ce qui s'était passé, je remarquais que beaucoup de gens n’étaient pas avides de combat mortel, plus tâchant de montrer leur caractère belliqueux à la distance, et le mieux de partir purement et simplement plus loin. La plupart d’eux voulait pas lutter, mais seulement éviter le recrutement.
On commença à répandre des bruits sur ce que les troupes étaient partis de la ville à la steppe. La transmigration des aouls situant auparavant près des villages russes, intensifia la panique aux aouls, qui avaient décidé de rester sur places. On commença à menacer les chefs de voloste: "Ne présentez pas de listes des conscrits!" On tâchaient de ne pas laisser les chefs de voloste passer en ville. Le fils de notre ancien chef de voloste fut retenu sur le chemin à l'usine de Spassk par le vizir du nouveau khan:
- Où vas-tu?
Celui-là répondit qu’il allait à l'usine.
- Que-est ce que tu dois faire à l’usine?
- C'est unique!- le fils de voloste s'exclama. Le vizir l'a frappé avec sa kamcha[28] et prononça: "Tiens, ce tunik[29]". Il il battit le fils du chef et le fut revenir.
Les aouls s'inquiètaient, la panique s'accroissait. Il y eut des bruits courant sur ce que les troupes se soulevèrent contre les gens de Tinali. Les djiguites chevaliers continuèrent à caracoler, à brandir les armes, mais ils ne montraient pas de grande volonté de soutenir les gens de Tinali. Il semblait que le chagrin et les larmes des enfants, des vieillards et des femmes augmenteraiont et cela était seulement le début. L’état de moral des gens fut tel qu’ils furent prêts à courir à corps perdu à l'instant. Qu'après le combat avec les soldats tsaristes les cadavres des tués restent sur le sol natal, mais les vivants doivent prendre la fuite aux régions lointaines. Il n’y eut pas d’autre solution - seulement la fuite. Adieu, la terre natale! Adieu, les ruisseaux et les rivières!
On n’eut pas de forces de regarder tranquillement le peuple soufrir. On entendait les exclamations tristes des mères, des vieillards et des fiancées, on voyait de jeunes djiguites vigoureux qui étaient condamnés à mourir au combat avec les troupes tsaristes, et le brouillard noir couvrait l'âme. Il semblait que le coeur allait se déchirer de désespoir avec le tintement calme et triste, comme les cordes de dombra tendues au maximum se déchirent. Les gens s’agitaient inconscients de leurs actes.
Les uns, comme après avoir obéi à la force aveugle de la fatalité, se préparèrent patientement à la mort, en se taisant, les autres, plus sages, tâchaient de faire quelque chose, mais tout de même ils furent pris par la panique et s'agitaient, sans savoir ce qu’il fallait faire. Le peuple s'agita, comme la mer pendant l'ouragan noir. Le ressac battait avec mesure en sonnant cotonneusement, les vagues écumaient, et il n'y avait pas de force pouvant calmer la violence des intempéries...
J’étais dans la maison paternelle, sans savoir ce que je devais faire, où aller, à quoi arriver. Ma mère pleurait. Mon frère pleurait aprés avoir décidé stoïquement de rencontrer la mort au combat sur la terre natale.
Je m’adressai à un riche parent avec la demande de me donner le chariot pour partir à Zakharovka. Il me refusa. Si les pauvres pensaient ces jours-là à leur sauvetage et oubliaient l'économie, les beys se souciaient avant tout de la guarde du bétail, des troupeaux de chevaux et des troupeaux de moutons. Les destins des gens les intéressaient pas trop. Un autre parent me refusa aussi, bien que l’un comme l’autre ait eu dans son troupeaux près d’une mille chevaux. Ils ne purent pas m’en donner aucun. Je dus m’adresser à ceux qui étaient plus pauvres. L’un me donna un chariot l’autre me donna deux chevaux et avec Sataï Zhankouttiev nous partîmes pour la ville.
C’était le mois d’août, le temps de la récolte. Vers le fin du jour nous arrivâmes vers les puits sur le bord occidental de la rivière d'Esen et nous vîmes qu'un aoul qui était venu ici mettait les yourtes précipitamment, avec agitation. Tous les hommes furent aux chevaux. Le bétail hurlait à côté du puits, les chevaux et les chameaux se mélangèrent, les vaches et les brebis aussi. Les enfants couraient, les femmes s'agitaient, en installant à la hâte les huttes et les yourtes. Les ustensiles, les ballots avec les biens domestiques furent rejetés sur la terre n'importe comment. Nous réussîmes avec peine à apprendre que nos parents s’installèrent là, c’était le même aoul de Zholboldy, dans lequel j’avais fait halte en allant de la ville.
Pour la nuit nous nous réfugiâmes dans une des huttes, nous interrogeâmes en détail les gens sur les raisons de ce déplacement tellement urgent. On apprit que dans la journée on avait eu un conflit armé avec vingt-cinq soldats russes venus à l'aoul avec le comissaire de police de Zakharovka à la tête. Les soldats étaient venus pour demander de rendre douze chevaux, qui avaient été volés dans un des villages russes. Les maîtres des chevaux disparus étaient venus avec eux. Mais puisque les habitants de cet aoul n'étaient pas coupables (les chevaux avaient été volés par quelqu'un d'un autre aoul), ils avaient refusé de répondre du vol et les soldats avaient ouvert le feu et avaient blessé deux chevaux. Les Kazakhs avaient répondu, et les balles s’étaient mises à pleuvoir de l’un part et de l’autre. Les soldats avaient dû partir bredouille, et les Kazakhs s’étaient déplacés vite sur une autre place, ayant capturé un yessaoul[30] kazakh avec le cheval à l’harnachement en argent riche.
Pendant la conversation nous apprîmes que les mêmes vingt-cinq soldats avaient retenu une caravane du clan de Choubyrtpaly. Une grande caravane (trois cents chameaux) transportait des vivres et avait tâché d'opposer de la résistance aux soldats. Le caravanier principal, le petit-fils d’Agybaï-batyr, un brave inarmé, ayant mis son cheval sur les hanches, avait pris le galop vers les soldats armés en appelant: "Agybaï!" Les caravaniers, certainement, avaient été taillés en pièces. Le commissaire de police avait tué deux caravaniers, et les demeurants, battus et mutilés, avaient été conduits à Zakharovskoe pour être détenus. Le cheval gris à l’harnachement en argent, pris par les Kazakhs avec l’yessaoul, était le cheval du petit-fils d’Agybaï-batyr.
Ayant appris que nous allions à la ville, les gens d’aoul nous demandèrent de passer une lettre au commissaire de police où ils expliquèrent qu’ils n’avaient pas été liés à la disparition de douze chevaux et demandèrent de ne pas les poursuivre en vain. Si les autorités condamnaient cet aoul-là à compenser les pertes, ils étaient d'accord bon gré mal gré d’obéir, qu’on seulement leur donnent le temps pour la recherche des vrais voleurs de chevaux.
Nous fîmes l'arrêt suivant dans l'aoul d'Ousabaï.
Là trois messagers qui étaient partis avec nous de l'aoul de Zholboldy, écrivirent la lettre au commisaire de police, la scellèrent avec le sceau d'Oussabaï. À midi nous partîmes de l'aoul de bey Oussabaï situé au bord d'Esena, nous allâmes à travers champs et vers le soir nous arrivâmes au dernier village russe de Koskopa, d'où douze chevaux avaient été volés par les inconnus.
Dans le village nous demandâmes le premier venu où nous pouvions passer la nuit. Celui-là nous diriga à l'auberge. Nous arrivâmes vers l'auberge et tout de suite nous fûmes entourés par les moujiks[31] russes. Nos entendîmes les jurons bruyants et nous vîmes devant nous les yeux fâchés, étincelant méchamment. Soudain deux soldats vinrent et commencèrent à nous crier: "Vous êtes espions, nous vous arrêterons!" Il nous fallut descendre du chariot. Les moujiks prirent immédiatement possession de nos chevaux. On nous amena à la maison, où peu après le chef vint et se jeta sur moi tout de suite:
- Qui es-tu ?
J’expliqai. Les moujiks nous cernèrent encore plus fort.
- Non, tous ça c’est un tissu de mensonges! – le chef criait. - Nous savons que tu es chef des mutins, tu es venu ici de t’informer de notre position! Vous allez attaquer notre village! As-tu les documents avec toi?
Je lui montrai les documents. Le chef les lut et se calma un peu, mais les moujiks ne se tranquilisaient pas:
- Il a pu falsifier les documents! Ce sont les espions kazakhs, il faut les tuer!
- Avec les haches! Il faut les tuer à coup de hache! – on entendit les voix violentes.
On fit du bruit. Fâchés par le vol des chevaux et par le conflit avec l'aoul, les moujiks insistaient sur notre peine de mort.
"La voilà, la mort! – je pensai brusquement. - Contre toute attente. Il suffit qu’un homme lève la main, et la foule furieuse qui a perdu la ressemblance aux êtres humain nous mettra en pièces..."
- Tu es responsable ici, - je dis, en m'adressant au chef - quoi qu'il nous arrive, c’est à toi de répondre devant la loi. Avec tes propres yeux tu as lu mes documents signés par l'inspecteur de l'instruction publique d’Akmolinsk. Seulement toi, tu reponderas pour tous les maux dont nous souffrirons ici. Si tu as besoin de moi, tu peux donner l’ordre, et je ne m'enfuirai nulle part.
Le chef réfléchit quelque instants. Les moujiks continuaient à crier, en demandant notre mort.
Le chef ne put pas se retenir de dire: "Silence! Je ne vais pas paraître à la barre à cause de vous!"
Sous le cri terrible du chef les moujiks se calmèrent considérablement. Le plus âgé des soldats nous fit les poches et nous déposseda de nos couteaux. Après avoir fouillé dans nos coffres, il prit les papiers et les documents. Puis il plaça deux soldats pour nous guarder, et dit aux moujiks de partir.
Les soldats nous gardaient vigilamment toute la nuit. De temps en temps le chef entrait chez nous accompagné par deux ou trois moujiks et un soldat. Ils s'assoyaient à côté de nous et avaient conversation entre eux-même, en souhaitant évidemment pour que nous les entendions: "Trois cents soldats sont arrivés d'Akmolinsk... Et dix mitrailleuses... Installées dans les rues... Il faut maintenant les tenir ici tout temps..." Peu à peu je commençai à parler avec eux. Mon compagnon Sataï prêtait l'oreille à la conversation et, sans comprendre le russe, il palpitait de peur. Pendant que les moujiks étaient ici, je ne pouvait pas l’aider. Mais dès qu’ils furent partis, je tâchai de calmer Sataï, lui ayant dit qu’il y avait rien à craindre. Il se tait, muet de la peur. Selon l’air farouche des moujiks on put facilement comprendre qu'ils furent déterminés à nous faire du pire mal possible.
L'hostilité entre les Russes et les Kazakhs ces jours-là s’aggrava particulièrement, on sentit que ce serait guerre à outrance. Il y avait déjà été quelques cas des meurtres des gens trouvés seuls parmi les Kazakhs et parmi les Russes.
Nous nous couchâmes au plancher, les soldats étaient assis...
Le matin le chef avec deux moujiks et un soldat armé nous conduisirent chez le commisaire de police au village de Zakharovskoe. Au midi non loin du village, à côté des collines nous remarquâmes une caravane des chameaux. Les soldats avec les fusils furent aux chameaux. C'étaient les mêmes chameaux, dont des charavaniers, arrivés de Karkaralinsk pour acheter des produits, furent dépossédés. À ces chameaux les soldats protégeaient Zakharovskoe contre les attaques des Kazakhs.
On nous conduisit chez le commissaire de police, à celui-là, auquel j’avais eu l'honneur de faire connaissance chemin faisant d'Akmolinsk à l'aoul.
Le commissaire de police sortit presque en courant à notre rencontre, il commença à nous poser les questions et, ayant appris ce qu’il avait, il éclata de rire. Avec le chef à sa tête, l'escorte, en voyant que le commissaire de police nous libéra et n'eut pas l'intention de prendre les mesures sévères, parti mécontent et penaude.
Nous entrâmes à la maison de commissaire de police, et je lui passai la lettre des gens de Zholboldy à propos la disparission de douze chevaux.
Je m'intéressai tout de suite à la situation avec la caravane de trois cents chameaux, je demandai, si le commissaire de police n’allait pas permettre à la caravane de suivre son chemin. Il répondit qu'il avait envoyé un rapport correspondant à la ville et attendait la réponse arriver ce jour-là ou le lendemain.
Le commissaire de police accorda ma demande de me voir avec quelqu'un des caravaniers. On fit entrer deux hommes. L’un fut fortement battu. Je lui parlai, tâchant de le consoler comme je pouvait.
Ayant reçu les nouvelles d'Akmolinsk, j'obtins le papier justificatif pour les gens de mon clan et, l’ayant remis à Sataï, je le demandai d’aller à l'aoul...
À Zakharovskoe je ne vis aucun Kazakh à loisir, on fit tous partir à une place et on plaça des sentinelles pour les guarder. Personne ne fut laissé s’approcher d’eux. Plusieurs furent déjà fusillés, les caravaniers attendaient leur destin.
Toute la journée je ne sortis pas dans la rue. Je ne pus rien comprendre dans la situation actuelle. Je n’eus personne à lui partager mes doutes et mon inquiétude à propos le destin des Kazakhs simples. Qu’est-ce que les attendait?
Il était difficile de rester seul. Comme si tu t’étais perdu et tu était seul au bout du précipice.
J’entrai à la boutique, dont le maître était le Tatar Karim Mouksinov. La femme du maître, une femme d'environ cinquante ans, vieillie avant l’âge, sortit pour me rencontrer et m’invita chez elle. J’entrai. Le maître n’était pas à la maison, il avait parti à la ville pour les affaires. Avec la maîtresse vivaient sa belle-soeur et son fils d'environ douze ou treize ans. Deux fils aînés faisaient leur service militaire. S’étant rappelé d’eux, la femme s'attrista. Nous avions une longue conversation avec elle sur les temps rudes et buvions du thé sans nous presser. J'aperçus un accordéon à deux rangées de boutons et je demandai qui en jouait.
- C’était mon fils aîné qui en jouait, - la femme repondit. – Et maintenant l'accordéon est délaissé. Mon fils cadet apprend à en jouer peu à peu. Si vous voulez l’écouter, il jouera...
Je voulus écouter un quï.
Le garçon prit l'accordéon et commença à jouer une mélodie mélancolique et triste. Les sons coulèrent vibrants et tendres, attristant comme des sanglots, sanglotant impétueusement. Nous nous tûmes avec la maîtresse, fascinés par la musique.
On disait que l'âme dégela, s'assouplit. Je vis la femme commencer à essuyer les larmes avec sa manche. La tristesse paralysa mon coeur, mais je tâchais de résister, de ne pas souffrir. Le quï triste, pleurant m’entraînait, ne me laissant pas sortir de sa captivité triste. Je ne pus plus le supporter, je plus, sortis dans la rue et allai chez moi.
Quand un tel malheur vint-il sur notre terre? Pourquoi ne fûmes-nous pas à côté de notre peuple et ne soulageâmes pas ses souffrances? La connaissance de sa propre impuissance fit saigner le coeur.
Le lendemain le courrier vint chez le commisaire de police avec l'ordre d'Akmolinsk d’emmener les caravaniers emprisonnés à Akmolinsk.
Je décidai de suivre les caravaniers, d’apprendre ce qui les attendait dans la ville et, si je pouvais, de les aider.
Je vins à Akmolinsk. Ce fut déjà le temps d'aller selon ma nomination à l'école de Bouglinsk, mais je n’hésitai pas, j'errai dans la ville dans l’attente des nouveaux événements importants.
On mit les caravaniers sous les verrous au sous-sol froid. J’achetai une mouton, l’égorgai et j’allai porter des colis (la viande et le pain) aux caravaniers.
Et des troupes tsaristes allaient à la steppe infiniment. Les prisons municipales furent remplies de Kazakhs capturés pendant les raids aux aouls. Beaucoup de gens innocents furent fusillés sans forme de procès. On ruinait les aouls, volait le bétail, tuait les djiguites, violait les jeunes filles. Quelques "khans" frais émoulus furent mis sous les verrous. On arrêta le hadzhi Alsen et deux fils de Tchon. Et on aménait sans cesse de nouveaux prisonniers et des "criminels" de la steppe. On commença à les faire descendre aux sous-sols des maisons en pierre. On disait que les surveillants de prison battaient les "instigateurs de la révolte" chaque jour, interrogeaient les "khans" sans cesse et les battaient aussi, malgré leurs titres honorifiques. Le hadzhi Alsen fut battu à la mort en prison.
Les aouls situés près de la ville qui n'avaient pas eu le temps de partir consentirent à envoyer leurs djiguites au service militaire. Le commandement donna l’ordre aux chefs de ces aouls de venir à la ville.
Il y eut beaucoup d'ornements précieux et de ustensiles chers pillés aux aouls kazakhs. À Akmolinsk ces jours-là il y eut soudain des masses de tapis, feutres, samovars, bols, manteaux en fourrure, selles en argent, harnachements, bracelets en argent, anneaux et d'autres objets chers.
Les soldats en automobiles partirent aux aouls du clan de Tinali, où, d'après ce qu'on disait, une troupe de quinze mille d’insurgés s’avait formée.
Derrière l'aoul de Tchon, sur le terrain de Karagach, il y eut l’aoul de Konek, où habitaient les Kazakhs du clan de Toque qui était proche de nous. Là le chef de voloste était Omar surnommé Takyr (Nu) pour ce qu’il eut peu de bétail en comparaison des beys locaux. Une fois sept soldats avec un sous-officier à la tête vinrent dans l'aoul du Takyr-Omar. Celui-là les attira frauduleusement à sa maison et là il les tua tout les sept avec le sous-officier...
Dans le clan de Kanzhygaly le chef de voloste Olzhabaï dirigea les troupes aux aouls, qui n'avaient pas soutenu la candidature d’Olzhabaï pendant les élections du chef de voloste. Les soldats brûlaient les refuges d'hiver et fusillaient les gens innocents. Les gens commencèrent à fuir aux endroits éloignées et peu connues. Les malheureux se sauvaient, sans avoir le temps de prendre les malades, les vieillards avec eux, et parfois ils laissaient de petits enfants aux berceaux. Certains aouls, en quittant les places natales, cachaient tous les objets précieux aux sépulcres. Les soldats flairèrent cette ruse et commencèrent à fouiller les tombes fraîches, en sortant les objets, et parfois ils troublèrent le repos des vrais morts.
Les yeux humains n’avaient pas encore vu ce que se passait aux aouls où les troupes tsaristes passèrent. Il y eut beaucoup de gens fusillés, de femmes et de jeunes filles violées et battues, et d’enfants restant orphelins. Les habitations furent bouleversées, on appropria tout ce qui était précieux, et ce qui on ne pouvait pas emmener, on le détruisit et cassa. Comme si la peste noire vint dans la steppe...
Une fois je rencontrai dans la rue l'enseigne de cosaque Zyrianov avec qui j’avait fait la connaissance au séminaire. Il était venu d’arriver de la steppe. Il se trouva, qu’on l’avait dirigé chez nous d'Omsk pour étouffer la "révolte des Kazakhs". Dans la conversation avec lui je demandai s’il avait tuer aussi? Ayant éclaté de rire, Zyrianov a répondit:
- J'ai sabré moi-même seulement cinq personnes.
Voici quelle eut la situation dans la steppe, voici quels gens y furent envoyés!
Je’allai à l'école d’aoul de Bouglinsk, qui venait de souvrir. L'aoul était tranquille, se trouvant à soixante verstes d'Akmolinsk.
Je m’installai ici, réunis les enfants et procédai aux études.
Quelques jours passèrent. Peu à peu tout devient relativement calme dans les aouls plus proches, et les détachements de soldat commencèrent à revenir en ville. Les aouls du clan de Tinali ne se tranquillisèrent pas et quelques d’autres aouls disposés aux coins perdus du district ne se tranquillisèrent non plus.
La régence de la province et les autorités de district continuèrent à rester sur leurs positions.
L'appel aux travaux de l'arrière des djiguites à partir de dix-neuf ans jusqu'à trente-et-un ans ne fut pas annulé. Dans le district d’Akmolinsk dans trois places il y eut des bureaux de recrutement subordonnés directement seulement à Akmolinsk. Les chefs de voloste commencèrent à présenter les listes des conscrits. La panique commença aux aouls de nouveau. Les riches et les pauvres, tous se donnèrent du mal pour la même chose: éviter l'appel, payer leur indépendence, graisser la patte à un chef pour leur fils ou leur frère. Les concussionnaires eurent des intermédiaires, des courtiers serviables. Les chefs de voloste, beys, chefs, tous les fonctionnaires se sentirent plus sûrs qu’auparavant, ils commencèrent à trouver sans effort une franche lippée.
Il n’y avait personne à prendre la défense du pauvre, il n’avait rien à payer son indépendence, il ne pouvait pas graisser la patte cupide de l'intermédiaire du chef ou du bey. Et cependant parmi des fils de bey les gens "inaptes" au service militaire devinrent de plus en plus nombreux, parce que les beys ne ménagèrent pas le bétail pour sauver leurs fils et leurs parents.
Les délégués et les solliciteurs se portèrent en foules des aouls à la ville. Le chagrin encore plus grand vint aux aouls tranquilles et calmés. En voyant qu’il était impossible d'obtenir justice ni pas l’indignation, ni par les demandes humbles, le peuple comprit seulement à ce moment-là toute la profondeur de son malheur.
Les aouls éloignés continuèrent à résister et à retenir leurs djiguites. Dans notre voloste seulement quarante ou cinquante personnes parmi deux mille familles se trouvèrent en bon état. Les autres, ceux qui avaient graissé la patte mieux, obtinrent un délai.
Les fonctionnaires n'eurent tout à fait ni foi ni loi, écorchèrent le peuple. Ce fut de la rigolade pour un grand bey de donner aux mains avides de chef ou de bey une partie de son bétail. Et les pauvres restèrent tout à fait ruinés.
Nos djiguites furent appelés aux travaux de l'arrière à l'usine de Spassk. L'intendant de voloste, après s’étre accordé avec le bey Seïtkemelev habitant à Spassk, mit un grand pot-de-vin aux autorités, et après cela ils géraient les djiguites de volostes, comme ils voulaient. C’étaient seulement les pauvres qui allaient au service militaire. Les concussionnaires ne se gênaient de personne, se portaient franchement aux excès, tout leur fut permis, ils n’eurent aucun honneur, aucune conscience, ils furent inaccessibles à la compassion.
J'écrivis au chef de district d’Akmolinsk une lettre anonyme. Dans la lettre je racontai de l’arbitraire et des excès, de l'avidité effrénée des fonctionnaires, j'écrivis que les marchands pris de l'audace, en profitant de l'occasion, achetèrent le bétail bon marché, donnèrent l'argent au Kazakh malheureux, qui en eut besoin pour donner le pot-de-vin, payer son indépendence.
À la fin de la lettre, pour donner du poids, j’ajoutai que tôt ou tard, mais la justice devait triompher et que les bêtes-fonctionnaires répondraient un jour pour leurs traitements avilissants.
Ayant quitté l'école, je repartis pour Akmolinsk. La situation y était aussi mauvaise, les habitants étaient inquiétés. Les marchands furetaient, en se dépêchant de s'engraisser aux frais du peuple malheureux.
Dans la maison de Moussapir quelques Kazakhs se réunirent. Je tentai de les calmer: "Ne cédez pas à la panique, tâchez de vous tenir tranquilles, autrement vous périrez pour rien".
À Akmolinsk les djiguites-conscrits maussades flânaient, cherchaient du koumys aux maisons, s'alcoolisaient, chantaient les chansons, faisaient du bruit, pleuraient, exactement, comme les conscrits russes avant le recrutement. Ceux-là s’étaient promenés avec l'accordéon, et ceux-ci ajoutèrent encore à l'accordéon et une dombra.
Une fois jeunes jiguites saouls me prirent avec eux.
Avec l'harmonica et les chansons nous passions de l'un marchand de koumys à l'autre et buvaient du koumys. Les djiguites chantaient plus souvent les chansons tatares mélancoliques et tristes. Ils pleuraient et chantaient les chansons kazakhes à la manière de celles tatares:
... Le tsar a eu besion de moi,
Quand j'ai eu vingt ans,
le tsar a eu besion de moi.
Je ne connais pas les mélodies plus tristes et affligés, que celles tatares.
On entra à la maison, où quelque jeunes djiguites étaient assis et buvaient de la bière. L’un d'eux jouait de l'accordéon, les autres chantaient en désordre. Un djiguite nommé Kilybaï, connu à Akmolinsk comme un homme à femmes, et qui, comme j’appris peu après, "n’était pas tout seul dans sa tête", fit irruption dans la pièce. On fit Kilybaï s’assoir tout de suite, on lui offrit du vin et on le demandèrent de chanter. Celui-là ne fit sa coquette, il chanta, puis il but et poussa un haut han. Après devenu pris de boisson, il assit près de moi, m’embrassa et pleura: "C’est mon tour de devenir soldat..."
Je m’étonnai: pourquoi devait-il aller au service militaire? Kilybaï semblait beaucoup plus aîné que les gens qui avait l’âge de conscription.
- Est-ce que tu n'as pas encore trente-et-un an? - je demandai.
- Si, maudit soit cet âge, mais tout de même je dois devenir soldat.
Et Kilybaï raconta, ce qui s'était passé avec lui. Ce soir-là, quand les scribes allaient porte à porte et faisaient le liste des djiguites à partir de dix-neuf ans jusqu'à trente-et-un ans, Kilybaï faisait le joli cœur dans une compagnie des jeunes filles. Les scribes entrèrent et commencèrent à inscrire les noms, les prénoms et l'âge des djiguites. Tout le monde connut bien Kilybaï selon son nom et on lui demanda, quel âge il avait. Celui-là eut honte de dire son âge véritable en présence des jeunes filles et il dit qu'il avait vingt cinq ans. Alors voilà comment il fut inscrit dans la liste des gens pour les travaux de l'arrière.
- Les gens ne comprennent pas de plaisanteries, - se chagrina Kilybaï.
- Mais pourquoi tu n'as pas corrigé cet erreur plus tard? - je m’étonnai.
Complètement ivre, en confondant les mots russes et kazakhes, Kilybaï expliqua avec peine:
- Je me suis rendu compte mais c’était déjà trop tard. On dit qu’il est impossible de faire correction.
Voici comment parmi les événements tristes se trouvaient parfois et les cas gais.
Une fois je vins accompagner un nouveau groupe des gens mobilisés pour les travaux de l'arrière. On se réunit près d'une grande maison en brique, dans laquelle une boutique s’était trouvée autrefois. La rue devant la maison était embouteillée par les accompagnants. Il y avait un bruit incessant, le brouhaha, les pleurs, les gens entraient et sortaient de la maison constamment, ils cherchaient on ne savait quoi, ils s'inquiètaient en attendant l'envoi. Mais voilà une file des chariots apparut accompagnée par des soldats. Les chariots s’arrêtèrent à côté de la maison rouge. Les gens se turent, en attendant anxieusement ce qui passerait ensuite. Les soldats entrèrent à la maison et dans quelques minutes commencèrent à en sortir l'un après l'autre les djiguites mobilisé et à les mettre dans les chariots. Et tout de suite, sans dire adieux on démarrèrent, en emmenant les djiguites loin de parents et de proches.
Les pleurs et les cris recommencèrent, tout le monde pleurait. Les femmes malheureuses, comme prises par la folie, criaient, couraient après les chariots.
Le lendemain je revins à l'école de Bouglinsk.
Les jours passaient... L'hiver arriva. De temps en temps j’avais l’occasion de lire les journaux russes, je suivais les événements se passant à Moscou en rapport de la Douma[32] de Petrograd... Les ministres commencèrent à se succéder... Le coeur pressentait quelque chose, attendait avec inquiétude, alarmé par l'attente des grands changements...
Et soudain une nouvelle arriva comme un coup de tonnerre dans un ciel serein: le régime tsariste tomba!
PREMIÈRES ANNÉES DE LA RÉVOLUTION
Il y eut peu de Kazakhs, qui, ayant entendu du renversement du tsar, ne s’en réjouissaient pas. La jeunes gens kazakhs, surtout travaillant, se livrèrent à une joie exubérante de cette nouvelle. Bien sûr, la nouvelle sur la révolution ne plut pas à ceux comme Nourmagambet et aux valets tsaristes semblables à lui.
À l'exception d’une poignée de "citoyens honorables", tous les Kazakhs détestaient le tsar. Le tsas bafouait les gens, les dépossédait de la terre, recrutait les jeunes gens, offensait les sentiments religieux des Kazakhs. C'est pourquoi à celui qui luttait avec l'autocratie russe le peuple kazakh souhaitait tous le biens possible et un plein succès. Quand la Russie perdit la guerre avec le Japon, dans la steppe kazakhe on disaient avec satisfaction: "Prends ça dans les narines!.." Et les événements de 1916 infligèrent une blessure au peuple, la blessure inoubliable et incurable, les coeurs des gens saignaient.
Ces jours-là je commençai à recevoir les lettres d'Omsk et d’Akmolinsk de mes anciens amis pertageant ma vision. Dans les lettres ils se réjouissaient infiniment du détrônement du gouvernement tsariste, me parlaient sur leur participation active aux réunions mouvementés et les meetings monstres. En s’étant passionés par l’action politique et sociale, ils se précipitèrent pour defendre tous les Kazakhs en général, sans distinction, sans les diviser en classes. Certes, dans les débuts beaucoups de gens ne comprenaient pas l'essence de la lutte bolcheviste...
Je vins immédiatement à Akmolinsk. Le trait distinctif de cette période était la multitude de différentes réunions et les meetings. Les logomachies éclataient chaque jour, on élisait presque chaque deuxième jour des nouveaux comités et des bureaux. Il y eut des tribuns frustes, des chefs-péroreurs montant à la tribune à tout propos. Les gens médiocres qui ne s’étaient distingués autrefois par rien, se précipitaient furieusement aux batailles d'orateur, tâchaient de dire le mot à propos et hors de propos.
Des anciens commis, épiciers, trafiquants, professeurs, travailleurs techniques, scribes, interprètes, petits fonctionnaires, aides-médecins vétérinaires, médecins et d’autres - tous furent partie de la lutte, tous s'empressaient de prendre parole au nom du peuple et jouer le rôle des chefs.
Les citoyens d'Akmolinsk se partagèrent en groupes. Des cosaques russes, des bourgeois, des musulmans (les Tatars et les Kazakhs), des professeurs, des soldats de la garnison et des hommes de travail - chaque groupe faisait ses propres réunions isolément. Au lieu des anciens commissaire de police le comité de coalition fut élu pour gérer les citoyens et les habitants de steppe. On déplaça le chef de district, et on fixa à sa place le commissaire, on déplaça les chefs des paysans.
Je vins à la ville tout justement vers le jour des élections dans le district du comité municipal de coalition.
Les "leaders" kazakhs municipaux pour faire des élections se réunirent à la médersa[33].
Je fus présent à cette réunion. Dans une grande salle bondée de la médersa les gens prenant parole, en général c’étaient les jeunes Kazakhs instruits, parlaient sur le même sujet: qu’est-ce qu’on va faire? Le tsarisme tomba, le peuple obtint la liberté politique, et la masse nationale auparavant abrutie ne savait pas à ce moment quoi faire et comment vivre.
Qui continuerait à diriger, à gérer le peuple dans la steppe? Qu’est-ce qu’on allait faire avec les anciens intendants de voloste? Est-ce que les représentants d’aoul entreraient au comité de coalition? Et si oui, combien de personnes et avec quels droits?
Les orateurs parlaient beaucoup, confusément, vaguement, tournaient autour du pot. Personne n’avait d’expérience politique, chacun interprétait tout à sa guise, donc tous discutaient à l'infini... Et les gens partirent bredouilles, ayant décidé de se réunir encore une fois le lendemain.
Le lendemain les Tatars et les Kazakhs se réunirent dans la médersa ensemble. Les orateurs les plus émotionnels et actifs furent deux Tatars: Seit Latypov et Charip Yalymov. Les marchands modestes avec les langues bien pendues, ils se sont trouvèrent dans le rôle des chefs parmi nous et prirent la parole parlant sur leurs propositions et leurs exigences de part de tous les musulmans. De grandes riches tenaient conseil séparément.
Et cette fois-là la réunion se pencha sur le même problème: les élections des candidats au comité municipal de coalition de district. Y durent entrer les représentants de différentes nationalités, de différents groupements de classe, de différentes castes. On reçut l’instruction advimistrative: proposer au comité les mêmes quantités des représentants du peuple, quelque soit le nombre des électeurs, c'est-à-dire en parties égales des musulmans, des cosaques russes, des bourgeois, des habitants du faubourg, des soldats, des professeurs. La plupart de gens, à l'exception des cosaques russes, ne fut pas d’accord avec une telle condition. C’est cette question qu’on discutait à la réunion dans la médersa.
- J'appelle tous les Kazakhs et les Tatars, tous les musulmans s’opposer à une telle situation, disait Seit Latypov. - Nous sommes en majorité, c'est pourquoi nous ne pouvons pas participer au comité à l'égal des représentants des petits groupes, de la population russe. Qu'aient lieu les élections générales sans restriction. Celui qui recevra la majorité des voix au scrutin secret, sera le membre du comité.
Les murmures approbatifs parcoururent la masse des participants de la réunion.
- Demain, - Latypov continuait, - le commissaire arrivé d'Omsk pour la tenue des élections doit réunir des électeurs dans l’ancienne municipalité. Nous demanderons la parole et de la part des musulmans nous déclarerons que nous ne sont pas d'accord avec une telle condition de création du comité. Je propose d’assigner deux mandataires maintenant, qui iront au séminaire professoral et raconteront de nos exigences aux représentants des professeurs municipaux - à Gorbatchev et Koltounov.
La réunion approuva à l'unanimité la proposition de Latypov, lui et à moi confia et de prendre parole demain à la municipalité de la part des musulmans, et aujourd'hui d’aller immédiatement au séminaire et parler avec les représentants des professeurs, qui tenaient pour le principe précédent des élections du comité.
Nous trouvâmes Gorbatchev et Koltounov au séminaire. Je les vis pour la première fois. Les deux professeurs du séminaire étaient avertis du mouvement révolutionnaire. Nous leur présenté l'opinion de la réunion musulmane à propos de la création du comité de coalition. Les professeurs acceptèrent notre décision et ajoutèrent:
- Le groupe peu nombreux des professeurs ne lésera pas d’intérêts des plus grands groupes publics. Le principe de la création du comité de coalition a été proposé par les gens de l'attitude inacceptable, par les "anciens". Les professeurs vont faire résistance à un tel principe. Les élections doivent être générales et égales pour tous.
Ayant parlé d'autres affaires importantes, nous partîmes.
Le lendemain le commissaire d'Omsk convoqua une conférence des représentants dans l’ancienne municipalité.
Nous vînmes aussi. Une grande salle fut complètement bondée. Les gens se trouvaient côte à côte. À la table couverte du drap vert, fut assis le commissaire d'Omsk, l'officier corpulent, à côté de eux furent assis encore cinq personnes nouveaux pour moi. Les premiers orateurs commencèrent tout de suite à protester contre l'organisation du comité de coalition.
De la part des musulmans prit parole Latypov, l’homme dégourdi et qui en avait vu bien d'autres. Il savait parler.
Selon l'opinion de la majorité, il ne fut plus question de la création du comité de coalition. On élut la commission temporaire et décida d'élire au plus tôt par le scrutin secret général le comité municipal de coalition de district.
D’abord les Russes, les Kazakhs et les Tatars dressèrent une liste des tous les candidats. Ensuite une autre liste séparée proposée par le groupe de la population russe apparut. Après cela la quantité de groupements augmenta, et cinq ou six différentes listes furent composées.
Les élections se réalisèrent. Seulement deux Kazakhs entrèrent au comité. La cause de si petit nombre de nos représentants fut en ce que pas encore tous les Kazakhs comprenaient la signification des élections.
Le comité élu décida d’envoyer les gens aux aouls pour faire les explications et mener une propagande correspondante sur les places.
La réunion suivante dans la médersa fut ouverte par Yalymov déjà mentionné par moi. À la réunion vint l’aqsaqal Balapan, un vieux routier, un des activistes du pauvre monde de la ville. Yalymov se comportait avec arrogance, parlait avec une grande fatuité, bien que personne ne lui ait donné d’autorités spéciales de gérer les gens. Yalymov travaillait dans un bureau de transports, avait une petite épicerie.
Comme plusieurs gens de son caste des mercantis modestes, il était une personne débrouillarde. Vite et avec prudence il devint soudain comme un des organisateurs, il commença à prendre parole fièrement presque comme de la part de toute la population musulmane. Il fut déséquilibré, follet, il réussit à capter la confiance des Tatars et des Kazakhs et entra au comité.
À la discussion de la question sur celui qui il fallut envoyer à la steppe, Balapan et Yalymov soudain se prirent de bec.
- Ce sont des Kazakhs qui on doit envoyer à la steppe, - Balapan déclara catégoriquement.
Mais Yalymov voulait envoyer aux aouls plus de Tatars, avant tout des mercantis petits et des épiciers-profiteurs. Balapan resta sur ses positions. Alors Yalymov sauta, frappa du poing sur la table et commença à crier après lui, en roulant les yeux avec colère. Balapan toujours débrouillard, ayant la langue d'habitude bien affilée, se perdit à cette fois, ne réussit pas à répondre à nouveau patron.
C’était, probablement, à cause de son abrutissement d’autrefois, l'humilité du pauvre. Mais quand même, il sembla ne pas se dégonfler.
Ont décida finalement d'expédier à la steppe un groupe mixte des Kazakhs et des Tatars. En sortant dans la rue après la réunion, certains commenca à faire une blague à Balapan:
- Eh bien, comment Yalymov vous a menacé, ha?...
Le lendemain Balapan vint chez moi et commença à s'indigner:
- Cet Yalymov est un chien... À quoi bon avons-nous élu ce chien?
- Le malheur c'est que vous lui avez eu peur hier, - je remarquai par raillerie.
- Non, je n'ai pas eu peur, simplement... j’ai raté mon coup. Il crie après moi en russe: "Il se trouve qu’il n'as pas droit!" Je n'ai pas compris d'abord, et après je me suis avisé - Balapan avoua sincèrement.
Les habitants d'Akmolinsk utilisent jusqu'à présent cette expression de Balapan: "Il se trouve qu’il n'as pas droit!" comme une plaisanterie.
Peu après cet événement le comité fut réélu. En ce laps de temps court à Akmolinsk il y eut tant de réunions, d’élections et de réélections du comité qu’il était impossible de retenir tous...
Il y eut beaucoup d’réunions et pas de pouvoirs. Le district fut géré non par le comité infiniment réélu, mais par un commissaire envoyé par le gouvernement de Kerensky. Mais ses pouvoirs ne furent non plus suffisants pour longtemps. Chacun se croyait le maître de la situation, personne ne se soumettait à personne. Le cour n’eut rien pour s’appuyer, la milice peu nombreuse était impuissante.
Toute la bande des fonctionnaires tsaristes: intendants de voloste, commissaires de police, chefs de paysans - continuèrent à vivre comme un coq en pâte. Destitutionnés, et pas partout, ils habitaient anciennes places, avaient beau jeu. Le nouveau gouvernement n’admettait pas même qu’on supposait les punir, ces sangsues, pour leurs anciennes exactions d’autrefois. En effet, depuis quelque temps seulement, il y eut un an, quand on avait annoncé la mobilisation pour les travaux de l'arrière, quand le peuple avait insurgé contre l'injustice, ces écorcheurs-fonctionnaires lâches rançonnaient des Kazakhs malheureux.
Leur l'impunité de ce temps-là nous blessait jusqu'au sang. Nous étions affairés, couraient, en demandant leur talion, et tout était en vain, nos plaintes étaient à vide.
En 1916 à l'usine de Spassk, dans le village d'Alekseïevka, en promettant de protécter les jeunes gens de la mobilisation, les chefs Goyakovitch et Orlov acceptaient effrontément les pots-de-vin immenses. Ils partageaient leur prise avec le bey Seïtkemelev.
Et ces jours-là ceux empocheurs habitaient à Akmolinsk, et j'eus beau prier pour que les aient écroués et jugés, tout fut en vain. Il était très difficile de trouver un juge juste et puissant, capable de punir les criminels suivant les mérites. Chacun agissait à sa guise. Chacun intérpretait la liberté gagnée comme il voulait et tâchait à l'utiliser à son gré. Quand on demandait la raison de n'importe quel acte indigne, on pouvait entendre la reponse nonchalante: - Mais tout est libre maintenant!…
Au Kazakhstan on commenca à passer partout les congrès de district et régionaux. En avril le congrès régional des Kazakhs eut lieu dans la ville d'Omsk. Comme les représentants d'Akmolinsk nous envoyâmes aide-médecin vétérinaire Khousaïn et Baïseit. À ce congrès par ses propres moyens partirent de son propre chef deux lions de steppe, les beys pansus: Zhantoré du clan de Tam et Olzhabaï - l'intendant de voloste de Korzhyn-Kulsk.
Le comité kazakhe régional fut élu à ce congrès-là.
- La rédaction du journal "Kazakh" envoya au congrès d'Orenbourg Myrzhakip.
Peu après le congrès deux commissaires vinrent à Akmolinsk: Adilev et Kemenguerov, qui créèrent le comité de district kazakhe. Mais tout le pouvoir locale était toujours aux mains du commissaire de gouvernement de Kerensky.
Des conférences et des congrès de toute espèce continuaient à avoir lieu dans les différents places. De la part des Kazakhs et du comité kazakhe nos représentants durent leur prendre part.
Le président du comité kazakhe fut Douïsembaev, et moi, je devint vice-président. Le comité fut composé de: Adilev, Kemenguerov, Cheguin, peu après d’Aïbasov et d’autres. Dans le district les gens tant soit peu éduqués furent embauchés. On décida d'organiser une imprimerie et éditer un journal. On collecta de l'argent pour acheter des lettres et envoya pour cela Douïsembaev à Kazan.
Après cela moi je fus élu président du comité. Nous continuâmes à envoyer les mandataires à toutes les volostes du district d’Akmolinsk pour organiser des comités de voloste. On fit l'instruction détaillée avec l'indication de l’ordre de l’organisation de tels comités: il était interdit d’élire des oppresseurs et des offenseurs de la population anciens, il fallut chercher à persuader les gens à s’abonner à notre journal, il fallut aussi collécter de l’argent. Aux mandataires nous donnâmes un petit cahier spécial avec les conditions de la souscription au journal.
À ce moment-là les relations entre le commissaire de district d’Akmolinsk et le comité kazakhe commencèrent à empirer. Je dus partir en urgence à un aoul pour règler un scandale. Pendant mon absence Rakhimzhan Douïssembaev revenu de Kazan offensa à un meeting le commissaire de district Petrov, le traita de provocateur. Le commissaire grièvement offensé traduisit Douïssembaev en justice. En nous étant revenus vite à la ville, nous expédiâmes un télégramme confidentiel à trois adresses: au commissaire régional d'Omsk, au comité régional kazakhe et au conseil des députés, en accusant Petrov des actions incorrectes.
Ces jours-là nous habitions tous les quatres dans une des chambres dans la maison, où le comité prenait place: Dinmoukhammet Adilev, Birmoukhammet Aïbassov, Kemenguerov et moi.
Nous dormions paisiblement. Au coeur de la nuit nous fûmes réveillés par un bruit. On ouvrit la porte et on vit un facteur.
- Qu-est-ce qu’il y a?
- J’ai une lettre d’avis pour vous.
- Quelle lettre d’avis peut-elle être en pleine nuit?
Le facteur nous la donna, nous regardâmes et vîmes que c’était en effet une lettre d’avis. Le comité de district russe nous appelait pour une séance urgente... Embarrassés nous échangeâmes un coup d'oeil, demandâmes au facteur ce que cette réunion urgente était et qui y devait étre présent. Le facteur répondit que les détails lui étaient inconnus et qu’il ne devait que remettre la lettre d’avis. Une seule chose qu'il put dire: les membres du comité s’étaient déjà réunis et nous attendaient.
Nous nous habillâmes vite et sortîmes tous ensemble. Le facteur dit que tous les membres du comité étaient appelés. Nous dûmes aller d'un appartement à l’autre et lever les gens. En passant on vint chez Baïmagambet Oguiztazov, qui était membre de notre comité aussi. Autrefois il avait travaillé comme interprète du chef de district.
Il connaissait bien la langue russe, et nous décidâmes de l'inviter à aller avec nous. Ayant entendu, où nous allions,
Baïmagambet eut peur et pendant qu’il se préparait, il répétait sans cesse: "Eh bien, qu’y a-t-il là-bas? Qu’est-ce qu’il pu arriver?" Nous dûmes le prendre avec nous presque par force.
La nuit était noire, sombre, la ville dormait profondement, et seulement quelques membres du comité kazakhe marchait dans les rues de nuit. Il y avait des cirrus légers dans le ciel, de distance en distance, comme avec un sourire, une étoile nous clignait de l'oeil. Les fenêtres sombres des maisons dormant scintillaient comme des yeux des chaytans[34].
- Mon Dieu, pourquoi ils ont eu besoin de nous, qu’est-ce il qu'est arrivé? - continua à s'inquiéter Baïmagambet. – C’est sûr que quelque chose est arrivé, sinon ils ne nous appeleraient pas. Oh, mes enfants, combien de fois je vous prévenais, mais vous ne m'obéissiez pas. Et mainenant voilà l'affaire. Peut-être, le tsar russe a repris son trône!
On vint à la séance. Tous les membres du comité étaient là. Une tranquillité froide règnait dans la salle, il n’y avait ni agitation, ni hâte. À la réunion étaient présents le commissaire de district et le secrétaire du parti des socialistes-révolutionnaires Martlogo, qui était aussi membre du comité.
On déclara la réunion ouverte, et selon le premier discours nous comprîmes, pourquoi nous étions appelés ici. Le commissaire Petrov apprit le contenu de nos télégrammes envoyés à trois adresses, et il convoqua le comité russe, eut une séance d'information correspondante avec ses membres et nous appela pour nous passer un bon savon, pour montrer ses pouvoirs.
On commença une conversation impartiale, lourde. La plupart des Russes furent des discoureurs brillants. Petrov lui-même et Koltounov, le professeur de séminaire, se distinguaient particulièrement.
- C’est une délation calomniatrice! - ils s'exclamaient furieusement. C’est une offense des représentants du pouvoir national! Vous devez prouver la culpabilité du commissaire avec les faits et les documents, sinon vous répondrez devant la cour! – et ils frappaient du poing sur la table.
Nous n’eûmes aucuns documents compromettants, en plus nous n'attendâmes pas que il s'agira exactement de cela et nous nous perdîmes d'abord. Mais on commença à entrer peu à peu en dispute, à prouver notre bon droit. Cela fit Petrov perdre patience définitivement:
- Vous m'avez trainé du provocateur dans votre télégramme à Omsk! On fusille des provocateurs. Présentez-moi immédiatement les faits convainçants, sinon vous serez traduits en justice! – le commissaire était enfureur, son sabre frappait lourdement sur le plancher.
- J'ai bien mérité de la révolution! - il continua. – Moi et mes soldats, nous nous sommes soulevés les premiers contre le tsar. Mon père est un vieux révolutionnaire. L'écrivain Potapenko parlait de moi dans son livre! Le garçon Sacha c’est moi. Donc, qu’est-ce que je fait pour être traîné dans la boue par vous? - le commissaire finit, presque pleurant.
La situation au comité kazakhe était pas agréable. Baïmagambet disparut sous le prétexte "d’aller au petit coin". Sous de différents prétextes partirent de la séance Sultan, Ousseké (Oussen Kossaev), Khousaïn et d'autres compagnons. Quatres personnes resterènt pour participer aux débats: Birmoukhammet Aïbassov, Dinmoukhammet Adilev, Kemenguerov et moi.
À cette séance nous nous trouvâmes en minorité et ne pûmes pas prouver notre bon droit.
Néanmoins après le télégramme deux commissaires arrivèrent d'Omsk, le Russe dont le nom était Khomoutov et le Kazakh. A. Seitov. Ils firent une séance du comité kazakh. Et comme nous y dîmes que le scandale avait été déjà réglé par nous-mêmes, les deux commissaires sont partis tranquillement à Omsk.
Cet exemple montra l'activité de notre comité. C’était seulement une autorité apparente, et en fait nous ne fûmes pas octroyés d'aucuns pouvoirs. De vieilles lois furent annulés, et celles nouvelles ne furent pas encore établies. Notre comité eut une tâche numéro 1: la liquidation de la rançon et l'émancipation de la femme dans une famille.
Toute la confusion dans l'activité de notre comité, comme de l'organisme du pouvoir national, on put voir simplement dans un cas suivant. Contre deux anciens intendants de voloste on reçut près de cent vingt plaintes de la population. Il était impossible de lister touts les outrages du côté de chefs de voloste, qui avaient été mentionnés dans les lettres. Ayant pris connaissance des plaintes, nous décidâmes de faire toutes les efforts pour traduire ces de chefs voloste en justice, pour les faire avoir tout ce qu’ils méritaient pour les offenses des gens. Mais Petrov dit que nous n’avions pas de pouvoir de juger les criminels. Donc nous sollocitâmes l'aide des juges russes, mais là aussi nous reçûmes la réponse dilatoire, ils nous laissèrent, entendre: "Nous ne nous mêlons pas des affaires kazakhes, résolvez ce problème comme vous voulez".
Alors nous expédiâmes au comité régional d'Omsk toutes ces 120 plaintes avec la demande de les analyser et de punir les personnes coupables. En expédiant les plaintes, nous voulions aussi s’assurer en efficacité du comité régional, espérant qu’on prendrait au moins quelques mesures et il nous serait plus facile de travailler ensuite. Mais dans quelques jours nos plaintes revinrent chez nous sans aucunes lettres d'envoi, ni explications, sans parler de la tentative de prendre quelques mesures envers les criminels.
Les membres du comité de district connaissaient très bien tous les deux chefs de voloste, particulièrement Olzhabaï, l'intendant de voloste de Korzhynkoulsk, contre qui on avait porté quatre-vingts plaintes. Il était impossible d'oublier des larmes et des gémissements des gens, maltraités par ces monstres en 1916. Et néanmoins le comité régional, ni celui de district ne prenaient aucunes mesures pour les punir. Et pour comble il se trouva que le neveu d’Olzhabaï nommé Tolebaï était membre du comité régional.
Juste après le renversement du tsarisme Olzhabaï vint à Akmolinsk et comme il était une personne adroit, un homme d'autorité parmi les fonctionnaires, ayant la langue bien pendue, il commenca à prendre paroles aux réunions et même se faufila aux "leaders". Étant parti de son propre chef au congrès à Omsk, il réussit à enfoncer aux membres du comité la candidature de son neveu. Ayant appris que les parents des Kazakhs, péris innocentement pendant l’effervescence parmi les Kazakhs l'année passée, avaient potré contre lui près de quatre-vingts plaintes, Olzhabaï s'enfuit immédiatement d'Akmolinsk.
Tout cela nous racontâmes dans le rapport au comité régional, nous expédions des télégrammes répétés en demandant d'exclure Tolebaï des members du comité régional, mais nos lettres et nos télégrammes restaient sans écho, le comité ne nous écoutait pas, et peu à peu nous comprîmes que les relations entre notre comité et celui régional ne pouvaient pas être normales.
Cependant nous continuions à faire nos affaires de district par nous-mêmes. On créa une organisation de jeunesse "Zhas Kazakh" ("Jeune Kazakh") avec son propre conseil d'administration et son statut bref. Il fut stipulé là, en particulier: "... L'organisation "Jeune Kazakh" reconnaît le parti révolutionnaire le plus indubitable en Russie et va côte à côte avec elle avec elle. L'organisation soutient la création de la République Fédérative de toutes les manières..."
La tâche principale de notre organisation était l'explication de la nouvelle politique aux gens locaux, ainsi que l'observation de la légalité révolutionnaire. Saken Seifoullin fut élu président de "Zhas Kazakh", et les membres du bureau étaient Adilev, Aïbassov, Assylbekov, Serikbaev et Nourkin. D'abord près de cinquante personnes s'inscrivirent dans notre organisation, mais puis ce nombre commenca à augmenter graduellement. Peu après on eut notre propre secrétaire- agent administratif, caissier, sceau. Vers l'automne nous publiâmes par nos propres moyens le premier numéro de la revue "Aïna" - "Miroir", imprimé à l'imprimerie.
Bien ou mal, il est difficile de juger maintenant, mais ces jours-là dans le comité et dans le "Jeune Kazakh" nous travaillions d'arrache-pied.
Dans les aouls nous organisâmes des comités de voloste. À plusieurs places nous réussissons à suspendre des fonctions de direction et d'influence certains anciens fonctionnaires, les oppresseurs de la population. Nous protégions par tous les moyens la liberté des femmes, on annonça que chaque femme avait les droits électoraux égaux avec ceux d'homme. Dans la mesure du possible nous luttions contre la rançon. La jeune fille donnée en mariage avec un homme, qu’elle n’aimait pas, seulement parce qu’il avait payé une grande rançon, nous la libérions par force de l'esclavage et lui assurions le droit de se marier avec un élu de son cœur. C'est pourquoi notre comité devint bientôt pour tous les Kazakhs du district d’Akmolinsk et la cour, la milice, et l'autorité suprême.
Devant le bâtiment, où se trouvait le comité, il y avaient toujours des chevaux sellés des messagers arrivés de l'aoul. De jeune fille kazakhes et de jeunes femmes allaient au comité en file avec la demande de les protéger et les aider de n’être pas mariées pour la rançon, et nous satisfaisions leurs demandes, nous leur délivrions en propres mains les documents, leur donnant le droit de choisir le fiancé librement. Une fois en un jour un tel document émancipateur fut reçu par dix-huit jeunes filles de l'aoul.
Des lettres privées et des journaux, commençant à paraître l’un après l'autre dans de différentes places du Kazakhstan, nous apprenions des comités qui se formaient partout et de leur travail. Le travail y allait différemment dans les districts, dans les uns on travaillait avec savoir-faire et avec les résultats, et aux autres le travail étaient indolent, sans ésprit d'initiative.
On commença à publier partout des journaux.
À Semipalatinsk le journal "Sary-Arka" commença à paraître, son rédacteur était Khalel Gabbasov, et les collaborateurs actifs étaient Ermekov, Boukeïkhanov, Tourganbaev. À Tachkent on publiait l’"Alach", son rédacteur était Kolbaï Togousov. Plus tard ce journal fu appelé autrement: "Birlik Touy" ("Étendard de l'union"), et Moustafa Tchokaev devint son rédacteur, et les collaborateurs étaient Bolgambaev, Touryakoulov, Khodzhanov et les autres. À Astrakhan les gens de Boukeï publiaient "Uran" ("Appel"), qui était édité par A.Moussin, à Akmolinsk on publiait "Tirchilik" ("Vie"), où le rédacteur devint Rakhimzhan Douïssembaev, et les collaborateurs étaient Sadvokas Seifoullin (c’était moi), Asylbekov, Omirbaï Donentaev et les autres.
À Orenbourg on continua à publier le journal "Kazakh" largement connu, qu'éditaient A.Baïtoursounov et M.Doulatov. Le collaborateur actif était Boukeïkhanov. Le journal "Kazakh" était bourgeois-nationaliste et influençait le caractère et le contenu de tous les autres journaux kazakhes à l'exception de "Tirchilik" d’Akmolinsk. Les collaborateurs du "Kazakh" diffusaient partout dans la steppe immense kazakhe des lettres et des instructions, en expliquant la politique nationaliste et en demandant l’appui de cette politique dans tous les organismes typographiques, dans toutes les correspondances envoyée aux rédaction.
Des journaux nous apprenions les information sur le travail des comités dans tous les coins du Kazakhstan, sur la ligne politique des comités, sur leurs affaires pratiques, sur leur direction. À cette époque-là dans les comités le plus souvent c’étaient l’ancienne élite intellectuelle bourgeois qui dirigeait: les avocats, le juge, les médecins, les fonctionnaires, les interprètes, qui étaient majoritairement les fils des beys. Les étaient inspirés assez souvent par les mêmes mollahs, ichans[35], anciens intendants de voloste.
Je me souviens d'un événement, passé dans la région d'Oural. Ce fut à l’époque quand on avait partout des congrès régionaux.
Le congrès s'ouvrit à Ouralsk, dans le bâtiment du cirque municipal. On élut la présidence, qui se mit à table au milieu de l'arène. Il n’y avait pas de places pour plusieurs délégués, et ils se trouvaient debouts dans les passages. Dans le cirque se réunirent les anciens beys, anciens fonctionnaires, représentants de l’élite intellectuelle, femmes instruites, bref, la crème de la crème de toute la province d'Oural. Dans la présidence furent les gens connus dans tout le Kazakhstan, les gens lettrés, les hommes de mérite, tels comme Khalel Dosmoukhammetov, Zhakhancha Dosmoukhammetov, Goubaïdoulla Alibekov et les autres.
Même leur vue faisait plaisir, sans dire déjà à propos de leurs sages discours. Ils étaient assis, comme il faut, à la table, sur les chaises, et seulement une personne était assise isolément, à sa guise, immédiatement sur l'arène, sur un tapis mou. Il était assis, comme une boule dans l'huile, corpulent, aux larges épaules, avec une ceinture à dessin en argent, portant un bonnet fourré de martre.
La graisse sur la nuque fut épais comme une bûche, les joues furent pendantes comme les outres. En sachant ce qu’il valait lui-même, il honore parfois les gens autour de lui du regard. Par contre les yeux des gens de la présidence étaient fixes sur cette déité, le "nombril du monde", ils le dévisageaient, comme un limier de chasse dévisage son maître.
Tout semblait aller bien. Mais voilà le regard hautain du "nombril du monde" tomba sur deux femmes kazakhes habillées de manière européen. Le "nombril" fronça les sourcils et prononça sévèrement d'une voix de basse:
- Ce quoi ces poupées qui se montrent là?
Les délégués s'immobilisèrent. La présidence trembla, commença à expliquer:
- Une des femmes est la femme d’Issa, une autre est la femme d’Aïtzhan. Elles sont toutes les deux vos belle-filles.
- Faites-les s’en aller! Ici ce n'est pas le lieu pour des réunions de femme! - le boulot ordonna.
Les femmes furent boutées dehors du cirque instantanément.
Ayant fini ainsi avec la première question, on fit une pause. Les congressistes causaient tranquillement entre eux. Un lieutenant obèse du dieu sur la terre parlait gracieusement à un mortel, à un autre. Les gens présents écoutent avidement ses paroles précieuses, saisissent chaque mot à la volée, comme un chien affamé saisit un os jeté à lui.
- Hé, Goubaïdoulla! - le boulot appela un membre du praesidium Goubaïdoulla Alibekov. - Tu répètes sans cesse que tu vas souvent à Pétersbourg. Tu peux y aller à souhait, mais ici, dans mes parages, ne déraille pas.
Puis le boulot s'adressa aux mollahs:
- Hé, les mollahs, fumez le tabac, et vous n’aurez pas mal à la tête!
Personne n'osait ni prendre mal les paroles du boulot, ni lui objecter. Donc qui était-il?
Il était un descendant du célèbre Cyrym-batyr, l'intendant de voloste connu Salyk.
Quand le congrès finit son travail, Salyk s'adressa à la présidence:
- Hé, vous là-bas! Maintenant tout le monde sans exception doit aller au cimetière. Nous lirons le Coran près de la tombe de gens tombés en 1916.
Les délégués obéirent sans objection et, étant sorti du cirque, allèrent en foule au cimetière. À côté des tombes tous s'assirent, les jambes croisées.
Les membres du praesidium et les activistes en général se trouvèrent dans une première ligne - Khalel, Zhakhancha, Goubaïdoulla et les autres. On écouta patientement jusqu'à la fin une longue surate du Coran "Tabarak".
Tel fut le caractère des nouvelles autorités locales. On put rencontrer dans d'autres places tels lieutenants pleinement habilités du dieu sur la terre, comme Salyk était, et, avec les mêmes habitudes et l’attitude envers les innovations.
Je déjà beaucoup parlai de l'intendant de voloste Olzhabaï, contre lequel on avait porté une multitude de plaintes et qui avait donné un coup de piston à son neveu Tolebaya pour le placer au comité régional. Olzhabaï restait impuni, il avait son piston dans le milieu des nouveaux dépositaires de l'autorité. Quand les soldats de Kolchak vinrent plus tard, Olzhabaï devint un des chefs actifs de l'Alach-horde de district, а Salyk susmentionné devint membre du gouvernement de l'Alach-horde au Kazakhstan Occidental.
Les beys d’autorité, comme Salyk, nous attaquaient aussi par tous les moyens à Akmolinsk. Leur préoccupation de tous les jours était la destruction du comité kazakh. Ils nous traitaient de tous les noms d'oiseaux, accusait les membres du comité sur tous les tons. Nous nommaient les hommes sans religion, les dévoyeurs, les tisons de discorde nationale.
Nous ne cédions pas, la lutte nous endurcissait.
Une fois à midi nous convoquâmes une réunion à huis clos du comité en commun avec les membres de "Zhas Kazakh".
On discutait certaines questions confidentielles, c'est pourquoi nous plaçâmes un employé de service près de la porte pour interdire les étrangers d’entrer.
C’était midi, et les gens, comme toujours, entourait le bâtiment du comité. À peine commençâmes-nous la séance, que nous entendîmes un bruit et les exclamations fâchées derrière la porte. On entendait notre employé de service tenter de calmer des gens poussant, mais sans succès. Enfin, l'employé de service ne put plus le supporter et tout rouge, ayant l’air vexé, entra dans la pièce des séances.
- C’est une foule entière qui a pesé sur moi, ils veulent forcer la porte par force, - il expliqua.
- Qui est l'instigateur ?
- Sypan, le chef de voloste.
Nous connaissions Sypan comme un tout-puissant chef de voloste. Environ vingt-cinq années de suite il servait en permanence de chef de voloste et il étaient un renard sage, fin et galant dans la conversation et dans les affaires, pas comme Salyk d'Oural, qui une fois en plein jour fit tomber l'oeil d’un membre du comité à Zhympity.
- Ne laisse entrer personne, dis que la séance est à huis clos, - nous insistâmes.
L'employé de service s'éloigna, mais dans une minute on entendit les voix plus hautes, la porte s'ouvrit, ayant presque tombé des fiches, et un groupe de djiguites avec Sypan à la tête fit irruption à la séance.
- Que vous désirez-vous du comité?
- Rien, - les violateurs arrogant de l'ordre répondirent. - Nous souhaitons assister à vos conversations.
- La séance du comité est à huis clos, vous n'avez pas droit d’être ici.
- Pourquoi c’est à huis clos? Quel secrets peuvent être de nous? Nous assisterons, point barre!
Les gens s'emballèrent, s'énervèrent, et commencèrent à se calmer. Au membre de notre comité, au trésorier Nourzhan Chaguin Sypan dit le suivant:
- Gare à toi, Nourzhan, tiens ta langue! Sinon je trouverai vite une place convenante pour toi.
Sypan avec sa suite s'en alla, mais la séance du comité était sabordée.
Une autre fois, pendant la séance du "Zhas Kazakh", l'événement suivant se passa. Je présidais. Les gens étaient assis en demi-cercle. À côté du président étaient les secrétaires et les membres du conseil d'administration: Adilev, Aïbassov, Nourkin et Assylbekov, et en face de nous étaient Serikpaev, Donentaev et les autres. La pièce était bondée, on ne pouvait pas se frayer un chemin. Il y eut beaucoup de gens souhaitant être présents.
La séance se prolongea jusqu'au soir. Devant le coucher du soleil près des portes une bousculade commença brusquement, on entendit des exclamations mécontentes:
- Où glissez-vous? Ne poussez pas, on est déjà serré ici!
- Qu'est-ce qui se passe?..
Nous vîmes cinq ou six serviteurs du culte avec les visages fâchés fendre la foule pour s’approcher de nous.
C'étaient les "saints" connus du district d’Akmolinsk: le khalphé[36] Galaoutdin, le mollah vénérable Omar et d'autres mollahs. Nous fûmes obligés d'interrompre la séance et demander ce que ces gens voulaient.
Rien pour l'instant, - les mollahs vaguement répondirent et, s’étant assis dans un coin en avant, commencèrent à délibérer entre eux-même sur quelque chose. Puis Galaoutdin s'approcha brusquement de moi et proposa:
- Monsieur Saken, vous devez arrêter les discours pour quelques minutes.
- Pourquoi?
L’intervenant se tut, dans la salle le silence s'établit.
- C’est le temps de namazdiguère[37]. Faite arrêt dans la réunion et allez tous à la prière de soir, - le khalphé proposa.
- Nous n'avons pas le temps maintenant, le khalphé, - j’objectai.
- Qu’est-ce que ça veut dire? Vous avez le temps pour bavarder, mais pas pour faire le namaz[38]? Allons-y à la prière à l’instant, - Galaoutdin ordonna.
- Mais nous n’avons pas fait l'ablution, - je continuais à persister, - nous ne sommes pas prêts au namaz.
- Vous aurez encore le temps de faire l'ablution. Interrompez maintenant la réunion et allons-y à la prière, parce que nous laisserons le temps du namaz passer, - le khalphé continua d’une voix froide, avec les notes de menace.
Qu’est-ce qu’on devait faire ici? Je fus piquée au vif par l'audace persistante de Galaoutdin. Je examinai les visages des mes camarades, je vis Baken Serikpaev tendu, prêt au combat et je le saluai imperceptiblement. Il me comprit et il dit catégoriquement et tout haut:
- Ne dis pas les bêtises, le mollah!
Après Baken sauta Omirbaï de sa place:
- Permets -moi de parler, Saken!
Je lui permis. Les mollahs turent en certain désarroi. Tous les assistants dans la salle retinrent leur souffle, en attendant, quel serait la fin de ce combat extraordinaire de la jeunesse avec les serviteurs du culte.
Omirbaï commença courageusement:
- Vous, les mollahs, vous trompez les gens, nous bourrez le crâne, vous pendez comme des écornifleurs au cou de peuple! Vous hommes à doubles faces, vous dites une chose et faites une autre, les menteurs ingénieux et les péroreurs! Est-ce que vous vous repentirez un jour des tours malhonnêtes? Pourquoi êtes-vous venus ici? Nos affaires ne vous regardent pas? Quand nous serons rôtis à l'enfer dans l'autre monde, pourrez-vous nous donner la main pour nous aider?...
Les mollahs partirent bredouille...
Par ces exemples je veux montrer que les chefs de voloste faisaient cause commune avec les mollahs contre nos novations et tâchaient d'exercer par tous les moyens la pression sur notre comité.
Il faut dire que non seulement à Akmolinsk, mais aussi partout au Kazakhstan, dans un tel degré de succès ou tel autre, la noblesse islamique et les anciens fonctionnaires tsaristes en front unique allaient contre les comités, tâchaient de réaliser leurs décisions, d’infliger au peuple leurs opinons et rester toujours au pouvoir.
Je raconterai encore un exemple de la période plus tardive.
Ce fut à l’époque de Kolchak.
L'Alach-Orda se concentra à cette époque-là dans deux places: à Semipalatinsk, où Alikhan Boukeïkhanov dirigeait, et à l'ouest du Kazakhstan, dans la région d'Oural, à Zhympity, où le chef était Zhakhancha Dosmoukhammetov. Les hommes actifs d'Alach étaient à l'ouest Khalel, Salyk, le chef de voloste déjà mentionné et les autres.
Une fois toute la direction de l'Alach-Orda occidentale se réunit à l'appartement de Khalel à l'occasion de l'arrivée d’un hazrat[39] connu Kouanaï, un dignitaire. Les muftis[40] tatars et bachkirs à Kazan et à Oufa connaissaient personnellement Kouanaï et le respectaient. Il est naturel que le regardaient ici avec l'obséquiosité et l’appelaient "hazrat".
"Hazrat" Kouanaï fut assis majestueux, fâché et important. En le regardant de loin, on pouvait penser que cela Buddha était venu, tellement Kouanaï était immobile et imposant.
Il se taisait, ne prononçait pas un mot en vain, et s’il disait quelque chose, on precevait chaque sa locution comme le don du ciel. Avec le calme olympique le hazrat contemplait son ouaille, et les membres du gouvernement étaient assis modestement, doucement, comme les élèves devant le professeur.
Parfois dans leurs regards obséquieux sur Kouanaï on pouvait voir l'expression du dévouement de chien, et il semblait qu'à l'instant ils frétilleraient les queues, comme les chiens fidèles devant le maître. Le chef de gouvernement Zhakhancha Dosmoukhammetov fut aussi assis ici. Habillé d’un uniforme élégant, flambant neuf, il avait beaucoup de rapport avec le chef d'armée persan Rizachakh. Zhakhancha était charmant, que tu veuilles ou non, mais on avait envie de le regarder encore une fois. Zhakhancha était le chef de l'Alach-Orda, Zhakhancha était le khan kazakhe...
Mais Zhakhancha était assis sans couvre-chef. Et sa tête ne fut pas rasée selon la coutume, Zhakhancha eut une chevelure. Il aurait dû porter une calotte bleu clair et un bonnet fourré du khan orné des pierres précieuses et des dessins. Mais il ne portait même pas de tymak[41] à sa tête.
Zhakhancha, comme si ayant compris soudain son imperfection, passa la paume sur les cheveux, les lissa. Hazrat observa fixement le mouvement de Zhakhancha. Sous l’oeil gauche de Kouanaï un muscle tressaillit à peine visiblement, et soudain hazrat leva la tête, comme un aigle royal délivré de la cloche en cuir. Il fixa son regard sur le visage de Zhakhancha. Les assistants retenir leur souffle avec frayeur – qu’est-ce qu’il allait se passer?
- Étourneau! – le hazrat s'exclama. - Pourquoi êtes-vous assis sans couvre-chef ici? Nous vous considérons comme un régent, un khalife[42]. Pendant chaque namaz nous prions pour vous, pour vos succès et votre santé! Et vous comment vous conduisez-vous? Mettez immédiatement le bonnet!
Tout s’alarmèrent avec frayeur, en tâchant d'une façon ou d'une autre d'atténuer et d’assoupir l'incident désagréable.
- On entend les gens parler que vous ne faites pas le namaz dûment! – le hazrat fâché continua.
En répétant "coupables, coupables" infiniment, les assistants calmèrent le hazrat à grand-peine. Quand le silence fut rétabli, la conversation fut continuée par le maître de la maison Khalel:
- Votre sainteté, à l'heure qu'il est nous sommes très occupé à notre travail, il n'y a pas tout à fait de loisir, on n'a pas le temps de soupirer. Permettez-nous de faire le namaz à la maison aux jours ordinaires, et d’aller à la mosquée pour la prière seulement tous les vendredis.
Kouanaï garda le silence mécontentement et finalement permit aux membres du gouvernement de l'Alach-Orda de faire le namaz chez eux en raison du suremploi.
- Mais le namaz de vendredi doit être fait à la mosquée! – le hazrat ordonna fermement, en gardant la fermeté de principes.
- Nous le ferrons comme ça, votre sainteté, - les membres du gouvernement acceptèrent avec docilement...
Les choses pareilles se passait non seulement à l'ouest, mais aussi dans d'autres places du Kazakhstan. L'Alach-Orda dans son activité fut à l'écoute pas de peuple, mais d'anciens intendants de voloste, de mollahs honorables et de hazrats. On les invitaient absolument à toutes les séances et les réunions, on écoutaient leurs recommandations et leus conseils et on les considéraient comme une guide pour l'action. Ainsi l'Alach-Orda réalisait en réalité le pouvoir des mêmes fonctionnaires tsaristes en la personne d'anciens chefs de voloste et de maîtres à penser en la personne des mollahs et leurs coéquipiers.
Allons-y continuer maintenant le récit de l'activité de notre comité d’Akmolinsk.
Comme j'ai dit déjà, les gens du district considérèrent notre comité comme le pouvoir nouveau de plein droit, la cour et la milice. Nous ne restâmes pas les bras croisés, des messagers et des solliciteurs des aouls de tous les volostes arrivaient sans cesse chez nous. Nous travaillions d'arrache-pied. Mais toute notre activité consistait en ce que nous agissions le plus souvent à l'aveuglette, personne ne nous donnait d’instructions, de conseils, d’indications. Dans les cas, où nous avions besoin d’un grand pouvoir, nous n'avions personne à prendre appui, nous n’avions ni résolution, ni loi. Et au comité russe aucun travail n’était pas du tout conduit.
Tout le pouvoir administratif à Akmolinsk était concentré en mains de l'enseigne Petrov envoyé par le gouvernement de Kerensky. Mais qu'est-ce qu’il put faire, de quelles lois argumenter dans son activité? Et en effet, la situation était très difficile pas seulement à Akmolinsk, mais aussi dans tout le district.
Depuis les siècles une couche de glace d'épaisse forte bloquait une mer calme accumulant la force en elle-même. Et soudain la glace fut rompue, l'élément se libéra, la mer se courrouça. Quel pouvoir la calmerait ce moment-la outre le pouvoir de peuple? Qui et où créerait ce pouvoir, fairait l’élément déferlant prendre un cours droit?…
Le journal d'Orenbourg le "Kazakh" s'empressait de devenir un tel centre structurant pan-kazakh. Malgré le fait que le journal soit publié à la périphérie de la terre vaste kazakhe, il eut toutes les possibilités de devenir le centre structurant. Avant tout, le journal le "Kazakh" commença à être publié, en comparaison d'autres journaux, il y a longtemps - dès 1912. Elle eut déjà le temps de gagner la popularité, d’obtenir l'expérience correspondante de la lutte politique et sociale, d’avoir son lectorat.
Le journal commença à paraître justement à l’époque, quand le régime colonial du gouvernement tsariste se renforça, quand la population autochtone a commencé à être évincée des champs fertile aux bords des rivières, de ses terres anciennes, où leurs ancêtres vivaient. Les Kazakhs pleuraient sur leur sort, supportaient difficilement les oppressions. Beaucoup de gens ces jours-là commencèrent à se rendre compte de leur esclavage.
Le goût à l'étude, à l’art de lire et d'écrire paraissait graduellement dans le milieu de la jeunesse kazakhe. L’apprentissage c’est une lumière, selon le proverbe. Justement à cette époque-là le journal "Kazakh" commença à paraître. Le journal d'Orenbourg devint graduellement le centre typographique des nationalistes kazakhs. C'est pourquoi après le renversement du tsarisme le journal "Kazakh" devint à la fois le porte-drapeau de l'Alach-Orda.
Le journal annonça la convocation du congrès pan-kazakh. Mais avant cela le congrès régional de Tourgaïsk, qui travaillait du 2 au 8 avril1917, avait été convoqué. Les délégués des comités des régions d'Oural, d’Akmolinsk, de Semipalatinsk, de Syr-Darinsk et de Boukeevsk arrivèrent au congrès. C’était à ce congrès qu’on prit la décision de convoquer le congrès pan-kazakh, on élut aussi le bureau préparatoire à la tête duquel était le conseil de rédaction du journal "Kazakh" Boukeïkhanov, Baïtourssounov, Doulatov et Kadirbaev.
Bientôt le bureau élu par le congrès de Tourgaïsk annonça la convocation du premier congrès pan-kazakh à Orenbourg le 20 juillet 1917. Le journal annonça la quantité de représentants de chaque région du Kazakhstan séparément. Puis on envoya à tous les comités les télégrammes d'Orenbourg avec la liste de questions à considerer au congrès:
La structure étatique de toute la Russie.
L'autonomie des régions kazakhes.
La question agraire.
Les questions de la création de la milice.
Le zemstvo[43].
L'instruction.
La procédure judiciaire.
Les questions de la religion.
La question féminine.
La préparation de l'assemblée constitutive.
La question sur le conseil panrusse des musulmans.
La création du parti politique au Kazakhstan.
La question sur les événements à Semiretché.
Les élections des délégués au congrès de Kiev des fédéralistes de toute la Russie et à la commission d’instruction de Pétersbourg.
La quantité de délégués fut très petite. Ils furent élus par les comités de district ou directement par ceux régionaux. Peu après nous sûmes qu'outre les délégués officiels, élus par leurs statuts, on invitaient au congrès au moyen des télégrammes spéciaux certaines individus de différents places, tels comme le chef de voloste Salyk, le "nombril du monde", le hazrat Kouanaï, ainsi que le Pan Nourmagambet connu déjà au lecteur. Chacun des travailleurs du comité fut perplexe: qui appela-les et pour quoi? Il se trouva, qu’ils furent appelés par Boukeïkhanov lui-même. Comment donc ces gens méritèrent-ils la confiance du peuple après le renversement du tsarisme?
Les congressistes de la région d’Akmolinsk étaient le médecin Asylbek Seitov et le professeur Magzhan Zhoumabaev.
Il s’arriva qu’en travaillant à la sueur de nos fronts dans le comité de district d’Akmolinsk, nous étions involontairement les observateurs impartiaux. Ne ne fûmes pas engagés au travail préparatoire en rapport avec le congrès, et nous apprenions tous les événements seulement des télégrammes, des lettres et des journaux.
Avant le congrès je reçu une lettre d'Omsk de l'aide-médecin Chaïmerden Alzhanov. J’avait fait connaissance avec ce camarade, quand j’étais venu à Omsk pour faire mes études. Ensuite nous devînmes plus proches et devînmes amis.
Quand à Omsk on organisa pour la première fois en 1913 l'organisation de jeunesse kazakhe "Birlik" ("Union"), nous élûmes unanimement Chaïmerden Alzhanov à être son président. Il fit déjà ses preuves comme un révolutionnaire inaltérable. Àune des réunions secrètes de "Birlik", qui eut lieu dans le bois, Chaïmerden proposa: de créer de notre propre effort commun une petite imprimerie, d’imprimer des tracts avec le contenu révolutionnaire et les répandre parmi les gens kazakhs. Il y eut déjà à cette époque-là la question: qu’allait faire notre organisation en cas d’une révolution? Chaïmerden dénonça fermement: "En cas de renversement du pouvoir tsariste nous devons nous soulever les armes à la main avec les forces révolutionnaires".
Plusieurs personnes écoutaient avec désapprobation ses énonciations décisives, en reprochant Chaïmerden d’être déraisonnable. Je le soutenais. Et voilà, avant le congrès pan-kazakh, Chaïmerden m'envoya une lettre:
"Saké, je vais au congrès de messieurs à Orenbourg. Je vais m'affirmer contre Boukeïkhanov et je prouverai l'incorrection de sa position. Toi aussi, tu dois détromper le peuple, démasquer infatigablement ces gens-là. Au revoir! Attends mes messages".
Nous commençâmes la préparation du congrès, on commença à expliquer au peuple qu’il ne fallut pas attendre la manne céleste du congrès.
Nous avons examiné l'ordre du jour du congrès d'Orenbourg à la réunion générale de notre comité de district. Comme le problème clé et le plus important crucial nous trouvions la discussion du caractère du nouveau gouvernement de la Russie. Cette question inquiétait nous tous, parce que des beys bourré, des mollahs et des hazrats, des anciens chefs de voloste tsaristes se preparaient à aller au congrès à Orenbourg. Il fut facile de deviner quel mode de gouvernement ils pouvaient proposer: seulement celle profitable pour eux-même, mais pas pour le peuple.
Après l'exposé et l'échange des opinions nous prîmes la décision du comité, et en son nom Birmoukhammet Aïbassov fit un télégramme suivant au congrès d'Orenbourg: "Nous votons pour la république Fédérative, en nous affirmant contre tous d'autres modes de gouvernement".
Notre télégramme vint à Orenbourg avant le congrès. Certain intervenants se déclaraient aussi pour la république fédérative. Le président Boukeïkhanov se mettait en quatre, en tâchant d'imposer au congrès le programme de parti constitutionnel-démocrate[44]. Il prouvait la régularité de la création du gouvernement Russe avec le roi et le parlement, comme en Angleterre...
Le temps passait. Les hadzhas, les mollahs et les anciens chefs de voloste continuaient à nous considerer comme des ennemis jurés, en nous traitant les athées, les violateurs des fondements nationaux.
Ayant reçu la police d’écriture, nous commençâmes à publier le journal "Tirchilik" ("Vie").
En août le congrès de district d’Akmolinsk eut lieu, auquel Assylbek Seitov, le participant du congrès d'Orenbourg, du comité régional, arriva d'Omsk. Il apporta avec lui-même la résolution imprimée du congrès et raconta en détail, comment le congrès avait passé.
Si beaucoup que Boukeïkhanov s'attachât à l'acceptation du programme des cadets, à l'établissement de la démocratie constitutionnelle en Russie, finalement il fut obligé d’être d’accord à la proposition de la création de la république fédérative. Au congrès on prit la décision aussi d'organiser le parti "Alache" et on indiqua les candidatures de tous les régions du Kazakhstan pour être délegués à l'assemblée constitutive prochaine.
- Toi aussi, tu es inscrit aussi dans la liste des candidats, - Seitov me dit. - Avec toi Rakhimzhan Douïssembaev ira aussi de la région d’Akmolinsk.
Je m’intéressai, pourquoi les candidats à une telle réunion importante étaient incrts par correspondance? La direction ne connaissait ni notre humeur, ni notre dévouement.
- Que ferez vous, si les représentants indiqués par vous suivent aveuglément n'importe quel parti russe? – Je demandai à Seitov.
- Cela ne se passera pas! On fait son propre parti kazakh, - Seitov dénonça sûrement.
- Nous ne ferons jamais partie d’un parti, où on demande la bénédiction bienveillante d'Olzhabaï ou Nourmagambet, - je continuai.
Seitov me répondit quelque chose avec désapprobation, nous entrâmes dans les altercations et, finalement, je demandai de me déduire du nombre des candidats à l'assemblée constitutive.
Le congrès d’Akmolinsk passait à l’atmosphère extrêmement lourde pour notre comité. Dans la plupart les délégués étaient larbins des anciens chefs de voloste, leurs beaux-pères et leurs frères. Sans aucuns titres réguliers vinrent au congrès des anciens chefs de volost, des grand beys et des mollahs qui avaient les dents contre nous il y a longtemps.
Un clivage apparut dans le comité. Nos anciens adhérents, avec qui nous travaillions côte à côte encore tout à fait récemment, se trouvèrent sous l'influence de chefs de volost et entrérent en collusion malhonnête avec eux contre un ancien appareil du comité kazakh. Seitov aussi monta catégoriquement contre nous.
Le comité était réélu. L'aide-médecin vétérinaire Khoussaïn Kozhamberlin devint son président, et parmi les membres du comité se trouvèrent le mollah Mantène, les anciens interprètes de cour Erdenbaev et Sarman Choulenbaev l’ancien chef de voloste et l'interprète Ousen Kosaev et et leurs consorts. Kochmoukhammet Kemenguerov et Dinmoukhammet Adilev partirent pour Omsk, et Aïbassov prit la direction à Atbasar, à son pays natal.
Le comité renouvelé montra son vrais visage. Les simples gens étant avides de la liberté et de la justice, ne pouvaient pas trouver le soutien dans un nouveau comité et c'est pourquoi ils sollicitaient l'aide, le conseil, le soutien au "Zhas Kazakh". Notre journal "Tirchilik" était de plus en plus plus populaire. Le journal était l'organisme de "Zhas Kazakh", et c'est pourquoi nous pouvions critiquer courageusement l'activité du comité kazakh. De temps en temps nous laissions notre lecteur entendre ce qui dirigeait le comité à ce moment-là. Dans un des numéros "Tirchilik" il y eut mon poème sous le nom explicite "Les mâtins". Le président du comité Khousaïn Kozhamberlin a exprimé le mécontentement à propos de cette publication, mais le poème joua néanmoins son rôle dans la lutte contre le nouveau comité.
Selon le fait suivant on pouvait voir l'"égalité" imposée par le nouveau comité. D'après l’ordre du comité de gouvernement on commença le collectage des fonds parmi les habitants de notre district. Chacun était obligé donner sept roubles cinquante copecks. Le comité exigeait une contribution égale des beys, tels, comme de Nourmagambet Sagnaev et Olzhabaï ayant chacun une mille chevaux, et du vieillard d’Akmolinsk Balapan connu pour sa pauvreté. Voilà l'égalité. Il y eut beaucour de faits pareils à cette époque-là.
Nous ne pûmes pas nous taire et nous nous retournâmes énergiquement contre tels excès sur les pages de notre journal. Nous sûmes bien sûr que par nos actes décisifs nous nous mettions les ennemis à dos dans une telle situation complexe, mais nous agissions en conformité avec nos principes. Plusieurs personnes furent opposés à nous, nous détestaient et restèrent nos malveillants pour des longues années.
Au printemps de 1925 au congrès pan-kazakh des correspondants du journal "Akzhol", convoqué à Tachkent, un certain Baïtassov Abdoulla prit la parole avec un exposé sur l’"histoire du sceau kazakhe". En examinant le travail et le contenu des journaux de la période prérévolutionnaire, en déformant dans la mesure de ses forces l'essentiel de l'affaire, le rapporteur affirmait, que le "Tirchilik" d’Akmolinsk, en étant le porte-parole le plus important des intérêts des pauvres, ne pouvait pas tout de même se défausser entièrement des préjugés religieux et du nationalisme".
J'ose dénoncer que tout ça était un bavardage. Il est absurde d'affirmer que chaque numéro du journal fut irréprochable sous tous rapports, que le journal "ne trébuchait jamais" dans la caractérisation d’un événement ou d’un autre. Nous, les éditeurs, n’eûmes pas à ce temps-là l'expérience suffisante de la lutte politique et sociale, pas tous furent suffisamment compétents. Même maintenant, de nos jours, il y a des journaux, qui déraillent de temps en temps à propos de n'importe quelle question. Et il fut encore plus difficile de tout comprendre à cette époque-là. Mais néanmoins le "Tirchilik" ne soutenait ni religion, ni nationalistes. Si l’esprit de notre journal était nationaliste, il aurait soutenu avant tout la partie de l'Alach-Orda. Mais ce ne fut pas comme ça. Vous pouvez voir s’il était religieux, selon les documents suivants.
"Nous avons besoin d’un mufti" - le journal d'Orenbourg "Kazakh" déclara sur ses pages. À propos de cette déclaration dans un des numéros de "Tirchilik" le rédacteur en chef Rakhimzhan Douïssembaev s'est produit avec un article de tête. Le "Kazakh" réimprima notre éditoral, mais avec ses objections et les remarques. Voilà quel l'air cela avait aux pages du "Kazakh".
"... Le journal "Tirchilik" récemment fondé à Akmolinsk, a publié un éditorial "Est-ce que le peuple kazakh a besoin de mufti", dans lequel il prouvait l'inutilité du mufti et invitait à l'insubordination et à son désaveu à présent. Bien que cela soit l'opinion seulement du journal "Tirchilik", néanmoins, nous avons décidé de faire des lecteurs juges de cet article. Voici ce que "Tirchilik" écrit:
"Bien que nos Kazakhs fassent la proposition sur la soumission au mufti, mais ils ne s'imaginent pas clairement, si cette soumission est nécessaire. Une des raisons de cette incompréhension, selon toute probabilité, peut consister en ce qui suit. Dans les conversations avec les Kazakhs les Tatars déclarent parfois que si les Kazakhs ne reconnaissent pas le pouvoir du mufti musulman, cela signifie, donc, qu’ils passent alors automatiquement sous la dépendance du gouvernement russe.
Certains personnes inclinent à prendre cette déclaration au sérieux, elles y voient une offense de leur dignité nationale et c’est d'ici que la confusion commence. Mais enfin, le mufti tatar se soumet aussi en effet aux Russes.
Jusqu'aux derniers temps il n'y avait aucune prêtrise officielle, qui ne se soumettrait pas au tsar russe.
Non seulement ça, mais aussi après le renversement du tsar Nikolay, s'est trouvé que les muftis tatars hypocrites étaient espions tsaristes ingénieux. Ils dénonçaient aux fonctionnaires tsaristes tous les hommes progressifs voulant du bien à leur nation. Le tsarisme est renversé, mais les muftis sont restés. Ils fonctionnent jusqu'à présent, jouissent de l'estime, mais nous ne remarquons pas d'influence heureuse spéciale de la religion sur la vie du peuple, nous ne voyons pas de fruits de l'instruction publique.
Autrefois les Kazakhs étaient subordonnés au mufti. N’il y a que trente ans qu’on s’est libéré de leur influence, quand on résolvait le problème agraire important pour nous. Les chefs du mouvement kazakh n'ont pu obtenir à cette époque-là aucuns résultats sensibles positifs dans la question agraire parce que les muftis les dérangaient. Les gens de dignité ne soutennaient pas le peuple kazakh.
Les élections des évêques russes avaient lieu indépendamment de la volonté et du pouvoir du tsar. Maintenant le peuple russe considère la religion est devenue l’affaire de chaque personne. Et pourquoi devons-nous nous affubler aux vêtements usés et continuer à soutenir la propagande religieuse, devenir obéis au mufti?
La science affirme que le renforcement l’intoxication religieuse aveugle le peuple, le détourne de la bonne voie de l'instruction, le tient dans l'obscurité et l’entretient dans l’erreur d'esclave. Le peuple intoxiqué fera le mollah mufti, lui donnera les les pleins pouvoirs dictatoriaux, et après il ne pourra pas se débarrasser de lui. Une telle chose se passait déjà dans l'histoire des autres peuples.
Qu’est-ce que va faire le pauvre, si le mufti lui prend le dernier veau de sa seule vache pour payer pour le rite de mariage, d’attribution du nom au nouveau-né ou pour le rite de funérailles?
Le vingt-cinquième mars 1891 on a publié l’"État de steppe", dans lequel on décrivait les droits et les devoirs des mollahs, leur rôle et leur mission dans la société. On a officiellement interdit aux mollahs de percevoir aucunes tailles. Mais le peuple ne le sait pas. А le chef d’aoul, homme sans orthographe, a obligé la population de payer l'impôt spécial pour les obsèques, pour le mariage, pour l’attribution du nom au nouveau-né. Cet impôt est devenu l'habitude comme un tribut au tsar.
Le peuple kazakhe a maintenant beaucoup de tâches urgentes, il lui est nécessaire d'obtenir la liberté personnelle, et non placer un mufti sur son dos.
Ce que les Kazakhs n’ont pas besoin de mufti et qu'ils ne voient pas le profit de son travail, a été montré éloquemment par les élections des akhons[45] à Akmolinsk.
Rakhimzhan Douïssembaev"
À cette époque-là aucun journal kazakh, excepté le "Tirchilik", ne publia pas les articles si courageux, d'un tel caractère évidemment antireligieux. Tous les journaux de cette période-là exprimèrent les intérêts de l'Alach-Orda. Le programme de ce parti-là était pour eux l'appel et le drapeau, et leurs supports étaient toujours des beys à cheveux blancs, des chefs de voloste éminents, des "saints" hazrats. La situation Au "Tirchilik" se distinguait des autres rédactions. Notre appui furent les pauvres nombreux de ville et d’aoul, et nos collaborateurs actifs furent des membres de l'organisation de jeunesse "Zhas Kazakh".
Et à Akmolinsk et aux aouls l’autorité du journal "Zhas Kazakh" fut beaucoup plus grande, que celle du nouveau comité. Nous nous ingérions résolument dans les affaires du comité en cas de mariage forcée, en cas d’utilisation de la rançon et s’il y avaient des actions injustes quelconques.
Le nouveau comité, bien qu'il tâchât, ne pouvait pas gagner l'autorité parmis les habitants. Et ce n'était pas étonnant, parce que le nouveau comité n'apportait rien de nouveau à la vie des Kazakhs, mais tentait de les tirait au bon vieux temps, marchait sous la houlette des beys et de chefs de voloste. C’était clair qu'avec une telle orientation les gens de comité n’ eurent aucune raison pour attendre le soutien du peuple. À chaque séance du comité il y avait toujours quelqu'un des membres actifs du "Zhas Kazakh", il faisait attention à ce qu'on ne pervertît pas la politique révolutionnaire, qu’on ne foulât pas aux pieds les intérêts des simples gens.
Quel lâcheté alterne que fût réalisé par les gens du comité sous la pression des beys, nous tâchions par tous les moyens de livrer cette affaire à une large publicité, mettions en plein jour tous les hommes malhonnêtes du comité.
Il nous fut difficile de lutter. Nous nous appuyions sur les pauvres nombreux, mais n'ayant pas encore de programme défini, а les gens du comité s'appuyaient sur un puissant soutien des beys et des chefs voloste, qui savaient ce qu’ils voulaient, leur but fut clair, et ils ne lésinaient pas sur les moyens pour l'établissement des liens, pour les corruptions, ils atteignaient leurs buts par n'importe quelles voies, ils agissaient imperceptiblement, sournoisement.
Le temps vint, quand notre organisation ne pouvait plus se limiter à des demi-mesures, et nous décidâmes de lutter ouvertement contre le comité.
Nous convoquâmes une conférence à huis clos de notre organisation dans le bâtiment scolaire, où j’habitais avec le professeur. On se réunit le soir au crépuscule. Non seulement les membres de "Zhas Kazakh" vinrent, mais aussi certains personnes invitées par nous, celles-là, à qui nous croyions entièrement.
À la conférence assistaient: Baïsseit Adilev arrivé récemment d'Omsk, Rakhimzhan Douïssembaev, notre écrivain principal et le rédacteur en chef de "Tirchilik", et d'autres chefs de l'organisation. Je fus président, Adilev fut secrétaire. À cette conférence une décision unanime fut prise: il était nécessaire de licencier le comité kazakhe de district en commençant d'en bas, par les soins du peuple.
De bon matin, avant le travail, nous allions venir simultanément aux plus importantes organisations municipales et nous allions remettre la résolution de la réunion de "Zhas Kazakh". Ensuite nous allions nous réunir dans la place fixée de la réunion générale – à l’appartement d'Assylbekov, non loin du bâtiment du comité. Là nous prendrions en mains les slogans écrits d'avance, et nous irions en colonne au comité pour émettre nos exigences.
Nous attribuâmes des fonctions parmi nous-mêmes. Pour remettre la résolution Baïsseit et Zhoumabaï iraient au commissaire de district Petrov, j’irais aux soldats de la garnison et je fairais l'exposé court, deux autres camarades se dirigeraient au comité russe et expliqueraient aussi notre résolution, et encore deux devraient rester à l'appartement d'Assylbekova et écrire les slogans. Douïssembaev, Serikpaev et encore quelques personnes devraient aller au marché, où dès le matin les pauvres kazakhs de ville se réunissaient, et prendre la parole là, lire la résolution, appeler le peuple à la démonstration et le passionner pour nos idées.
Ayant distribué les devoirs, nous nous séparâmes tard dans la nuit.
Le matin chacun partit à accomplir son devoir.
Dans la garnison les soldats déclarèrent leur solidarité avec nous. Nous étant assuré du soutien, nous nous dirigeâmes vite vers le lieu de réunion. Le commissaire de district, ayant entendu parler de notre intention de licencier le comité, entra en fureur. "Je ne le permettrai pas! Arrêtez immédiatement! Si vous arrangez une démonstration, j'arrêterai toute la gamme!" - Petrov criait.
Les gens commença à arriver à la place de notre réunion. Un fripouillard, évidemment envoyé secrètement par le comité, vint là:
- Oïboï, quatre miliciens armés sont venus au comité, le commissaire de district lui-même et encore deux Russes! - il se mit à hurler.
- Qu'ils aillent ici. Nous ne nous arrêterons pas en chemin!
Nous sortîmes bravement dans la rue avec les slogans. Une grande foule comprenant pour l'essentiel les pauvres de ville s'agricha à nous.
À notre approche tous les membres du comité prirent leur élan au travers des portes du sous-sol.
À notre rencontre le commissaire Petrov sortit et commença à défendre les droits du comité. Les deux nôtres se mirent à ferailler avec lui, en accusant ardemment le comité des erreurs, de sa direction incorrecte. Ces nos deux djiguites (Khoussaïn Zhalmagambetov, et je ne me me rappelle pas d'autre) venaient d’arriver de la steppe, ils connaissaient la situation de là-bas et c'est pourquoi ils se prirent ardemment et passionnément de bec avec le commissaire de district. Je les soutins.
À côté du commissaire le secrétaire responsable des socialistes-révolutionnaires d’Akmolinsk apparut. Lui, il entra en jeu tranquillement, sérieusement, comme un chef expert et un orateur entrainé, et il commença à nous nous calmer. Autant le représentant des socialistes-révolutionnaires parlait modérément, autant le commissaire était violent. Il faisait rage comme un feu. Finalement, ayant dominé sa colère, le commissaire nous demanda de lui accorder un délais de quinze jours pour passer pendant ce temps les réélections du comité kazakh.
Nous nous séparâmes.
Après cette démonstration bruyante le comité perdit définitivement son autorité aux yeux du peuple. Les gens comprenaient qu'un tel comité ne vaut pas maintenant un sou.
Les quinze jours passèrent, mais le commissaire ne pensait même pas aux réélections. Alors nous recommençâmes notre lutte avec le comité. Au marché grouillant Rakhimzhan Douïssembaev prononça un discours. Il prouvait persuasivement au peuple que le comité était créé pour le profit des beys, de chefs de voloste et de leurs suppôts, mais pas pour le bien du peuple.
- Allons-y les disperser par force! – on entendit des exclamations, et la foule avança de nouveau vers la maison, où un secrétariat du comité se trouvait. Mais ses membres se cachèrent raisonnablement de nouveau. Près de la porte fermée nous fûmes rencontrés par le vieillard-maître.
La foule s'écoula...
LUTTE POUR LES SOVIETS[46]
En novembre nous reçûmes un télégramme informant qu'à Petrograd on avait renversé le gouvernement de Kerensky et que le pouvoir avait passé aux mains des bolcheviks.
Après la révolution d'Octobre la vie politique et sociale à Akmolinsk commença à bouillonner, comme l’eau dans une chaudière de cuivre.
Des réunions, des meetings devinrent plus fréquents, on recommença de vives discussions.
Les camarades russes et kazakhs allaient coude à coude dans la lutte ouverte pour la création du Soviet d’Akmolinsk. Avec nous étaient Douïssembaev, Assylbekov, Serikpaev, Nourkin, Bekmoukhammetov (Nourgaïn), Adilev, Khandeldin Ouvali, Gizzatoullin, Kocherbaï et d’autres; Les soldats de la garnison - Monin, Krivogouz, Loznoï, Kolomeïtsev, Repchneïder, l’ouvrier de l'usine d’Ekibastouzsk Botchok; le membre du parti des gauches socialistes-révolutionnaires l'avocat Trofimov, le professeur du séminaire Gorbatchev et le gauche socialiste-révolutionnaire Martlogo.
On passaient beaucoup de réunions et de meetings. Les antagonistes de l'établissement du pouvoir des Soviets furent tous les cosaques russes sans exception. Les beys, les nobles héréditaires, les officiers résistaient obstinément, sans reconnaître le pouvoir des Soviets; contre nous était le comité kazakh qui partageait les mêmes idées avec le parti d’Alach. Bien que le gouvernement de Kerensky eût été liquidé, mais son le commissaire d’Akmolinsk Petrov continuait à être au pouvoir.
Bref, les adversaires étaient en quantité innombrable, et nous n’étions pas très nombreux.
Selon la décision du congrès d'Orenbourg, présidé par Boukeïkhanov, on organisa partout au Kazakhstan le parti Alach. Dans les provinces et aux districts ses comités furent ouverts. Tous les journaux, excepté "Tirchilik", publiait son programme. Les journaux publiaient des articles exaltés, chantaient les hymnes louangeurs au parti Alach, dont le programme se formait de morceaux des programmes menchévistes, de socialistes-révolutionnaires et de cadets.
L’Alach ne pouvait pas réaliser son programme de hâbleur jusqu'à l’obtention du soutien de Kolchak.
Toute l’intelligentsia nationaliste portait Alikhan Boukeïkhanov aux nues, le considérant comme le leader sage et légal de tout l’Alach. Ils n'épargnaient pas de forces et de moyens pour prover leur bon droit et étaient prêts à piétiner des hétérodoxes.
Boukeïkhanov arriva au congrès Sibérien, visita Omsk et Semipalatinsk, faisait les discours. Les messieurs lettrés, les nationalistes éminents, les mercantis-commerçants, les étudiants - les fils des beys, ayant débouché sur la route, rencontraient Boukeïkhanov avec l'honneur.
À titre d'illustration je citerai un extrait de l'article publié dans le "Kazakh" du 21 novembre 1917. L'article fut réimprimé de "Sary-Ark", et à titre d'exemple digne d'imitation on nomma ceux qui avaient rencontré et salué avec l'honneur Boukeïkhanov à Semipalatinsk: Chaïki Moussataev, Akhmetzhan Kozybagarov, Mannan Tourganbaev, Soultanmakhmout Torazhgyrov, Aïmaoutov et les autres.
De chaque province du Kazakhstan pour la participation au travail de l'assemblée constitutive de toute la Russie l'"Alach-Orda" sélécta les délégués et publia leurs noms dans le journal du 14 novembre 1917.
Du côté du parti "Alach"
Pour prendre part à l'Assemblée Constituante du chef de l'organe central du parti "Alach" les délégués suivants de la région de Tougaïsk (liste n°1) ont été portés:
1. Akhmet Baïtoursounov,
2. Akhmet Beremzhanov,
3. Sagyndyk Doszhanov,
4. Abdolla Temirov,
5. Tel Zhamanmourounov,
6. Erzhan Orazov,
7. Alikhan Boukeikhanov.
Les délégués des régions d’Akmolinsk et de Semipalatinsk sont:
Liste n° 5
1. Alikhan Boukeikhanov,
2. Aïdarkhan Tourlybaev,
3. Alimkhan Ermekov,
4. Khalel Gapbassov,
5. Assylbek Seitov,
6. Moukych Botchtaev,
7. Erezhep Itbaev,
8. Zhakip Akpaev,
9. Seilbek Zhanaïdarov,
10. Raimzhan Marsekov,
11. Zhoumagali Tleoulin,
12. Biakhmet Sarsenov,
13. Rakhimzhan Douïssembaev,
14. Akhmetzhan Kozybagarov,
15. Magzhan Zhoumabaev,
16. Abikei Satbaev,
17. Sydyk Mechinbaev,
18. Bazyken Ouskenbaev,
19. Salmakbaï Kousemisov.
Les délégués de la région d’Oural sont:
1. Khalel Dossmoukhammetov,
2. Zhakhancha Dossmoukhammetov,
3. Nourgali Epmagambetov,
4. Goubaïdoulla Alibekov,
5. Salimguirei Karatleouov,
6. Omar Esengoulov,
7. Gaïssa Kachkinbaev.
Les délégués de la région de Semirechensk sont:
Liste n° 2
1. Moukhammetzhan Tynychbaev,
2. Chibalin (Russe),
3. Otynchi Alzhanov,
4. Atchkassaïski (Russe),
5. Gabdoullin,
6. Niyazbekov,
7. Mirzakhan Toleoubaev,
8. Babkin (Russe),
9. Propkin (Russe).
Liste n° 3
1. Ibraim Zhaïnakov,
2. Chandirikov (Russe),
3. Sadyk Amanzholov,
4. Dour Saouranbaev,
5. Bazarbaï Mametov.
Les délégués de la région de Boukeevsk sont:
Liste n° 8
1. Oualitkhan Tanachev,
2. Bakhitkerei Koulmanov.
Liste n° 3
1. Kadim Sarmoldaev,
2. Salimguirei Nouralikhanov.
Dans une liste générale seulement la liste des délégués de la région de Syr-Darinsk manqua.
Les chefs de l'Alach-Orda dès les premiers jours de la révolution étaient adversaire farouche du pouvoir soviétique. Les journaux de l'Alach-Orda éclaboussaient beaucoup les bolcheviks, calomniaient par tous les moyens les fondateurs du pouvoir soviétique. "Les bolcheviks sont les affidés des Allemands, les leur se sont vendus pour l'argent", - les journaux répétaient fievreusement.
Dans le journal "Kazakh" du 14 novembre 1917 Boukeikhanov et ses "coreligionnaires" publièrent un article odieux dénigrant le parti bolchévik. Ils vulgarisaient brutalement le sens de l'activité bolcheviste, charactérisaient les bolcheviks comme les gens à double face, malins et disaient pis que pendre, en tâchant de donner au lecteur de l'aversion envers les bolcheviks. Cet article fut signé par A.Boukeikhanov, A.Baïtoursounov, M.Doulatov, Akhmet Beremzhanov, S.Doszhanov, Zh.Zhanibekov, Faïzoulla Galimzhanov, K.Arguyngaziev, G.Zhoundibaev, Gazimbek Beremzhanov. Dans la même livraison du 14 novembre on publia le télégramme supplémentaire signé par A.Boukeikhanov, A.Baïtoursounov, S.Doszhanov, Eldes Omarov sur la convocation de IIe congrès à Orenbourg.
Selon ce télégramme les représentants de chaque région, une personne de la rédaction de chaque journal, de l’organisation nouvellement ouverte furent proposés pour aller au congrès. Et en outre, remarquons, que le journal indiquait ses adhérents (myrzas, kazis[47] et d'autres grades de serviteur du culte, aussi bien que l’intelligence bourgeoise) nominativement: kazi Omar Karachov, kazi Kaïrcha Akhmetzhanov, kazi Gabdoulla Echmoukhametov, ichan Akhmet Orazbaev, Kozhakhmet Orazaev, Korgambek Beremzhanov, Koulmambet Kankozhin, Chakarim Koudaïberdin, Zhoussipbek Basygarin, Moustafa Tchokaev, Khalel Dosmoukhammetov, Zhakhancha Dosmoukhammetov, Oualitkhan Tanachev, Bakhitkerei Koulmanov, Zhangozha Merguenov, Ichangali Arabaev, Oraz Matiev, l’aqsaqal Chonan, le hadzhi Otarbaï Koundybaev, Akhmetkerei Kosouakov, Nourlan Kiyachev, Nourmagambet Sagnaev, Changuireï Boukeev, le hadzhi Esengoul Mamanov, les Moukhzmmetzhan Tynychpaev, Salyk Karpykov, Sapar Naouryzbaev et Ilyas Zhangarin.
Selon le télégramme, avec des représentants des autres journaux, un représentant et de notre "Tirchilik" et de l’organisation "Zhas Kazakh" nouvellement ouverte fut aussi appelé au congrès. Mais nous n’envoyâmes personne au congrès ni de la part de la rédaction, ni de la part de l'organisation "Zhas Kazakh". Dans la liste des personnes appelées individuallement d’Akmolinsk figurèrent Nourlan Kiyachev et Nourmagambet Sagnaev. Tous les Kazakhs obéissaient au doigt et à l’œil à ces deux aqsaqals, ex-grands seigneurs féodaux. Nourlan Kiyachev avant le renversement du tsarisme vingt-cinq ans avait été en permanence l’intendant de voloste, il avait été bien des fois décoré par le tsar et favorisé par les généraux.
Dans ses troupeaux il y eut près d'une mille cinq cents chevaux. Il était appui solide de trente volostes d’un grand clan de Kouandyk. Et Nourmagambet, dit Pan (hautain), en l'honneur de l'arrivée de l'héritier tsariste arrangea à Omsk un grand festin, offrit à l'héritier une yourte blanche comme neige décorée d'or et trois troupeaux des jeunes juments avec les étalons; un troupeau se composait des chevaux exceptionnellement truités, avec les taches noires, comme des gouttes sur un papier blanc, dans un autre troupeau étaient les juments noires semblables aux castors, et les chevaux de troisième troupeau se distinguaientt par la blancheur étonnante. Pan eut igneur beaucoup de grades, de récompenses, de diplômes d'honneur reçus du tsar et de l'héritier. Ce bey connu brillant, le chef autoritaire de voloste fit le pèlerinage à la Mecque, devint hadzhi, mais il était illettré, comme un autre délégué d’Akmolinsk - Nourlan Kiyachev.
Ainsi le deuxième congrès "pan-kazakh" se trouva en mains des beys, des hadzhis, des ex-chefs de voloste et des "saints" hazrats.
À Orenbourg les loups de choix d'Alach se réunirent. De la ville d'Akmolinsk au congrès furent présents halfé Galaoutdin et le marchand de première guilde Koul Paouenov.
Le congrès prit la décision d'organiser le gouvernement commun d’Alach, de créer une troupe régulière et de commencer la collecte des fonds. On élut l'équipe gouvernementale, en disant de manière kazakhe, on choisit les vizirs.
Le vingt-cinquième janvier 1918 le journal "Sary-Arka" réimprima le bulletin volumineux du journal "Kazakh". Il commençait comme ça:
Résolution du Congrès général
kazakh-kirghiz...
Le congrès passait du cinquième au treize décembre à Orenbourg, où les délégués de tous huit régions du Kazakhstan arrivèrent.
Le congrès fut convoqué à l'initiative d'Alikhan Boukeikhanov, d’Akhmet Baïtoursounov, d’Eldes Omarov, de Saguindyk Doszhanov et de Myrzhakip Doulatov.
Au travail du congrès participaient les représentants des diverses organisations et des journaux, comme, par exemple, Mourtaza Nourseitov, Abdrakhman Mourtassinov, Aboulgaziz Oulkechev, Berniyaz Kouleev, Abilkhamit Zhoundibaev, Abilgaziz Mousin, Kochmoukhammet Kemenguerov et Khaïritden Bolganbaev.
On invita spécialement Bakhitkerei Koulmanov, Zhakhancha Dosmoukhammetov, kazi Omar Karachev, kazi Aboul Echmoukhametov, Madi Makoulov, Khalel Dosmoukhammetov, Esengali (Ichangali) Arabaev, Akhmetkerei Kossouakov, Oualitkhan Tanachev, Zhangozha Merguenov, Salik Karpykov, hadzhi Otarbaï Koundybaev, Moustafa Tchokaev et Ilyas Zhangarin.
La présidence du congrès: le président Bakhytkerei Koulmanov; les membres: Alikhan Boukeikhanov, Khadel Dosmoukhammetov, Azimkhan Kenesarin, Omar Karachev.
Les secrétaires: Daouletche Kousepgaliev, Myrzhakip Doulatov, Seidazim Kadirbaev.
Avant l'ouverture du congrès Alikhan Boukeikhanov prit la parole et dit: "L’orateur célèbre qui a eu le prix à la réunion passée populeuse et invité à ce congrès aussi, notre cher aqsaqal Oraz Tatiev est décédé. C'est pourquoi avant le congrès je propose de prier pour le repos de l'âme d'Oraz".
Les assistants, ayant prié pour le repos de l'âme de d'Oraz, commençèrent la conférence...
Les questions à discuter au congrès:
1. L'autonomie de la Sibérie et Tourkestan et sur l'union du sud-est.
2. L'autonomie kazakhe-kirghize.
3. La création de la milice.
4. Le Conseil national.
5. Les questions de l'instruction.
6. La trésorerie nationale.
7. Les questions de l'élection du mufti.
8. Le tribunal du peuple.
9. L’administration d’aoul.
10. L'alimentation.
On prit une décision concernant les questions analysées. Le congrès a décidé de collecter quelques millions de roubles pour le nouveau gouvernement, d’organiser la milice de quelques mille personnes et les distribuer dans les régions. Le gouvernement de l'Alach-Orda fut élu.
1. De la province de Boukeevsk - Oualitkhan Tanachev,
2. De la province d'Oural - Khalel Dosmoukhammetov,
3. D la province d'Akmolinsk - Aïdarkhan Tourlybaev,
4. De la province de Tourgaïsk- Akhmet Beremzhanov,
5. De la province de Semipalatinsk - Khalel Gapbassov,
6. De la province de Semiretchensk - Sadyk Amanzholov,
7. Du la province de Syr-Darinsk - Moustafa Tchokaev.
En dehors des régions sont élus:
8. Alikhan Boukeikhanov,
9. Zhakhancha Dosmoukhammetov,
10. Alimkhan Ermekov,
11. Moukhammetzhan Tynychpaev,
12. Bakhytkerei Koulmanov,
13. Zhakip Akpaev,
14. Bazarbaï Mametov,
15. Otynchi Alzhanov.
Les délégués adjoints furent élus:
1. Gaïssa Kachkinbaev,
2. Toussipbek Zhakippaev,
3. Erezhep Itpaev,
4. Satylgan Sabataev,
5. Esengali Kassaboulatov,
6. Batyrkaïr Niyazov,
7. Moukich Botchtaev,
8. Seilbek Zhanaïdarov,
9. Salimguirei Nouralikhanov,
10. Omar Almasov,
11. Seidazim Kadirbaev,
12. Asfandiyar Kenzhin,
13. Le Capitaine en second Beguimov,
14. Esen Tourmagambetov,
15. Zhaneké Soultanbaev.
Pour l’éléction du président de l'Alach-Orda Alikhan Boukeikhanov, Bakhytkerei Koulmanov et Aïdarkhan Toulybaev furent proposés.
Pour Alikhan 40 personnes donnèrent leurs voix, 18 personnes votèrent contre lui, pour Bakhytkerei votèrent 19, 39 personnes votère contre lui, 20 personnes votèrent pour Aïdarkhana, 38 personnes votèrent contre lui.
À la majorité des voix Alikhan Boukeikhanov fut élu président du gouvernement de l'Alach-Orda.
À la commission de l'instruction entrèrent: Akhmet Baïtoursounov, Magzhan Zhoumabaev, Eldes Omarov, Biakhmet Sarsenov, Telzhan Chonanov.
C’était ainsi brusquement et précipitamment que le gouvernement de l’Alach-Orda fut créé. Les poètes de bey nationalistes composaient en son honneur des odes louangeuses et, sans avoir honte du peuple, les publiaient dans les journaux.
Avant deuxième Congrès général kazakh-kirghiz dans le numéro 254 en décembre 1917 le journal "Kazakh" publia le texte du télégramme sur l'"Autonomie de Tourkestan". Là le suivant fut stipulé:
"Kokand. Le 2 décembre. Le 27 novembre à Kokand le congrès régional des musulmans eut lieu. La création de l'autonomie foncière de Turkestan fut déclaré. Le peuple rencontra joyeusement cet événement. On élut un nouveau gouvernement - l'Assemblée nationale temporaire. En janvier on va convoque l'Assemblée constituante de Tourkestan. La ville de Kokand est la résidence du Gouvernement temporaire.
Khaïritden Bolganbaev"
Ainsi une autonomie connue de Kokand apparut. Certains renégats-intellectuels de l'Alach-Orda, s'étant entendu en sourdine avec les hommes ouzbeks et tatars bourgeois à Kokand, s’élurent au gouvernement de Turkestan, dénoncèrent l'autonomie. Le chef de gouvernement fut Moukhammetzhan Tynychpaev, et ses membres furent Moustafa Tchokaev et les autres.
Quand la convocation le Deuxième Congrès kazakh-kirghiz fut annoncé, le membre du gouvernement de Turkestan Moustafa Tchokaev partit immédiatement pour Orenbourg. Au congrès Tchokaev fit savoir que les Kazakhs de Semiretche et de Syr-Daria temporisaient en vain et qu’ils devaient se joindre à l'autonomie de Turkestan. C’était comme ça que ce "héros" après le congrès se trouva membre de deux "gouvernements"...
Dans le numéro 254 de journaux " Kazakh" du 18 décembre 1917 son envoyé spécial communiqua:
"La région d’Akmolinsk.
Le journal publia déja l’information de l'ouverture du comité régional de l'Alach-Orda à Omsk. Les gens suivants furent élus pour entrer au comité:
Assylbek Seitov, Magzhan Zhoumabaev, Moukhtar Samatov, Aïdarkhan Tourlybaev, Bekmoukhammet Serkebaev, Erkosaï Moukouchov, Erezhep Itbaev, Dinmoukhammet Adilev, Kochmoukhammet Kemengerov, Mousoulmanbek Seitov, Zhoumagali Tleoulin, Os. Akhmetov, Khoussaïn Kozhamberlin, Kozhakhmet Kakenov. Le comité de l'Alach-Orda envoya les gens à chaque district pour donnes des explications à propos des élections à l'assemblée constitutive. Ils ouvrirent leurs comités dans cinq districts de la province d’Akmolinsk".
Dans le n° 253 de "Kazakhs" en décembre 1917 on publia le suivant:
"Le parti Alach.
Nous déjà communiquâmes sur l'ouverture du comité régional à Semipalatinsk. Dans le dernier numéro de "Sary-Ark" on publia un tel article:
"À Semipalatinsk le comité temporaire régional du parti Alach s'ouvrit. Les personnes suivants entrèrent dans sa composition: Alimkhan Ermekov, Raïmzhan Marsekov, Imam Alimbekov, Akhmetzhan Kozybagarov, Touragoul Kounanbaev, Khalel Gapbassov, Sydyk Douïssembaev, Alikhan Boukeikhanov, Moustakim Maldybaev, Daniyar Mouldabaev, Biakhmet Sarsenov, outre eux il était proposé d'introduire dans le comité une personne de chaque district. Le président du comité Khalel Gapbassov, le vice-président Akhmetzhan Kozybagarov, le secrétaire Sydyk Douïssembaev, le trésorier Daniyar Mouldabaev. Alikhan Boukeïkhanov fut élu président honorable..."
Dans le n° 250 de "Kazakhs" en novembre 1917 on disait: "le Parti Alach.
À Orenbourg on organisa le comité régional de Tourgaisk du parti Alach. 14 personnes entrèrent au comité, dix furent d'Orenbourg et une personne de chaque quatre districts.
Les membres d'Orenbourg: Akhmet Beremzhanov, Akhmet Baïtoursounov, Alikhan Boukeïkhanov, Eldes Omarov, Omar Zhanibekov, Myrzhakip Doulatov, Gabdoulkhamit Zhoundibaev, Saguindyk Doszhanov, Gabdoukarim Doszhanov (de Tourgaï), Telzhan Chonanov (d'Irgiz), Essengali Nourmoukhammetov (d'Aktiubinsk), Myrzagazy Espoulov (de Koustanaï). Le président du comité d’Alach de Tourgaïsk - Alikhan Boukeïkhanov, le vice-président -Akhmet Baïtoursounov, le secrétaire - Myrzhakip Doulatov, le trésorier - Zhanouzak Zhanibekov.
Les cotisations du parti Alach: un rouble".
Dans le numéro 253 de journal "Kazakh" il y avait une annonce réimprimée de "Sary-Ark", où il disait: "Seulement celui peut devenit membre du parti Alach qui obéit sans objection aux instructions du comité central du parti Alach et reconnaît son programme juste".
Pour organiser les élections à l'assemblée constitutive, d'Omsk du comité régional d'Alach-Orda Moukhtar Samatov arriva. À cette époque-là Moukhtar se fiait entièrement à Boukeïkhanov et à ses assistants.
À Akmolinsk on organisa le comité de district du parti d'Alach-Orda, qui commença la préparation des élections à l'assemblée constitutive. Certainement, tout cela était fait pour que les Kazakhs rendissent leurs voix pour les candidats du parti Alach.
Avec l'arrivée de Moukhtar Samatov le comité demi-mort kazakh d’Akmolinsk commença à se ranimer.
J’allai au comité pour me rencontrer avec Moukhtar. On se saluâmes. Autrefois nous avions été copains, au temps des études à Omsk nous travaillions ensemble sur la création de l'organisation "Birlik" (Union), qui existait de 1913 jusqu'à 1916.
- As-tu consenti à entrer dans le parti "Ouch zhouze"? - Il s'intéressa.
- Non. Je n’ai besoin ni de parti Alach, ni d’"Ouch zhouze"! Je peux accepter complètement aucun de ces deux programme. Mais je sympathise plus à la partie "Ouch zhouze".
- Et quelle partie soutiendras-tu à l'assemblée constitutive?
- Je vais voir moi-même. Mais pour l’instant je ne vais me rallier ni à l’Alach, ni à l’"Ouch zhouze"!
À propos quel était ce parti "Ouch zhouz", qui on organisa à Omsk parallèlement avec le comité régional du parti Alach?
Il fut organisé par les habitants d'Omsk Moukhan Aïtpenov, Kolbaï Togoussov, Chaïmerden Alzhanov et les autres. Ils l’appelaient le parti socialiste "Ouch zhouz" et dans la liste nous (les camarades d’Akmolinsk) fâmes insérés aussi par correspondance.
Dès son organisation l’"Ouch zhouze" commença à traîner des leaders de l'Alach-Orda dans la boue. Il le faisait avec l'aide du journal "Ouch zhouze" publié à Petropavlovsk. De ses pages volèrent les jurons à l'adresse des chefs d'Alach.
Certes, les jurons de retour des chefs de l'Alach-Orda à l'adresse des chefs d’"Ouch zhouze" étaient tout à fait pareils. Ils savaient jurer aussi et, de plus, beaucoup mieux que leurs dénigreurs. L’"Alach-Orda" eut beaucoup de membres, le noyau principal du parti fut assez compétent, il avait l'expérience de la lutte politique, en plus tous les journaux régionaux, excepté le "Tirchilik", se trouvaient en ses mains. Le "Sary-Ark" de Semipalatinsk, le "Birlik touy" de Tachkent, l'"Ouran" d'Astrakhan, "Kazakh" d'Orenbourg – tous ensemble commencèrent à réprimander la rédaction du journal "Ouch zhouz".
On peut injurier n’importe qui, vouloir c'est pouvoir, et péroreurs exercés d'Alach ne manquaient pas d’habileté.
Le journal "Kazakh" fut fondé avant tous les autres, il eut la plus grande experience. Comment peut-il donc ne pas dépasser des autres en maîtrise? Pour montrer au lecteur cette "maîtrise" et la position réelle de l'Alach envers l’"Ouch zhouze", je citerai certains extraits du "Kazakhs" et du "Sary-Ark";
Dans le numéro 260 du "Kazakhs" on réimprima l’article suivant de "Sary-Ark":
"Les gredins parfaits parmi les Kazakhs
Après l’obtention de la liberté ardemment désirée les yeux de notre peuple se sont dessilés, la vision est devenue unie, la compréhension mutuelle a été atteinte. La plupart les habitants a commencé à vivre mieux, plus richement. Mais il y a toujours dans le peuple les gens séparés effrénés, qui commencent à ne plus se sentir dans leur peau. Chez nous se sont trouvés et les renégats ingénieux détestables fourvoyant le peuple qui a suivi honnêtement leurs leaders allant le droit chemin.
Comprenez une fois pour toutes qu'au parti "Ouch zhouze" les bagarreurs les plus acariâtres, scandaleux, impudents agissent. C'est une maladie sur le corps sain du peuple.
Chaque fils digne de l’Alach, de la nation ne doit pas les écouter, il est obligé de les éviter, de se garder d’eux. Depuis des temps immémoriaux les Kazakhs se trouvaient sous les griffes des étrangers, ils supportaient l'oppression et les offenses.
Maintenant c’est le temps de dire fermement à tous les débrouillards de l’"Ouch zhouze": ne dévoyez pas le peuple. C’est n’est pas votre affaire de l’unir et de la grouper. Le peuple ne peut pas aller au précipice, en vous suivant aveuglément. Ne troublez pas le peuple. Si vous voulez chercher un morceau de pain dans le sein d’un décédé, cherchez-le là, mais pas ici!
Nous suivrons le parti Alach. C’est seulement là que nos guides fidèles au futur se trouvent.
Les membres du zemstvo de district de Semipalatinsk: Akhmetzhan Andamassov, Zhamchyrbaï Choulembaev, Temirchi Zhounoussov, Sadyk Douïssembaev, Kourmambaï Mouzdybaev, Baïsseke Essirkepov, Maïlybaï Esenbaev, Imambazar Kazangapov, Raïymzhan Marsekov, Kaldybaï Boudambaev et Kokbaï Chanataev".
Dans le journal "Kazakh" le 12 novembre 1917 on publia l'article "Les protecteurs turques et tatars":
"Nous avons reçu un télégramme du comité d'Omsk régional de l'Alach-Orda.
Les ennemis acharnés de l'Alach pervertissent la ligne du parti, ils répandent les rumeurs calomniatrices parmi les habitants. Nous demandons de publier en urgence aux pages du "Kazakh" le programme de l'Alach-Orda...
Après cela le 17 novembre nous reçûmes un autre télégramme d'Omsk:
"Les Kazakhs mécontents de programme du parti Alach créé par un brave cadet Boukeikhanov, ont organisé indépendamment le parti socialiste sous le nom d’"Ouch zhouz". Le but de ce parti: soutenir la fédération, organiser une nouvelle communauté turque et tatare, porter ses candidats sur la liste pour participation à l'assemblée constitutive. Le chef de la présidence est Aïtpenov, le secrétaire est Koubekov".
Ce télégramme fut expédié à deux adresses: à la rédaction du "Kazakh" et à la rédaction du "Novoe vremya"[48]
L’ayant reçue les Tatars, probablement, penseraient qu’un "héros" des Kazakhs, appelé à unir touts les clans turques et tatars, a été finalement trouvé.
Comment pouvaient les Tatars savoir, quelle est la nature de ce parvenu? Il peut, en effet, arriver que les Tatars ne se lui confieraient pas. La même chose serait si un certain Tatar, admettrons que Fatikhoulla, nous télégraphiait de la province de Kazan et nous dirait à propos de l’organisation par lui-même d’un clan turque et tatar. Est-ce que nous le confierions et nous prendrions son acte avec respect and avec esprit clair?
Le nom d'Aïtpenov, l'auteur de ce télégramme, est Moukan, Bien que tout le globe terrestre ne soit pas familier avec Moukan, il est bien connu au district d’Omsk. Nous aussi, nous apprîmes de lui. Si c'est Moukan, qui créa le parti "Ouch zhouz" pour unir les clans turques et tatars, Dieu nous préserve de tels bienfaiteurs, c’est notre seul souhait, il y a pas d’autres.
Mais peut-être nous nous trompons, en prenant ce parti "Ouche zhouze" pour celui qui nous connaissions auparavant. Si c'est le même parti, il est incompréhensible, pourquoi à la chute du cours du rouble on ne lui a pas donné un autre nom "un mille", et on se sont limité par seulement "trois centaines"[49]
Nous pensons que Moukan, ayant contracté une maladie bolcheviste, a décidé de créer le parti "socialiste", mais sans profit personnel. Quand il deviendra socialiste, c'est-à-dire égal en droits, est-ce que tout son bien gagné dès le 25 juin de l'année passée, ne deviendra pas le patrimoine de toute la société?"
Le comité régional de l'Alach-Orda de Tourgaïsk.
Le 26 novembre 1917 dans le "Kazakh" n°252 on publia l'article du Madyar (le pseudonyme de Doulatov) sous le titre "Aigrefins "Ouch zhouz".
"... À Omsk Moukan, qui pêche dans l'eau trouble, a apparu. Après le dénoncement de la liberté cette personne est devenue extraordinairement débridée, en faisait à sa tête, nuisait l'affaire du peuple, c'est pourquoi le comité régional d’Akmolinsk a décidé de mettre fin à ses affaires indignes, l’a reprimandé.
Après cette reprimande le chef de file Moukan, ayant conférer avec ses amis, les têtes brûlées connues, tels comme Kolbaï (Togoussov) et Chaïmerden (Alzhanov), a décidé d'arrêter personnellement les membres du comité régional. 50 ou 60 canailles ont entouré en plein jour l'appartement d'Aïdarkhan (Tourlybaev), le président du comité. Le maître du logis n’était pas à la maison, les voyous ont battu la domestique, ont fait le scandale. Les gens de famille ont réussi à appeler la milice par téléphone de l'appartement d'Aïdarkhan. Les miliciens sont venus.
Avec les cosaques ils ont libéré les membres du comité et ont arrêté en flagrant délit les faux "révolutionnaires". Une enquête est en cours maintenant. On ne sait pas si on les a mis en liberté sous caution ou sur nantissement, mais on dit que à ce moment-ci ces "héros" sont en liberté.
Ils projetaient stupidement la révolution, tâchaient d’arrêter quelqu'un et se sont trouvés dans la prison eux-mêmes. La rumeur sur cette histoire s'est répandue partout. Comment peuvent-ils maintenant se retenir de la bagarre avec le comité régional?
On préparent maintenant les réélections au zemstvo, et Moukanou veut beaucoup devenir son membre officiel... Sans savoir ce qu’il faut faire, il s’agite, comme un cheval enrêné, ronger son frein.
Et dans l’entre-temps les élections de l'assemblée constitutive des districts urbains à Akmolinsk et Semipalatinsk s'attardent, le délai de la présentation des listes des participants de cette réunion s'achève. Les aventuriers politiques se réjouissent, toute cela leur est à bras, ils n’ont que le but de se faire voir.
"Si vous avez créé le parti Alach, nous ne sommes pas nés d’hier, nous allons constituer l’"Ouche zhouze". Avec l'aide de Dieu nous pourrons créer un remue-ménage aussi. Si vous avez proposé une liste, nous proposerons la nôtre", - ils ont déclaré, ils ont dressé la liste de neuf "meilleurs" gens et l’ont remise à la commission.
Si vous avez besoin d’une liste, la voilà! La proposer c’est une affaire de rien du tout! Si elle est signée par cent personnes, n’importe qui peut l’apporter. Mais il s’agit pas de la quantité de listes, mais de leur contenu. Dans les régions d’Akmolinsk et de Semipalatinsk il y a dix districts. Après la révolution quelques congrès ont eu lieu, le peuple y élisait les hommes honnêtes. On élisait aussi les favoris du peuple pour le congrès pan-kazakh passant les 21-26 juin. Les noms des élus étaient annoncés aux pages du journal "Kazakh".
Personne ne dirigeait les renégats par cette voie risquée. Ils, s'étant accordé entre eux-mêmes, ont décidé de se venger du comité régional d’Akmolinsk, sans penser que la cause de tous leurs ennuis est leur propre stupidité, exprimé par ce qu'ils ont proposé leur liste.
Voici deux listes pour vous, comparez-les, estimez les candidatures de chacune d'elles:
De la part d'Alach
1. Alikhan (Boukeikhanov)[50], 2. Aïdarkhan (Tourlybaïev), 3. Alimkhan (Ermekov), 4. Khalel (Gapbassov), 5. Assylbek (Seitov), 6. Moukich (Botchtaev), 7. Erezhep (Itbaev), 8. Zhakip (Akpaev), 9. Seilbek (Zhanaïdarov). |
De la part d’"Ouche zhouze"
1. Le hadzhi Khassen, 2. Kolbaï (Togoussov), 3. Chaïmerden (Alzhanov), 4. Moukhan (Aïtpenov), 5. Oussen (Kossaev), 6. Soultanmakhmout (Toraïguyrov), 7. Baïseit (Adilev), 8. Kazi (Torsanov), 9. Aliaskar.
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Selon ces listes vous pouvez voir l'humanité, la raison, l'honneur et l'héroïsme de chaque candidat; rendez votre voix pour celui qui vous voulez!"
Dans l'article cité par moi le propagandiste d’Alach-Orda Myrzhakip Doulatov, en adulant le peuple, répétait importunément que seulement les gens d’Alach-Orda étaient les vrais défenseurs des intérêts du peuple kazakh, de sa liberté et de sa prospérité. Cette méthode fut pas nouvelle, c’était le truc habituel de la propagande fausse bourgeoise de faire le défenseur du pauvre.
Le journal "Ouche zhouze" n'était pas en arrière dans le débinage de retour à l'adresse de l'Alach-Orda. Mais si on prenait en considération, comparait la composition et l'instruction de la direction de l’un parti et de l’autre, leurs expérience, les conclusions n’étaient pas en faveur de l’"Ouche zhouze".
L'Alach-Orda incorporait la crème des groupes dirigeants de beys, des fils des fonctionnaires hauts placés, qui avaient reçu l'éducation dans les gymnases tsaristes, des myrzas héréditaires, on pouvait dire que c’étai une élite de la nation. Et au "Ouche zhouze" étaient réunis des citadins d'Omsk, des artisans, des cochers, des bergers, en général des pauvres municipaux illettrés. Et le lutteur connu Khadzhimoukan qui avait été berger auparavant, s’apparut parmi eux.
La noblesse formée était certainement plus forte aux discussions, aux logomachies, et plus flexible dans ses actions. А ses adversaires sans instruction agissaient avec sincérité et avec naïveté du pauvre, sans ruses et sans perfidie, sans ambages. Mais le proverbe dit: "Celui qui est physiquement fort, vaincra trois ennemis, et celui qui est fort par ses connaissances en vaincra une mille". Khadzhimoukan pouvait tomber une dizaines de gens d’Alach-Orda, mais dans la lutte politique il était tout à fait impuissant contre seulement Zhakhancha, le juriste formé.
On dit, "tel cerveau, tel chapeau". Le journal "Ouche zhouze" correspondait entièrement au niveau de l’instruction des activistes de l'organisation. Les chefs de l'Alach-Orda étaient injuriés à ses pages d’une manière la plus brutale et vulgaire.
Les travailleurs de la rédaction ne comprenaient pas toujours que en condamnant l'adversaire dans un moment du colère, ils se permettaient les mots et les démarches inadmissibles et c'est pourquoi, avant tout, ils se compromettaient eux-mêmes.
Quel était donc cet événement, dont Doulatov avait raconté aux pages du "Kazakh", réelement?
Le dix-neuf octobre 1917 Moukan Aïtpenov avec Chaïmerden Alzhanov, Abdrakhman Kylychpaev et d'autres organisateurs du nouveau parti, parmi qui était un luttant Khadzhimoukan, ont convoqué la conférence, à laquelle ils se tournèrent avec diatribe contre l'activité odieuse des chefs de l'Alach-Orda. Malgré le renversement du tsarisme, malgré la liberté dénoncée pour le peuple, les simples gens, les pauvres n'avaient aucun profit.
Les beys notables vinrent au pouvoir et créèrent leur parti. La conférence prit la décision à disperser le comité régional d’Akmolinsk, qui n'aidait pas les pauvres de ville, ne les défendait pas. M.Azhtpenov, C.Alzhanov, A.Kylychpaev étaient travailleurs du comité de district kazakhe d'Omsk. Sous leur direction près de cent citadins se réunirent. La foule avança attaquer le bâtiment du comité régional. Il y avait en avant Khadzhimoukan avec le drapeau rouge en mains. Les manifestants portaient les slogans, sur lesquels on écrivait les exigences des pauvres.
Les gens s’approchèrent au bâtiment, l'entourèrent. Les organisateurs et les inspirateurs de la démonstration Aïtpenov, Alzhanov, Kylychpaev et encore environ dix personnes firent irruption au local du comité et déclarèrent tous les travailleurs là arrêtés. Certainnes personnes furent tout de suite battus par les gens venus furieux. Le président et l'avocat A. Tourlybaev furent pas là.
Ayant pris avec eux-même Seitov et Zhoumabaev détenus, les révoltés avancèrent à l'appartement de Tourlybaev, l'a entourèrent et commencèrent à enfoncer les portes, mais Tourlybaev eut le temps de s’enfuir...
À ce moment-là un détachement de milice et de cosaques chevaliers arriva tout juste à temps, il entoura les manifestants, libéra Seitov et Zhoumabaev, et arrêta les instigateurs de la révolte.
À ce propos le 21 octobre 1917 le comité kazakhe régional adopta une résolution, l'ayant exposé en russe:
PROTOCOLE
de la séances du comité kazakhe régional d’Akmolinsk n°132, le 22 octobre 1917
Les présents: Tourlybaev, Sadvokas Zhantassov, (Magzhan) Zhoumabaev, А.(Assylbek) Seitov, E.Moukouchev, E.Tokpaev, К. (Kazi) Torsanov et les membres admis en addition: E. (Erezhep) Itpaev, M. (Moukhtar) Samatov et M. (Mousoulmanbek) Seitov.
À la séance on discutait les rapports de M.Seitov et M.Zhoumabaev sur l'incident ayant lieu le 19 octobre de l'année en cours.
«… Le 19 octobre 1917 à deux heures de l'après-midi au bureau du comité régional kazakhe le vice-président du comité de district kazakhe de C.Alzhanov et son secrétaire A.Kylychpaev vinrent avec trois Kazakhs "miliciens". Ils forcèrent abruptement la porte de l’antichambre et passèrent directement au cabinet du président.
Kylychpaev mit les Kazakhs-miliciens accompagnant près des téléphones et ordonna de n’y pas laisser entrer aucun travailleur du comité régional.
Dix minutes s’à peine écoulèrent que le président du comité de district kazakhe d'Omsk Moukan Aïtpenov arriva lui-même en compagnie de cinquante ou soixante Kazakhs, parmi eux six ou sept personnes eurent des brassards de milice du district d'Omsk.
Aïtpenov, en s'adressant à ses compagnons et en indiquant au secrétaire du comité régional, ordonna: "Tout d’abord arrêtez-lui!"
Seitov objecta: "Sans permission du Gouvernement temporaire Aïtpenov n’a le droit d’arrêter personne de son propre chef!" Alors Aïtpenov ordonna aux "miliciens" d'user la force.
Les "miliciens" ont fait M.Seitov entrer au cabinet du président du comité régional, où à ce moment-là étaient Zhoumabaev, Torsanov, Adilev.
Aïtpenov fit un discours devant le public:
- Les honorables aqsaqals, les frères aînés et cadets! Je suis né et grandissais parmi vous. Vous me connaissez bien. Vous comprenez, quels malheurs j'ai subi en protégeant vos intérêts pendant le régime tsariste. Tout la région d’Akmolinsk me connaît. J'espère que vous n'avez pas perdu la foi en moi, - Aïtpenov déclara.
Le public faisait écho bruyamment: "Nous te croyons, nous te croyons!"
- Vous êtes les gens simples, - Aïtpenov continua. - Les membres du comité régional - les monarchistes, les suppôts de l'autocratie, est-ce qu'ils jamais accomplissaient une votre exigence?
- Non, non! Il n’était comme ça jamais! - le public déclara de nouveau.
- Dans le comité tout se passe à leur initiative. Ils suivent partout leur ligne, réalisent leur pouvoir. Le comité régional est un désastre pour le peuple kazakhe. L'agriculture est très déchue en raison de leur activité odieuse. Regardez leurs documents adressés aux comités de district et de voloste, et alors vous vous persuadez que l’administration bureaucratique existe partout et on commande partout. Est-ce que telles actions s'harmonisent-elles avec la liberté?
- Non! Non! Ne s'harmonisent pas! - les assistants répétaient. Les voix de Kouderi, de Sarsenbaï, de Nourtaza, de Koudaïberguen et de Sadvokas se distingaient particulièrement.
- Si c’est comme ça, est-ce que c’est donc juste de laisser ces monarchistes acharnés au pouvoir dans le comité régional? À mon avis, c’est injuste! - Aïtpenov déclara fermement.
Le public l’approuva unanimement et adécida de faire le président Tourlybaev résigner sa charge dans le comité régional.
Avec ses trois "miliciens" Aïtpenov partirent pour chercher Tourlybaev. Dans 30-40 minutes il revint et rapporta au public: "Tourlybaev s'est enfui, mais nous avons eu quand même le temps de battre ses deux chiens" (L’un d'eux c’était le cocher, et un autre était cuisinier).
Avec la permission de certains aqsaqals le secrétaire du comité M.Seitov prit la parole devant le public:
- Je suis un proche parent d'Aïtpenov, - il dit, - c'est pourquoi je le connais mieux que vous. Il est une tête chaude et à l'occasion il veut toujours tirer profit personnel de toutes les choses. Maintenant lui, en se servant de votre simplicité, il vous excite à un crime, en proposant d’utiliser la force. Certes, vous ne comprenez pas clairement toutes les conséquences de cela. Vous ne comprenez pas, à quoi une telle négligence aboutira. Vous ne savez pas tout à fait clairement que finalement vous serez résponsables pour toutes vos actions inspirées par Aïtpenov.
Et Aïtpenov prononça:
- Ah, quel dommage! Ce chien-là ne m'a pas encore rendu mon revolver! Sinon, je m'en serais servi!..
Sous la dictée d'Aïtpenov au "nom" de la réunion le secrétaire Boguenbaev composa une décision, dans laquelle il exprima la méfiance de tous les membres du comité régional kazakh, à l'exception de certains assistants se trouvant là.
À la fin de la décision il fut indiqué:
Demain, le 20 octobre, à midi les membres du comité régional, à qui on exprima la méfiance, doivent dénoncer qu’ils résignent volontairement leurs charges au comité!.."
Certaines personnes refusèrent de signer cette "décision", et Aïtpenov prit la parole encore une fois:
- Ohé, les gens! Voici la décision, où votre volonté est inscrite. Seitov refuse d'exécuter votre ordre! Comment considérez-vous cela? Et moi, je le trouve juste de le mettre aux arrêts!
On arrêta Seitov. Et Zhoumabaev avec lui aussi.
- C’est moi qui tient ton destin, je suis ton dictateur, - Alzhanov prononça à haute voix, en s'adressant à Zhoumabaev.
La foule conduisit les détenus vers l'appartement de Tourlybaev. En passant Aïtpenov notifiait les passants: "Tenez, voici nous avons arrêté et nous chassons les monarchistes".
On cerna l'appartement de Tourlybaev. Aïtpenov, Alzhanov et Kylychpaev s’approchèrent tous les trois à la porte d'entrée, frappèrent et demandèrentde sortir Tourlybaev immédiatement.
Et Aïtpenov dit à quelques "miliciens" d'escalader l'enceinte et ouvrir les portes. Il voulut faire la foule entrer à l'appartement de Tourlybaev par l'entrée de service.
Un homme armée sortit de la porte d'entrée.
- Moi, je suis assistant du chef de la milice. Que désirez-vous? - Il demanda.
Aïtpenov, Alzhanov et Kylychpaev, s'étant perdu, bredouillèrent indistinctement:
- Ces gens demandent que Tourlybaev sorte ici!
- Tourlybaev ne sortira pas. Dites ce que vous voulez? - L'assistant du chef de la milice continua.
- Passez l’information sur ce que ces gens expriment unanimement la méfiance de Tourlybaev. C'est pourquoi, selon la décision du peuple, que demain à midi Tourlybaev vienne àl'appartement de Kouderi Moussin et dise qu’il résigne sa charge au comité!
Ce moment-là la milice municipale vint, encercla la foule et l'a conduit chez le commissaire de la deuxième poste de milice de district..."
Le comité régional décida de:
"Considérer que la révolte susmentionnée des citadins d'Omsk ne mérite pas l'attention spéciale, car ils étaient détournés de la bonne voie par tels éléments, comme Aïtpenov, Alzhanov, Kylychpaev et d’autres. Ces chefs de file sont agitateurs de la paix publique et de l’ordre juridique établi.
Considérer illégales les actions violentes des "miliciens" exécutant aveuglément les ordres d'Aïtpenov, et les traduire en justice.
Juger nécessaire de porter cela à la connaissance du comité régional uni d’Akmolinsk, ainsi que d'autres autorités supérieures.
Signé par: le président du comité régional d’Akmolinsk - Tourlybaev;
l'assistant - A.Seitov;
les membres - Moukouchev, Zhoumabaev, Zhantasov;
le secrétaire - M. Seitov..."
Telle fut la décision du comité régional kazakh d’Akmolinsk, adoptés à propos de la révolte faite par les pauvres de la ville d'Omsk à la veille de la révolution d'Octobre.
Je publiai un article au "Tirchilik" sur cet événement et je aussi mentionnai l'envoi des moyens aux fils des pauvres du district d’Akmolinsk, qui faisaient leurs études à Omsk. ("Tirchilik", n°4, 10. Х1. 1917). Je prouvais que l'argent était distribué par le comité de région injustement, l’argent était donné aux enfants des beys, et pas aux pauvres.
Le comité régional kazakhe traita mes mots véridiques le mensonge et envoya une lettre ouverte d'Omsk au journal "Kazakh". Je suis obligé de citer le texte de la lettre ouverte du comité régional, publié au journal d'Orenbourg n°254 du 13 décembre 1917.
"Nous vous prions de publier la lettre ouverte donnée aux pages du journal "Kazakh". Dans le numéro quatre du journal d’Akmolinsk "Tirchilik" on a publié l'article signé par un "Shamil"[51] sous le titre: "Le général régional arbitraire d’Akmolinsk[52] - le comité kazakh". En considérant le message de Shamil la calomnie absolue et l'invention, le comité régional est obligé d'expliquer l'état des choses actuel.
Pas tous les habitants d'Omsk voulaient disperser le comité régional d’Akmolinsk, mais seulement Moukan Aïtpenov, Abdrakhman Kylychpaev, Chaïmerden Alzhanov et encore cinq ou six leurs compagnons. À cause de l’ignorance et la bêtise, sans connaître la situation, quarante ou cinquante citadins les ont suivis. Leur conduite est connue par toute l’arrondissement d'Omsk. Tous savent que ces gens n'accepteront jamais aucun pouvoir, excepté le leur. Au coeur de l'été, sans aucunes élections, ils ont fait partie impertinentement du comité de district et jusqu'à l'automne avancé ils faisaient les scandales, empêchaient les réélections, et maintenant, s'étant persuadé définitivement que les réélections du 20 octobre seront pas en leur faveur, ils se sont avancés pour consolider leur position devant le comité régional. Ils ont été tous arrêtés le même jour, mais dans trois jours on les a laissés sortir et maintenant ils font l'objet d'une enquête.
Le comité de district d'Omsk est réélu. Nous venons d’entendre que le comité régional va être décorporé le 1 novembre. Mais c’était déjà le premier décembre, mais personne ne va décorporer le comité. On pense que le comité régional ne sera pas licencié avant l’ouverture du zemstvo régional, avant qu’on mette en ordre les affaires de la population. On ne peut pas laisser le secrétariat kazakh tout à fait sans surveillance.
Dans l'article on pervertissait le rapport sur l'argent qui est entré au comité régional. En réalité c’était comme ça:
Le district d'Omsk a versé pour le traitement du comité et pour le payment de bourse une mille deux cents roubles, et en outre il a dû ajouter cinq mille trois cents roubles. Le district de Petropavlovsk a versé pour le traitement du comité et pour le payment de bourse quatre mille six cents vingt roubles et versera encore onze mille cinq cents roubles. Le district de Koktchetavsk pour les mêmes buts a déjà versé cinq mille roubles, il versera en supplément douze mille roubles. Le district d’Atbasarsk qui a déjà versé 4400 roubles, doit donner dix-huit mille roubles. Le district d’Akmolinsk a versé huit mille cinq cents roubles et doit donner en supplément vingt cinq mille cinq cents roubles.
Voici les sommes, qui ont été reçues et doivent être reçues de chaque district. Les informations de monsieur Shamil ne collent pas à la réalité. Monsieur Shamil affirme que le comité régional ne délivre pas de bourses aux élèves du district d’Akmolinsk. C'est un mensonge. (J'ai écrit "aux enfants des pauvres", ici le comité omet mes mots originaux exprès).
En réalité seulement deux personnes font leurs études aux écoles administratives du district d’Akmolinsk: Dinmoukhammet Adilev et Achim Omariv. Ils reçoivent la bourse du comité régional tous les deux.
Excepté eux aux écoles "privées" encore trois gens d’Akmolinsk font leurs études. Selon la décision du congrès, le comité régional peut délivrer les bourses seulement aux élèves des écoles administratives, et par d’autres. En plus ces trois derniers personnes sont les fils des beys connus. C'est pourquoi les mots protecteurs de monsieur Shamil sur ce que "les enfants errent sans surveillance dans les rues d'Omsk, sont le verbiage..."
Les justifications confuses, le mensonge maladroit indignent toujours les lecteurs, discréditent le journal. La calomnie ne restera pas seulement aux pages de papier, les calomniateurs sont poursuivis par la loi".
Si la lettre du comité régional était véritable, les pouvoirs me mettraient en jugement.
Les documents témoignent éloquemment de l'intention sérieuse des pauvres de la ville d'Omsk de disperser le comité.
Les déclarations du comité que les "élèves des écoles "privées" étaient les fils des beys connus", et c'est pourquoi ils ne recevaient la bourse était un mensonge manifeste.
Une des élèves c’est Gulcharap Atchabarova était une fille d’un pauvre homme d’Akmolinsk, qui n’avait pas du tout de bétail; le deuxième est un homme connu ce temps-là Zhanaïdar Sadvokassov; et le troisième était Khamza Zhoussoupbekov. Outre eux y faisait ses études Khassanbek Koulataev, l'originaire de l'aoul situé près de la mine d’Ouspensk. Khassanbek faisait ses études aussi sans moyens. Il travaillait ces dernières années comme le milicien.
À la veille de la Grande Révolution d'Octobre les comités, dans lesquels maniaient les larbins du gouvernement de Kerensky et de Miliukov et les admirateurs de l'Alach-Orda, perdirent l'autorité aux yeux de gens simples, des manoeuvres et des pauvres de ville.
Les pauvres d'Omsk organisèrent le parti "Ouch zhouze" avec Aïtpenov, Chaïmerden Alzhanov et Kylychpaev à la tête. Les chefs inexpérimentés et maladroits du parti nouvellement créé ont commencèrent à suivre la politique extrêmement inconséquente.
Ils appelaient leur parti socialiste. Mais pourquoi alors décidèrent-ils de nommer le parti "Ouch zhouze" (Trois centaines)[53]? Dans la lutte avec l'Alach-Orda ils utilisaient ses propres méthodes bourgeoises et nationalistes, ses propres définitions et ses arguments.
Bien sûr, à cette époque-là beaucoup de gens trébuchaient, allaient à tâtons. Les collaborateurs d’"Ouch zhouze" ne comprenaient pas évidemment leus tâches, ils faisaient de grandes erreurs. J’écrivis à Chaïmerden Alzhanov qui nous avait enregistrés par correspondance dans le parti, que nous ne pouvions pas soutenir l’"Ouch zhouze".
Ma lettre ne produisit pas d’effet. Les chefs de l’"Ouche zhouze" continuaient à prononcer des jurons à l’adresse des chefs de l’Alach-Orda. Nous publiâmes dans le journal "Tirchilik" un article, dans lequel nous exprimâmes notre désaccord principiel avec la ligne d’"Ouch zhouze". La même chose je passai par un télégramme à la rédaction du "Kazakh" aussi.
Sans accepter avec les méthodes d’"Ouche zhouze", nous trouvions en même temps assez utiles ses attaques minant l'autorité de l'Alach-Orda aux yeux du peuple.
Bien ou mal, mais le parti "Ouch zhouze" faisait honte à haute voix aux chefs "irréprochables" d'Alach.
Il y a des gens affirmant même aujourd'hui que nous adhérions au "Ouch zhouze". Seulement les gens des régions lointaines, ne connaissant pas l'état de choses de ce temps-là à Akmolinsk, ou les gens poursuivant les buts méchants, tâchant de nous noircir intentionnellement, peuvent dire comme ça.
Même sans prendre en considération notre article au "Tirchilik" et mon télégramme à la rédaction du "Kazakh", où on disait clairement que nous ne étions pas d'accord avec la position d’"Ouch zhouze", on peut montrer un autre fait assez convainçant.
Au "Kazakh" n°259 du 12 janvier 1918 on a dit: "La rédaction a reçu un télégramme de Moukhtar Samatov, dans lequel il signalait la préparation insuffisante des élections les 26-31 décembre. Les candidats d’Akmolinsk refusent de voter pour le parti "Ouch zhouze".
Nous ne prîmes pas part au vote pour montrer notre désaccord avec la politique d’"Ouch zhouze". Nous ne fîmes pas cela non de crainte de l'Alach-Orda et non parce que nous pensions que les chefs de l’"Ouch zhouze" étaient plus mauvais pour le peuple, que les meneurs d'Alach. Par contre, dans le parti "Ouch zhouze" il y avait les camarades excellents honnêtes, tels, comme Chaïmerden (Alzhanov) et Iskhak (Kobekov). Pour la révolution l'Alach était plus dangereux et est plus nuisible, que l’"Ouch zhouze".
Bien ou mal les organisateurs de "trois centaines" avaient commencé, mais en 1917-1918 pendant les ultimes journées historiques ils prirent la partie des gardes-rouges, ils appuyèrent la révolution.
Nous ne prîmes pas la participation active aux élections des délégués de l'assemblée constitutive parce que nous ne voulions pas soutenir le parti "Ouch zhouze".
Si nous avions soutenu les candidatures indiquées, la plupart des Kazakhs d'Akmolinsk aurait été avec nous. Nous avions la possibilité de nous en persuader pendant les élections des membres au zemstvo (peu après l'assemblée constitutive). Bien que notre participion à ces élections n’ait pas trop été active, néanmoins la majorité écrasante (90 %) de délégués du zemstvo de district s’en tenaient à notre position. Parmi eux il y avait des gens d’Alach-Orda, tels, comme Nouralin, Seitov, Ablaïkhanov et les autres.
Mais retournons aux événements, qui se passèrent juste après la Révolution d'octobre. Au front politique le vieux monde se saisit avec celui nouveau. Les vieilles lunes luttaient avec une jeune époque vivifiante. La lutte devenait de plus en plus surchauffée. Les chefs de l'organisation "Zhas Kazakh" avec un petit groupe des camarades russes furent les premiers à Akmolinsk qui levèrent le drapeau des Soviets.
Nous avons commencé à nous renforcer. Les jeunes gens de l'usine de Spassk fonda l'organisation "Zhas zhourek" (Jeune coeur). Elle entretenait une liason forte avec le "Zhas Kazakh" et devint ensuite sa branche à l'usine. Un jeune homme, de nationalité turque, travaillait au "Tirchilik" et représentait l'organisation d'usine "Zhas zhourek".
À la plupart des réunions et des meetings nous avions le dernier mot.
Nous discutâmes la question de l'organisation du pouvoir soviétique à Akmolinsk à la réunion nombreuse dans un local du cinéma. La salle était tout à fait bondée. Beaucoup de gens se tenaient debouts près de la porte. Les présents se sont partagés en deux parties. On entendait parfois des exclamations de différentes places demandant la parole. De la part du journal "Tirchilik" j'insistais sur l'organisation urgente du pouvoir soviétique à Akmolinsk. Mon agitation enthousiasma le public. Tous, sans écouter l'un l'autre, firent du fracas, s’avancèrent à la tribune, créèrent une bousculade.
On interrompait les gens faisant des discours, on ne leur donnait pas la possibilité de finir, on faisaient du bruit. L’agitation du peuple s’alluma, comme la poudre sèche touchée par une étincelle. On discutaient, faisaient du bruit et finalement on choisit un conseil des députés d'organisation temporaire. On votaient pour chaque candidature séparément, on faisaient connaissance avec la biographie du candidat, l'invitaient à se montrer aux assistants d'une haute tribune.
On élisait les camarades suivants:
Botchok - ouvrier de l'usine d’Ekibastouz, Monin - soldat, Krivogouz - soldat, Loznoï - soldat, Kolomeïtsev - soldat, Chafran - forgeur, Piankovsky - électricien, Kondrateva - peintre, Bogomolov - employé subalterne, Repchneïder - soldat, Baken Serikpaev - ancien diplômé de l'école supérieure initiale, Abdoulla Assylbekov - employé subalterne, Nourgaïn Bekmoukhammetov - professeur, Baïseit Adilev - employé subalterne, Zhoumabaï Nourkin - professeur, Martlogo - coiffeur, Tourysbek Mynbaev, Baïsseit Zhoumanov, Khafiz Gizatoullin, Manazarov, Gryaznov, moi - Saken Seïfoullin - et d’autres.
Les gens réunis commencèrent déjà à partir, quand quelqu'un dit que "le commissaire de Kerensky Petrov s'enfuit".
C’était le même Petrov, qui se nommait toujours commissaire du gouvernement temporaire en signant les papiers ou fisant le discours aux réunions, le même Petrov, dont Douïssembaev traita provocateur à une des réunions.
La nouvelle sur l'évasion du commissaire du gouvernement temporaire enthousiasma le peuple encore plus. À sa poursuite ont envoya tout de suite deux soldats avec Krivogouz à la tête.
Après le meeting on eut la première réunion du conseil des députés d'organisation, à laquelle on adopta la décision sur la convocation du congrès, on indique les mandataires pour le travail de propagande sur les places, on élut un commissaire à chaque institution et on prit la décision obligeant les travailleurs de toutes les institutions sans objection du soumettre au commissaire de conseil des députés.
Mais le lendemain nos commissaires, ayant visité les institutions avec les pouvoirs de conseil des députés, furent obligés de partir, ayant écouté beaucoup de moqueries. Ils ne purent pas d’utiliser la force, parce qu’ils n’en avaient pas à portée de la main, ils n’avaient personne à s'appuier.
Donc, la ville ne reconnut pas notre conseil des députés temporaire. Deux jours de désarroi et d’absence du pouvoir passèrent. Après cela la bagarre, les discussions fortes commencèrent de nouveau.
Finalement les employés des institutions municipales, les bourgeois, les citadins ordinaire se réunirent et élurent le Conseil de peuple, ayant désigné le commissaire temporaire de district un certain Petrokeev. Ainsi à Akmolinsk il y eut à la fois quelques "pouvoirs": le commissaire temporaire, le comité de district kazakhe, le conseil des députés temporaire, la justice de cosaque, le comité du zemstvo.
Au commencement ils administraient parallèlement, mais les graduellement notre conseil des députés d'organisation, dans lequel il y avait des représentants de différentes classes moyennes et de différentes nationalités, commença à acquerir les droits plus grands.
Peu après la réunion du zemstvo de district avec les représentants des aouls eut lieu. Le comité du zemstvo organisé en été, passait maintenant les réélections, auxquelles nous prîmes part aussi. Les mandataires occupés de la tenue des élections partaient aux différents volostes, et nous, les chefs de "Jas Kazakh", leurs donnions des instructions correspondantes et des recommandations. Certains de ces mandataires partant pour la steppe, étaient membres de "Zhas Kazakh".
Tout juste à ce temps-là de la part du comité kazakh régional le médecin Assylbek Seitov et le capitaine Migach (Migadatcha) Ablaïkhanov vinrent d'Omsk pour organiser le "conseil national" de district à Akmolinsk, autrement dit, le conseil de district de l'Alach-Orda. On alla organiser la milice kazakhe nationale et collecter aussi les moyens pour l’entretien du gouvernement de l'Alach-Orda.
Ils vinrent au comité kazakh et s’y mirent vite d'accord. À la conversation Moukhtar Samatov prit part, le mandataire spécial d’Alach qui arriva du même Omsk pour les élections des participants supposés de l'assemblée constitutive.
À la discussion vinrent aussi Abdoulla (Assylbekov), Kocherbaï Zhamanaev, le chef des pauvres municipaux, et moi.
Seulement des Kazakhs furent présents. Il y avait tous les membres du comité: le président l’aide-médecin vétérinaire Khoussaïn (Kozhamberlin), les membres - le mollah Manten, l'interprète Sarman (Choulenbaev), l'interprète Khousaïn (Erdenbaev), le chef de voloste Oussen (Kosaev).
Les adeptes passionnés du comité se sont réunis aussi: le chef de voloste Olzhabaï, le chef de voloste Bagzhan, le scribe Toulebaï Nouralin - le neveu d’Olzhabaï, le membre du comité régional, et Moukhtar Samatov. Le local du comité fut bourré. Tous suivaient les événements passant avec le vif intérêt, comme si c’était une compétition des champions pendant le repas funéraire de bey riche. On discutaient longtemps, mais on se sépara bredouille, sans aucun accord, n'ayant pas trouvé le terrain d'entente.
Le lendemain tout se répéta de nouveau: la réunion eut lieu et le local du comité fut bourré, sans pouvoir contenir tous ceux qui voulaient participer. Ayant compris que les discussions bruyantes auraient lieu, les membres du comité appelèrent Charip Yalymov, un discoureur fou, dont je déjà parlai, un mercanti Tatar présomptueux niais. Et notre partie décida d’appeler comme un contre-poids notre camarade, le professeur des stages de formation pédagogiques kazakhs, Ouvalii Khangueldin, le Tatar aussi. La discussion s'échauffa beaucoup. Mais cette fois on ne décida rien non plus, tous se sont séparés, s’étant entendu à convoquer demain un meeting nombreux dans la cour du comité.
Le lendemain une flopée de gens vint dans une grande cour du comité, seulement des Kazakhs. Il gélait, tous portaient les les vêtements d’hiver. La vapeur de la respiration se trouvait au-déssus de la foule. Beaucoup de gens vinrent de différents aouls. Là il y avait des vieux et des jeunes, des anciens chefs de voloste, et ceux actuels.
Le meeting fut déclaré ouvert. On élut Kocherbaï Zhamanaev, le représentant des pauvres municipaux, président.
Kocherbaï était un homme illettré, mais il savait parler et suivait toujours notre ligne. On avait découvert ses capacités décalées d'orateur brusquement, pendant les temps orageux, après le renversement du tsarisme.
Il n’y avait pas de discouteur meilleur que lui à Akmolinsk. Ayant donné lecture des affaires contentieuses, Kocherbaï les a mit en discussion de tous.
On commença a faire les discours et les débats s'allumèrent de nouveau. L’ultime journée de la lutte vint et chaque groupe eut seulement un choix: la victoire ou la défaite.
Pendant deux derniers jours nous conduisions le travail de propagande actif parmi les habitants de ville pour nous assurer de leur soutien pour un moment décisif. La lutte sur la tribune fut à outrance. Les discours se succédaient. Chacun tâchait d’attirer l’attention de tous, de s'acquérir la confiance du public écoutant attentivement. Les orateurs étaient avec des gouttes de sueur au front, malgré le froid à pierre fendre.
La respiration chaude dégélait le givre sur les cils, la vapeur de la respiration de la foule mintait au ciel. À ce meeting je dus prendre la parole trois fois.
- Qu'est-ce que c'est l'Alach-Orda? - Je disais pendant mes discours. C’est un tel parti, qui a l'intention de restaurez un ancien khanat, de devenir un joug sur le cou et une bête noire du peuple kazakh. Est-ce que notre peuple a besoin de khanat?... Non! Nous supportions longtemps les caprices des khans. Maintenant larges masses de peuple kazakh ne sont pas séduites par les balivernes vaines de ces messieurs, qui rêvent de devenir khans. Les pauvres épuisés, s'étant délivrés du tsar, ne souhaitent pas de s'emberlinguer de nouveau "son altesse sérénissime" khan. Ce sont les beys et les chefs de voloste qui ont besoin du khanat comme de l'air. Le khanat est nécessaire pour les fils de messieurs, souhaitant devenir nobles héréditaires. la Russie ouvrière multiethnique qui a renversé et a supprimé pour toujours le règne de trois siècles des Romanovs, ne permettra pas maintenant le nouveau oppression du peuple de travail kazakh par les khans. Que messieurs souhaitant devenir khans et nobles s’en rappellent. Le peuple simple ne les suiva pas... Ils ont pris la décision de recueillir de l'argent de la population kazakhe. On se demande: pour qui est cet argent? Seulement pour ceux qui est avide de devenir khan. On a décidé de créer la milice des Kazakhs. On se demande: quels intérêts protégera-t-elle? Certes, les intérêts des khans. Défendre de qui? Des bolcheviks qui luttent contre les khans et le tsar. Qui sont bolcheviks? Ce sont les gens, qui protègent les intérêts des ouvriers, des bergers et des pauvres. Qui sont les disciples des bolcheviks?
Toute la classe ouvrière multinationale, les bergers des aouls, tous les grandes masses des pauvres, les soldats revenus du front et les moujiks pauvres des villages russes - voici ceux qui suivent les bolcheviks. Quand pour la protection des khans la milice kazakhe sera créée, elle se tournera contre les ouvriers russes, les soldats et les moujiks pauvres.
Les bolcheviks font tout leur possible pour gagner l'égalité de toutes les nationalités. Ils sont les adversaires irréconciliables du tsar, des monarchistes, des beys, suçant le sang du peuple, des fonctionnaires-voleurs, des chefs voloste et des chefs.
Les Kazakhs ne donneront pas leur sang pour ces messieurs, qui rêvent de devenir khans, car ils n'ont ni sang et ni forces excédentaires. Que les rêveurs cherchent parmi les gens de travail ceux qui souhaitent soutenir le khanat. Le peuple juste de steppe ne les suivra pas. N’obligez la population kazakhe de donner ni de l'argent, ni des djiguites à la milice! - je finis catégoriquement mon discours.
Nous quittâmes le meeting ayant décroché la timbale, ayant détruit des adversaires avec le soutien de la majorité.
Le lendemain c’était l’ouverture de la réunion de district de zemstvo. Beaucoup de délégués de "Zhas Kazakh" vinrent, les membres de notre conseil des députés furent présents là aussi. La réunion s'ouvrit dans le bâtiment à un étage du gymnase en brique rouge.
La salle vaste semblait inconvenante pour des réunions mouvementées de ce temps-là: les chaises furent rangées, les délégués se plaçaient tranquillement. Les personnes invitées occupaient des rangs de derrière.
Dans la pièce séparée une table fut dressée pour les délégués, là on pouvait boire du thé avec du sucre, goûter du pain blanc au beurre, manger du beurre et du fromage.
Quand les délégués prirent les places dans la salle, le président du zemstvo le médecin vétérinaire Tchernov ouvrit la réunion. Les gens contunuaient à venir. Tous les activistes de ville se frayèrent un passage à la salle: des anciens juges, des enquêteurs, des inspecteurs, des médecins. Je réussis à prendre la place au premier rang.
- Chers citoyens, avant de commencer notre travail, il nous faut faire serment civil. Nous ferons serment de fidélité au gouvernement provisoire. Je lirai le texte du serment, et vous le répéterez par la pensée avec moi. Je prie tous de se lever!
Tout le monde se leva. Les délégués de conceil se levèrent ensemble avec tous. Un tel début de la réunion fut tout à fait inattendu pour nous. Préalablement nous nous entendîmes d’insister à cette réunion sur la soumission du zemstvo au conceil des délégués comme au pouvoir révolutionnaire de peuple. Dans le cas contraire il devrait dissoudre son organisation.
Mais nous n'étions pas du tout prêts à un tel début quand il fallut faire serment et, donc perdre la possibilité de nous affirmer contre un serment récemment fait.
La majorité écrasante des assistants dans la salle furent des Kazakhs. Quatre-vingts ou même quatre-vingt-dix pour-cent d'eux furent supporteurs du "Zhas Kazakh". Tchernov, ayant fini vite la lecture du serment, le mit devant lui sur la table.
- Et maintenant allons tous nous signer sous les mots du serment, - il proposa.
Les gens dans la salle commencèrent à se mouvoir et on put comprendre qu’ils étaient complètement prêts à signer le serment.
Nous, les délégués de conceil, nous eûmes de bonnes raisons pour perdre pied.
- Permettez-moi de prendre la parole, - je m’adressai au président.
Tchernov me la donna.
- La plupart de délégués ne comprennent pas le serment que vous nous venez de lire. Je suggestionne de prononcer le serment en kazakh pour que les délégués kazakhs connaissent ce qu’ils signent. Et je demande d'expliquer plus en détail à qui nous faisons serment, à quel gouvernement temporaire? - Je demandai tout droit.
- Peut être, vous traduirez en kazakh vous-mêmes, - Tchernov proposa légèrement embarrassé.
- Je ne suis pas votre interprète officiel, - je répondis avec morgue, en sentant que Tchernov n’était pas sûr de soi dans le rôle du président.
Et tout de suite certains délégués russes et des soldats, les membres de notre conseil, parlèrent à la fois, en me soutenant.
- À bas! - ils firent du chahut. - il voulait nous tromper sournoisement pour que nous fassions serment à Kerensky. À bas le contre-révolutionnaire, il fait l’arrêter!
Le peuple fit du bruit, se leva. Les chaises se mirent à crépiter; les soldats se jetèrent vers la présidence. Les suppôts de Tchernov en disparurent comme par enchantement, ils s'enfuirent par l'entrée de service. Seulement Tchernov resta en scène pâle et désorienté.
- Je vous demande de calmer le public, - plusieurs fois il s'adressait à moi.
Et la foule pesait, grimpait en avant, en brisant les bancs et les chaises, faisait du bruit: "Arrêtez les contre-révolutionnaires!"
Nous deux avec Monin tâchions de mettre de l'ordre, nous égosillions et ont tranquillisâmes tant bien que mal les délégués enragés.
Dans le silence établi Tchernov se mit à parler de nouveau:
- Vous criez en vain, c’est inutile de faire du bruit, - il commença à se défendre. - Je parlais du serment au gouvernement temporaire qui est ici à Akmolinsk. C’est le conseil des délégués temporaire que j'entendais, - il commença à se justifier et se dérober devant nous. – Chaque gouvernement, quoi qu'il s'appelait avant l'assemblée constitutive, est temporaire...
Si beaucoup que Tchernov ait pirouetté, il ne réussit pas à tromper la réunion du zemstvo cette fois-là.
Le lendemain, quand je donnais les leçons aux enfants à l'école, deux hommes de "Zhas Kazakh" vinrent chez moi en traîneau:
- Allons-y vite! Les Kazakhs ont la réunion de nouveau au gymnase. Ils proposent d'ouvrir un zemstvo séparément des Russes. Samatov, Yalymov et Nouralin dévoyent le peuple.
Je fus obligé d'interrompre les études, et nous allâmes grand train en traîneau au gymnase. Là il y eut en fait une réunion. À la présidence étaient Samatov, Yalymov et Nouralin. Samatov était président. Je passai à travers la foule et m’approchai à la table de présidence.
On voyait, que Samatov avec les amis avaient déjà absorbé l'attention du public naif, l’avaient mis dans ses intérêts. Je demandai la parole à Samatov.
- D’accord, je vous insérerai dans la liste des orateurs, - il consentit volontiers.
Les orateurs se succédaient, je voyais que ce serait toujours à recommencer et que mon discours pourrait ne pas avoir effet finalement sur les gens présents. Je m’approchai tout près de Samatov et sollicitai la parole.
- Quand ton tour s'approchera tu le prendras, - il répondit imperturbablement.
Ma patience fut à bout, et je me mis à parler, en interrompant l’orateur suivant. Celui-là eut un moment de déraison, perdit le fil et se tut. Dans la salle le silence s’établit. Quelle serait la fin de cette bagarre? Samatov m'a rappela à l'ordre froidement.
- Ne m'empêche pas de parler, Moukhtar-ka! - et avec un geste éloquent de la main je fis comprendre clairement qu'il me fît la paix.
Dans la salle tous se mirent à rire[54]. Nos camarades connaissant les détails riaient le plus fort, Samatov s’emporta, les visages d’Yalymov et de Nouralin se décomposèrent de colère.
- Dans un tel cas je refuse de mener la réunion! - Samatov déclara.
- Mais personne ne vous demandait l’ouvrir, - je répondis. Samatov, Yalymov et Nouralin quittèrent la réunion.
Ils ne firent jamais de tentatives d'ouvrir le zemstvo séparé kazakh.
Sans perdre l'espoir de retourner l’ancien et du succès de l'entreprise à propos de la collecte de l'argent pour l'Alach-Orda, Ablaïkhanov et Seitov continuaient à vivre à Akmolinsk. Les membres de notre conseil des députés commencèrent à dire qu'il faudrait bien arrêter ces agents et les mettre sous les verrous. Ils ne présentaient pas de danger sérieux pour nous maintenant, personne ne voulait se déranger par l'arrestation de ces gens impuissants, c'est pourquoi il ne nous restait que rire gaiement, quand une belle nuit les deux hommes s’enfuirent d'Akmolinsk.
En février 1918 notre conseil des députés convoqua un congrès de district d’Akmolinsk. La plupart des délégués étaient des soldats récemment revenus du front, des pauvres des villages russes, ainsi que des Kazakhs d’aoul et des ouvriers de l'usine de Spassk.
Le congrès passait avec beaucoup d’enthousiasme. Les délégués reconnurent unanimement le pouvoir soviétique comme un seul pouvoir de plein droit dans le district. Au congrès on discutaient les questions les plus actuelles, qui étaient soulevées à toutes les réunions ces derniers temps-là. Les discours des délégués furent torrentueuses et sincères. On tint un meeting municipal sous la conduite du conseil des députés.
Les cosaques d’Akmolinsk ne partageaient pas l'opinion des congressistes, ils nous observaient en dessous, hostilement. Les cosaques espéraient toujours s'isoler, créer l'autonomie avec l'autogestion indépendante. Nous apprîmes qu'à cette époque-là les leaders de l'Alach-Orda s'entendaient avec le chef cosaque Doutov sur les actions communes et écrivaient de cela est ouvertement dans le "Kazakh". Le journal communiqua aussi que l'enseignement des officiers de la milice kazakhe se passait à l'école militaire d'Orenbourg, où enseignaient d'habitude les officiers de cosaque. Nous connaissions aussi qu'encore avant luer fuite d'Akmolinsk Ablaïkhanov, Seitov, Nouralin et Samatov par les soins du comité de district kazakh avaient négocié avec les cosaques locaux confidentiellement à propos des actions combinées.
Nous tînmes le meeting parmi les cosaques de ville. Les discours furent faites par Touryspek Mynbaev, le délégué de l'aoul, et par moi.
- Les cosaques travaillant! Notre Alach-Orda et vos généraux et les chefs cosaques comme Doutov et Kaledin, ils sont parasites solidaires, suçant le sang du peuple de travail. Nos frères, les cosaques travaillant, allons nous unir! Ne serons pas dupe, nous ne donnerons pas dans le godan, que nous préparent messieurs, n’abdiquerons pas notre dignité de travail! - nous adjurâmes.
Touryspek était sur une haute tribune, baragouinant le russe il habillait l'Alach-Orda et les chefs cosaques de toutes pièces et se monta tellement qu’à la fin de son discours il se laissa à lâcher un juron obscène de manière kazakhe.
Le congrès élut le conseil des députés de district municipal. Les personnes suivantes y entrèrent:
1. Botchok, ouvrier de l'usine d’Ekibastouz, badigeonneur, peintre;
2. Kattchenko Zakhar, ouvrier ukrainien;
3. Chafran, ouvrier de l'Oural;
4. Serikpaev ancien diplômé de l'école supérieure initiale, fils d’un Kazakh simple;
5. Oleinikov, soldat revenu du front;
6. Bogomolov, employé subalterne d’Akmolinsk, vieux révolutionnaire;
7. Loznoï, cocher d’Akmolinsk, soldat revenu du front;
8. Assylbekov, employé, secrétaire, fils d’un Kazakh simple;
9. Bekmoukhammetov, Tatar pauvre, professeur de l'école kazakhe;
10. Nourkin, professeur de l’école d’aoul, fils d’un Kazakh simple;
11. Chegin, pauvre illettré de ville;
12. Kara (noir, le surnom) Baïsseit (Zhoumanov), Kazakh illettré, pauvre de ville;
13. Aryn Maldybaev, pauvre de ville, un homme énergique, esclave de sa parole, sage, honnête, irréductible, débrouillard, bien que illettrée;
14. Tourysbek Mynbaev, djiguite de steppe illettré;
15. Zhaïnakov Baïmagambet, pauvre de l'aoul. Il connaissait une dizaine de mots en russe, était un homme illetré, mais énergique, déniaisé, esclave de sa parole;
16. Aoubakir Essenbakov, Kazakh illettré, connaissant à peine la langue russe, djiguite pauvre, d'esprit fort, courageux. Il était le fils de tolengout[55] de l'agha-soultan[56] d’Akmolinsk, du gouverneur de la ville, du noble héréditaire Khoudaïmendin. Dès son enfance il protégeait les pauvres, il était un homme bronzé par la lutte avec les nobles;
17. Gizzatoullin Khafiz, Tatar pauvre de ville. Il travaillait chez le marchand-Kazakh Kochygoulov;
18. Galim Aoubakirov, pauvre, aussi le serviteur de Kochygoulov;
19. Battal Smagoulov, employé, secrétaire, homme avec l'instruction primaire;
20. Adilev Baïsseit termina ses études à l’école municipale, fils d’un Kazakh simple, travaillait comme secrétaire;
21. Pavlov, employé du secrétariat d’Akmolinsk;
22. Monin, fils d’un citadin simple d’Akmolinsk, jeune soldat;
23. Krivogouz, soldat;
24. Martlogo, coiffeur;
25. Chtcherbakov, ouvrier de l'usine de Spassk;
26. Pyankovsky, monteur;
27. Martynov, serrurier de l'usine de Spassk;
28. Proudov, ouvrier de l'usine de Spassk, mécanicien;
29. Kondrateva, peintre;
30. Trofimov, avocat;
31. Bazov, employé subalterne;
32. Malukomov, paysan;
33. Stegalin, paysan illettré;
34. Gryaznov, employé subalterne;
35. Un autre Gryaznov, employé subalterne aussi;
36. Kolomiitsev, soldat revenu du front;
37. Verba, employé subalterne;
38. Khakim Manazarov, employé subalterne;
39. Khoussaïn Kozhamberlin, aide-médecin;
40. Tinalin, Kazakh-ouvrier;
41. Yundin;
42. Ananchenko;
43. Zhakhiya Aïnabekov;
44. Kotov;
45. Moi et les autres.
Botchok fut élu président du conseil des députés, Serikpaev et Zakhar Kattchenko furent élus vice-présidents. Plus tard nous élûmes président Zakhar Kattchenko. Dans la présidence entrèrent: moi, Krivogouz, Monin, Adilev, Pavlov, Kondrateva.
Désormais les institutions municipales d’Akmolinsk furent obligées de se soumettre à notre conseil des députés.
Nous appointâmes chaque membre du conseil des députés pour être commissaires à l’institution ou à l’autre selon le niveau de sa formation.
Pavlov et Monin furent appointés commissaires aux finances; Bogomolov et Assylbekov furent commissaires à l'alimentation; moi, je fus appointé commissaire à l'instruction; Verba devint commissaire au poste et au télégraphe (communication); Stegalin et Maldybaev - commissaires à l'agriculture; Zhoumabaï Nourkin fut juge d'instruction, membre du tribunal; Drizgué venu d'Omsk après le congrès fut appointé président du tribunal, bien que ce camarade ne fût pas membre du conseil des députés; Pyankovsky fut commissaire au travail; melukomov fut commissaire à la santé publique; Tourysbek Mynbaev et encore deux ou trois Kazakhs furent appointés chefs de département du secrétariat kazakhe; le camarade Kremensky fut juge; Chafran fur appointé commissaire des moulins nationalisés; Gryaznov et Adileva furent appointés chefs de la milice de district.
Il était difficile de travailler.
À la séance du conseil des députés on souleva une question sur le détachement armé, sur laquelle notre pouvoir pourrait s'appuyer. Les membres du conseil des députés procédèrent à la formation d'un tel détachement. On n’avait pas beaucoup de travailleurs compétents. Les instructions et les indications du conseil des députés de gouvernement venaient irrégulièrement et tardivement. Les anciens employés des institutions tous présentèrent leurs démissions, et ceux peu nombreux qui restèrent ils travaillaient avec négligence.
Les devoirs de chaque notre commissaire étaient lourds. On avait une énorme quantité d'affaires et aucun relâche.
Le journal "Tirchilik" commença à paraître par échappées.
Tout le travail difficile fut investi de ma responsabilité. En plus je ne laissai pas les études avec les enfants à l'école. On ouvrit une école du soir pour les adolescents, il me fallut y donner des leçons aussi. Bref, du matin jusqu’à la nuit profonde nous travaillions sans relâche.
Le comité kazakhe de district d’Akmolinsk se désagrégea mécaniquement. De ses chefs nous introduisîmes Khousaïn Kozhamberlin et Cheguin dans la composition du conseil des députés. Ayant appelé les chefs du comité, nous leur demandâmes de l'argent recueilli pour les élèves pauvres. Ils eurent une belle peur.
Selon la coutume kazakhe, l’aide-médecin vétérinaire Naouryzbaï Zhoulaev fut notre intermédiaire et il atténua le conflit.
Ils eurent un "chaos" dans l'argent recueilli, c'est pourquoi les membres du comité kazakh craignaient de nous présenter leur bilan d'activité. Nous le sentions. Il y eut beaucoup d'argent recueilli des habitants pour aider des élèves pauvre à Omsk. D’abord c’étions nous qui avions collecté de l'argent. Quand nous fûmes exclus de l'effectif le comité, nos successeurs commencèrent à les dépenser pour les besoins personnels et seulement une certaine somme ils envoyèrent à Omsk directement à l'adresse du comité régional kazakh. Les gens du comité distribuaient l'argent parmi leurs parents, les élèves des autres districts et ceux qui n'avait pas du tout besoin de l'aide.
Nous parlâmes de cette injustice dans le journal "Tirchilik".
C’était pour cette raison que les membres coupables du comité kazakh avaient peur de de nous présenter leur bilan d'activité. Et quand nous nous réunîmes dans la maison de l’aide-médecin vétérinaire Naouryzbaï, eux, les membres du comité kazakh, demandèrent en larmes de les pardonner pour leurs détournements. Nous décidâmes cette fois de nous borner à une verte réprimande.
On reçut bientôt un télégramme d'Omsk, dans lequel il se disait que les gens d’Alach-Orda avaient été expulsés du comité régional kazakh et dans un nouvel appareil du comité Aïtpenov, Alzhanov, Torsanov, Togoussov et d’autres étaient entrés.
Puis nous reçûmes un télégramme de notre direction avec la proposition de réélire également le comité kazakh de district d’Akmolinsk. Nous avons dissous ce comité pour ne pas créer la dualité du pouvoir, et nous considérions sa réélection inutile et erroné en général.
Une fois je reçus d'Omsk un télégramme du contenu suivant: "À Akmolinsk, à l'attention de Seifoullin. Une partie des étudiants sont pas d'accord avec la ligne contre-révolutionnaire de l'organisation l’Alach-Orda "Birlik", et s’en est désassociée. On a organisé un conseil démocratique des élèves. Zhanaïdar Sadvokasov, Taoutan Arystanbekov, Khamza Zhousoupbekov, Seïtkaziev, Aboulkhair Dosov sont entrés à son présidence..."
Ce fut une joyeuse nouvelle. Nous établîmes une correspondance régulière avec les jeunes gens inspirés de la révolution.
Je correspondais aussi avec Dinmoukhammet Adilev. Il disait qu'il était entré dans un détachement de partisans rouges créé par les bolcheviks à Omsk et nommé le Premier détachement international.
"Ancun un parti en Russie, excepté celui de bolchevik, - écrivait Dinmoukhammet, - n'acquerra pas d'égalité au peuple ouvrier déprimé!"
Dans une autre lettre en parlant aussi sur la justesse du programme bolcheviste, il écrivait:"À un tel temps difficile critique je ne pouvais pas être assis tranquillement, c'est pourquoi j’ai décidé d’aller au front, de lutter pour le bonheur de toute l'humanité..." On travaillait d'arrache-pied à notre conseil des députés. Il fallut décider beaucoup de choses au hasard, à l'aveuglette, parce que nous ne recevions ni directives, ni instructions, ni indications de notre direction. Le pouvoir soviétique publiait les décrets l’un après l’autre à Petrograd. Nous apprenions leur contenu à la radio et cela souvent étions des rapports faussés.
Il y avait un temps, quand le pouvoir soviétique fut reconnu pas encore dans toutes les régions. Beaucoup de gens se méfiaient du pouvoir soviétique, le défiaient. On pouvait entendre à la radio, par exemple, une telle nouvelle: "Le pouvoir Soviétique à Petrograd est tombé".
Les journaux adressaient de différents injures aux bolcheviks, invectivaient le pouvoir soviétique de toutes les manières. Les journaux kazakhs d’Alach-Orda tâchaient de ne pas décoller des journaux bourgeois russes.
Dans le n°253 de journal "Kazakh" du 2 décembre 1917 on publia l'éditorial "Joyeuse nouvelle", dans laquel on disait de renversement du pouvoir soviétique et éclaboussait en passant le parti bolcheviste.
Dans le n°260 du 17 janvier 1918 dans l'article "Paysage politique" on grondaient les bolcheviks de nouveau habilement, avec du style brillant, on disait qu’ils étaient "les gens cupides, les gredins malintentionnés faisant semblant d’être défenseurs du peuple pour le profit personnel".
Dans le numéro précédent du "Kazakh" du 12 janvier 1918 dans l'éditoral sous le titre "Démagogie" le journal littéralement gémissait de l'indignation à l'adresse des bolcheviks, qui trompaient le peuple avec leurs promesses fausses, en tâchant de le ranger de leur bord, pêchaient en eau trouble.
Avec la propagande exercée le parti de l'Alach-Orda n'oubliait pas et l'activité pratique et conduisait activement la préparation de la création de l'armée régulière. Elle appela la jeunesse d’"entrer à école militaire d'officier". Des telles écoles s’ouvraient à Ouralsk et Semipalatinsk. Y entrèrent les groupuscules des jeunes hommes "courageux" d’Alach-Orda, qui entrèrent volontairement dans la guerre avec les bolcheviks. Dans le n°259 du "Kazakh" on publia à ce sujet-là une ample déclaration.
Et le pouvoir soviétique cependant lentement, mais sûrement consolidait ses positions. De jour en jour faiblissaient les efforts de la minorité, tentant de faire durer les anciens régimes, du monde délabré, rétrogradé. Nous suivions attentivement les journaux et apprenaient que les bolcheviks malmenaient de plus en plus fort les troupes du chef cosaque Doutov, que fut soutenu par le journal "Kazakh". Mais voilà le jour vint, quand nous reçûmes le numéro du "Kazakh", dans lequel on disait sans joie spéciale que le comité central de l'Alach-Orda serait obligé de quitter Orenbourg avant peu...
En janvier 1918 Orenbourg fut occupé par les bolcheviks. Le chef cosaque Doutov s'enfuit.
Quelques jours après on apprit que les meneurs d'Alach-Orda Boukeïkhanov, Baïtoursounov, Doulatov et Omarov (Eldes) avaient passé Akmolinsk et étaient venus à Semipalatinsk. Nous apprîmes cela seulement dans deux jours d'un Kazakh d’aoul, qui nous dit la place de leur dernière nuitée. Ayant réfléchi, nous résolûmes que les hommes d’Alach-Orda devaient venir en passant à l'usine de Spassk, et on télégraphia en urgence à l'adresse du conseil des députés à Spassk. Dans le télégramme de retour on nous informa que les meneurs de l'Alach-Orda avaient déjà passés plus loin.
Nous reçûmes le numéro suivant du "Kazakh" déjà recoupé et repeint. Son rédacteur devint un certain Aboulkhamit Zhoundibaev. Le nouveau journal parut le 27 (14) février 1918 sous le n°261.
On y publia un article "Situation à Orenbourg". Dans l'article on comparait la situation actuelle, qui fut créée après la prise de la ville par les bolcheviks, avec celle d’autrefois. Le ton du journal fut méconnaissable. Voici l'extrait de l'article "Situation à Orenbourg".
"Les détachements de cosaque avec les gardes-blancs au cours du mois faisaient la guerre contre les bolcheviks, mais la nuit du 17 janvier ils ont furent vaincus et quittèrent la ville.
Les représentants du comité du sauvetage du pays des ennemis, tenant tout le pouvoir en leurs mains (le chef cosaque Doutov et le commissaire d'Orenbourg Arkhanguelskii) se mirent en fuite avec leurs états-majors.
La ville resta sans maître. Les habitants se trouvèrent dans une situation critique. Les cosaques s’enfuirent, les bolcheviks ne vinrent pas, la ville n’avait pas de pouvoir, capable de la protéger contre les bandes des voleurs et d'autres malfaiteurs. C'est pourquoi le comité musulman militaire se dénonça maître souverain de la ville jusqu'à l’établissement solide du pouvoir bolcheviste.
Le comité posa les djiguites armés près de chaque institution d'État et de peuple pour les cas de l'attaque inattendue. Le caravansérail[57] bachkir devint espoir et support de tous les progressistes de la ville.
Dans la cour du caravansérail les soldats musulmans armés patrouillaient constamment, ainsi que les jeunes gens tatars inscrits volontairement au détachement. Il y eut chariots attelés et les automobiles tenus prêts.
Le dix-huit janvier les bolcheviks entrèrent dans la ville et commencèrent le logement aux maisons. Les matelots armés et les gardes-rouges marchaient dans les rues, en effrayant les habitants. Ils entraient dans les maisons par dix ou quinze personnes et produisaient la perquisition, cherchaient l'arme et les officiers cachés.
Parmi les perquisiteurs il y avait des gens justes, sachant parler avec le peuple. Mais il y eut ceux, qui faisaient les habitants trembler. Ils hurlaient comme des boeufs sauvages qui n’étaient pas habitués à l’attache, ils cambriolaient les maisons et fusillaient ceux qui tâchait d'opposer de la résistance. Les maraudeurs étaient les matelots-anarchistes et les voleurs locaux d'Orenbourg, qui devinrent "bolcheviks" pour s'enrichir.
L'état-major des bolcheviks punissait tous les maraudeurs, se montrant sévère pour eux, mais néanmoins pendants les premiers jours la ville souffrait des excès. Les aventuriers voulant paraître bolcheviks, faisaient irruption dans les maisons les riches, confisquaient des objets de valeur, les emportaient dans le sein, aux tigesde bottes, garnissaient des sacs avec des biens et les emportaient sur chariots.
Ayant peur du fusil ou du couteau pointés droit au coeur, les gens rendaient aux voleurs tout le bien, pourvu que l'âme vécût. Celui qui estimait sa vie moins que les richesses, fut tué tout de suite.
Les djiguites armés du comité militaire révolutionnaire patrouillaient jour et nuit les rues de la ville en autos. En trouvant les voleurs en flagrant délit, ils les arrêtaient, et rendaient le bien aux propriétaires. Pendant trois ou quatre jours la ville se délivra des maraudeurs grâce aux actions énergiques du comité révolutionnaire de guerre musulman.
Les matelots-anarchistes à la rencontre des djiguites du comité grinçaient des dents et tâchaient de calomnier les gens du comité par tous les moyens. À la réunion à la gare d'Orenbourg ils soulevèrent la question sur la confiscation de l'arme du comité musulman.
Les bolcheviks créèrent dans la ville le comité militaire révolutionnaire, appointèrent les commissaires aux différentes branches de l'économie. Dans les institutions d'État et de peuples on plaça la protection forte. La vie de ville reprit son cours habituel.
Ayant occupé la ville, les bolcheviks mirent le journal "Région d'Orenbourg", qui était publié autrefois par le parti des cadets, et le renommèrent en "Nouvelles". Le journal coopératif "Oural de sud" commença à paraître sous le nom "Affaire de peuple".
Le journal "Aube Ouvrière" fut en mains des menchéviks. Il publiait assez souvent des artictes pleins d'esprit et parfois piquaient au vif ses frères aînés - les bolcheviks. Ce journal fut fermé. Au lieu de lui on commença à publier "Journal d’ouvrier", mais les bolcheviks arrêtaient de temps en temps son activité aussi à cause du bavardage superflu.
Le comité militaire révolutionnaire ferma le journal "Vakhit" (Temps), parce n'exprimant pas les intérêts des ouvriers et les pauvres de village. À l'imprimerie le 9 février on imprima la première livraison du journal "Nouvelle du comité musulman révolutionnaire d'Orenbourg".
On peut dire qu'à la fin de janvier la vie dans la ville fut ordonnée. Les lettres, les journaux, les revues retenus pendant un mois commençèrent, enfin, à venir aux destinataires.
Les déclarations persistantes sur ce que les riches locales utilisaient pour la protection de leurs intérêts le comité musulman, produirent un effet: les détachements, qui avaient sauvé la ville du pillage, furent désarmés. Alors les soldats tatars et les ouvriers, s'unirent, élurent un nouveau comité militaire révolutionnaire musulman.
Gali Chamgounov fut élu président, Moukhamet Takhirov fut élu vice-président, Abdolla Yakoubov fut élut secrétaire.
C'était à croire qu’à ce comité entrèrent les musulmans, dignes du respect du peuple simple, qui se procuraient le pain avec les mains calleuses à la sueur de leurs fronts et n'opprimaient pas les autres.
Les boutiques et les écoles qui s’étaient fermés longtemps avant l'arrivée des bolcheviks s’ouvrirent le 29 janvier. Les marchands s'occupaient du commerce, les enfants faisaient leurs études. Dans le bâtiment de l’ancienne école de cadets s'ouvrit un gymnase militaire.
Ayant occupé Orenbourg, les bolcheviks frappèrent les riches locales des grands impôts menant à leurs faillite.
La collecte effectuée en une seule fois correspondait à dix millions de roubles. La commission de collecte la distribuée de la façon suivante: Zarepnov dut verser un million de roubles, Sarakov - un million et demi, Pankratov - un million, Deev - trois cents mille, Bourov - six cents mille, Pemnov - cent cinquante mille, Nekhartchev - cent vingt cinq mille, Slachilin - soixante- quinze mille, Korobkov - soixante mille, Balandin - cent mille, Nekhonov - soixante-quinze mille, Orychteri Ouretsky - soixante-quinze mille, la société de Potlov - cent mille, Zakho - cent mille, Bratin - cinquante mille, Kaïmouchteri, Volfson, Kornilov - cinquante, quarante, vingt mille conformément, Lcheskin - cinquante mille, Lysykh - cinq mille, Agladonov - cent mille, Andreev - trente mille, Votem - cinq mille, Chepchaïchi - vingt mille, le médecin Voskresensky - quinze mille, Popov, Terebinsky et Nikolin - dix mille chacun, les établissements d'enseignement de bey Makhmoud Khousaïnov - six cents mille, les sociétés de hazrat Ouvaliy Khousaïnov - cent vingt cinq mille, Guydbaï Baltabaev - cinquante mille, P.Guimadiev, Abdrakhman Amzin, Byrdaran Gabdoullin, Aouarinvazov, Akimbaev, Aïupov, G.Chepirov, Gabdoulkaim Sedatchev - vingt cinq mille chacun, M.Charafoutdinov, C.Moussoupov - vingt mille chacun, Z. Kourtapov, les Ramovs - quinze mille chacun, Z. Khabiboulin, Zomarov, R.Khabimov, S.Mourzabaev, Gabdoulrachit Khoussaïnov - dix mille chacun. Aucun bey n'eut le droit d’éviter le paiement de l'impôt.
Le comité militaire révolutionnaire déposséda l'avocat Garadsky de son grand domaine, le chemin de fer de Tachkent se trouva en mains des cheminots. De toutes les grandes imprimeries d'Orenbourg à la disposition du comité seulement une imprimerie de Levenson passa.
Il y eut seulement cinq ou six familles des Kazakhs restés à Orenbourg pendant les événements terribles. Les bolcheviks ne les opprimaient pas.
Les travailleurs de la rédaction du journal "Kazakh" ne furent pas encore revenus à Orenbourg.
Peut être les bolcheviks semblèrent aux Kazakhs les lions aux grands crocs, ou il y eut une autre raison, mais les Kazakhs commencèrent à apparaître à Orenbourg seulement à la mi-février. La ville était tranquille ce temps-là. Il n’y eut pas de nouvelles sur les meurtres scélérats et sur les pillages.
Des aouls kazakhs proches d’Orenbourg vivaient en toute sécurité. Le commissaire de Tourgaïsk prenait les mesures urgentes pour liquider des accrochages entre les Kazakhs et les habitants russes, prévenait les attaques hostiles des moujiks, des "bolcheviks" aux auls kazakhs.
La poste et le télégraphe travaillaient, les banques étaient ouverts. Mais la banque ne donnait à l'investisseur pas plus de cent cinquante roubles par semaine. On avait pas eu de menue monnaie dans la ville, et ce temps-là on faisait la monnaie (nouvelle venue de Petrograd) des billets de banque de cent roubles. Le nouvel argent d'Orenbourg émis à l’époque de Doutov ne perdit encore pas sa valeur. Les bolcheviks ont commencé à émettre leur propre argent.
Zh.Zhanibekov".
Voici l'article du journal "Kazakh" travaillant sous un aspect nouveau après la prise d'Orenbourg par les rouges. Comme si le journal mit la fourrure à l'envers.
Dans le même numéro 261 on plaça l'éditoral suivant:
"Orenbourg le 27 (14) février.
La lutte idéologique ne s'apaise pas entre les représentants des formations politiques, qui se sont multipliés, comme des branches sur l'arbre. Chacun cherche à sa guise de la prospérité de sa nation.
Le tsarisme est renversé, la révolution est accomplie, sur l'échiquier politique les bolcheviks avec d'autres formations politiques se sont avancés. Ils se sont portés au pouvoir, en portant les accusations sérieuses au Gouvernement provisoire. Les bolcheviks parlaient de la passivité et de l'inactivité de ce gouvernement, lui reprochaient l'indifférence envers les besoins des ouvriers opprimés. Les bolcheviks exprimaient leur mécontentement ouvertement. À la fin d'octobre toutes les provinces se sont trouvées sous la domination des bolcheviks, excepté Orenbourg, Don, Ouralsk, l'Ukraine, où la plupart de la population étaient les cosaques.
Orenbourg luttait longtemps et obstinément, mais maintenant il a mis les pouces, a replié ses ailes, les bolcheviks s'y installés à demeure. Avec les bolcheviks monsieur Alibii Zhanguildin, l'originaire du clan de Kyptchak, est arrivé ici en qualité du commandant du détachement d'Oufa du district de Tourgaïsk. Il a proposé d’être son adjoints à un habitant d'Orenbourg, sachant travailler avec le peuple, à monsieur Moukhammediyar Toungatchin.
Monsieur Moukhammediyar se trouvait quatre jours dans dans des réflexions profondes, demandait l’avis des musulmans éminents d'Orenbourg et des collègues et finalement, ayant reçu leur approbation, il a accepté la proposition du commissaire. Zhanguildin a envoyé le télégramme, en invitant à Orenbourg certains travailleurs d'Aktiubinsk et d'autres places.
Ayant reçu les télégrammes et les notices écrites, après mûre réflexion, les hommes publics craignant d’être fusillé sont commencé à arriver à Orenbourg de tous côtés.
En vivant dans la steppe, avec circonspection, avec précaution, sans comprendre la situation actuelle, les travailleurs kazakhs arrivés ne reconnaissaient personne leur chef excepté les commissaires d'Alibii et Moukhammediyar.
Monsieur le commissaire Alibii Zhanguildin expliquait au peuple les idée de la révolution. Les gens venus à son appel consentaient de travailler avec le commissaire côte à côte et de trouver les moyens pour prévenir des désastres nationaux. Les villages d'Aktiubinsk, situés pas loin d'Orenbourg, communiquaient aux habitants des districts éloignés d’Irgizsk et de Tourgaïsk à l'aide de télégraphe.
Compte tenu que pendant une telle période transitoire le peuple a grand besoin de la correspondance, en voyant que les anciens membres de la rédaction se sont enfuis d'Orenbourg, en accédant aux désirs des masses, ainsi qu’à la demande des travailleurs qui sont arrivés à Orenbourg du district d'Aktiubinsk, je me suis chargé des devoirs du rédacteur du journal "Kazakh".
Les travailleurs suivants des aqsaqals sont arrivés: Myrzagoul Koïaïdarov, Sarssen Zhakoupov, Akhmetkerei
Kossouakov; de jeunes intellectuels: Esen Nourmoukhammetov, Saguindyk Doszhanov, Nyssangali Beguimbetov, Sultan Arkabaev, Nourgali Atantaev, Zadakerei Nourmoukhammetov, Ali Ibraïmov, Erezhep Koïaïdarov, Kassym Aryngaziev, Dosmoukhammet Kozhabaev, Kamalitden Aryngaziev, Bakhytkerei Kakenov, Karassaï Koïaïdarov et les autres.
En période transitoire il n’y a pas de chemins frayés, c'est pourquoi avoir une direction fixe c’est une affaire le plus complexe. Les lecteurs du journal doivent prendre en considération l’inconstance de la situation.
Le devoir le plus important du journal "Kazakh" c’est notifier le peuple des événements se passant, indiquer la voie et aider les gens qui perdent pied à la minute critique...
Abdoulkhamit Zhoundibaev".
Le commissaire Zhangildin était le premier bolchevik des Kazakhs. Il participait personnellement aux combats acharnés avec les blancs, en dirigeant le détachement des rouges. Nous connaissions le nom du camarade Zhanguildin des journaux du parti de l'Alach-Orda, qui l'avaient injuré par tous les moyens, en lui accusant des choses les plus absurdes.
En entendant l’hurlement de chien des journaux d'Alach, nous pensions que Zhanguildin était un homme très dangereux pour la bourgeoisie. Nous réflechissions: "En rejetant les potins des journaux on peut voir qu’il est une personne très sérieuse, comme Kolbaï (Togoussov). Si on ne prend pas en considération l'agitation et le déséquilibre de Kolbaï, on peut le trouver très capable et plein d'esprit..." Il nous était difficile de former l'opinion juste sur les bolcheviks selon les publications calomniatrices dans les journaux...
Dans le n°253 du "Kazakh" du 2 décembre 1917 dans l'article "Juge c’est le peuple" Boukeïkhanov lui-même (sous le pseudonyme "Kyr balassy" (Fils des steppes)) se vantait:
"Le peuple de Tourgaï a donné seulement 41 voix aux disciples de Zhanguildin dans la liste n°3 aux élections à l'assemblée constitutive, tandis que pour la liste du parti Alach votaient 54 897 personnes".
Les tribuns d'Alach aux pages des journaux traînaient dans la boue chaque jour par tous les moyens les Kazakhs-bolcheviks peu nombreux ce temps-là. On a morigéné Zhanguildin et Kolbaï le plus.
Dans l'article "Qui est l'ami, qui est l'ennemi" un des personnages éminents d'Alach-Orda Doulatov, sous un nom supposé Magyar, le 3 mars 1918 écrivit dans le journal de "Sary-Arka":
«... Si les dénonciateurs d'hier qui sont devenus aujourd'hui bolcheviks voudraient aller à dache, nous leur souhaiterions bon voyage. Mais à notre grand regret, ils détournent les hommes honnêtes de droit chemin, voici qui est fâcheux, et ils parlent au nom du peuple, tandis qu'ils ne sont même pas suivis par une dizaine des Kazakhs. Au temps de la réaction noire du tsarisme les uns d'eux se montraient missionnaires baptisés, les autres étaient vendus à la gendarmerie: ils étaient ses informateurs secrets, les troisièmes trompaient le peuple, les quatrièmes étaient voleurs de grand chemin - voici quel gredins ils étaient... Maintenant, en période de troubles étant devenu "bolcheviks", ils tâchent de mettre le feu de discorde dans les rangs monlithiques d'Alach parmi les gens habitant paisiblement dans une yourte vaste blanche comme neige. Ils déclarent qu'il ne faut pas donner l'autonomie au parti Alach, que les délégués du congrès général kazakh-kirghiz sont tous beys, agresseurs du peuple kazakhe, et c'est pourqoi l’on ne peut pas trouver le congrès légal. Ils sèment les faux bruits que quinze chefs élus de l'Alach-Orda sont ennemis du peuple kazakh-kirghiz, et c'est pourquoi il faut les éliminer.
Ils déclarent ouvertement que le journal "Kazakh" est ennemi de la liberté, et ses collaborateurs sont suppôts du tsar Nikolay", - ainsi Doulatov se plaignait, gémissait, puis passa à l’injure et les menaces à l'adresse des bolcheviks-Kazakhs.
Il n'y eut pas de bolchevik, qu’ils ne grondaient pas. Ils dénigraient Lénine aussi, mais, comme on dit: "Le chien aboie, et la caravane passe". Le travail bouillait, l'affaire suivait son cours, bien que pas toujours sans bavures, on trébuchait parfois. On passa les maisons et les moulins de beys au peuple. On nationalisa la banque Sibérienne.
Malgré le fait que les bolcheviks firent Doutov quitter Orenbourg, presque partout, excepté la région d’Akmolinsk, les supporteurs des blancs et de l’Alach-Orda continuaient à manœuvrer. Il eut encore peu de vrais inspirateurs de l'organisation des conseil des députés et il n'y eut pas encore de djiguites-combattants, qui défendraient ouvertement le conseil des députés avec l'arme.
On sentait grandir l'activité politique parmi les Kazakhs de la région de Boukeevsk, où de jeunes intellectuels commencèrent à agir de côté des Soviets. Nous apprîmes des journaux que l’intelligentsia de Boukeevsk destitua les fonctionnaires du gouvernement de Kerensky; passa le pouvoir aux mains du peuple simple.
Le "Kazakh" sous le n°261 du 27 février 1918 réimprima le message du journal "Ouran". "Nouveaux changements.
Dans le numéro précédent du journal on a dit que le commissaire Koulmanov a été destitué et Azirbaev a été appointé à sa place. Maintenant les commissariats sont supprimés du tout, et la gestion de la région de Boukeevsk est divisée comme il suit:
Affaires intérieures: B.Niyazov.
Transport: I.Kochekov.
Assistance: K.Menechev.
Alimentation: S.Generalov.
Finances: D.Temiralin.
Instruction: Mendechev.
Santé publique: M.Kokebaev.
Litiges: C.Nouralikhanov.
Sans attendre le congrès et la discussion publique, ces gens ont pris en main tous les affaires de la région de Boukeevsk. On peut considerer leurs actions de deux façons.
Premièrement, au tel temps anxieux quelqu'un doit tenir le volant pour procéder immédiatement au sauvetage des habitants en cas de désastres de toute sorte, pour indiquer le chemin droit. Mais, deuxièmement, on peut aussi penser que la démission d'anciens travailleurs élus délégués par la population de quatre milliers de la région de Boukeevsk, la transmission arbitraire du pouvoir aux mains des intellectuels-renégats susmentionnés de ville sont l'indication des actions en faveur des intérêts de quelqu'un limités. Je ne peux pas appeler les actions de nos chefs correctes ou incorrectes, mais je pense que le peuple comprend, à quoi tout cela peut amener..."
L'Alach-Orda s'installa à Semipalatinsk. Dans les régions d'Oural et d'Aktiubinsk la population kazakhe ne reconnaissait pas encore le pouvoir soviétique. Les Kazakhs de Turkestan rêvaient encore de l'organisation de l'autonomie.
Dans n°261 de "Kazakh" du 27 (14) février 1918 on publia une telle chronique:
"... Kokand. À Kokand c’est le pouvoir soviétique. Les membres suivants (Kazakhs) de l'ancienne "autonomie de Turkestan" sont arrêtés: Moustafa Tchokaev et Abdrakhman Ourazaev. D'autres membres, probablement, ont pris la fuite..."
En étendant largement ses embrassements, le pouvoir des Soviets s'affermissait de jour en jour. Une après l'autre tombaient les "autonomies" de poupée bourgeoises comme l'Alach-Orda. Le mouvement assuré du prolétariat et des masses laborieuses sous la conduite des bolcheviks battait à plate couture les gouvernements de la bourgeoisie et de le clergé (hazrats, intellectuels de bey). Le parti bolcheviste s'adressa au peuple avec un appel. Nous citerons cet appel historique du Conseil des Commissaires du peuple "À tous les travailleurs musulmans de la Russie et l'Est!".
"Chers camarades! Chers frères!
De grands événements se passent en Russie. La guerre sanglante, commencée à cause du partage des pays étrangers, court à sa fin. La domination des carnassiers, qui ont réduit en esclavage les peuples du monde, tombe. Sous les coups de la révolution russe un vieux bâtiment de joug et d'esclavage craque. Le monde de l'arbitraire et de l'oppression vit ses derniers jours. Un nouveau monde naît, le monde des travailleurs et des gens libérés. À la tête de cette révolution il y a le gouvernement d’ouvrier et de paysan de la Russie, le Conseil des commissaires de peuple.
Toute la Russie est couverte des Conseils révolutionnaires des députés ouvriers, de soldat et de paysan. Le pouvoir dans le pays est en mains du peuple. Le peuple ouvrier de la Russie pétille d’un désir: d’obtenir le monde honnête et aider les peuples opprimés du monde à gagner la liberté pour eux-mêmes.
Dans cette affaire sacrée la Russie n'est pas seule. Tous les travailleurs de l'Ouest et de l'Est repondent à un grand appel de la libération, lancé par la révolution russe. Fatigués par la guerre les peuples de l'Europe nous tendent déjà les mains, en esperant la paix. Les ouvriers et les soldats de l'Ouest se réunissent déjà sous l'étendard du socialisme, en attaquant les citadelles de l'impérialisme. Et l'Inde lointaine, celle-ci, qui était opprimée pendant les siècles par les carnassiers "cultivés" de l'Europe, a déjà levé l'étendard de l'insurrection, fondant les Conseils des députés, en enlevant des épaules l'esclavage détesté, en appelant les peuples de l'Est à la lutte et à la libération.
Le règne du pillage capitaliste et de la violence se ruine. Le sol sous les pieds des carnassiers de l'impérialisme brûle.
En face de ces grands événements nous nous adressons à vous, les travailleurs et les musulmans malheureux de la Russie et de l'Est.
Les musulmans de la Russie, les Tatars de la région de la Volga et de la Crimée, les Kirghiz et les Uzbeks de la Sibérie et du Tourkestan, les Turcs et les Tatars de la Transcaucasie, les Tchétchènes et les montagnards du Caucase, tout ceux, dont les mosquées et les temples étaient démolis, dont les croyances et les coutumes étaient foulées aux pieds des rois et des oppresseurs de la Russie!
Désormais vos croyances et vos coutumes, vos établissements culturels et nationaux sont dénoncées libres et intouchables. Arrangez votre vie nationale librement et sans obstacles. Vous avez le droit à le faire. Sachez que vos droits, comme les droits de tous les peuples de la Russie, sont protégés par toute la puissance de la révolution et de ses organismes (les Conseils des députés ouvriers, de soldat et de paysan).
Soutenez donc cette révolution et son gouvernement plénipotentiaire!
Les musulmans de l'Est, les Perses, les Arabes et les Hindous, tout ceux, dont les têtes et le bien, la liberté et la patrie étaient vendus pendant les centaines d'années par les carnassiers cupides de l'Europe, tout ceux, dont les pays les voleurs qui ont commencé la guerre veulent partager!
Nous déclarons que les accords secrets du tsar renversé sur la conquête de la Constantinople, confirmés par Kerensky renversé, ils sont rompus et supprimés maintenant.
La république Russe et son gouvernement, le Conseil des commissaires de peuple, s’affirment contre la conquête des terres étrangères. Constantinople doit rester en mains des musulmans.
Nous déclarons que l'accord sur le partage de la Perse est rompu et supprimé. Dès l’arrêt des activités militaires, les troupes seront mis hors de la Perse, et les Perses auront le droit de choisir son destin librement.
Nous déclarons que l'accord sur le partage de la Turquie et l'enlèvement de l'Arménie est rompu et supprimé. l’arrêt des activités militaires, les Arméniens auront le droit de choisir son destin librement politique.
Vous devez avoir peur d’être esclavagés pas par la Russie ni par son gouvernement révolutionnaire, mais par des carnassiers de l'impérialisme européen, par ceux qui ont transformé votre patrie en colonie pillée et cueillie.
Renversez-les, ces carnassiers et les asservisseurs de vos pays! Maintenant, quand la guerre et le délabrement ébranlent les fondements du vieux monde, quand tout le monde brûler de colère à cause des impérialistes-envahisseurs, quand chaque étincelle de l'indignation se transforme en flamme puissante de la révolution, quand même les musulmans indiens coincés et éreintés par le joug étranger, soulèvent les insurrections contre les asservisseurs, maintenant on ne peut pas se taire. Ne perdez donc pas le temps et dépouillez-vous des envahisseurs très anciens de vos terres! Ne leur donnez plus de vos foyers nataux pour le pillage! Vous devez être maîtres de votre pays vous-mêmes! Vous devez arranger votre vie vous-mêmes comme vous voulez. Vous avez le droit de faire cela, car votre destin est en vos propres mains.
Chers camarades! Chers frères!
Nous allons de pied ferme au monde honnête démocratique.
Nos drapeaux portent la libération aux peuples du monde opprimés.
Les musulmans de la Russie!
Les musulmans de l'Est!
Sur ce chemin de la rénovation du monde nous comptons sur votre sympathie et votre soutien.
Le président du Conseil des Commissaires du peuple
V.Oulianov (Lénine)[58].
Tel fut l'appel du Conseil des Commissaires du peuple. Gonflé l'Alach-Orda dénigrait même Lénine. Après cela c’était déjà étonnant que les gens d’Alach-Orda grondaient Kolbaï (Togoussov), Zhangueldin et d'autres Kazakhs-bolcheviks.
La langue, née pour dénigrer tels gens, comme Lénine, peut-elle sentir la mesure? Je ne veux pas glorifier Kolbaï ou encore quelqu'un autre sans restrictions. Il n’y a pas beacoup de gens impeccables, qui ne trébucheraient jamais dans la vie, et la conduite de Kolbaï n’était pas irréprochable. Nous ne le connaissions pas.
Il était grondé par les chefs de file d’Alach-Orda et pas leurs suppôts. Si les Kazakhs offensés pour leur soutien des bolcheviks, eussent passé soudain à l'Alach-Orda, ils auraient été glorifiés, portés aux nues par les mêmes meneurs. Encore avant la création des partis Alach, quand nous avions fait nos études à Omsk en 1914-1915, le journal "Kazakh" faisait honte à Kolbaï par tous les moyens aux yeux du peuple, aussi bien qu’au mollah Salim Kachimov, qui travaillait à cette époque-là dans la revue "Ajkap"[59].
À cette époque-là nous, les jouvenceaux, croyions les mots du "Kazakh". Aux mêmes années d'étude 1914-15 Kolbaï vint à Omsk, je le vis pour la première et pour la dernière fois.
Kolbaï a invité chez lui-même tous les élèves Kazakhs d'Omsk et se fit photographier avec eux, je n’allai pas chez lui seulement parce que j'étais influencée par les rapports injurieux du journal "Kazakh" à propos de cet homme.
S'étant fait photographié avec Kolbaï, plusieurs de ses admirateurs entrèrent plus tard à l’Alach-Orda et étaient pêts à jetter la pierre à leur ancien instructeur.
Ces jours-là dans le théâtre d'Omsk municipal on organisa un soi-disant soir sibérien. Une parti de cette soirée fut entièrement en kazakh.
Au balcon du théâtre ont mit une yourte kazakhe avec des ustensiles chers, on mit des tapis, on décora la yourte avec des ampoules électriques rouges et vertes. Dans la yourte on vendait le koumys, les dombristes et les chanteurs exécutaient les mélodies kazakhes. Ce soir-là nous aussi nous eûmes l'occasion de jouer de la dombra. Sur la scène du théâtre on chantaient et on dansaient. Samatov et Chaïbaï Aïmanov firent un aïtys - la compétition de deux poètes[60].
Novoselov, Berezovskii et Sedelnikov furent maîtres du soir.
Ce soir je vis Kolbaï au près. Déjà ce temps-là Kolbaï fut considéré ennemi irréconciliable des chefs du journal "Kazakh" et de ses inspirateurs.
Le journal noircissait le mollah Salim jusqu'à un certain temps. Après le renversement du tsarisme Salim se trouva soudain adhérent du parti Alach, et Boukeïkhanov l’appointa personnellement président de l'Alach-Orda de district de Koktchetaevsk. On peut rapporter beaucoup de tels exemples assez "gais" caractérisant les "bonnes" moeurs des gens d’Alach-Orda.
Je vis Salim pour la première fois encore dans mon enfance, quand je faisais mes études à l'école municipale d’Akmolinsk. Il vint collester de l'argent pour la publication de la revue "Aïkap". Je le trouvai éloquent, mais trop remuant, avec la tête légère. Nous parlerons de lui une autre fois.
Comme je déjà dis, toutes les autonomies, comme l'Alach-Orda, se disséminèrent, comme les cendres du fumier séché de cheval, du moindre souffle. Est-ce que l'impulsion orageuse des crues du printemps peuvent être arrêter à l’aide des dépôts pourris?!..
Nous étions témoins de tels événements, quand d'un coup de feu en haut les messieurs impavides, les membres du gouvernement bourgeois fuyaient. Le "gouvernement" de l'autonomie de Kokand présidé par les membres d'Alach-Orda Tynychpaev, Tchokaev et Akaev se désagrégea honteusement. Pour montrer les vrais visages des régents, se démettant de leurs mandats après un coup de feu à l'aveuglette, je citerai la lettre de Tchokaev lui-même. Selon lui on voit que les nationaliste bourgeois, les fanatiques religieux, kes ichans ouzbeks avaient beaucoup torturé Tchokaev, de quoi il se plainait avec amertume aux adhérents.
La lettre de Tchokaev fut publiée dans le journal "Sary-Arka" sous le n°34 du 18 mars 1918.
"Le 31 janvier, à deux heures, quand nous discutions l'ultimatum des bolcheviks de Kokand, on a entendu le craquement des coups de feu de fusil. Il s’est trouvé que les soldats des bolcheviks ont commencé la fusillade. Telles leurs actions étaient en contradiction avec les conditions de l'ultimatum, selon lequel nous avions trois heures pour le discuter et accepter.
Les gens réunis dans la maison du parti d'Islam, les hommes d'État et les citoyens simples, ayant entendu la nouvelle sur l'arrivée des bolcheviks, se sont séparés vite. Les représentants du pouvoir n’avaient pas de possibilité de se réunir de nouveau et discuter la situation raisonnablement, car, ayant entendu les coups de feu des bolcheviks, les musulmans ont pris n’importe quelles armes et sont sortis dans la rue. Ils n'écoutaient pas la voix du pouvoir, qui avant cela appelait à ne pas se tourner contre les bolcheviks. Dans une telle situation imprévue le gouvernement s’est trouvé inerte.
On n' a pas le temps maintenant d’exposer en détail et de révéler dans toute la plénitude les raisons politiques de cet événement dramatique qui a passé à Kokand. C'est pourquoi dans l'information donnée je veux rendre public seulement ce que voyait, entendait et ce que j’ai éprouvé moi-même. Quelqu'un qui comprend bien la situation générale peut trouver ces mes inscriptions un peu limitées au sens politique.
M'étant sauvé des balles des bolcheviks, je me cachais pendant dix jours dans les kichlaks[61] voisins de Kokand, parmi les confrères - les Sarts[62]. Et que le Dieu n’envoie pas aux bolcheviks ces mes souffrances, que j'ai supporté à ce terme court, bien qu'ils soient mes ennemis. Quand les Sarts avec le voleur Erguèche à la tête ont commencé la guerre avec les bolcheviks à Kokand, ils n’ont pas du tout pensé qu'ils auraient essuyé la défaite.
Ils ont décidé de déclaré Erguèche khan à Fergana et, excepté les Sarts, tuer tout le monde là, en déclarant qu'entre les bolcheviks et les Kazakhs il n'y avait aucune différence, et que les Tatars n’étaient pas musulmans, parce qu’un homme du kichlak avait vu un professeur tatar, qui dormait les pieds mis vers le Kybla[63]. Les Sarts se sont mis en fureur plus qu'autrefois, ont boudé avec l'acharnement, comme les outres remplies de koumys, et ils ont décidé de supprimer tous, qui n'était pas de Sart. Ayant pris des couteaux, des marteaux, des ketmens, des faucilles, les lassos, les poignards, ils sont sorties dans la rue. Et tout juste à cette époque-là je me suis trouvé parmi les Sarts énervés, près de qui je voulait trouver le refuge, me sauver des bolcheviks.
Il n’est pas possible de décrire isi tout ce que j’ai vu et entendu. Car il n’y aura pas assez de papier pour décrire tout. C'est pourquoi je raconterai ici seulement les choses principales.
Mercredi, le 20 (7) février nous sommes partis du kichlak de Gaoukhana avec Omarkhan, le fils lettré du khadzhi Mousakhan connu à toute Fergana, vivant dans le kichlak Moï Moubarak, nous sommes passé le kichlak d'Elèche et sont arrivés au kichlak de Koumbasty.
Mon compagnon allait à cheval, et moi, j’allais à pied: les Sarts ne m'ont pas donné le chariot à titre onéreux! Je portais des vêtements de Sart: un chapan[64] bigarré, un turban blanc sur la tête, grand comme une chaudière, des itchigui avec les couvre-chaussures en caoutchouc asiatiques mis aux pieds.
Je ne savais pas, où aller, je ne pansais qu’à une seule chose: je vais attendre la fin des combats à Kokand parmi les confrères. C'est pourquoi j'errais d'un kichlak à l'autre, cherchait, où un sentiment offensé peut trouver un coin...
À côté du kichlak de Koumbasty près de vingt Sarts armés m'ont attrapé brusquement.
- Qui es-tu?
- Moi je suis musulman.
- Quel musulman?
- Je suis Kazakh.
- Depuis quand les Kazakhs sont devenus musulmans?
- Nous sommes musulmans depuis des temps immémoriaux.
- Nous doutons de l'islamisme des Kazakhs.
- Si vous avez un doute, nous, les Kazakhs, nous avons une preuve.
- Quel preuve, dis-le?
- La preuve est une prière, "Chèche kimai". On m’a fait dire la prière "Chèche kimai" du début jusqu'à la fin. Dieu merci que je n'ai pas oublié cette prière apprise dans la pettite enfance!
Après un tel examen il paraissait que les Sarts ont cru que j’étais musulman, mais ils ont décidé néanmoins de trouver la preuve plus essentielle de mon origine musulmane, c'est-à-dire de vérifier, si j’étais circoncis.
Pendant ce temps-là mon compagnon de route l'Omarkhan notable ne tâchait guère de m’aider, il seulement s'affichait dans la selle. Il était le fils d’un ichan connu par toute Fergana et il suffisait un seul mot pour apaiser les Sarts fâchés. Mais lui, s'étant persuadé que les Sarts n’allaient pas me livrer, il a cabré son, s'est exclamé "tchou!" et s'est enfui.
Les Serts, n'ayant pas trouvé les preuves confirmant que j’étais hétérodoxede, ont procédé à l'interrogatoire.
- Toi, tu es Kazakh, mais pourquoi erres-tu dans nos parages?
Je ne me suis pas mis à mentir, et j’ai expliqué ma situation et j’ai dit que quelques jours je me reposais dans la maison de Mousakhan comme visiteur. Les Sarts ont objecté:
- Si tu avais sejourné dans la maison de l’ichan Mousakhan, pourquoi son fils t'a-t-il quitté maintenant?
Je ne savais pas quoi répondre. Probablement, dans la tête remplie de la science de mon compagnon de route du mollah Omarkhan il n'y avait pas de place pour les sentiments amicaux...
Et ce moment-là les Sarts ont décidé définitivement: "C’est pas important qui il était et d'où il venait, pour nous il est clair seulement qu’il n’est pas Sart, et il n’en nie pas. Donc il faut le tuer. Maintenant c’est le temps des Sarts. Il nous est égal qu’il soit Kazakh ou bolchevik!" Ils m’ont tordu les mains, m’ont emmené à la périphérie du kichlak, en criant crier à pleins poumons: "On a attrapé un Kazakh!" Les gens ont commencé à venir de tous les côtés.
Voilà déjà soixante-dix ou quatre-vingt personnes se sont réuni, avides de me tuer. Tous étaient armés. Ils avaient les fusils, les haches, les poignards, les fouets, les haches en mains. Il m’était clair que je périrais. Puisque les Sarts ont décidé définitivement de me tuer, ils ne me battaient pas trop. Ils m'ont mis sous l'arbre, où deux rues se croisaient, et ont commencé à décider, comment me tuer.
Les deux mes mains étaient serrées derrière le dos, les yeux étaient bandés. Avec le noeud de la ceinture noire autour de mon le cou j’attendais ma mort imminente! Les Sarts ont pris la décision de me pendre la tête en bas et fusiller. étant précisé qu’ils ont décidé de me faire la grâce et se montrer magnanimes: ne pas me tirer du fusil à plombs que me fairait souffrir, mais loger à moi une balle de fusil.
Et tout justement dans cette situstion difficile j’ai vu toute la grace du Dieu. On ne peut pas douter de sa justice et de sa faveur!
Quand ils déjà allaient me pendre, un Sart s’est avancé:
- Vous dites qu’il est Kazakh. Mais les Kazakhs peuvent être différents. Allons-y regarder ce qui est ce Kazakh lui-même.
Il a fait un homme me débander les yeux.
M’ayant regardé fixement, le Sart a reculé et s’est exclamé joyeusement: "Assalamou aleikoum, monsieur Moustafa!" Et il a commencé à me laisser les mains libres avec hâte. Ses yeux se sont remplis de larmes. Il a coupé avec son couteau la ceinture sur mon cou, m'a levé et a commencé à expliquer aux Sarts ce qui j’étais. Il a parler beaucoup de bons mots à propos de moi. Les Sarts ont laissé donc le plan de mon meurtre, ils ont décidé de m'envoyer à Kokand au voleur Erguèche. On m’a donné un cheval et m’ont fait partir immédiatement avec les accompagnateurs...
À propos, je raconterai d’un homme, qui m'a sauvé la vie. Je ne connais pas son nom. Il était l’un des Sarts, mobilisés l'année passée aux travaux de l'arrière. Pendant le travail on l’a outragé, c'est pourquoi il a déserté des travaux de l'arrière, s'est rencontré avec moi à Pétersbourg, m'a pris de l'argent pour les frais de route et il est parti pour Fergana. Il s’est trouvé, il savait par correspondance de mon activité à Tourkestan ces derniers temps-là.
On m’a transporté en revenant, comme un lion attrapé. On a passé le kichlak d'Elech mentionné ci-dessus, on s’est dirigé à Gaoukhana. Entre les kichlaks d'Elech et de Gaoukhana il y avait un ravin. Dans ce ravin nous avons rencontré un embuscade de trois personnes armés, qui attrapaient tous, qui n'était pas Sart. Quand ils ont compris que j'étais étranger, et en plus j’allais sous l'escorte, ils ont décidé de me fusiller sans préambule.
On m’a fait mettre pied, m’a mis au bout de la rupture.
L’homme, qui pourrait me sauver la vie de nouveau, est resté à Koumbasty. Qui me sauvera de la balle inévitable? J'étais assis, les les yeux fermés, en pensant: "Pourvu que je puisse mourir vite, sans souffrir".
Et voilà c’était le Dieu lui-même qui m'a sauvé. La balle la balle a passé à côté avec sifflement. Les Sarts m’ont mis eux-mêmes à cheval et ont continué leur chemin en disant: "Le destin a favorisé cet impie lui-même".
Quand nous nous sommes approchés de Gaoukhana, nous avons rencontré le chef de voloste des kichlaks locaux Koulmoukhambet Khatimkoulov. J’ai appris qu’il me connaissait déjà depuis longtemps. Il s'est approché des Sarts, qui m’accompagnaient, s'est mis à crier à eux avec colère, leur a menacé de fusiller sur place, s'ils ne revenaient pas. Le chef de voloste Khatimkoulov m'a amené chez lui comme visiteur, et après cela à ma demande il m'a donné un djiguite pour m’accompagner et nous a envoyés à la voloste de Koudacha. Dans le kichlak de Gounazar j'ai rendu visite au chef de voloste de Koudacha et de notre conversation j’ai compris qu'il ne réussirait pas à me tirer d'embarras. J'ai été obligé de revenir à Gaoukhana et y attendre l’achèvement des combats à Kokand.
Enfin on a entendu la nouvelle que le voleur Erguèche s’était enfui, et la ville était occupée par les bolcheviks. Après cela les Sarts se sont tus, comme les tripes vides désenflés, et sont devenus muets comme une carpe et plus petits qu'une fourmi.
Cependant, en connaissant l'humeur des Sarts aux kichlaks, je voulais les quitter le plus vite possible. Mais il était impossible de trouver pour l’argent ni chariot, ni cheval. Il n'y avait non plus de guide. Ainsi mes supplices infinis duraient. Les Sarts, privés maintenant de leur supériorité bienheureuse, resufaient de m'indiquer le chemin correctement, cachaient les noms des kichlaks situés sur mon chemin, et quand je venais, fatigué, à quelqu'un, on ne me donnaient même pas du thé. Ils m'ont causé tant de souffrances!
Il y a exactement deux ans les Sarts, comme les outres ballonnées, menaçaient furieusement de tuer tous les gens allogènes, ils déchiraient mon âme avec les menaces de me tuer seulement parce que j’étais Kazakh. Maintenant, après la victoire des bolcheviks, quand Erguèche, qu'on destinaient à être khans, s'est enfui, les Sarts se tenant cois continuaient à se payer la gueule de moi tacitement.
Deux jours je cheminais à pied, en éprouvant les souffrances de toutes sortes, et je suis arrivé au kichlak Daghestan. Là j'ai pris un chariot, après avoir payé neuf quatre-vingt-dix et je suis parti, m'étant exclamé: "Où êtes-vous, les Kazakhs et les Kirghizs!" Ayant franchi les montagnes de neige, j'ai dit aux Sarts tout de suite à haute voix: "Adieu pour toujours".
J’ai vu beaucoup. Moi-même, ces jours je menais la vie vagabonde, ne descendait pas du cheval, c'est pourquoi je n'ai pas eu le temps et la possibilité d'écrire comme il faut, chers amis!
Moustapha". le 24 (11) février. Dans les montagnes.
Voici la lettre du ministre de l'autonomie de Kokand de monsieur Tchokaev.
Telle fut la situation de l’"homme d'État", qui, en trônant fièrement à Kokand comme ministre, pensait être élu non seulement des Kazakhs, mais aussi des Uzbeks. Dans la lettre de Tchokaev, probablement, il y avait beaucoup de mensonge. En fait les gens de Tchokaev voulaient attaquer à l’improviste et faire prisonnier les soldats, qui s'associaient aux vues des bolcheviks, et dans la nuit ils les attaquèrent, les cernèrent, ont ouvrirent le feu. En réaction les soldats de la forteresse ouvrirent le feu aussi et chassèrent les gens de Tchokaev. On décrivit cela au journal russe "Nouveau Tourkestan" dans le numéro 13 (30).
On dirait selon la lettre de Tchokaev qu’il était content que les Uzbeks lui en aient fait voir, l’aient fait comprendre où l'honneur et le Dieu étaient.
Tchokaev s'échappa de la ville d'Ak-Metchet (Perovsk, à présent Kzyl-Orda). Avant sa fuite il tâchait de faire régent d'Ak-Metchet le noble héréditaire Kasymov, l'arrière-petit-fils d’Ablaïkhan. Tchokaev quelques jours et quelques nuits tâchaient l'écume à la bouche de persuader les habitants. Tous les Kazakhs puissants d'Ak-Metchet furent être aux ordres de Tchokaev. Quand il était au pouvoir, à Ak-Metchet un petit groupe des bolcheviks apparurent, qui privèrent en un clin d'oeil Kasymov de tous ses anciens privilèges, lui retirèrent ses pattes d'épaule héréditaires, et arrêtèrent lui-même. Tchokaev s'enfuit instantanément d’Ak-Metchet. Il se rendit à Kokand et se trouva en tête du congrès des Kazakhs convoqué par l'Alach-Orda dans la ville de Tourkestan de la région de Syr-Darinsk.
Il fallait raconter de cela aussi: au congrès de la direction principale de l'Alach-Orda vinrent Baktyguerei Koulmanov et Myrzhakip Doulatov. À la présidence du congrès se trouvèrent de nouveau le descendant Ablaïkhana le noble Azimkhan Kenesarin et le fils du gouverneur de la ville Baïouzaka du clan de Koounrada. Le noble fameux Azimkhan fut élu président de congrès.
Après le congrès Tchokaev revint à Kokand, et de Kokand il s'enfuit ayant peur des premiers coups de feu incompréhensibles.
On peut voir de sa lettre ce qu’il lui arriva à Kokand. Selon sa lettre, les Uzbeks (les représentants des beys) torturèrent et se moquèrent beaucoup de leur "ministre". Les adhérents d'Erguèche en vue de moquerie le mirent assis près de la rupture simplement pour l’effrayer, et monsieur Tchokaev décida, qu’il fut sauvé par miracle grâce à la prédétermination divine.
DANS LA NUIT EN MONTAGNE
Je vous montrerai encore un image de la vie des ministres de Kokand. Quand Tchokaev s'enfuit, les autres ministres de l'autonomie de Kokand prirent la poudre d'escampette. Le président du conseil des ministres Moukhametzhan Tynychpaev et le secrétaire responsable du conseil des ministres Konyrkozha Khodzhikov drapèrent ensemble. Ils allèrent tous les deux aux chevaux, en craignant de passer aux auls kirghizs qu’ils rencontraient sur leur chemin, ils se cachaient jour et nuit dans la montagne, comme les loups errants se sauvant des chiens.
La nuit était noire, on n'y voyait goutte. Il pleuvait. Tout autour étaient des montagnes raides. Deux ministres trébuchaient sur les pierres, tombent dans chaque fosse. Les chevaux se traînaient à peine. Les ministres furent trempés jusqu'aux os. Ils succombaient de la faim. Et les chevaux affamés cheminaient d'un pas léger, en se heurtant aux rochers, baissaient les têtes.
Ils saisissaient chaque branche trouvée et rongeaint bruyamment en rongeant les mors aussi. Les ministres hâtaient en chuchotant les chevaux, mais les chevaux regimbaient. L'eau de pluie faisait floc, les vêtements et les couvertures des chevaux s'égouttaient. Le ciel et la terre furent noirs, tout était enténébré. Une fleuve de boue coulait des montagnes.
Quelque part au loin des les feux aouls kirghizs scintillaient. On entend dans la montagne l’hurlement lugubre des loups affamés. Les ministres craignaient d'aller vers le feu scintillant. Ils chuchotaient très doucement, cherchaient un coin secret pour y sauver les pauvres âmes.
Et voilà le vizir échappé et son secrétaire arrivèrent vers la caverne sombre, en chuchotant, ils descendirent des chevaux.
En tenant les brides des chevaux, s'étant recroquevillé, ils s’assirent près du côté sous le vent d’une pierre. L'eau de pluie ruissella des vêtements à la terre.
Ss’étant familiarisé un peu, Konyrkozha appela:
- Moukhametzhan!
Tynychpaev répondit tout doucement, d'une voix expirante. Konyrkozha demanda aussi doucement:
- Seras-tu encore ministre?
- Ne dis pas de sottises! - Moukhametzhan se vexa. – Ce n’est pas la place pour les plaisanteries!
Voilà une petite image de la vie des ministres de Kokand. C’était Konyrkozha qui me raconta out cela lui-même.
FAUX KHANS AU KAZAKHSTAN
OCCIDENTAL
Les meneurs d'Alach-Orda comprirent dès le début qu’ils mouriraient, s'ils n'opposaient pas une force quelconque à l'arme bolcheviste. C'est pourquoi ils décidèrent d'organiser la milice kazakhe.
On commença à appeler d’entrer à la milice dans deux places: à Semipalatinsk et à Ouralsk.
Bien que les chefs d'Alach-Orda déménagèrent à Semipalatinsk, les membres du gouvernement Zhakhancha Dosmoukhammetov et Khalel Dosmoukhammetov restèrent chez eux à Ouralsk.
C’étaient eux qui furent initiateurs d’un groupe, qui avait proposé au Deuxième congrès kazakh-kirghiz à Orenbourg de déclarer l'autonomie kazakhe immédiatement après le congrès.
Boukeikhanov, Doulatov, Baïtoursounov, Gabbassov, Ermekov et Tourlybaev furent inspirateurs d’un autre groupe, qui avait voulu déclarer l'autonomie au moin après la création partielle de la milice kazakhe.
Le groupe des Dosmoukhammetovs s'était trouvé en minorité au congrès, mais néanmoins elle n'avait pas accepté les idées des gens de Boukeikhanov. Étant resté à Ouralsk à Semipalatinsk après l'évasion du gouvernement, ils commencèrent à mener leur propre politique et procédèrent à la création de la milice. Ils furent plus actifs, que gens de Boukeikhanov. Ces derniers agissaient sournoisement, par des voies détournées. Les gens de Dosmoukhammetov sans toutes manoeuvres visaient à leur "khanat".
À l’époque de Kolchak les gens de Dosmoukhammetov, s'étant détaché de l’Alach-Orda de Boukeikhanov à Semipalatinsk, se prirent maîtres des provinces d'Oural et d'Aktiubinsk et créèrent le gouvernement nommé l'Alach-Orda Occidentale. Certains épisodes de la vie de ce gouvernement, comme l'arrivée de Kouanaï-khazrat chez Khalel, sont cités par moi plus haut.
Après un faux gouvernement de Kokand s'égailla à cause de quelques coups de feu des bolcheviks, les gens d’Alach-Orda commencèrent à créer la milice à Ouralsk et à Semipalatinsk, rassemblèrent quelques djiguites à cheval et ceux à pied et commencèrent à leur enseigner l’art militaire.
Les bolcheviks de Semipalatinsk attendaient patientement, à quoi cela amenerait, mais une fois quelques soldats-bolcheviks s’approchèrent à la place des exercices d'ordre serré de la milice d’Alach-Orda et ont tirèrent brusquement en haut. La milice s’enfuirent à la débandade. Le chef de milice, un djiguite nommé Kazi, tâchait d'arrêter ses gens avec les cri et les menaces. Et à ce moment-là il fut atteint d'une balle.
En rapport avec la mort du chef de milice dans le journal de "Sary-Arka" les écrivalleurs d'Alach firent du fracas terrible, en gardant le silence, cependant, sur ce à qui ils préparaient les balles.
Dans numéro 34 du 18 mars 1918 du journal de "Sary-Arka" ils utilisèrent ce cas pour leur propagande odieuse contre-révolutionnaire.
Les discours des aqsaqal Chakarim, Baïmbet, Myrzhakip, Zhousoupbek, Sabit Donentaev, Raïmzhan, hadzhi Zhangali et Moustakim pleins d’absurdité, furent imprimées dans le journal.
La milice d’Alach-Orda fut créée non seulement à Semipalatinsk et à Ouralsk, mais aussi et à Tourgaï. Zhakhancha Dosmoukhammetov et Khalel Dosmoukhammetov créèrent dans la région d'Oural, dans la ville de Zhympity, un gouvernement indépendant d’Alach-Orda.
Après le gouvernement d’Alach-Orda s'enfuit à Semipalatinsk, et Orenbourg fut pris par les bolcheviks, c’était Zhangildin qui commença à s’occuper des affaires des Kazakhs se rapportant territorialement à Orenbourg. C'est pourquoi les Dosmoukhammetovs décidèrent de créer à Ouralsk un gouvernement local.
Ils convoquèrent le congrès de la région d'Oural. Le congrès eut lieu à Karatiube. Il faut en donner plus de détails.
CONGRÈS DE KARATIUBE
Le début de 1918. C’était l'hiver. Tous les intellectuels kazakhes de la région d'Oural s’assemblèrent à Karatiub. Le congrès était mené par les Dosmoukhammetovs. Au travail du congrès participaient Kenzhin, Kassaboulatov, Myrzagaliev, Karatleouov, Zholdybaev, Khangereev, Ipmagambetov et Alibekov. Ils n'étaient pas encore bolcheviks ce temps-là.
Les Dosmoukhammetovs furent élus à la présidence du congrès.
À l'ordre du jour les questions les plus importantes figuraient: les élections du gouvernement, la création de la troupe, la collecte des moyens pour son traitement.
Il y eut aucune divergence d'opinions à propos des questions de la création de la troupe et du gouvernement. Quand on se mit à discuter la question sur la collecte des moyens, les participants de congrès se partagèrent en deux groupes, les discussions commencèrent. La plupart soutenait les Dosmoukhammetovs, qui proposaient de collecter de chaque cour, de chaque toundik[65] cent roubles.
En minorité furent Goubaïdoulla Alibekov, Ipmagambetov, Khangereev et Zholdybaev, Kossaboulatov, Kenzhin, Karatleouov, Myrzagaliev qui partageaient leurs idées. Ils proposèrent de taxer les beys et les pauvres selon leurs ressources.
Contre cette proposition s'affirma le bey notable Salyk, le descendant du Srym-batyr célèbre. Puisque Salyk protesta contre la différence des impôts pour les riches et les pauvres, les Dosmoukhammetovs aussi s'affirmèrent contre cela. Une querelle passionnée commença. Les deux parties, en restant sur leurs positions, ne pouvaient guère venir à la décision commune. Les participants du congrès hésitèrent, sans savoir, à qui se joindre. Les argumentations des deux parties furent forts.
Les discours des Dosmoukhammetovs plus respectés furent écoutés avec une grande attention, mais les arguments de la partie de Goubaïdoulla Alibekov, d’Ipmagambetov et des autres furent plus logiques et convainçants. Ils attiraient les gens qui ne perdirent pas le sentiment d'humanité.
Le congrès eut lieu dans la mosquée bondée. Il y fit étouffant. La foule, qui ne fut pas capable d’assister au le congrès, entoura la mosquée. Par les fenêtres ouvertes les gens regardaient à l'intérieur et écoutaient la discussion avidement. "Taxer les beys et les pauvres selon leurs ressources. Les nécessiteux ne doivent pas être taxés", - une telle proposition fut du goût de la foule. On entendit par les fenêtres ouvertes des exclamations de l'approbation.
Enfin le groupe de Goubaïdoulla exposa ses objections par écrit et les remit à la présidence.
Les Dosmoukhammetovs déclarèrent au congrès que les objections écrites du groupe de Goubaïdoulla menaient au bolchevisme. Les arguments des Dosmoukhammetovs étaient aussi assez clairement "justifiés" à leur façon et consistaient au suivant:
"Chers frères! Nous nous sommes réunis ici ayant les plus pures aspirations et avec les meilleures intentions. La Russie est saisie de révolte, de grandes émotions. La Russie s'est brisée en deux camps, la guerre intestine règne, le sang coule. Les uns prennent soin de leurs fortunes, les autres tremblent pour leurs peaux. Voici dans quelle situation critique on s’est trouvé. Nous devons nous mettre au travail à temps. Nous nous sommes réunis à ce congrès pour unir le peuple, le faire monlithique. Il y a des hommes habiles d'Alach ici. Parmi vous sont des lumières de la nation: hazrats, aqsaqals respectables, djiguites honorables. Vous êtes tous les progressistes de l’Alach. Celui qui aime sa nation ne la répartira pas en castes. Celui qui se trouve fils fidèle de l’Alach, doit retenir ce précepte.
Nous ne répartons pas la nation en différents clans. Les enfants d'Alach tous sont ègaux. Les fils d'Alach doivent participer à toutes les affaires avec la même application. Tous doivent porter la charge d'Alach en parties égales, sans distinction de ce qui est bey, qui est pauvre. Voici c'est pourquoi il faut que tout le monde verse cent roubles.
Celui qui aime l’Alach, ne différenciera pas les enfants selon la nation et les clans!"
C’était comme cela que les meneurs d'Alach proposaient de considérer les beys et les pauvres frères, d’aimer également les uns et les autres, de collecter cent roubles de tous également. Et c’était cela qu’on appelait l’argument justifié!
Cette question litigieuse fut mise aux voix. Il y eut le partage des voix. Les Dosmoukhammetovs perdirent leur assurance.
Dans la présidence on chuchota à la hâte et on annonça une pause.
Après le déjeuner le congrès continua son travail. Le président dit que Zhakhancha était membre du conseil musulman à Pétersbourg, le représentant des Kazakhs. Sur la demande des aqsaqals il ferait un exposé sommaire sur le travail de ce conseil. Bien que ce message ne figurât pas dans l'ordre du jour, les congressistes trouvèrent possible d'écouter Zhakhancha. Certains criaient leur approbation: "C’est correct! C’est correct!"
-... Dans le conseil musulman travaillent nos frères musulmans prêchant l'Islam. Combien de souffrances les musulmans supportaient pendant plusieurs siècles, quelles humiliations ils éprouvaient! La religion musulmane était négligée longtemps, le livre sacré - le Coran - était foulé aux pieds bien des fois... ainsi Zhakhancha commença son flux de paroles.
Parmi les meneurs d'Alach-horde deux personnes se distinguaient par leur éloquence: Myrzhakip Doulatov et Zhakhancha Dosmoukhammetov, Myrzhakip eut la réputation de maître de la présentation littéraire. Zhakhancha fut considéré comme orateur brillant. Myrzhakip avaient un style élégant, et les paroles de Zhakhancha n’étaient pas toujours polies, parfois son discours était rustaud.
Donc, Zhakhancha se mit à parler du conseil musulman avec ardeur. Le public écoutait, en retenant le souffle, comme un seul homme. Tous les regards furent portés à Zhakhancha. Lançant des regards étincelants fixes à l’un et à l’autre auditeur, l’orateur absorba l'attention de son auditoire. À l'appui de ses dires il serrait les poings avec le craquement aux articulations, ou, pour se montrer le plus convaincant possible il tendait les paumes devant lui avec les doigts écartés. Ses mains, comme les ailes, éteignaient des deux côtés d’une façon souple et après se pliaient l’une vers l'autre.
En cas de besoin les gestes de l’orateur fendaient l'air, comme les coups de hache. Il regardait les yeux étincelant le public fasciné écoutant et comme le magnétisait. L'expression de sa visage changeait chaque minute.
Il finit son discours par les mots suivants:
- Nous étions à Pétersbourg, au conseil musulman. Les Russes étaient déjà en mauvais termes l'un avec l'autre ouvertement. Les bolcheviks erraient dans la ville et mitraillaient toutes les institutions. Le conseil musulman a été mitraillé aussi. Le désordre total était dans la ville. La tristesse régnait sur le peuple.
Au moment, quand chacun pensait de son propre destin, une idée sacrée m’a frappé. Je me suis rappelé que le tout premier manuscrit du Coran écrit par le khalife Osman, se trouvait au musée du tsar renversé à Pétersbourg. Au moment où tout dans le monde était bouleversé, j’étais saisi par une seule aspiration: sauver le Coran sacré à tout prix. Je partageai mon idée avec d'autres membres du conseil musulman. Tous avaient peur, personne n'a osé aller avec moi. Et moi, j’ai pensé: est-ce qu’on peut regretter la vie, quand on peut perdre le Coran?
Sous le feu de mitraillade dans les rues je suis venu au musée. Tout y a été renversé. Ayant franchi beaucoup d'obstacles, me fichant de tout, j’ai gagné le Coran sacré écrit avec le sang du coeur d'Osman. Ayant saisi le Coran à pleins bras, j’ai sorti du musée. À travers le flot ininterrompu d’ennemis, sous l'averse de feu, j'ai apporté le Coran sacré en ces mains-ci au conseil musulman...
Certains beys déjà pleuraient. Certains s'exclamaient:
- Cher Zhakhancha! Tu vaux de l'or, et il y a encore des ingrats ici, qui osent te contredire!
Non seulement le hazrat Kouanaï, le bey Salyk pleuraient, éclatèrent en larmes même les "étudiants" niais les Baltanovs, Zhalenovs et et leurs consorts. Zhakhancha s'assit. Le groupe d'Alibekov était assis, se taisait, sans prononcer un mot. Ils étaient assis à côté de la présidence et voyaient, à quoi cela menait.
Après le discours de Zhakhancha la présidence a soulevé de nouveau la question sur la collecte des moyens. Zhakhancha présidait lui-même.
- Nous avins déjà beaucoup parlé sur la collecte de l'argent, maintenant je mets la question aux voix. Qui est d’accord, comme nous avons proposé, de ne pas distinguer entre les beys et les pauvres, et de collecter de chaque cour le montant identique de cent roubles, levez les mains!
Cette proposition obtint la majorité des voix au congrès. Goubaïdoulla et Kossaboulatov, s'étant levés, déclarèrent en s’adressant au congrès et à la présidence:
- Nous trouvons une telle décision injuste et nous n’en obéissons pas!
- Taisez-vous, les semeurs de discorde! - Les "étudiants" assis au premier rang Baltanov et Zhalenov crièrent, ceux-ci, qui avaient répandu quelques larmes pendant le discours de Zhakhancha. Ils se levèrent d'un saut avec fièvre. En main de Baltanov le poignard étincela.
- Il faut tuer les semeurs de discorde! - il se jeta vers Alibekov en criant.
Il y eut un bousculade.
- Essaie un peu pour voir! Essayez nous tuer! - Alibekov et Kossaboulatov commencèrent à fouiller aussi les poches en y cherchant les couteaux.
- Qu’est-ce que vous faites, mes chers?! - Zhakhancha se jeta de les séparer.
On fit du bruit. Les uns délégués se mirent à courir, les autres furent plantés comme un piquet, sans savoir ce que faire. Khalel disparut, s'enfuit par l'entrée de service. Karatleoulov se tenait s'appuyant contre le fourneau, comme pétrifié.
Kenzhin, les yeux roulés, fut assis, sans mouvoir.
On commença à demander Zhakhancha:
- Arrête-les!
Zhakhancha sauta sur la table et les mains étendues s'exclama:
- Mes frères, ravisez-vous! Qu'est-ce qui se passe avec vous?! Maîtrisez-vous. Arrêtez-vous!
Le public commença à se calmer. On se mit à faire honte l'un à l'autre pour la panique, et peu à peu tous se calmèrent. Le hazrat Kouanaï prit la parole:
- Mon Dieu! Quelle honte! Qu’est-ce que se passe avec vous, mes chers? Est-ce que les frères-musulmans peuvent se colleter! C’est la honte et le scandale, et en plus ce se passe à la mosquée. Cessez la querelle! Cessez la discorde! C’est la honte, vous êtes tous les frères germains. Allez-y, faites amis! Eh, Goubaïdoulla, Aspandiyar, Nourgali, Esengali, Moldagali, Salimgerei! Embrassez-vous! Embrassez-vous avec Zhakhancha, avec Khalel!
Les ennemis rengracièrent et commencèrent à s'embrasser.
Après le congrès on commença à créer la milice et la troupe. On collectèrent de chaque toundik cent roubles. Ceux qui fraudaient le fisc furent fouettés par les membres d’Alach-Orda.
AU DISTRICT D’OURALSK APRÈS LE CONGRÈS DE KARATIUBE
Bien que les adhérents de Goubaïdoulla se soient embrassés avec les meneurs d'Alach-horde au congrès de Karatiube, dans les retraits de leurs âmes ils avaient des autres intentions. Goubaïdoulla Alibekov, Kenzhin, Kossaboulatov, Zholdybaev, Karatleouov, Myrzagaliev décidèrent de créer leur parti séparé. Ils l’appelèrent parti "Ak zhol"[66] et se fixèrent comme objectif la protection des intérêts des paysans.
Ayant conféré, ils envoyèrent Ipmagambetov, Kenzhin, Karatleouov au district de Temir, et Kosaboulatov, Myrzagaliev, Aliaskar Alibekov envoyèrent à la ville d'Ouralsk. Les autre se trouvaient à Zhympity près de l'Alach-Orda.
Dans la ville de Temire Ipmagambetov, Karatleouov, Kenzhin, s'étant unis avec les Russes, prirent en main l'autorité locale et sortirent de la dépendance de l'Alach-Orda. Kassaooulatov, Myrzagaliev, Aliaskar Alibekov arrivèrent à Ouralsk. En été 1918 le pouvoir à Ouralsk se trouvait en mains des cosaques (du gouvernement d'armée de cosaque).
Malgré cela, parallèlement avec le pouvoir de cosaque, les bolcheviks procédèrent à l'organisation du conseil des députés. Les Kazakhs pas nombreux s’unirent avec les bolcheviks et prirent part aussi à la fondation du conseil des députés. Parmi eux étaient l’aqsaqal Bakhitzhan Karataev, Abdourakhman Aïteev, Ipmagambetov et Khangereev.
Kossaboulatov, Myrzagaliev et Alibekov arrivèrent à Ouralsk pour la rencontre avec Karataev et les négociations avec lui sur l’achat de l'arme. Après l'acquisition de deux ou trois fusils ils furent arrêtés chez eux par les cosaques. Sans se limiter à des demi-mesures, les cosaques dispersèrent le congrès convoqué pour les élections du conseil des députés. Les délégués de conseil, tombés sous la main, furent mis en prévention.
Certains organisateurs du congrès avec le camarade Kolostov à la tête furent fusillés, les autres fuirent.
Karataev fut mis en prison. Ipmagambetov fut fusillé pendant son évasion. Jusqu'à 1919, avant l'occupation d'Ouralsk par les rouges, les bolcheviks locaux furent dans l'illégalité.
Les détenus Kosaboulatov, Alibekov, Myrzagaliev après l'interrogatoire furent libérés et revinrent à Zhympity.
Les Dousmoukhammetovs, ayant créé à Zhympity le gouvernement d’Alach-Orda, déployèrent une grande activité. Ils appelèrent leur gouvernement l'Alach-Orda Occidentale que, à leur avis, devait signifier le pouvoir sur toute la moitié occidentale du Kazakhstan. La milice fut vite transformée en troupe.
Le conseil de Temir qui ne reconnaissait pas l'Alach-Orda fut dispersé, Karatleouov et Kenzhin couraient à Tourgaï, où ils se mirent au rang de l'Alach-Orda de Tourgaï et devinrent ses fonctionnaires.
L'Alach-Orda occidentale commença à développer son activité impétueusement. Kolchak s'empara de la Sibérie, le pouvoir soviétique fut renversé, l'Alach-Orda se renforça encore plus et commença à faire le glorieux. Son armée augmentait. Dans la ville d'Oïyl une école d'officier s'ouvrit. On l’appla une Première école militaire kazakhe de cavalerie. Les intellectuels d'Alach-Orda, suppliant le Dieu des pattes d'épaule d'or, s’y réunirent. Après que Kolchak s'empara de la Sibérie, dans le journal de "Sary-Arka" n°57 du 12 octobre 1918 on communiqua: "Selon l'ordre de l'Alach-Orda dans la région d'Ouralsk on a fait une troupe kazakhe comptant plus de deux mille personnes. On reçut du comité de Samara deux mille fusils, cinquante huit mitrailleuses, deux canons et deux automobiles pour leur armement".
Dans le même numéro on publia sous un grand titre le suivant texte sur les promus de l'école de la ville d'Oïyl:
"Les premiers Kazakhs-officiers
Les Kazakhs instructeurs terminèrent leurs études à l'école préparatoire pour les Kazakhs instructeurs dans la région d'Ouralsk le premier octobre, après cela ils partirent pour la steppe pour enseigner des djiguites de steppe..."
Les "premiers-nés officiers kazakhs" sortant de l'école commencèrent leur première affaire odieuse par les Kazakhs eux-mêmes. Ceux "batyrs"[67] d’Alach-Orda, les "premiers-nés du khan", rougirent leurs mains avec le sang des pauvres.
Le khan d’Alach-Orda imitait en tout son frère aîné Kolchak. La troupe de l'Alach-Orda occidentale, en voyant le mécontentement, l'offense et les larmes du peuple, commença à rechigner. Certains hommes d’Alach-Orda, mécontents de la politique du khan, tâchaient de provoquer l’esprit d'indiscipline parmis les combattants, nouaient des intrigues.
Un beau jour l'armée souleva une insurrection et massacra les autorités de cosaque. Une petite ville s'inquiéta, fut prise par la panique. Le gouvernement malchanceux de l'Alach-Orda s’enfuit.
Ayant pris toute l'arme et le fourgon d'alimentation, les insurgés s’avancèrent passant Oïyl au front d'Aktiubinsk pour se réunir avec les rouges. Quand ils s’approchèrent de la ville d'Oïyl, ils furent rencontrés par les représentants de ces "premiers-nés des officiers kazakhs", qui avaient fait leurs études à Oïyl. Ils furent déjà informés par l'Alach-Orda évadé. Les officiers kazakhs arrêtèrent les insurgés et menèrent une telle conversation avec eux:
- Nous nous sommes voilà enfin rencontrés! Nous entendions parler sur vous et nous vous attendions. Nous sommes solidaires avec vous. Vous vous reposerez ici un peu, et ensuite nous quitterons la ville aussi et nous partirons avec vous...
Les insurgés furent d’accord et firent halte dans un ravin, sans s'inquiéter, sans soupçonner rien. Les officiers d’Alach-Orda attaquèrent à l’improviste les gens dormant et les tuèrent. Les "batyrs premiers-nés de l'Alach-Orda" engorgeaient et piquaient les djiguites endormis, comme des moutons...
Voilà quel était le commencement de l'héroïsme militaire des "batyrs".
Tout le pouvoir dans l'Alach-Orda occidentale fut concentré en mains des trois: Zhakhancha Dosmoukhammetov, Khalel Dosmoukhammetov et l'intendant de voloste Salyk. Le sacré hazrat Kouanaï fut leurs patron, dont les ordres ils accomplissaient sans murmure.
Dans la province d'Ouralsk et sur le territoire d'Aktiubinsk on appelaient Zhakhancha Dosmoukhammetov khan. Non pour rire, mais sérieusement.
Le peuple se tenait à l'écart des miliciens du khan, comme des scorpions. On collecta cent roubles de chacun toundik. Celui qui refusait de payer, était fouetté. Le pouvoir du khan fut illimité, ses ordres autocrates surpassèrent ceux de Nikolaï.
Le khan d’Alach ne cédait en rien aux chefs cosaques monarchiques de Kolchak: Doutov, Annenkov, Krassilnikov, Semenov, Kalmykov. Ils avaient la main lestes, donnaient des verges, se jetaient sur le peuple, comme des loups enragés.
On soustrayait tout ce que l'on voulait et ceux qui faisaient résistance ceux-là étaient "pacifiés" à l’aide de gourdin. Le peuple gémissait. Les femmes et de petits enfants pleuraient et tremblaient de peur. On offensait et violait les jeunes filles.
On peut citer les plaintes des habitants d'un des villages russes où les soldats de l'Alach-Orda passèrent.
La copie
Le protocole n°26
Le village de Verbovskoe de la voloste de Stavropol du district Temir.
Le détachement de l'Alach-Orda, en passant notre village, a commettre des actes illégaux. Ils ont donné les verges au vieillard Samokhvalov et à son fils Yakim en public.
Nous envoyons l'attestation de médecin à l'attention du colonel Baddeev, qui commande au front.
Le président du comité civil temporaire
Pouldychev
le 22 juin 1919.
Pour copie conforme: le secrétaire Konovalov.
Je citerai la demande des habitants d'encore un village en ce qui concerne les actions de la milice de l'Alach-Orda. Elle est pleine de fautes, mais on peut comprendre quand même, sur quoi il y a des paroles.
"Le 22 juin 1919 nous, les citoyens soussignés de la voloste d’Izmaïlovsk du district de Temir, ont été dans la cour de voloste. C’était Korosot qui présidait la réunion. À la réunion la résolution suivante a été adoptée. Le premier jour du mois de mai passé la milice d’Oïyl a confisqué à notre voloste huit cents pouds[68] de blé, dix chevaux avec le harnais, deux fourgons et aussi elle a pris cent roubles de chaque cour. Les miliciens demandait de leur donner l'argent de Nikolaï. Nous n’en avons pas eu et nous leur l’avons expliqué. Deuxièmement, faisant la sourde oreille à nos objections, ils ont fait une perquisition, en renversant tout. Faisant la perquisition ils prenaient tout: l’argent, des vêtements et d’autres objets. Ils ont violé aussi les femmes. Les susmentionnés 800 pouds de blé ont été pris seulement de quatre maîtres. C'est pourquoi nous voulons savoir, où et comment ce blé a été distribué. Nous avons élu Stepan Sereda pour faire l'exposé devant l'état-major suprême de la troupe de cosaque et pour savoir ce qui se passe".
Signé par (illettrés): Prokoul Pontarenko, Oustim Tyrskii et les autres.
Le président Korostov, le secrétaire Zonomyrov.
Recopié correctement: le secrétaire Konovalov.
Voila les affaires de la milice de l'Alach-Orda. Il est difficile de les accuser: le khan ordonne, les autorités directent, la milice accomplit. Qu’est-ce qu’on peut faire?
Le gouvernement de l'Alach-Orda ne connaissait pas d’autres ordres, à part: "Prends!" Par exemple, dans l'ordre n°59 du 19 juin de la subdivision d'armée de l'Alach-Orda occidentale on disait: "De la voloste de Borodinsk du district de Temir pendant dix jours l'impôt militaire, l'"impôt des sabots" (cent roubles de chaque cour) doivent être collectés. Livrer à Oïyl 1300 pouds de blé et cinq chevaux d'attelage".
À propos, à Oïyle on publiait un journal. Si j'ai bonne mémoire, il s'appelait "Zhana Kazakh" ("Nouveau Kazakh"). Son rédacteur fut le médecin Akhmet Mametov.
Après l’occupation de la région d'Ouralsk par les bolcheviks en 1919 le gouvernement du "khan" s’enfuit. Le frère aîné d'Ipmagambetov fusillé sortit de la clandestinité avec Argantcheev, Aïteev, Khangereev. Les Bekbatyrovs ne participant pas à l'activité d’Alach-Orda passerènt du côté des bolcheviks. Aux bolcheviks adhérèrent aussi certains intellectuels: le médecin Ipmagambetov, Alibekov, Kossaboulatov, Myrzagaliev et les autres.
J’ai déjà dit de l'existence de l’Alach-Orda de Tourgaï. Il n'est pas utile de le décrire en détail. L'Alach-Orda de Tourgaï fut considéré comme une branche de l'Alach-Orda orientale. Il était présidée par Espoulov, Doulatov, Baïtoursounov, Eldes Omarov. Il y avait parmi eux beaucoup d’intellectuels de bey de Koustanaï et de Tourgaï.
Karatleouov et Kenzhin échappés d'Ouralsk devinrent ses activistes. Les gens de Tourgaï créèrent aussi leur armée, imposaient aussi des impôts de toutes sortes à la population et usaient volontiers des fouets à l'occasion. Bien des fois les sabres des gens d’Alach-Orda étaient baignés de sang des Kazakhs simples. L'Alach-Orda de Tourgaï, comme celui occidental, maintenait la communication avec Kolchak, envoyait ses messagers et ses représentants chez lui. Pendant son épanouissement l'Alach-Orda de Tourgaï se livra à des excès à discrétion.
À AKMOLINSK
Reviendrons-nous au début de 1918, aux événements se passant à Akmolinsk. Le conseil des députés d’Akmolinsk travaillait sans répit. On imposa aux beys locaux un impôt à trois millions de roubles, en fonction de la furtune de chacun. À cette époque-là trois millions furent une somme considérable. Les beys pleuraient, mais il n'y avait pas d'autre issue, il leur fallut verser l'argent au service financier du conseil de députés.
Les meilleures maisons des beys furent transformées aux institutions. Les banques, les voitures, les moulins à vapeur furent passés en toute propriété du peuple au début de la révolution. Les séances du conseil des députés furent fréquentes, on parlait beaucoup. Les habitants de ville venaient aussi pour écouter.
Parfois, s’étant couvert préalablement de la permission du président de conseil des députés, les citadins prenaient parole aussi.
Les portes du conseil des députés furent ouvertes pour tous.
L'hiver vint. Vers l'été on établit la communication avec Omsk et Petropavlovsk. La distribution des lettres et des journaux fut réglée. Dans toute la province d’Akmolinsk le pouvoir soviétique s’établi définitivement. Le pouvoir administratif passa aux mains du conseil des députés tout d’abord aux districts d’Akmolinsk, de Petropavlovsk, d’Omsk, et puis à ceux de Koktchetav et d’Atbassar. D'Atbassar on envoya des mandataires chez nous pour les instructions et les indications. Des Kazakhs c’était Maïkotov qui passa du côté des bolcheviks à Atbassar et travaillait bien. À Koktchetav l'étendard des Soviets fut levé par le révolutionnaire Sabyr Sharipov, qui participait activement à la lutte; à Petropavlovsk ce furent Iskhak Kobekov, Chaïmerden Alzhanov, à Omsk agissait Kolbaï avec les ouvriers Ougar Zhanybekov, Zikiria Moukeev, Galim[69] Tatimo et les élèves Zhanaïdar, Khamza, Aboulkhaïr et Taoutan.
À Omsk les membres du conseil des députés échangèrent de coups avec les élèves de l'école militaire.
L'avantage d'Omsk et de Petropavlovsk devant Akmolinsk consistait en ce qu’aux stations de chemin de fer il y eut beaucoup d'ouvriers. Aux usines, sur le chemin de fer, au service de navigation travaillait la classe ouvrière, qui était plus facile d'organiser. Plusieurs gens étaient illettrés, comprenaient plus vite la signification du conseil des députés, s'armaient d'une manière organisée et créaient les détachements de la Garde rouge. Le conseil des députés travaillait plus facile avec un tel soutien. Les Kazakhs ouvriers peu nombreux ne furent pas en arrière des ouvriers russes.
À Petropavlovsk les ouvriers kazakhs armés organisèrent le quartier général dans les chambres d'hôtel de bey Osserbey. Les chefs du parti "Ouch zhouze" Iskhak Kobekov, Karim Soutiuchev, Chaïmerden Alzhanov présidaient cette institution.
Iskhak Kobekov fut commandant du détachement de la Garde rouge des ouvriers kazakhs.
À Omsk les ouvriers kazakhs commencèrent à entrer aussi dans des rangs de l'Armée rouge. En 1917 à l'entrée de l'hiver, à Petropavlovsk les officiers et les fistons de bey soulevèrent une révolte. Ils entourèrent le conseil des députés et arrêtèrent certains de ses chefs. La Garde rouge ouvrière libéra le conseil des députés par ses actions décisives. Les meneurs de la révolte eurent ce qu’ils méritaient. À la liquidation de la révolte d'officier une part active fut prise par Iskhak Kobekov avec son détachement kazakh.
Quand les beys entendirent parler sur la prise du conseils des députés par les révoltés, ils exultèrent de joie. Les suppôts de l'Alach-Orda décidèrent que la ville fut prise, le pouvoir ancien fut établit, et c'est pourquoi ils se réunirent dans une des maisons pour discuter leur situation. Ils se réjouissaient, se félicitaient et réclamaient à l'unisson: "Il faut trouver Kobekov! Il faut tuer Kobekov!"
Et à ce moment-là Kobekov lui-même avec le détachement de la garde kazakhe vint chez eux à la maison les armes à la main. Les gens d’Alach-Orda restèrent figés sur places.
La classe ouvrière ne tuait pas les ennemis peureux, impuissants, criant miséricorde. Les soldats kazakhs de garde bottèrent les culs de beys et les firent partir aux maisons.
Les organisateurs des ouvriers de Petropavlovsk étaient Krim Diuissekeev, Khassen Karanaev, Erezhep Kassimov, Grouchtchitsyn, Kalis, Moukan Esmagambetov, Charip et Boskinov. Ils furent tous membres du parti "Ouch zhouze". Les instructeurs militaires des ouvriers étaient le commissaire Iskhak Kobekov et Karim Soutiuchev. Chaïmerden Alzhanov venait d'Omsk et donnait les instruction.
À Akmolinsk il n’y eut pas de grandes usines, c'est pourquoi des ouvriers était pas nombreux. Les usines d’Ouspensk, Spassk, Karaganda et Sara-Sou se trouvaient d'Akmolinsk à distance de deux cents trois cents verstes. En hiver la communication avec eux s'interrompit. On construisait le chemin de fer menant d'Orsk à Semipalatinsk, à travers Atbassar et Akmolinsk.
La gestion du chemin de fer Sibérien de sud se trouvait à Akmolinsk. On y construisait le bâtiment de la gare, et nos gens de conseil des députés faisaient des discours sur ce chantier de construction. Y travaillaient les hommes nouveaux, venus récemment du village et ne comprenant pas beaucoup de choses. Nous procédâmes à l'explication de la politique actuelle. Et pour confirmer la politique révolutionnaire pratiquement nous fournîmes aux ouvriers le logement, ayant confisqué à un des beys de ville une maison magnifique. De jeunes ouvriers eurent besoin avant tout de l'éducation révolutionnaire.
Une fois le conseil des députés reçut un radiogramme gouvernemental: "Selon le programme accepté par les bolcheviks, le pouvoir soviétique fournit l'autonomie à tous les peuples, opprimés pendant le régime tsariste. Chaque peuple a le droit de décider de son sort indépendamment. Que le peuple kazakhe se prépare à la création de l'autonomie conformément à son territoire. Il faut procéder pour cela à l'ouverture des tribunaux de peuple et des écoles avec l'enseignement des enfants en kazakh".
Après ce radiogramme nous reçûmes de Semipalatinsk le journal "Sary-Arka" et la revue "Abaï". À leurs pages avec les lettres immenses on imprima le message des meneurs de l'Alach-Orda sur ce que les bolcheviks avaient fourni aux Kazakhs l'autonomie...
"Le Dieu t'aide, l’Alach! - ils s'exclamaient. - Ta joie est immence, l’Alach! Allons-y découdre l'estomac du chameau blanc, l’Alach (cela signifiait: allons-y faire une bombance)! Amuse-toi sans cesse, l’Alach! Triomphe, l’Alach!"
Dans le journal on disait entre autres que Khalel et Zhakhancha Dosmoukhammetov partirent pour Moscou pour négocier à propos de l'autonomie. Alikhan Boukeikhanov venait de recevoir le télégramme envoyé par eux, où ils disaient que les négociations avec les chefs des bolcheviks passaient avec succès.
Nous devînmes perplexes. On eut de bonnes raisons de devenir pensif! Les Dosmoukhammetovs d’Alach-Orda allaient à Moscou pour discuter du sort des Kazakhs avec les leaders soviétiques, et ils télégraphiaient à Boukeikhanov eux-mêmes sur les négociations fructueuses avec eux.
Est-ce que les leaders soviétiques pourraient transmettre l'autonomie kazakhe aux mains des nationalistes bourgeois? Les membres de l’Alach-Orda de Semipalatinsk le carillonnaient à tous avec joie dans le journal "Sara-Arka" et la revue "Abaï".
Qu'y avai-t-il? Comment il nous fallut continuer à agir?
Nous convoquâmes la réunion d'urgence du "Zhas Kazakh". On prit la parole sur l'autonomie. Après l'exposé nous échangeâmes de vues et tous les membres de l'organisation "Zhas Kazakh" adoptèrent unanimement une résolution suivante:
"La plupart des gens kazakhs sont illettrés. Les pauvres et les travailleurs se trouvent encore sous l'influence des beys et des intellectuels riches. Il y a encore très peu d’intellectuels (d’originaires des pauvres) capables de protéger les intérêts des larges masses. La plupart des Kazakhs lettrés sont devenus membres de l'Alach-Orda et soutiennent activement la politique des dirigeants de bey. Si les Kazakhs reçoivent maintenant l'autonomie, sans que l'Alach-horde ne soit pas isolé, le pouvoir sera pris par les nationalistes bourgeois. Les travailleurs kazakhs n'ont pas de besoin d’autonomies d’Alach-Orda..."
Après l’adoption de la résolution il fut décidé de convoquer urgentement le congrès des Kazakhs ouvriers du district d’Akmolinsk. Nous voulûmes discuter la question sur l'autonomie au congrès des pauvres. S'étant mis d'accord avec le conseil des députés on convoqua le congrès d'urgence. Les délégués arrivèrent vite. À cause de la hâte nous ne pûmes pas attendre les gens des périphéries lointaines. Le congrès s'ouvrit au rez-de-chaussée du bâtiment du conseil des députés (un ancien gymnase construit autrefois par le riche Moïseev).
L'exposé sur l'autonomie fut fait par moi. Le congrès approuva unanimement la résolution de "Zhas Kazakh". Nous télégraphiâmes la décision du congrès à Moscou. Baïsseit Adilev écrit le texte du télégramme et je l’éditai. Le télégramme fut discuté par moi, Baïsseit Adilev, Abdoulla Assylbekov, Baken Serikpaev, Zhoumabaï Nourkin, Nourgaïn Bekmoukhammetov.
Ce ne fut pas à nous de juger si correctement ou incorrectement était notre décision à cette époque-là. Notre opinion sur l'autonomie kazakhe continuait à rester le même jusque vers 1920, quand il y eut un nouveau congrès de district des pauvres kazakhs à Akmolinsk, où on posa de nouveau la question sur l'autonomie kazakhe.
Au travail du congrès participait un jeune Tatar Krymov arrivé à Akmolinsk avec cinq soldats de l'Armée rouge (dans la suite Krymov termina ses études à l'Académie Militaire de Moscou). Les parts furent prise aussi par les camarades Zhoumabaï Nourkin et Omarov Achim.
Et à ce congrès je fis aussi le discours de nouveau sur l'autonomie, et de nouveau le congrès prit la décision, qui avait été prise au congrès des pauvres encore en 1918. Nous télégraphiâmes l’exposé détaillé de la décision du congrès sur l'autonomie à Orenbourg au comité révolutionnaire kirghiz régional. Le télégramme fut publié dans le journal d'Orenbourg russe.
J'ai anticipé de nouveau, n'ayant pas fini le récit des événements de 1918. Donc, nous télégraphiâmes à Moscou que les travailleurs kazakhs n'avaient pas besoin de l’autonomie de l’Alach-Orda. À propos, à ce moment-là plusieurs gens d’Alach-Orda commencèrent à publier leurs discours dans les journaux sur ce que l'autonomie établie par les bolcheviks n'était pas nécessaire pour le peuple kazakh. En premier lieu cela fut déclaré par les gens, qui pleuraient sur le destin de l'autonomie de Kokand de Tchokaev. Dans les éditoriaux du journal de Tachkent "Birlik touy" ("Drapeau de l'union") n°29 du 5 avril 1918 on traita les bolcheviks voleurs, débauchés, filous, trompeurs et on disa que "l'autonomie promise par eux (les bolcheviks) n’apportera aucun profit".
Dans l'article il y eut de telles lignes:
"... Ces derniers temps les bolcheviks ont commencé à engager souvent les conversations sur l'autonomie de Turkestan. À la première séance de notre Conseil à Tachkent le camarade Tobolin a commencé à parler infiniment sur ce sujet-là. On a reçu un télégramme de Moscou, où on communiquait sur la nécessité de la création de l'autonomie de Turkestan.
... Mais il y a une différence immense entre l'autonomie promise par des bolcheviks, et celle réelle, satisfaisant les besoins du peuple. La distance entre elles est comme la distance entre ciel et terre...
... L'autonomie des bolcheviks, qu'ils veulent créer à Tourkestan, n'a rien commun avec une vrai autonomie (i.e. d’Alach-Orda). Ils n'ont pas du tout d'intention de transmettre la gestion au peuple, sans intervenir dans ses affaires intérieures. Au contraire, en promettant de transmettre le pouvoir aux gens simples, ils ont l'intention de placer au pouvoir des filous dépravés..."
Dans le même article "Birlik touy" écrivait:
"... Il est impossible de compter des actions de brigand des bolcheviks à Tourkestan. Maintenant tous les travailleurs lettrés honnêtes sont persécutés. Les bolcheviks les recherchent pour tuer à la première occasion. Personne ne s'intéresse à l'opinion réelle des larges masses. Quand est-ce que le peuple considérait comme les ennemis ceux citoyens valeureux, qui sont obligés de se cacher maintenant?" - le journal de Tachkent demandait.
Khaïritden Bolgambaev fut l'auteur de cet article, un des hommes ingénieux de l'Alach-Orda, connu sous le pseudonyme Bortan. El Soultanbek Khodzhanov fut l’éditeur de journal.
Les intellectuels mentionnés dans l'article, qui étaient obligés de se cacher - ce fut Tchokaev, pas quelqun d’autre.
... Le printemps de 1918 vint. Les gens de lAlach-Orda ne restaient pas les bras croisés. Leurs adhérents d'Omsk commencèrent à exaspérer habilement la haine qui avait apparu entre Moukhanom Aïtpenov et Kolbaï Togousov. Ils passèrent du côté des debolcheviks tous les deux, mais ils se fâchèrent.
À la suite des actions malfaisantes des chaïtans "revêtus des traits humains" Kolbaï obtint l'arrestation de Moukhan. Moukhan, étant sorti vite de la prison, commença à son tour à fabriquer les documents dénigrant Kolbaï, et par l'intermédiaire du conseil des députés il obtint son arrestation.
Plusieurs membres de l'organisation de jeunesse "Birlik" fonctionnant dès 1914 à Omsk, passèrent définitivement à l'Alach-Orda, une autre partie de la jeunesse passa sous les drapeaux des Soviets. Je le raconterai en détail plus tard... Les gens d’Alach-Orda de "Birlik" attaquèrent unanimement Kolbaï, comblèrent le conseil des députés avec les "documents", compromettant Kolbaï.
Les maîtres éprouvés habiles en collecte de la calomnie, des dénonciations dévergondées, ils utilisèrentl'expérience odieuse de leurs prédécesseurs, quand aux aouls il y eut la lutte pour le grade d'intendant de voloste, de chef et d'arbitre!
Moi, je connais peu Kolbaï, c'est pourquoi je ne vais ni le défendre, ni le noircir. Mais je sais une chose: ce furent des rejetons d’Alach-Orda de "Birlik" à Omsk qui fabriquèrent les "documents" dénigrant Kolbaï devant le conseil des députés.
En soutenant les dénonciateurs, l'officier de cosaque Poliudov, passé aux bolcheviks, obtint l'arrestation de Kolbaï. Il publia un article dans le journal, où il dénigra Kolbaï et glorifia Baïtoursounov et Boukeikhanov. Voici le texte d'un des télégrammes d'Omsk, publiée dans le journal "Sary-Arka" n°38 du 19 avril 1918.
Un nouveau télégramme d'Omsk.
Le 11 avril la rédaction de "Sary-Ark" d'Omsk reçut encore deux télégrammes. Dans l’un d'eux on communiqua qu'"avec Kolbaï on a arrêté Chaïmerden Alzhanov, Souleimen Togoussov et les autres. L'arrestation de Kobekova est possible. Envoyez de toute urgence Ermekov et Sarsenov pour qu'ils disent au peuple de l'activité ancienne de Kolbaï. La justice est effectué". L'auteur du télégramme: Kacharskii.
Les rusés bronzés d'Alach, les successeurs dignes de la tradition indigne de leurs pères – les atkaminers[70] (les filous, les escrocs), ramassant habilement des cancans de tous les côtés, ils cachèrent leurs noms réels en donnant le télégramme, et le signèrent par un mot inventé: Kacharskii. Si une personne est honnête, à quoi lui sert de cacher son nom?
Dans le deuxième télégramme on disait: "Le 17 avril (selon l'ancien calendrier) le congrès des pauvres aura lieu à Omsk. On y discutera les questions concernant l’attitude de Kolbaï. Nous demandons d’envoyer Sarsenov au congrès". La signature sous le télégramme: Birlik.
Les vieux et jeunes gens d’Alach-Orda par efforts unis obtinrent l'arrestation de Kolbaï, et avec lui ils mirent en prison Chaïmerden (Alzhanov). Ils tâchèrent de calomnier Iskhak Kobekov, mais il fut défendu par les ouvriers de Petropavlovsk. Ils prenaient déjà les mesures pour libérer et Kolbaï, mais la révolte inattendue des Tchèques les empêcha.
On blâmait et accusait Kolbaï. Bon, admettrons, que Kolbaï était une personne indigne, mais qu’est-ce que Chaïmerden et Iskhak firent de mal? Ils participaient énergiquement à la révolution et protégeaient ses intérêts.
Quelles étaient leurs fautes?
On en savait bien. Ils s’unirent avec les bolcheviks, soutenaient le pouvoir soviétique, protestaient contre l'Alach-Orda. Qui les accusait pour cela? Ils furent accusés par de jeunes disciples de l'Alach-Orda, étant membres du "Birlik". Ils décidèrent d'exterminer leurs ennemis, ceux qui, s'étant cassé de "Birlika" d’Alach-Orda, entrèrent dans la voie de la révolution et créèrent le "conseil démocratique des élèves". On tâchait de les calomnier aussi devant le conseil des députés, tachait d'obtenir l'arrestation des élèves d'Omsk Taoutin Arystambekov, Zhanaïdar Sadvokasov, Aboulkhaïr Dossov, Khamza Zhousoupbekov et des autres.
Trois des fils "dignes" de "Birlik" provoquèrent la milice et arrêtèrent Taoutin, Khamza et Aboulkhaïr. Mais le conseil des députés, ayant tout compris, les libéra vite... Voilà comment de jeunes disciples de l'Alach-Orda agissaient. Est-ce qu’ils n’étaient pas les fils fidèles de leurs pères?
Au congrès des pauvres à Omsk nous envoyâmes d'Akmolinsk deux camarades: Bilial Tinalin, ouvrier, membre du conseil des députés, bolchevik et représentant des pauvres d’Akmolinsk, l’orateur populaire Kocherbaï Zhamanaev, bolchevik aussi, membre actif du "Zhas Kazakh".
Le jour du Premier mai[71] vint. En Akmolinsk nous le célébrâmes joyeusement et solennellement. Les membres du conseil des députés, les travailleurs de l’organisation, ainsi qu’un détachement de la Garde rouge sortirent dans les rues avec des drapeaux et des chants révolutionnaires, ils tenaient partout des meetings et prononçaient les discours...
Au profit des étudiants pauvres à Omsk et pour le maintien de l'organisation "Zhas Kazakh" nous fîmes une première grande soirée payante en kazakh. Spectateurs ont regardé ma pièce "Sur la route bonheur", écrit à la veille. C'était ma première œuvre littéraire majeure.
À la soirée les Russes et les Kazakhs s'entassèrent côte à côte. Sur la demande des spectateurs le concert fut continué le lendemain aussi.
Il n'y eut pas de places suffisantes pour tous dans la salle. Les rôles étaient joués par les membres du "Zhas Kazakh" Baken Serikpaev, Kozhebaï Erdenov, Omirbaï Donentaev, Salik Aïnabekov, Banou, Charapat, Beïsenov et les autres...
L'influence du conseil des députés s'élargissait de jour en jour. Les membres du conseil des députés commencèrent à partir souvent aux aouls, à discuter, à prendre des mesures pratiques aux places.
À l’époque du Gouvernement provisoire de Kerensky, au temps de l'insurrection kazakhe de 1916, tels intendants de voloste, comme Olzhabaj et Alkei, en prenaient avec eux les soldats armés tsaristes, circulant dans la steppe, dévastant le peuple impitoyablement.
Nous reçûmes près de deux cents plaintes de la part des travailleurs, c'est pourquoi nous donnâmes charge au camarade Zhoumabaï Nourkin de partir à la steppe avec quinze soldats d'Armée rouge pour arrêter les anciens chefs de voloste et confisquer leur bétail. Avec le même but dans une autre direction nous envoyâmes Baïsseit Adilev avec la milice.
L'état-major organisé de l'Armée rouge fut présidé par deux matelots qui arrivèrent de la Russie: Zimin et Avdeev, ainsi que par un vieux soldat Balandin.
Nous stabilisâmes notre lien avec les usines de Karaganda, Spassk, Ouspensk, où les conseils des députés furent organisés aussi. Les messagers d'usine commencèrent à venir chez nous plus souvent. Les membres des conseils des députés d'usine Tourousbek Mynbaev et Aryn Maldabaev nous rendirent visite aussi. Au commencement de la nationalisation des usines, les délégués des conseils des députés ouvriers de Karaganda, Ouspensk et Spassk arrivèrent à notre conseil des députés de district. Parmi eux il y avait tels camarades, comme Neïman, Orynbek Bekov. Ils prononcèrent les discours sur la situation aux usines, demandèrent de l'argent et de l'arme. Le conseil des députés prit la décision de nationaliser les usines et rendirent une ordonnance d'exproprier soixante-dix mille pouds du cuivre à Spassk.
On approuva unanimement la proposition sur la délivrance de l'argent et de l'arme des réserves du conseil des députés aux représentants des ouvriers: Neïman et Bekov. Pour la réception des fusils et les mitrailleuses nous avons expédié à Omsk et à Petropavlovsk le membre de l'état-major de l'Armée rouge le matelot Zimin, le commandant Kopylov et l’ouvrier de l'usine de Spassk, le membre du conseil des députés Proudov.
Après avoir reçu l’argent et l'arme, Orynbek Bekov vint chez moi à mon appartement. Le camarade Proudov disait du bien de Bekov.
Je m’assurai de ses capacités, quand j’écoutais son exposé au conseil des députés. Ce temps-là nous parlions sur les ouvriers, sur les Kazakhs, sur le pouvoir soviétique, sur les bolcheviks et l'Alach-Orda. Il n’avait qu'une faible idée de l’Alach-Orda, Bekov n’avait pas de comportement claire et ferme envers ces gens-là. Je commençai à lui expliquer que "l'Alach-Orda est une organisation bourgeoise avide d’établir un ancien pouvoir de khan sur les pauvres kazakhs, sur les ouvriers. L'Alach-Orda, Ablaï-khan et le tsar Nikolaï – ils sont les mêmes", - je disait.
Bekov dit que parallèlement avec notre journal "Tirchilik" il lisait aussi le journal "Sary-Arka". Je critiquais les articles de "Sary-Arka" et l'activité de ses employés. Dans un certain temps nous fîmes consensus avec Bekov en ce qui concerne l'Alach-Orda. M'ayant promis de travailler plus activement sur le bien de la révolution, Bekov me dit adieu...
En mai 1918 l'organisation "Birlik" à Omsk, ayant partagé définitivement la vision de l'Alach-Orda, convoqua le congrès de la jeunesse. On invita deux personnes de chaque organisation des périphéries. De la part du "Zhas Kazakh" nous envoyâmes Abdoulla Assylbekov, encore nous appointâmes Zhanaïdar Sadvokassov faisant ses études à Omsk.
D'abord les délégués du congrès des pauvres d'Omsk Bilyal et Kocherbaï vinrent, et après eux Abdoulla arriva. Nous écoutions leur renseignements. On apprit qu’au congrès de la jeunesse se réunirent les représentants des organisations de jeunesse des provinces d’Akmolinsk, de Semipalatinsk et de Koustanaï. Le congrès passa avec les disputes ardentes, surtout, quand on discutait la question sur l'Alach-Orda et sur la reconnaissance du pouvoir soviétique. Les participants du congrès se divisèrent en trois groupes: les "droites", les "gauches" et les "centristes".
Les "gauches" furent, bien entendu, les adversaires de l'Alach-Orda, i.e. nos représentants: Abdoulla Assylbekov et Zhanaïdar Sadvokassov avec les représentants du "conseil démocratique" d'Omsk: Aboulkhaïr Dossov et Khamza Zhousoupbekov. Mais les "gauches" se trouvèrent en minorité.
À la discussion de la question sur la reconnaissance du pouvoir soviétique la discussion particulièrement acharnée s'échauffa. Trois différentes opinions se croisèrent en vive lutte.
Les "gauches" (les camarades Assylbekov, Zhanaïdar Sadvokassov, Aboulkhaïr Dossov et Khamza Zhoussoupbekov) protégeaient le pouvoir soviétique.
Abdrakhman Baïdildin, l'ancien "centriste" à la discussion de la question sur l'Alach-Orda, se rallia à leur point de vue. L'aile "droite" reniait le pouvoir soviétique: les chefs de "Birlik" Kemenguerov, Smagoul Sadvokassov, Appas (Gabbas) Togzhanov, Saïdalin (Assygat), les Seitovs et les autres.
Quand les bolcheviks tuèrent le chef de la milice de l'Alach-Orda de Semipalatinsk Kazii (Torsanov), les élèves susnommés de "Birlik" firent une épitaphe à Omsk, dans laquelle on disait: "Nous jurons que nous n’abandonnerons la route ouverte par Kazii..."
Ils transmirent leur serment par télégraphe à la rédaction de "Sary-Arka". Son texte fut publié dans le journal n°38 du 15 avril 1918:
"La condoléance
Nous regrettons infiniment le décès prématuré du jeune frère Kazii avec l'âme fougueuse et le sang vif national. Kazii n’a pas réalisé son rêve le plus cher, car il est tombé le premier victime sur une voie de la renaissance de la nation. Il est devenu maintenant l’étoile conductrice et un haut idéal de notre jeunesse. Nous avons fait serment d'allégeance au Dieu et nous jurons honneur de ne jamais abandonner sa voie inspirant et de ne pas oublier Kazii. En témoignage de cette fidélité le 20 avril nous avons arrangé le concert payant en kazakh et la moitié de la recette nous avons assignée pour l'éducation de son fils rendu orphelin à l'âge d'un an. Nous avons rendu aussi un acte pour fournir une aide pratique à sa famille désormais.
La jeunesse de l'organisation "Birlik..."....
Le représentant de la jeunesse de Semipalatinsk fit aussi une discours au congrès contre le pouvoir soviétique. Enfin sous la poussée de nos délégués on adopta une résolution à contrecoeur: "Nous reconnaîtrons le pouvoir soviétique, s’il ne nous fait du mal..." Par la majorité des voix on liquida tous les anciens noms des organisations de jeunesse, ayant accepté le nom commun "Zhas azamat" ("Jeune citoyen").
Ont élut le comité central du "Zhas azamat". Mourzin (Moukhtar) fut élu président du conseil d'administration; Smagoul Sadvokassov, Mouratbek Seitov, Goulua Dosymbekova, Abdrakhman Baïdildin furent élus membres. On décida de publier le journal "Zhas azamat" sur la base du journal fermé "Ouch zhouze". Kemengerov fut appointé rédacteur...
En revenant d'Omsk, Abdoulla vint en passant à Petropavlovsk, y causait avec les bolcheviks, aux chefs du conseil des députés Iskhak Kobekov, Chaïmerden Alzhanov et Karim Soutiuchev.
Nous harcelâmes Abdoulla de questions:
- Comment les ouvriers kazakhs vivent à Omsk? Quelle est la situation avec les Kazakhs travaillant au service de navigation et sur le chemin de fer? Que font les Kazakhs-cochers? Comment vivent les ouvriers à Petropavlovsk?
Abdoulla répondait:
- Les meilleurs ouvriers les plus consciencieux de Petropavlovsk sont armés. Iskhak Kobekov les dirige, le travail y va bien. La situation est pas mauvaise avec les ouvriers d'Omsk. Près de vingt volontaires venaient de s’inscrire à l'Armée rouge. J’ai vu avec mes propres yeux les commandants dignes compétents, tels, comme Ougar Zhanybekov, Moukhametkali Tatimov et Zikriya Moukaev...
Ces noms en effet méritaient le respect. Ce furent les batyrs des ouvriers kazakhs fameux. Dans les combats difficiles ils levaient courageusement le drapeau rouge et mitraillaient l'ennemi. En 1912 Ougar Zhanybekov fut parmi les ouvriers des mines d'alluvion de Lena, contre qui le gouvernement tsariste avait sévi si cruellement. Ces batyrs véritables, en protégeant les intérêts du peuple ouvrier, devinrent combattants rouges. Voilà ceux qu’il falut glorifier!.
Nous entendîmes d'Abdoulla beaucoup de nouvelles anxieuses aussi.
- Il y a des rumeurs que les officiers, les beys et les cosaques vont soulever l'insurrection, - racontait Abdoulla. – on entend parler partout sur ce qu'ils arrangent les réunions secrètes, chuchotent, probablement, machinent un complot. Sabyr Sharipov a dit que dans le bois à côté de Koktchetav le chef de cosaque Annenkov fait un détachement. Mais à Omsk on ne prend pas ces rumeurs au sérieux. En passant j’en ai faire foi moi-même. À une station le détachement armé d’Annenkov a mis à sac la poste, a dépossédé deux miliciens de leurs fusils et a disparu dans le bois. Les alentours de Koktchetav ne sont pas calmes. Les chefs de "Birlik" se préparent aussi à quelque chose sournoisement.
On a entendu dire que'un de jeunes homme d'action de l'Alach-Orda allait secrètement quelque part pour s’accorder avec les conjurés. Autour de Petropavlovsk la situation est encore plus difficile. Ceux qui ont survécu à la première révolte commencent à lever les têtes de nouveau.
- Où sont nos gens envoyés pour l'arme à Omsk et à Petropavlovsk?
- Ils ont reçu l'arme et sont partis ensemble avec moi. Mais je me dépêchais et je les ai dépassés, - Abdoulla répondit.
Si on eût examiné plus attentivement les détails, on aurait compris les événements et les conversations, il sera évident que la catastrophe s'approchait. Le dragon rescapé accumulait graduellement ses forces, bougeait doucement, en attendant son moment. Mais nous ne pûmes pas estimer correctement à temps la situation difficile de ce temps-là.
Nous n’eûmes pas de fusils pour armer les cheminots de la gare d’Akmolinsk, habitant à la maison bleu clair de bey Iskhak (Dogalakov).
Le membre du conseil des députés Adilev revint des volostes de sud du district d’Akmolinsk. D'après lui, des Kazakhs d’aoul furent complètement tranquilles et calmes.
Mais après son exposé officiel Baïsseit vint à mon appartement l'air perplexe, et commença à mâchonner quelque chose sur la situation dans les aouls et, enfin, il murmura:
- Je veux te dire quelque chose...
- Quoi exactement? - je prêtai l'oreille.
- Je ne sais pas, comment tu le regarderas... Mais j'ai fait quelque chose...
- Raconte ce que tu as fait, vas-y.
- Dans un des aouls lointains je me suis rencontré avec les meneurs des autonomies de Kokand - Moukhametzhan Tynychpaev et Serikpaï Akaev. Ils avaient un accompagnant avec eux. J’ai appris qu’ils prenaient la fuite de Tourkestan...
- Eh bien-eh bien, où sont-ils maintenant?
- Ils sont partis pour Semipalatinsk, - Adilev continua tristement.
- Comment les as-tu rencontrés? Pourquoi ne les as-tu pas arrêtés?
- Tout simplement... j’ai eu honte. Ils se sont arrêtés pour dîner dans un aoul, se reposaient dans la hutte séparée. Ils se faufilaient aux chevaux. Ils étaient habillés pauvrement, comme des ichans. J’ai fait une halte chez le doyen d'âge de cet aoul... Et encore plus tôt j'avais entendu dire de leur arrivée. Je m'assoyais un peu et j’ai décidé: "Eh bien, j'irai voir Tynychpaev".
- Le doyen d'âge de l'aoul a eu une belle peur[72]. La peur a saisi Tynychpaev aussi, quand je suis entré dans la hutte. Les ministres ont changé de visage, s'étant levé brusquement, ils ont commencé à me saluer effarés. Après la salutation j'ai tâché de les calmer, - Adilev finit son récit.
- Les as-tu donc laissés aller en paix?
- Oui... Je n’ai pas osé les toucher. Et je même leur ai raconté, comment ils pouvaient continuer leur chemin, dans quels aouls il serait plus confortable de s'arrêter.
- Le badaud, le maladroit! Mami[73]! - J'ai poussé des cris, m'étant terriblement fâché contre Baïsseit.
Quel bienveillant fut Baïsseit avec les ennemis politiques, avec les chefs de l'Alach-Orda! Qu’est- ce que les gens d’Alach-Orda auraient fait dans un tel cas? Il n’y avait pas de deux réponses pour cette question.
Nous voyions et nous subissions leur "générosité"...
Peu après à notre conseil des députés deux télégrammes urgents vinrent: l’un fut de Petropavlovsk, l’autre fut d'Omsk. Au premier télégramme on disait: "Les troupes tchécoslovaques reviennent de la Russie dans leur pays natal en passant par la Sibérie. Une partie est arrivée à Petropavlovsk et ne souhaite pas se soumettre à l'ordre des autirités soviétiques de désarmer. On a reçu une instruction stricte de les désarmer à Petropavlovsk. Les membres du conseil des députés ont rencontré le train à la gare et ont ouvert le dialogue avec les Tchécoslovaques à propos de désarmement. Les Tchécoslovaques sont agressifs. Il y a une menace du conflit armé. Soyez sur vos gardes!.."
Le contenu du deuxième télégramme fut encore pire: "Mobilisez en urgence pour l'envoi au front des gens à l’âge de..."
Les membres du conseil des députés perdirent pied, sans savoir quoi faire... Tous savaient que la majorité écrasante des gens simples ne voulait pas aller au front de nouveau.
Qu’est-ce qu’il y aurait? Qu’est-ce que nous devions faire?
On se trouva dans la position de désarroi, mais le conseil des députés annonça néanmoins la mobilisation pour l’envoi au front des hommes aux âges spécifiques.
Le lendemain matin après la séance du conseil des députés Baken vint chez moi. Le jour était non-ouvrable.
- Quelles sont les nouvelles? - Je m’intéressai.
- Il n’y en a aucunes. Le silence est sinistre, l’atmosphère d'inquiétude, probablement, c’est une mauvais signe, - il répondit ayant l’air sombre.
Ce jour-là nous trouvâmes possible de nous reposer un peu. Moi, Baken, Abdoulla, Omirbaï et Nourgaïn – nous allâmes tous ensemble au bord vert d'Ichim. À l'approche du printemps orageux de 1918 nous sortîmes de la ville pour la première fois. Nous tombâmes sur l'herbe verte avec délice. Nous faisions des culbutes, nous nous prélassions, ébattions sur le bord merveilleux d'Ichim. Nous tirions des coups de revolver sur une cible. Le long des bords d'Ichim l'oseraie verdissait. L'eau bleu clair d'Ichim scintillait, comme une soie.
Le ciel bleuissait velouteusement, les lointains de steppe verdissaient... L'air embaumé du parfum d'été, endormait. Nous nous reposions sur l'herbe soyeuse et causions paisiblement. Mais nos coeurs se battaient anxieusement, comme si on sentait de loin l'approche du malheur inévitable.
RÉVOLTE TCHÉCOSLOVAQUE. RENVERSEMENT DU POUVOIR SOVIÉTIQUE
À AKMOLINKS
Le 3 juin 1918
Il me fallait écrire beaucoup. Une fois je veillai tard et je dormis la grasse matinée. M'étant lavé à la hâte, je m’assis pour prendre du thé avec la maîtresse, veuve de l'Uzbek Moukymbaï, qui me donna l'appartement en location. Son gosse entra en dans la chambre courant et dit en haletant:
- Dans le village de cosaque les gens avec les fusils et les sabres se réunissent. Ils veulent arrêter tous, parce qu'à Omsk et Petropavlovsk il n’y a pas déjà de conseil des députés!
Je dus envoyer le gamin aller demander des renseignements plus détaillés encore une fois, pour savoir de quoi il s’agissait exactement. Il retourna dans peu de temps:
- Ils ont occupé le conseil des députés, ont arrêté Bochok, Monin, Pavlov. Les cosaques à cheval ont entouré la maison de Koubrin, où se trouvent des soldats de l'Armée rouge.
Tandis que le gamin bagoulait sur ces événements, un djiguite Karim, membre du "Zhas Kazakh", vint, me dit la même chose et conseilla:
- Tu dois t’enfuir le plus vite possible!
Après lui un Kazakh ouvrier, membre du conseil des députés Bilyal Tinalin entra précipitamment et appuya l'opinion de son camarade:
- Oui, mon cher, il te faut te cacher vite. On va te chercher!
Encore deux camarades arrivèrent et exprimèrent unanimement le même opignon que je dois m’enfuir en effet le plus vite possible.
Le gamin de maître apporta bientôt des nouvelles:
- Les cosaques ont déjà arrêté quatre ou six personnes. Ils crient qu'ils arrêteront tous les membres du conseil des députés!
Les rues furent bondées de peuple: les gens étaient à cheval et à pied. Charip Yalymov étant à cheval cria hautement aux gens réunis: "Il faut arrêter Saken et Abdoulla!"
On entendait partout le craquement des coups de fusil. Les camarades insistaient que je me cachasse.
- Mais comment puis-je laisser mes camarades dans le malheur! Comment pourrai-je les regarder en face demain, si aujourd'hui je m'enfuis honteusement! - je m’exclamai, en verifiant mon revolver.
Le feu se renforçait.
En voyant que leurs tentatives de me persuader étaient vains, mes amis partirent.
J'appelai la maîtresse, lui payai pour l'appartement, demandai de guarder mes livres et mes papiers, et commençai à me préparer pour les prochains evenements. On pouvait entendre de la rue le martèlement des sabots des chevaux des cavaliers, les coups de feu séparés et en salves.
Ma maîtresse s'inquiéta, commença à me demander de me cacher au sous-sol:
- Vais-y vite, on va venir pour toi, - elle ne se calmait pas.
Mais il fut déjà tard de faire quelque chose.
Dans la cour firent irruption six lascars, armés jusqu'aux dents, - quatres Tatars et deux cosaques.
Je saisis mon revolver, mais l’un d'eux m’accourut par derrière, me donna un coup de fouet et arracha ma seule arme. M’ayant lié les mains, ils me traînèrent dehors dans la rue.
Le jour était clair et chaud. Le crépitement de coups de feu de fusil rappellaient le son des coups de bâton sur la peau séchée. Il y avait beaucoup de poussière dans l'air. Le brouhaha des gens ne cessait pas. Et tous ces briuts en se réunissant faisaient l'impression, comme si dans les rues il y avait un troupeau des vaches affolées se sauvant des oestres méchants.
Les uns criaient seulement pour crier, pour ne pas se montrer plus silencieux que des autres. Les autres furent affairés: ils cherchaient les bolcheviks. Et les troisièmes se démenaient saisis de panique et de peur: ils tremblaient d’attraper une balle perdue.
Les mêmes six gaillards me conduisaient lié le long ees rues inquiétées et faisant du boucan au village de cosaque.
Je fus saisie par Charip Yalymov, un sot et un fou coquin connu dans la ville, l'autre fut un riche boutiquier à barbe noire Nourkei, le troisième fut un marchand de chevaux. Et encore Nouri Toïganov, l’ancien truchement de voloste.
Ils marchaient méchants, en respirant difficilement.
Il semblait que leurs yeux pussent sortir des orbites de la fureur d'un moment à l'autre. Leurs narines se gonflaient, comme celles des vaches fâchées par les oestres. Les passants nous regardaient avec curiosité les yeux fixés. Et mes hommes d'escorte hurlaient et crânaient encore plus:
- Eh, les gens! Est-ce qu’il y a encore des bolcheviks dans vos cours? Regardez, nous avons attrapé un bolchevik le plus acharné!... Toi, bouge les pieds, et plus rapide! - le fouet claqua sur mon dos. Toïganov faisait du zèle tout particulièrement.
Je m’adressai à Yalymov un homme d'escorte tant soit peu lettré:
- Charip-abzi[74], je vous demande d'ordonner qu’on ne me battent pas. Et surtout en public, dans la rue!
Mais on contunia à me fouetter sans cesse.
À notre rencontre trois Kazakhs cavaliers surgirent. S’étant approché, un d'eux me fouetta. Je me tournai et je vis un Kazakh grêlé à barbe noire. Ayant souri en coin, je lui dit tranquillement:
- Et vous aussi, vous vous dépêchez de me frapper. Est-ce que je vous ai fait du mal?…
Il eut honte, retint le cheval et ne me poursuivait plus.
Enfin on m'amena au village de cosaque... Une bagarre y fut incroyable. Là se trouvaient les Kazakhs, les Tatars et les Russes - du petit au grand. Des femmes, des enfants... Le peuple était énervé, il bourdonnait et s'agitait, comme une vague marine. Des cavaliers faisaient la navette galopant, on entend de tous côtés les coups de feu de fusil. Le craquement, le fracas, le bruit, la poussière – on ne pouvait rien comprendre! La foule affolée hurlait, maudissait les bolcheviks; m'ayant vu sous l'escorte, elle se jeta à la rencontre. Je vis tout d’abord l’aqsaqal Nourzhan le bâton noir à dessin dans les mains. Ses yeux furent injectés de sang, comme les yeux du bétail souffrant de l'anthrax. S'étant approché tout près de moi, il m'injuria indécemment.
J’entrai en fureur:
- Où et avec qui allez-vous? Est-ce que vous ne travailliez pas avec nous au conseil des députés?
Il cria:
- Ne bavarde pas beaucoup! Je sais ce que tu faisais et le peuple le sait aussi! Tu répondras pour tout!
La foule furieuse ferma le cercle autour de moi. Chacun tâchait d’atteindre mon visage, de me frapper avec n'importe quoi. Et celui qui ne pouvait pas faire retomber sa colère sur moi, poussait ses voisins. J’entendais les mots: "L'aventurier... Le giaour! L'athée!.."
Je vis plus de poings devant mes yeux, on me battaient et pressaient de tous les côtés, je commençai à m'asphyxier. Ayant ramassé mes dernières forces, je me tenais à peine debout. Je jetai un regard circulaire aux visages furieux: est-ce que personne n'intercéderait pour moi? Tout à coup près de moi un Kazakh, le hadzhi Souleimen, surgit, me saisit sous les bras, me traîna hors de la foule et m’entraîna à l'isba[75] la plus proche. La maison fut complètement bondée: de vieux cosaques barbus et ceux tout à fait jeunes, sans moustaches. Tous furent armés. Les officiers eurent les sabres et les revolvers.
Leur meneur Koutchkovsky rendait les ordres vite et à haute voix. Il courait, s'agitait, le sabre tintant.
Mon sauveur - le hadzhi Souleïmen – fit adroitement semblant me perquisitionner, puis il me passa avec hâte à une des chambres lointaines.
Je n'attendai pas du tout que c’était cet homme qui me sauverait de la foule fâchée.
Autrefois je ne contactais pas au travail avec le hadzhi Souleïmen. Et je le voyais tout proche seulement deux fois. Voici comment ça était.
Un jour je vins avec mes amis chez un marchand du koumys. Il y avait déjà quelques hommes chez lui. Ils buvaient du koumys. Parmi eux je remarquai un grand Kazakh bronzé avec une petite barbiche pointue, dont on s'adressait tout le temps seulement comme: "Hadzhi-eke, hadzhi-eke[76]"! Nous nous joignîmes à cette compagnie. Je ne sais pas quoi hadzhi ne plut pas: le fait que je fus membre du conseil des députés, ou ce que j'attirai l'attention avec mes plaisanteries, il ergota sur une de mes plaisanteries et dit beaucoup de choses désagréables:
- La jeunesse est impolie maintenant, elle ne veut pas respecter les vieillards!…
Mais il me prit à partie bien à tort, je ne voulais pas du tout l'offenser. Quand le hadzhi fâché me réprimandait, je tâchai de ne pas me disputer avec lui, d'autant plus que là, dans la maison du marchand de koumys, c’était pas la place pour la discussion.
Après ce cas j'eus l'occasion de voir le hadzhi encore une fois au conseil des députés. Il vint pour l’affaire d'une jeune femme, qui divorçait avec son mari.
Certains gens d’Akmolinsk des détenteurs du pouvoir faisaient tous les efforts pour empêcher le divorce. Mais la jeune femme avait ses défenseurs aussi. Il fallut appeler au conseil des députés les témoins des deux parties.
C’était Tourysbek Mynbaev, un djiguite pas très compétent, membre du conseil des députés qui s'occupait de cette affaire.
Et voilà au conseil des députés on reçut une plainte disant que ceux-là, qui avaient peu de goût pour le divorce, voulaient exercer une pression sur Tourysbek et atteindre leur but de différents moyens.
J'obtins le divorce pour la femme, et elle fut rendue complètement libre.
Ceux qui essuyèrent la défaite, ils ne se calmaient pas. Quand ils commencèrent à me menacer, je prévins:
- Si vous poursuivez cette femme, je vous mettrai en jugement.
Ils eurent peur pas de mes mots, mais au pouvoirs du conseil des députés, c'est pourquoi il se tranquillisèrent et se détournèrent de l'intention de faire la femme revenir à son mari mal aimé par force.
À la détermination de son sort assistaient le marchand du koumys et le hadzhi Souleimen, qui m'avait injurié sans raison à la boutique de koumys. Ils étaient contents que je protégeais la femme, et me faisaient des signes de têtes avec l'approbation.
- Merci à toi, mon cher! Pardonne moi pour le cas, quand je me suis fâché contre toi. Jadis n'ai pas connu ton caractère et je me suis emballé.
La femme fut une parente le hadzhi, et voilà ce jour-là il décida de me remercier...
Dans la pièce, où me poussa, je vis le président du conseil des députés Bochok, son assistant Baken, le commissaire aux finances Monin et le membre du conseil des députés Kondrateva. Ayant échangé quelques mots, nous nous tûmes, accablés.
- Qui tire? - Je demandai.
- Les soldats de l'Armée rouge.
- Et où sont les autres camarades?
- Les Pavlovs sont aussi ici, dans une autre chambre.
Nous nous assoyions en nous taisions, nous réfléchissions sur notre situation. Les coups de feu cessèrent, mais les voix humaines et le martèlement des sabots des chevaux ne se calmaient pas longtemps.
Koutchkovskii donnait toujours les ordres énergiquement et à haute voix.
Dans un certain temps on amena Baïsseit Adilev battu et l’on jeta chez nous. Il se trouva, qu’on attrapa à la périphérie de la ville. Et on chassa Abdoulla dans les rues et l’on batta sans cesse.
On poussa dans la chambre l’un après l'autre encore quelques bolcheviks battus, ensanglantés. Kattchenko avait l’air le plus terrible.
Le village se transforma à l’enfer de diable. Les cosaques insurgés le tenaient en main. Les nouveaux cavaliers arrivaient vers la maison et partaient, en donnant des coups de fouet aux chevaux. Les badauds furent prêts à en venir aux mains. Les gens entourèrent la maison de tous côtés, regardaient par les fenêtres, en serrant les nez contre le verre...
Voilà quelqu'un frappa bruyamment dans la fenêtre, nous nous retournâmes et vîmes le vieux Kazakh Kilybaï. En tremblant de la colère, il nous menaçait des poings. N'ayant pas compris ce qu'il criait là, je m’approchai de la fenêtre. Nos yeux se rencontrèrent. Il avait les traits contractés comme un chaman. Il criait quelque chose en fureur, en brandissant le poing osseux. Malheureux!… Malheureux!.. Je le regardai et remuai la tête: "Le pauvret, comme tu me fais pitié..."
Encore quelques Kazakhs s’approchèrent d’un bond, nous grondaient aussi et frappaient sur la fenêtre avec les poings. Parmi eux le fils du marchand Bassybek se trouvait. Baken et Baïsseit furent plus morigénés que d’autres. Il se trouva, que le valet de ferme du fils de Bassybek, n'ayant pas reçu son paiement promis, déposa une plainte à Baken. Baken et Baïsseit appelèrent le fils de Bassybek chez eux et l'obligèrent à payer 200 roubles au valet de ferme. C’était pourqoi il maugréait ce moment-là plus que d’autres.
Est-ce qu'après cela Bassybek intercéderait pour Baïsseit, Baken et leurs camarades, les membres du conseil des députés!?..
Les cosaques s’emparèrent de la ville facilement. On accusaient de tout ce qui se passait le président du conseil des députés Bochok, qui avait été au courant des événements qu’on préparaient, mais il n’en informa personne. S'il eût prévenu les bolcheviks à temps de ce que les cosaques allaient soulever une insurrection, on n’aurait pas eu de telle issue fatale.
Malgré le fait que tous les membres du conseil des députés fussent arrêtés, notre détachement peu nombreux de l'Armée rouge ne céda pas aux cosaques, commença à échanger des coups de feu avec eux. Mais quand les cosaques saisirent Bochok, il ordonna aux soldats de l'Armée rouge de cesser la fusillade.
Dans l'après-midi on nous firent sortir dans la rue et nous chassa sous l'escorte à une autre place.
La foule des curieux nous examinait. Plusieurs gens, en premier lieu les riches, se réjouissaient en voyant notre situation. Je remarquai une vieille femme kazakhe, qui se trouvait près des portes, nous indiquait avec le doigt, en prononçant: "Dieu merci!.."
Enfin on nous amena vers une remise semi-brûlée et on nous y mit sous le verrou. On plaça des sentinelles cosaques près de la porte. Les cosaques, ne pouvant rien faire encore la veille, ce jour-là devinrent maîtres de la ville. Ce furent les beys kazakhs et tatars qui furent particulièrement contents. Parmi eux le con ivre Charip Yalymov crânait, en brandissant le revolver.
On amenait toujours de nouveaux bolcheviks à la remise. Plusieurs de gens furent perplexes: comment put une telle chose avoir lieu? Contre toute attente. On s'indignait, invectivait Bochok.
Autour de la remise le peuple se réunit. Les amis et les ennemis se trouvaient là. Les amis furent ébahis, les ennemis se réjouissaient.
Les nouvelles des gens libres commencèrent à arriver. La première nouvelle fut communiquée par la femme du camarade Pavlov:
- On veut fusiller tous les chefs du conseil des députés, douze personnes en tout: huit Russes et quatre Kazakhs.
Les Kazakhs sont Baken, Saken, Abdoulla, Baïsseit...
Puis une autre nouvelle: on allait fusiller six personnes, parmis eux un Kazakh. Ensuite de nouveau: les chefs cosaques, les richards et les nobles de ville, s'étant réunis ensemble, décidèrent de fusiller douze bolcheviks.
En général, en tout cas, nous comprenions que notre affaire était dans le lac.
La nuit arriva. Nous nous couchâmes pour dormir, mais il fut impossible de nous endormir: le bruit et des mouvements ne cessaient pas.
Dans la nuit on amena encore quelques bolcheviks. Ils racontèrent que les cosaques avaient pris le pouvoir à Omsk, Petropavlovsk et Koktchetav, ils fusillaient et pendaient les bolcheviks sans forme de procès et que les Tchécoslovaques se joignirent aux cosaques.
Quelqu'un de nous perdit courage. La tristesse fut accablante... Est-il possible, pensions nous, que la révolution ait essuyé la défaite? Est-ce que le temps jadis recommenceront, le tsar reviendra?
Le meneur des révoltés (le major de garnison, l'officier Koutchkovskii) vint chez nous.
- Votre affaire sera menée par une commission spéciale. Nous vous avons arrêtés provisoirement. C’est l’usage au changement du pouvoir. Vous serez bientôt libres…- le commandant nous calma.
Après sa sortie nous apprîmes que l'on déjà prononça un arrêt de fusiller tous les chefs.
La remise fut bondée, il n’y eut pas de fenêtres, seulement de petits ouvertures grillées quadrangulaires. Toute le journée la porte était ouverte, et nous pûmes voir les cosaques sentinelles armés.
Parmi les sentinelles je reconnus mon ancien professeur d'Akmolinsk Krasnochtanov.
À travers la porte ouverte les ennemis et les amis regardaient sans arrêt. Les amis nous saluaient, faisaient des signes de tête encourageants, passaient quelque chose à manger.
Où que se trouve le Kazakh, est-ce qu'il peut oublier sa nourriture aimée: la viande et le koumys?
Peu à peu nous commençâmes à nous calmer. On échangea de vues. Il y avait peu de raisons de joie. Il est clair à tous que nos affaires pâtissaient, et cela faisait nos coeurs se remplissait d'amertume et d'offense: on n’en put pas prévenir!
Je m’approchai à Baken appuyée contre le mur.
- On va nous fusiller maintenant, - il dit avec chagrin. - mais nous mourirons pour la vérité, sans remords! Nous ne serons pas oubliés par ceux qui viendront après... - Il m'embrassa et continua: - que je périsse, et les autres aussi... Mais toi, tu dois rester vivant et décrire cela dans le journal, raconter dans le livre à nos enfants et à nos petits-fils, pour quoi nous avons donné notre sang. Tu dois vivre! - Baken conclut.
- Arrête ça, nous devons tous vivre. Nous échapperons d'ici avec succès, - je le calmai. – encore beaucoup de batailles nous attendent!
Nous étions assis en se taisant, nous attendions, nous réfléchissons. Comment put-il arriver que nous nous trouvâmes dans une telle situation absurde?
Personne ne savait pour sûr, si en effet les cosaques se révoltèrent seulement à Akmolinsk, Omsk, Petropavlovsk, ou ils soulevèrent l'insurrection partout en Russie. Nous fîmes près de cent personnes dans la remise - les chefs et les activistes les plus éminents du conseil des députés. Les bolcheviks ordinaire furent chambrés séparément.
Personne ne savait, quel territoire l'ennemi avait en main, où les bolcheviks gardaient encore le pouvoir.
On commença à nous appeler pour un interrogatoire. Les premiers furent amenés le président du conseil des députés Bochok et le commissaire aux finances Pavlov. On les ramenèrent vite, on leur posa seulement les questions sur les affaires et les documents des institutions municipales.
On entendit de tous les côtés les questions:
- Qu’est-ce que vous avez appris?.. Qui tient le timon de l'État?
- Nous ne savons rien clairement, nous-mêmes, - ils répondirent. Après cela, ayant pensé, Botchok supposa:
- Le pouvoir doit être en main des socialistes-révolutionnaires. Une autre nuit anxieuse arriva. Il fit étouffant dans la remise.
Au minuit la porte s'ouvrit, et vingt Russes armés entrèrent avec bruit. Ils s’alignèrent près de la porte et commencèrent à faire l'appel selon la liste. Il devint clair tout de suite qu’on appelait principalement les chefs.
La liste était lue par le monarchiste Serbov, le cosaque de Don, habillé à militaire, dont la spécialité fut mécanicien.
Il était un des adversaires violents des bolcheviks, il avait protestait toujours contre nous aux réunions et aux meetings, qui avaient passés à Akmolinsk avant l'établissement du pouvoir soviétique. Ce moment-là il avait dans les mains la liste des bolcheviks condamnés. Lui, comme un putois puant, en grinçant des dents, criait les noms des gens et les alignait. Ayant frotté une allumette pour se persuader que c’était Kattchenko qui se trouvait devant lui, il sourit d'un air railleur:
- C’est toi, moustache rousse! Est-ce que tu te rappelles que tu m’as failli gratter les yeux?!..
On appela plus que quarante hommes, on les aligna, plaça l'escorte autour d’eux.
Le ciel fut clair. Quelque part très très haut dans le ciel les étoiles scintillaient, et leur lumière lointaine faisait la nuit sembler plus claire.
Personne ne pouvait supposer, où le "batyr" Serbov nous remuerait.
Et Serbov continua à crier les ordres d'une voix rauque au détachement. Les convoyeurs épaulèrent les fusils.
La voix Serbov gronda: "Conduisez!"
Et on se mit à nous conduire on ne savait pas où...
La ville commença à s'envelopper de brouillard sinistre, sombre. Il semblait qu’un animal immense était couché en retenant son haleine. Il n’y avait pas le moindre son, tout paraissait dévasté par la mort. Et seulement nous, comme les seuls habitants, marchions le long des rues désertes, entourés des cosaques. Les convoyeurs à pied avaient des fusils prêts à tirer, ceux aux chevaux avaient les sabres nus scintillant à la lumière des étoiles.
Nous marchions toujours... On entendait seulement le sable craquer sous les pieds et les chevaux s'ébrouer. Tous se taisaient d'un air sombre: nous et nos convoyeurs. Il semblait que les deux parties se surveillaient très attentivement, émoulaient des lames dans le silence, et si quelqu'un eût badaudé, le couteau lui aurait enfoncé jusqu’au manche.
Il paraissait que les cosaques connaissaient déjà (indiquèrent déjà la place) où il faut conduire les bolcheviks. Et ceux derniers allaient patientement, comme s’ils connaissaient, où ils étaient chassés et pourquoi...
Les sabres nus scintillaient lugubrement, les fusils tintaient. Immergées dans l'obscurité les maisons s'apaisés calmes restèrent derrière nous.
Enfin on nous amena à la périphérie de la ville.
Mon partenaire Nourgaïn et Khoussaïn Kozhamberlin, qui nous suivait, prononcèrent doucement:
- On nous emmena de la ville pour fusiller ici!..
- Bagatelle! - j'encourageai mes compagnons. – Est-ce qu’il ne est pas égal, où on nous fusillera.
Toute la vie brève vécue s'évoqua involontairement. Dès l'enfance j’étais avide des études. Ma jeunesse passait paisiblement dans l'aoul... Ensuite c’était l'usine à Ouspensk, les jours d'or à l'école municipale d’Akmolinsk. Puis étaient les voyages à Omsk, les études au séminaire. La joie enthousiaste liée à l'ouverture de l'union des étudiants "Birlik". Les espérance, les rêves de donner à l'affaire noble toute la force et l'énergie... Les années de l’enseignement dans l'aoul de Bougli au bord de Noura. La liberté ardemment désirée, la création du journal, le travail dans le comité, les meetings - une grande vie ardente.
Beaucoup de bons plans nous voulions réaliser au conseil des députés.
Je me rappellai de ma mère, de mon père, de mes proches parents, de mes compagnons, de mes amis... de mon aimée...
En un instant toute ma vie parcourut devant le regard mental, et cela me serrait douloureusement le coeur. Est-ce que tout cela devait disparaître en un instant ce moment-là?.
"La mort absurde rend toute ta vie un jouet absurde et inutile. Oui, un jouet!... Et si c’est comme ça, quel est donc la difference entre vivre et mourir?.. Si je dois mourir, que je meure, pourvu que plus vite! – je pensais. - Donc, mon destin est décidé! Je ne crains pas la mort et je la fixe dans les yeux. Si la mort c’est une seule chose qui reste dans la vie, on ne doit pas la craindre. L’homme doit rencontrer son destin la tête fièrement levée!"
Les djiguites se taisaient...
Nous vînmes à la périphérie. Après le tournant on sentit le souffle de la mort rapprochée.
Tu vivais et soudain tu n’existes plus! Tout ce qui est vivant disparaît. L’un plus tôt, l'autre plus tard... Nous périrons avant les autres... Ma pauvre mère versera des larmes amères!.. Est-ce que nous allons mourir? Est-ce que les mères doivent verser des larmes?.. Non! On ne mourra pas!.. On courira maintenant de côté et d'autre. Les coups de feu craqueront, les sabres commenceront à briller. А nous disparaîtrons dans les ténèbres de nuit... Nous reviendrons à nos aouls...
Nous nous approchâmes de la maison en pierre en bordure de la ville. Les portes de fer s’ouvrirent avec craquement, quelque chose corna, tintinnabula...
On nous fit entrer dans les portes ouvertes, dans la cour immense.
Quelques personnes sortirent du bâtiment en pierre. Serbov se mit à parler avec eux à mi-voix, ensuite prendre conseil sur quelque chose auprès de deux convoyeurs armés,
Nous eûmes une lueur d'espoir...
Les verrous de fer tintèrent de nouveau, on entendit entendre les voix retentissantes. Les minutes semblaient une éternités. Beaucoup de temps passa avant deux surveillants apparurent et emmenèrent un de nous... Après lui on emmena un autre. Ainsi on emmena les gens l’un après l’autre, et chacun attendait son tour avec inquiétude. Les camarades s'inquiètaient encore plus, parce qu’ils ne savaient pas, pourquoi on les emmènaient à la maison.
- Mais qu'est-ce qu'ils font là?.. Les tuent-ils? Vas-y, dis ce qu'ils feront avec nous? - Nourgaïn me pressait avec inquiétude.
- Ils font ce qu’ils veulent!.. Et cesse de bavarder en vain! - je coupai net, en m'impatientant.
- Vas-tu ordonner ici aussi? - Nourgaïn s'est fâcha.
Je regrettai de l’avoir rabrouer si incongrûment.
- Bon, laissons ça! - je calmai mon camarade.
Nos voix dégourdirent un peu les prisonniers engourdis, ils se ranimèrent.
On entama une conversation... Et dans l'entre-temps les convoyeurs prenaient et emmenaient l’homme après l’homme.
Ce fut mon tour. On me mena le long d’un couloir très étroit éclairé par une lampe jusqu’à la porte la plus lointaine.
Une fonctionnaire russe y était assis. Près de la fenêtre se trouvait Serbov. On inscrivit mon nom.
- As-tu de l'argent? - le fonctionnaire demanda.
On fouilla mes poches et, n'ayant trouvé rien de suspect, on ordonna aux convoyeurs:
- Emmenez-le!..
Je fus amené à la chambre sombre froide au plancher de ciment. La porte lourde de fer se ferma avec bruit, et le verrou grinça en dehors.
J‘entendis une voix venant de l'obscurité, de la profondeur de la chambre:
- Qui es-tu?
Je reconnus la voix de notre camarade, de l'avocat Trofimov. Il était sombre dans la chambre. Je m’approchai à tâtons des gens couchés sur le plancher de ciment. Nous étions couchés, en nous interpellant parfois.
De temps en temps la porte s'ouvrait et un nouveau prisonnier était poussé dans la chambre. L’un d'eux, cherchant dans l'obscurité une place avec sa main pour s’assoire, repoussa mon pied.
- Qu’est-ce que c’est est sur le plancher? - il demanda en russe avec embarras.
- C’est un homme sur le plancher, - je répondis significativement,
- Bonne reponse! - Trofimov glissa un mot du coin lointain...
Ainsi nous faisions passer la nuit dans cette caverne sombre.
À l'approche du matin les garde apparurent. On nous leva fatigués, épuisés et on nous chassa dans la cour de prison.
Après cela nous fûmes fourrés de nouveau dans les chambres et fermés au verrou.
Dans la journée un jeune officier Moïsseev, l'adjoint du commandant de cosaque, entra dans notre chambre.
Il ne fut pas originaire des cosaques lui-même. Son père fut un grand marchand d’Akmolinsk. Le fils faisait ses études avec moi à l'école d’Akmolinsk. Autrefois nous partagions un pupitre avec lui. Nous nous intéressions tous les deux aux journaux et discutions de la politique. Parfois nous jouions ensemble. Et voilà à ses épaules étaient ce moment-là les pattes d'épaule de l'enseigne.
Quand la guerre des Balkan s’éclata, nos professeurs commencèrent à collecter de l'argent pour les Bulgares. On faisait des soirées de bienfaisance. Ces jours-là la Turquie était jurée et la Bulgarie était bénie. Les contributions d’éléves furent 5-10 copecks, mais je refusai de payer. Moïsseev me reprocha et commença à répandre la rumeur que Seifoullin était patriote turc.
En 1913 je partis d'Akmolinsk et vins à Omsk pour continuer mes études. Depuis ce temps-là je ne me rencontrai pas avec Moïsseev. Et seulement en 1917, pendant la lutte acharnée pour l’établissement du pouvoir soviétique à Akmolinsk, je le revis. Nous dûmes confisquer les richesses de son père: les maisons en pierre, les moulins, le bétail nombreux. J'insistais sur ce que les terres aux bords de Noura prises de vive force par Moïsseev aient été retournées aux cosaques.
Et voila ce moment-là nous nous rencontrâmes avec le jeune officier Moïsseev comme les ennemis.
Son uniforme étincellait, son baudrier grinçait. À côté de lui étaient le chef de la prison et encore deux hommes, armés jusqu'aux dents. Avec mon ancien camarade d'école nous échangeâmes un regard – rien de plus...
Nous ayant vu nous assoir sur le plancher en pierre, Moïsseev questionna le chef de la prison sur l'ordre, donna à mi-voix les instructions et sortit.
Nos amis, qui étions restés libres, ne nous oubliaient pas: ils apportaient les paquets de provisions, nous communiquaient les nouvelles. Ce jour-là, par exemple, la nouvelle fut la suivante: quelques personnes furent inscrites définitivement dans la liste et seraient fusillés. On ne savait pas encore les noms!..
Le lendemain le nouvelle fut différente: on ne fusillerait personne, parce que dans plusieurs endroits, y compris à Omsk, le pouvoir se trouvait en main des bolcheviks.
Après une telle nouvelle nous nous en mordions les doits: on manqua son coup!
Le lendemain on nous sortit de nouveau dans la cour pour une promenade. Moi, je tâchai de parler avec un étudiant de la guarde, un socialiste-révolutionnaire. Il a répondit avec un sourire moqueur.
Dans la cour on colla les ordres du major de garnison, où les bolcheviks furent appelés ennemis du peuple et de la patrie, et il fut stipulé qu'en Russie le pouvoir sera enlevé aux bolcheviks, et ils porteront le châtiment mérité...
Nous apprîmes de ces ordres qu’Atbasar fut pris, le pouvoir y fut en main du chef cosaque Annenkov, et on avait occupé Petropavlovsk aussi, où le colonel Volkov commandait.
Ayant appris une telle information, plusieurs d’entre nous tombèrent dans le découragement encore plus profond. L'idée la plus inquiétante fut: "Pourvu qu’Omsk ne cède pas pour que les cosaques ne passent pas toutes les bornes définitivement!"
Mais le lendemain il nous parvint tout de même qu'Omsk céda aussi. Les cosaques devinrent encore plus féroces.
Il se trouva, qu’avant la prise d'Omsk les "héros" (les révoltés qui saisirent le pouvoir à Akmolinsk) n'avaient pas encore été sûrs de leurs forces, avaient eu peur d’agir. Mais dès que la nouvelle de la prise d’Omsk vint, ils ont passèrent toutes les bornes définitivement.
On commença à enseigner l'art militaire aux vieux et aux jeunes marchands et aux petits commerçants. Tous, qui étaient liés aux bolcheviks d'une façon quelconque, furent emprisonnés.
Les chambres furent bondées. La plupart des membres du conseil des députés se trouverènt dans la première chambre. Vingt-quatre personnes, considérés comme les plus dangereux, furent mis aux fers. Parmi eux étaient le chef de l'état-major de l'Armée rouge le matelot Avdeev, les commissaires du conseil des députés Pavlov et Monin, le président du conseil des députés Botchok, ses assistants Kattchenko et Serikbaev, le président du tribunal de Drizgue, Martlogo, les commissaires à la istribution alimentaire Bogomolov et Asylbekov, le membre du praesidium du conseil des députés et le commissaire aux affaires de l'instruction Seifoullin, les commissaires au travail Pyankovskiï et Chtcherbakov, les commissaires de milice Gryaznov, Adilev, Zhaïnakov, Bekmoukhametov, le social-démocrate, n’étant pas membre du conseil des députés Petrokeev et les autres.
On amena sous l'escorte Zhoumabaï arrêté avec ses assistants, qui allèrent aux Ereimen pour rendre ample justice au chef de voloste Olzhabaï Nouradin et à Alkei. L'inattendu survint: Zhoumabaï et ses compagnons furent mis aux fers à la requête d'Olzhabaï.
On nous habilla en vêtements multicolores de prisonnier de toile de lin rugueux: le dos et le col furent jaunes, tout autre fut noir. On nous fournit les pantalon et les chemises avec les cols déteints et les vestons affreux noirs.
Quand on nous promenait, la cour étaient entourée des hommes d'escorte armés.
Après la prise d'Omsk les colis furent interdits. La garde fut renforcée... On changeait les hommes d'escorte tout le temps; c'était les enseignes, les fils des riches locaux, les bourgeois, les marchands.
Nous fûmes très mal nourris: une lavure, le pain noir dur et l'eau.
Les bolcheviks furent toujours mis en prison.
On emprisonna le groupe des ouvriers des usines d’Ouspensk, de Spassk, de Karaganda. Les jeunes gens de "Zhas Kazakh" furent arrêtés.
Douze chambres furent bondées, mais les autorités ne se calmèrent pas, ils continuèrent à mettre les bolcheviks dans les remises en pierre.
Les cosaques rôdaient dans les aouls comme les loups affamés, fouillent chaque village du district d’Akmolinsk. Les gens, comme un troupeau des brebis, prenaient leur mal en patience.
La vie des pauvres empira encore plus. Ceux qui tâchaient de contredire, furent fouettés.
Le peuple résistait aux actions injustes par des voies différentes.
Le jour, quand nous dûmes être mis aux fers on eut besoin du forgeur. On appela un forgeur kazakh. Ayant appris ce qu’il dut faire, il refusa net. Même ayant été cruellement fouetté, il n'exécuta pas l'ordre odieux.
Le peuple simple tomba dans le désespoir. Et ceux qui n’aimaient pas le pouvoir soviétique, ceux-là triomphaient.
On endendit dire qu’on allait nous envoyer pour l’execution au chef de cosaque Doutov à Orenbourg et qu'à Omsk on attendait un patron important qui dut venir pour créer une cour martiale, après quoi tous les chefs devraient être fusillés.
De jour en jour notre situation devenait plus dure.
On disait qu'en Sibérie les gardes-blancs occupaient les villes.
Nous discutions ensemble l'état de choses.
Il suffit seulement de remuer la main ou le pied et les fers tintaient, comme l’entrave des chevaux entravés. Quand nous nous levions tous ensemble, le cliquetis des fers remplit la prison.
Un jour les Kazakhs dans notre chambre lièrent conversation sur les destins de leurs camarades. Comment allaient-ils?
Il s'agissait de Sabyr Sharipov de Koktchetav, des travailleurs d'Omsk: Tatimov, Zhanibekov, Moukeev, Chaïmerden Alzhanov, de ceux de Petropavlovsk: Esmagambetov, Douïsekeev, de leur commissaire de district Iskhak Kobekov, de ceux qui organisa à Omsk le conseil démocratique des jeunes bolcheviks, et de beaucoup d’autres.
L’aide-médecin vétérinaire Chaïmerden Alzhanov, l’adversaire passionné de l'Alach-Orda, était l’homme qui partageait ma vision le mieux.
Je me rappelle une telle histoire. En 1917 d'Orenbourg Boukeikhanov arriva à Omsk. Les colonels le rencontrèrent avec enthousiasme. On eut le meeting. Ce temps-là seulement une personne s'affirma contre Boukeikhanov – c’était Chaïmerden.
Les jeunes gens d'Alach le trouvèrent fou. En signe de protestation Chaïmerden quitta la réunion avec Taoutan Arystanbekov...
Nous pensions des sorts non seulement des camarades d’Akmolinks. Pendant l'établissement du pouvoir soviétique à Semipalatinsk, quand les gens enragés d’Alach-Orda ne voulaient pas reconnaître ce pouvoir, seulement le professeur Nygmet Nourmakov de Karkaralinsk passa aux bolcheviks. Après la Révolution d'octobre dans une de ses lettres il m'écrivait: "Comment vas-tu, Saken? Il m'est devenu clair que seulement les bolcheviks peuvent donner la liberté aux pauvres, qui étaient opprimés cruellement par le pouvoir tsariste. C’est pourquoi je suis devenu bolchevik..."
Et on commença à parler sur ce comment Nygmet se sentait à Karkaralinsk cet époque-là.
En 1917-18 on pouvait rarement entendre que les Kazakhs passaient volontairement aux bolcheviks. Dans les journaux on ne disait rien sur cela. Il fut d’autant plus difficile pour les bolcheviks kazakhs de mener la lutte politique, de se dresser franchement contre les ambitions nationalistes d'Alach-Orda.
Il nous était encore difficile parce que tous les journaux de Kazakhstan, sauf le "Tirchilik" d’Akmolinsk, soutenaient l'Alach-Orda.
En faisant connaissance avec la lutte politique et sociale des années 1917-18, il est facile de voir que les gens formés se groupaient ce temps-là autour des journaux et des revues. Et quand leur vision différait de la politique du journal ou de la revue, ils tâchaient d'exprimer leur point de vue dans les journaux et les revues des autres provinces.
Dans cette grande lutte de 1917-18 le journal de "Sary-Arka" devint le porte-parole principal de l'Alach-Orda. Et seulement Nygmet de Karkaralinsk nous écrivait de la province de Semipalatinsk à "Tirchilik".
Le journal d’Akmolinsk fut hostile à l'Alach-Orda. Le journal de Petropavlovsk "Ouch zhouze" nous soutenait.
Nos adversaires idéologiques locaux commencèrent à publier en 1918 le journal "Zhas alachtar" (Jeune homme d’Alach-Orda). À Petropavlovsk on publiait le journal "Zhas azamat" (Jeune citoyen), qui aussi tâchait d’augmenter par tous les moyens le prestige des nationalistes bourgeois.
Un certain temps les gens d’Alach-Orda d'Ouralsk publiaient dans la ville d'Oïyl le journal "Zhana Kazakh" (Nouveau Kazakh).
À Tachkent contre le pouvoir soviétique se tourna le journal "Birlik touy" (Drapeau de l’unité), l'Alach-Orda fut soutenu par le journal de Boukeevsk "Uranus" (Appel), édité par le poète-mollah Karachev. Serik Zhakipov protestait activement contre eux.
Omar Karachev écrivit l'hymne de l'Alach-Orda et publia un livre sous le nom de "Termé" (Rythmes), où il glorifiait Aleken (Alikhan). Il affirmait avec exaltation qu’Aleken était l'étendard du peuple kazakh. Autour de lui étaient les lycéens, les étudiants...
En relisant ces journaux, il est difficile de croire maintenant qu'à cette époque-là il y avait au Kazakhstan des gens, qui soutenaient les bolcheviks.
Il y avait à Akmolinsk et les bolcheviks, qui évitèrent l'arrestation: Tourysbek Mynbaev, Zhakhiya Aïnabekov, Aboubakir Essenbakov, Galim Aoubakirov, Battal Smagoulov, Zhamanaev, Bilyal Tinalin, Seit Nazarov, Aryn Maldybaev, Khakim Manazarov et beaucoup d’autres.
Dans l'organisation de jeunesse "Zhas Kazakh" on entendit d'avance parler de l'arrestation prochaine des militants et on réussit à prévenir Baken Zhanabaev, Kozhebey Erdenaev, Salikh Aïnabekov, Omarbey Donentaev, Douïsekei Sakbaev et les autres camarades.
Si beaucoup que les geôliers tâchassent de couper nos liens avec tout le monde, nous recevions toujours les nouvelles des camarades libres. Nous apprîmes qu'à Semipalatinsk on institua le gouvernement de l'Alach-Orda. Le "Sara-Arka" publia son complet programme. Le journal apparut aussi à Akmolinsk. On nous passa à la prison un numéro de ce journal, si je ne me trompe pas, c’était le numéro 42.
On y imprima l'appel de l'Alach-Orda annonçant:
"Celui qui attrape les bandits et les monstres - les bolcheviks kazakhs, qu’il fasse justice à eux sur place. Il faut les exterminer tous!"
Chaque jour nous attendions la mort...
De jour en jour les ennemis de la révolution: le mollah, les arbitres, les chefs de voloste, levaient les têtes de plus en plus haut. Les ennemis se réjouissaient. Les amis regrettaient.
Et dans la prison en pierre furent assis les faucons-bolcheviks rouges mis aux fers.
DANS LA PRISON D’AKMOLINSK
Les cosaques avec les enseignes à la tête, protégeant la prison, rappelaient une foule des diables. Chacun d’eux eut un gazyrs[77] sur le poitrine. Les chapeaux étaient hardiment mis sur l’oreille, sur les culottes se trouvaient deux bandes rouges de pantalon. Tous eurent les sabres, les fusils, les fouets. Ils prononçaient des gros mots à haute voix. Parfois pour la garde de la prison on envoyaient les soldats-recrues des paysans. Ces jours-là les prisonniers se sentaient plus librement.
Les gardes-blancs qui vinrent au pouvoir créèrent la commission de la liquidation du bolchevisme dans le district d’Akmolinsk. Le monarchiste Serbov se mit à la tête de la commission.
Les rumeurs se renouvelaient chaque jour, on disait que dans quelques places on déjà utilisa la peine de mort. Une fois
Serbov avec le chef de la prison en compagnie de sept ou huit officiers vinrent à la prison. Chacun eut les pattes d'épaule aux épaules, les éperons sonnaient au moindre mouvement.
Il se trouva que Serbov amena le chef de garnison de ville. Quand ils entrèrent avec bruit dans notre chambre, le chef de prison commanda d'une voix rauque: "Levez-vous!" Nous nous levâmes.
- Vos affaires seront examinées judiciairement. Chacun sera mis en cause conformément à la loi. Il n’y aura pas d'illégalité!.. le chef de garnison nous annonça.
Ayant pris le pouvoir les blancs convoquèrent en urgence le congrès de district. Seulement les beys et les anciens chefs de voloste arrivèrent des villages et des aouls. Mais si sévère que la sélection des délégués fût, quand même de certaines places des sympathisants du pouvoir soviétique vinrent au congrès. Le jour de l'ouverture du congrès ils déclarèrent: "En premier lieu il faut libérer de la prison des travailleurs des Soviets!"
Les meneurs des cosaques, les beys et les officiers piqués au vif par une telle demande, arrêtèrent sur place les sympathisants des prisonniers et leur donnèrent la question.
De jour en jour les blancs enrageaient de plus en plus. Les officiers arrogants légers se baladaient dans les rues d'Akmolinsk. Les officiers et les fils des beys ressemblaient aux chameaux enragés âgés d'un an.
La prison fut trop petite pour pouvoir confiner les détenus. On trainait de nouveau arrivés aux sous-sols des maisons en pierre, les inspectait à la hâte et libéraient ceux qui n’étaient pas "nuisibles". Certains furent libérés pour le pot-de-vin. On laissa sortir quelques djiguites de "Zhas Kazakh".
On libéra les travailleurs du conseils des députés Diuissekei Sakpaev, Temirgaliï Assylbekov comme "sympathisant aux bolcheviks". On laissa sortir l’aide-médecin vétérinaire Naouryzbey Zhoulaev, Daout Begaïdarov, les professeurs Galimzhan Kourmachov, Galiya Kitapov, le scribe Karim Aoubakirov et quelques autres.
Parmi eux, tout à fait par occasion, avec l'aide de ses parents, se trouva libre Ouvali Khangueldin un djiguite lettré, sage, le socialiste vraiment idéologique. S'étant rendu compte, les autorités commencèrent à le chercher pour mettre en prison de nouveau, mais Ouvali eut le temps de se cacher.
Certains se repentissaient, disaient qu'ils avaient passé aux bolcheviks insciemment et par ignorance; ceux-là étaient libérés. On laissa sortir, par exemple, Nourzhan Cheguin.
La situation dans la prison empirait. Les vêtements personnels y compris le linge de corps furent confisqués. On nous donna le linge de corps administratif du lin rugueux, un veston court noir bigarré, au lieu du lit chacun de nous reçut un sac linier legèrement bourré du foin sec. Nous dormions sur les lits de planches en bois, et ceux qui vinrent plus tard dormaient sur le plancher de terre ou en pierre. Les chambres furent enfumées, puantes, très étroites, bondées. Les colis ne sont pas permis. On nous donnait de l'eau, du pain de seigle demi-cru en croûte brûlée, on peut faire du pain demi-humide des koumalaks[78] et les pions pour le jeu.
Dans la prison douze chambres furent remplies entièrement avec des bolcheviks. Les prisonniers maigrirent beaucoup, comme s’ils furent atteints d’une maladie grave. Dans notre chambre il y avait deux fenêtres grillées de grille en fer aux gros barreaux tétraédriques. Dans une fenêtre il y avait un vasistas. Ce fut interdit de l’ouvrir, mais il était ouvert tout le temps. Cela n’aidait guère à diffuser la touffeur. Quand nous nous couchions, il n’y avait de place libre grande comme un mouchoir ni sur les lits de planches en bois, ni sur le plancher en pierre.
Pendant la journée nous étions assis, formant un demi cercle, et nous cherchions un moyen de tuer notre temps. Les uns jouaient aux dames avec la pâte de pain, les autres causaient, les troisièmes chantaient des chansons, les quatrièmes marmottaient quelque chose d'un air sombre, les cinquièmes, ayant fixé les yeux à la fenêtre et pensant sur la liberté, étaient assis pendant des heures silencieusement et sans bouger.
Chaque jour des parents ou les gens des connaissances des détenus paraissaient près des fenêtres. Les cosaques ne laissaient personne de s’approcher assez près, et quand ils furent remplacés par les paysans mobilisés aux soldats, ceux-là faisaient semblant de ne remarquer rien d'interdit, donc on pouvait échanger quelques mots à travers la grille avec les parents, entendre la nouvelle sur la vie en liberté.
La prison se trouva à la périphérie d'Akmolinsk occidentale. Les fenêtres des premières quatres chambres donnaient sur la rue. On pouvait voir les maisons de ville les plus éloignées, la steppe montueuse derrière la ville et le bois éloigné au bord d'Ichim.
Qund le gardien fut bon je m'approchais de la grille et je regardais dehors très très longtemps...
Là l'été fleurissait, la ville verdissait, l’Ichim bleu clair coule entre les bords verts.
Environ à cent cinquante pas de notre fenêtre il y avait une maison, où un copin du vieillard Kremensky, un de nos prisonniers, habitait. Les fils Kremensky entraient souvent dans cette maison, ouvraient grand les fenêtres et regardaient en secret notre chambre au binocle. Nous appelions Kremensky lui-même vers la grille, et il commença à communiquer avec son fils à l’aide des gestes silencieux. Nous ne comprenions rien dans leurs négociations, mais le vieillard comprenait et nous passait des nouvelles.
Il est particulièrement difficile de passer en prison l'époque admirable de l'été. Et en général, quand il était facile de souffrir l’encombrement, la touffeur, les saletés, empuantissement et l'esclavage?
Le fils des steppes libres kazakhes se sent dans les fers, dans une chambre étroite pire qu’à l'enfer...
J’étais assis près de la grille et je regardais dehors. Je voyais au loin la steppe verte montueuse. Une brise faible d'été me caressait tendrement le visage, comme la soie. Je mets la poitrine au vent. Son souffle était curatif pour le corps harassé de fatigue. Une pensés rapide s'échappa en liberté et s’envola quelque part au loin tel un faucon échappé de l'esclavage, laissant la prison derrière lui. Elle volait au-dessus de la steppe verte, au-dessus du tapis de prairie, dans le vaste espace.
Elle visitait en courant vite des montagnes désertes et des forêts épaisses, où les ruisseaux bruissaient sonorement. Elle écoutait pieusement les chansons polyphoniques, mélodiquement tendres des oiseaux; elle passait le long des bords des grands lacs avec les cygnes blancs, elle courait sur le miroir des eaux de la rivière, faisant assaut de la rapidité de son courant dans le chenal tortueux, passait en coup de vent aux aouls et partait de nouveau à la steppe désert sans bornes...
J’étais assis près de la grille... Je vis un Kazakh inconnu, qui aiguillonnait un bœuf, attelé à un chariot.
Ils allaient de steppe-là lointaine. Le bœuf ne se dépêchait pas, il traînait lentement le chariot chargé du fumier séché. Le Kazakh ne se dépêchait non plus. Voilà, il jeta un coup d'oeil tranquillement sur les fenêtres de la prison et avec le mouvement paresseux il poussa le bœuf.
Ayant baissé la tête, le bœuf continua à cheminer. Les roues du chariot craquaient, tournaient lentement avec le gémissement cotonneux effondré... Où étais-tu, la liberté admirable?.. Qui connaîssait ton vrais prix outre les prisonniers?
Ce Kazakh minable était cent fois plus heureux que nous: il fut libre, bien que son sort fût peu enviable - transporter sur le chariot le fumier séché. Ah, la liberté, il n'y a rien de plus beau que toi! Le Kazakh passa, en poussant le bœuf...
А après lui une oie blanche apparut sans se hâter emmenant les poussins à la file. Alourdie par la graisse, ayant replié un cou long, elle balançait le bec et allait tranquillement et gravement à pas mesurés.
Elle cacardait quelque chose tendrement aux petits. Ils venaient d’éclorer, minuscules, béjaunes, allaient, les pattes écartées, barbotaient, suivaient la mère en se dépêchant. Ils répondaient par le piaillement fin à son appel tendre. L'oie se retournait, s'inquiètait de ses petits et continue à les conduire lentement à la pelouse sur le terrain bas.
Voilà elle, la beauté de la liberté! Voilà lui, l'été admirable!
L'oie blanche s'arrêta avec ses petits sur la pelouse...
Et voilà une jeune fille kazakhe survint on ne sait d'où. Encore de loin elle fixait les fenêtres de prison. Elle me vit derrière le barreau et arrêta son regard sur moi. Ses yeux brillaient, comme les pruneau. Elle paraissait quinze ans, elle était maigre, mince, de taille moyenne. Elle portait une robe blanche avec deux volants en bas, le chapeau du velours noir sur la tête. Les cheveux épais noirs satinés furent tressés en deux tresses, les rubans de la soie rouge aux bouts.
En marchant lentement, elle s'approcha de la fenêtre... regardait les sentinelles... Ses pas relentirent presque complètement. Elle s’arrêta, se retourna, comme si en attendant quelqu'un. Ensuite elle me regarda tristement dans les yeux, ne put pas demeurer en place longtemps et continua son chemin. Son regard pénétrant semblait vouloir partager mon chagrin. Elle me parut ma soeur germaine avec le bon coeur sensible.
Son regard propre calma mon âme triste. Oh, ma soeur avec le coeur sensible, dont la silhouette était souple, comme un cep de vigne! Pourquoi tu m’e regardais si fixement et tristement? Ton regard était comme une hirondelle, qui jettait de l'eau avec ses ailes pour éteindre l'incendie. Merci à toi!
Tu revenais tous les deux jours et tu regardait toujour d’un œil fixe. Qui étais-tu? La fille de qui? Nous considérais-tu qui? De grands criminels, les gredins, les débauchés, les ennemis du peuple et de la patrie? Tu nous regardes avec la condamnation ou avec regret? Oh, ma soeur avec le coeur compatissant! Qui que fût ton père - grand merci à toi!
Cette jeune fille passait beaucoup de fois devant les fenêtres de prison. Mais elle n’osait pas de s'approcher, il lui manquait du courage. Nous ne savions pas qui était son père, mais son visage commença à me sembler bien familier, natal. Je me tellement habituai à ses visites que si je ne la voyai pas deux jours, je commençais à m'ennuyer.
Si une alouette turlutait devant la grille de fer, ou le soleil visitait la chambre froide et crue, ou un souffle soyeux de la faible brise avec le parfum de la steppe verte y pénétrerait - tout était curatif pour l'âme couverte de blessure du prisonnier. Et la jeune fille inconnue me semblait le médicament omnipotent. Elle s'habitua aussi à voir mon visage, commença à me saluer d’un mouvement léger de la tête.
Une fois on entendit dans la prison une rumeur lugubre sur ce que quelqu'un de nous devrait être fusillé. Les camarades dans la chambre se turent, furent plongés aux réflexions affligées. Chacun eut les fers sur les mains ou sur les pieds. Affaiblis, nous fixâmes le regard inerte indifférent droit devant nous.
Je jetai un coup d'oeil rapide derrière le barreau: elle venait habillée de sa robe blanche avec les volants en bas. Les rubans de soie rouge dans les tresses. Elle allait sans se hâter et regardait notre fenêtre. La tristesse poignante disparut comme par enchantement, le brouillard noir disparut, la vie s'éclaircit.
Les fers tintinnabulant, je m'approchai d'un bond du barreau. Mes camarades sursautèrent, comme si s'étant réveillés d'un rêve terrible, me regardèrent avec embarras froid.
- Qu'est-ce qu’il y a? Qu’est-ce qui se passe? – quelqu’un demanda rudement.
- Ma soeur vient! - je répondit tranquillement. Les uns continuaient à me regarder avec étonnement, les autres lâchèrent un juron avec soulagement: "Pouah, que la peste t'étouffe!.."
Une fois nous entendîmes parler qu'un ancien commandant d'armes fut relevé de ses fonctions et un nouveau commandant arriva.
Le lendemain un groupe d’officiers avec Serbov et le chef de la prison à la tête, les pattes d'épaule scintiller et les éperons tinter, entra dans notre chambre.
Ayant ouvert la porte avec le craquement, le chef de la prison entra le premier et commanda hautement: "Levez-vous!" La chambre se garnit des officiers avec les fusils et les sabres. Ils tous, obséquieux comme les chiens de chasse, regardaient leur jeune chef aux yeux exorbitants, ayant le chapeau sur l'oreille, comme un fêtard, l'ivrogne sans feu ni lieu. Il eut un révolver à la ceinture, un sabre à son flanc, un fouet court à la main. Étant entré dans la chambre, il sarrêta, les jambes écartées.
- La plupart ici sont les Kazakhs? - Il remarqua avec étonnement. Serbov commença détailler nos "mérites" caustiquement,
en énumérant clairement, sérieusement et sensément nos fonctions et nos grades séparement...
Le nouveau commandant d'armes Gontcharov est arrivé de Petropavlovsk.
De nouvelles autorités d’Akmolinsk faisait la noce bruyamment jour et nuit, buvait sans cesse.
Nous entendîmes dire que beaucoup de nos camarades furent fusillés à Omsk, à Petropavlovsk et à Koktchetav.
On fusillait les gens sans forme de procès seulement les premiers jours, qui furent les plus acharnés. Après cela on disait qu'à Akmolinsk les gens seraient fusillés après le jugement. Les prisonniers commencèrent à s'habituer au mot "fusillé". Il n’y avait plus d’espoir de la liberté. On commença à nous trier. Soixante-dix ou quatre-vingts personnes, "les plus rouges" furent laissées là, on ne nous interrogea pas, et un autre groupe, près de soixante prisonniers, fut expédié à Petropavlovsk.
Avec eux on expédia sous escorte le camarade Kalegaev, qui arriva chez nous d'Omsk deux ou trois jours avant le renversement du conseil des députés et fut mis en prison.
Parfois nous recevions les rumeurs consolantes sur ce que "les blanc étaient affaiblis, les rouge arrivaient, serraient, étaient aux trousses de l’ennemi!" Il était impossible de s'en assurer, nous étions assis et conjecturions. "Les rouges vaincront en fin, il n'y a aucun doute à cela, mais nous ne verrons pas la victoire", - les gens regrettaient dans les chambres.
Les camarades maigrirent, s’amincirent. On nous donnait de l'eau et du pain cuit insuffisamment de seigle. Nous n’aurions pas maigri et d'une telle ration, si ce n'était que les moqueries inhumaines des visiteurs-chefs de chaque jour. Les pensées lourdes, les fers, les nouvelles quotidiennes sur les gens fusillés, l’air confiné et le plancher en pierre de la prison – voilà ce que nous tourmentait.
Nos forces diminuaient de jour en jour, et le moral remontait de plus en plus rarement. Nos gens sont mis dans toutes les chambres; seulement dans une, avec la porte ouverte, se trouvaient les Kazakhs qui étaient écroués pour le vol. Chaque jour nos camarades sortaient dans la cour enclose de prison pour une promenade de dix ou quinze minutes. À tels moments le tintement des fers résonnaient en toute la prison.
Une fois les gens notre chambre furent sortis pour la promenade aussi. Des sentinelles armées furent debouts devant la clôture. Les fenêtres de quatre ou cinq chambres donnaient à la clôture, et les camarades nous regardaient à travers la grille. Certains d’eux, qui étaient encore forts d'esprit, nous saluaient, faisaient un signe de tête encourageant. Les autres dodelinaient la tête d'un air sombre, désespérément.
Mis aux fers entourés de clôture aux sentinelles nous allions de long en large, comme les loups entourés. Ce jour-là fut particulièrement triste. Nous avons vu dans la fenêtre derrière le barreau les yeux affligés de notre camarade Kondrateva. En se tenant à la grille de fer, ayant pris appui sur elle avec le menton, elle entonna une chanson mélancolique, la chanson de l'esclave. Elle eut une belle voix, cordiale, elle m'a rappelé le son de kobyz[79]. Les larmes coulaient lentement sur le visage de cette femme remarquable:
"... Cassez les chaînes, rendez-moi libre, je vous apprendrai à aimer la liberté", - elle chantait.
Le camarade Bogomolov, un détenu de notre chambre, une nature affective, un homme à caractère doux, un poète, s'arrêta, s'appuya contre un réverbère et pleura doucement...
Une fois un de ceux qui fut detenu pour le vol réussit à visiter dans notre chambre. Il nous apporta la brassée le foin fraîchement fauché.
"Aujourd'hui j’ai été amené au travail, j'ai pris là cette brassée pour votre lit", - le Kazakh dit, en nous jetant le foin.
Notre joie fut infinie. Nous commençâmes à embrasser le foin odorant, le sentions avec jouissance, nous nous en tenions, comme les enfants ennuyés d’attendre leur mère. Baïmagambet (Zhaïnakov) ému épargnait longtemps le foin, le sentait et étreignait avec plaisir sur son coeur. À ces minutes-là on brûlait de sortir de la prison, en steppe embaumé d'été...
Ma soeur passait devant les fenêtres de prison une fois par trois jours. Elle me faisait un signe de tête – me saluait. À l'écart, sur la pelouse, l'oie blanche venait chaque jour, en amenant ses petits avec elle. Minuscules, béjaunes, ils grandissaient de jour en jour.
Dans la monotonie triste de la vie de prison il y avait parfois des cas amusants... Comme j'ai dit déjà, nous étions nourris de l'eau non bouillie et du pain de seigle, c'est pourquoi chacun, naturellement, avait faim d’une meilleure nourriture. Nous, les Kazakhs, rêvions par habitude de la viande et du koumys. Il semblait, si on nous eût montré un bon saucisson de cheval - kazy, nous serions galoper ver lui au bout du monde.
On n'acceptait pas de colis envoyés par nos amis libres, on en suivait de très près, mais, comme il est dit dans une proverbe: "Celui qui surveille est toujours vaincu par celui qui prend". On passait d'une manière irrégulière au cachot les morceaux du kazy fumé, mais c’était pas chaque jour, seulement parfois, les jours, quand parmi les gardiens il y avait des gens nous sympathisant. Enveloppé d’un chiffon le saucisson long d’un verchok[80] était passé par le volchok[81] et avec le bruit tombait sur le plancher. Khoussaïn (Kozhamberlin) se tenant prêt, comme le koumaï[82], la saisissait à la volée. Ce jour-là, quand devant notre fenêtre la femme jeune de Khoussaïn passait et faisait savoir du colis, Khoussaïn ne détachait pas les yeux du volchok. А nous suivons à notre tour Khoussaïn et nous étions étranglés du désir ardent, comme les aigles royaux affamés en voyant la victime.
Et voilà un morceau de saucisson long d’un verchok apparaissait au volchok. Khoussaïn le saisissait à la volée après quoi il était assis une minute, le saucisson serré au poing. Nous n'eûmes pas de couteau pour le diviser en parties égales, il fut impossible de le rompre avec les mains: le morceau fut trop petit. Ça voulut dire que chacun dut mordre à son tour dans sa part avec ses dents.
Khoussaïn, en tenant le morceau dans le poing serré et ayant lâché le bout du saucisson de la largeur d'un doigt, l’approchait de la bouche du camarade. Chacun avait le droit de mordre à la part mesuré... Ce fut le tour de Baïsseit (Adilev). Khoussaïn donna lui un morceau au poing. Baïsseit, comme une personne misérable demi-morte, tendit la bouche vers le saucisson et, ayant soupiré profondément, se détourna.
- Pourquoi ne mords-tu pas ? – Khoussaïn fut perplexe.
- Est-ce que cette miette apaisera ma faim?!.- Baïsseit répondit avec l’air encore plus piteux.
- Vas-y, mords, où pouvons-nous trouver un morceau plus grand? - Khoussaïn demanda.
- Non, mangez-le vous mêmes, il sera mieux. Il est impossible de nourrir tous avec un verchok de saucisson. Mangez, que je reste affamée seul... Baïsseit répondit humblement, d'un air affligé et se coucha avec soupir sur les lits de planches.
Ayant entouré avec sollicitude Baïsseit, nous commençâmes à le consoler.
- Allons-y lui mesurer une part plus grande, - quelqu'un proposa enfin.
Khoussaïn, ayant hésité un peu, lâcha encore un demi-doigt du saucisson et proposa à Baïsseit. Baïsseit, plus mort que vif, lèva lentement la tête et jetta des coups d'oeil de biais sur le saucisson et sur son maître. Tous les deux hommes se suivent attentivement quelques instants, Khoussaïn offrit lentement le régalage, а Baïsseit saissit avec rapidité, comme un brochet adroit, en saisissant aussi les doigts de Khoussaïn. Celui-là laissa avec le cri le morceau tomber, en sauvant sa main, et Baïsseit avala tout de suite la moitié de la part totale, et la lutte pour le reste commença.
Les scènes comme ça mettaient de l'agitation dans notre vie quotidienne de prison.
Ayant arraché le morceau additionnel du saucisson, Baïsseit se ranima un peu, commença à plaisanter, à raconter quelque chose, chanta en russe une chanson burlesque composée par un scribe russe. La chansonnette s'appellait "Appel d’une femme kirghize (kazakhe) à son bien-aimé".
Oh, toi, l’ayran[83] de mes désirs,
Le koumys de mes passions,
Kaymak[84] de mes espoirs cordiaux,
Le mouton de steppe de mon âme.
Tu as conquis mon âme comme barymta[85],
Tu as fouetté mon coeur comme une nagaïka.
Et j’ai repris courage kirghiz,
Quand tu t'es endormi dans la yourte.
Tu es plus cher qu’un survêtement bigarrée,
Un coup d’amour est pire qu'un coup d’épée de damas,
Il brûle le sang comme le fumier séché.
Oh, viens, chaïtan, mon chéri,
Et tombe à genoux dans la poussière,
Je fusionne mon appel triste avec l’hennissement les juments fougueuses.
Baïsseit l'exécuta en maître, avec l'air sérieux, poitrine bombée et il se monta sur ses ergots, comme un vrai artiste.
Nous riions beaucoup.
Une fois on entendit parler que dès ce moment-là il n’y aurait pas du tout de peine de mort. Ces rumeurs furent vraisemblables. Il fut plus facile à respirer. Peu après on commença à accepter des colis. Le chef de la prison lui-même commença à parler en secret avec certains prisonniers.
On commença à nous interroger. On nous emmena en groupes de huit ou dix personnes sous l'escorte des cosaques à cheval vers la place où l’enquête passait.
"Ou’est-ce qu’ils demandent?" - nous demandions avec impatience aux camarades revenus de l’interrogatoire.
Mon tour arriva. Nous fûmes amenés tous dans un groupe de quinze personnes. Nous fûmes les pieds aux fers. Les cosaques à cheval eurent les sabres nus. On nous mit en rang par deux. Ceux qui étaient plus hauts que moi et Baïsseit, on les mit en avant. Il était un jour chaud, tout juste au milieu de sorokovina[86] d'été. La rue était bondée par les foules des femmes, des enfants, des vieux, des jeunes, des Tatars, des Kazakhs, des Russe, à cheval et à pied. En sonnant les fers, nous marchions régulièrement au milieu de la rue sous l'escorte.
Nous regardions silencieusement le public. Je vis mes amis et mes connaissances dans la foule. Ils nous saluaient différemment: avec sympathie, d'un air sombre, tranquillement, ils mettaient les mains sur la poitrine et nous saluaient avec un mouvement léger de la tête. Brusquement je rencontrai les yeux de mon père arrivé de la steppe éloignée. Il me regardait de loin d'un air d'impuissance, triste et avec amour. Je remarquai dans la foule des parents de Baïsseit, d'Abdoulla et de Zhoumabaï, je vit aussi leurs amis venus des aouls.
Tous se taisaient, en cachant l’inquiétude, en retenant la colère et l'indignation. Quelqu'un pleurait à la dérobée. Ils n’avaient pas de forces à nous arracher des mains des bourreaux, car les bourreaux furent armés. Nous passions sous les regards fixes des amis et des ennemis se trouvant de deux côtés de la rue. Les fers sonnaient, la rue pleurait, nous marchions à la file un après l'autre, dépoitraillés, les têtes nues.
Dans la foule nombreuse je vit aussi la jeune fille que était venue aux fenêtres de prison, "ma soeur". Ses yeux innocents brûlaient de larmes. Elle me salua, et moi aussi le la saluai avec reconnaissance. Les regards de la foule nous ragaillardirent, nous mîmes à marcher d'un pas plus assuré.
La commission d'enquête siégeait dans le bâtiment de l'ancienne école. En hiver j’avais habité à l'appartement chez le professeur Tokarev, dans une maison individuelle, qui se trouvait dans la cour de cette école. Dans mon ancien appartement j’entrai ce temps-là habillé des vêtements de prisonnier du lin grossier, la tête nue et au fers. Nous avec Baïsseit allions en avant et rencontrâmes Tolebaï Nouralin dans l'escalier. En me regardant en face, Tolebaï demanda:
- Commen vas-tu, Saken ?
- Dieu merci! - je répondis.
Tolebaï disparut instantanément derrière la porte. Nos jambes n'étaient pas ce temps-là si rapides, comme celles de Tolebaï, nous nous traînions à peine, les fers sonnant.
Le chef de l'escorte entra dans une des pièces. Il en sortit peu après avec un Russe, et ils appelèrent pour l'interrogatoire le premier notre camarade...
Ils nous appelaient l’un après l’autre, nous interrogeaient et emmenaient.
Je regardais par la fenêtre à la cour. Tokareva y marchait, la vieille, la maîtresse de mon appartement d'hiver. M'ayant vu, elle hocha la tête avec regret...
Ce fut mon tour. J’entrai dans la chambre. La commission fut à table. Le cosaque Tchontonov présidait.
Tout juste avant mon interrogatoire Serbov s'en alla quelque part. Parmi les commissaires il y eut un paysan russe à barbe noire et trois Kazakhs. L’un d'eux fut le marchand Tachti, le deuxième fut le mollah connu Manten, le troisième fut Tolebaï. Quand j’approchai de la table, Tachti et Manten me saluèrent doucement:
- Ça va, Saken?
J'ai répondit:
- Dieu merci!
Tchontonov commença l'interrogatoire lui-même:
- Comment vous êtes-vous trouvés au conseil des députés?
- C’était le choix des Kazakhs de steppe, la volonté du peuple simple.
- Quels intérêts aviez-vous l'intention de protéger?
- Les intérêts du peuple kazakh, surtout, des travailleurs qui m'ont élu.
- De quel travail avez-vous été responsable?
- C’était le travail dans le domaine de l'instruction du district d’Akmolinsk.
Tchontonov ne demanda pas, et je ne lui dis pas que j'avais été le membre du praesidium du conseil des députés.
- Participiez-vous aux meetings et aux réunions?
- Oui, j’en participais.
- Avez-vous pris la parole?
- Oui.
- Sur quoi parliez-vous?
- Je ne me rappelle pas.
- Êtes-vous le membre du parti bolcheviste?
- Oui.
- Tenez-vous pour ou contre la convocation de l'assemblée constitutive?
- Si à l'assemblée constitutive les représentants du peuple travailleur participent, je n’ai rien contre sa convocation.
- Quel est votre rapport à la religion?
- Quant à moi, je ne suis pas un homme religieux.
- Nous apprîmes que vous juriez la mosquée, c’est vrai?
- Il est impossible de jurer l'objet inanimé.
- Qu’écriviez vous dans le journal "Tirchilik", qui était publié ici en kazakh?
- Dans la plupart des cas j'écrivais les vers.
Ce moment-là le paysan-juge d'instruction à barbe noire posa une question:
- Êtes-vous l'écrivain?
- Pas trop réussi... Mais quand même j'écris un peu.
- Quels vers avez-vous écrit, sur quel sujet?
- Je décrivais pour l'essentiel la vie quotidienne du peuple.
Tchontonov posa une nouvelle question:
- Pourquoi avez-vous choisi d’écrire les vers?
- Premièrement, parce que je savais écrire les vers, et deuxièmement, je pensait qu'écrire les vers c’était pas un crime.
Le paysan à barbe noire dit à Tchontonov:
- Ce n’est pas grave s'il écrivait les vers de la vie quotidienne du peuple, n’est-ce pas? S’il sait le faire, qu'il écrive!
- Il s’est trouvé, que vous avez écrit la pièce sociale à l'occasion du Premier mai et l'avez mise en scène. On dit, que dans cette pièce vous glorifiez les bolcheviks!
- Cette pièce est ma première œuvre. Oui, elle a été mise en scène le Premier mai à Akmolinsk. J’y montrais la voracité les intendants des volostes, des scribes, des beys et des mollahs pendant la mobilisation des jeunes gens kazakhs pour les travaux à l'arrière en 1916.
S’étant tu, Tchontonov s'adressa aux voisins, aux commissaires russes et kazakhs:
- Avez-vous des questions pour le détenu?
Tous se taisaient. Tolebaï s'adressa à moi:
- Est-ce que vous n'écriviez rien, excepté les vers dans le journal "Tirchilik"?
- Parfois j’écrivais de petits articles.
Tolebaï sortit de la poche un numéro de "Tirchilik":
- Est-ce que c’était vous qui avez écrit cet article-ci, où on gronde par tous les moyens le chef cosaque Doutov et invective l'Alach-Orda. N’est-ce pas votre pseudonyme "Shamil"?
- Mon mon est Saken.
- Mais nous savons que c’était vous. Les travailleurs de la rédaction nous l’a dit.
- Ils ont pu se tromper.
- Si c’est pas vous, qui est-il donc ce "Shamil"?
- Je ne sais pas. Rakhimzhan Douissembaev est le rédacteur officiel du journal. Demandez-lui.
Je savais qu'à cette époque-là Rakhimzhan était en fuite, se cachait en steppe, c'est pourquoi je simulai ne pas connaître "Shamil".
Tolebaï sortit encore un papier de sa poche:
- Eh bien, d’accord, et ouvrage-ci le connaissez-vous?
Il tenait en main ma lettre adressée au conseil des députés régional sibérien, où je rapportais en détail les actions d’Alach-Orda. Ayant déployé cette lettre devant moi, il demanda:
- C’est pas vous qui blâme ici les gens d’Alach-Orda?.. Est-ce que c’est n’est pas votre signature?..
Je ne pus pas pu refuser, car cela fut un texte, corrigé par moi après être dactylographié.
- Il est possible que je l'aie écrit.
On me fit apposer une signature en marge de l'article en confirmant que j’étais l’auteur de cela.
Tolebaï sortit de nouveau un papier de la poche:
- Le reconnaissez-vous? Est-ce que c’est vous l'avez composé au mon du peuple?
C'était l'original de notre télégramme adressé à Moscou du nom du congrès des pauvres d’Akmolinsk.Il contenait aussi mes corrections après la machine. Je ne pus pas éviter, on me prit en flagrant délit.
- Quand on faisait ce télégramme, j'assistais aussi, - je répondis.
- Qui était encore présent excepté vous?
- Il y avait beaucoup de peuple. Je ne me rappelle pas qui était présent et qui était absent.
Signez le télégramme, ayant indiqué: "Écrit par moi", - Tolebaï proposa.
- Comment puis-je m’attribuer l'oeuvre collective?
Enfin m'obligea de signer, et en outre j'indiquai que je "pris part à la rédaction".
- Êtes-vous contre l’Alach-Orda? - Tchontonov demanda.
- Oui, j’en suis contre! - je répondu.
- Pourquoi?
- Après le renversement du tsar les gens d’Alach-Orda ont décidé de séparer les Kazakhs du peuple russe et ont souhaité devenir les khans kazakhs, les potentats indépendants locaux. Et à notre avis, le peuple kazakh délivré de l'autocratie n'a pas besoin maintenant des khans. Les nationalistes voulaient se séparer définitivement des Russes, voulaient expulser tous les paysans des terres kazakhes. Cela pouvait amener à une catastrophe. Nous perdrions le soutien du peuple de travail russe, qui a renversé le tsarisme et a obtenu l'égalité pour les travailleurs kazakhs. Voici pour quelle raison je suis contraire à l’Alach-Orda.
Les commissaires russes échangèrent interrogativement des coups d'oeil, le paysan à barbe noire loucha avec malveillance sur les Kazakhs.
Il me sembla que les Russes qui furent présents seulement ce moment-là de mes mots apprirent les vrais buts de l’Alach-Orda. Tolebaï, le mercanti Tachti et le mollah Manten ne savaient plus ou se mettre. Ils rougirent, le sang sale monta à leurs visages.
Les Russes continuaient à regarder interrogativement et avec malveillance leurs voisins d’Alach-Orda. M'étant persuadé que mes paroles tombèrent juste, je signai le papier.
On me proposa de sortir à la salle. On continua l'interrogatoire des camarades suivants. Dans la salle je m’arrêtai devant la fenêtre. Tachti et Tolebaï s’approchèrent de moi et commencèrent à causer faussement paisiblement avec moi. À distance on pouvait dire qu’ils furent mes proches parents.
- C’est pas grave, le temps viendra et tu te libéreras, ils me calmaient.
Avec Tolebaï nous faisions nos études autrefois ensemble à l'école municipale, nous étions amis. Et on échangea ce moment-là les reproches "amicaux".
Dans quelques minutes mes "bienfaiteurs" allèrent continuer l'interrogatoire.
Nous entrâmes tous les deux avec Baïseit à une des classes d'école. On y envoya avec un homme d'escorte le koumys pour nous.
Nous nous délectâmes du koumis et remarquâmes brusquement deux femmes kazakhes qui s’approchèrent tout près à notre fenêtre. Une d'elles fut la femme de Baïsseit, et une autre fut sa belle-mère. Selon notre air content elle décidèrent que les espérances vagues d'une bonne issue devaient se remplir.
En pointant les doigts vers leurs kimechèques blancs, elles voulaient demandaient: donc, tout va bien? Comment allez-vous, innocent, disculpés, justifiés?
Je fis un signe de tête négatif.
La commission continuait l'interrogatoire. De petits officiers quelconques allaient et venaient sans cesse, sortaient et partaient, des fois ils couraient, affolés, à toutes jambes, comme un troupeau de bovins harcelés par des taons, les fouets en main, quelques-uns avaient les verges. Les yeux scintillaient, comme ceux de jeunes chameaux effrayés. Quand la commission finit le travail, nous nous succédâmes à la fille à la prison faisant cliqueter nos fers et étant poussés par l'escorte de cheval.
Après l'interrogatoire un bruit courut sur ce que dès ce moment-là on ne laisserait en prison que des criminels les plus dangereux, et tous d’autres seraient libérés.
Chaque jour les rumeurs furent les plus incroyables, dont il fut impossible de croire, les rumeurs furent tantôt attristants, tantôt réjouissants.
Tous furent avide de la liberté.
Devant les fenêtres de prison apparaissaient de plus en plus souvent nos amis, nos parents, nos pères qui arrivèrent de la steppe éloignée.
Nous tâchâmes de leur faire un signe de tête, de saluer vivement. Ils répondaient avec pincement au coeur silencieux, serrant l’âme. Parfois, quand le gardien fut humain, nous réussissions à échanger quelques mots.
Un jour ressemblait tristement un autre. On dit que le temps se figea, s'arrêta. Nous jouions aux échecs et aux dames du pain cru. Nous racontions des histoires du passé. Parfois nous tâchions de faire une farce l'un à l'autre pour faire passer le temps.
Je passais beaucoup de temps près du barreau. Pas chaque jour, mais elle venait quand même cette jeune fille-là avec la bande rouge dans les tresses et elle regardait fixement notre fenêtre. Nous nous saluions.
Toujours dans la direction de la pelouse sur le terrain bas l'oie blanche passait, en menant à sa suite ses petits. Les oisons grandirent, marchaient d'un pas assuré, leurs ailettes se renforcèrent...
Les jours passaient lentement. Les prisonniers sont souvent transférés d’un cachot à un autre. Quand on fut placé à un cachot dont la fenêtre donnait à la cour, le crève-coeur envahissait.
Une fois nous apprîmes que les parents de Baïsseit envoyèrent à l'Alach-Orda le télégramme, en demandant le rendre libre. Quand les membres d’Alach-Orda Tynychpaev et Akaev s'enfuirent de Tourkestan à Semipalatinsk passant le district d’Akmoklinsk, Baïsseit leur montra bienveillantement le chemin. Et voilà ce temps-là, ayant décidé que ce qui fut bon à prendre fut bon à rendre, les parents demandèrent l’aide et nous firent savoir cela. Nous attendions perplexes, à quoi tout cela amènerait... Baïsseit s'enflamma d'espoir.
Une fois le frère cadet de Baïsseit apparut à côté de la prison. Il a parcouru à une distance respectueuse des fenêtres, s'arrêta et, ayant compris que nous le suivions, prononça en s’adressant a un passant accidentel, comme s’il n'était pas au courant de notre existence:
- Hé, écoute la nouvelle joyeuse! Notre Baken[87] se libérera bientôt!
Nous comprîmes la ruse du garçon et nous nous réjouîmes pour Baïsseit. Après un certain temps la femme de Baïsseit avec sa mère et son père (l'aide-médecin Naouryzbaï Zhoulaev, qui après la révolution passa aussi en prison quelques jours avec nous) passa devant la fenêtre. Ils passèrent tous ensemble, et le garçon fut aussi avec eux. Tous furent contents sans mesure. Naouryzbaï tira son toque et, comme un signaleur, l’agita en faisant savoir qu'on reçut le télégramme de Tynychpaev et Akaev avec la demande de libérer Baïsseit...
Mais Baïsseit ne fut pas cependant libéré.
Et le temps passait. Les oisons béjaunes sortis de la coque dans les premiers jours de notre réclusion, devinrent déjà adultes et cessèrent de suivre la mère à la pelouse.
La situation dans la prison devint relativement meilleure. Mais certains officiers et gardiens nous sifflaient, comme les serpents, continuaient à nous adresses des jurons et devinrent féroces sans rime ni raison. Une fois selon l’ordre habituel on nous fit aller nous promener dans la cour entourée d'une clôture.
Là je commençai à me laver avec l'eau froide, en la puisant avec un verre à thé. Je dus lever les fers de la cheville au mollet. À ce moment-là l'assistant du chef de la prison Frolov, maigre, châtain clair, moustachu, avec une tache de naissance rouge sur la joue passa. Les Kazakhs détenus le surnommé "kaldybet", et les Russes l’appelaient conformément "aux joues vermeilles". Ce kaldybet Frolov, s'étant arrêté brusquement à côté de moi, me dit avec reproche:
- Tu ne sais pas porter les fers! Et tu te nommes encore prisonnier!
Qu’est-ce je pus lui repondre?!.
Le sorokovina d'été - le temps le plus torride – se termina. Il vint le temps de la récolte. Ce temps-là les colis commencèrent à venir sans interruption, parfois on ne connaissait pas l’envoyeur. Je recevais plusieurs fois de tels colis anonymes... En tout cas la vie dans la prison devint beaucoup plus facile.
Je repasse très clairement certains événements de la vie de prison de cette période-là dans ma mémoire.
Nous, les Kazakhs, furent souvent transferés d’une cellule de prison à une autre, à sept ou huit reprises.
Après l’inspection et les interrogatoires scrupuleux, près de cinquante bolcheviks les plus inébranlables restèrent dans la prison. Parmi eux il y avait huit ou neuf Kazakhs. Nous tâchions de nous serrer les coudes si c’était possible. Quand nous eûmes la chance de nous trouver dans une cellule de prison avec la fenêtre donnant dans la rue, nous se trouvions longtemps près de la grille de fer. Nos amis et nos parents passaient de temps en temps devant les fenêtres.
Parfois les passants inconnus nous saluaient aussi. Sur le chemin épineux de la lutte on put voir qui était l'ami fidèle et qui étai l'ennemi évident.
Akchal et Ouïtkibek arrivés avec mon père de la steppe éloignée passaient bien des fois devant la prison. Les femmes jeunes de Khoussaïn et Baïsseit portaient souvent des colis. La fiancée d'Abdoulla nommé Banou embobelinait habilement le chef de la prison et les gardiens et nous communiquait les nouvelles dans les billets.
Même nous, les prisonniers, ne connaissions pas toujours les ruses et les artifices de Banou. Par exemple, un beau jour elle nous passa le thé enveloppé du papier propre. Le gardien examina soigneusement ce colis-là inhabituellement modeste et nous le rendit, s'étant persuadé que sur le chiffon de papier il n’y avait de rien d’écrit. Tout à fait par hasard nous mouillâmes ce papier avec de l'eau, et les mots se montrèrent sur lui. C’était comme ça que nous apprîmes une fraîche nouvelle.
Banou prenait notre linge pour laver. Parfois la chemise lavée par elle n’avait pas de boutons sur les manches. Nous commencions à chercher le bouton à tâtons et trouvions quatre lettres à peine visibles: "kara" - regarde! Nous décousions le pli sur la manche ou sous le bras et trouvions le billet de Banou, où elle communiquait les nouvelles d’une écriture serrée mais lisible.
Les rendez-vous furent prohibés pour tous.
Parfois grâce à la faveur particulière des autorités, en présence du gardien, pour l'essentiel grâce à l'importunité du parent, on permissait un rendez-vous pour cinq ou dix minutes. Je me rappelle que des Kazakhs seulement Zhoumabaï reçut la permission du rendez-vous court avec son père. Quand Gulyparap revint d'Omsk après les études, on lui donner son accord pour la rencontre de cinq minutes avec moi. (Au premier instant Gulyparap ne me reconnut pas, voilà comme la prison changait l'apparence des prisonniers!).
Des femmes russes le lien régulier avec nous fut soutenu par la femme de Pavlov. Avec sa débrouillardise et sa ruse elle surpassa toutes les autres femmes. Une fois elle réussit à nous passer une telle nouvelle: "Pendant les deux jours à venir on va décider d’utiliser la peine de mort envers vous ou non. Si je reçois le message fatal, je passerai devant votre fenêtre habillée de la robe noire. Et si j'entends une bonne nouvelle, je metterai foulard rouge à la tête..." Tous les prisonniers furent notifiés ce signe conventionnel.
La fenêtre de notre petite cellule donnait sur la cour. Et voilà une fois le bruit courut que la femme de Pavlov vint à la prison au rendez-vous avec son mari. À travers des fentes de la fenêtre je suivais attentivement les visiteurs rares passant au local de quart pour le rendez-vous. Voilà la femme de Pavlov passa vite. Tous ses vêtements furent noirs!.. Dans une minute on passa Pavlov aux fers assisté d’un gardien. La femme se jeta au cou de son mari, en présence du surveillant l'embrassa, en s'inondant de larmes. Et après elle partit sans se retourner... Ayant vu sa toilette noire, nous perdîmes courage. Je m'écriai: "Maintenant on est cuit, notre jeu est joué!.." Les camarades partagèrent d'un air sombre mon opinion: oui, maintenant tout est fini!..
Quand Pavlov revint dans la cellule, nous nous jetâmes vers lui. Il se trouva que leur enfant mourut, c'est pourquoi la mère vint en noir.
Il est vint le jour, quand le chef de la prison nous permit de recevoir les lettres dans lesquelles il s’agissait des affaires de ménage seulement pas de la politique.
Une fois nous reçûmes la carte postale signée par Zhanaïdar Sadvokassov faisant ses études à Omsk. La carte fut écrite en russe. On y disait: "... Vakhttcha Oukmetov[88] est malade de la tuberculose. Les chirurgiens refusent de le soigner. Oulkenbek Sabitov[89] guérit. Dntche[90] est venu sans encombre".
Ayant reçu une telle carte, nous avons reprîmes courage. Nous en dîmes à nos amis russes.
À la fin de la carte Dinmoukhammet arriva à inscrire: "Je suis revenu avec succès du front. À Tchita luttais contre le chef cosaque Semenov".
Nous comprîmes facilement le contenu de ce message chiffré. La situation du gouvernement contre-révolutionnaire fut désespérées, le peuple refusait de le soutenir. Le pouvoir soviétique s’affermissait...
Dans la prison chaque nouvelle consolante ranimait, encourageait les prisonniers.
Sur le chemin épineux de la lutte pour la justice aux jours des rudes épreuves on peut voir plus clairement la fidélité de l'ami, la lâcheté de l'ennemi; l'humanité des uns et l'atrocité des autres est plus visible. Autrefois, quand nous établissions le pouvoir national, quand nous avions des forces supérieures, plusieurs faisaient des courbettes devant nous, veillaient à devenir nos amis. Quand nous nous trouvâmes dans la situation difficile, ceux caudataire et flagorneurs nous tournèrent à la fois le dos. Et certains au lieu du soutien même usèrent de violence contre nous. Bien des fois il nous fallut nous persuader de la véracité de l'expression kazakhe nationale disant: "Il n’y a pas beaucoup d’amis, mais beaucoup d’ennemis".
Beaucoup de gens se rendirent compte ce temps-là qu'autrefois, aux jours de liberté, c'etait juste une erreur d'etourderie de notre part de déclarer bien connaître un camarade et de se porter fort pour lui. Le vrai visage d’une personne, sa nature originale se manifestent en une heure difficile. Si tu veux éprouver la dignité d’un citoyen, il faut voir comment il se portera dans les moments difficiles.
Certains gens qui furent connus autrefois en liberté comme bons, sur le chemin épineux se trouvèrent inutiles, faibles, infidèles. Et vice versa, celui qui se comportait dans certains cas indignement, fut mal perçu chez nous, se trouva dans le moment difficile une personne indépendante et courageuse.
Je donnerai quelques exemples.
Pendant la Révolution d'octobre un homme nommé Botchok faisait toujours les discours aux meetings à Akmolinsk. Il se présenta d’abord comme l'ouvrier de l'usine d'Ekibastouz. Il fut toujours mal habillé, mais savait bien parler et déclarait toujours qu'il était le participant de la révolution de 1905.
Botchok devint chef des jeunes bolcheviks d'Akmolinsk. Nous l'élûmes président du conseil des députés d’Akmolinsk. Il nous assurait d’être autrefois socialiste-révolutionnaire de gauche, et après cela il devint communiste...
Autfefois il n'y eut pas de parti bolcheviste à Akmolinsk. C'est pourquoi la première organisation bolcheviste fut créée par nous (les camarades russes et kazakhs) avant l’établissement du conseil des députés dans le siège du chef de district.
Et voilà au moment critique le chef du détachement bolcheviste des gens d’Akmolinsk, faisant toujours figure de l’héros révolutionnaire, livra sans lutte le conseil des députés d’Akmolinsk aux mains des contre-révolutionnaires. En sachant d'avance que l'insurrection contre le conseil des députés avait été préparé, il n’en informa ni membres ordinaires du conseil des députés, ni nous, les membres du praesidium.
Botchok fut le premier qui se trouva aux mains des ennemis, sans notre accord il donna individuellement l'ordre aux détachements de l'Armée rouge de cesser le feu. Et en prison, s'étant trouvé aux fers Botchok se mit à déclarer: "Moi, je suis le socialiste-révolutionnaire de gauche. Je n'étais jamais bolchevik..."
La pusillanimité de Botchok c’était un cas unique. Il y avait encore un homme d'Akmolinsk. Il prenait toujours la parole au nom des bolcheviks, se frappait la poitrine et, grâce à sa persévérance il se faufila dans la présidence du conseil des députés.
Quand la contre-révolution vainquit et ce "bolchevik" fut arrêté avec nous et mis en prison, il grondait les yeux brûlant de larmes les prisonniers bolcheviks tellement habilement qu’on le libéra, on le confia.
Et voici un autre exemple. Le mari et la femme Petrokeevs, les activistes énergiques travaillaient à Akmolinsk. Nous ne fûmes pas proches d’eux, c'est pourquoi nous les connaissions mal. Ils ne furent pas membres du conseil des députés.
Nous considerions Petrokeev comme un menchévik, nous nous méfiions de lui, bien que Petrokeev lui-même assurât qu’il n’était pas menchévik. Les blancs l'arrêtèrent avec nous. Et nous nous persuadâmes que le mari et la femme se comportaient comme les vrais héros.
Beaucoup de velléitaires et d’hommes rompus étaient en prison avec nous. Une fois Baïsseit, en regardant un des velléitaires, remarqua avec amertume:
- Ciel, pourquoi la terre ne nous a pas dévorés, quand nous travaillions avec ceux pauvres types, allions côte à côte avec eux?!
Jusqu'à présent je me rappelle les mots amers de Baïsseit. On peut rencontrer assez souvent les gens dignes et méritant le considération en apparence. Mais leur vrais caractère est découvert à la minute des rudes épreuves. Les caractères les plus odieux, mesquins, mais aussi ceux les plus nobles se manifestent en une heure difficile.
Ici je veux raconter de Viazov et Balandin, les gens respectés par tous, mais ensuite donnant de l'aversion à tous. Baïsseit importé, brusque clamer toujours ouvertement son indignation de la conduite indigne de n'importe quelle personne, ne cachait jamais son antipathie.
Une fois Viazov engagea une conversation perfide avec deux camarades dans un coin de la cellule de prison. Dans la cellule il y avait approximativement vingt personnes et tous n'aimaient pas Viazov. Il n'y avait pas de lits de planches, c'est pourquoi nous étions assis sur le plancher en pierre, en nous accoudant sur les fourre-touts bondées du foin. Baïsseit était assis dans un coin opposé et jetait les regards sur Viazov.
- De qoui bavarde-t-il là? - s'indignait Baïsseit. – Quelles sornettes conte-t-il là?
Viazov continuait à parler.
- Viazov, viens ici! - Baïsseit ne put plus le supporter.
- Qu'y a-t-il? - Viazov répondit.
Baïsseit le regarda en face et s'exclama:
- Pourquoi es-tu si imbécile?! Viazov, certes, entra en fureur.
- Qu’est-ce que tu as dit, répète!!
Il commença à presser Baïsseit de questions, mais celui-là ne se tourna plus vers lui et se coucha sur le sac.
Nous observions les caractères de l’un et de l’autre dans cet accrochage court. Il est très important de rester digne dans les moments difficiles!
Les camarades, comme Kattchenko, Oleinikov, Bogomolov, Monin, Chafran, Piankovskii, Trofimov, Griaznov, Martlogo, Kremenskii, Afanassev, le mari et la femme Petrokeevs et certains d’autres se firent connaître comme les vrais défenseurs de la classe ouvrière et bolcheviks honnêtes.
Plusieurs camarades des Kazakhs et des Tatars restèrent jusqu'à la fin honnêtes et forts. Je ne remarquai pas de "zigzags" dans leur comportement.
Pas beaucoup de gens marchèrent sans trébuchér sur le chemin épineux jusqu'à la fin. On pouvait bien des fois même tomber, s'étant perdu sur la voie difficile. Plusieurs camarades dans la situation complexe se sont trouvèrent parmis les personnes peu recommandables[91].
On ne peut pas se confier facilement à quelqu'un qui s’attribue fièrement des qualités quelconques, s'il n'a pas subi des épreuves. Toutes tes qualités seront se dévoilées quand tu seras sur le sentier de la guerre avec les ennemis, ayant décidé fermement de mourir ou de vaincre... Seulement t'étant trouvé aux mains tenaces de l'ennemi, t'étant trouvé en prison, mis aux fers, tu comprendras ta nature, tu verras quel djiguite tu es!
On ne peut pas avoir l’opinion définitive de soi-même dans la vie calme et de paix sans être éprouvé dans le bon combat.
"La bataille découvre un batyr, et la discussion découvre un péroreur", - la sagesse populaire dit.
... On commença à envoyer les camarades de la cellule récolter des choux et des pommes de terre sur l'économie auxiliaire de la prison.
Les potagers se trouvaient à la périphérie de la ville, au bord d'Ichim. Ce temps-là les proches parents des prisonniers commencèrent à les attendre près des potagers de prison. Notre lien avec le monde s'améliora.
Mais on amenait au travail principalement les prisonniers, qui donnaient le pot-de-vin ou plaisaient au chef de la prison par leur comportement paisible. On envoyait au travail, certes, ceux qui n’avaient pas les fers aux pieds. Peu à peu le tour des gens aux fers arriva aussi. Ayant retiré les fers, ont amena Khoussaïn, après lui Baïsseit, et ensuite Zhoumabaï. Les Russes furent aussi aux potagers, c’étaient Botchok, Viazov, Pavlov, Trofimov, Oleinikov, Kremenskii, Piankovskii et les autres. Ils se trouvaient bien, ils se rencontraient avec leurs proches.
À cette époque-là à Akmolinsk il y eut l'épidémie de choléra. On nous communiqua que le père de Baïsseit fut tombé malade. Baïsseit réussit à venir au potager. Il donna un grand pot-de-vin au chef de l'escorte et celui-là le laissa partir à la maison avec un surveillant. Ce jour-là Baïsseit ne revint pas à la cellule de prison.
Au point du jour je me levai du sac et commençai à regarder dans la cour, en me tenant au barreau. Voilà Baïsseit en compagnie du surveillant passa le quart. Étant entré dans la cellule, il s'approcha de moi et s'appuya d'un air sombre contre le mur.
- Saken... Mon père est décédé... - il prononça d’une voix à peine audible et pleura tout doucement.
Les larmes coulèrent de mes yeux aussi. Le coeur endurci s'amollit en un clin d'oeil, les larmes vinrent involontairement.
Khoussaïn avant tous "se lia d'amitié" avec le chef de l'escorte. Parfois il même restait coucher sur le potager. Une fois il réussit à régaler Serbov avec le commandant d'armes. Nos destins se trouvaient en mains de ces gens, c'est pourquoi juste dans trois jours après la régalade Khoussaïn fut libéré.
Khoussaïn et Baïsseit tellement inspirèrent confiance au chef de la prison qu'on commença à envoyer à leur demande aux potagers Zhoumabaï et ensuite Abdoulla. Étant venu au potager, les prisonniers tâchaient par tous les moyens de présenter au chef de la prison le pot-de-vin plus grand. Nos proches passaient aussi les pots-de-vin. En revenant vers le soir à la prison, les camarades pouvaient déjà faire la supposition, à qui encore il serait permis d’aller aus potagers. Les nouveau-venus furent déferrés d'avance.
Le jour vint quand je fus déferré aussi. Étant descendu dans la rue, je me sentis un faucon rendu libre. Ça me faisait drôle de voir les gens libres, la liberté fut quelque chose de nouveau. Ayant vu les gens sans escorte, je sentis, comme je venais de voir le jour seulement ce moment-là. J’eus la sensation que la ville occupée de ses soins m’était inconnue. On nous chassa au potager en passant la périphérie. Il y était un jour d'automne, serein et chaud. Je voulais embrasser la terre, le ciel, l'air, les arbres, l'herbe, la rivière, bref tout.
Les potagers furent étendus le long d'Ichim. Les feuilles des arbres furent encore vertes, mais sur les peupliers elles devinrent déjà jaunes clairs, comme la tête blanchissant du vieillard. Il était chaud, le jardin fut plein de soleil. On dirait que le vent léger faisait le feuillage danser.
Derrière les potagers, étant montés sur un monticule, nous vîmes la steppe sans bornes fusionnant avec l'horizon bleu clair. Nous reprenions vie avec chaque inspiration, avec chaque minute. Trois mois d'été nous restâmes aux fers en prison puante et ce moment-là, en prenant un bol d'air, chacun sentait une langueur agréable, humait avidement l'air parfumé, comme voulant s'en assouvir et encore s’en approvisionner. Nous buvions de l'air, comme du koumys enivrant.
À côte de nous Ichim coulait. Nous prîmes les pelles, les ketmens et nous nous mîmes au travail ayant retroussé les manches...
Les potagers furent gardés par les surveillant de prison.
Nous regardions longtemps la steppe, nous tournions nos faces dans la direction des aouls nataux. Où qu’on jetât un coup d'oeil, on vit partout les gens libres et c’était étonnant et étrange pour le prisonnier. Ils allaient quelque part à la hâte, s'empressaient, s’occupaient de quelque chose. Je vis un Kazakh très semblable à celui qui avait marché devant les fenêtres de la prison, ayant chargé son chariot du fumier séché. Je vis les Kazakhs à cheval, vis les gens partant à toute vitesse des aouls sur les chariots. Je pensai involontairement que l’homme ne pourrait pas apprécier la liberté vraiment et complètement, n'ayant pas vu la prison!
Je me trouvais longtemps debout au bout du potager sur une élévation et regardais fixement au sud, dans la direction de l'aoul natal. Je rêvais. Si j’échapperais de la prison, me cacherais en steppe infinie... Si je partirais au chameau pour les lointains inconnus avec ces Kazakhs inconnus. Ou si non au chameau, sur le chariot donc attelé de bœufs. Venir dans mon aoul...
L'air frais fit le sang monter au visage pâles et flétris des prisonniers. Les ombres de la souffrance cachés sous les yeux de chaque prisonnier disparurent, une lueur d'espérance s'alluma dans leurs yeux.
Peu après les parents et les amis des détenus vinrent. Mon père vint aussi.
Le travail sur le potager fut pour les prisonniers le paradis. Ayant arraché des pommes de terre nous les nettoyions, puis coupions en petits morceaux les herbes différentes[92], ajoutions de la viande et faisaient une soupe dans le seau.
La viande cuite au grand air libre nous semblait le plus bon dans le monde.
Le bonheur de visiter le potager ne fit pas quotidien. On y travaillait par équipes successives, le tour venait chaque trois ou quatre jours.
Une fois de on nous amena sous l'escorte au bain. Il y avait beaucoup de gens autour de nous tout au long de notre chemin. Je vis mon père près des portes du bain, je le saluai et nous échangeâmes vite des nouvelles. Tout de suite mon père me dit au revoir, ayant dit qu’il revenait à l'aoul.
En travaillant sur le potager, nous recevions des nouvelles sur l'activité des gardes-blancs qui accédèrent au pouvoir. Le peuple sympathisait avec nous. Les surveillants furent tranquilles à cette époque-là. Ils ne chassaient pas les étrangers, faisaient semblant de ne pas remarquer rien de répréhensible. Les gens nous serraient énergiquement les mains, certains nous saluaient franchement de loin.
Des possédé, qui avaient dressé la tête au jour de l'insurrection des cosaques, au jour de la défaite du conseil des députés, se temps-là se ravisèrent et semblaient se tranquilliser. Ayant appris les coups de pied et les fouets blancs à leurs dépens, ces hommes légers commencèrent à se souvenir de conseil des députés...
À Akmolinsk les autorités de district d’Alach-Orda parurent. Près du pouvoir se trouvèrent les membres de la commission d'enquête qui avait interrogé les bolcheviks: le mollah Manten, le mercanti Tachti, le chef de voloste Olzhabaï, le scribe Tolebaï Nouraline, le médecin Tousip. Les chefs de voloste, les marchands, les mollahs perdirent toute honte et l'honneur, mais néanmoins, en se nommant les membres de l’Alach-Orda ils se dressaient sur leurs ergots comme les coqs rendu totalement fous d'excitation. Ils se moquaient des mots sur la liberté de la femme, sur l'égalité des pauvres.
Un jour près de vingt prisonniers revenaient des potagers à la prison. Comme toujours, ils furent suivis et entourés de deux côtés par les hommes d'escorte armés. Ils marchaient en colonne par deux. En passant à Slobodka, nous vîmes une femme kazakhe à côté d'une petite masure minable. Elle fut très pâle et sourcillée. On voyait qu’un chagrin grave déchirait son âme.
Dans notre groupe il y eut trois Kazakhs. Quand nous passions devant elle, cette femme en nous regardant serra les mains contre le coeur, inclina la tête avec un grand respect, nous salua du fond de l'âme. Le visage triste de cette femme kazakhe se grava dans ma mémoire... Il n'y avait aucun doute que cette femme se persuadée personnellement du bon droit de notre affaire.
Nous fûmes toujours amenés au potager. Tous étaient tourmentés par le désir de la liberté, surtout les djiguits kazakhs. Nous avec Baïsseit commençames à rêver de l'évasion. Avant de nous enfuire, nous décidâmes de trouver les vêtements kazakhs pour remplacer les vêtements de prison visibles de très loin, ainsi que notifier nos parents et nos amis les plus fidèles de temps et de conditions de l'évasion.
La hutte d'un Kazakh se trouvait à vingt pas du jardin où nous travaillions. Le fils du maître Aïtzhan fut lié d’amitié avec nous, fut membre de "Zhas Kazakh". Le plan de notre évasion prévit qu’on eût derrière cette maison des chevaux de selle attelés. Au moment, quand les surveillants badauderaient, nous y parcourrions vite par le terrain bas, nous sellerions les chevaux et autant en emporte le vent. Et nos parents nous aidant à nous enfuire devraient avant ce moment-là revenir aux aouls pour ne pas s'attirer les soupçons.
Quand nous avec Baïsseit dîmes de notre plan aux camarades, Baken et Abdoulla ne furent pas d’accord avec nous.
Nous décidâmes fermement de nous évader à la première occasion.
Une fois les surveillants nous permirent de nous rencontrer avec deux djiguites sur le potager.
Les djiguites descendirent de chevaux, nous saluèrent, s'assirent avec nous. Le surveillant se trouvait à une certaine distance.
Dans un certain temps notre Khoussain apparut aussi à cheval, descendit de cheval et s'assit aussi avec de nous. Nous le pressâmes de questions. Khousseken nous raconta entre autres de sa libération ingénieuse et artificieuse de la prison. C’était comme ça.
En travaillant sur le potager, Khousseken entreprenant réussit à contenter le chef de la prison, capta sa confiance et "se lia d'amitié" avec lui. Une fois Khousseken avec la permission de l'"ami" mit la tente dans le potager et invita les chefs - les maîtres des destinées à Akmolinsk. Il apporta beacoup de koumys, de vodka, égorgea un mouton et empiffra ses invités: commandant d'armes, Serbov et chef de la prison. Khousseken lui-même cuisait le mouton, servait assidûment ses visiteurs honorables.
Ayant fait des libations et étant content, Serbov, le président de la commission de l'enquête et la répression des bolcheviks, ordonna à Khoussaïn, se trouvant debout humblement près de l'entrée de la tente:
- Hé, bolchevik, viens ici et bois avec nous!
- Merci, vous êtes très gentil!.. Khoussaïn a répondit. - Je suis content de vous rendre service. Mais je vous demanderais seulement de ne pas m’appeler bolchevik. Sinon vous m'offenserez beaucoup...
- Mais, est-ce que tu n’es pas bolchevik?! –Serbov et le commandant d'armes s’exclamèrent simultanément.
Khoussaïn donna l’explication ample et exhaustive:
- Je n'étais jamais le bolchevik, vous me tenez en vain en prison, j’y suis assis et je souffre...
Ainsi Khousseken commença à décrire éloquemment ses souffrances et à la fin il pleura habilement.
- Il faudrait vérifier soigneusement son affaire, - Serbov remarqua avec sympathie, mit Khoussaïn à côté de lui et lui donna de la vodka. Dans quelques minutes Serbov partit pour affaires. Le commandant d'armes et le chef de la prison restèrent. Khoussaïn les fit savoir qu’il savait interroger l’avenir à l’aide des koumalaks. Le Commandant d'armes se réjouit:
Vas-y, dis-moi la bonne aventure, qu’est-ce qui m'attend, - il demanda.
Khoussaïn tira instantanément de la poche ses koumalaks, enveloppé dans un torchon. Il mit le torchon sur la table, répandait les koumalaks sur lui et commença à balbutier à mi-voix:
- Votre destin est réussi. Le bonheur arrivera chez vous à l’improviste. Bientôt vous aurez l’avancement de grade... Vous vivrez longtemps et comme un coq en pâte...
Le commandant d'armes étant d’une gaieté folle demanda:
- Dis-moi la bonne aventure, est-ce qu’une femme m'aime?..
Et Khoussaïn savait bien que Serbov et le commandant d'armes courtisaient tous les deux une Lanchoukova, une belle femme bien connue dans la ville.
Khoussaïn, ayant baissé la tête, répandait avec attention les koumalaks, commença à couper avec les mains l'air au-dessus d’eux, comme si en chassant l'esprit immonde, et se mit à nasiller:
- Il n'y avait aucune femme dont vous ne plaisiez pas. Maintenant à Akmolinsk pas une mais plusieurs femmes rêvent de vous. Une belle femme aux cheveux châtains et aux yeux noirs vous aime particulièrement. Mais elle n'ose pas vous déclarer son amour, car elle est passionnément courtisée par un autre homme. Il même lui a fait une déclaration d'amour, mais ça lui laisse de glace...
Le commandant d'armes tapota Khoussaïn sur l'épaule et s'adressa au chef de la prison:
- Il se trouve, qu’il n’est pas le Kazakh stupide! À quoi bon sert de lui tenir en prison!
Dans deux ou trois jours après cette sorcellerie Khoussaïn fut libéré.
Donc, nous avec Baïsseit décidâmes de s'évader d'une prison. On trouvâmes les vêtements kazakhs. Mais au jour désigné pour l'évasion par absurde hasard je restai dans la cellule, et les prisonniers furent emmenés au potagers. J'attendais l’arrivée du soir avec impatience. Je pressentais quelque chose. Après le travail tous les camarades revinrent à la cellule. Baïsseit réussit à se sauver...
Les prisonniers se mirent peureusement en garde: qu’est-ce qu’il aurait après cela? Certains déversaient le blâme sur Baïsseit pour son évasion. Les autres trembler qu’il ne fût pas l'attrapé.
Le commandant d'armes Chakhim entra en fureur, sonna l'alarme dans la prison. Il venait d’arrivé en ville, remplaça celui à qui Khoussaïn conjecturait sur koumalaks.
Ce temps-là on cessa d’amener les prisonniers au travail. Le régime de prison devint encore plus sévère.
L'automne pluvieux commença à se tirer. On ne voyait pas la fin de notre séjour à la prison. Les gens commencèrent à venir des aouls pour intercéder auprès des fonctionnaires pour nous. Mais personne ne put aider, et nos intercesseurs partirent successivement.
Nous restions dans la prison sale puante. Parfois on nous passait les livres, les journaux. Nous les lisions, relisions, jouions aux dames.
Une fois nous apporta un colis sur un grand plat en bois: le mouton entier, et on dit qu'il fut envoyé par Kocherbaï. Au jour de la révolte il évita l'arrestation, prit la fuite. Et seulement ce jours-là put revenir en ville.
Dès qu’on nous dit qui envoya le colis, je m’approchai de la fenêtre donnant sur la rue, et je vis non loin Kocherbaï avec un djiguite roux au tymak[93] blanc d'astrakan. La garde fut montée non par un cosaque, mais pas un conscrit non-gradé. Il ne chassa Kocherbaï de la fenêtre. Nous tous nous approchions successivement au vasistas ouvert pour dire bonjour. Kocherbaï raconta à mi-voix des nouvelles:
- Soyez patients! Tout sera changé instantanément, à un jour. Il restait à attendre un peu de temps maintenant. Les affaires à toute la Russie en général vont bien. On peut dire que le matin déjà arrive. Nous attendons le lever du soleil. Il est déjà tout près, l'Heure est proche. Ménagez les forces! Avec l'aide de Dieu le soleil rouge montera! - Kocherbaï encourageait.
Dans deux jours à côté de la fenêtre son compagnon apparut, le djiguite roux au tymak blanc. Il nous salua et dit qu’on arrêta le président d’Alach-Orda d’Akmolinsk Zhoussip[94] Izbassarov, ainsi que les membres du comité d’Alach-Orda et le membre de commision d'enquête des affaires des bolcheviks le mollah Manten...
Nous voulions savoir la raison de leur arrestation, mais le djiguite ne savait rien clairement. "On dit, qu’ils ont été arrêtés parce qu’ils avaient collecté de l'argent des Kazakhs au profit de Alach-Orda..."
Le djiguite roux fut originaire du même voloste que moi. Il s’appelait Rakhimzhan Bopanbekov.
Dans quelques jours Rakhimzhan vint de nouveau près de la fenêtre et dit nous avoir passé les journaux par l’homme de garde, et il promit de venir encore.
Nous nous intéression à ce qui se passait en Sibérie après la dissolution du conseil des députés. Nous reçûmes les journaux russe et kazakh et les lisions et relisions avidement.
Après que les Tchécoslovaques occupèrent la Sibérie, Oufa et Samara chaque parti, étant sorti sur l'arène de la lutte politique et sociale, se mit à créer le gouvernement dans de différentes places. Les députés de l'assemblée constitutuante, en se soulevant à l'unanimité contre la révolution, créèrent leur propre gouvernement à Samara, ayant l’appelé comme le Comité des membres de l'Assemblée constituante (Komoutch), et entonnèrent la trompette que "nous sommes le seul gouvernement de toute la Russie". Certes, le gouvernement d'Omsk de garde-blanc ne se pas soumit pas à leur ordre en papier et notifia à son tour tous de ce qu'il était le "régent de toute la Sibérie" et avait l'intention de se rendre maître du comité de l'assemblée constitutuante à Samara.
Outre Omsk en Sibérie on organisa d'autres gouvernements, dont chacun agissait à son gré. L’Alach-Orda déclara aussi son pouvoir indépendant, mais il ne pouvait pas se rendre maître de tout le Kazakhstan à cause de sa division pour ce moment-là en deux parties: l’Alach-Orda occidental dans la province d'Oural et celui oriental à Semipalatinsk. Les meneurs étaient à l'ouest Zhakhancha Dosmoukhammetov, Khalel Dosmoukhammetov et le chef de voloste Salyk, et à l'est c’étaient Boukeikhanov, Ermekov, Gapbassov et Tynychpaev venu de Kokand.
Il y eut encore l’Alach-Orda de Tourgay présidé par Akhmet Baïtourssounov, Doulatov, Espoulov, ainsi que Kenzhin et Karatleouov qui sont arrivés d'Ouralsk. L’Alach-Orda de Tourgay était considéré comme une branche de l’Alach-Orda de Semipalatinsk. Tous ces trois gouvernements agissant de façon indépendante contraient la révolution. Ils créaient les détachements armés, leur propre milice. Sans être en arrière des les cosaques, ils collectaient des aouls les "impôts". Leurs sabres scintillaient aussi sur les têtes des Kazakhs ouvrier civils...
Quelque beaucoup que les gens d’Alach-Orda tâchassent d'élargir leur influence, quelque souvent qu’ils brandissent les sabres et les fouets, en tout cas leur pouvoir restait dans les limites de Semipalatinsk, Tourgay, Ouralsk et Zhympity. L’Alach-Orda d’Akmolinsk fut tout à fait impuissante de faire quelque chose. Les Kazakhs locaux ne voulurent pas devenir ses soldats.
Bref, après la dissolution du conseil des députés en Sibérie les gardes-blancs russes organisèrent quelques gouvernements. Et l’Alach-Orda dépareillé kazakh bien qu’il se déclarât indépendant, néanmoins, se soumettait au gouvernement sibérien à Omsk et en même temps au comité de l'assemblée constitutante à Samara.
Comme j'ai dit déjà, l’Alach-Orda n'avait pas la sympathie du peuple, surtout dans la province d’Akmolinsk. Les Kazakhs d’Akmolinsk ne payaient pas les impôts-tributs et n’envoyaient pas les gens au service militaire. Le soutien et la reconnaissance de l’Alach-Orda à Akmolinsk rappelaient le jeu "Khan zhaksy ma?"[95].
Les révoltés (les gardes-blancs et les Tchécoslovaquedes la Sibérie occidentale) portèrent le coup formidable en premier lieu dans les régions de Tchéliabinsk et d’Akmolinsk. L'insurrection fut soulevée d'abord à Tchéliabinsk, puis à Petropavlovsk, à Koktchetav, à Akmolinsk et à Omsk.
Pour la gestion d'affaires de la région d’Akmolinsk à Omsk on créa le gouvernement régional d’Alach-Orda. Ses membres furent: Aïdarkhan Tourlybaev, juriste l'avocat; Migach (Migadatcha) Ablaïkhanov, descendant du khan, officier de l'armée royale; Assylbek Seitov, médecin; Mousylmanbek Seitov, interprète; Erezhep Itpaev, interprète de l’ancien tribunal d'arrondissement; Magzhan Zhoumabaev, intellectuel, fils de chef de voloste; Moukhtar Samatov, intellectuel, fils d’un pauvre croyant les faibles de Boukeikhanov; Smagoul Sadvokassov, élève; Assygat Saïdalin, élève; Kochke (Kochmoukhammet) Kamenguerov, élève; Mouratbek Seitov, élève. Les derniers cinq membres du gouvernement faisaient le noyau dirigeant de l'organisation de jeunesse "Birlik" à Omsk.
On commença à créer partout des administrations provinciales d’Alach-Orda. Elles furent toutes approuvées à Semipalatinsk par la signature personelle de Boukeikhanov. Les noms des membres du gouvernement étaient publiés dans le journal "Sary-Arka". On pouvait y apprendre que le poste du président de l’Alach-Orda de district de Kokchetav serait occupé par le hadzhi et le mollah Salim Kachimov, qui auparavant avait été si honteusement caractérisé par Myrzhakip aux pages du "Kazakh". D’après ce qu’il disait, le mollah Salim n'était pas du tout meilleur que Kolbaï Togousov. Plus tard à l'Alach-Orda de la région d’Akmolinsk entra Abdrakhman Baïdildin.
Les chefs du parti contre-révolutionnaire des socialistes-révolutionnaires, les membres du comité de l'assemblée constituante à Samara annonèrent la tenue de la conférence d'État à Tchéliabinsk. Pour la participation à la conférence vinrent les meneurs de l’Alach-Orda central Alikhan Boukeikhanov et Alimkhan Ermekov.
Chemin faisant ils s’arrêtèrent à Omsk, emmenèrent avec eux le président d’Alach-Orda d’Akmolinsk Aïdarkhan Tourlybaev et le secrétaire Abdrakhmana Baïdildina, après quoi Alikhan, Aïdarkhan, Alimkhan et Abdrakhman arrivèrent triomphant à Tchéliabinsk. Mais comme la conférence d'État fut remise à un autre jour, ils allèrent à Samara pour rendre visite au comité de l'assemblée constituante et obtenir son aide.
Les "khans" s’arrêtèrent dans la chambre d'hôtel confortable. Ils furent joints par les membres d’Alach-Orda occidental Zh.Dosmoukhammetov, Kh. Dosmoukhammetov, Valitkhan Tanachev et Moustafa Tchokaev qui vint de Tourkestana, de son "frérot" - le voleur Erguech. Les négociations, principalement saouleries, duraient jour et nuit.
Les régents y vinrent les poches non vides, et en plus ils reçurent encore deux millions de roubles du comité de l'assemblée constituante. Les restaurants les plus réputés de Samara furent à leur disposition du matin au matin. Les conférences d’Alach-Orda passaient dans les salles confortables des meilleurs restaurants. Les bouteilles se pavanaient sur les tables, comme les détachements à cheval rangés. L'enthousiasme des khans correspondait à la quantité des bouteilles s'entassées sur les tables. Les questions étaient décidées sous accompagnement du tonnerre des bouchons sortant. Les décisions étaient scellées avec les fonds des bouteilles. À tout propos les khans maudissaient avant tout les bolcheviks kazakhs.
L’Alach-Orda reçut du comité de l'assemblée constituante de Samara l'équipement complet pour une troupe de trois mille et beaucoup d'arme. En outre l’Alach-Orda occidental reçut séparément deux mille les fusils, trente sept mitrailleuses, deux canons et deux automobiles.
Mais peu après Samara fut occupé par les bolcheviks. La conférence d'État s'ouvrit à Oufa. La conférence fut présidée par les chefs du parti des socialistes-révolutionnaires Avksentev, Tchernov, Zinzinov, Oulskii et par les ennemis de la révolution - les chefs cosaques-sangsues Ivanov et Doutov. Les représentant de l’Alach-Orda furent Tchokaev et Alikhan. Les contre-révolutionnaires se réunirent comme une bande de corbeaux réunis pour manger la charogne, et après de longues logomachies on élut le gouvernement, l’ayant nommé l’Autorité suprême de toute la Russie - le Directoire. Dans la composition du gouvernement entrèrent Avksentev, Zinzinov, de la part de l’Alach-Orda: Tchokaev et les autres.
S’étant pris pour le seigneurs omnipotents, ils déclarèrent leur gouvernement. Mais les "régents" sibériens, en premier lieu le gouvernement d'Omsk, ne se soumirent pas au pouvoir "suprême". Les gardes-blancs roublards se battirent pour les postes.
L'Armée rouge, ayant occupé Samara, s'approchait d'Oufa. Madame le Directoire fut obligée de déménager à Omsk. En Sibérie à cette époque-là il y avait tels gouvernement agissant indépendamment: le gouvernement d'Omsk, le gouvernement d'Amour, le gouvernement sibérien oriental, le gouvernement extrême-oriental et une série d'autres.
L’Alach-Orda de Semipalatinsk ne pouvant pas diriger indépendamment sa province, tâchait de prendre appui sur le pouvoir du gouvernement d'Omsk – de l'"armée d’Alach", qui fut envoyée avec les troupes du gouvernement d'Omsk au front de Semiretchensk pour lutter contre les bolcheviks. Le but principal d’Alach-Orda fut la lutte acharnée contre les bolcheviks et le pouvoir soviétique.
L’Alach-Orda de Semipalatinsk mit en prison Nourgalii Koulzhanova, l'ayant accusé de ce qu'il était membre du conseil des députés et bolchevik. Ils allumaient volontairement l’haine héréditaire, participaient aux litiges pour la poste de l'intendant de voloste dans les aouls. La plupart des meneurs de Semipalatinsk furent originaire de la génération de Tobykty, une des branches de la grande génération d'Arguyn. Le cas suivant caractérise l'activité d’Alach-Orda à cette époque-là.
Au district de Semipalatinsk vivaient deux représentants aisés, notables de la génération de Tobykty: Mousataï et Ike.
Ils étaient en mauvais termes, en disputant la première place. En utilisant habilement le groupement de clan, ils acharnaient les parents contre l'ennemi, écrivaient les dénonciations l’un sur l'autre. Ils transférèrent la bataille de la steppes à la ville. Ike finalement vainquit, parce que l’un des meneurs de Semipalatinsk Alach-Orda se trouva son parent.
Moussataï commença à chercher un point d'appui au conseil des députés et passa ainsi aux bolcheviks, qui le soutinrent. Cela se passa à la fin de 1917. Et au début de 1918 après la dissolution du conseil des députés le pouvoir d’Alach-Orda se renforça, et il poursuivait Moussataï déjà comme le bolchevik passionné. Les écrivailleurs d’Alach-Orda dépeignirent dans les journaux Moussataï comme un socialiste, c'est pourquoi, de leur point de vue, il était gredin, trompeur etc.
Comment Moussataï pouvait savoir de socialisme, s’il n'en pas rient entendit. Moussataï fut tout simplement en mauvais rapports avec Ike, protégé pas les membres d’Alach-Orda. Et comme le conseil des députés luttait avec l'Alach-Orda, Moussataï devint "bolchevik". Boukeikhanov signa l'ordre:"Retenir l'aventurier Moussataï!". En fin de compte on mit Moussataï en prison.
Voici de quelles petites affaires s'occupait le gouvernement central de Semipalatinsk. À cause de tels petits litiges patrimoniaux le peuple appelait un temps le gouvernement d’Alach-Orda et le zemstvo à Semipalatinsk comme l'Alach-Orda de Tobykty et le zemstvo de Tobykty.
L’Alach-Orda poursuivait surtout les Kazakhs bolcheviks, les supporteurs du conseil des députés. Les actions des gens d’Alach-Orda ne se distinguaient de rien des actions des anciens chefs de voloste, des ichans, des fonctionnaires de district tsaristes.
ÉPOQUE DE KOLCHAK
Les gens de Kolchak rôdaient dans la steppe et dans la ville pire que les loups mis en fureur. Il semblait qu’il n’y avait pas sur la terre le coin non visité par ces monstres, qu’il n'y avait pas aucune personne, qui évita leurs tortures.
Le peuple fut saisi de panique et de peur.
Les gens innocents furent fouettés, gémissent étant battus par les bandits.
Ceux qu’on soupçonnait d’être bolcheviks étaient jettés sans forme de procès en prisons.
Les moujiks étaient envoyés au service militaire. Et ceux qui tâchait d’en éluder, étaient battus avec les verges, mis en prison
Le chef de la prison et les surveillants, avec les officiers féroces faisait irruption dans les cellules de prison. Ils battaient les prisonniers sans aucun prétexte.
Là, où le pouvoir soviétique fut renversé, il y avait des adulateurs menus locaux imitant les officiers de garde-blanc passés toutes les bornes.
Et si dans un journal il y avait à cause d’inattention les mots "la classe ouvrière", "le peuple simple", "la liberté", on était prêt à remplir les bouches des tels éditeurs avec du sable.
Les journaux d’Alach-Orda frétillaient de la queue devant les gardes-blancs et parlaient beaucoup sur la propreté d'Alach, sur l'expulsion de lui des Kazakhs, qui dans quelque mesure tâchaient de soutenir les bolcheviks "lâches".
"Et si quelqu’un des Kazakhs osera devenir bolchevik, celui-là sera fusillé sur place", - les journaux menaçaient.
Les meneurs d’Alach-Orda de district frappèrent la population d’Akmolinsk d’un impôt et demandaient le paiement immédiat. Les gardes-blancs connaissaient bien notre antagonisme avec les membres d’Alach-Orda. Ils manifestèrent "le soin amical", ayant placé chez nous pour trois mois le mollah Manten et Toussip Izbassarov.
Une fois dans notre cellule le chef de prison Rostov entra et dit avec un sourire:
- Aujourd'hui un otagassy[96] viendra chez vous. Les jeunes djiguites ont besoin d’une telle personne! Donc nous avons décidé de placer Manten chez vous!
Je répondis avec un sourire:
- Merci!
- Nous n’avons pas besoin de ce ventru. Trouvez une autre place pour lui, - Zhoumabaï ajouta froidement.
- Bon, Nourkin, qu’il vous tienne compagnie! Vous le régalerez bien! - Rostov fit un clin d'oeil et sortit.
Le jour baissait. Il devint tout à fait sombre dans la prison. Parfois dans notre cellule on allumait une bougie, mais on ne la pas encore apporta.
Les voix atténuées venaient des cellules voisines. Parfois les surveillants passaient dans un long couloir, en faisant cliqueter ses clés. Nous échangions quelques mots en chuchotant.
M'étant levé tout doucement de ma place, je regardais par la fenêtre.
C’était tout blanc autour de la prison. Et seulement les nuages sombres apparaissait au loin, surplombant la terre, comme s’ils voulaient l’écraser. Il neigeait, les flocons de neige furent minuscules. L’air venant de l'obscurité fut d’un froid glacial. On ne voit nulle part le feu, et seulement la terre couverte de neige s'éclaircissait comme un tapis blanc.
Il était plus sombre dans la cellule que la nuit était.
Le seul petit vasistas fut ouvert tout le temps. L'air frais vanait de la rue à la cellule, en chassant faiblement la puanteur.
De la chambre voisine le chant de deux femmes venait. Il paraît que ce n’était pas le chant, mais les pleurs. Il eut tant de chagrin et de souffrance...
Dans un certain temps le chef de prison entra dans notre cellule sombre avec les surveillants et amena le Kazakh ventru. Sans s'écarter de la porte, le chef de prison prononça gaiement:
- Voici l’otygassy promis, faites-lui un accueil honorable! – il sortit.
L’otygassy nouveau venu, en tenant en main quelque chose, s'adressa à nous:
- Assalamou aleikoum!
Ayant mis son linge de lit sur le lit de planches, il se dépêcha vers nous les mains tendues pour salutation. Quand il tendit les mains à Zhoumabaï, celui-là s'exclama:
- Arrière, le chien! Quel regard effronté! Et il tend encore les mains, le gredin! Va-t-en! Il n’y a pas de pour toi parmis nous! - et Zhoumabaï jeta son linge de lit à terre. Manten recula timidement, en regardant autour de soi.
- Que dites-vous, mes chers amis, - il balbutia et s'assit.
- Cesse, Zhoumabaï! Ce n’est pas la place de venger au mollah. Ne le touche pas, - on commença à persuader Zhoumabaï en riant.
Manten fut permis de lever son linge de lit sur le lit de planches. On le salua généreusement et commença à lui demander des nouvelles.
Manten tâcha d'abdiquer tout de suite ses relations avec les gens d’Alach-Orda. Il nous raconta que le président du comité de district d’Alach-Orda Toussip Izbassarov fut détenu aussi, mais ce moment-là il se trouve dans l'hôpital de prison.
Le lendemain matin Toussip s'approché de notre porte et nous salua.
- Bienvenus, Tousseke! - nous répondîmes à haute voix, sans cacher l'ironie. - Nous vous félicitons de la rémunération digne, que vous avez reçu de vos amis politiques. Ne t'en faites pas pas, tout va passer! On dit, quand le tulpar[97] rue, ses sabots ne lui font pas du mal.
Toussip ne fut pas plein d'esprit et murmuré à sa justification:
- À quoi bon se souvenir du passé?
La chambre d'hôpital de prison, où on plaça Toussip, ne s’était pas fermée, et le malade eut la possibilité nous parler chaque jour, quand on nous amena pour nous promener quinze minutes. En outre il nous parlait à travers le voltchok de surveillant.
Les autres furent d'habitude punis pour les hardiesses pareilles. On ne touchait pas Toussip.
Les bolcheviks détenus russes ne connaissaient presque pas Toussip, mais le mollah Manten fut très bien connu par tous, parce qu'il était membre de la commission d'enquête sur les affaires des bolcheviks. À l'interrogatoire il était assis rempli de soi-même, ayant pris un air digne, c'est pourquoi il se grava dans la mémoire. Les détenus russes d'autres chambres, après avoir appris qu’on avait arrêté Manten, avaient hâte de le voir dans l’état de prisonnier.
Tous les matins, en sortant de leurs cellules, ils s'approchaient de notre voltchok et tâchaient d’y jeter un coup d'oeil pour voir le mollah et à ce sujet se réjouir de malheur d'autrui.
Dans quelques jours le chef de prison Rostov vint de nouveau à notre cellule.
- Eh bien, comment ça se passe? Est-ce que vous avez fait Manten votre otagassy? - il s'adressa à nous et, en faisant un clin d'oeil de l'oeil à Zhoumabaï, il ajouta:- Accordez-lui la faveur, respectez-le! – et il sortit.
D’abord je ne compris pas le chef, mais ensuite je réussi à comprendre qu'il se moquait, nous mettait en caisse.
Une fois la première cellule fut amenée pour promenade. En passant devant notre porte, un des bolcheviks injuria Manten.
- Pourquoi cette face de rat est assise chez vous sans être punie? Envoyez-le chez nous! Nous lui rendons justice! - il menaça.
Manten paniqua.
А le lendemain on le mit à la cellule où Makalkin était assis. Et dès que Manten franchit-il le seuil, Makalkin se leva d'un saut, lui défonça comme il fallut les côtes et le mis sous le lit de planches.
Le lendemain, n'ayant pas subi les tortures de Makalkin, Manten pendant la promenade s'arrêta à côté notre chambre.
- Mes chers, je ne peux plus le supporter! Calmez ce Makalkin! Saké, aide me, s'il vous plaît, tranquillise-le! - il demanda.
Quand on nous sortit, je m’approchai à la porte, où Makalkin se trouva, et l'appelai:
- Ne touche plus Mantena, il lui suffit!
Pendant la promenade Tousip s'arrêta à côté de nous.
- Comment pensez-vous qu'est-ce qu’on va faire avec moi? - il commença à scruter peureusement.
- D'où le savons-nous? C’était tes camarades d'hier qui t’ont mis en prison, ils le savons mieux, - nous répondâmes.
- Mais qu'est-ce qu’on va tout de même faire avec moi? - il continua.
Voilà quelques mois que nous étions en prison, aux fers. Chaque jour nous attendions la mort.
Mais Toussip, cette caboche stupide, ne pensait pas du tout à notre sort. Cela lui fut égal! Il s'est trouva en prison par hasard, quand ses amis y jetaient tous sans choisir et on l’y mit d'un revers de la main pour trois mois. Et voilà il ne crainait que pour sa peau, faisant chier tous: "qu'est-ce qu’on va faire avec moi?.."
En voilà les gens d’Alach-Orda! Comment habilement ils pouvaient faire les impuissants, les pauvres diables!
Un jour nous fûmes assis dans la cellule et nous entendîmes de nouveau Toussip demander quelqu'un de s'approcher de lui.
- Qu’est-ce qu’il y a? - Zhoumabaï répondit.
Zhoumabaï, s'étant fâché pour tout de bon, coupa:
- On va te fusiller! Parce qu’on vous trouva tous plus dangereux, que les bolcheviks!
Toussip recula saisi par la peur.
Moi, Abdoulla et Beken nous éclatâmes de rire. Voilà comment nous nous rencontrâmes dans la prison avec certains membres d’Alach-Orda.
On ne les y tint pas longtemps et dans peu de temps ils furent rendu libres. Comme on dit, les loups ne se mangent pas entre eux.
А nous restâmes.
Une fois nous apprîmes Serbov prendrait le relais de Rostov à poste du chef de prison. Serbov fut monarchiste et le despote jusqu'à la moelle des os.
Il fit les cellules et dénonça que l'amiral Kolchak devint le seul maître de la Russie.
Serbov passa pour une terreur des prisonniers.
Une fois il entra dans notre cellule avec les surveillants et commença de nouveau:
- C’est l'amiral Kolchak qui est devenu le régent de la Sibérie, même plus, le dictateur de toute la Russie! Le pays est en état de guerre. Désormais chaque prisonnier, qui violera l'ordre de prison, sera fusillé sans prévention. C’est clair?
C’était plus que clair! Notre situation s'aggrava encore plus. Ayant usurpé le pouvoir, Kolchak chassa les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires.
Les monarchistes n'acceptaient pas les membres du Directoire, les anciens meneurs du parti des socialistes-révolutionnaires: Tchernov, Avksentev, Zinzinov, Oulsky, c'est pourquoi ils tâchèrent de les chasser. Un des activistes des socialistes-révolutionnaires en Sibérie était l'écrivain d'Omsk Novosselov, membre du gouvernement
de Kerensky. Il était fusillé par les bourreaux de Kolchak en plein jour à Omsk.
Beaucoup de socialistes-révolutionnaires mécontents d’un nouveau pouvoir furent mis en prison par les menchéviks. Même ceux qui tâchaient en leur temps de soutenir Kolchak, furent chassés.
Les monarchistes devinrent les maîtres de la situation.
Le peuple fuyait Kolchak comme le diable l'eau bénite.
Il fut entouré par beys, qui avaient trempé les mains dans le sang des ouvriers et des paysans, par les généraux, les popes à tignasse, les mollahs et les muftis, les capitalistes étrangers. Nos membres d’Alach-Orda furent assis, en mâchonnant le nassybaï[98], à côté de la porte, plus proche des gens de maison. C’était seulement le commissaire de police de Nikolaï qui leur était inférieur...
Les coalitions s'achevaient par l'hymne "Dieu, protège le tsar!" et étaient couronnés par la ribote.
Les ordres de Kolchak étaient appuyés avec les fouets.
Une fois on m’appela au secrétariat de prison, qui servait à Serbov simultanément l'appartement. Pendant qu’il m’interrogeait pour quoi j'avais pris autrefois à la bibliothèque d'école le dictionnaire, j'examinais la pièce.
Au-dessus du lit pendait le portrait du tsar Nikolaï. Au-dessous de lui se trouvaient en sautoir une carabine et un sabre au fourreau décoré d'argent. Encore plus bas se trouvait le texte complet de l’Hymne des tsars sur la toile blanche.
Les gens de Kolchak débridés forçaient le trait, ne cachaient pas du tout leurs intentions.
Une fois au minuit on entendit le tintement des clés et le craquement des portes ouvertes! Nous prêtâmes l'oreille...
Quelqu’un prononça à haute voix:
- Le matelot Avdeev, lève-toi!
Il fut facile de comprendre que c’était Serbov. Quelque voix inconnue lui faisait écho.
- À genoux! - Serbov gronda.
- Et si je ne me lève pas, alors quoi? - nous entendîmes la voix d'Avdeev.
- Agenouille-toi et dis la prière à la santé du tsar! - Serbov ordonna.
- Non, je ne me mettrai pas à genoux et je ne dirai pas la prière! - Avdeev répondit d'une voix de basse.
- Tu la diras, le chien! Je te ferrai le faire!
Les surveillants se mirent à hurler, en fouettant Avdeev.
- Le vrai combattant ne bat pas le prisonnier, il le fusille! - Avdeev reprocha.
- Tais-toi, le gredin, chante la prière, on te dit! – Serbov dit plus furieusement, en le fouettant.
- Tue-moi, mais je ne chanterai pas l’Hymne des tsars, j'ai une chanson - "l'Internationale", - Avdeev tenait ferme.
On battaient encore longtemps le matelot courageux, mais il ne céda pas, ne s’agenouilla pas devant l'ennemi.
En jurant et en maudissant les bolcheviks, les "héros" de Kolchak ouvrirent avec fracas la porte suivante. La même chose se répéta et avec Pavlov.
- Hé, cher ami, mets-toi à genoux et prie pour notre petit père tsar! - les despotes se mirent à hurler. On entendit les cris, les coups, les jurons...
- Chante!
Pavlov ne put pas supporter les coups et céda, il commença à chanter d'une voix lamentable "Dieu, protège le tsar!" C'était pas notre Pavlov, mais celui qui accourut là-bas de Tourkestana devant la révolte.
Les prisonniers écoutaient son chant avec dépit et avec chagrin et maudissaient leur confrère peureux. А les bandits se tenaient au garde-à-vous, la main à la visière solennellement, en faisant le salut militaire au tsar et en se payant la gueule de prisonniers.
Mais ce moment-là Pavlov finit de chanter, et les bandits l'entourèrent de nouveau:
- Le chien peureux! Tu rendais les ordres de fusiller tous, qui en quinze minutes ne put pas remplir ta volonté! Tu te sentais le héros, toi, le gredin! Et maintenant, comme le dernier chien, tu as peur! - ils hurlaient, en continuant à battre Pavlov.
Les gémissements de Pavlov devinrent les plus en plus rares et enfin devint à peine audibles.
Les monstres revinrent de nouveau à la cellule d’Avdeev:
- Bravo, Avdeev! Bien que tu sois notre ennemi! Tu es un vrais homme! C'est bien la peine de nous battre avec toi! Et Pavlov est un salopard léchant les bottes! - ils disaient.
Serbov se mit à hurler brusquement:
- Avdeev était le chef de l'état-major des bolcheviks! Il se montra très courageux, quand nous avons entouré le conseil des députés et nous sommes dirigés vers l'état-major. Avdeev ne nous a pas laissé nous approcher, en menaçant d’une grenade, Il a amené au combat contre nous les deux soldats de l'Armée rouge! Je lui ai crié: "Laisse tomber ton arme et recule!" Mais il a répondu: "Nos forces sont inégales, mais nous aurons de la défense".
En faisant des phrases sur le courage d'Avdeev, Serbov tâchait aussi de souligner son propre courage.
Les voix hurlant s'approchaient de notre chambre.
Serbov entra à la cellule où se trouvait un ancien socialiste-révolutionnaire gauche - l'avocat Smakotin, le cosaque qui passa aux bolcheviks. C’était un homme d'un certain âge, mais très irréductible et énergique. Il n'eut pas peur du cri de Serbov, il lui répondit avec dignité. Donc Serbov dit:
- Eh bon, le vieillard. Bien que tu sois cosaque, mais tu as détourné de droit chemin. Et tu es intransigeant seulement parce que tu es d’origine cosaque.
Ainsi, ayant visité l'une après l'autre toutes les cellules, ayant injurié le ancien socialiste-révolutionnaire gauche l'avocat Trofimov, finalement le bolchevik et l'accusateur passionné des fonctionnaires et des beys d’Akmolinsk, ils nous parvinrent aussi.
La porte s'ouvrit avec fracas. Serbov, le chef de la garde, les surveillants et deux Russes habillés des vêtements kazakhs entrèrent. Serbov commanda:
- Levez-vous!
Nous nous levâmes.
Serbov s'adressa avec un sourire à un de ses compagnons, en nous lui montrant:
- Et c'est une branche kazakhe, monsieur le centenier.
- Ça veut dire les autorités, donc - "deviné" le centenier.
- Oui, les petits bolchevistes, mais nous leur ont coupé les ailes, ne leur ont pas donné la possibilité de décoller! - Serbov éméché prononça d'un air suffisant.
Le lendemain nous apprîmes qu’on déchiqueta Pavlov avec les sabres...
Dans la prison il y avait aussi de tels prisonniers, qui ne furent pas torturés. Ils restaient inaperçus, bien qu’ils ne fussent pas indifférents, quand ils entendaient les gémissements des prisonniers battus par les bandits-geôliers.
En prison furent aussi mis les paysans étant loin de la lutte politique, mais ayant refusé d’entrer dans l'armée blanche.
Après la mobilisation usuelle on jeta en prison l'Allemand nommé Goppé qui selon ce qu’on disait cherchait à persuader les jeunes gens ne pas soumettre aux autorités.
On lui aurait donné pas plus que vingt ans. Il fut originaire du village de Dolinki du district d’Akmolinsk. Il parlait mal russe, et ne comprainait rien en kazakh. Mais néanmoins cela ne nous empêcha pas de trouver le langage commun.
Une fois à minuit les surveillants et deux soldats armés firent irruption à notre cellule.
- Goppé, lève-toi, allons-y! – on entendit l’ordre.
- Où? - Il demanda.
- À l'interrogatoire!
Nous ne dormions pas longtemps en attendant notre camarade. Tout était silencieux dans la prison. Derrière la fenêtre grillagée était la nuit d'encre. Seulement la neige tournoyait comme des papillons blancs, en couvrant la terre. L'enceinte enneigée de prison semblait un mur blanc.
La nuit engouffra notre camarade.
Beaucoup de longues minutes passèrent. Soudain nous entendîmes de nouveau le cliquetis de la porte ouvrant, et on poussa Goppé tourmenté dans la cellule. En titubant, il s’approcha de sa place et tomba.
Nous le mis délicatement au lit et commençerent à l’interroger. Goppé ne pouvait rien prononcer en retour, il seulement m'embrassa et pleura comme un enfant, en répétant:
- Dis-moi, quand les rouges viendront? Quand?..
- Ne pleure pas, il faut avoir patience, tu n’es pas un enfant, toi! Les rouges vont venir, - je le calmais comme je pouvait.
Goppé crissa, serra les poings.
Non loin de la prison il y avait un cimetière russe. Ce fut là où Goppé fut emmené par quatres soldat. Ils le battaient avec les crosses, donnaient des coups de pied, le vautraient dans la neige jusqu'ils se fatiguèrent.
La situation dans l'hôpital de prison fut un peu meilleur, que celle dans nos cellules. Durant le jour les portes n'étaient pas fermées. Une fois y se trouvaient les malades: notre Nourgain et le professeur Gorbatchev.
Toussip bien qu’il ne fût pas malade, se trouva aussi à l'hôpital, il s'isola tout de suite comme le représentant d’Alach-Orda.
Les malades furent traités par un aide-médecin minable, mal habillé et semblable à un cheval vilain maigri, qui venait à l’hopital.
Aux heures de l'accueil médical les prisonniers disaient d'habitude leurs plaintes pour l’état mauvais au surveillant et, ayant reçu sa permission, allaient à l'aide-médecin après le médicament.
Une fois moi aussi, étant indisposé, je demandai au surveillant la permission d’aller à l'"hôpital". Avec l'aide-médecin y étaient Serbov et le médecin Blagovestchenskii.
- De quoi souffrez-vous?
- Et bien... J’ai une colique, et cela ne cesse pas! Ne me donnerez-vous pas un médicament quelconque? - je demandai.
Blagovestchenskii m'examina et demanda l'aide-médecin de me donner le médicament. En souriant caustiquement, l'aide-médecin dit:
- Je lui donnerais un poison pour son "rétablissement rapide!" "Que’est-ce qu’il veut, ce malheureux?" - je pensai avec étonnement.
Serbov se fachait mais il detenait à tout le moins le pouvoir. Lui il était le directeur de prison, le président de la commission de la lutte avec les bolcheviks, la personne formé, (tout de même il était technicien). Son but dans cette lutte fut clair! Il voulait dominer, opprimer, commander.
Mais qu’est-ce que voulait obtenir l'aide-médecin malheureux avec les culottes usées? De quoi avait-il besoin? Il était aussi le membre d’Alach-Orda, semblable à ceux qui frappaient à toutes les portes de gens de Kolchak le nassybaï à la bouche, malakhaï sous le bras, s’étant troussé les pans de tchapan, et répétaient obséquieusement les paroles des gardes-blancs: "Tuerons les bolcheviks!"
Pauvres gens!
À l’époque de Kolchak les hommes kazakhs ont commencèrent à penser à la création du conseil national.
Une fois la prison fut visitée par le procureur d'Omsk. En passant les cellules, il visita et la nôtre. Il interrogea les gens de choses et d'autres, de rien en général et se tourna vers la sortie. Mais je le interpellé.
- Puis-je vous demander une chose?
- Quelle chose?
- Jusqu'à quand serons-nous assis ici sans forme de procès?
- Jusqu'à la création du conseil national! - il répondit.
À cette époque-là les rouges s'approchaient déjà d’Orenbourg et d’Oufa.
- Mais quand le conseil national sera créé? - je continuai.
Il me regarda, hésita un peu et répondit:
- Pas bientôt! – et il sorti.
Quand la porte se ferma, nous éclatâmes de rire. Et ainsi passaient les jours et les nuits se ressemblant... Dans la cellule voisine les trois femmes se trouvaient. Ils chantaient chaque soir. Leurs voix tristes relentissaient dans la prison silencieuse. Le chagrin et le désir de la liberté nous accablaient.
Des bouffées d'air froid venaient de la fenêtre ferrée. Il gèlait dehors.
Mais est-ce que les murs de prison peuvent entendre et comprendre la souffrance des prisonniers? Les larmes versées devant les pierres silencieuses sont vaines.
On nous transféra de nouveau à une autre cellule. Mais la vie n’y fut non plus facile, le temps passait de la même façon tristement et lentement. Parfois nous jouions aux dames, racontaient des histoires, lisaient les livres, qu’on nous passaient en secret.
Moi et le coiffeur Martlogo, le "maximaliste" qui devint ensuite bolchevik, menions des conversations dans la cellule, cela faisions une sorte des réunions en liberté.
Ainsi duraient les jours infinis...
SOUS LA GRIFFE DU CHEF COSAQUE ANNENKOV. DÉPART D’AKMOLINSK SOUS ESCORTE
Un des jours malencontreux le directeur de prison fit irruption dans la cellule en compagnie de quelques surveillants et annonça:
- Préparez-vous pour l’envoi sous escorte, vous départerez dans deux ou trois jours.
- Où? - Je demandai.
- À la disposition des autorités d'Omsk, - Serbov répondit.
Dès qu'il sortit, les gens dans la cellule se mirent à s'émouvoir:
- Où nous chassera-t-on? Quel sera notre sort? Qui escortera-nous?
Nous communiquâmes sur notre départ prochain aux nos parents et aux nos proches. On leur demanda d'apporter les vêtements chauds et selon la possibilité de transmettre au moins un peu d'argent. Le père d'Abdoulla passa au fils de l'argent l’ayant mis sous le talon de la botte.
Entre quelles mains on nous passerait?
Peu après on apprit qu'à Omsk nous serons escortés par le détachement sous le commandement du chef cosaque connu de Kolchak - Annenkov et que quinze soldats de son détachement étaient déjà arrivés là.
Ils étaient tous de grands terreurs et ils entrèrent volontairement au détachement d’Annenkov. Parmi ceux quinze soldats il y eut deux officiers.
Là le détachement d’Annenkov se compléta des volontaires: de jeunes cosaques d’Akmolinsk. Le détachement comprenait après cela quarante ou cinquante personnes. C’était entre les mains de ces coupe-jarrets de choix que les autorités d’Akmolinsk allaient nous remettre pour nous envoyer à Omsk.
Il était facile de deviner que l'escorte arrivé pour l’envoi se composait des bourreaux éprouvés. Nous apprîmes qu’avec la permission de leur chef ils voulaient emmener tous les prisonniers de la ville et les y fusiller. Et ensuite ils allaient se justifier par ce que les gens "furent fusillés pendant la tentative de s’enfuire".
Et les rumeurs inquiétantes se repandèrent l’une après l'autre en prison: "C’est la fin des haricots, on ne laissera personne vivant". Les nouvelles continuèrent à circuler, en répandant l'alarme et la terreur.
Deus jours plus tard le directeur de prison et le chef de la garnison d’Akmolinsk entrèrent dans notre cellule.
On entendit l’ordre habituel:
- Levez-vous!
Les soldats accompagnant les autorités se mirent à brandir intentionnellement les armes.
Nous entendîmes de nouveau sur le depart rapide:
On nous prévint:
- Retenez: si au moins un de vous tâche de s’enfuir, tous seront fusillés!
Après cela nous commençames à nous préparer déjà sérieusement pour le départ.
Les gens libres nous envoyèrent les colis infinis pour nous donner tout le nécessaire pour le chemin. D'après ce qu'on disait, on devait envoyer près de cinquante prisonniers. Et seulement deux personnes (Nourgain et le professeur Gorbatchev) devaient rester en prison d’Akmolinsk à cause de maladie.
Et voici nous nous préparâmes pour le départ sous escorte.
On fut assis sales, cradingues, prêts à n'importe quelles infortunes, sur les lits de planches.
Tous les vingt prisonniers de notre quatrième cellule attendaient d'un instant à l'autre l'apparition de l'escorte. Chacun pençait: "Qu’ils nous emmènent, où ils veulent! On en a marre d’attendre"...
C’était janvier et le froid était mortel. L'hiver fut déjà bien ancré. Il faisait un froid du diable. Les jours étaient courts. Le crépuscule tombait vite.
Les prisonniers, s'étant groupés aux coins de la cellule étroite, chuchotaient.
Le vent soufflait en hurlant par la fenêtre cassée grillagée, en réfrigérant.
Nous fûmes assis longtemps, jusqu'au minuit. On entendait les voix étranglées de plus en plus rarement et enfin tous se turent.
Fatigués par le suspens, nous nous endormîmes habillés, s'étant recroquevillés l'un à côté de l'autre.
La prison s’engouffra complètement dans la nuit noire, et les prisonniers semblaient pas dormir mais s'engloutir, disparaître dans l'obscurité étouffante.
Derrière la fenêtre nous entendions les pas de la sentinelle et le bruit fractionnaire des gouttes: c’était un givre aux grilles glacées qui fondait de notre respiration. Parfois d’un coin venait le bredouillement et les soupirs des gens endormis, parfois on entendit le gémissement délirants:
- Ouf... Ah!.
Était-ce par hasard que les malheurs graves nous atteignirent? Non. Nous ne nous préparions pas pour la vie facile. Nous assumâmes la charge du fardeau difficile important. Nous nous ruâmes à la curée pour la liberté du peuple ouvrier! Et si nous nous mîmes volontairement sur ce chemin épineux difficile, nous étions onligés de supporter courageusement toutes les infortunes et de franchir le col!
Oui, il était difficile de lutter, plusieurs de nous gémissaient. Mais il est plus facile de souffrir pour la cause juste, on peut mourir aussi, s'il faut!..
Peut être demain nous serrions emmenés en dehors de l'octroi et fusillés. Mais aux siècles des siècles le peuple ouvrier, pour le bonheur duquel nous supportions les tourments, se souvenirait de nous! Donc, aie la patience et sois ferme jusqu'à la fin, le militant, continue ce que tu a déjà commencé! Ne tombe pas et n’abandonne pas le chemin épineux, jusqu'à le col de premier plan soit franchi!
Je m’éveillai, réveillé par le tapement de pieds et la rumeur des voix dans le couloir. Mes camarades se réveillèrent instantanément aussi.
Nous regardâmes par le voltchok au couloir, tâchant d'apprendre ce qui se passait là.
Nous vîmes les surveillants allant et venant les lampes allumées dans les mains.
Le jour commençait à poindre... L'obscurité se dissiper lentement dans la cellule.
Dans le couloir quelques soldats armés habillés d’une uniforme inconnue apparurent. À la poitrine de chacun il y eut les bandes de mitrailleuse entrecroisées. Sur les têtes ils avaient les hauts bonnets en peau de mouton noirs à longs poils avec le haut rouge. Aux épaules ils avaient les pattes d'épaule rouges lisérés. Ils se tenaient de manière désinvolte.
Bientôt tout le couloir long fut rempli de soldats portant l’uniforme inconnue. Les crosses des fusils se mirent à frappé sur le plancher en pierre.
- C’est un détachement d’Annenkov... Le détachement d’Annenkov! – on entendit dans les dernières ombres de la nuit les voix inquiétées des prisonniers.
Le trépignement des bottes ferrées, le bruit des crosses, le cliquetis des sabres, les voix grossières, claironnantes dans le couloir - toute cela fut accablant.
Tous dans les cellules se réveillèrent il y eut longtemps et furent assis en attendant. Le dénouement s'approchait.
La porte de la cellule s'ouvrit avec cliquetis. Le directeur de la prison, l'officier de cosaque et quelques soldats entrèrent
les lampes dans les mains.
Nous nous levâmes d'un saut et nous figeâmes, comme inanimés.
- On va partir maintenant. Habillez-vous vite et prérarez-vous pour le départ! - le directeur de prison dit d'une voix criarde et sortit.
Ayant fait nos baluchons, nous nous assîmes de nouveau en attendant. Dix minutes plus tard le directeur de prison revint avec l'officier de cosaque. Ont commença à appeler les prisonniers selon la liste.
Les gens nommés firent asseoir sur le plancher en pierre le long du mur du long couloir, et entourés par des soldats armés.
La perquisition commença. On nous déshabilla jusqu'au linge de corps.
Je m'inquiétais pour mes articles, dont une part j’eus le temps de coudre dans la ceinture du pantalon matelasse, et une autre part je cachai sous les semelles des bottes et dans les bouts des baïpaks[99] de feutre.
Mon tour arriva. On m’enleva les bottes, on vida mes baïpaks, les examina pour voir, "s'il n'y eut pas de bombe là", on fourrt plusieurs fois les mains dans les tiges des botte et enfin ont dit:
- Habille-toi.
M'étant calmé, je m'est habillai sans m'empresser. Les articles cachées furent sauvées!
Tous furent perquisitionnés l'un après l'autre. Et pendant que cette procédure se passait, l'aube arriva.
Tous les prisonniers furent sortis dans la cour de la prison. Près de trente hommes d'escorte nous encerclèrent.
Le directeur de prison et deux officiers partaient plusieurs fois au secrétariat de prison, daisaient va-et-vient en courant, l’un nous livrait, les autres nous acceptaient.
Enfin le chef de garnison municipale arriva, et nous fûmes emmenés en colonne le portail de la prison. Là l’escorte nous attendait: trente cavaliers et vingt soldats à pied. La même uniforme fut portée seulement par ceux qui avaient fait la perquisition et nous avaient emmenés de la prison. Pas seulement leur équipement étrange, mais avant tout, leurs manières insolentes de voyou se faisaientt remarquer. C'était les coupe-jarrets d’Annenkov sont arrivés d'Omsk.
Derrière le portail de prison nous vîmes près de vingt traîneaux pour fardeaux pesants, un cheval fut attelé à chacun d’eux.
On entendit l’ordre:
- Montez par quatres dans chaque traîneau!
Moi, Baken, Abdoulla et Zhoumabaï occupèrent un traîneau.
Et on ordonna de nouveau:
- Placez-vous seulement par deux!
Nous accomplîmes humblement l’ordre, nous mîmes nos hardes sur le traîneau. Et soudain, ayant jeté un coup d'oeil sur un armé djiguite portant une courte pelisse et les bottes de feutre, je reconnus en lui mon proche parent, mon zhiène[100].
Je ne croyais pas les yeux. Comment se trouva-t-il dans le détachement du chef cosaque Annenkov?! Puisque on y avait acceptés seulement les volontaires... On appelait le détachement, qui devrait nous escorte, de "partisan". Il avait entre ses mains le sort de cinquante révolutionnaires. On ne savait pas ce qu'ils allaient faire avec nous, quand nous nous trouverions hors de la ville...
Est-ce que c’est lui? – je pansais. Pour moi c'était un coup de poignard. J'ai fixé les yeux sur un jeune djiguite, toujours sans croire en ce que c’était lui.
"Ah, les gens, combien de salopards il y a encore parmi vous!.. Oh, la vie, quels gredins tu engendres! Les uns sont forcés de souffrir pour la justice, gagnés de tristesse et de chagrin, les autres triomphent lâchement et abjectement. Maudits soient les gredins et les crapules!" - je pensais avec animosité violente silencieuse.
Djiguite, à qui je fit attention, devint inquieté, se mit à marcher en crabe se faufilant vers moi et, s'étant approché il me salua.
- Assalamou aleikoum!
Je ne répondis pas et me détournai. Il bredouilla quelque chose et commença à saluer mes camarades. On entendit ordonner:
- Fouette!
Les patins grinçèrent et nous se mîmes à clopiner cahin-caha sur la neige gelée suivant le traîneau. Nous fûmes gelés jusqu'aux os.
La ville dormait encore, et le soleil se levait lentement au-dessus de l'horizon entouré de rayonnement de froid orange.
Chaque traîneau - en avant et en derrière - fut accompagné par un cavalier et un homme d'escorte à pied.
On sortit à la périphérie de la ville.
Le directeur de prison étant au cheval roux, dit adieu aux hommes d'escorte.
Dans la banlieue les parents peu nombreux attendaient certains de nous. Chaque jour ils venaient sur la route pour ne pas manquer le départ et dire adieu.
Ils se trouvaient en se taisant, sans détacher les yeux de nos visage, et essuyaient les larmes, comme s’ils nous accompagnaient à notre denière demeure. La neige commença à craquer faisant le bruit sous les pieds des prisonniers et des hommes d'escorte, sous les patins du traîneau et les sabots des chevaux.
Les hommes d'escorte armés marchaient parmis les prisonniers, et derrière nous allaient en cavalcade les cosaques à cheval. Les chevaux tombaient à chaque pas dans les congères.
Akmolinsk resta derrière nous.
Parmi les prisonniers il y eut six Kazakhs-bolcheviks, les organisateurs du conseil des députés, et une femme.
Les hommes d'escorte faisait près de soixante-dix personnes, ce furent les gens fidèles et crédibles de Koltchak, le bras droitde l'amiral. Koltchak ne confiait pas aux soldats des moujiks la conduite des bolcheviks. Notre escorte se composa complètement des cosaques, excepté mon parent-Kazakh et encore un fils d’un vendeur ambulant à moitié Uzbek.
Quinze gens du chef cosaque, étant arrivés d'Omsk, eurent l'air le plus féroce, les moeurs fut de bandit. Aux yeux sautaient deux lettres argentées à leurs pattes d'épaule: "А. А", que signifiait : "Chef cosaque Annenkov".
Nous allions en longue chaîne, en marchant difficilement suivant le traîneau sur le chemin tortueux dans la direction de Petropavlovsk.
Par ordre de l'homme d'escorte nous montions tour à tour par deux dans les traîneaux.
Vers le soir nous parvînmes un aoul et nous arrêtâmes pour y choucher. Nous fûmes rencontrés là par les quartier-maîtres des hommes d'escorte qui s’étaient avancés en avant.
Nous nous installâmes dans deux bicoques kazakhes, sales et à demi détruites, mais elles furent comme le paradis pour nous en comparaison de la prison. Ce fut déjà exactement une année, que nous ne voyions pas le logement humain.
On plaça deux sentinelles devant une bicoque, et, quand nous avions besoin d’aller aux toilettes, nous étions accompagnés par les soldats.
Le chef de garde avec l'officier cadet venait sans cesse voir les prisonniers.
Un des chefs d'escorte, aux épaules larges, bronzé, semblable au Kalmouk, plus causeur et plus goujat, que les autres, disait sans cesse des gros mots et des obscénités.
Étant entré à notre bicoque, il prévint:
- Si l’un de vous s'enfuit, tous seront fusillés, putain de merde! Surveillez-vous donc!
Personne de nous ne doutait que sa promesse serait accomplie.
Au point du jour nous continuâmes notre chemin.
Vers le midi la tempête de neige éclata. Il nous fallut nous arrêter dans un des aouls kazakhs et attendre la fin de tampête. On nous y nourrit.
Où que nous ne nous arrêtassions pour nous reposer, dans une aucune isba il n’y pas eut d’hommes. Probablement, ils eurent peur de tomber sous les yeux des volontaires d'Annenkov.
Peu après la tempête s'apaissa. Il fit clair. L'escorte se déjà prépara pour le départ, mais la maîtresse, chez laquelle nous nous arrêtâmes, demanda le chef d'escorte de s'attarder. Ayant préparé la viande et ayant nourri tous, elle nous accompagna jusqu'à la sortie avec honneur...
Après la tempête le froid devint encore plus fort. La nouvelle neige sèche étincelait d'une manière éblouissante. Nous avancions lentement: trente ou quarante verstes par jour.
Le disque rouge du soleil rayonnait les rayons étincelant d'or. Le vent pénétrant jusqu'aux os soufflait en plein visage, en étouffant et en offusquant. Le crachat se glaçait à la volée et tombait sur la terre en glaçon sonnant.
Le givre brûlait le visage et ne fondait pas, comme d'habitude, mais en couvrant les sourcils, particulièrement les moustaches, se glaçait tout de suite.
Au-dessus des gens et des chevaux sués de fatigue la vapeur tourbillonnait. Les glaçons se penchaient des narines des chevaux. Nous frottions constantement avec la neige une joue ou une autre. Pour nous réchauffer nous brandillions les bras, gambillions.
Pour coucher on arrêta dans le bourg de Kouchoki à cent dix verstes d'Akmolinsk. C'était le premier bourg russe rencontré sur notre chemin à Petropavlovsk.
On nous fit entrer dans une école. Dans le bourg les hommes d'escorte se fâchèrent encore plus, probablement en souhaitant montrer aux moujiks russes la force et le pouvoir du chef cosaque Annenkov. Les gens d’escorte demandèrent les habitants du bourg de leur donner de l’eau de vie maison.
Dans une des classes de l'école s’installèrent nos hommes d'escorte, et ceux qui furent de rang supérieur, se dispersèrent dans le bourg en cherchant une gobette.
Dans un certain temps les soldats amenèrent deux moujiks locaux, en les grondant et en leur donnant les coups de crosses aux côtés. On déshabilla les moujiks tout de suite et on commença à les battre avec les baguettes de fusil. On put voir que la fustigation fut une affaire habituelle pour le détachement de chaf de cosaque. Ils comptaient en ricanant: "Vingt cinq... Cinquante..."
Les prisonniers soignaient entre-temps les gelures, et le coiffeur Martlogo rasait à tous les moustaches et les barbes.
Au point du jour nous quittâmes Kouchoki. C’était janvier, il gélait toujours. Ce jour-là nous allions dans le bois. Les bouleaux et les pins nous entourèrent d’un mur épais, et seulement parfois il y avait des clairières étincelant blanches.
Pour coucher nous nous arrêtâmes dans le village de Makinka. Une bonne moitié de ses habitants c’étaient des cosaques sympathisant Koltchak.
Parmi les prisonniers ne cessaient pas les conversations sur ce que pendant un de tels arrêts-là dans un village de cosaque on commencerait à les fusiller.
On nous fit entrer de nouveau dans l'école, et nous nous affairâmes pour nous préparer quelque chose à manger. Mais le chuchotement anxieux ne cessait pas.
Tous se déjà préparèrent à dormir, mais soudain les hommes d'escorte du détachement de chef de cosaque firent irruption. Ils eurent l’air féroce, même leurs bonnets en peau de mouton furent enfoncés d’une manière particulièrement menaçante. On entendit l’ordre:
- Le matelot Avdeev, l'avocat Trofimov, Kondrateva, Monin, vous tous les quatres allez-y vite chez le chef!
Nous commençâmes à demander les hommes d'escorte:
- Pourquoi? Qu'on va faire avec eux?
- Pour l'interrogatoire!
Après le départ des camarades personne ne pensait plus sur le repos. Tous avaient une pensée commune: "C'est le commencement de la répression".
Mais tout se passa bien, les camarades furent ramené bientôt. Nous les pressâmes de questions: "Où avez-vous été emmenés? Pourquoi?" А eux, ils ne connaissaient rien clairement eux-mêmes. Il n’y eut aucun interrogatoire. On les emmena de l'école, les ferma dans une remise vide sombre, et ensuite on les ramena.
Le lendemain un des hommes d'escorte causeurs divulgua qu’on avait voulu fusiller tous les quatres, mais ensuite on avait changé d'avis.
Ayant laissé Makinka, nous continuâmes notre chemin.
Il gélait pas si fortement ce temps-là. Nous allions dans la forêt de pins bleuissant, en tombant dans la neige profonde. En un jour on passa pas plus de trente verstes.
Déjà au début de la voie Abdoulla ne pouvait pas aller à pied. Après lui tomba Zhoumabaï. Et voilà ils ne descendaient pas du traîneau, nous avec Baken allions à pied sans relâche.
Il était difficile de marcher sur les congères, mais nous fûmes obligés de le supporter, en sachant qu’on ne mettrait pas quatre personnes au traîneau. Seulement parfois, s'étant mis en quatre, Baken s'assoyait chez les camarades, mais seulement pour quelques instants. L'homme d'escorte lui ordonnait grossièrement de descendre du traîneau. En maudissant l'homme d'escorte, Baken traînait à pied, en voulant à Abdoulla et Zhoumabaï:
- Quelle maladie avez-vous?
Étant affaissé définitivement, Baken commença à demander Zhoumabaï d’aller à pied au moins un peu pour lui donner la possibilité de se reposer dans le traîneau.
Moi, je ne montai pas dans un traîneau, en sachant que si j'eusse affaibli, je dormirais, et on ne saurait pas ce qui se passerait avec mes camarades, qui ne pouvaient pas aller à pied. Donc je dus supporter patientement toute la lourdeur du voyage.
Le linge de corps était toujours mouillé de sueur, le pardessus se couvrait de croûte de glace, et cela gênait la marche encore plus.
La forêt épaisse nous entourait. Les bouleaux et les pins s'élévaient en rangs serrés.
Le temps était toujours instable: le silence avec le froid à pierre fendre et le tempête se suivaient. Et on ne pouvait pas décélérer, il fallut marcher et marcher...
On coucha de nouveau dans une école, dans le village de cosaque Chtchoutchinskaïa, à distance de deux cents cinquante verstes d'Akmolinsk.
Les hommes d'escorte envoyèrent quelques prisonniers, y compris Zhoumabaï pour apporter de l'eau.
Après avoir pris de thé chaud, nous nous réchauffâmes un peu, prîmes un peu de courage, recouvrâmes notre gaité, liâmes conversation peu à peu. Matrynov, ouvrier-mécanicien déclama à nous les vers de Nadson consacrés aux révolutionnaires. D'autres camarades lisaient les vers aussi et chantaient doucement.
Ayant passé Koktchetav ont fit l'arrêt dans le bourg d'Azat. Là on nous installa dans l'isba très exigu, ayant placé comme d'habitude des sentinelles près des portes.
Depuis que nous arrivâmes aux alentours de Koktchetav, seulement les soldats tranquilles furent nos gardiens, et les coupe-jarrets d’ataman[101] rôdaient aux bourgs cherchant de l'eau de vie maison.
Au minuit de la pièce avoisinant celle où nous fûmes installés, vinrent les voix ivres des gens discutant, ensuite les jurons, les mots obscènes.
Un coup de feu relentit. On entendit que les gens battant déboulèrent en bande de la pièce, en continuant à brailler près de notre porte. Quelqu'un commença à tâcher de forcer notre porte en criant:
- Laisse-moi entrer! Je tuerai tous!
Notre gardien sortit de la chambre et cria après l’homme enragé:
- Qu’est-ce que tu veux?
Mais celui-là ne se calmait pas, il criait à tue-tête derrière la porte:
- Ouvre! Ouvre, je te dis!
Notre sentinelle ferma la porte, resta debout près du seuil et dégaina le sabre.
- Qu'est-ce qui ne va pas? Qu'y a-t-il? - nous nous alarmâs.
- Ils se tapèrent des gueuletons, les chiens! Ils veulent faire irruption ici! - la sentinelle expliqua.
- Et qu’est-ce qu’ils veulent faire ici?
- Calmez-vous, soyez assis doucement! Je ne les laisserai pas entrer ici!
Après un certain temps le bruit derrière la porte cessa, les jurons s’arrêtèrent.
Au point du jour nous quittâmes le bourg d'Azat. Chemin faisant je demandai à notre de nuit de garde:
- Qu’est-ce qu’il y eu là dans la nuit?
- Ces cons se sont sali le nez et voulaient vous tuer!...
Notre caravane insolite rencontrait souvent les voyageurs, la plupart d’eux furent les Kazakhs faisant sans s'empresser un long chemin d'hiver. On vit une fois un cavalier solitaire, le Kazakh au cheval gris. Son cou fut enroulé d'écharpe blanche chaude en poil de chèvre.
Les hommes d'escorte l'arrêtèrent, et un de gens de chef cosaque, ayant saisi l'écharpe presque étrangla le Kazakh résigné. Ayant pris l'écharpe, l’homme de chef cosaque laissa le malheureux partir. А celui-là, ayant murmuré doucement quelque chose après lui, continua son chemin comme un petit chien offensé.
On vit pas loin de notre chemin dans une vallé un aoul kazakh. Les petites isbas, enneigées, furent cachées dans les tas de neige, et seulement selon les cheminées sortant avec la fumée tourbillonnait, on pouvait comprendre que c’était un logement humain.
Les chiens d’aoul nous rencontrèrent sur le chemin par l'aboiement. Les gens de chef cosaque se mirent à tirer à leur direction. Les chiens allèrent grand train à l'aoul, escaladèrent aux toits et regardaient avec frayeur notre procession de derrière les cheminées.
Avec leur tir les gens d’ataman alarmèrent tout l'aoul.
Nous continuions à cheminer. On rencontrait les voyageurs revenant de la ville, les traîneaux chargé de grain, les chameau, chargés de sacs lourds. Les visages frigorifiés bleus nous regardent des touloupes[102] couvertes de givre . Les malheureux s’avançaient à peine, on vit qu’ils cheminaient des aouls éloignés pauvres.
Un des hommes d'escorte d’ataman saisit brusquement le Kazakh voisin par le collet et le poussa au tas de neige. Ayant pensé un peu il lui enleva le malakhaï d'astrakan. Un autre homme d'escorte rafla à deuxième Kazakh l'écharpe chaude en poil de chèvre. On n'avait rien à rafler aux autres Kazakhs, c'est pourquoi les hommes d'escorte simplement pour s’amuser les bourrèrent de coups et les firent tomber dans la neige. Un des gaillards d’ataman, fâché qu’il ne réussit à rien gratter, s'approcha d'un bond d’un chameau chargé et commença à déchiqueter avec son sabre les sacs de farine. La farine fut répandu sur la neige.
А nous, résignés, ne pouvions rien faire, nous contunuions à cheminer tout en avant.
Après ce cas, les hommes d'escorte d’ataman, ayant remarqué de loin une caravane des chameaux, commençaient à se vanter l'un devant l'autre:
- Je peux couper trois lassos avec un coup!
- Et moi j’en peux couper quatre!
- Je serais premier qui coupera! – l’un cria.
- Non, c’est moi! - l'autre protesta.
Dans un certain temps, étant arrivés au niveau de aux voyageurs kazakhs, les coupe-jarrets se jetèrent sur les malheureux. Les sabres commencèrent à briller. L’un après l'autre tombaient les sacs des chameaux; la farine, le grain étaient répandus sur la neige ...
Tout ce qu’on pouvait enlever aux voyageurs: malakhaïs, les écharpes, les bottes - tout fut pris les bandits.
On passa Koktchetav. Les bois épais restèrent derrière, et le vaste espace de steppe s'ouvrit devant nous. La plaine s'étendit comme la mer blanche. Elle semblait sans bornes, et seulement quelque part au loin cette silence froide illimitée de steppe fusionnait avec l'horizon.
L’image triste se serait ouvert devant les yeux de ceux qui aurait regardé à distance la partie la steppe nue pleine de neige et les gens suivant lentement à la queue leu leu le sentier étroit.
Deux cavaliers se profilèrent au loin, en disparaissant et en apparaissant de nouveau, comme deux points.
- Kolia, comment tu penses, tuerai-je ceux diables-là d'un coup de feu? - un homme d'escorte cria à un autre.
- Non, c’est trop loin.
- On parie? - le premier ne cédait pas.
- Bien, tire, si tu loucher le but, je te rendrai l'écharpe! – Kolia accepta.
Les cavaliers s'approchaient. Selon l'atterrissage et les vêtements on voyait de loin que c'étaient les Kazakhs...
L’homme d’ataman se mit à un genou et visa. On entendit un coup de feu. À côté!.. Un nouveau le coup de feu. À côté de nouveau. Les Kazakhs tournèrent les chevaux et, en les hâtant avec les fouets, se mirent à aller grand train à la direction inverse.
Mais le soldat ne se calmait pas et continuait à tirer, en les visant jusqu’à les cavaliers s’éloignèrent au galop. C'était heureux pour eux que les hommes d'escorte fussent à pied. Tous les bandits de cheval, ayant gagné Koktchetav, laissèrent notre caravane et partirent en avant.
Tout ce qui se passait fut incompréhensible pour nous. Quand le chef cosaque Doutov et les aqsaqals d’Alach-Orda se rencontraient à Orenbourg, en se saluant selon la coutume kazakhe, ils s'embrassaient. Mais les soldats d’ataman, en rencontrant à la steppe les Kazakhs de l'aoul, les considéraient comme un but.
Et ils tiraient pas du tout comme les basmatchs[103] ouzbeks avaient tiré sur Moustafa Tchokaev seulement pour l’effrayer. Ce moment-là ils tirent avec les vraies balles de plomb.
Qui avait-il droit ici? À qui était la faute? C’était difficile à comprendre. Les aqsaqals, les chefs suivaient leur cours et les soldats d’ataman, les hommes d'escorte, les soldats suivaient le leur.
Pendant que les gaillards de gardes-blancs s'amusaient là, dans la steppe aux dépens des gens inarmés, d'autres guerriers du chef cosaque Annenkov bras dessus bras dessous avec les détachements kazakhs d’Alach-Orda luttaient contre les bolcheviks à Semiretche, quelque part au-delà de Semipalatinsk.
Pendant que les gardes-blancs faisaient des esclandres dans les aouls, maltraiter les civils kazakhs sur leur terre natale, les aqsaqals d’Alach-Orda, ayant mis dans la bouche une nouvelle portion de nasybaï tirée de la corne de bouc, écoutaient obséquieusement Koltchak et les messieurs les officiers, prêts à accomplir n'importe quelle leur demande.
Pendant que les gens d’ataman tiraient sur les Kazakhs inarmés, les aqsaqals kazakhs avec le chef cosaque Annenkov créaient à Semipalatinsk les armées des "volontaires" des fils de bey oui des Kazakhs ignares trompés pour la lutte avec les bolcheviks et publièrent dans le journal "Sary-Arka" le suivant:
"L'ordre du chef cosaque Annenkov sur la formation du 1-er régiment kazakh constitué de braves djiguites, n°180, p. 3. J'ordonne au capitaine d'artillerie Toktamychev arrivé à ma disposition, de créer le régiment valeureux kazakh, dans lequel en premier lieu doivent entrer les Kazakhs parlant russe, et d'instituer l'école d'officier.
La création d'un tel régiment est extrêmement nécessaire pour le renforcement du front. Et avec ça il était temps d'accomplir un grand désir des Kazakhs eux-mêmes, parce que chacun savait, comment ils brûlaient d'envie d’aller au front pour s’y dresser pour la défense de leur terre natale, pour se montrer courageux en destruction de l'ennemi. Ils avaient l'intention de détruire les bolcheviks à Dzhetyssa.
Le premier régiment kazakh s'organiserait sur la base de l'obéissance, de la soumission absolue aux ordres, de la discipline. L’entraоnement au combat serait fait selon le modèle de cosaque.
Il était désirable que brave djiguites ne se soient pas soustraits au service, et que les aqsaqals et les myrzas aux aouls ne leur aient pas empêché d'aller à la bataille ».
"Sary-Arka" n°65
Dans le même numéro on publia les informations sur l'aide aux troupes d’Alach-Orda aux fronts.
"Dans le numéro précédent de notre journal on communiqua que pour aider le premier régiment d’Alach-Orda on commença la collecte de l’argent chez les habitants pour expédier les envois aux Kazakhs faisant la guerre avec les bolcheviks au front de Dzhetyssa"...
On citait la liste des noms des aqsaqals et des messieurs élus pour cette mission. On leur livra les documents, du chef desquels on reçut les premiers dons:
1. Imach Abdouchoukir Zhachikbekov en vertu du certificat n°3 collecta...
2. Le membre du conseil du zemstvo de district Abdoulkhamit Baltabaev collecta... etc.
On collecta au total, y compris collectes précédentes, 13 272 roubles 50 kop.
Pendant que les uns subalternes du chef cosaque Annenkov, les Kazakhs, plumaient les habitants dans les aouls, les autres, les "volontaires", brigandaient dans la steppe et sur les chemins.
Le journal ne cachait pas les faits de l'extorsion du côté des bandits et publiait les plaintes.
Voici certains d'elles:
"En décembre 1918 on fut saisi d'une demande des habitants de l'aoul de Kentoubek, du district de Septpalatisk, où ils disaient que le chef d'état-major du détachement d’Annenkov du district de Pavlodar frappa l'aoul d'un impôt à 50 mille roubles. Il recouvrit l'impôt et en plus prit 10 chevaux.
Adilkhan Zhanouzakov fut dépossedé de 10 mille roubles, de fabrications à hauteur de 6 mille roubles, un cheval ambleur, une pelisse en fourrure de loup, une pelisse en fourrure de putois, 3 courtes-pointes et 5 pouds d'huile.
Étant arrivé pour la collection de l'impôt à l'aoul d'Adilkhan Zhanouzakov une seconde fois, outre les choses énumérées on s'appropria beaucoup de vêtements, de cochmas, de vaisselle.
Les collecteur d'impôts dépossédèrent Aldongar Naïmanbaev de 21 mille roubles, de 3 chevaux, de 2 chameaux, d’harnais, de traîneau et de cochmas en plus.
On confisqua à la boutique bolcheviste d'artel[104] 600 roubles et 10 paquets d'allumettes.
Mynbaï Bekbaouov fut obligé de rendre la pelisse en fourrure de renard, 10 livres du thé au poids, un malakhaï.
En outre le 20 novembre 1918 les Kazakhs du district de Semipalatinsk du voloste de Beskaragaï: Akbar et Becker Baïtenovs et les femmes de Baïten - Azhyran et Delyafrouze, déposerèent une plainte, dans laquelle ils disaient que le 16 novembre la maison d’hiver de Baïten Aliev fut attaquée par les bandits du chef cosaque Annenkov à la tête avec deux officiers - un Russe et un Chinois - et en compagnie d’encore cinq cosaques du village de Korsousk.
Pendant le pillage Baïten Aliev fut tué par l'officier russe Passin.
Pendant l’enquête il fut établi que la valeur globale des choses volées fit 85 mille 384 roubles: 20 mille fut pris en argent et encore on emmena des biens d'une valeur de 65 mille 384 roubles.
Les documents ci-annexes: l'acte d'autopsie de Baïten Aliev par le médecin et le récépissé du meneur du détachement confirmant la réception du maître de 20 mille en argent".
"Sary-Arka" n°65, 1919.
Les forfaits les gredins d’Annenkov indignaient jusqu'au fond du cœur les camarades russes. Ils nous approchaient et exprimaient leur sympathie.
Les gens sous l’escorte s'approchaient de plus en plus près à Petropavlovsk. À mesure que nous approchions de la ville le comportement des hommes d'escorte s'améliora un peu, leur caractère devint plus doux.
Mon parent malencontreux, le zhien, ne m'approchait jamais, et moi, je n’avais pas de désir de lui parler.
Mais une fois il se mit à parler avec mon camarade, tâchant de régler ainsi les relations avec moi.
- Dites à Saken de ne pas s'offenser de moi. En effet, je suis devenu soldat parce que les gardes-blancs promettaient d’arranger mon éducation. Donc je suis obligé d’accomplir leurs vœus. Et s'ils ne m'aident pas à propos de l’éducation, je m'enfuirai. Et dites-le à Saken, - il demanda mon camarade.
Je crus sur paroles de mon zhien, et nous liâmes une conversation avec lui. Il me demanda conseil, comment il lui fallut d’agir.
- Toi, tu disais toi-même, que tu voulais faire tes études. Tâche d'obtenir le but. Et si on t’envoie à la guerre, passe aux rouges. Ce la meilleure chose, - je conseillai.
D'abord notre conversation languissait. Je le grondais:
- Pourquoi tu as laissé l'école à Akmolinsk? Pour quoi as-tu fait une telle bêtise: au froid de loup tu es parti avec les prisonniers si loin! Regarde-toi: ton visage a été gelé, tu es sale, crade! Est-ce que tu penses que le pouvoir de ces coupe-jarrets va durer longtemps? Et si demain les rouges accèdent au pouvoir, où chercheras-tu la protection?
Mais mon zhien fut tout à fait sûr qu’il se sépaperait des gens d’Annenkov dans tous les cas: ou il partirait faire ses études, ou il s'enfuirait.
- Qu'est-ce qu’on dit de nouveau sur les affaires en Russie? - je lui demandai.
Il chuchota tout doucement:
- Les rouges arrivent. Ils ont déjà occupé Oufa et Orenbourg.
- Vraiment! Donc les bandits sont cuits!
Après cela il fut clair, pourquoi les hommes d'escorte devint plus doux: les rouges s’approchaient.
Notre moral fut remonté, d'autant plus qu'enfin notre passage de dix-huit jours d'Akmolinsk à Petropavlovsk fut terminé (on patrit le 5 janvier et on arriva le 23 janvier).
On nous mena le long de la rue principale de Petropavlovsk. Les hommes d'escorte ne détachaient pas les yeux des détenus, en tenant l'arme prêt.
Les gens examinaient avec curiosité chacun de nous, ils s'arrêtaient et nous suivaient longtemps du regard.
Je fus autrefois là, mais ce moment-là la ville se me sembla d’être beaucoup plus grande. Et il y eut plus de gens. Il y eut beaucoup de militaires dans la ville - les Tchèques. Ils furent habillés à leur guise, mieux que les gardes-blancs. Je deviné à la fois que c'étaient les Tchèques selon leur air de supériorité, leur allure ciselée, selon leur tenue.
"Voilà vous, les chiens! Les meilleurs chevaux sont pour eux, ils mangent, probablement, pas plus mauvais repas que les messieurs, et toutes les belles femmes de ville des familles riches et notables sont sans doute à leurs services", - je pensai.
Nous passâmes toute la ville et à la périphérie on nous fit entrer au camp enclos de l'enceinte en planches.
DANS LES WAGONS DE MORT DE CHEF COSAQUE
ANNENKOV
Avant de raconter des wagons de mort et de notre sort, je veux décrire en bref le camp de Petropavlovsk, où nous fûmes chassés. Il fut semblable plutôt à l'étable bousculé des planches pourries. Il y eut un peu partout des fissures, d’où venait le vent avec la neige.
Notre camp fut composé de tels cinq ou six constructions en planches, qu’on y appellait les baraques.
Dans deux d'elles se trouvaient des prisonniers de guerre autrichiens et allemands capturés pendant la guerre impérialiste, et dans une d’elles il y avait les soldats de l'Armée rouge arrêtés pendant le renversement du pouvoir soviétique dans la province d’Akmolinsk.
C’était dans leur baraque qu’on nous fit entrer. Nous entrâmes à l'intérieur en bande désordonnée. Au milieu sur le plancher gelé de terre s’élevait trois ou quatre bancs. Il y il y eut des courants d'air de tous côtés. La baraque fut vaste, comme la steppe.
Nous fûmes rencontrés par environ dix prisonniers portant les capotes grises déchirées. Leur visages furent terribles à regarder. Ce furent pas les gens, mais les squelettes vivants tout blêmes.
Les yeux se creusèrent, devinrent vitreux, brillaient. Ils avançaient à peine, comme les somnambules ou les malades délirant.
Là il y avait Kapylov, l’ancien commandant du détachement des gardes-rouges, et avec lui un soldat au jambe percé d’une balle et deux jeunes Tatars. Je n'ai pas retenu leurs noms.
le Tatar de Petropavlovsk semblait être plus vigoureux et plus fort que les autres. C’était lui qui nous disait les nouvelles, pour l'essentiel. Soudain quelque chose gris remua dans un coin... Le coeur se serra... Nous regardâmes fixement. Là sur l’alaise sale un soldat de l'Armée rouge mourait. On put distinguer la silhouette squelettique sous les guenilles. Les orteils gelés se noircirent et se détachèrent. Il gémissait... Il mourait, et ces gens affamés émaciés ne pouvaient guère l’aider. Seulement les deux d’eux se donnaient encore du courage quelconque: le Tatar et Kapylov.
Nous les écoutions et les cheveux se hérissent. Les supplices éprouvés par nous semblaient simplement un jouet d’enfant. Et qui ne serait pas saisi d'effroi, après avoir entendu parler sur les atrocités des bandits!
Les soldats d'Armée rouge furent chassés à cette baraque froide avec le plancher de terre gelé. On les affamaient, en leur jetant parfois les morceaux de pain insuffisamment cuit de seigle. Épuisés, gelés, ils étaient couchés par la terre nue. La plupart d’eux périrent.
Et voilà dix cadavres restant vivants étaient devant nous. En le regardant, on éprouvait une effroyable haine envers les bêtes bipèdes. La vengeance s'allumait aux coeurs des camarades, les doigts se serraient aux poings, les mâchoires serrées se pétrifiaient.
Le jeune Tatar fit le récit détaillé des bolcheviks de Petropavlovsk, qui avaient été mis en pièces quand le pouvoir soviétique avait été renversé.
On tua atrocement le chef de détachement des ouvriers kazakhs, le chef de milice de district et le membre du conseil des députés de Petropavlovsk Iskhak Kobekov, un des chefs des ouvriers Gali Esmagambetov, l'organisateur et l'inspirateur des ouvriers kazakhs, le membre du conseil des députés Karim Soutiuchev et le matelot Zimin arrivé à Petropavlovsk d'Akmolinsk à la veille de la révolution. On pourrait écrire beaucoup sur cette répression féroce des militants courageux.
Même le boucher traite avec plus de respect les animaux tués pour fournir de la viande, en comparaison de ce comment les blancs traitaient les bolcheviks!
Les générations prochaines ne doivent pas oublier les militants pour le pouvoir soviétique!
... Nous donnâmes toute la nourriture que nous avions à ces dix survivant, partageâmes nos vêtements avec eux. Grâce à nos soins leurs joues se colorèrent legèrement.
Il était impossible de les regarder tranquillement, quand nous partagions les vivres avec eux. Les yeux creuses se fixèrent sur la nourriture, et, il semblait sortir à l'instant de leurs orbites. Avec les doigts tremblant osseux il saisissaient les morceaux et les fourraient avec hâte à la bouche tout de suite. La peau de leurs joues gelées se plissa, les yeux inertes ne pouvaient pas se détacher du pain.
Voilà ce que les messieurs "érudits" et "d’ordre" se prévalant d’une bientraitance firent avec les gens!..
Nous nous installâmes directement sur le plancher de terre. Derrière les portes il y eut des sentinelles. Ils avaient l’air vainqueur et fier, comme s’ils vainquirent l’ennemi au combat acharné et maintenant ils protégeaint les vaincus. Quand en s’approchant de Petropavlovsk ils avaient entendu que les rouges arrivaient, ont avaient eu peur, s’étaient attristés, mais apres cela il se ranimèrent de nouveau, levèrent les têtes.
Nous commençions à manger d'habitude à cinq. Moi, Baken, Abdoulla, Zhoumabaï, Baïmagambet (Zhaïnakov) nous partagions toujours le dernier morceau de pain. Mais ce jour-là nous fûmes dans la gêne. Ayant distribué la provision parmi les camarades émaciés, nous, nous-mêmes restâmes affamés.
Il fallut contacter la ville d’une manière ou de l’autre, acheter quelques produits. Abdoulla passa l'argent à mon zhiène, et celui-là après avoir être remplacé partit pour la ville. Nous attendions jusqu'à la nuit et, ne l’ayant pas vu revenir, nous nous couchâmes affamés.
Le matin arriva. Comme les hommes morts de la tombe, nous nous levons du lit de terre, affamés et enrhumés.
Bientôt mon zhiène fut mis en sentinelle, ce que nous attendions impatiemment. Il vint près de la porte, et Abdoulla avec Zhoumabaï allèrent chez lui pour savoir, s'il nous avait acheté hier des produits. Nous observions la conversation de loin. Nos camarades revinrent indignés, avec les visages révulsés de méchanceté.
- Ton zhiène ne nous a rien apporté! Et encore se fiche, dit que nous ne lui avons donné aucun argent!
Ayant lancé encore une fois un regard plein d’haine dans la direction du sentinelle, les camarades me demandèrent:
- Vais-y toi, dis lui de rendre au moins l'argent. Peut être, il te respectera. Il ne nous parle pas, regarde comme une bête.
- Mais c’était pas moi qui lui a donné de l'argent, comment est-ce que je peus le demander de rendre? - je répondis.
Mais ils insistaient, et je dus m'approcher de mon zhiène:
- Pourquoi refuses-tu de rendre l'argent? Qu'y a-t-il?
- Ils mentent! Je n’ai pris aucun argent. Est-ce que je peux faire la lâcheté aux gens, parmi lesquels vous se trouvez? Eux-mêmes, ils vous trompent!.
Je ne rien obtint de mon parent. La famine et l'injustice nous rendirent fâchés encore plus. Nous étions assis et gardions le silence jusqu'au soir.
Avant le coucher du soleil les soldats semblables aux coqs avec les signes du détachement du chef cosaque Annenkov cousus sur les manches vinrent chez nous. Nous ayant réunis à la hâte, on nous ordonna de rouler nos lits et on nous chassa on ne savait pas où. Dans la baraque seulement les soldats de l'Armée rouge restèrent. Nous eûmes à peine le temps de leur dire adieu.
Dans la rue il y avait la tempête du neige. Le froid pénètrait jusqu'aux os. On nous amena pas le long de la rue centrale, mais par une voie détournée couverte de neige profonde fraîche, sans sentiers. Nous suivions les tas de neige, tombant profondément.
On arriva à la gare. Les gens nous regardaient avec curiosité et avec compassion. Ils s'arrêtaient, bloquaient le chemin. Les gaillards d’ataman criaient à chaque pas:
- Pousse ta viande! Ôtez-vous de notre passage!
Les gens se jettèrent de côté. Les hommes d'escorte nous ont entouré de tous côtés, ils tenaient l'arme prête. On vint sur le perron. Une multitude de wagons se trouvaient en une longue file sur les voies ferrées. Les rails ferroviaires, comme les serpents, s’étendaient de tous côtés. On nous arrêta à côté de deux fourgons à bestiaux.
Nous retirâmes des épaules nos hardes, les mîmes par terre et nous nous tassâmes plus étroitement.
Un des hommes d'escorte principaux amena l'employé ferroviaire. Celui-là ouvrit ces wagons de veau, les examina attentivement et dit :
- Divisez-vous en deux groupes et embarquez!
Nous nous divisâmes et embarqâmes aux wagons. Ils ne furent pas comfortable, à l’intérieur il faisait froid, les murs furent fins, des bouffées d'air froid venaient des fentes. Nous nous plaçames sur les lits de planches, nous nous blottîmes plus étroitement l'un contre l'autre. Au milieu du wagon il y eut le poêle de fonte. Il n’y eut pas de fenêtres. La seule ouverture est couverte du volet en dehors.
On verrouilla la porte avec craquement, on plaça des sentinelles près des wagons, et les autres gaillard d'escorte se séparèrent.
Notre humeur fut accablée. Peu après les soldats revinrent.
- Tenez, votre pain!
Ont donna deux miches de pain à notre wagon et au voisin, on nous permit d’aller chercher de l'eau bouillante. Donnant les seaux, les hommes d'escorte prévenaient :
- Mettez ça dans votre poche et votre mouchoir par-dessus! Si quelqu’un tâche de s’enfuir, celui-là recevra tout de suite une balle!
On apporta peu après de l'eau bouillante. Un des camarades alluma un bout de chandelle. À sa faible flamme nous buvions du "thé", en tâchant de nous réchauffer au moins un peu.
Notre respiration fit les chapeaux de fer des clous et des boulons aux les murs du wagon se couvrire du givre.
Sept mois nous passâmes en prison d’Akmolinsk: du juin 1818 au janvier 1919. Deux mois nous fûmes aux fers. Et pendant tout ce temps nous supportions les moqueries des chefs et des surveillants et attendions la mort chaque jour. Enfin le 5 janvier 1919 on nous chassa à Petropavlovsk à 500 verstes. On supportait le froid de loup, la famine et les coups. Chacun pensait qu'à la fin de la voie nous aurions une sorte de sûreté. Cela donnait la consolation.
À l'issue de treize[105] journées de route ce fut le camp à Petropavlovsk.
Et apres cela nous fûmes chassés aux wagons sombres froids, et on ne savait pas où nous étions transportés. Quand arrivera la fin à nos supplices? Qui de nous était-il destiné à voir le jour de bonheur? On dit, que nous irions à Omsk et qu’une audience criminelle y aurait lieu. Quelle audience criminelle? Personne ne le savait. C’était pas important, pourvu qu’elle fût plus vite... Tant bien que mal nous déployâmes sur les lits de planches nos hardes et nous couchâmes.
Dans la nuit nos wagons suivaient longtemps les voies différentes, probablement, on ne savait pas à quelle rame les adjoindre.
Après la réclusion de huit mois nous entendîmes pour la première fois le bruit de la gare animée, les sifflets de locomotive assourdissant, les sifflets et les voix des conducteurs. Ces sons nous semblaient inaccoutumés, nouveaux, comme s’ils appartenaient à quelque autre monde. Et nous étions assis dans les wagons sombres froids et nous nous sentions comme dans l'autre monde.
Enfin le wagon fut adjoint à la rame, et la locomotive se précipita en avant, en coupant la brume de nuit.
Où est-ce qu’on nous transportait? Pourquoi?. . Bon, vas-y... Pourvu que plus vite!
Le wagon craquait et se balançait, les roues frappent sur les joints des rails.
On s’approcha d’Omsk. Nos wagons furent mis à l'impasse ferroviaire.
À travers les fentes les rayons du soleil pénétraient en fils les plus fins d'or. Nous ne voyions pas longtemps une telle aube claire. C’était comme si l'espoir brilla devant nous.
Nous nettoyâmes avec le canif le givre des fentes entre les planches, et les rayons du soleil pénétrèrent vite au wagon. Nous commençames à distinguer les visages de l'un et de l'autre. Nos yeux furent accoutumés il y a longtemps à la pénombre.
La faim se faisait sentir. Nous décidâmes les sentinelle d’accompagner un homme de nous pour apporter de l'eau bouillante. Nous demandâmes des bois, allumâmes le fourneau. Il fit plus chaud dans le wagon. Le poêle de fonte fougit. Les prisonniers transis de froid en route se déridèrent considérablement.
On apporta de l'eau bouillante, on reçut son pain. Ce temps-là notre ration fut diminuée. Si autrefois on nous avait donné du pain une fois par jour, ce moment-là on commença à nous le donner tous les deux jours.
Nous étions assis à côté du poêle rouge, nous nous chauffions, nous mâchions le pain, en buvant de l'eau bouillante.
La chaleur de poêle fit le givre sur les boulons de fer fondre, et on dirait que sur les murs de wagon les larmes se mirent à couler. Et dehors il gelait à pierre fendre, le froid fut sibérien. Le craquement retentissant de neige, le grincement des roues, les sifflets résonnant de locomotive venaient de loin.
Vers le soir on alla de nouveau chercher l'eau bouillante. On demanda les gardiens d’aller à la ville et vendre quelque chose de nos objets menus. Pour l’argent gagné on demanda de nous acheter du pain, du tabac, de papier, les enveloppes et les marques. Ils accomplirent notre demande et même apportèrent le reste de l’argent.
Une fois les chefs d'escorte entrèrent au wagon. Ils nous accompagnaient d'Akmolinsk. Et chemin faisant ils nous demandaient de leur donner nos vêtements chauds et de bonne qualité, ils chassaient après les bottes, tymaks, bechmets. Chez uns on eut le temps d’en soutirer encore chemin faisant, et les autres promettaient de rendre les choses à l'arrivée à Omsk. Donc ils vinrent pour prendre ce qui leur fut promis.
Je dus rendre un nouveau tymak de renard, et en échange on me donna une toque tricotée anglaise couvrant les oreilles. Après cela mes vêtements furent tels: une toque anglaise, un koupi kazakh[106], sous lequel se trouvait un bechmet de laine doublé de poil de putois, puis un veston de travail de drap noir avec les boutons jaunes de séminaire, les culottes de peau de mouton, par-dessous de cela les pantalons bouffants russes, et les bottes kazakhes.
Ayant fini l'échange, nous demandâmes à les hommes d'escorte ce qu’on allait faire avec nous.
- Et qu’est-ce qu ‘on peut faire? On faira une enquête et laissera vous partir, - les gardiens répondirent avec insouciance.
- On va nous remettre en prison?
- Nous ne savons pas exactement, mais où qu’on vous mette, il faudra attendre un peu. On enquête vite maintenant.
Qu’on nous coincent et expédient, où on veut, mais ce n’est plus possible de continuer vivre dans ces wagons! – pensions nous.
Ayant reçu de nous les objets désirés, le chef d'escorte perdit son sérieux et décida de nous calmer:
- C’est pa grave, courage! À force de mal aller tout ira bien. Qu’est-ce qu’il n'arrive pas pendant la révolution!
Ils restèrent debout un peu et partirent, ayant reverrouiller la porte.
Nous nous assîmes pour écrire les lettres à nos amis et à nos connaissances d'Omsk. Zhoumbaï écrivit au parent, qui faisait ses études à Omsk. Moi, Abdoulla et Baken nous écrivîmes de la part de tous les prisonniers à Zhanaïdar qui faisait ses études aussi là. J'écrivis une lettre personnelle à Moukhan Aïtpenov! Les camarades russes écrivaient aussi, en se rappelant les adresses de leurs connaissances.
Nous ne savions pas ce que les prisonniers dans le wagon voisin faisaient à cette temps-là. Nous n’avions pas de communication avec eux. Seulement parfois on échanger quelques mots, quand les portes s'ouvraient simultanément chez eux et chez nous.
- Comment est-ce qu’on va envoyer nos lettres maintenant? – Trofomov commença à penser.
- Il faut demander encore une fois la permission d’aller chercher de l'eau bouillante et chemin faisant mettre les lettres à la boîte aux lettres.
- Et si les gardiens ne donnent pas leur accord?
- Maintenant ils permettront.
C’était Kattchenko qui allait chercher d'habitude l'eau bouillante de nous. Une fois il revint content, apporta du pain, du papiers, du tabac, les enveloppes et dit:
- Je vais vous raconter, les camarades, quelque chose d’intéressant!
- Vas-y, acouche! - nous demandâmes avec impatience.
- Nous entrâmes dans boutique à côté de la chaudière, - racontait Kattchenko. – Nous voulions vendre un anneau d'or ou l’échanger contre la nourriture. Et la boutiquière dès qu'elle entendit, qui nous étions, même changea de visage. Non, elle a dit, je n’ai pas besoin de votre anneau, réservez-le pour un autre cas, et maintenant prenez les produits gratuitement.
Mais nous lui avons donné l'anneau par force et encore un peu d'argent. Elle a commencé à envelopper les produits, à les emballer, et je lui ai demandé en chuchotant: avez-vous un journal? Non, elle a repondu, mais venez encore une fois, je le préparerai pour vous.
Nous fûmes très contents de la participation de la femme tout à fait inconnue, et on décida d'envoyer chez elle toujours Kattchenko, peut-être, il réussirait à envoyer la lettre, visiter la boutique et prendre le journal.
Mais comment le faire?
- Nous demanderons la permission d’aller chercher l'eau! - Chafran se leva brusquement et commença à frapper à la porte.
- Qu’est-ce qu’il y a? - la sentinelle répondit... Chafran commença à la persuader qu’exactement à cet instant-là nous avions un grand besoin d'eau.
- Bon, je rapporterai au chef!..
Dans un certain temps les gardiens ouvrirent les portes, prirent deux personnes de nous, y compris Kattchenko et encore un prisonnier du wagon voisin.
À la tombée de la nuit il devint tout à fait sombre dans le wagon. On parlait en chuchotant. De la station venaient les voix, les sifflets des locomotives, le cliquetis des wagons, qui semblaient faire trembler tout la terre. On entendit les sifflets et les exclamations indistinctes, quelques ordres des cheminots.
Bref, dehors le wagon une autre vie libre bouillait, la vie d'autre monde.
Le poêle se refroidit vite et il fit froid dans le wagon sur le moment. Les parties de fer se couvrirent vite de la multitude de glaçons, on put revoir partout le givre blanc. Il fit plus froid dans le wagon qu’auparavant. Nous étions couchés tourmentés par le froid glacial de ce wagon insupportable.
Dans notre wagon se trouvèrent Kattchenko, Monin, Pavlov, Drizgué, Kremensky et son beau-fils Yurachevitch, Bogomolov, Trofimov, Martlogo, un autre Monin, moi, Petrokeev, Abdoulla, Baken, Zhoumabaï, Anentchenko, Kotov. Près de vingt autres gens d’Akmolinsk furent fermés dans le wagon voisin...
Kattchenko revint.
- As-tu réussi d’envoyer les lettres? Le journal, l’as-tu apporté?
- Tout est bien. Les lettres sont envoyées, et voici le journal pour vous! - Kattchenko répondit en souriant d'un air de satisfactiont, en sortant de la poche le tabac enveloppé d’un journal.
- Qui veut lire? Qui peut lire bien? - nous fîmes le brouhaha en attendant des nouvelles: qu’Ivan Pavlovitch lise!
Ont alluma le bout de chandelle. L'avocat Ivan Pavlovitch Trofimov, socialiste-révolutionnaire gauche, commença à lire. Nous écoutions avec l'attention intense. Le journal fut publié à Omsk par le gouvernement de Koltchak.
On put supposer, sans lire, à quoi on appelait, de quoi on écrivait dans le journal de Koltchak!
"... Les Bolcheviks sont les malfaiteurs, la sangsues, les gredins, les maraudeurs. Ils tuent tous sans exception, excepté leurs adeptes..."
"Au front près de Sterlimak notre régiment héroïque obligea à reculer ces soldats à cul rouge. Il restait à vivre aux bolcheviks pas plus longtemps que jusqu’à fin de l'hiver".
"Conseil des députés se trouve dans l’étreinte de fer qui resserre de jour en jour... Maintenant les gredins n'ont pas de place où se cacher".
"L'agence télégraphique"Reiter", en nous réjouissant, communique que Pétersbourg est pris par le général Yudenich"...
Bref, il y avait beaucoup de telles nouvelles "joyeuses" dans le journal de Koltchak. Mais on y trouvait et les message d’un autre caractère. Par exemple, comme le suivant: "Pour des motifs tactiques nos troupes ont quitté la ville d'Oufa". Et encore: "Nos troupes entourent de nouveau la ville d'Orenbourg".
De telles nouvelles nous firent reprendre courage. Chacun tâchait d’exprimer ses considérations. Ce moment-là nous savions sûrement qu'Oufa et Orenbourg furent entre mains les bolcheviks.
Ont ralluma le poêle, et à sa lumière chaqu’un de nous lisait le journal tour à tour. On échangeâmes nos opinions jusqu’à tard dans la nuit.
Autour de nous, les trains circulaient, la gare faisait du bruit sans arrêt.
Quand il passa minuit, nous nous emmitouflâmes plus chaudement et nous nous endormîmes. Le wagon sombre devint semblable à un coffre forgé bourré d’objets silencieux.
À l'heure de l'aube il fit un peu plus clair dans le wagon. Le vent sifflant venait de chaque fente. Les murs devinrent rayés du givre blanc. Ceux qui dormait à côté du mur eurent les vêtements soudés par la gelée.
On se leva, en claquant des dents de froid. Il n’y eut rien pour allumer le poêle. On attendait longtemps, enfin des hommes d'escorte arrivèrent pour le contrôle régulier.
Cette fois-là les soldats neufs inconnus entrèrent dans le wagon avec ceux vieux. Ils se fourrèrent en masse au wagon et nous regardèrent fixement avec curiosité. Nous ayant recalculé, un ancien chef d'escorte remit chacun de nous individuellement entre les mains du successeur, et celui-là nous recalcula à son tour et inscrivit nos noms.
Puis ils se dirigèrent au deuxième wagon avec le même but, et ensuite au troisième, où se trouvait une vieille escorte. Ainsi nous fûmes remis aux mains de la nouvelle escorte.
La nouvelle escorte nous montra une autre attitude: on ouvrit les portes des deux wagons et on nous permit d’aller nous promener. Nous nous lavâmes à la hâte tant bien que mal, allâmes chercher l'eau bouillante et le pain.
Les nouveaux gardiens, les gars tout à fait jeunes, nous semblaient meilleurs que leurs prédécesseurs, bien qu'ils, selon les vêtements, fussent du détachement de chef cosaque Annenkov. La plupart d'eux furent les élèves et entrèrent dans le détachement d’Annenkov volontairement.
- Et les anciens hommes d'escorte reviendront? - nous nous intéressâmes.
- Non, dès maintenant vous serez gardés seulement par, - la réponse suivit.
Le jours se succédaient à la fille dans le wagon triste glaçant. On nous donnait pas plus qu’une livre de pain par personne tous les deux jours. Pendant que nous avions les hardes, nous les vendions, pour l’argent gagnés nous achetions du pain et le divisions en parties égales les distribuant entre nous.
Ayant obtenu des soldats du bois de chauffage, on noyait le poêle. L'eau commençait à dégoutter des murs, en formant sur le plancher une flaque sale. Ensuite le chaud s'anéantissait, et la flaque se glaçait instantanément. Puis elle redégelait, l’eau dégouttait de nouveau des murs, et la flaque devenait de plus en plus grande, faisant une grosse couche de glace sur le plancher.
Enfin nous perçâmes deux trous dans le plancher à deux places pour le drainage de l’eau de givrage.
Parfois pendant le jour les sentinelles entraient chez nous pour se réchauffer près du poêle chaud. À notre demande ils laissaient la porte à peine entrouverte pour laisser les rayons de soleil pénétrer au wagon.
En se chauffant près du poêle, un jeune soldat devait répondre bon gré mal gré à nos questions, et nous tâchions de parler en premier lieu de la politique.
Une fois je demandai incidemment:
- Quel est le gouvernement en Russie maintenant?
- Là, où ont chassé les bolcheviks, on forma le gouvernement national, - la sentinelle répondit.
- Et où se trouvent les bolcheviks?
- Les bolcheviks ?.. En Russie!
- Et c’est quoi ce gouvernement national? La république?
- Il s'appelle le gouvernement provisoire.
- Et l'amiral Koltchak?
- Koltchak est le régent suprême. Lui il est pour un certain temps. Mais dès qu'il battra les bolcheviks, on convoquera tout de suite l'Assemblée nationale panrusse, et cette réunion-ci décidera, quel gouvernement doit être chez nous.
Je causais longtemps avec cette sentinelle. Avant le service il faisait ses études à Omsk a l’école agricole secondaire. Il entra au détachement d’Annenkov volontairement.
- Et quoi est meilleur, à votre avis, la république ou le pouvoir tsariste? - je demandai.
- Certes, la république! - il a répondu.
- Maintenant le régent suprême est Koltchak. C’est à dire que le gouvernement est sa dictature. Et s’il soudain gagne toute la Russie? Quel gouvernement sera dans ce cas?
- Je dis, que la question sur le gouvernement décidera l'assemblée nationale.
- Eh bien, comment pensez-vous qu’est-ce qu'il choisira?
- Quel gouvernement plaira à l'assemblée nationale, donc celui-là va être, - le soldat répondit avec hésitation.
- Vous venez de dire que là, où il n'y a plus de bolcheviks, on a constitué le gouvernement national. Mais est-ce qu'il peut être national, s’il est dirigé par une personne: Koltchak?
- Avec le temps il deviendra national! Le peuple prendra la parole à la réunion et proposera son propre gouvernement!
C'est une affaire que le peuple ne sera pas présent à la réunion. Là il n’y a pas de place pour les gens simples. Y participeront les amiraux, les généraux, les officiers supérieurs, les nobles, les intellectuels, les beys.
- Ils protégeront leurs intérêts. Ils y trouvent leur compte de tenir la bride haute au peuple, - je dit catégoriquement.
Les camarades, en voyant que je me passionnai trop, commençèrent à me donner les signes pour que je me refroidisse, de me calmer.
Le soldat réfléchit, mais continuait à camper sur ses positions:
- Vous avez tort. À la réunion le peuple choisira ses représentants par la majorité des voix. Et ce cera eux qui solliciteront la justice.
- Quand le pouvoir est concentré en main d’une personne, aucun vote national n'aidera pas, - je conclus rudement.
Quelques jours passèrent. Une fois à travers la porte nous entendîmes quelqu'un parler kazakh avec la sentinelle. Nous nous appliquions contre la fente et nous vîmes un jeune Kazakh portant un manteau usé et une toque blanche.
La sentinelle entrouvrit la porte, et nous passâmes les têtes. Le djiguite nous salua d'un air aimable.
- Êtes-vous d'Akmolinsk? - il demanda.
- Oui! Et qui êtes-vous?
- Moi, je suis le parent de Zhoumabaï Nourkin. Est-ce qu’il est avec vous?
Zhoumabaï se jeta vers la porte, en saluant avec attendrissement un jeune parent, qui fut Kourmangalii Touiakov, l'élève de l'école d'Omsk. On apprit qu'il avait reçu la lettre de Zhoumabaï et vint le visiter. Nous ayant demandé sur notre situation, il promit de venir demain et partit. L'apparition de ce djiguite nous encouragea, on pouvait compter quand même sur un soutien quelconque. Le lendemain le djiguite nous apporta une bouilloire et quatre tasses de fer-blanc, comme nous avions demandé.
Sur la situation aux fronts de Kourmangali, malheureusement, il savait pas plus que nous. Mais il nous fit une récit détaillé des événements à Omsk. Il parlait simplement et modestement, et le gardien fut ce hour-là calme et en plus il ne comprenait pas kazakh.
- En décembre les bolcheviks, les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, s'étant unis, montèrent un complot contre Koltchak. Tout commença bien. Dans la nuit les conspirateurs attaquèrent la prison et libérèrent tous les détenus, y compris Chaïmerden Alzhanov et Kolbaï Togoussov.
Au premier jour ces camarades se cachèrent dans la maison du mollah Kouderi, et dans la nuit ils partirent dans la steppe. Mais les gens d’Alach-Ordan eurent vent de l'évasion, se lancèrent à la poursuite et à deux jours dans un des aouls ils les rattrapèrent, les saisirent, ramenèrent et remirent en prison. Togoussov mourut, je ne sais rien de Chaïmerden...
- Voici quels féaux sont les membres d’Alach-Orda! - quelqu'un de nous dit avec l'ironie cruelle. - Probablement, Koltchak les dédommagea des tchapans chers pour la capture de deux grands révolutionnaires.
- Qui sont ces citoyens héroïques d'Alach, qui ont attrapé Kolbaï et Chaïmerden? - nous nous intéressâmes.
Un des citoyens d'Alach se trouva Kazi Torsanov, le parent de notre Zhoumabaï. Son père Torsan, le démerdard et le glouton connu dans tout le district de Petropavlovsk, qui travailla vingt cinq ans comme un intendant de voloste, recevait bien des fois les diplômes donnés par le tsar Nikolay lui-même.
Son fils Kazi, suivit les traces de son père. Ce temps-là il fut membre du comité régional d’Alach-Orda d’Akmolinsk. Il y eut le temps, quand Kazi, ne s'étant pas entendu avec les membres d’Alach-Ordan, prit part à la création du parti "Ouch zhouze" avec Kolbaï Togoussov et Chaïmerdenom Alzhanov.
L'aventurier selon sa nature, lui s’y trouva peu de temps et repassa vite à ses amis politiques, devint membre digne d’Alach. Donc, les bolcheviks et les socialistes-révolutionnaires libérèrent les détenus de la prison, et les gens d’Alach-Orda appliquèrent tous ses soins pour rendre leurs compatriotes en prison. Bravo, les pauvres diables!
On nous réussit à établir plus tard les détails de cet événement assez important.
En décembre 1918, quand les forfaits des gens de Koltchak dépassèrent les bornes, le comité clandestin des bolcheviks prit la décision de soulever une révolte dans la ville.
Plusieurs soldats-recrues quittaient les détachements de Koltchak et passaient aux bolcheviks. Pour ce moment-là Koltchak, n'ayant pas considéré les socialistes-révolutionnaires comme ses adjoints, commença à les arrêter et à fusiller certains d’eux.
Les socialistes-révolutionnaires passèrent aux bolcheviks aussi. On dressa ensemble le plan de la conquête de la ville. Il fallut occuper en premier lieu la gare, puis rendre les prisonniers libres, prendre en main le téléphone et le télégraphe. On prévit l’encerclement du régiment de cosaque de cheval au centre de la ville et libérations des camps des gardes-rouges, les Hongrois, les Autrichiens, les Allemands captifs. Ainsi, les bolcheviks décidèrent de renverser en une nuit le pouvoir de Koltchak dans la ville.
Dans la nuit du 22 décembre un détachement des bolcheviks libéra les prisonniers et désarma le régiment cosaque de cavalerie. Mais à cause de l'incurie des socialistes-révolutionnaires le télégraphe central resta entre les mains des gens de Koltchak, ils alertèrent tout le monde, appelèrent un renfort.
Les chefs bolchevistes furent pris au dépourvu, l'état-major fut arrêté. Les détachements dépareillés des révoltés ne savaient pas que faire. Zhanaïdar Sadvokassov et Adilev (Dinmoukhammet) attendaient des indications de l'état-major des insurgés et furent involontairement inactifs comme tous les autres.
On commença une tiraillerie. De nombreux officiers et des gendarmes de Koltchak furent alarmés. La ville se troubla. Il resta peu de bolcheviks. Les ouvriers du chemin de fer sympathisaient à la partie des bolcheviks, mais ils n’étaient non plus nombreux.
Le détachement peu nombreux, en ripostant par un feu d'artillerie, recula vers la gare. Là, ayant érigé la barricade, il tint ferme jusqu'au matin, et recula ensuite à la station Koulomzino.
Des Kazakhs d'Omsk Zhanaïdar Sadvokassov qui habitait la maison d'Aïtpenov participait à la révolte avec les bolcheviks.
Il fut en communication constante avec l'écrivain-révolutionnaire connu d'Omsk Berezovski. Dinmoukhammet se cachant à cette époque-là pour éviter l'arrestation s'acquittait aussi les commissions des bolcheviks.
Le lendemain après la répression de l'insurrection Koltchak communiqua un ordre: "Les receleurs des bolcheviks seront fusillés sans sans forme de procès. Tous les fugitifs libérés de la prison doivent arriver volontairement aux autorités".
Douze socialistes-révolutionnaires s'évadant de la prison, obéirent l'ordre et se rendirent à la merci des gens de Koltchak.
La même nuit ils furent tous fusillés jusqu'au dernier.
Comme je déjà racontai, ce furent les membres d’Alach-Orda qui aidèrent Koltchak à attraper les fugitifs.
Les chevaliers d’Alach-Orda se jetèrent rechercher Dinmoukhammet.
Moukhan Aitpenov, la maison de qui Zhanaïdar habitait, cachait dans sa maison le bolchevik Novikov, évadé de la prison.
Ainsi se comportaient différemment les Kazakhs pendant l'insurrection de décembre...
Mais reviendrons à nos wagons.
Le lendemain Kourmangali amena avec lui Zhanaïdar. Notre joie fut sans bornes. Ils nous apporta beaucoup de pain et de beurre. Ayant mangé à sa faim, nous décidâmes que le pain beurré est la nourriture divine.
Les camarades russes saluaient avec plaisir nos visiteurs, s'intéressaient aux nouvelles. Mais de nous ne nous rencontrions plus avec Zhanaïdar et Kourmangalii, parce que nos wagons furent mis à l'impasse ferroviaire. Il était tout à fait désert là, seulement les cheminots passaient parfois devant nos wagons. En soufflant, la locomotive noire manoeuvrait sur les voies, allant et vennant, parfois lentement, parfois vite, comme si un jeune poulain moreau s'entraînait devant baïga[107]. Peu après la locomotive adjoindrait les wagons et les entraînerait sur les longues voies. Les wagons seraient différents. Il serait chaud et confortable dans les uns, sur les sièges rembourrés se trouverons les messieurs. Dans les autres les gens affamés tourmentés seront sur les planches nues sans morceau de pain du matin à la nuit. Dans uns wagons ce sera le paradis, dans les autres ce sera l'enfer. La locomotive ne se chagrinait pas et ne se réjouissait pas, il traînait patientement les wagons de joie et ceux de souffrance. Ah, la locomotive, l’âme de fer!..
Dans notre wagon notre vie ne changeait pas, c’était toujours la glace, l'humidité et le vent froid venant par les fentes. C’était pas la vie, mais l’enfer, et la prison nous semblait ce temps-là le paradis.
Combien de fois dans l'enfance on nous faisaient peur avec les images de l'enfer un peu comme ça:
- Si tu dis "j’ai froid", on te jettera au poêle rouge de feu. Le feu y brûle la personne à une journée de marche... Et si tu dis: "Ayoye, je brûle!", on te jettera dans une mer glaciale sans bornes. Et si tu dis "j’ai froid" de nouveau, on te rendront à un ancien poêle rouge...
Nos wagons étions pire que l'enfer, parce qu'à eux, en plus de la chaleur et du froid, il était encore sombre et on y était serré. Déjà trois personnes d’entre nous tombèrent malades. L'état de Pavlov s'aggravait de jour en jour.
Être en prison d'Omsk nous semblait ce temps-là le comble du bonheur humain. Le malheur noir plantait ses griffes sanglantes à nous avec acharnement et de plus en plus profondément.
Il fut deux semaines que nous arrivâmes à Omsk, mais on ne voyait aucune lueur d’espoir dans notre destin.
Nous réussissons à obtenir parfois les journaux frais de Koltchak par de différentes voies: du passant accidentel ou de la même boutiquière, par example. Dans ces journaux on disait toujours le même.
Mais on put remarquer que la marche triomphale de Koltchak relentit. Il fut impossible de trouver une seule ligne sur l'offensif des gens de Koltchak au front.On put aussi comprendre entre les lignes que le peuple ne demeurait pas les bras croisés. À toute la Sibérie: dans l'Altai, dans les alentours d'Irkoutsk, dans la vallée de l'Ienisseï - partout, où Koltchak commandait, l'onde des insurrections passa.
А nous étions assis sous clé et nous cassions la tête, comment obtenir au moins une bûche pour le poêle. Une fois une locomotive passa lentement en soufflant devant nous. Nous demandâmes à la sentinelle de demander le mécanicien de nous donner un peu de bois. La locomotive s'arrêta.
Les gardiens firent débarquer deux prisonniers de chaque wagon et les amenèrent chez le mécanicien. Ils revinrent avec les brassées de bois et la deuxième fois allèrent vers la locomotive déjà plus vite, plus énergiquement. La locomotive se trouvait toujours sur place, probablement, le mécanicien fut bon.
Plusieurs fois nos camarades allèrent chercher les bois.
- Nous avons réussi à parler avec le mécanicien, - Chafran dit dès qu’il revint chez nous, - nous lui avons expliqué, qui nous étions, pour quoi on nous a mis en prison, et lui, il a poussé un juron envers les gardes-blancs et a dit: "Tenez ferme, les camarades, ces chiens vont vivre longtemps! Tout le peuple les déteste!"
Voici comme ça nous apprenions peu à peu les nouvelles: parfois du mécanicien accidentel, des journaux, et parfois de la sentinelle qui partageait volontiers les nouvelle avec nous.
Nous fûmes encouragés par le fait que le peuple reconnut le pouvoir de Kolchak. Nous attendions les meilleurs jours, nous supportions les supplices et espérions que la situation ne s'aggravât par. Les wagons se trouvaient toujours dans l'impasse déserte. Nous écrivions aux camarades, où ils puovaient nous trouver, mais on n'avait ni vent ni nouvelle d’eux.
Il était de jour en jour plus difficilement. Nous n’avions plus d’objets, qu’on nous permissait de vendre. Il nous fut interdit de vendre les vêtements. Et en tout cas il n’y eut personne qui pouvait les acheter.
Nous ne savions plus comment enrichir notre ration pauvre. Les camarades affamés s’affaiblis tout à fait.
Dans peu de temps Pavlov est décédé. Il mourut tranquillement, il ne souffrait pas longtemps temps et seulement dans le dernier jour il gémissait. Nous le soignions comme nous pouvions. La personne héroïque courageuse nous quitta pour toujours. Nous eûmes le coeur encore plus gros.
Approximativement seize jours dès notre arrivée à Omsk un jeune officier de moyenne taille avec les traits réguliers du visage, blond, portant l’uniforme d’homme d’Annenkov entra à notre wagon en compagnie de dix soldats.
Il sortit le papier et le crayon du sac élégant en cuir pendant sur son côté, et dit:
- Je vais appeller vos noms et vous répondez. Ceux qui se trouvaient à côté de lui tâchaient de jeter un coup d'oeil sur papier, pendant qu’il vérifiait tous selon la liste.
- On va vous envoyer aujourd'hui. Laissez ici tous vos hardes de trop! - l'officier ordonna.
- Où nous envoye-t-on?
- Vous le saurez aussitôt arrivés. Et maintenant pozer chacun vos choses pour l’inspection!
L'officier recommença à appeler les noms, chacun de nous s'approchait et déployait les hardes et le linge de lit. Il l’examinait et avec les mots "c’est de trop" mettait de côté ce qui était plus cher. Il nous déposséda de quelques montres et quelques alliances de marriage. Il m'a pris la pelisse kazakhe, qui appartenait à Baken, mais était portée par moi. L'officier donna le signal à un soldat de s’approcher, lui indiquait en remuant le menton de remettre les objets expropriés à part.
La visite de l'officier nous "soulagea" considérablement. Je restai habillé de deux chemises et d’un veston de travail de séminaire. J’avais par-dessus un bechmet usé kazakh doublé de fourrure usée de putois. Il était bon que l'officier ne m'ait pas arraché les culottes de peau de mouton, les bottes et la toque anglaise tricotée.
Ayant pris tous les choses, l'officier partit.
Nous commençâmes à conjecturer, où on allait bous envoyer? Chafran ou Trofimov eut le temps de voir du coin de l'oeil la prescription en main d'officier de nous envoyer à la disposition de l'état-major d’un corps de steppe.
- Quel corps de steppe? Où il se trouve-t-il? À qui on va nous transporter - à Annenkov? Ou à l'état-major du chef cosaque Semenov? Ou à un autre général?
Tous sentaient que ça sentait le brûlé. On allait nos envoyer à l'état-major, nous y traduire devant le conseil de guerre et ensuite fusiller. Il n’avait pas d'autres suppositions.
Le soir tomba. Je regardai par une large fente pour voir ce que se passait à la station. Ce jour-là temps était nuageux, il n’était pas trop froid. À droite, deux ouvriers faisaient quelque chose sur les voies. Il n’y avait personne outre eux. On entendait comme toujours le brouhaha de gare, l’halètement des locomotives. Les accrocheur de wagons causaient, quelqu'un discutait. Le bruit des tampons venaient. De grands cristaux de neige tombaient lentement dans le calme.
Les ampoules électriques s’allumèrent. On voyait de côté et d'autre des lanternes rouges et vertes. Les cheminots s'entresifflaient sonorement, donnaient des signaux l'un à l'autre avec les feux.
Tout près de nous le train passa avec le fracas en coup de vent en direction de la Sibérie. Ensuite encore une rame passa devant nous en ébranlant la terre, avec le fracas et aussi en direction de la Sibérie.
J'observais longtemps et fixement la vie bruyante de gare tellement différant de nos jours sombres et sévères. Il me sembla que j'estimai réellement la vie seulement ce jour-là...
En garnissant le feu, nous veillâmes tard. Drizgué fut gravement malade, il s'en allait comme une chandelle. La mort de Pavlov, l'état de Drizge, l'incertitude - tout cela nous oppressait.
Les uns regardaient silencieusement la flamme s'éteignant du poêle s’étant couché, les autres l’observent se trouvant assis. Les murs du wagon pleuraient. Le hurlement de l'ouragan venait de la rue.
Au minuit on entendit les pas s’approchant de notre wagon. La sentinelle demanda quelque chose, et les pas s’éloignèrent. Nous prêtant l'oreille à tout.
Quelques minutes plus tard vers on poussa une locomotive vers nos wagons, on les attela et commença à traîner à une autre place. Tous se réveillèrent, prêtèrent l'oreille. Le wagon fut dételé. Ensuite on l’attela de nouveau, transportaient plusieurs fois et enfin après de longues manoeuvres nous nous trouvâmes attelés à un train.
Le train roulait à grande vitesse, mais le sommeil me fuyait, je regardais l’obscurité par les fentes.
Tout fut enveloppé de nuit d'encre. L'ouragan lèchait avec sifflement la neige des champs, la faisait tourbillonner et la déversait avec la force sur les wagons.
Les roues cognaient contre les rails.
Au point du jour sur un des arrêts on nous fit sortir nous promener. Nous vîmes qu’on emmenait Khafiz du deuxième wagon en lui donnant le bras, à droite de lui se trouvait Baïmagambet, et un camarade russe fut à gauche.
- Qu'est-ce qui ne va pas? Est-il tombé malade? - Nous nous jetâmes devant eux.
- Il se sentait mal, toute la nuit il se jetait de tous côtés à cause de fièvre. Maintenant il se sent un peu mieux, mais ne peut pas encore recouvrer toute la santé, - Baimagambet prononça faiblement.
Quand on nous faisait revenir, un camarade du deuxième wagon Pankratov pénétra imperceptiblement dans notre wagon et raconta:
- La nuit, dès que nous partîmes d'Omsk, on eut quelque chose d’extraordinaire. Tous étaient assis en se taisant, comme toujours. Personne ne faisait pas d’attention à ce que Khafiz, s'étant recroquevillé, se détourna vers le mur.
Soudain il souleva la tête et demanda Baïmagambet de lui donner un canif. Celui-là ne le lui donna pas, ayant dit que le canif était fourré, et il ne voulait pas le sortir. Khafiz, sans rien dire, se coucha et se détourna de nouveau vers le mur. Après un certain temps on entendit les gémissements et le bredouillement en kazakh venant de son coin. Baïmagambet se jeta devant lui, le souleva et cria: "Venez vite, il veut se tuer!" Tous se levèrent d'un saut, entoura Khafiz. Il voulait ouvrir une veine avec un clou, mais ne coupait que les muscles sur le coude. La blessure saignait. Nous la bandâmes, calmârent Khafiz, l’encourageâmes, le grondâmes pour sa faiblesse d'âme. Lui il étaient couché et pleurait, peu après il semblait se calmer, et nous revînmes à nos places. Soudain il se lança enragé vers la porte et commença à la frapper avec les pieds, à crier terriblement. Nous le repoussâmes avec peine, mais il s’arrachait avec acharnement, menaçait toujours à quelqu'un, ne voulait écouter personne, jusqu’il perdit connaissance. Il s'agitait longtemps saisi par le délire et implorait: "Mes frères! Laissez-moi mourir moi-même, et pas de la mains de ces bourreaux! Je casserai la porte! Ma patience est à bout". Pendant l'arrêt il se rejeta devant la porte, commença à gronder avec acharnement des gardiens. On entendit la voix de la sentinelle venant d’au dehors. La porte s’ouvrit, un officier avec les hommes d'escorte entra et se mit à hurler: "Qu'y a-t-il?" Khafiz ne se calmait pas. Il grondait l'officier, Koltchak et le pouvoir de Koltchak.
L'officier a blanchi de rage et sortit brusquement le sabre. Nous se mîmens à calmer l'officier, à lui dire que Khafiz était malade, à demander de le pardonner parce qu’il était délirant. Mais Khafiz ne décollait pas de l'officier et commença à l'implorer: "Si toi tu es un homme, n’épargner pas ne balle, tue-moi"...
L'officier partit, et nous continuions à tenir Khafiz, il se calma seulement au point du jour. Voici la situation, mes amis, - Pankratov termina son récit.
А quelles conversations menez-vous dans votre wagon à propos de notre future sort? - quelqu'un demanda.
Où que nous soyons envoyés: chez le chef cosaque Semenov ou chez le chef cosaque Annenkov, la fin sera la même. on est cuit... Pankratov se tut.
Malheureusement, nous pensons le même, - quelqu'un avoua tristement.
- Oui, la pauvre Khafiz, ses nerfs l'ont trahi!..
Et le train se précipitait avec fracas à travers une plaine blanche comme neige infinie, en nous emmenant à l'est, en profondeur de la Sibérie. La tempête du neigene se calmait pas. De la neige profonde les bouleaux sortaient, leurs sommets se balancaient sous le vent, comme s’ils nous saluaient.
La situation dans le wagon devint encore plus mauvais, qu'elle avait été à Omsk. On commença à nous donner une quart de pain par tête, et souvent nous n’avions même pas assez d’eau. Nous demandions les bois aux mécaniciens des locomotives que nous rencontrions aux arrêts. Mais on nous donnait plus souvent pas les bois, mais houille menue. Nous répandions les cendres menues sur le plancher pour qu’elles absorbassent l'eau.
Quand it faisait chaud, la faim semblait pas si forte, et il était comme si nous nous nourrissions de feu. Mais dans peu de temps la chaleur nous faisait avoir soif, il fallait demander à l'eau aux arrêts aux hommes d'escorte. Et ils n'accomplissaient pas toujours notre demande. Tous les visages sont noirs du poussier, les yeux rentrèrent, c’était pas les gens mais les squelettes couverts de peau. Le matin, quand on nous faisait sortir pour faire nos besoins, nous nous lavions à la hâte avec la neige, un tel lavage faisait les visages devenir striés et sales.
Tous nos lits de planches furent usés pour l’allumage. Seulement les planches, sur lesquelles les malades se trouvaient restèrent. Et le nombre de malades augmentait de jour en jour... Drizgué se sentait particulièrement mal. La famine tourmentait tous, mais nous tâchions avant tout de nourrir au moins un peu les malades...
Il était bien après minuit... Près du poêle chauffé au rouge quatres hommes restèrent assis: Chafran, Kattchenko, Anantchenko et Kotov. Je m’assis près d’eux.
- Si nous ne mourons pas ici, on va nous fusiller là en tout cas, - Chafran prononça.
- S'ils eussent voulu nous juger, ils noue auraient laissé dans la prison d'Omsk. Pour quelle raison on nous transporte à une autre place? Il est evident: pour nous achever!
- Nous devons nous enfuir. Il n'y a pas d'autre issue. Dans ce cas au moins quelqu'un de nous restera vivant, - continuait Chafran – il faut descendre du train en marche.
Les camarades le soutinrent, et moi, je gardai le silence.
- Mais les wagons sont fermés et on n’a pas d’outils pour les ouvrir, - Kattchenko s'est mis à parler. - Comme peut-on sauter? On ne pourra pas enfoncer la porte sans instruments. Et les sentinelles continuent à suivre en marche aussi, donc s’ils remarquent l’un, nous périrons tous.
- Et si on élargit le trou, par lequel la cheminée sort? – Kotov dit.
Chacun proposait son plan. Chafran se leva brusquement.
- Il est plus facile de sauter par la fenêtre, il faut ouvrir seulement le volet, - il prononça fermement et s'approcha de la fenêtre.
Ayant peiné peu de temps, il ouvrit le volet et se tourna vers nous. Nous restâmes figés sur place, en regardant le volet ouvert et Chafran: qu'est-ce qu’il ferait? Chafran passa prudemment la tête par la fenêtre pour regarder le wagon des gardiens. Un coup de feu éclata. Chafran retiré instantanément la tête et ferma précipitamment le volet.
- Les fils de pute, ils nous surveillent. Il visait directement à la tête, la canaille! - il lâcha un juron. – Ils ont l'œil sur nous même dans la nuit.
La nuit passa. À l’un des arrêts on réussit à trouver un peu de pains et d’eau, on cassa la croûte.
Le jour passa comme d'habitude. Le jour baissait. Tous étaient assis près du poêle.
Soudain Nestor Monin se souleva sur le lit de planches et cria:
- Les camarades! Koltchak s'enfuit! Le général Gaïda vient de passer!
Tous se tournèrent et le regardèrent avec étonnement. Où s'enfuit Koltchak? Où est Gaïda?
- Quelle absurdité tu racontes là?
Le nom de Gaïda, le général tchécoslovaque, nous fut connu des journaux. Il commandait au front luttant contre l'armée des Soviets.
Nous couchâmes Monin sur le lit de planches, ayant compris qu'il tomba gravement malade. Mais Monin peu après sauta de nouveau, et cria:
- Vive la République socialiste fédérative soviétique!
... Il faisait étouffant dans le wagon. Les mains, les pieds étaient comme aux fers. Le malheur noir muet qui saisit tout notre essentiel nous paralisa. Tout était comme un rêve horrible... Aux haltes nos wagons détalaient, atellaient à un autre train et traînaient de nouveau.
Dans le deuxième wagon la situation est pas meilleure que la nôtre. Khafiz y mourait, il y avait des autres malades.
Nous commençâmes à rencontrer souvent les trains avec les recrues des paysans. Mal habillés, ils criaient et faisaient du boucan, comme ivres. On entendait le chant, les jurons, parfois les lamentations larmoyantes. Là, dans les wagons, c’était aussi l'esclavage. Nous étions transportés à l'est, vers la mort, eux,ils étaient transportés à l'ouest, aussi vers la mort. Son verdict sombre était sans appel!..
On arriva à Novo-Nikolaevsk[108]. Nos wagons furent détalés et mis de nouveau à l'impasse isolé. On nous sortit à la promenade. Nous nous lavâmes tant bien que mal avec de la neige, à cause du charbon pénétré les visages devinrent striés et noirs, seulement les yeux scintillai ent et les dents blanchissaient.
Vers le soir six furent emmené chercher les bois. Nous demandâmes les sentinelles de laisser la porte ouverte. Ceux d’entre nous qui pouvaient encore se tenir debout, s’amassèrent près d'elle. Nous regardions les passants.
Peut après un officier apparut, c’était un chef de nos hommes d'escorte, avec lui il y avait encore quelques militaires, tirés à quatre épingles, habillé chic: portant les bottes nettoyées à éperons faisant bruit, les galon de ruban d'or sur les manches, armés des dames et des revolver. L’un d'eux (un blond de haute taille) avait sur les manches et à la casquette les galons avec l’image de crâne humain.
- Est-ce qu’il y a parmi vous les gens d'Orenbourg ? – l’un des nouveaux venus demanda.
- Non, nous sommes d’Akmolinsk, - on lui repondit,
- Il semble, vous êtes du conseil des députés? – un très jeune enseigne aux joues potelées demanda.
- Oui.
- Fichtre! Ils veulent la liberté, les canailles! - le gamin remarqua caustiquement.
Nous nous taisions. Les officiers partirent dans peu de temps.
De Novo-Nikolaevsk on nous transporta à Barnaoul. Il devenait clair, qu’on nous emmenait à Semipalatinsk chez le chef cosaque Annenkov, à "l'état-major du corps de steppe" en question.
Le train allait lentement maintenant, en s’arrêtant. Aux gares de croisement on attendaient longtemps les trains de rencontre. Épuisés, nous ne pouvions pas déjà parler. Le silence de mort s'établit dans les wagons.
Le camarade Drizgué décéda. Lui, comme Pavlov, patientement et silencieusement supportait les souffrances, et il mourut tranquillement. Pavlov laissa la femme et quatres ou cinq enfants. Au conseil des députés il était commissaire aux finances, il fut un homme ferme, maître de soi, cultivé, un esprit large. Nous connaissions Drizgué peu. Il vint à Akmolinsk d'Omsk et était chez nous le président du tribunal révolutionnaire. C'était une personne courageuse, ferme sur ses étriers.
Nous notifiâmes les sentinelles de la mort du camarade. Les gens d'escorte ouvrirent les portes. Ils nous ordonna de porter le cadavre dehors. Il se trouva qu'on attelait à nos wagons encore un wagon vide destiné spécialement aux défunts. Les assassins experts de Koltchak se trouvèrent prévoyants. Quand on portaient dehors le corps du camarade Drizgué, nous chantions lentement avec les voix serrées de la colère et du chagrin "Torturé à mort par l'esclavage insupportable".
Drizgué fut suivi par Monin. Il était gravement malade et luttait difficilement et péniblement avec la mort. La fureur concentrait dans notre poitrine comme un noeud serré. Le décédé fut emporté au wagon, où Drizgué trouva la place. Quand on portaient le cadavre, Iakov Monin, frère du mort, n'a plus le supporter, il saisit le décédé avec sa main et commença à sangloter comme un enfant. Je fus par le premier qui le stoppa:
- Ce n ‘est pas le temps maintenant pour pleurer! Lève-toi! Lui, il était pas seulement ton frère!
Iakov se calma peu à peu.
Monin fut né à Akmolinsk, il avait été soldat, après le renversement du tsar il fut l’un des premiers gens qui levèrent le drapeau des Conseils à Akmolinsk et il devint le commandant rouge. Il travaillait de bonne foiavec Krivogouz. Il fut un homme lettré, membre du praesidium compétent, courageux, membre de combat de notre conseil des députés, le commissaire aux affaires des contributions. À Akmolinsk sont restés ses vieillards (le père avec la mère) et sa jeune femme...
On passa Barnaoul. On y acheta près d’une livre de beurre et de pain, on prit un léger repas. Mais est-ce qu’une telle nourriture pouvait aides beaucoup les gens affamés et émaciés? Nous rendions le meilleur morceau aux malades. L'eau fraîche, que nous trouvions pas toujours, nous, malgré une forte soif, ménagions aussi pour les malades.
Dans notre wagon le matelot Avdeev et le camarade Melokoumov furent particulièrement gravement malade. Dans un autre wagon deux hommes décédèrent: Martynov et Pyankovsky, tous les deux furent d’Akmolinsk. Martynov fut l’ouvrier de l'usine de Spassk, Pyankovsky fut le citadin, le forgeur, de nationalité polonaise. Tous les deux furent membres du conseil des députés. Pyankovsky était le commissaire au travail. Tous les deux avaient à Akmolinsk les femmes et les enfants. Devant la mort Pyankovsky chantait la "Marseillaise". Le Polonais avec l'âme lyrique romantique, même en mourant, il chantait...
Quand nous passions le district de Barnaoul, notre situation s'améliora considérablement, seulement la mort de nos camarades assombrissait toujours l'humeur.
Les "batyrs" du chef cosaque voulaient nous faire mourir de faim exprès, c'était clair selon ce wagon de défunt, qui fut attelé à les nôtres. Sans déjà parler sur d'autres produits, ils ne firent même pas de provision de pain pour nous. En plus à plusieurs stations on ne pouvait pas du tout trouver la nourriture.
On pouvait voir rarement une paysanne avec une miche de pain, il n’y avait aucuns autres produits. Tout le malheur c'était que, premièrement, les paysans eux-mêmes il n’avaient pas suffisement de produits, et deuxièmement, ils ne voulaient rien vendre pour l'argent de Koltchak.
Et en plus la population locale redoutait les gens de Koltchak en général.
À une des petites gares notre rame de wagons se trouvait longtemps. À cinq du chemin de fer on voyait un bourg. Quatre gardient trouvèrent quelque part une paire des chevaux attelés au traîneau, ils prirent un prisonnier de chaque wagon et partirent pour le bourg... Ils revenirent avec du pain. La plus grande partie fut prise par eux-mêmes, et une autre fut partagée en deux wagons.
Comment se passa? Ayant fait irruption dans le bourg, les gens d’ataman ordonnèrent de leur donner du pain. "Nous sommes tous affamés nous-mêmes", - les paysans répondirent. Les soldats visitèrent dans chaque maison et ne purent trouver du pain chez personne. Ayant saisi l'instant propice, un de nos camarades chuchota tout doucement au paysan, pour qui le pain était prévu. Le paysan dit avec dépit: "Pourquoi ne me l'as pas dit tantôt? Nous ne vous connaissions pas!"
La situation changea brusquement: les paysans apportèrent du pain tout de suite. Ils collectaient avec application tout qu’ils pouvait, jusqu'à la dernière miette, jusqu’à les soldats de chef cosaque prononcèrent: "C’est suffi, il n’y a plus de temps, le train nous attend".
Aux stations du district de Barnaoul nos camarades, qui allaient chercher du pain et du tabac, réussissaient parfois à trouver le journal en russe "Le rayon d'Altaï". Ses articles se distinguaient de ceux des journaux d'Omsk, il était plus ou moins contre Koltchak, probablement, il était publiée par les socialistes-révolutionnaires. De ce journal nous apprîmes beaucoup de nouvelles.
"... Le Président de l'Amérique Vilson aux fins de maintien du calme en Europe convoque la conférence aux Îles des Princes. À cette conférence on discutera la question sur l'installation de la paix en Russie. On invite à la conférence de la Russie avec les autres participants aussi les représentants du gouvernement bolcheviste".
Le journal communiqua que Koltchak répondit: "Si on invite les représentants des bolcheviks, nous refusons de prendre part à cette conférence".
Dans le journal on disait qu'en Russie les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks, s'étant mis d'accord avec les bolcheviks, allaient s'unir et se tourner contre Koltchak. À ce propos le chef des socialistes-révolutionnaires Tchernov lança l'appel: toute la Russie doit s'insurger contre Koltchak! Après la réunion avec les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks les bolcheviks consentirent à convoquer l'assemblée constitutive.
Cet article du journal encouragea nos camarades, surtout le socialiste-révolutionnaire gauche Trofimov.
- C’est pas grave, Seifoullin, dès aujourd'hui tout sera bien! Dès aujourd'hui tout sera bien! - il répéta plusieurs fois avec joie.
D'après l'information du journal, tous les ouvriers du chemin de fer de la Sibérie, tous les paysans et les groupements coopératifs étaient contre Koltchak.
Nous nous s'assurions de ce fait bien des fois.
Maintenant tu n'en as plus pour longtemps, la peau de vache! – on endendait de plus en plus souvent dans notre wagon.
On communiqua que dans la province d'Altaï les paysans soulevèrent une révolte contre Koltchak, mais sans succès. La rébellion fut détruite par force. Les chefs des insurgeants se cachèrent dans les montagnes d'Altaï.
Au conseil d'administration de gouvernement de la coopérative de Barnauol les gens de Koltchak firent la perquisition et mirent en prison les chefs du conseil d'administration. Koltchak mettait bien des fois son veto au journal d'Altaï, le mettait bien des fois à l'amende et engageait des poursuites contre le rédacteur.
Mais le journal interdit continuait à paraître sous un autre titre. Un certain temps il s’appelait l'"Aube de l'Altaï". Ensuite on lui donna un mon de la "Nouvelle aube de l'Altaï" et, enfin, elle devint le "Rayon d'Altaï". Toutes ces données furent communiquées par le journal lui-même.
Mais quand nous commençâmes à nous approcher de Semipalatinsk, notre situation s'empira. Nous restions sans pain de nouveau, et nous n’avions pas d'eau pas chaque jour de nouveau.
Quand on nous sortaient pour une promenade, nous prenions de neige au sac, où se trouva la houille. La neige fondait près du poêle et nous buvions ce liquide sale. Mais les gardiens ne nous donnaient pas même prendre assez de neige... La tempête durait quelques jours. Le train faisait de longs arrêtes, comme si les mécaniciens tardaient exprès, tâchant de retarder l'heure de notre mort.
Avdeev se sentait tout à fait mal. Il tremblait, se trouvait à peine debout. Une fois il voulut s'approcher de la porte, mais il fut saisi par une crampe et s'arrêta d'un air impuissant. Il se balançait d'avant en arrière, bien que le train demeurât stationnaire. Il était terrible de le regarder. D'ailleurs, chacun de nous avait l'air pareil.
Le poussier pénétra aux pores, seulement les yeux restèrent visibles sur le visage. La poussière fut dans les narines, dans les oreilles, dans la bouche.
Tous aspiraient à être aménés le plus vite possible, n’importe où. Mais le train ne se dépêchait pas. L'orage déchaîné ne permettait pas à aller. Nous succombions, nous attendions. Le plus résistant parmi nous se trouva le camarade Kattchenko.
Il allait toujours lui-même chercher toutes les choses dont nous avions besoin: de tabac, des bois, d'eau et de pain. Donc Kattchenko fut notre responsable. L'Ukrainien courageux, il représentait la nation avec dignité.
À l’un des arrêts Avdeev gémissant demanda:
- Kattchenko, obtiens un verre de lait... Si tu l’apportes, je ne mourrai pas, je te demande par mon sang!..
Kattchenko fut ému jusqu'aux larmes. Il partit accompagné par un l'homme d'escorte à la station et après une demi-heure apparut portant un verre de lait. On le fait bouillir vite sur le poêle et le donna à Avdeev.
Nous croyions tous que ce lait ait aidé à Avdeev à rester vivant. La camarade Kondrateva, une seule femme parmi nous fut toujours près du matelot. Elle soignait le malade jour et nuit.
Notre chemin de Barnaoul à Semipalatinsk prit beaucoup de temps. À nous desséchés, pâles, complètement exténués, on cessa de nous donner de l'eau, ne nous permettait pas de prendre assez de neige.
Parfois une fois, parfois deux fois par jour on nous sortait pour une promenade, pendant laquelle nous saisissions hâtivement des morceaux de glace et de neige. Nous donnions l'eau fondue en premier lieu aux malades, et le reste (parfois un verre ou même un demi-verre) nous partagions entre les gens en bonne santé. Un homme peut résister au faim plus longtemps, qu’au soif. Seulement ce temps-là, dans ce wagon-là, j'appris que l'eau est une chose la plus chère dans le monde.
"Ah! Où êtes-vous les fontaines et les ruisseaux bruissant de montagne, qui je traversais bien des fois indifféremment?" – je pensais involontairement.
On arriva à Semipalatinsk au point du jour. À la gare de marchandises nos wagons furent dételés. Nous obtînmes de l'eau, nous nous désaltérâmes et soupirâmes avec soulagement.
On voyait une ville à deux verstes de nous. Le soleil se souléva, on nous fit sortir du wagon et ne hâtaient pas, comme toujours mais on nous donna la possibilité de nous laver avec de la neige.
Où qu’on jetât un coup d'oeil, il y avait partout une grosse couche de neige duveteuse. Semipalatinsk rappellait un grand bourg populeux. Le jour fut chaud. Le ciel fut clair. La neige propre blanche reluisait, chatoyait sous les rayons du soleil. À la gare de marchandises quelques Kazakhs chargeaient le traîneau de moutons.
Le chef d'escorte avec deux soldats partit pour la ville. Les hommes d'escorte restés obtinrent pour nous un peu de pain. Qu’est-ce qui nous attendait dans cette ville, on n’en saivait pas, mais nous étions d'accord avec tout, pourvu qu’on nous délivrassent des souffrances de wagon.
Toute la journée nous observions la station avec espoir et attendions les nouvelles. Le soir l'officier entra dans notre wagon.
- Eh bien, nous retournerons. On va partir ce soir, - il dit.
- Pourquoi reviendrons-nous?! Où?!
Notre surprise, méchanceté, indignation furent sans bornes.
- Il nous est ordonné de vous retourner. On ne sait rien de plus, - l'officier répondit.
Et les portes du wagon se refermèrent. Pourquoi nous amena-t-on là? Pourquoi nous faisait-on retourner? Où est-ce qu’on allait nous transporter encore?
- Probablement, à Semipalatinsk la situation est mauvais. C'est pourquoi on ne nous accepte pas. Maintenant on nous transportera dans ces wagons jusqu'à la mort, - nous pensions. - Ils nous transportaient à Semipalatinsk exprès pour nous faire mourir de faim en route. Et après tout cela, comme nous pûmes résister, on nous transporterait à l'inverse, à la prison lointaine en Sibérie.
Personne ne savait rien. Dans la nuit on quitta Semipalatinsk.
Et tout se répéta: de longs arrêts ennuyeux, le martèlement indolent lent des roues. la tempête de neige éclata, et le train s'arrêta complètement. Le chemin fut enneigé. On n’entendait personne. Il se trouva que nos wagons furent attelés au convoi de marchandises.
Nous avançions au rythme de marche de cheval. Les arrêts furent longs. Nous fîmes seulement vingt cinq verstes en un jour. La tempête durait trois jours de suite. Trois jours nous ne voyions pas le pain, et on nous donnait de l'eau seulement parfois...
Quand la tempête assoupit, le train fut retenu par les enneigements. C’était un quatrième jour qu’il n'y avait ni pain, ni eau. Les prisonniers affamés furent assis ébouriffés, comme les lions affamés. Le feu dans les yeux devint moins vive, mais la fureur aggrandit par contre.
- Il vaut mieux être fusillés ensemble à la fois, que mourir l’un après l’autre! Il faut frapper à la porte, demander du pains et de l'eau! - quelqu'un proposa.
- C’est correct! – on fit chorus.
À l'arrêt suivant on commença à frapper à la porte avec les pieds.
L'homme d'escorte répondit avec acharnement:
- Que diable voulez-vous?
Nous demandâmes du pains et de l'eau.
- Non! – le gardien coupa net.
- Mais laisse-nous au moins prendre de la neige!
L'homme d'escorte lâcha un juron. Nous recommençâmes à frapper à la porte avec les pieds.
- Oh là! Ne frappez pas, je commencerai à tirer! - l'homme d'escorte prévint.
- Vas-y, tire! - nous criâmes ensemble. - Ou ouvre la porte et laisse-nous prendre de la neige!
Le chef d'escorte vint, ouvrit la porte et permit de prendre de la neige. Nous remplîmes le sac et le seau. L'homme d'escorte impatient commença à nous presser. Le camarade Afanassev dit:
- Attendez, nous en prendrons et nous embarquerons.
Le soldat se mit à crier après lui. Afanassev fâché ne bougea pas. L'homme d'escorte commença à appeler d'autres soldats assis dans le wagon:
- Sortez! Ils vont se mutiner! - s'étant tourné vers nous, il cria: - Je vous tuerai tous! – et il fit claquer la culasse.
Afanassev le dévora du regard.
- Vas-y, tire! - il cria furieusement et se mit debout devant le soldat. Celui-là n'osa pas. Le chef de l'escorte sortit et régla le scandale.
Le train s'ébranla, mais dans un instant il s'arrêta de nouveau, et cette fois-là l’escorteur ouvrit la porte lui-même et ordonna de prendre de la neige. Le train resta sur place longtemps. Une locomotive passa plusieurs fois devant nous. Le mécanicien nous regardait fixement par les portes ouvertes. Un de nos camarades cria:
- Nous sommes prisonniers, les bolcheviks!.. Nous souffrons de faim! Aidez-nous!..
La locomotive partit et s'arrêta à la tête du train. Dans un certain temps un homme portant un veston sale en descendit et se dirigea vers nous. S'étant approché au chef de l'escorte, il parla avec lui et lui donna un baluchon.
Le chef de l'escorte apporta le baluchon à nous, nous y trouva du pain.
- C’est l’homme là-bas qui vous passa ça, prenez-le et distribuez entre vous-mêmes! - le chef dit, comme si nous ne savions pas que faire.
Il était impossible de décrire notre joie avec les mots. Nous fûrent heureux pas tellement de recevoir du pain, comme du fait qu’une personne étrangère nous fit attention. Cela voulait dire qu’il sympathisait avec nous, et nous détestait pas, comme tous les gens de Koltchak.
On ferma la porte, mais on rouvrit dans un instant, et l'homme d'escorte dit:
- Tenez votre pain!
Il se trouva, que le même mécanicien revint en tenant deux miches de pain noir sous le bras.
Ayant passé la tête par la porte, je le regardais longtemps. Il hocha affablement la tête deux ou trois fois. Ses yeux brillaient avec sympathie.
Le lendemain on arriva à Barnaoul.
Ayant obtenu la permission du chef et ayant collecté les vêtement convenables, Kattchenko partit à la gare avec un homme d'escorte. Il revint avec le butin: il apporta du pains, les saucissons, du beurre, du tabac. Les fumeurs se jetèrent au tabac avant qu’à la nourriture. Cela m’étonnait bien des fois ce que les gens affamés émaciés saisissaient avec les mains tremblant pas le beurre ou le pain, mais les cigarettes, il allumaient avec hâte, et après la première bouffée faite avec convoitise de grandes gouttes de sueur apparaissaient sur leurs fronts. Ils aspiraient toute la fumée et, il semblaient le manger, sans laisser rien sortir.
... Chemin faisant de Barnaoul à Novo-Nikolaevsk encore deux camarades moururent. L’un d'eux fut technicien spécialisé dans les moulins Yurachevitch (le beau-fils de Kremenskii).
Nous ne savions pas, où on allait nous transporter de Novo-Nikolaevsk. Mais nos craintes se diffusèrent, quand nous comprîmes qu’on nous emportait à Omsk.
On nous remis de nouveau dans une des impasses isolées de la gare d'Omsk. Nous y passa deux jours. Le troisième jour les camarades qui allaient chercher de l'eau à la gare, racontèrent:
Un citoyen bien habillé solide nous rencontrèrent à la gare et nous suivit jusqu'au wagon. Et ensuite il tourna.
Probablement, c’était un habitant simple, - nous conclûmes, - il y a beaucoup de gens souhaitant regarder les prisonniers.
- Non, pas possible! Son regard est pénétrant, lui nous regardait de manière particulière.
Au midi Kattchenko allait encore une fois chercher de l'eau et, étant revenu, il dit en chuchotant:
- Cet home est ici de nouveau! Là, derrière le wagon, regardez!
Nous nous collâmes nos yeux contre les fentes. En effet, un homme ramassé, dont la taille fut au-dessus de la moyenne, le blond, faisait les cent pas comme un passant ordinaire.
Le lendemain à côté de nos wagons une femme avec un petit baluchon en mains, habillée simplement apparut. Les portes du wagon furent ouvertes. Quand la sentinelle commença à verrouiller la porte, le baluchon tomba brusquement près de nos pieds. Nous vîmes la femme s'éloigner de nous presque en courrant, le soldat de garde la regardait restant baba. Nous cachâmes vite le baluchon. On y touva du pain, le saucisson et les cigarettes.
Celui qui n’était pas à la même extrémité, comme nos, il ne comprendra pas ce que signifiaient pour nous l’aide et le soutien même les plus petits!
Le troisième jour nous quittâmes enfin des wagons.
Pour la liberté du peuple ouvrier.
Nous avons peint les champs avec notre sang,
Le fracas terrible des canons,
Faisait la terre tressaillir, gémir.
On nous faisait fléchir jusqu’à la terre
Nous nous lancions en haut obstinément.
Du fer et du vol de la balle
La vie dépendait entièrement.
Nos poumons se sont enfumés avec la fumée des fabriques
Depuis déjà longtemps.
Les chaînes sempiternelles d’esclave
Ont déchiré la peau des mains et des pieds.
Ayant tout connu: le besoin et les malheurs,
On a attendu son printemps.
Et ayant connu bien des fois le froid de la mort,
Nous sommes diaboliquement amoureux de la vie!
Ceux qui caressait un rêve méchant:
Nous apeurer, ceux-ci sont enterrés....
Qui ose nous menacer encore?
Chacun dans notre pays est un soldat[109].
AU CAMP D’OMSK
Il y avait une escorte. Les sabres et les baïonnettes des fusils scintillaient. Une escorte fut à pied, l'autre qui venait d’arriver de la ville fut à cheval. Nous fûmens descendus des wagons et mis en ligne. Le chef de la nouvelle escorte fut le même jeune officier, comme le chef de celle vieille. Les pattes d'épaule passementées brillaient aux épaules. La gaine des sabres fut décorée d'argent et avaient les dragonnes sur les manches. Les éperons cliquetaient au moindre mouvement. Les petits officiers furent les jeunes. Ils étaient comme les chiots lévriers aux colliers en argent. Nous les étudiâmes déjà bien.
Cela vauriens et les fainéants capricieux, qui n’avaient personne à leur rabattre le caquet: ni père, ni mère. Les jurons sales, le rire absurde idiot, les voix rugissant de bête. Bien des fois ils faisaient des bêtises à leur guise avec leurs petit sabres et leurs fouets. Bien des fois en état d'ivresse ils nous menaçaient de l'arme, hurlaient qu’ils allaient nous fusiller, et nous décocher des injures sales. Ils nous tourmentaient bien des fois, en demandant de prier à genoux pour le tsar. Nos camarades apprirent complètement la mesure de leur humanité...
Ceux qui pouvait aller, s’alignèrent en deux rangs. Les officiers se trouvaient à côté de nous, conféraient, jettaient des coups d'oeil sur nous.
- Deux camarades du deuxième wagon ne peuvent pas se lever, - vint de nos rangs - Permettez les porter dans les bras?
- Sortez ceux de vous qui sont plus forts!
Moi et le camarade Pankratov entrâmes au wagon. Sur le plancher sale dans le poussier deux furent couchés. L’un fut le camarade Piankovskii[110], qui avait été saisi à Akmolinsk dès son arrivée de Tourkestan, l'autre fut l'avocat-maximaliste Smokotin.
Ils tous le deux nous regardaient en silence, n’ayant pas de forces pour prononcer un mot. Leurs yeux étaient comme les glaçons. Piankovskii réussit à mettre seulement une botte, la deuxième fut près de lui. Il me regardait fixement avec les yeux immobiles.
- Tu ne peux pas mettre les bottes? - je demandai.
Ayant gémi doucement, il fit un signe de tête, tâcha de s'asseoir mais n'arriva pas, seulement fit un signe avec son regard dans la direction de la botte. Nous avec Pankratov mîmes à deux la botte au pied enflant, levâmes le camarade et le portâmes vers le traîneau des hommes d'escorte.
En nous regardant sortir du wagon des camarades demi-morts, le chef de la nouvelle escorte remarqua avec sourire:
- Il se trouve que vous n'avez pas fait de perte en route?
Le chef de la vieille escorte répondit à la plaisanterie par la plaisanterie:
- Pas de pertes... Ces chiens sont fermes. Seulement six est morts.
Le jour était tout à fait chaud, le printemps s'approchait! Je regardais de tous mes yeux, comme si je voyais pour la première fois ce monde ensoleillé clair qui m'entourait. À la lumière du jour mes camarades eut l'air terrible: pâlis les visages émaciés, les yeux rentrés. Les visagess et les vêtements furent couverts de la couche de poussière noire. Ils furent semblables aux ressortissants de l'autre monde.
Et moi-même je me semblais un supraterrestre. Neuf mois nous fûmes dans une cage, dans l'obscurité, affamés et ayant froid. Seulement neuf mois!.. Mais les souffrances, que nous supportâmes, seraient suffisantes pour neuf ans! Pendant ces neuf mois nous perdîmes tout espoir de voir le monde et secouer de nous la poussière. Tout, excepté les hommes d'escorte ceinturé de courroies avec les sabres sur le côté, nous semblait un conte de fée...
On se mis à nous chassa... Ceux qui tombait de fatigue furent s’asseoir au traîneau.
Du sud-ouest une faible brise fraîche soufflait doucement. La neige à côté du chemin de fer et devant les maisons commença à gonfler et fondre. Comme si le disque solaire éloigné au ciel devint plus chaud et, en recouvrant nos coeurs de son respiration chaude, annonçait l'été.
On sentait que le temps de la fonte des neiges s'approchait. En clignant les yeux au soleil, je mettais le visage au vent mou leger. Je regardais et mon coeur se battait de plus en plus fortement... Le lion s’étant apaisé en âme, remua, en pressentant la liberté. Je regardais les camarades, et il semblait que leurs visages couverts de boue de charbon se colorèrent. Tous redressaient la poitrine, avalaient l'air à pleine gorge, avidement. Nos corps épuisés se ranimèrent, à nos yeux creux engourdis l'espoir se mit à briller.
Tous croyaient que là, où on nous directait, il ne sera pas sûrement pire, que dans les wagons de mort. Nous avions les yeux fixes sur les gens marchant insoucieusement dans les rues, nous nous ennuyâmes sans voir les traits humains. Il est doux au coeur. S’y ranimaient les idées et les désirs enterrés depuis longtemps.
L'escorte à cheval nous chassait les sabres nus. Des habitants passaient devant nous étant surpris de nous voir.
Le cheval moreau de l'homme d'escorte voisin de moi marchait en secouant la crinière. Ses côtés luisent, comme le velours noir. Je jouissais du jour chaud, j'espérais de la liberté, en admirant le moreau enjoué. L'homme d'escorte, ayant vu que j'admirais le cheval, sourit: "Veux-tu te mettre en selle?.."
On nous fit entrer au camp disposé non loin du chemin de fer. Près de la poste de garde à notre rencontre un jeune officier ramassé roux sortit le sabre cliqueter avec quatre soldats. Probablement c’était le chef du camp. Il nous reçut et laissa l'escorte partir.
Dans le camp entouré d'une clôture en bois comme l'enclos pour le bétail, il y avait dix longues baraques de planches pourries. Près des portes fermées des sentinelles étaient placées à l'extérieur et à l'intérieur. Le camp fut semblable à un état indépendant. Toutes les dix baraques furent bondées de prisonniers. Les portes des baraques n’étaient pas fermées. Les prisonniers marchent librement d’une baraque à l’autre.
Quand on nous amena, tout le camp sortit pour nous rencontrer.
Le jeune officier corpulent, qui nous avait reçu de l'escorte, ordonna aux adjoints de nous placer dans les baraques vides.
Le camp fut gardé pas les Tchécoslovaques.
Pendant que nous allions à nos baraques, toujours plus de prisonniers sortaient pour nous regarder. Plusieurs d'eux ne se distinguaient presque pas de nous: ils furent émaciés de la même manière, portaient aussi les vêtements usés. Tous sympathisaient avec nous et tâchaient de nous porter de l'intérêt. Quand nous dîmes que nous avions faim, les prisonniers se distribuèrent aux baraques et apportèrent du pain. On nous fit nous assoir en groupes, on nous apporta de l'eau bouillante, offrit du thé. Pour la première fois pendant ces longs mois nous nous proprement lavâmes.
Les prisonniers du camp faisaient 1,5 mille. Ils furent y rassemblés de différentes régions. Il y avait des Russes, et des Tatars, des Allemands, et des Magyars (Hongrois), et des Coréens. Ils furent comme les fourmis, grouillaient sur le territoire du camp allant et venant. À l'intérieur des baraques il y avait les lits de planches sales, l'obscurité, l’odeur sui, les ténèbres. Les prisonniers furent émaciés, plusieurs furent couverts de haillons. Chaque jour quelqu'un mourait. Mais après les wagons nous nous sentions comme si nous arrivâmes chez nous-mêmes, à notre aoul. Nous mangeâmes notre content, reprîmes courage, le moral fut remonté.
Un Hongrois, qui fut appellé là le Croate, de taille moyenne, à face ronde, noiraud, il nous adhéra tout de suite, aux Kazakhs, nous apporta quelque chose à manger, causait longtemps avec nous.
Il ne parlait pas bien russe, bronchait, mais comprenait tout. Le Croate raconta qu'il avait été au détachement de cavalerie rouge, avait participé à un combat à l’une des stations près de Petropavlovsk. On y exterminait quelques milles de Tchécoslovaques, qui allaient à Omsk. Le détachement peu nombreux rouge ne rendait pas la station jusqu’aux Tchèques l’avait submergé grâce au nombre de ses soldats. C’était à cette bataille que le Croate participait. À coté du Croate luttaient et les djiguites kazakhs, qui étaient entrés au détachement rouge à Omsk. Ce détachement se battait courageusement jusqu'à la dernière cartouche.
- Cela ne fait rien, les camarades! C’est pas grave. La victoire sera à nous. Nous leur ferons ça! - le Croate prononça passionnément et, s'étant saisi la gorge, il montra, comment nous les écraserions.
- Tout le monde lutte contre les rouges, - je dit. – On ne voit pas la fin des tortures.
Le garçon aux cheveux châtain clair, aussi le Hongrois, qui s'approcha de Croate, me regarda.
- Ne te décourage pas, le camarade, les rouges viendront. Nous faisions la guerre cinq ans pour les tsars, et pour le prolétariat, s'il faudra, nous la ferons tous les quinze ans... Il y aura dans le monde entier seulement notre pouvoir.
Dans le camp nous nous rencontrâmes avec Bassov, l’un des chefs du conseil des députés d’Atbassarsk. Puisque le conseil des députés d’Atbassarsk était pas trop actif, les blancs mirent au camp seulement quatre membres, et les autres furent rendus libres. Il y avait peu de bolcheviks à Atbasarsk...
On apprit que les déportés recevaient des journaux. Nous nous jetâmes avidement sur eux, bien que les journaux fussent de Koltchak. On communiquait que dans les places occupées par Koltchak, il y eut des partisans, que les troupes rouges de Russie arrivaient et s’avançaient.
Avec une répugnance évidente, mais on publiait dans les journaux qu’une ville ou une localité furent cédées. Avant tout nous fûmes heureux de lire un message sur la croissance du mouvement partisan, comme les partisans agissaient quelque part non loin de nous.
Dans peu de temps, nous étant familiarisé avec le camp, nous comprîmes que la moitié des prisonniers y fut malade. Chaque jour cinq ou dix personnes mouraient. Plusieurs furent presque déshabillés. Les froids d'hiver et la famine les épuisèrent presque tout à fait.
Peu avant avant notre arrivée on commença à nourrir les prisonniers un peu mieux. Mais plusieurs gens qui avaient souffert longtemps de faim, ne pouvaient pas recouvrer déjà la santé. Dans le camp l'épidémie de typhus éclata. Près de quarante nos camarades dans deux jours après l'arrivée au camp, tombèrent malades aussi. La famine, le froid et les souffrances éprouvées se firent sentir négativement. Plusieurs commencèrent à se gonfler. L’un morut, l'autre mourut...
Seulement six ou sept gens de notre groupe ne tombèrent pas malades. Tous les malades se trouvèrent dans deux baraques séparées. Ils furent soignés par les prisonniers eux-mêmes. Par une porte de la baraque-infirmerie on apportaient chaque jour les nouveaux malades, et par une autre on sortaient chaque jour les défunts. Très peu de gens guérissaient. Si on fût entré à la baraque, où vivent les gens en bonne santé, on aurait pu voir certains se réunir, lire les journaux, causer, les autres jouer aux cartes tachées de graisse ou aux dames qu'on fit eux-mêmee. Il y avait des chanteurs. Mais peu de gens fut capable de s'amuser.
Les prisonniers rappellaient le poisson assourdi. Ils se traînaient à peine, se balançaient, comme en somnolent. Plusieurs ne se lévaient pas des lits de planches toute la journée. À l'intérieur de chaque baraque se trouvaient des lits de planches à étage faits tant bien que mal, à la hâte. L’air dans la baraque n’était jamais renouvelé, tout était sale et puant. Chaque jour quelqu'un était emporté à l'infirmerie. Nous comprîmes très vite que là, dans le camp, c’était aussi presque l'enfer. Il était particulièrement difficile dans la nuit. Quand on se reveillait on ne pouvait pas s’endormir longtemps, on entandait partout seulement les bredouillements des prisonniers délirants. Plusieurs gémissaient dans le rêve. Les autres se réveillent saisis par une peur sinistre, tentaient de courir quelque part, cherchaient quelque chose, balbutiaient quelque chose et criaient à moitié endormis, se jettaient et regardaient autour d’eux d'un œil hagard. La vie de nuit dans la baraque fut comme une fosse noire où quelques ombres impersonnels grouillaient et gémissaient immergées dans l'obscurité et dans la terreur.
Dans la baraque pour les malades et il était encore pire. On entendait un gémissement constant. Les malades s’agitaient saisis par la chaleur, dans l'agonie. On voyait leur vie s’éteindre d’instant à instant. Les uns délirants s'effrayaient, les autres se réjouissaient de quelque chose, balbutiaient indistinctement les choses les plus intimes, découvraient le secret de leurs âmes... Les prisonniers jouant les rôles des infirmières aidaient aux gens frappés d'impuissance à boire, à se soulever, ils les soignaient suivant ses forces. Les sourcils les infirmières furent froncés, et leurs visages disaient que le malade ne pouvait pas espérer beaucoup guérir.
La seule joie était en ce qu’on ne verrouillait pas les portes des baraques.
Les jours commencèrent à se succéder à la fille. Un jour fut semblable à un autre. Nous lisions les journaux russes et kazakhs... Nous nous réjouissions des succès des rouges. Nous réussîmes à contacter certains camarades libres à Omsk. Ayant obtenu la permission, ils commencèrent à venir au camp nous voir. Moukan, Zhanaidar et Kourmangali nous apportaient des colis.
Une fois près de la "cantine" où nous prenions de l'eau bouillante, je vis Zikiriia Moukeev. On se salua et lia conversation.
- Comment t'es-tu trouvé ici? - je demandai. – Es-tu depuis longtemps au camp?
Il se trouva que Zikiriia vint au camp avant nous, et on le tenaient au cachot. Encore avant notre arrivée là Zikiriya eut l’idée de s’évader. Mais les sentinelles tchèques le saisirent. À l'interrogatoire il fit semblant d’être idiot, mais néanmoins on le jeta au cachot et laissait sortir se promener très rarement.
Ayant obtenu la possibilité de nous voir avec les camarades libres, nous entendîmes beaucoup de nouvelles. Nous voulions savoir ce qui se passa avec les Kazakhs des détachements rouges et où se trouvaient les bolcheviks qui étaient membres du conseil des députés.
Dans le camp de Petropavlovsk nous apprîmes le sort de révolutionnaires peu nombreux kazakhs de Petropavlovsk. Iskhak Kobekov fut fusillé par les blancs au jour de la révolution. Karim Soutiuchev fur battu à mort par les beys musulmans de Petropavlovsk. Gali Esmagambetov fut tué aussi. Moukan Esmagambetov, ayant passé trois mois en prison, fut rendu libre. Les autre eurent le temps de se cacher. Chaïmerdena Alzhanov et Kolbaï qui avaient été libérés de la prison le de l'insurrection, furent attrapés par les membres d’Alach-Orda qui les passèrent aux mains des gens de Koltchak. Kolbaï fut tué dans la prison, et dans un certain temps on fusilla Chaïmerden Alzhanov.
Quels étaient les sorts des Kazakhs qui étaient entrés à Omsk au détachement de Garde rouge? Plusieurs d'eux bataillaient au détachement de cavalerie. Moukhametkali Tatimov, Chokeev, Zhoumabaï Tolmebaev, Ougar (Moukataï) Zhanibekov, Zikiriya Moukeev commandaient des djiguites kazakhs.
Au début de juin 1918 les Tchécoslovaques de Petropavlovsk s’avancèrent pour Omsk par fer. Dans chaque wagon il y avaient trente ou quarante soldats tchécoslovaques, armés jusqu'aux armes. Ils avaient les fusils, les mitrailleuses, les canons, les mausers, les bombes et les sabres. Tous aprirent parfaitement l'art militaire. Les soldats de l'Armée rouge ce temps-là furent assez nombreux, mais ils étaient mal instruits et armés de n’importe quoi.
Il y avait peu de fusils et surtout de cartouches. De petits détachements séparés rouges, bien qu’ils vissent que les Tchèques étaient forts, mais ils les empêchaient par tous les moyens à s’avancer, ils dressaient partout sur le chemin des embuscades: dans le bois, à la steppe, aux stations ferroviaires ils se battaient courageusement avec les Tchécoslovaques.
L'ennemi mitraillait comme la pluie. Les soldats de l'Armée rouge devaient répondre des embuscades seulement par les coups rares de feu.
Le combat près de Marianovka durait deux jours et deux nuits. Plusieurs fois les rouges pressaient l'ennemi et passaient aux contre-attaques. Finalement il n’y eut plus de cartouches, et il resta tout à fait peu de combattants. L'ennemi surpassant en armement et nombre vainquit. Ayant pris Marianovka, les Tchécoslovaques se précipitèrent à Omsk.
À la station de Koulomzino, immédiatement devant Omsk, les derniers détachements des rouges sortirent à leur rencontre. Plusieurs ouvriers et les employés prirent l'arme pour la première fois dans la vie pour protéger la ville. Parmi les défenseurs il y avait près de vingt cinq Kazakhs. À la station de Koulomzino il y eut de nouveau une bataille sanglante. Le sang humain se coulait de nouveau, comme l'eau. Il coulait partout. Mais finalement les rouges furent obligés de battre en retraite, l'ennemi prit Koulomzino et entra à Omsk. De vingt cinq Kazakhs luttant à Koulomzino, les vingt furent tués au combat, d’autres furent capturés et mis atrocement à mort: on leur coupaient les têtes, mettaient en quartiers avec les sabres. Des djiguites capturés Zikiriia Moukeev et Ougar (Moukataï) Zhanibekov survécurent. Après le combat les Kazakhs ramassèrent les gens tués. Mais leurs têtes furent tellement défigurées qu’il était difficile et parfois impossible d'identifier les cadavres.
On prit l’un des Kazakhs tombés au combat pour Moukhametkali Tatimov et l’enterra en rendant les honneurs. On envoya une lettre aux parents de Moukhametkali. Le frère aîné de Moukhametkali, qui faisant son service comme un matelot sur l'Irtych, vint à Omsk, les amis vinrent aussi et ils arrangèrent les commémorations de manière kazakhe. Se termina ainsi, comme tous pensaient, la vie d'un des héros sortant du milieu des travailleurs kazakhs d'Omsk et qui luttait sous le drapeau des Soviets...
Mais on apprit ensuite que le destin de Moukhametkali Tatimov ne s'acheva pas par cela. Et il faut en donner plus de détails pour la génération actuelle.
Ce que Moukhametkali Tatimov et Abdolla Assylbekov éprouvèrent à 1919 à la guerreest pareil à un conte de fée. L’un d’eux agissait sur l'Oural, l'autre fut à l'est, presque à côté du Japon. Ce que Sabyr Sharipov fit et ce qu'il éprouva, c’est aussi étonnant. J'écrirai sur eux encore séparément, ces gens méritent un grand poème. Ici je raconterai brièvement comment Moukhametkali agissait.
Il se trouva, qu’après le combat avec les Tchécoslovaques Moukhametkali resta vivant et avec un djiguite Telimbaev et quarante camarades du détachement rouge, en reculant, il parvint à la ville d'Ichim, qui était occupée par les blancs. Le détachement attaqua brusquement les blancs, libéra les soldats de l'Armée rouge et les bolcheviks qui étaient en prison et partit plus loin.
En combattant le détachement s'avançait pour Iekaterinbourg. À la station de Vagaï Zhoumadil Telimbaev fut blessé, et on l’envoya à la Viatka. À ce temps-là Moukhametkali entra au détachement qui s'appelait la "Centaine d'Omsk sauvage". Dans ce détachement Moukhametkali faisait la guerre sur l'Oural du nord.
Pendant la célébration de l'Octobre il était à l’usine de Kochouveisk. Là les chefs de Moscou venaient pour la célébration. Ils unirent les détachements dépareillés rouges et organisèrent le Premier régiment de cavalerie de Poutilovsk. Moukhametkali commandait dans ce régiment la section des mitrailleurs.
Ce régiment fut encerclementé par les blancs, mais se tira de l'encerclement et rejoignit l'Armée rouge à côté de la ville de Glazov. Sur ce terrain le régiment faisait la guerre pendant tout l'hiver.
Parallèlement avec lui le soi-disant "Régiment des aigles rouges" luttait contre les blancs sur l'Oural du nord. En kazakh cela ne sonne pas trop bien, mais en russe c’est fort. À propos de ces régiments: nous lûmes du Premier régiment d’acier de cavalerie de Poutilovsk et du Régiment des aigles rouges au camp aux journaux de Koltchak.
En avril 1919 les chefs du centre vinrent sur l'Oural du nord. La force de l'Armée rouge augmentait. Le parti lança un appel: "La Sibérie et l'Oural aux cheveux de neige gémissant sous le joug d’ennemi nous attendent". Cet appel remonta l’esprit combattif de l'Armée rouge. Les blancs furent chssés d'Iekaterinbourg.
Moukhametkali fur le commandant de la section de mitrailleurs Telimbaev remis arriva chez lui. Et les amis continuèrent à se battre avec les blancs toujours aux premiers rangs. Après la prise d'Ichim et Ialoutorovsk Moukhametkali tomba malade du typhus, et on l’envoya à Iekaterinbourg.
Déjà après la prise d'Omsk et l'évasion de Koltchak Zhoumadil fut capturé par les blancs non loin de Barnaoul, et ils le tuèrent atrocement.
Voilà quels furent les sorts des révolutionnaires kazakhs d'Omsk. Ougar (Moukataï), qui se trouva aux mains des blancs, s’enfuit, fut recapturé et s’évada de nouveau.
Dans une grande lutte, dans les événements historiques de cette époque-là il y eut beaucoup de vrais héros originaires de notre classe ouvrière. Je raconterai de leurs affaires héroïques plus tard.
Sous le drapeau de révolution l’un des chefs du conseil des députés de Koktchetav Sabyr Sharipov passa par de rudes épreuves. Pour un nouveau pouvoir luttait dévouément Dossov, l’un de ceux qui parmi les élèves d'Omsk organisèrent le Conseil démocratique et passèrent aux bolcheviks. Avant le renversement du conseil des députés Taoutan se cacha à l'aoul, dans le district Koustanaï. Seulement Zhanaïdar Sadvokassov resta à Omsk...
Ayant entendu dire que nous fûmes amenés au camp d'Omsk, le père de Zhoumabaï Nourkin vint de Petropavlovsk et nous apporta beaucoup de provision.
Peu à peu les prisonniers, ayant obtenu la permission du commandant, sortaient du camp avec les hommes d'escorte, allaient dans la ville, venaient aux boutiques, visitaient les connaissances. Par la même voie nous réussîmes à aller à la ville, visitâmes le père de Zhoumabaï, nous rencontrâmes avec Moukhan et Zhanaïdar.
Quand nous allions à la ville, nous fûmes accompagnés par les soldats tchécoslovaques. Ces "héros" baissèrent considérablement la crête, leur esclandre déjà passa et on sentait qu’ils commençaient à comprendre qu'ils avaient fait des malheurs, avaient forcé le trait. Nous parlâmes franchement avec eux. Certains grondaient leurs officiers, en les accusant de tout... Les autres accusaient le pouvoir soviétique: "On ne nous lassaient partir à la maison, c'est seulement à cause de cela que nous avons commencé à faire la guerre, que nous avons révolté". Bref, plusieurs des soldats tchécoslovaques commencèrent à nous sympathiser, nous appelaient les "frères". Quand ils nous accompagnaient dans la ville, ils nous laissaient aller n'importe où, mais ils nous prévenaient:
- Mon frère, garde à l'esprit que si tu t'enfuis, je serais fusillé.
Nous allâmes en ville sans penser à l'évasion, bien qu’on pût le faire. Nous étions arrêtés par la pensée de ce que si nous nous fussions enfuis, les camarades restés au camp seraient fusillés. Nous faisions les projets de l'évasion collective.
Le printemps s'approchait, il faisait plus chaud.
Pendant la visite usuelle de la ville nous avec Zhoumabaï et Kattchenko obtînmes deux pièces d’identité. L’un fut obtenu pour nous par Zhanaïdar Sadvokassov, l'autre par Kourmangali Touyakov. De ces documents n’étaient pas suffisants, et c'est pourquoi je vins sous l'escorte chez Zhanaïdar et lui pris le timbre et le sceau du Conseil démocratique des étudiants ouvert en 1917, j’obtins de la colle, les canifs aigus, les crayons à encre, du papier, les plumes, de l'encre.
Au camp nous coupâmes prudemment le sceau de caoutchouc, corrigeâmes quelques lettres, recollâmes, et comme ça nous obtînmes le sceau du conseil des maîtres. Mais nous ne pûmes pas prévoir toutes les nuances, et si quelqu'un eût deviné lire entièrement l'empreinte de notre sceau, celui-là aurait pu là voir les mots en russe: le "Conseil des maîtres".
Le document obtenu pour moi par Zhanaïdar au nom de Douissembii Assiev, correspondait à mon âge.
Voici ce document:
Conseil des maîtres kazakhs le 25 mars, 1919 n°112 (place du sceau) |
Certificat est délivré en effet à l'élève de l’écoles pédagogique d'Omsk pour de adultes Douissembii Assiev, le Kazakh de la voloste de Sletinsk du district d'Omsk, 26 ans. Assiev se trouve en vacances d'été. Le certificat est validé, tamponné et signé par nous. Vice-président du conseil des maîtres (signature) Secrétaire (signature)
|
À tout hasard me munis d’un certificat délivré par le comité de district d’Alach-Orda, signé par le président du comité Sadvokas Zhantassov.
Nous connaissions bien le décret: "Si on capture les prisonniers fugitifs on doit les fusiller sans forme de procès". Mais malgré cela tous les prisonniers sains décidèrent de s’évader.
Zhoumbaï voulait s’enfuir et aller avec son père à l'aoul. Les autres iraient chacun son chemin, comme ils en réussiraient.
Après qu’il fit plus chaud et la neige accumulée pendant l’hiver et tassée entre les baraques commença à fondre, les prisonniers autrichiens commencèrent à l’emporté derrière la ville. Nous nous nous accordâmes avec eux à propos de l'évasion.
D'habitude la neige était emportée par les Autrichiens capturés à la guerre impérialiste. À propos de l'évasion nous nous mîmes d'accord avec ces charretiers.
Ce jour-là on se leva tôt. Le coeur se battait anxieusement, s'inquiétant. Dès le matin il gélait. Le jour fut grisâtre. On s’habilla, se lava, but du thé. Peu après tous les prisonniers se levèrent et commencèrent à refaire la navette entre les baraques et s'affairer, comme les fourmis. Nous sortions sans cesse dans la rue, en guettant le traîneau.
Enfin les Autrichiens arrivèrent.
Nous décidâmes d'envoyer d’abord Zhoumabaï. Le moment décisif s'approchait. Le plan fut prêt depuis longtemps, tout fut accordé. Nous nous jetions des coups d'oeil en silence. On pouvait voir dans les yeux de chacun la résolution de prendre un risque.
Entre deux baraques, ayant entouré le traîneau, les prisonniers se rassemblèrent les pelles aux mains. Pour que les sentinelles ne remarquassent rien de suspect, ils faisaient semblant charger le traîneau de neige.
Zhoumabaï se coucha vite sur le traîneau. Les prisonniers attendrirent déjà la neige d'avance et la mirent sur Zhoumabaï. Ils mirent en dessus une planche, sur laquelle l'Autrichien s'assit, et le traîneau démarra. Nous le suivions attentivement du regard...
Le traîneau passa le poste de garde. Les Tchèques près des portes le suivirent d’un regard indifférent. Les soldats ouvrirent les portes. Nous regardions, en brûlant d'impatience...
Le traîneau se rendit libre.
Nous avec Abdoulla, nous décidâmes de nous évader le lendemain.
J’entrai dans la baraque de Baïmagambet et Baken qui étaient malades, je leur donnai de l’eau à boire. Je décidai de visiter Khafiz et Afanassev, mais Afanassev fut déjà mort. Smokotin mourut aussi...
Toute la nuit je ne pus pas m’endormir... Toute la nuit je rêvais. Je visitai ma patrie. Je vis les steppes et les montagnes étant natales dès mon enfance. En luttant avec l’intempérie, je marchais courageusement en tombant dans les neiges profondes. Dans l'aoul natal ma mère me rencontra. Depuis que je me me rappelle, je ne l'embrassais et ne la baisais jamais, et ce moment-là je l’embrassai pour la première fois, la baisai et comme un enfant je me frottais d’elle...
Dans mes rêves je visitai et d'autres aouls, a trouvé un détachement de partisans et luttait avec lui contre les blancs, vengeait la mort des camarades... Je visitai le Tourkestan... la Russie. Je fus partout, il n’y eut pas de places sur la terre, où je n’aurais pas été. Je poursuivais la liberté!
Je me levai plus tôt que tous et commençai à regarder les charretiers de neige. Ils n’arrivaient pas. Je fis bouillir du lait pour les malades. Baken le but à peine. Il se mouvait à peine, regardait à peine. Par la voix impuissante il me demanda:
- Donne-moi du papier et le crayon...
J'accomplis sa demande. Il tâcha d'écrire quelque chose, mais n’en arriva pas. Ses yeux se noyèrent de larmes. Moi-même, je me retins à peine pour ne pas pleurer.
- J'écrirai pour toi, dicte.
Baken hocha la tête.
- Il ne faut pas.
J'étais assis longtemps, plongé aux pensées tristes. Je me souvins des vers de Nekrassov.
En écoutant les horreurs de la guerre,
À chaque nouvelle victime du combat
Je plains pas l'ami, non la femme,
Je plains pas l’héros lui-même...
Hélas, la femme se consolera,
Et l’ami oubliera son meilleur ami;
Mais il y a quelque part une seule âme –
Elle s’en rappellera jusqu'au tombeau!
Parmi nos affaires hypocrites
Toutes nos vulgarités et nos banalités
J’ai vu les larmes uniques dans le monde,
Les larmes sacrées, sincères.
Ce sont les larmes des pauvres mères!
Elles n’oublieront pas leurs enfants
Péris sur le champ sanglant de bataille,
Comme ne leveront pas ses branches le saule pleureur...
Je dis adieux mentalement aux camarades malades et je sortis de la baraque.
Le soleil brillant se levait au-dessus du camp.
Je vis les Autrichiens, le traîneau, les chevaux et les camarades avec les pelles près des baraques. Ils entourèrent étroitement le traîneau...
Je me couchai vite e visage en bas, je m'allongeais. De lourdes boules les neiges avec de la glace tombèrent sur moi. Les camarades me couvrirent vite avec la neige sale entremêlée avec la glace. On mit par dessus une la planche et sur laquelle un homme s’assit... Il cria: "Hue!". Le traîneau démarra.
La lourdeur pesa encore plus fortement sur mon cou, sur mes épaules, sur tout mon corps. Elle me foulait, m’écrasait. Il devenait plus difficile à respire, mais je le supportais. de larges portes du camp s’ouvrirent avec craquement. Le traîneau sortit en liberté.
APRÈS L'ÉVASION
En route pour Pavlodar
Je ne savais pas, combien de temps nous faisions le chemin cahotant. Les gouttes de neige fondue de ma respiration coulaient sur mon visage et mon cou. Enfin le traîneau s'arrêta.
J'entendis le cocher descendre sans s'empresser du traîneau et le renversa. Je tombai sur la terre avec la neige. Le cocher me prévint en chuchotant: "Sois couché, ne bouge pas!". Le cocher-prisonnier le soldat autrichien commença à me nettoyer avec ses mains des boules de neige et de toutes les loques attachées à mes vêtements, ensuite, ayant regardés autour de lui il s'assit sur la neige à côté de moi.
La place où nous nous arrêtâmes, était une décharge à la périphérie orientale d'Omsk, près de la boulaie. Non loin vivaient les Kazakhs pauvres. À la distance de cri des gens passaient parfois sur les traîneaux, on voyait des passants solitaires ne tournant aucune attention sur nous.
- Eh bien, où iras-tu maintenant? - l'Autrichien prisonnier me demanda. - Si tu veux aller à la ville, je peux t’y amener!
Il était comme s'il me trouva par hasard à la décharge de ville.
Je me mis au traîneau, et le soldat m’emmena. Je ne pensais pas longtemps sur ce où aller après cela. L'appartement de Moukhan se trouvait tout près, dans la partie d’est de la ville. À un quartier de la maison je descendis du traîneau et dis adieu au soldat captif.
- Adieu, bonne route! - disant ces mots l'Autrichien me serra la main et suivit son chemin.
Je tournai le coin.
C’était le jour chaud d'avril. La neige fondait, des gouttes sonnaient, les ruisseaux retentissant se réunissaient le long des rues. Les endroits où la neige fondit s'assombrissaient comme des taches. Je portais les vieilles bottes à bout obtus de soldat.
Par-dessus le veston court aux boutons de séminariste je mis un vieux manteau en fourrure court kazakh avec les manches frottées, salies au charbon et à la suie. Mes vêtements furent complétés par une ouchanka[111] usée, une écharpe et une ceinture sale textile. Autrefois, quand l'escorte nous accompagnait à la ville, je mettais la capote d'un Tatar-soldat de l'Armée rouge et sa casquette de soldat.
Voilà était l'appartement de Moukhan. Sa femme ouvrit la porte. M’ayant salué elle invita:
- Entre, s'il te plaît!
- Je suis venu définitivement et irrévocablement, - je déclarai. La femme comprit tout de suite que je m’étais enfui, et prononça doucement:
- Je te souhaite bonne chance, mon cher! Passe à la pièce de derrière.
J’entrai dans la chambre des filles de Moukhan. Ni Moukhan, ni Zhanaïdar ne furent à la maison.
- Cette chambre est pas pour moi, - je remarquai précautionnement. - Si vous avez une remise, il vaut mieux pour moi de me cacher là!
La femme dit instamment:
- Ne pense pas que quelqu'un viendra ici. Et s’il vient, personne ne pénétra dans la chambre de ma fille!
Mais je ne pouvais pas me sentir calme. Il fut claire pour moi que si les gens de Koltchak m’eussent capturé dans la maison de Moukhan, le malheure aurait été à sa famille. Et si on m’eût attrapé dans la remise aux portes pas verrouillées, les maîtres auraient pu se sauver en simulant ne rien savoir.
Étant tout à fait prudent, je sortis de la maison et pénétrai dans la remise. Là je fis un trou dans un tas de paille, fis une sorte de nid et me couchai. Le jour fut chaud. Les gouttes tombaient lentement du toit de la remise sur la paille. Le jour d'avril était perfumé des odeurs humides du printemps. Tout autour semblait se ranimer et s’égayer de l'approche du printemps. Les oies avec le criaillement sonore talochaient sur les flaques. Les moineaux, comme les enfants jouant à colin-maillard, volaient avec gazouillement l'un à la poursuite de l'autre. À côté de la remise une vache mugit. Comme si elle fut contente de la chaleur à venir...
Je fis un petit somme imperceptiblement. Je fus réveillée par Zhanaïdar. Après une salutation joyeuse il m'entraîna dans la maison.
La femme de Moukhan prépara déjà le samovar, cuisit les beignets au beurre et nous attendait.
- Mon cher Saken, déshabille-toi et assois-toi, prends du thé! Personne ne viendra ici. А si quelqu’un vient, tu attendras dans la chambre de mes filles! – elle recommença.
Je me lavai et s'assis à la table. Content de l'évasion réussie, je parlais sur le futur, me délectant des beignets et du thé odorant kazakh, que je n’avais pas vu depuis neuf mois.
Je ne pensais jamais qu’il y eût les femmes plus sages et plus braves que les hommes. Je me trompais. La tante Batima se montra forte d'esprit, sage et tranquille.
Certes, dans la situation tranquille chacun peut avoir l'air fort et sage. Mais quel il sera dans les moments difficiles? Et c’était dans tels moments difficiles que la tante Batima fut à la hauteur.
Croyez-moi, pas chacun osera accepter à sa maison un homme poursuivi par les assassins de Koltchak étant aux trousses de lui. Comment ne pas glorifier une telle femme, comment ne la pas respecter pour sa force morale!.. Nous étions assis longtemps, en causant paisiblement, moi, Zhanaïdar, la tante Batima et ses filles. Je demandai une des filles de couper de mon veston les boutons de séminaire et mettre ceux ordinaires, noirs.
Au midi les connaissances de maîtresse vinrent de l'aoul. Le fils de Moukhan, l'élève, avec ses deux camarades vint. Un d'eux était Kaskei Outekin. Enfin Moukhan lui-même vint. On se mit à manger le bechbarmak[112] tous ensemble... Mais est-ce que les Kazakhs peuvent se passer de questions? Quand mon tour à parler arriva, je tâchai de ne pas provoquer des soupçons. À propos, les gens d’aoul exprimaient leur mécontentement d'Alach-Orda, de quelque ordre et, probablement, vinrent pour obtenir justice dans un différend.
Le soir dans la chambre de Zhanaïdar on discuta le plan de mes actions ultérieures.
Deux variantes furent élaborés. Le premier: prendre le train d'Omsk à Petropavlovsk. Là, dans la rue Torgovaïa n°64 se rencontrer avec Abdrakhman Baïdildin. En cas de son absence aller pour les endroits natales, vers le lac de Taintcha disposé au sud de Petropavlovsk.
Zhanaïdar fut sûr que Baïdildin était à cette époque-là notre ami politique fidèle. Avec son aide je pouvais aller ensuite au district de Koktchetav vers l'aide-médecin Niyazov, puis ne rencontrer avec Dossov et par les districts d’Atbasarsk et d’Akmolinsk, par la steppe Golodnaïa aller à Tourkestan, où le pouvoir soviétique s'établi déjà.
La deuxième variante fut le suivant: prendre le trant d'Omsk à Slavgorod (en kazakh c’est Chot) qui se trouvait dans la province d'Altaï.
Là venir à l'appartement chez deux bolcheviks. Avec leur aide aller à Pavlodar (Kereka), et de là passer à Baïan-aoul. Là, dans la montagne, où se trouvaient les villages de clan de Souiundik, trouver les parents du père. Je devrais me rencontrer à Baïan-aoul avec l'aide-médecin Chaïbaï Aïmanov. Je pourrais y passer quelque temps, me reposer, puis passer au district d’Akmolinsk et toujours par la steppe Golodnaïa passer à Tourkestan.
Zhanaïdar écrivit les lettres à Abdrakhman Baïdildin, à Aboulkhaïr Dossov, à Dinmoukhammet Adilev.
Le lendemain, ayant pris de Moukhana de l'argent pour le chemin, je me mis en route.
Zhanaïdar m’amena à la gare sur le traîneau de Moukhan. Tout se passa bien. Là Zhanaïdar courut pour apprendre quand le train pour Petropavlovsk partait, et moi, je restai près du traîneau, à côté des wagons détalés, plus loin de la gare. Dans un certain temps Zhanaïdar revint et dit que le train partirait à dix heures. Et il était seulement huit heures. Zhanaïdar alla acheter les billets. Il voulait me mettre au wagon et seulement après cela partir. À la gare on put se rencontrer avec quelqu'un des Kazakhs-intellectuels me connaissant de vue, parce que j’avais fait mes études au séminaire d'Omsk de 1913 à 1916. Tous nos plans pouvaient être tout de suite par terre, si j’étais reconnu par les Kazakhs d’Alach-Orda. C'est pourquoi, quand Zhanaïdar se lança pour acheter les billets, je le retenu de vive force.
Quelqu’un pouvait remarquer que Zhanaïdar me parlait, et le prendre en filature. Je le persuada qu'il nous était temps de nous séparer, il vaudrait mieux de faire ainsi. Après avoit dit adieu à mon camarade, j’entra imperceptiblement dans le bâtiment de la gare.
Il y avait beaucoup de gens à la gare. Les voyageurs, qui voici ne pouvaient pas acheter les billets depuis déjà quelques jours, flânaient, s'ennuyaient à attendre. Il y avait beaucoup de moujiks et de femmes ruraux les besaces sur les dos. Des marchands, des soldats fatigués et loqueteux, des enfants affamés y faisaient la navette.
Je passai à la salle d'attente de la troisième classe, bondée de gens pauvres.
La gare fut vaste, avec le plancher en pierre. J’examinai lentement le public: est-ce qu’il n’y avait pas de mes connaissances? Je modifiai ma démarche, tâchai de déformer l’expression du visage pour que personne ne m’identifiât pas.
Les soldats de Koltchak allaient et venaient sans cesse en patrouillant la station. Les officiers marchaient à pas mesurés, cérémonieusement et gravement, les pattes d'épaule et les sabres étincellaient.
La gare rappellait la fourmilière. Il y avait partout le bruit, le brouhaha, la bousculade. Je m’approchai à un vieux soldat et à un moujik, qui s’installèrent avec leurs familles dans un coin entre les chaises. Pour entamer une conversation, je demandai à propos du train pour Petropavlovsk.
Le guichet de caisse était encore fermé. Je m’assis. Un vieux soldat racontait aux moujiks sur la guerre germanique, sur la Russie et enfin on se mit à parler des bolcheviks. Il avait l’air d’un vieux routier.
Il racontait des bolcheviks comme si c’était seulement lui qui les connaissait, et les moujiks l’entendaient pour la première fois.
- Les bolcheviks sont forts, les chiens. Toutes les usines et les fabriques sont entre leurs mains. Ils ont les fusil de toutes les marques, les canons, les mitrailleuses et la quantité innombrable de cartouches et d’engins. La manufacture, le thé, le pain, le sucre, ils tiennent tout en mains. Toutes les voitures sont chez eux. Ils ont même les aéroplanes, les tanks, les autos blindée. Toute la Russie est entrée à l'Armée rouge là. Maintenant ils ont pris toutes les terres jusqu'à l'Oural. Mais ils ne veulent pas aller pour la Sibérie...
- Pourquoi ne veulent pas? - le moujik demanda avec impatience.
Le soldat expliqua parcimonieusement:
- Ils ne veulent pas y aller exprès! Ils sont les gens rusés, ils savent que les Sibériens sont contre les bolcheviks et le conseil des députés... Comme on a renversé le pouvoir soviétique en Sibérie, qu’ils apprennent maintenant à leurs dépens ce que le nouveau pouvoir leur donnera! Les bolcheviks attendent les Sibériens se raviser et se soulèver eux-mêmes.
La femme écoutant loucha sur moi et poussa le soldat avec le coude, comme si lui disant d’être plus prudent.
Le soldat jeta un coup d'oeil sur moi et dit calmé avec un signe de la main:
- Ça, c'est l'homme à moi, ai-je raison?
Je simulai ne rien comprenant, j’haussai les épaules.
Ayant vu les officiers de Koltchak passant devant nous, le soldat se tut. Quand les officiers partirent, le moujik s'adressa de nouveau au soldat:
- Est-ce vrai qu'en Russie tous se sont inscrits à l'Armée rouge?
- Oui, tous les ouvriers et les paysans, tous ceux qui peuvent tenir le fusil en main, sont entrés dans l'Armée rouge. Est-ce qu’ils peuvent agir autrement? Ils y entrent pour leur propre profit. Est-ce que les paysans rendront sans résistance les terres prises aux propriétaires fonciers? Les ouvriers ne rendront non plus les usines et les fabriques. C'est pourquoi tout entrent volontairement dans l'Armée rouge!..
Moi, en écorchant les mots exprès, je demandai d’un air incompréhensif:
- Le bolchevik ici... Va?
- Ils viendront certainement! Mais maintenant ils attendent exprès. Ils veulent la Sibérie apprendre bien un nouveau pouvoir, voir ce qu’elle est. Dès le printemps ils doivent se mettre en marche chez nous! - le soldat conclut avec conviction.
Je hochai la tête d’un air désolé et prononçai d’un air stupide:
- Ouille, c’est mal... Mal.
- Pourquoi est-ce mal? – le soldat demanda.
- Je veux! Les bolcheviks tuent! - je dit.
- Tu dis des sottises! Ils ne touchent pas les pauvres comme toi et moi. Parce qu’ils sont les pauvres eux-mêmes. Ils se jettent seulement aux riches. C'est pourquoi les riches répandent les rumeurs que les bolcheviks sont mauvais et ils sont les assassins. Ne crois pas ces faibles, - le soldat conseilla.
Cachant ma satisfaction, j'hochai la tête et répétai d'un air dubitatif:
- Oh, c’est mal, s'ils viennent...
Pendant ce temps-là près du guichet de la caisse une file d’attente commença à s'aligner...
Je pris aussi rang dans la file. On se colla l’un contre l’autre et on attenda. Enfin on annonça que le train ne viendrait pas. Les gens commencèrent à se séparer.
Je pénétrai de nouveau dans la foule, chez les moujiks.
Un gamin roux d’environ quinze ans portant un chapeau de lièvre, les vêtements déchirés se m'approcha et se m'adressa en tatar. Je lui répondis, et le gamin s'assit avec confiance près de moi.
Pour ne pas attirer l'attention sur moi, j'étais couché dans un coin.
Un gamin tatar demanda à quelqu'un une bouilloire, apporta de l'eau bouillante. Il alla chercher du pain, du lait, et nous cassâmes la croûte ensemble.
La nuit tomba. M’étant promené un peu, je revins sur ma place dans le coin et me couchai. Un vieux soldat et les moujiks partirent quelque part.
Et le garçon tatar ne se séparait pas de moi. Brusquement des soldats armés apparurent près des portes, à l'entrée et à la sortie. Ils s’alignèrent et dénoncèrent: "Restez tous aux places! C’est le contrôle des documents!.."
Deux jeunes soldats se détachèrent de la rangée, se mirent au milieu de la salle.
- Préparez vos papiers! Nous commençons l’inspection!
Chacun, en restant à sa place, commença à sortir les papiers.
Moi aussi, en cachant l'émotion, je sortis les "documents".
En faisant les éperons tinter, deux jeunes militaires, sans s'attarder longtemps, s'avançaient dans notre direction. Ils jetèrent un coup d'oeil en passant sur nos papiers et continuèrent son chemin...
Chacun s'occupa de ses soins. Les uns étaient toujours assis dans la salle d'attente, les autres sortaient, les troisième se promènaient simplement. Le train n’arrivait pas, tous s'ennuyaient à attendre.
À l'est, dans la direction de la Sibérie, quelques trains passèrent, mais il y eut aucun pour Petropavlovsk -, et personne ne savait pourquoi.
On passa la nuit à la gare. Il fit grand jour. Les voyageurs s’agitèrent de nouveau. Le gamin tatar obtint de nouveau quelque part la bouilloire, apporta de l'eau bouillante, du lait et du pain. Nous déjeunâmes. Tantôt nous nous couchions, tantôt nous nous levions. Le train fut toujours absent. L'attente fatiguait. Au midi je sortis de la gare.
Dans la cour des voyageurs il y avait beacoup de gens, ils se pressent, poussent l'un l'autre, comme les glaçons pendant la marée du vive-eau. En craignant d’être reconnu par quelqu'un dans la foule, je décidai de revenir à la gare. Près de la porte d'entrée je croisai le regard d’un garçon maigre roux russe portant le capote sale de soldat. Il marchait à ma rencontre. Je n'ais pas le temps de tourner.
- Ah, salut! Et toi, tu es aussi ici? - le garçon s'étonna, en me tendant la main.
- Dieu merci, je vais bien, - je balbutiai, en passant.
J’entrai dans le bâtiment de la gare et tâchai de me mêler dans la foule. Mais je revis ce garçon fluet. En me regardant avec l'expression naïve d'enfant il éclata de rire content et demanda:
- Es-tu sorti depuis longtemps du camp?
Je compris qu'il m’avait fait la connaissait au camp. Je le regardai tranquillement, froidement.
- Je viens d’en sortir... Allons-y, sortirons dans la rue! – après avoir dit ça je me dirigeai vers la sortie. Le garçon me suivit. Dans une place déserte je m’arrêtai, et je lui demandai tranquillement:
- As-tu été aussi au camp?
- Certes, est-ce que tu ne me rapelles pas? Et moi, je t’as reconnu du premier coup d'oeil. Tu étais dans la septième baraque, et moi dans la huitième.
- Quand on t'a rendu libre? - je demandai.
- Il y a cinq jours.
- Et maintenant où vas-tu?
- Je veux aller chez moi, à la province de Perm... J'attends le train.
Sans changer la mine, je le prévins en chuchotant:
- Fais attention, sois prudent. Ils ont une habitude de rattraper un nouveau-libéré et le remettre au camp. Ici, à la gare, il y a des gens, qui nous suivent. Ne dis à personne que tu t'es libéré du camp! Et ne m'approche pas, as-tu compris?
Le garçon fluet eut peur.
- Bien, d’accord!
- Et maintenant vas-t’en!
Après cette conversation ce garçon ne m'approchait plus.
Ce jour-là près de la caisse, quand la file d’attente se forma, deux jeunes Kazakhs passèrent devant moi. J’avais vu l’un d'eux en appartement, où le père de Zhoumabaï habitait, quand nous étions venus chez lui sous l'escorte.
Aux jambes longues et aux joues vermeilles, il était habillé comme un négociant, et le deuxième qui était de petite taille au teint basané, je ne le jamais vis autrefois. Ils passèrent devant moi trois fois. Ils me regardèrent, mais, probablement, ne me reconnurent pas, puisque mes vêtements étaient différents. Après un certain temps ils apparurent de nouveau à côté de moi. Moi je me voûtai exprès un peu.
- Où vas-tu? - l’un d'eux me demanda.
- À Petropavlovsk.
- Achète nous deux billets jusqu'à Petropavlovsk, on ne veut pas prendre la queue!
- D’accord, et où je pourrai vous trouver? - je demandai.
- Dans la salle de première classe. Nous donnerons de l'argent, quand on commencera à vendre les billets.
- Entendu.
Le Kazakh corpulent habillé à la manière de marchand, me regarda fixement.
- De quels lieux es-tu, le djiguite?
- Je suis d’ici, d'Omsk.
- De la ville ou de l'aoul?
- De la ville...
Les Kazakhs sont en général curieux, ils aiment faire connaissances.
- Si tu es l’originaire de la ville, qui est donc ton père?
- Je suis un parent du lutteur Khadjimoukhan, - je mentis.
Le Kazakh ramassé connaissait Khadjimoukhan mais pas moi.
Ayant hésité un peu, il prononça d'un air dubitatif:
- Je ne te voyais pas ici on ne sait pourquoi... Est-ce que tu vas à Petropavlovsk pour les affaires?
- Oui, pour les affaires pas très importantes...
- Et chez qui vas-tu? - ils assomèrent importunément des questions.
- Chez un de mes connaissances nommé Sadyk!
Le même Kazakh corpulent se mit à m’interroger avec un intérêt encore plus grand du mollah Sadyk. Son camarade trouva nécessaire de faire acte d’attention et me dit d’un air instructif:
- Tu sembles d’être un petit naïf et doux! - il prononça. – Fais attention, n'oublie pas ton tour.
- Je tâcherai.
Ils se dirigèrent à la salle d'attente de première classe.
Et ce jour-là il n'y eut non plus de train pour Petropavlovsk. Je patientais. Plus longtemps je restais à la gare, plus je m’exposais au danger.
Je fus obligé de refuser du voyage à Petropavlovsk. Je décidai d’aller à Slavgorod, à la province d'Altaï.
Vers le soir le train arriva du côté de Petropavlovsk pour aller à l’est. Les voyageurs se précipitèrent sur le perron avec bruit. Il y eut beaucoup de gens partout. Brusquement un jeune Kazakh habillé d’une manière d’aoul se m'approcha.
- As-tu besoin d’un billet? - il demanda.
- De quel billet? - je demandai avec embarras. Le djiguite m’expliqua qu'on ne vendait pas de billets pour Omsk sans raisons de service, c'est pourquoi il avait été obligé d’acheter le billet jusqu'à la station de Tatarka ayant fait semblant d’y avoir son point de destination. Mais en réalité il devait aller seulement jusqu'à Omsk, et c’est pourquoi il décida de vendre le billet!..
Je pensai vite. Pour aller d'Omsk à Slavgorod il fallut descendre à la station de Tatarka et prendre le train du chemin de fer de Kouloundinsk.
J'achetai le billet à ce Kazakh. Le train fut mixte. Dans le billet la place ne fut pas indiquée. Les passagers grimpaient en criant, en poussant l'un l'autre à un des wagons sans lumière électrique rouge.
J'embarquai aussi et aidé une vieille pleurant à monter. Dans l'obscurité je rencontrai de la main une planche étant en travers et me couchai sur elle. À côté de moi les passagers se bousculaient. Dans un certain temps on entendit un signal de départ. Le train chancela brusquement et démarra avec fracas.
"Enfin", - je poussai un soupir de soulagement. En scintillant dans la brume avec ses feux, Omsk flotta en arrière... En soufflant et en faisant fracas, le train se précipita en avant. Il y avait beaucoup de soldats de Koltchak revenant du front parmi les voyageurs. Tous se tassèrent dans le wagon non éclairé. La conversation était, pour l'essentiel, sur la lutte avec les bolcheviks.
Dans l'obscurité personne ne voyait personne. On entendait les gens parler d'une voix de basse, d'une voix fine, agressivement, tranquillement. Dans le wagon sombre une querelle commença, et je m’y mêlé d'un revers de la main. Peu à peu le patois polyphonique commença à s'apaiser, et les gens s’endormirent.
Le lendemain vers le midi le train arriva à Tatarka. Je descendis le premier du wagon et je vis sur le perron deux jeunes Tatars descendus aussi du train. Tous les deux se mirent à aller sans s'empresser dans la direction de la ville. Selon leur air ce furent les professeurs. Je les rattrapai et saluai. Ils s’arrêtèrent, me demandèrent où j’allais.
- Je vais d'Omsk à Slavgorod, - je répondis.
- Dans ce cas tu seras notre compagnon de route! Nous allons aussi presque jusqu'à Slavgorod.
- C’est parfait, je suis très content d'être votre compagnon?
L’un d'eux me demanda mon nom.
- Douissembi, - je répondis.
- Allons-y à une cantine pour boir du thé!
Nous bûmes du thé dans une cantine peu attrayante à la périphérie de la ville, puis nous examinâmes les magasins. L’un de mes compagnons s’appelait Khabiboulla, un autre s’appelait Khamza. Ils furent tous les deux les professeurs de la ville de Chadrinsk.
- Nous sommes arrivés ici pour les affaires commerciales, - ils déclarèrent.
L’un de mes compagnons tenait dans ses mains une petite valise, qu’il ne quittait jamais. Dans un magasin des tissus, pendant que mes compagnons demandaient les prix, je vis sur le comptoir un numéro frais du journal russe et je fis attention à une dépêche télégraphique imprimée en grandes lettres sur la première page:
"... En Hongrie on établit le pouvoir soviétique. Il y a un Conseil des Commissaires du peuple. La classe ouvrière de la Hongrie télégraphie à Moscou que Lénine est le chef du prolétariat international".
Je relus le texte du télégramme plusieurs fois. Je ne me sentais pas de joie, mais je ne la trahis pas mes compagnons Tatars.
On revinrent à la gare. Le train à Slavgorod partait le soir. La gare et la cour des voyageursse furent bondées de soldats à cheval et à pied. Il fut facile de reconnaître selon leur uniforme les Tchécoslovaques. Ils furent tirés à quatre épingles, tous les vêtements furent neufs, les capotes furent de drap solide, ils eurent l’air repu, les visages luisaient, comme graissés.
On voyait le train blindé dans l'impasse. Ayant interrogé les passants, nous apprîmes qu’il y avait jours ou deux le détachement bolcheviste avait opéré un raidet à Tatarka et presque prit la ville. La fusillade alarma les Tchécoslovaques. La ville se trouvait en état de guerre, c'est pourquoi on inspectait les cartes d'identité et les billets de tous les gens partant de Tatarka.
Dans la caisse pendant l'achat des billets on inspectait aussi les documents. En voyant cela, nous tous les trois comprîmes que nous n’obtiendrions de billets sur le train allant de Tatarka à Slavgorod.
Les deux Tatars s'inquiétèrent qu’ils pussent éveiller les soupçons comme les mercantis inconnus étrangers. Je m'inquiétais simplement de ne pas avoir de billet.
Et nous décidâmes: d'aller à pied jusqu'à la première station dans la direction de Slavgorod, où on n’inspectait pas les papiers pendant l’achat des billets.
On partit à pied ayant pris le chemin de Kouloundinsk. Le jour fut chaud. La neige fondait, se collait un peu aux semelles.
Vers le soir on fut déjà à la station voisine. On interrogea les gens locaux. Le train arrivait à Tatarka au crépuscule, les documents ne furent pas inspectés. Nous entrâmes à la cabine du cheminot et bûmes du thé.
Le soir on acheta les billets et on prit les places dans le wagon à marchandises, qui devait être attelé à une rame. Il faisait sombre, les places ne furent pas indiquées, tout autour étaient seulement les lits de planches. Le wagon fut complètement bondé des passagers.
Tard dans la soirée on nous attela au train, et nous partîmes pour Slavgorod.
Le matin, m'étant réveillé, je ne me levais pas longtemps.
Dans le wagon il faisait clair du soleil monté. Les gens furent serrés comme des sardines en boîte. Sans lever la tête, je regardai tout autour en cachette, s’il n’y avait pas de connaissances.
Nous achetâmes à trois quelque chose à manger, obtînmes de l'eau bouillante et nous nous assîmes déjeuner.
Les gens se mirent à parler d'abord à mi-voix, et puis de plus en plus hautement, en interrompant l'un l'autre. Dans le wagon tous furent Russes, les moujiks simples ruraux. Outre eux deux gamins cosaques noirauds, à face ronde, allaient en revenant de la place d’études. Les trois hommes bien habillés se distinguaient: ils furent les aides-médecins.
À l’une des stations j'achetai au marché les beignets au fromage blanc et les apportai à mes compagnons de route tatars. Ils refusèrent:
- Douissembi, nous venons de mangé, pour quoi tu as apporté cela?
Je commençai à les offrir instamment. L'aide-médecin étant assis non loin s'adressa à moi.
- Qui vend les beignets ?
- Les femmes simples.
L'aide-médecin avec le sourire hocha la tête d’un air d’un sage et prévint:
- Il ne faut pas les manger, vous allez avoir mal au ventre!
Je répondis en russe écorché:
- Qu’il ait mal!
L'aide-médecin se mit à rire et, en tâchant de m'expliquer, commença à indiquer au ventre avec le doigt:
- Voici, tu auras mal ici: ne mange pas, mal! Les gens étant assis autour fixèrent le regard sur nous par désoeuvrement.
Je renonçai à la prévention de l'aide-médecin et commençai à mettre les beignets au fromage blanc dans la bouche, en disant:
- Si j’ai mal au ventre, est-ce que je mourrai ou quoi? Être morts ou vivants – en tout cas cela nous est égale!
L'aide-médecin s'étonna.
- Pourquoi est-ce que cela vous est égal?
- Et de quoi devons-nous regretter? Regardez-moi... Regardez mes vêtements... Tout m’est égale, je ne crains pas la mort. Et toi tu ne dois pas mourir! Tu dois vivre. Tu as bon air, tes vêtements sont bons. Voilà comme belle ta montre d'or est. Si tu meurs elle vas être disparue. А je ne crains pas la mort!
- Et pourquoi n’as-tu pas peur de la mort? - l'aide-médecin chercha à savoir.
- Mais pourqoui dois-je la craindre? J'ai grandi au souterrain. Si je meurs, j’y reviendrai. Et si je ne voulais pas mourir qu’est-ce que tu ferais, comment tu m’aiderais? Nous tous seront après tout dévorés par la terre noire!
Et nous engageâmes un débat avec l'aide-médecin. Je prouvais à l'aide-médecin ses erreurs en utilisant exprès la langue grossière. Les gens autour de nous nous écoutaient attentivement en goguenardant. Quelques moujiks nous encerclèrent. La plupart de gens furent de mon côté.
Finalement l'aide-médecin se reconnut vaincu et demanda franchement:
- Tu es quand même de qui?
Je me perdis un peu, mais ne le pas montrai et répondis:
- Moi, je suis Kazakh!
Un autre aide-médecin s'approcha, me tendit la main, en riant, et la serra fermement:
- Bravo, c’est bien!
Mes Tatars me regardaient avec étonnement et commencèrent à s'intéresser de moi, comme s’ils me virent pour la première fois.
- Douissembi, parfaitement! D'où as-tu tant d'idées inattendues? Tu parlais comme un savant. Quelle éducation as-tu?
- Pas grande. À Omsk je faisait mes études pendans deux hivers à l’école du soir pour les adultes. J’ai retenu quelque chose de ce que les professeurs nous racontaient. Pensez vous-mêmes: d'où puis-je savoir quelque chose?
- Non, tu nous mens. Tu n’es pas des demi-savants, - l’un des Tatars conclut.
Le deuxième le soutint:
- Oui, oui, tu as l’air de l’homme cultivé.
Ensuite nous engageâmes la conversation sur la politique. J'écoutais attentivement, il m’était intéressant d'apprendre les détails de la vie des Tatars et des Bachkirs.
- А qui est-ce que vous dirige maintenant, quel pouvoir? - je demandai.
- Maintenant les Tatars et les Bachkirs ont leur propre pouvoir. Les bolcheviks nous ont donné l'autonomie!
Ayant simulé d’être tout à fait rétrograde, je m’intéressai:
- Est-ce qu’ils se sont séparés des Russes? Ont-ils établi eux-mêmes le khanat?
Tous les deux, ils me regardèrent avec sourire moqueur.
- Non, quand il y a l'autonomie, il n’y a pas de khanat. En disant en russe, la république s'est formée, - ils expliquèrent.
- D'où est-ce que je dois le savoir? J'ai pensé que chez vous c’est la même chose que chez les Kazakhs.
- Et est-ce que les Kazakhs ont un khan?
- Oui. Leur khan s’appele Boukeikhan, - je répondis.
Ils éclatèrent hautement de rire tous les deux et commencèrent à m’prouver que Boukeikhan n’était pas du tout le khan et que les khans sont en général mauvais. Ils commencèrent à gronder Zakkiia Balitov bachkir. Ils disaient aussi que personne ne pouvait rendre libres de petites ethnies faisant partie de la Russie excepté les bolcheviks.
Moi, au contraire, je commençai à dénigrer les bolcheviks. Ils ont expliqué que les mauvaises rumeurs sur les bolcheviks étaient repandues par les voleurs et par les gens, qui étaient contre la liberté et l'égalité.
Enfin ils conclurent:
- Ah, Douissembi, si sage et formé que tu sois, tu es orienté incorrectement, on t’a dirigé dans une fausse direction...
Mes compagnons de route descendirent à une des stations, sans arriver à Slavgorod. Nous échangeâmes des adresses. Eux, comme moi, je pensais, donnèrent les adresses inventées.
Je sortis de la poche mon carnet d'adresses et le crayon et commençai à les inscrire avec les lettres arabes. En me regardant écrire, les deux hommes échanger des coups d'oeil le sourire aux lèvres:
- Il s’est nommé l'"élève", mais il a écrit sans une faute...
Nous arrivâmes à Slavgorod à l’obscurité du soir. C'était une gare terminus du chemin de fer de Kouloundinsk. Les Kazakhs l’appellaient Chot.
La ville se trouvait à cinq verstes de la gare. Les gens aisés partirent en fiacres. Plusieurs gens se traînèrent à pied, et moi, je partis avec eux.
On suivait le sentier étroit, qui avait fondu un peu pendant le jour, et vers le soir avait gelé. Il n’y avait pas de lune, le soir était sombre. En trébuchant, en traînant à peine, on entra dans la ville. On ne voyait pas les gens. Les bicoques basses, comme dans un village, furent enneigées presque complètement.
Excepté moi, tous partirent aux adresses familières. Je marchais seul cherchant un abri pour la nuit. Je rencontrai deux hommes avec les sabres au flanc, les soldats de chef cosaque.
- Où est l'auberge ici? - je demandai.
Ils me montrèrent le chemin. Je m’approchai de la maison indiquée et frappai à la porte. La porte fut enneigée, les fenêtres ne furent pas visibles. Dans un certain temps quelqu'un ouvrit la porte.
- Puis-je passer la nuit chez vous?
- Entre, si tu trouves une place...
J’entrai. Dans deux pièces sales contiguës il faisait sombre. Dans un coin il y avait un veau rouge-pie. L’air était puant, il y avait l'odeur fort de sueur et de tabac.
Avant moi s’y installèrent quelques moujiks et un gitan avec sa femme. Je trouvai la place dans le coin, à côté du veau. Les moujiks veillaient longtemps, causaient sur la politique. Le gitan à barbe noire parlait plus que les autres.
Il grondait les bolcheviks, mais de manière rusé. D'abord il les jura en peu, ensuite raconta, comment les gens de Koltchak avaient fouetté un moujik, avaient fusillé un autre. Et, enfin, il finit:
- Il n’y a pas de solution!... Où est-ce qu’un paysan doit aller? Seulement dans les montagnes oui aux bois. Et d’où prendre le gagne-pain? Attaquer Koltchak, partager le bien avec lui. Et voici les moujiks passent aux rouges... Quand la neige fondra, les bandes rouges fairont une virée partout dans le pays! - le gitan exulta.
Les moujiks faisaient les signes de têtes, en partageant son opinion avec mesure: cela tombait sous le sens. Le gitan se tourna vers moi:
- Tu es venu de tatarka? N'as-tu pas entendu parler à propos de ce que les rouges y venaient de faire d’un grand grabude?
Je raconté modestement ce que j’avais entendu dire. Le matin je sortis à la ville.
La ville de Slavgorod, bien qu'elle fût considérée comme un chef-lieu de district de la province d'Altaï, était semblable à un bourg ordinaire aisé. Elle se trouvait dans la pleine steppe.
Je demandais si les Kazakhs habitaient la ville. Il se trouva qu'il y avait deux familles kazakhes. Je visitai l’une, mais tous les hommes de cette famille s’étaient levés tôt et étaient partis au marché. Moi, j’y parti aussi. Ce jour-là le marché fut ouvert. De tous les côtés les moujiks allaient aux traîneaux suivant les rues à la place du marché. J’entrai à la poste, j’écris les lettres à Omsk à Moukhan et à Zhanaïdar, puis j’allai au marché.
Sur une large place il y avait des boutiques en rangs où les gens se pressaient. Il y avait là des paysans, seulement se parfois on pouvait remarquer les gens habillés de manière de ville. On ne voyait pas du tout de Kazakhs. Le commerce battait son plein. Sur les traîneau il y avait les sacs pleins de blé, d'avoine, d'orge, de farine, les boîtes au beurre. Les bœufs, les brebis, les chevaux, les cochons amenés pour être vendus furent attachés aux traîneaux. Les gens fourmillaient. Les uns achétaient, les autres vendaient, les troisième demandaient les prix, les quatrième simplement bayaient.
En me promenant, je vis un lourdaud portant un koupi qui semblait une robe de chambre, et tymak. C’était le Kazakh du district de Pavlodar, de l’arrondissement de Baïan-Aoul, du clan de Karzhas. Il s’appelait Smagoul.
À Chot il vint pour chercher le travail. Il n’en trouva aucun et ce temps-là il allait revenir chez soi. Je me réjouis du compagnon de route inattendu. Il demanda, qui j’étais.
- Moi, je suis un Kazakh de la voloste de Sletinsk du district d'Omsk... J’ai travaillé comme valet de ferme à Omsk. Je suis le proche parent du luttant Khadzhimoukhan. J'erre maintenant cherchant mon nagach qui habite à l’arrondissement de Baïan-Aoul du district de Pavlodar.
On se mit d'accord d’aller ensemble pour Pavlodar.
- Restons aujourd'hui ici, - Smagoul proposa. - Ici un boutiquier-Tatar a basoin des travailleurs pour fendre du bois. Nous lui fendrons du bois, et il nous paiera pour ce travail vingt roubles. Et demain nous partirons.
- D’accord, - j'acceptai.
- Dans ce cas allons-y à la boutique.
Nous nous entendîmes vite avec le boutiquier, un haut Tatar roux.
Smagoul décida de dire adieu tout de suite au maître de l'appartement. Il logeait dans la maison du Kazakh, qui gardait le local du comité exécutif kazakh de voloste à Slavgorod. On apprit que deux volostes kazakhes, l’une dequelles s’appelait la voloste de Sary-Arka faisaient partie du district de Slavgorod.
Nous nous approchâmes d’une maisonnette basse. Sur la façade il y avait une planche sur laquelle il fut écrit en russe: "Comité de voloste de Sary-Arka". On entra et par une petite antichambre on passa à la pièce de derrière, où le secrétariat du comité se trouva.
Il y avait là deux ou trois tables, sur lesquelles se trouvaient le papier, les encriers, les règles, les comptes, les registres reliés tant bien que mal. À l’une des tables deux Russes furent assis, l’un écrivait, l’autre, jeune, reliait les papiers. Dans le coin gauche nous vîmes un jeune Kazakh portant une calotte noire, fut assis à la table. De toute évidence, c'était le président du comité de Sary-Arka.
Il était sale au secrétariat. Le plancher de bois ne fut pas lavé. L'air était lourd. Aux murs se trouvaient les affiches et les ordres de Koltchak. À droite on voyait par la porte entrouverte une pièce étroite avec les ustensiles de misère kazakhs. Le gardien du comité y habitait.
Quand nous entrâmes, une femme kazakhe maigre pauvrement habillée nous regarda de la porte. Les travailleurs du secrétariat levèrent paresseusement les têtes.
Smagoul me fit signe de le suivre. Je n'eus pas encore le temps de faire un pas, comme le Russe écrivant après la table dit sévèrement:
- Où vas-tu? Tu saliras le plancher!
"Il est bon, le comité, si une telle saleté est considéré comme la propreté!" - je pensai méchamment.
Je m’assis près de la porte sur le seuil, sortis de la poche une aiguille avec le fil et commençai à repriser mes moufles de peau de mouton.
Smagoul dit adieu, et nous repartîmes chez le Tatar-boutiquier. Celui-là envoya avec nous son fils pour nous accompagner à la maison à la périphérie de l’ouest de la ville. Une femme tatare âgée nous montra les gros rondins et les perches de pin dispersées à côté de la remise, elle aporta une scie passe-partout et la cognée avec le maillet. Les billes de bois furent gros, de deux brasses. D'abord nous devions les scier pour les rendre plus courts, donc on pourrait les mettre au poêle.
Ensuite on devait briser les billes de bois avec la cognée à l'aide des maillets et le coin. Nous avec Smagoul, nous travaillions jusqu'au midi, sans ménager les forces. Il y a longtemps je ne faisait pas le gros ouvrage.
Tout le corps fut tendu. J’avais les mains gourdes et tremblentes. Vers le midi on fit une petite pause, on cassa la croûte. Les femmes tatares font toujours une très bonne cuisine. Après le plat de viande la maîtresse nous donna du bon bouillon mélangé avec du lait caillé.
Nous continuions à scier et casser le bois jusqu’aux crépuscules. Le soir nous nous réposâmes avec plaisir dans la chambre propre chaude. Nous accrochâmes nos chemises de jour et nos bechmets pour les sécher.
La famille du boutiquier-Tatar fut seulement de trois personnes: lui-même, sa femme et leur fils. Il y avait encore une domestique: une jeune fille russe.
Quand on causait à la table, le Tatar, en s'adressant à moi, conseilla:
- Reste ici, travaille encore un peu. Il ne te faut pas aller à pied à Pavlodar éloigné à un tel temps difficile au début du printemps. Tu partiras, quand la neige fondra, la terre séchera, la verdure apparaîtra.
Je refusai. Il y eut péril en la demeure.
On se leva de bon matin et jusqu'au midi on cassait avec acharnement les billots sciés et les mettait à la remise.
Ayant pris avec nous du pain et du beurre, on partit de Slavgorod pour Pavlodar. On fut tous les deux vêtu froidement, bien ceints, les bâtons aux mains. Slavgorod enneigé resta derrière nous.
Nous allions longtemps, seulement vers le soir on vit derrière nous un traîneau attelé d’une paire des chevaux. Dans la steppe déserte sur la neige blanche près du bord du chemin il y avait deux piétons fatigués.
Sur le premier traîneau se trouva un Kazakh gras portant la pelisse et le tymak de renard. Les chevaux rongeaient les mors, s'approchaient vite. Nous saluâmes l’homme au tymak de renard. Ses lèvres s'ébranlèrent un peu. Les chevaux arrivèrent à notre niveau.
- Cher maître, conduisez-nous au moins un peu, - Smagoul demanda.
Le "tymak" ne fit pas attention à la supplication, et continua son chemin. Après lui le deuxième traîneau galopa. On continua à marcher.
Un nouveau traîneau attelé d’une paire des chevaux apparut derrière nous. Nous nous écartâmes. Le traîneau s’approcha avec bruit de nous et s’arrêta. Un paysan russe s’y trouvait.
- Hé, assoyez-vous! - il cria.
Nous nous trouvions au désarroi. Le moujik, ayant ramassé les guides, cria avec étonnement:
- Allez-y, assoyez-vous! Qu’est-ce que vous attendez?!.
Nous étant ressaisis instantanément, nous nous jetâmes au traîneau, et le moujik pressa les chevaux. Les patins glissaient vite sur la neige mouillée, les chevaux courraient facilement et allégrement. Le moujik revenait du marché, probablement, après une vente réussie.
- Hooouuup! Les faucons! Hooouuup! - il criait lentement et agitait le fouet.
On allait longtemps. S'étant tranquillisé, le paysan engagea la conversation sur l'essentiel: sur le pouvoir. Il racontait librement, pourquoi les moujiks étaient contre Koltchak, et prouvait que les Soviets sont le meilleur pouvoir pour les paysans.
- Voici quand la neige disparaîtra, la terre séchera, les bolcheviks viendront. Alors nous nous soulèverons, les paysans et chasserons ce diable au taïga! - il conclut.
Le chemin fut désert. Vers le soir on vint à la place, où le paysan devait tourner à son village. On se dit adieu.
On passa la nuit chez un Kazakh pauvre, dans l'aoul à côté du chemin, où il y avait seulement quatre ou cinq maisons.
Slavgorod se trouve à la distance de cent cinquante deux verstes de Pavlodar. Nous sortîmes de bon matin et fîmes une halte courte au midi. La neige fondait de plus en plus chaque jour.
Seulement après vingt ou vingt cinq verstes on pouvait rencontrer un bourg. Les ruisseaux d’eau de fonte courraient en sonnant dans les rues.
Mes bottes à bout obtus furent mouillés entièrement. Nous pressions les chaussettes russes et les séchions pendant la nuit. Les pieds mouillés blanchirent, la peau devint fine, des ampoules apparurent.
Vers la quatrième nuit nous arrivâmes à Pavlodar.
Les gens pauvres kazakhs vivaient ici isolément, à deux verstes de la périphérie de sud-est. Parmi les pauvres de ville le camarade de Smagoul nommé Abdrakhman vivait. Chez lui nous nous reposâmes deux jours.
Abdrakhman travaillait à Omsk, se maria avec une veuve aisée, qui avait deux filles du premier lit. Il l'amena là, s'occupa du commerce au marché de bétail et devint un djiguite aisé. Quand sa femme mourut, Abdrakhman se maria avec la fille du mollah kazakh.
Il ne ressemblait pas du tout à Smagoul: frétillant, omniscient, parfaitement habillé, étant devenu le marchand il semblait oublier son ancien état d'ouvrier.
Nous liâmes conversation. Abdrakhman eut une foi vive dans l'Alach-Orda. Je tâchai de parler des traits négatifs d’Alach-Orda, mais Abdrakhman tenait ferme... Une fois un djiguite aux yeux à fleur de tête nommé Abil vint chez Abdrakhman. Il arriva de Semipalatinsk où il faisait son service dans une troupe d’Alach-Orda. Je causais longtemps avec lui en détail.
Puisque je m’étais présenté parent du luttant Khadzhimoukhan, eux, en voyant ma constitution, ils me considerèrent comme un luttant aussi. J'appris beaucoup des informations d’Abil à propos de l'activité des "batyrs" d’Alach-Orda pour ce temps-là. Nous passâmes avec Abil tout Pavlodar. On visita l'école russe-kazakhe, la mosquée, où les musulmans se réunirent pour faire la prière de vendredi.
Et à ce moment-là il me fallut faire le passage de Pavlodar à Baïan-Aoul, passant cent quatre-vingt-douze verstes. Smagoul trouva le travail à Pavlodar, et moi, je me mis d'accord avec les caravaniers, arrivant de Baïan-Aoul. La situation dans cette région fut pas très bonne, la population souffrait de faim après le zhout[113] sévère.
Au marché municipal les soldats du chef cosaque Annenkov se proménaient entre rangs, en se chauffant au soleil chaud. Je connaissais très bien leur forme: les bandes chargeuses, les bonnets en peau de mouton noirs, les sabres, les poignards aux ceintures, deux lettres "А. А" sur les pattes d'épaule. Certains d'eux étaient les Chinois des renégats, des vagabonds. Je les observais tranquillement, déjà pas comme un prisonnier. Voilà un Kazakh allait au cheval. Un des Chinois en uniforme le saisit par la queue et le retint. Le cheval s'arrêta. Le Kazakh se tourna, mais ayant vu le soldat, il baissa la tête humblement et ne dit rien. Le Chinois avec son canif coupa une touffe entière de cheveux de la queue du cheval. Le Kazakh commença à regarder avec frayeur de tous les côtés, en cherchant protection. Deux Kazakhs de ville, piqués au vif, dirent quelque chose aux soldats.
Les soldats répondirent par les jurons. Les Kazakhs voulaient reprendre la touffe de cheveux coupée par les soldat. Les gens se réunirent, la plupart furent les Kazakhs. Ayant vu que les affaires pâtissaient, les soldats chinois appelèrent leurs camarades au secours. Trois ou quatre gens d’ataman s’approchèrent vite, dégainèrent les sabres.
Les Kazakhs courirent de côté et d'autre, comme des fraitins du brochet. Les gens d’Annenkov leurs frappaient les dos du plat des sabres.
Je revns avec les caravaniers à l'appartement, pris quelques numéros du journal "Sary-Arka". Je ne pouvais pas oublier la indomptabilité violente des gens d’ataman атаманцев et soudain je vis dans le journal l'article signé par un Kazakh d’aoul. J’avais devant moi encore un numéro de "Sary-Arka" du 26 mars 1919.
Voici cet article:
"L'indomptabilité.
... À la fin de janvier 12 miliciens de cosaque partirent aux baraques "Bes oba", situant à deux cents verstes de Baïan. Chemin faisant ils faisaient tout ce qui leur passait par la tête, se payaient la gueule des Kazakhs de voloste d’Akbettaoussk. Les mots manquent pour décrire tout. Les Kazakhs de rencontre furent battus avec le fouet et les verges. La distribution de coups stoppait seulement, quand l'offensé promettait une rançon. On rendait le au maître à condition que celui-là donnait la rançon pour son propre chariot. Ils soustrayaient les tymaks, les tapis, les pantalons bouffants, les feutres ornés, bref, tout ce que leur plaisait dans la maison du Kazakh. Ils arrachent sans autorisation les verroux des cabinets de débarras. Il y avait des cas de viol des femmes.
Citons quelques faits: on battit la femme, les enfants d’Abdir Moïnakov. Son fils Beken fut fessé. Le maître n’avait pas d’argent, c'est pourquoi il promit de rendre mille roubles en retournant. Ayant reçu deux cents roubles on rendit le cheval pris pour le chariot.
On déposséda le Kazakh du septième aoul Ordabaï Adirov d’ un feutre orné et d’un coussin.
On battit le mollah connu Machkhour Kopeev.
On fessa un certain Temirboulat et son fils, ayant reçu ensuite d'eux deux cents roubles.
On condamna le mollah, le hadzhi Abaïdildy, et son fils du sixième aoul à 15 verges chacun et on reçu d'eux deux cents cinquante roubles.
On fessa Askar Toppassov et le déposséda d’un tymak.
On fessa Ospan Bitakaev, on reçut de lui deux cents cinquante roubles et un tymak.
Achim Doskaraev fut dépossédé d’un тымак et de soixante-dix roubles.
"Trouve ton mari décédé!" - avec une telle exigence absurde ils battirent la femme Zhalpak Ondirbaev et la dépossédée d’un tapis.
Le gardien de chevaux Douissenbaï Karacholakov fut dépossédé de cinquante roubles et de douze chevaux qui furent pris pour les chariots.
Abil Chalkarbaev du deuxième aoul fut fouetté, on battit et mutilé son frère aîné Nourman, après quoi chaqu’un fut dépossédé de deux cents roubles.
Souleimen Orkenbaev fut dépossédé de deux cents roubles.
Khamit Tchokanov ne fut pas fouetté après ce qu'il avait donné la rançon de deux mille roubles.
Slambek Imambekov fut dépossédé de 1,5 mille roubles.
On donna la fessée à Zhambek Imambekov et lui prirent cinq cents roubles.
Askar Chankoulanov fut dépossédé d’une mille roubles.
Kiyach Alimbaev reçut vingt cinq coups de verge et donna vingt cinq roubles.
Moussanbek fut puni avec vingt coups de verge et paya vingt cinq roubles.
Touktibaï Togaïbaev du 11-ème aoul fut dépossédé d’une mille roubles.
Au retour dans la voloste d’Akkelinsk on puni avec15 coups de verge Aïmagambeta Zhamakov et lui prit 300 roubles.
Le professeur Souleiman Erzhanov, en demandant "de ne pas toucher son aoul", paya d'avance 500 roubles et "offrit" un tymak, un pantalon et équipa quatre chariot de cheval.
Il est impossible de décrire toutes les oppressions et les moqueries dans une lettre. Le peuple est embarrassé. Les uns disent que c’est l'œuvre des doigts des renégats - des Russes. Ils font cela à cause de la méchanceté pour ce que certains veulent séparer le peuple kazakh, le faire autonome.
Et le peuple implore seulement: "Oh, mon Dieu, grâce! Que nous ne les rencontrions jamais!.." Dès qu'un homme russe paraît à l'horizon, les gens prend son élan avec frayeur. Plusieurs Kazakhs sont irrités, mais espèrent encore que il y ait parmi les Russes des gens raisonnables, qui calmeront leurs confrères débridés.
Les chefs des aouls, en craignant la bastonnade et les pillages, ne télégrafient pas aux grades supérieurs russes. Ils raisonnent comme ça: "En attandant quelqu’un venir ici pour enquêter, nous serrons lynchés".
À 30 verstes de Baïan il y a une petite usine d’Aleksandrovsk. Un certain Gronengo travaille comme son directeur. Après le décret de 25 juin[114] ce Gronengo fut connu comme un "sauveur d'âme". Sans se limiter par ce que les Kazakhs travaillaient chez lui gratuitement, il prenait encore les pots-de-vin d'eux pour le "placement" à l'usine. Deux mois il utilisait les Kazakhs en travail et enfin il ne put pas les sauver des travaux de l'arrière. L'année passée, en craignant les bolcheviks, il voulait se cacher à une voloste kazakhe. Les Kazakhs n’oublièrent pas sa "bonté" et ne l’acceptèrent pas. Maintenant le même Gronengo appela chez lui le 5 février le chef de milice avec tous les miliciens et ordonna de battre les Kazakhs qu’il ne plaisait pas.
Il transforma le rez-de-chaussée de sa maison en prison. On y furent mis Tore Karakeev et Askar Zhoussipov. Gronengo marchait les mains dans les poches, et disait: "Si vous donnez 8000 roubles, vous sortirez de la prison!.."
Un Kazakh Azhibaï grondait autrefois ce "richard" pour le non-paiement du salaire. Quand Gronengo décida de le fouetter les Kazakhs intercédèrent et obtinrent le pardon, ayant obligé Azhibaï à embrasser avec l'humiliation les pieds du "richard".
Un certain Kazakh Amra ne rendit pas le poids en temps voulu, pour quoi Gronengo le déposséda d’un cheval et d’un chameau.
Au printemps de l'année passée un Russe perdit un sac de pain, et pour cela un aoul fut dépossédé de 9 boeufs. Tout cela fut impuni, et était considéré comme les actions de "la période de troubles".
Voici l’image pour vous du chef, appelé à apaiser les polissons russes. On demande, qui doit le mettre à la raison? Jusqu'à quand est-ce que le peuple kazakh sera humilié? Par quelle voie on peut obtenir les relations de bon voisinage entre deux peuples?..
Gora Baïan"
Sur tout cela le journal d’Alach-Orda écrivait, en cachant soigneusement l'amitié de ses chefs avec les gens de Koltchak.
Je feuillette un autre numéro de "Sary-Arka" du 6 février 1919. Je lis l'article, dans lequel on décrit l'amitié et la solidarité du chef cosaque Annenkov avec les volostes kazakhes et avec les meneurs d’Alach-Orda.
"D'Ourdzhar
... Le chef cosaque Annenkov passa un congrès, ayant convoqué les chefs du peuple (les chefs de voloste).
De 12 volostes 5 personnes vinrent au congrès... Le Chef cosaque demanda de donner 10 personnes de chaque voloste pour les enseigner l'art militaire. Quand le chef cosaque Annenkov déclara connaître bien les chefs vénérables du peuple kazakh (comme Alikhan, Moukhametzhan, Akhmetzhan et Zhaïnakov), tous les représentants bourdonnèrent avec plaisir: "Vous connaissez donc tous les gens héroïques, qui sont respectés par nous plus que nos pères. S'ils disent se couche, nous nous couchons, s’ils ordonnent de se lever, nous nous lèverons".
Annenkov plaça à propos: "Le chef cosaque de Semiretchensk Afonov les déteste. Il dit "qu'ils se cramponnent en vain à l'autonomie", mais moi, je crois ces citoyens héroïques! Afonov exaspérer la haine entre les peuples kazakh et russe. Afonov n'approuve pas ce que je distribue l'arme aux Kazakhs et j'organise les régiments kazakhs...
L'interprète du chef cosaque Kensebaï Oumbetbaev".
Au "Sary-Arka" du 26 mars 1919 je vis l'article "Comment les Kazakhs font la guerre", où on décrivait gaiement les "hauts faits" des troupes d’Alach-Orda contre les bolcheviks. Et en réalité les "preux" du chef cosaque bafouaient les pauvres kazakhs, en leur donnant des coups de pied, comme aux chiens. Dans l'article on exaltait avec enthousiasme les actions braves de Baltaï Bessebekov, Akhmetkali Ormanbaev, Kagazbek Rachkin du régiment d'Alach, qui faisaient la guerre contre les rouges au front de Semiretchensk.
Ayant lu, je crachai, rejetai le journal de côté, pris un autre numéro de "Sary-Arka" du 20 février 1919. Ici je lus les réponses de la rédaction à la lettre du Kazakh d’aoul Baïssalbaev, qui se plaignait des oppressions des koulaks russes du district d’Akmolinsk. Dans la réponse la rédaction de "Sary-Arka" écrit, en jetant les bûches au feu d'hostilité nationale:
"Les Kazakhs d’Akmolinsk n'ont pas encore organisé la milice d’Alach-Orda, c'est pourquoi ils souffrent la violence des Russes..." Et ensuite:
"On a oublié les règles et les ordres, l'État russe est sur la voie de l'atrocité. Pour se sauver le peuple kazakh a une seule solution: s'unir. Ne pas perdre l'intégrité! Cesser les discordes. Tous doivent participer à la lutte publique! Mettez aux chevaux les meilleurs citoyens, armez-vous, protégez-vous! Depuis déjà une année nous répétons que l'époque du "Kalmouk blanc" est arrivée[115]. À l'exception des Kazakhs des régions de Semipalatinsk, d'Oural et du district de Koustanaï de la région de Tourgaï, tout les autres, surtout les Kazakhs de la région d’Akmolinsk, ont bouché les oreilles avec le tymak et s’enfuient, comme du feu, de l'organisation de la milice. Comment l'autres ne peuvent pas mépriser le peuple insouciant, inerte, irrésolu?! C’est notre propre faute, nous ne voulons pas être secoués, nous ne souhaitons pas devenir humains! Si nous continuons comme ça, probablement, nous disparaîtrons bientôt de la face de terre! Maintenant ce n’est pas le temps d’attendre de la justice et de la paix d’une bête effrénée: du moujik. Il ne faut pas lui demander conseil, espérer en vain dans l'attente d’une chose irréalisable! Vous pouvez vous plaindre aux autorités locales, mais nous ne pouvons pas vous assurer que cela vous donnera quelque chose de bien. Les Russes ont préparé déjà les accusations de retour, ils diront à la fois: "Vous avez volé notre bétail, avez causé le dégât".
Vous vous indignez dans vos plaintes: "Est-ce que nous resterons en main de celui qui nous a saisi, aux dents de celui qui nous ronge?" Nous le connaissons depuis longtemps et nous vous précautionnions. Avant qu'il ne soit trop tard, vous-mêmes, vous devez raconter au peuple vos malheurs. Qui peut garantir que le malheur venu aujourd'hui de frapper un aoul ne viendra pas demain de frapper tout le peuple? Est-ce que cela n'était jamais comme ça? Est-ce que nos frères ne périssent pas tous sans exception maintenant à Semiretche?"
Ah, vous, messieurs malintentionnés! Qui outre vous a organisé une troupe d'Alach et a causé du remuement dans les régions de Semipalatinsk, d'Oural, de Koustanaï, de Tourgaï? C'est pas assez pour vous, vous voulez encore entortiller perfidement de vos filets et les Kazakhs d’Akmolinsk et noyer ainsi au sang la population ouvrière!
Je lisais la chronique, de divers messages et de grands articles publiés dans de différents numéros du journal "Sary-Arka", qui était à cette époque-là l'organisme central d’Alach-Orda. Certes, le journal altérait à son gré les faits, les déformait, enjolivait ce qu'elle voulait, créait une fable profitable.
Mais aussi longtemps qu’il tâchera de répresenter au lecteur le rapport des forces sous un faux jour, on verra que l’état de l’Alach-Orda n’est pas bonne. Les ministres d’Alach-Orda s'occupaient de l’organisation des détachements contre les bolcheviks, du reste leur activité ne valait pas un sou.
Peu à peu, la jeunesse d’Alach-Orda pétait du feu suivant ses forces. Elle publiait à Petropavlovsk le journal "Zhas azamat", dans lequel elle donnait les instructions à la jeunesse nationaliste de tout le Kazakhstan. Seule revue à cette époque-là "Abaï" fut publiée à Semipalatinsk et se trouvait aussi en main de la jeunesse d’Alach-Orda.
Les rédactions du journal "Zhas azamat" et de la revue "Abaï" de temps en temps demandaient de l'aide des lecteurs, en indiquant à l'absence des ressources. Le 20 février 1919 au n°70 du journaux "Sary-Arka" on publia l'article "Aux lecteurs des journaux et des revues". L'auteur de l’article fut le rédacteur de la revue "Abaï" Aïmaoutov, l’un des leaders de la jeunesse d’Alach-Orda.
"Aux lecteurs des journaux et des revues.
Dans un des numéros du journal publié en russe à Novo-Nikolaevsk, il est indiqué que le seul journal kazakh et la seule revue kazakhe se ferment à cause de l'absence des souscripteurs. Il s'agissait du journal "Zhas azamat" et de la revue "Abaï".
Ce message ne va pas à la réalité.Le "Zhas azamat" paraît jusqu'au présent. Il est vrai que l’inquiétude à cause du manque des moyens a apparu. Maintenant nous sommes tranquilles, car les jeunes gens d'Omsk ont envoyé à la rédaction une mille les roubles gagnés de la soirée littéraire.
Et les représentants de la jeunesse de Semipalatinsk ont déjà envoyé près de cinq mille roubles. Nous espérons qu’à d'autres places aussi il ait des gens souhaitant nous soutenir. La revue"d'Abaj"a près de 900 souscripteurs et son existence est cessée provisoirement jusqu’à la convocation de la réunion générale, et aussi pour d'autres raisons.
Son publicateur est une société menue de crédit. Il y a un espoir que l’"Abaj" sera publié. Nous espérons que la conscience et l'honneur civile de la jeunesse cultivée ne permettent pas fermer leur seule revue. On croit qu'elle sortira quelle que soit la conjoncture.
Le rédacteur de l’"Abaï" Zhoussipbek Aïmaoutov.
Du même numéro du journal: "Le rapport.
La recette et la dépense du profit de la soirée en kazakh, tenue par la jeunesse d’Omsk. Le revenu total: 6 392 roubles 15 kop. Le revenu net: 3 189 roubles 25 kop.
Les présents faits:
Sultan Abrakhimov: 300 roubles, Akkagaz Doszhanova: 50 roubles et une pièce en argent turque,
Chaïakhmet Oteguenov: 23 roubles,
Baltabaï Borankoulov: une cuillère en argent et une fourchette,
Amina Kouanycheva: un anneau d'or, Goulia Dossymbekova: un anneau en argent, Gaziza Dossymbekova: une pièce en argent, Asfandiiar Tchermanov: un quart de tabac, Mouratbek Seitov: un livre de sucre, Zhamin Tolemissov: un livre de thé.
Au nom de société "Tilek" ("Désir") j’exprime la reconnaissance à tous.
Gabbas Togzhanov".
Dans le même numéro de "Sary-Arka" je lus le suivant: "L’aide au journal "Zhas azamat".
Ayant vu l'annonce dans numéro 68 de "Sary-Arka", où on disait que le journal "Zhas azamat" cessait l'activité à cause du manque des moyens, j'ai procédé à la collecte de l'argent:
Kalberguen Koulov: 40 roubles,
Chyrgaï Moustambaev: 20 roubles,
Amra: 15 roubles,
Gaziza Moustambaeva: 5 roubles,
Moi, Idris Moustambaev: 5 roubles.
On a collecté au total 85 roubles. J'ai envoyé cet argent à la rédaction de "Zhas azamat".
Le lycéen Moustambaev".
On pouvait comprendre que la jeunesse nationaliste ne demeurait pas les bras croisés.
VOIE À BAÏAN-AOUL
Le lendemain nous partîmes avec la caravane de Pavlodar. Le jour était chaud, la neige fondait. Le long des rues l'eau bouillonnait et avec le bruissement sonore tombait d’une falaise à l'Irtych. L'eau bourbeuse s'accumulait peu à peu sur la grosse glace pas fondue. On traversa prudemment l'Irtych. La caravane contenait quatre personnes, moi j’étais le cinquième.
Nous eûmes deux chevaux maigres et un faible chameau. Les chevaux traînaient le traîneau avec trois sacs de blé et deux boîtes. Et le chameau fut chargé de trois sacs de pain. Au-delà de l'Irtych dans certaines places la neige fut tout à fait fondue, et nous sentîmes à la fois toute la dificulté de la voie. Les chevaux épuisés s’avançaient à peine sur la boue, sur la neige fondue. N'ayant pas passé même une verste, le cheval moreau s'arrêta tout à fait. Ont essaya lui donner des coups de fouet, ce fut sans succès. Son maître désespéré resta avec le cheval fatigué, et nous à quatre continuâmes à nous traîner à peine à pied sur la terre humide noire, en conduisant avec nous le cheval bariolé bai et le chameau jaune.
Dans les places, où il n'y avait pas du tout de neige, le cheval se démenait, mais le traîneau s'arrêtait. La terre fut inondée d'eau abondante du printemps. Quand le chameau tombait, nous en retirions les fardeaux, levaient le pauvre animal et le chargions de nouveau.
On s'avançait à peine. L'eau pénétrait dans les bottes trouées.
Nous cheminions à mi-jambe dans l'eau et nous entraînions le cheval et le chameau. Et eux, ils portaient sur eux-mêmes les produits aux enfants, aux femmes, aux vieillards impuissants et aux vieilles affamés.
Mais nos haridelles se trouvaient plus debout, que marchant. Ils faisaient deux pas et tombaient dans la neige profonde fondue d'en bas, et nous les traînions dehors avec peine, les remettions sur pieds. Nos bechmets sur les dos furent trempés de sueur, et il nous semblait que c’était pas le bétail traînant la charge, mais nous.
Vers le soir nous passâmes seulement environ dix verstes et couchâmes sur l'endroit un peu séc où la neige a fondu à côté du chemin. Après le coucher du soleil il fit froid. L'eau se glaça. Les vêtements mouillés de sueur, de vieilles bottes et les chaussettes russes - tout ça commença à être saisi par le froid tenace. Tout fut glacé. J'étais froidement habillé et très vite je fus être plus raide que des glaçons, mais je ne dis pas de mot aux caravaniers. On alluma un feu de bois, on se réchauffa, on fit bouillir l'eau.
On se choucha, s'étant recroquevillé entre les sacs de pain. Je me réveillai dans la nuit du froid insupportable, tout mon être fut embrassé par le froid des pieds à la tête. Je me levai. Tout autour fut silencieux. La terre tachetée fut couverte de velours blanc du brouillard léger. Le ciel fut clair, sans nuages. Il n'y eut pas de lune, seulement les étoiles scintillant furent clairement visibles. Le silence muet règnait. Les caravanier furent couchés entre les sacs, ronflaient tranquillement. Le chameau jaune à côte d’eux respirait bruyamment.
L'odeur froide du sol gelé se répandait autour. Tout l'univers semblait être saisi par le froid et sommeiller dans le brouillard léger, et seulement le cheval veillait. Il pâturait, en claquant des dents, arrachait les racines des herbes venant de se désengluer de la neige. Le cheval fut bariolé bai, et la terre fut bariolée baie...
Pour me réchauffer, je commençai à courir de long en large et, m’étant réchauffé un peu, je me recouchai, mais peu après j’eus froid de nouveau et, m'étant relevé, je commençai à courir, tourner, claquer de deux côtés. Cela se répétait plusieurs fois jusqu'au matin...
Le lendemain nous continuions à nous traîner... On cheminait dans la boue, dans la neige mouillée, à mi-jambe dans l'eau bourbeuse. On traversa le chemin de fer construit entre l'Irtych et l'usine "Ekibastouz", on passa deux bourgs.
Toute la journés nous pataugions dans la boue, cheminions dans l'eau printanière, en débâtant et en bâtant de nouveau les bêtes de trait exténuées. Quand il fit froid vers le soir, tout à fait à bout de force, ayant désespéré, je me décourageai définitivement. Je n’eus ni forces, ni désir de continuer à marcher. En me taisant je tournai le visage vers le ciel, jetai un coup d'oeil aux étoiles claires, je me rappelai la mère, qui m'attendait dans l'aoul et, ayant pris un peu de courage, je continuai à aller.
En franchissant avec difficulté les terrains boueux, seulement dans une semaine nous sortîmes sur la terre séchant.
Le long du chemin tout fut désert. Seulement parfois on voyait des masures piteuses kazakhes.
Chez un Kazakh nous remplaçâmes le traîneau à un carriole. Après cela nous nous arrêtions souvent. Dans aucun aoul on ne put pas trouver ce temps-là le chariot, tous souffraient la pauvreté extrême après le zhout, tous furent affamés, maigres.
Nous cheminons toujours, en précipitant le cheval et le chameau. Une vieille carriole ballante craquait et gémissait.
Nos pieds furent blessés. Nous nous avancions extrêmement lentement. Mais quand même, quand nous sortîmes sur la terre sèche, les caravaniers commencèrent à me parler plus souvent, me demander qui j’étais et d’où je venais.
- Je suis un Kazakh d'Omsk, - je répétai. – Je me trouvai dès l'enfance au travail loin de la maison. Je perdis mes parents tôt. Maintenant voici je vais pour trouver mon nagachys[116]. Ils vivent quelque part dans les montagnes de Baïan-Aoul. Voici c’est tout...
Ils commencèrent à m’interroger en détail à propos de mes parents.
- Je ne sais pas exactement auquel des clans menus ils appartiennent. À mon avis, c’est Aïdabol[117] - une des branches de la génération de Karzhas, - je répondis.
Cela ne fut pas suffsant pour eux, et ils continuèrent à me tirailler. Selon leurs propres mots, ils appartenaient eux-mêmes à une des clans "puissants" de Karzhas.
- Nos aouls se trouvent au sud-est de Baïan-Aoul, dans les montagnes Chokpar et Aoulié, - mes compagnons déclaraient.
Le chef de caravaniers, un homme à la barbe en éventail noire, le fils le khadzhi Kenbaï. Si ma mémoire est bonne, il s’applait Smaïl. L’un de ses compagnons était un parent éloigné le khadzhi Kenbaï nommé Bekmoukhambet. Le deuxième, comme je me rappele, était Tolebaï, l’un des pauvres gens de ville, un petit commerçant.
Une fois, en marchant à côté de moi devant le chameau, Bekmoukhambet dit:
- Écoute, Douissembi, en effet, nous allons ensemble, comme les copains, et toi, tu caches quelque chose de nous. On voit que tu n’es pas du tout un simple djiguite, découvre ton secret!
J'éclatai de rire et tâchai de m'en tirer pas une plaisanterie. Bekmoukhambet, en voyant qu’il n'obtiendrait rien, il me laissa tranquille. Mais peu après Tolebaï s’approcha de moi et commença:
- Toi, Douissembi, ne nous cache-toi pas. Nous sommes les mêmes gens, comme toi. On sera tel qu'on te voit... Si tu nous veux aller avec toi voler les chevaux de village, et nous n’en refuserons non plus!
Je répondis à ses questions aussi par une plaisanterie. Je vis qu'ils me suivaient d'un oeil vigilant. Nous nous reposions au midi près de l'accotement. À côté de nous s'élevait un monticule, qui s'achevait une chaîne des monts menus. En plein soleil l'herbe menue du printemps verdissait déjà. Je me réchauffai et m'assoupis sur le monticule. Les caravaniers me réveillèrent pour prendre du thé.
Smaïl recommença à chercher à savoir:
- Ma parole, Douissembi! Voici maintenant, quand tu dormais sur la pente du monticule, tu ne m’a paru pas du tout le simple djiguite. Il m'a apparu que toi tu étais un de batyrs des temps passés!
Je répondu ce temps-là aussi par une plaisanterie.
On continua notre chemin. Chemin faisant Smail récitait longtemps le poème "Boz djiguite". On allait côte à côte. Le jour était chaud. La carriole en bois craquait après nous, en vacillant.
- Ah, Douissembi, c’est dommage que tu ne veuilles pas nous dire la vérité! Tandis que toi, tu es sans faute le même héros, comme ce "Boz djiguite", n'est-ce pas?
Je gardai silence. Dans un certain temps Smaïl continua catégoriquement:
- Toi, Douissembi, ne te gêne pas de moi, embrasserons-nous et deviendrons amis! Allons-y à notre aoul, je t'amènerai, où tu souhaiteras. Seulement ne cache-toi pas, tu n’es pas un djiguite ordinaire, le simple djiguite n’est pas comme toi!
- Mais qu’est-ce que vous avez vu de particulier en moi? - Je demandai.
- Premièrement, ton apparence, ta stature disent que tu n’es pas un simple djiguite. En plus tu es sorti avec nous de Pavlodar, tu vas portant les bottes troués à mi-jambe dans l'eau, tu supportes toutes les difficulté, mais tu ne te renfrognes même pas. C'est pourquoi il me semble que tu supportais une injustice ou tu as fait du tort à quelqu'un.
J’éclatai et dit sévèrement:
- Pourquoi tout le temps me demandez-vous de découvrir quelque secret? Quel raisons avez-vous pour me soupçonner à quelque chose?
Bekmoukhambet et Tolebaï s’approchèrent de nous.
- Peut être, vous me considérez comme un voleur ou un assasin? Soit je vous confesse cela, en tout cas vous ne pourrez rien faire. Pourquoi je dois vous le confesserr maintenant?
Smaïl se déconcerta.
- Ma parole, Douissembi, la langue m'a fourché par hasard!.. Mon cher ami, ne fâche-toi pas! S’il en est ainsi, nous ne chercherons plus à savoir, ne vexe-toi pas seulement.
Après cette conversation ils cessèrent de me presser de questions.
Après quelques jours nous nous approchâmes aux montagnes de Baïan-Aoul du sud-est. L'heure est venue de me séparer de caravaniers.
Pendant la prière de midi nous dînâmes près de l'accotement du chemin. D'ici les caravaniers devaient partir chez eux, au sud, vers les montagnes de Chokpar et d’Aoulié. Il leur resta à aller approximativement vingt verstes. Tout autour il y avait la steppe nue, de petites collines. Aussi longtemps que tu regarderas, tu ne verras aucun mouton. Après le zhout sévère les aouls encore aux hivernages.
Je questionnai Smaïl en détail sur la direction où je devais continuer à aller. Je voulus visiter un village de cosaque dans les montagnes de Baïan-Aoul. J’y pourrais habiter chez l'aide-médecin Chaïbaï Aïmanov. Quand je faisais mes études au séminaire d'Omsk, il allait à l'école d'aide-médecin. Nous étions amis. Après nos études chacun de nous partit travailler aux pays nataux.
Bien que la poste fonctionnât mal ces années-là, nous correspondions quand même parfois. Nous étions pas simplement les compagnons, mais les amis intimes, constants. Donc je décidai d’aller notamment chez Chaïbaï. Chez lui j’allais apprendre où mon parent se trouvait, partir chez lui, recevoir de lui peut-être de l'argent pour le chemin, chemin faisant visiter mon propre aoul et passer à Tourkestan soviétique...
Près du pied de Baïan on vis un mont. Sur sa pente on put remarquer de loin trois ou quatre points noirs, comme les grains de beauté sur le visage.
Selon les paroles de Smaïla, le maître de cet aoul fut le khadzhi Zhantemir de clan de Souiundik-Karzhas. Le khadzhi avait un fils nommé Imantakou, un homme de poids. C’est à lui que Smaïl conseilla de m'adresser.
Dans l’après-midi j'ai dit adieu aux caravaniers et me mis à marcher dans la direction pour Baïan. J'avais dans la poche une galette grande commme le pied du chameau faite sur le charbon du feu, ce fut toute ma provision. Dans les mains j’avais un bâton.
La ceinture fut de tissu usée. Les pieds aux ampules saignaient, mais je ne dit pas le mot sur cela aux caravaniers.
J’allais longtemps. Le disque d'or du soleil tâcha déjà les épaules de Baïan. Quand je m’approchai du chemin de fer qu’on construisait d'Orsk par Atbasar et Akmolinsk jusqu'à Semipalatinsk, je rencontrai un gardien russe. On causa. Lui aussi, il grondait le pouvoir actuel...
Je continuai à aller, je traversai un ravin. À côté du chemin se trouvaient trois ou quatre yourtes, le bétail pâturait. Quand je m'approchais du mont, derrière lequel il y avait l’aoul du khadzhi Zhantemir, le soleil disparut... Je franchis le sommet du mont: il n’y eut pas d’aoul. Les collines se trouvaient en rangs, l’une après l'autre. Je les franchis, il n’eut non plus d’aoul. Les crépuscules tombèrent. Je m’arrêtai et je prêtai l'oreille: pas d’un son.
Je continuai à marcher sur le plateau désert perdu. Devant moi dans l'obscurité les silhouettes noires des montagnes sommeillaient silencieusement... Je me fatiguai définitivement. Mes pieds blessés sanglant me faisaient mal. Il sembla que je me sois trompé de chemin. Je ne pus plus continuer à aller. Je m'assis. L'aube vermeille à l'ouest s'obscurcissait graduellement, s'éteignait. Il n’avait ni son, ni brise.
Les pensées mélancoliques, comme une fleuve de boue causée par la crue du fusion nivale au printemps, passaient dans ma tête.
Quand mes supplices s'achèveraient?.. À cause de quels crimes contre l'humanité je devais supporter tant d'infortunes?..
Je fus né, grandissais, faisais mes études: est-ce que seulement à cause de cela j’était obligé de supporter la honte et les souffrances?.. Si oui, pourquoi donc fus-je né, grandissais, faisais mes études?..
Ce moment-là je restai un sur le plateau désert silencieux, enveloppé de nuit noire. Je mourrais ici, je disparaîtrais, sans laisser de trace. Je n’eus plus de forces de continuer mon chemin.
Ces pensées, comme les nuages noirs, me serrèrent. Quand je désespérai déjà de voir l'aube prochain, soudain l'espoir brilla à travers des nuages comme un foudre.
"Courage! Tous tes supplices sont pas en vain! Tu luttais pour la liberté des travailleurs, pour l'égalité des pauvres.
Beaucoup de héros sont tombés victime sur cette voie. Et beaucoup de sang et de larmes furent versés dans la lutte pour la liberté. Courage, tiens ferme!
Le jour clair n’est pas éloigné! Il faut aller!.. Il faut atteindre!.. Il faut trouver!"
Je franchis encore quelques monts, j’écoutai... J’entendis clairement l’aboiement du chien. Du sommet du mont suivant je vis les ombres vagues noirs. M'étant approché, je vis trois ou quatre maisons d’hiver d’adobe, à côté d'elles il y avaient des chariots cassés avec quelques fardeaux.
L'aoul n'eut pas encore le temps de quitter le lieu d'hivernage. Je m’approchai d’une grande hutte du bout et entrai dans la cour. Il fut sale et humide tout autour. J’entrai dans la hutte et je vis une femme âgée avec deux enfants. Elle ne me dénia l’abri pour la nuit, ayant dit "qu'il n'y avait pas d'homme à la maison".
Je me dirigeai vers la hutte voisine, qui me semblait plus propre que la première. Une femme se trouvait près de la porte. Ont se salua. Au crépuscule je tâchai d'examiner son visage. Elle eut un kimechèque sur sa tête, un survêtement sur les épaules. Au nez droit, elle avait autour de quarante and, selon son visage et la voix elle semblait être la femme bonne et sage.
- Mon cher ami, dans notre maison il n’y a non plus d'homme. Et il est très dangereux de laisser coucher un visiteur inconnu dans une telle période de troubles -... elle garda le silence. - d'où vas-tu, le djiguite?
- De Pavlodar... Je serai un "visiteur de Dieu" chez vous, - je répondis.
- Eh bien, d'accord, vas-y, entre. Mais tu voudras bien nous excuser, nous n'avons pas de viande pour te régaler. En hiver nous avons subi le zhout, tout notre bétail est mort.
- Je n’ai pas besoin de viande, zhengueï[118], - je répondis avec reconnaissance.
Elle me conduisit à la maison.
La hutte de brique brute comprenait deux pièces. La lampe cinqlinéaire[119] brûlait. Sur le plancher de terre je vis les cochmas aux dessins. Il n’y avait rien devant la porte et devant le poêle.
À droite de la porte se trouvaient des peaux séchées. Devant nous il y avait deux veaux, mais la chambre fut quand même propre. Dans le premier coin deux jeunes filles d'environ seize ans se trouvaient au lit. La mère les leva. Les jeunes filles couvrirent les épaules avec les robes de chambre et restèrent assises au lit. La zhengueï réveilla son fils.
- Païsikène, mon cher ami, allumer le samovar, quelqu’un est venu chez nous, - elle dit.
- Venez, s'il vous plaît, passez, mon cher ami! - la femme s'adressa à moi.
On mit la lampe au milieu. Païsikène se mit à s'affairer près du samovar. La zhengueï s’assit en face de moi, plus près des filles. M’étant entré dans la chambre propre et éclairée, je m’assis les jambes croisées, et je remarquai que mes vêtements avaient l’air terrible. Je portais les bottes à bout obtus, comme la tête de veau, aux épaules j’avais une courte pelisse usée doublée de putois, toute pénétré de suie, avec la ceinture usée de tissue. J’avais l’ouchanka de chat noir sur la tête et l'écharpe râpée autour du cou.
La zhengueï se mit à m'interroger, à chercher à savoir qui j’étais. Païsikène mit le samovar et s'assit près de nous. Deux jeunes filles aux paupières baissées regardaient en cachette, avec curiosité, écoutaient, sans manquer un mot. Toutes les des deux furent d'environ quinze ou seize ans. Elles étaient comme les pampres verts et se ressemblaient comme les jumeaux. Les yeux furent noir, comme chez des petits de l'émerillon.
S'étant couvertes avec les robes de chambre, elles furent assises côte à côte. Sur la tête de la jeune fille assise plus près de moi se trouvait un tymak d'astrakan avec le haut brun de velours.
La zhengueï continuait à m’interroger à la loupe. Je tâchais de répondre à toutes les questions plus précisément. La zhengueï clapper doucement des lèvres:
- Apyrym-aï[120], mon ami, si on regarde ta figure, tu sembles être un djiguite intelligent. Et si on s’imagine ta voie, ta conduite semble la folie complète.
- Pourquoi dites-vous comme ça? - je demandai.
- Mais comment puis-je dire autrement? Tu sors d'Omsk éloigné, tu te mets aux recherches de ton nagachy, n'ayant pas appris, où il vit et à quelle génération appartient. Au temps le plus difficile de l'année tu cherches on ne sait pas qui. Entre l'hiver et l'été tu te mets en route, quand les chemins sont les pires. Tu pars à pied pour le pays inconnu. Et en plus tu viens au temps, quand les aouls locaux souffrent de faim, quand le peuple est saisi par le désastre après la mortalité totale du bétail. Est-ce que l'homme sage peut partir seul du bord éloigné pour chercher ses nagachy, sans savoir exactement son siège et l'appartenance à la génération? Faut-il le chercher au printemps, quand les chemins sont infranchissables? Faut-il aller, quand les aouls sur sa voie sont affamés, viennent de subir le verglas? Est-ce que tu ne pouvais pas aller en été, quand les herbes vertes se lèvent, les gens sont rassasiés de koumys, relevent définitivement du malheur? Tu dis, que tu veux prendre un emploi à l'occasion à l'usine "Ekibastouz" ou sur le chemin de fer. Est-ce qu'il y a une vacance maintenant à l'"Ekibastouz" et sur le chemin de fer? S'il y avait ici un travail avantageux, les djiguites locaux ne partiraient pas d'ici à la compagnie de navigation d'Irtych à Omsk. Est-ce que tu ne savais pas cela? Nos djiguites, comme toi, partent chaque année pour le gain d'appoint à Omsk. Tu devais les connaître. Chaque année ils vont en foules en paquebot à Omsk, tu a pu les rencontrer et demander de la situation dans nos parages... Ton apparence et ta conversation permettent de penser que tu es un homme raisonnable, mais le chemin fait par toi ressembler à la folie. Tu m'étonnes, mon cher ami, - la zhengueï s'exprimait.
- Vous avez raison. J’ai quitté Omsk d'un revers de la main. Et après cela je pensais que ce serait embarrassant de revenir. Et ce que la situation est tellement difficile dans vos parages j'ai appris seulement à l'arrivée à Pavlodar, - je répondis timidement.
Quand nous causions avec la zhengueï, deux jeunes filles saisissaient au vol chaque mon mot comme si elles tâchaient de l'enfiler sur un fil, me suivaient d'un oeil vigilant. Surtout celle qui était assise plus loin de moi. En regardant prudemment de derrière le tymak de la jeune fille assise devant elle, elle suivait avec ses yeux noirs chaque mon mouvement. Le regard de cette jeune fille m’émotionnait. Je voulus ralentir sa curiosité superflue, l'obliger à détourner de moi ses importuns "pruneaux". En continuant à causer paisiblement avec la mère, je me déplaçai un peu. La lumière tomba sur son visage de derrière le tymak. Elle continua à me regarder. Alors je la dévorai aussi du regard curieux. Elle se décontenança, recacha son visage à l'ombre. Ni mère, ni soeur, ni frère ne comprènent pas cette ma marche décisive. Notre fusillade par les regards fut connue seulement par nous deux. Soudain la soeur aînée s'éloigna, s'étendit et dit à sa mère:
- Maman, approche-toi!
La mère se tourna lourdement vers sa fille et demanda doucement:
- Qu'est-ce que qu’il y a?
S'étant détournées vers le mur, elles chuchotèrent sur quelque chose. Ayant fini, toutes les deux prirent les anciennes poses. La mère jeta un coup d'oeil sur la lampe tranquillement, tout à fait sans inquiétude. Mon coeur sentait que sa fille lui disait quelque chose sur moi. Mais quest-ce qu’elle pouvait raconter?
On demeura assis un peu en gardant le silence, et la zhengueï soudain s'adressa à moi:
- Mon cher ami, comment t'appelles-tu?
- Douissembi! - je répondis.
- As-tu fait tes études à l'école russe?
- Non.
- Mais parles-tu russe?
- Un peu.
- Et as-tu appris kazakh?
- Oui, j’en apprenait un peu.
- Où?
- À Omsk il y avait des cours pour les adolescents, voici je l’y apprenais.
- Et connais-tu quelqu'un des Kazakhs qui faisait ses études à l'école d'Omsk russe?
- Je connais certains d’eux.
- Qui?
- Je connais Assylbek Seitov, Moussoulmanbek Seitov et encore deux Seitovs, je connais aussi Assaï Tchermanov et Chaïbaï Aïmanov.
- Et comment les connais-tu?
- La maison des Seitovs est à Omsk, c'est pourquoi je les connais. Pendant les fêtes russes j’amenais Chaïbaï Aïmanov et Tchermanova aux chevaux du frère aîné de Khadzhimoukhan à de différentes places. C'est pourquoi je les connais bien. Surtout Chaïbaï. On a été liés.
- Et où sont maintenant ceux djiguites?
- Je ne sais pas... Assylbek Seitov, probablement, travaille comme médecin quelque part. Je ne sais pas exactement, où et en quelle fonction Asfandiïar travaille maintenant. J’ai entendu parler que Chaïbaï travaille maintenant comme médecin...
- Si vous evaz été amis intimes avec Chaïbaï, tu dois savoir, où son aoul se trouve, - la femme remarqua.
- Quelque part à côté de Baïan-Aoul.
- Et connais-tu le père de Chaïbaï de nom?
- Je pense qu’il s’appelle Appas. La zhengueï sourit d’un air content.
- Bon, il se trouve, que tu ne trompes pas... Dans un tel cas je t'expliquerai: maintenant dans le village de Baïan-Aoul Assylbek Seitov travaille comme médecin, et Chaïbaï travaille comme aide-médecin, tous les deux travaillent dans une place.
La mère s'adressée à la fille aînée:
- Dis-moi, où sont leurs appartements?
- À côté de la mosquée, - la fille répondit.
Mes conjectures vagues sur ce où je pouvais être vue par cette jeune fille, commencèrent déjà à s'éclaircir. Chaïbaï avaient deux mes photos. Et ces yeux noirs, probablement, les voyaient. Sur la dernière photo je fus photographié avant l'arrestation en 1918. Mon apparance de ce temps-là était toute à fait différente de mon visage du fugitif, de l’ancien prisonnier de Koltchak. La différence entre ces deux visages fut comme entre ciel et terre. Il y eut seulement une anée entre eux, mais je savais que je changeai.
- L'aoul de Chaïbaï se trouve approximativement à quinze verstes d'ici, - la femme continua. - Son père est dans l'aoul, lui-même, il est dans la ville. On les appellent les descendants du biï[121]. Nous sommes leurs parents.
Le samovar bouillit, on dressa la table. Nous se mîmes à prendre le thé ensemble. Païsikène le versait dans les tasses. Encore deux djiguites vinrent, commencèrent à me demander aussi qui j’étais. La zhengueï commença avec eux à établir la place où mon nagachy se trouvait.
- Tu dis que le nom de ton nagachy qui se porte bien à présent aqsaqal Ilias. Si le père d’Ilias est Kaskabas, donc Botpaï Ilias lui-même est le frère du Zhounous connu...
- Connaissez-vous le frère cadet d’Ilias - le mollah Zhounous? – l’n des djiguites demanda.
- Non. J’ai entendu parler qu'il avait un frère qui avait fait ses études à l’établissement d'enseignement russe - je répondis.
- Oui, c’est lui. Il était professeur de la langue russe, enseignait les enfants, et moi aussi j’ai été son élève. Le pauvre homme est morte déjà... Son aoul se trouve sur la pente de nord de cette montagne - approximativement à vingt verstes d'ici. Si tu pars le matin et vas tout le temps le long de la pente de la montagne, vers le midi tu pourras arriver à l'aoul, - le djiguite expliqua.
Je fus content de trouver mon nagachy si facilement. J'allais à Chaïbaï, mais mon plan fut déjoué comme il habitait avec Assylbek Seitov dans la même maison. Je ne pouvais pas me rencontrer avec Chaïbaï, s'il vivait avec le médecin Seitov sous un toit. Je connaissais bien Seitov dès les premiers jours de mes études à Omsk. En 1916 nous faisions le dénombrement agricole dans le district d’Akmolinsk. Ensuite en 1917, quand je travaillais au comité kazakh, Assylbek Seitov venait deux fois à Akmolinsk d'Omsk. Il venait encore une fois, quand nous allions organiser le conseil des députés. Avec l'officier Ablaïkhanov collectait de l'argent pour l’Alach-Orda, tâchait de mobiliser les jeunes gens en milice d’Alach-Orda. Nous protestâmes contre ces actions et tous les trois jours nous discutions aux meetings populeux à Akmolinsk.
Les citadins nous suivirent, et le médecin Assylbek avec l'officier Ablaïkhanov furent obligés de s’enfuir dans la nuit. Et voilà il fut à Baïan, dans un appartement avec Chaïbaï. Baïan était le village de cosaque. Koltchak faisait rage. Si je fusse allé chez Chaïbaï, Assylbek aurait su de mon arrivée, et dans ce cas tout aurait été perdu et en vain: et mon évasion du camp d'Omsk, et mon voyage à Slavgorod, et mon passage pénible de Pavlodar les bottes trouées à mi-jambe dans l'eau. Il n'entrait pas du tout dans mes propos de passer trois cents cinquante verstes et tomber à Baïan-Aoul sous la griffe des gens de Koltchak. Je décidai de ne pas aller chez Chaïbaï!
Pour la couchée la zhengueï m’envoya avec Païsikène à une autre maison. La nuit fut noire sans lune. Dans la rue Païsikène engagea la conversation:
- Ton apparance m'a plu beaucoup. Les gens disent: "Ne doute pas de celui, qui a le bon visage ". Nous avons besoin d’un travailleur. Peux-tu rester pour travailler chez nous?
- Mon cher, mais ce sont les parents qui embauchent les travailleurs, pas les enfants. Comment peux-tu décider quelque chose sans père?
- Les parents ne seront pas contre ma proposition. Si nous nous mettons d'accord à deux, ce sera comme ça. Le travail chez nous n’est pas difficile.
Le gamin m’importuna, m’obséda de sa proposition.
- Quel le travail avez-vous? - je cédai.
- Je te dis, pas difficile. Tu devras pâtre un petit troupeau, traire les juments et mettre les ballots pendant le déplacement. À la maison tu t’occuperas du ménage et c’est tout! - il répondit.
- Combien me paierez-vous?
- Je ne sais pas, propose!
- Mon cher ami, dans les pires conditions je ne recevais pas moins de cent roubles par mois.
- Oh! On ne paie pas de tel salaire dans nos régions! - le garçon perdit contenance parce qu’il se mit en fâcheuse posture...
Païsikène me recommanda au maître du logis, à un jeune homme. L’intérieur de la maison fut pauvre, c’était pas une maison, mais simplement bouge divisée avec un long poêle. Le plafond fut bas, la chandelle brûlait faiblement. Tout autour fut sale, peu attrayant. Les maîtres donnaient l'impression des gens bornés. Ils allaient déjà se mettre au lit quand nous vînmes. Deux nos djiguites nous suivirent là aussi et la conversation avec moi recommença. Païsikène ne se pressait non plus de partir.
Un de djiguites, celui qui apprenait la langue russe chez le mollah, s'adressa à moi:
- As-tu une pièce d'identité?
- Oui!
- Vas-y, montre!
Dans la poche de poitrine de la chemise chaude sous le bechmet je gardais trois feuilles de papier, pliées chacune séparément. L’une d'elles fut propre, l’autre contint le texte en kazakh, et la troisième ce fut le certificat en russe. En me montrant exprès maladroit, je sortis la feuille blanche et, en la déployant, je la donnai au djiguite.
- Mon ami, mais c’est une feuille vierge, - il remarqua.
- Ah, bon, probablement, celle-là! - je lui donnai la deuxième feuille, aussi pliée, avec le texte kazakh.
- Oh, cela aussi, c’est un simple papier! – le djiguite me reprocha.
- Te! Je me suis trompé de nouveau! - je dit simulant une désolation et lui donnai ma "vraie" pièce d’identité.
Ayant vu le sceau et l’étampe, le djiguite se calma. En me rendant le certificat, il remarqua d'un air significatif: "Mets ça de la meilleure manière. Tu peux le perdre, le nigaud".
Dès mon évasion du camp seulement ce jour-là je dus montrer ma pièce d’identité pour la première fois. "Voici notre frère le Kazakh!" – je pensais involontairement.
Ayant demandé encore une fois en détail le chemin vers mon nagachy, je me déshabillai, mis les vêtements sur la cochma noircie de suie et m’allongeai avec plaisir...
Je me réveillai tôt. Le ciel fut sans nuages. Le vent tendre soufflait doucement, comme la soie. Le soleil se leva. L'herbe verte était à peine visible, comme un poil follet au-dessus d'une bouche d’un jeune homme. J'admirais Baïan, et il semblait à ce moment-là, que toutes les épreuves, les infortunes sévères restassent loin derrière pour toujours. Mes muscles fatigués émaciés devinrent solides, comme le fer, et s'efforçaient sous la peau, comme un fouet tressé. Tout l'univers me semblait se réjouir ce jour-là.
Je marchait le long des pentes de Baïan. Les arbres luxueux verdissaient avec les boutons duveteux. Sur le sommet il y avait un haut pin mince portant le bonnet vert. On sentait l'odeur de l’herbage s'épanouissant. L'air transparent rappellait un jeune koumys qui éteindre la soif simplement avec son parfum.
Je suivais un sentier très étroit le long de la pente. J’entendais des mélodies. Elles étaient chantées par les montagnes de Baïan. Les ruisseaux allaient en serpentant dans les combes entre les arbres. Leur murmure sonore et leur course précipitée rappellaient les voix bruyantes des enfants s'ébattant. Les oiseaux chantaient sur les arbres, sifflaient, sautaient de la branche sur la branche, poursuivaient l’un l'autre, comme les enfants jouant aux colin-maillards. Le brouhaha désordonné des oiseaux de bois fusionnai la voix de l'alouette de steppe. Les pentes, les pierres, les ruisseaux murmurants, les arbres, les élévations et les creux de Baïan: tout chantait, tout fusionnait dans l'unité joyeuse...
Je marchais. Au midi je me lavai près du ruisseau, bus de l'eau, sortis de la poche la galette faite sur le charbon de fumier séché, on pouvait dire que je dînai.
M'étant reposé en plein soleil, je continuai mon chemin de nouveau. Ayant visité deux aouls au pied de la montagne, je questionnai en détail, où l'aoul de mon nagachy se trouvait.
Au temps de la prière de midi j’arrivai à l'aoul de mon nagachy.
À la périphérie d’est de l'aoul la femme recueillait le fumier séché. Je demandai, où la maison de mon nagachy se trouvait.
L'aoul fut peu ragoûtant: les masures basses sans attrait, les cours sales.
Et voilà était la petite isba de mon nagachy. À côté d'elle, en faisant l’ablution, mon nagachy Ilias, le vieillard maigre, grand à barbe blanche se préparait à la prière.
- Assalamou aleikoum! - je saluai.
- Oualeikoum assaliam! Bonjour, mon cher – il repondit.
- Êtes-vous en bonne santé? - je continuais.
L’aqsaqal ne me reconnut pas, il me demanda qui j’étais et d'où je venais.
Seulement quatre ans passèrent dès le moment quand nous nous voyions avec Ilias. En 1915 il venait dans notre aoul et restait une semaine chez nous. Justement ces jours-là je venais d'Omsk en vacances d'été, et nous parlions beaucoup avec l’aqsaqal sur de différentes sujets. Dans sa jeunesse Ilias fut en différentes campagnes et me racontait ses aventures, les événements des jours passés il y a longtemps.
Seulement quatre ans passèrent. Et il ne me reconnaîssait pas!
- Vous ne me reconnaîssait pas? - je demandai.
Il me regarda fixement.
- Mon cher, ma mémoire est faible... Je ne te reconnaîs pas tout à fait... Nous nous écartâmes, nous nous assîmes et nous nous regardâmes sans détourner les yeux.
- Donc, ne me reconnaîssez-vous pas? - je continuais.
- Non...
- Est-ce que vous avez connu Saken autrefois?
- Quel Saken? - il s'étonna beaucoup. – Dis-tu de Saken, le fils de Seifoulla, n’est-ce pas?
- Oui...
- Je connais, et qoi donc?
- Moi, je suis ce Saken...
Ilias sursauta, ses yeux s’élargirent.
- Tu parles, mon cher! Il ne faut pas badiner avec moi, je ne suis pas enfant...
"Est-ce que je devins méconnaissable?" - je pensai. La prison laissa la trace profonde sur mon bisage. Encore à Slavgorod, m'étant vu par hasard dans le miroir, je tressaillis, mon apparance me fit peur. Sur mon visage il y avaient quelques rides profondes nettes...
Mais brusquement je me rappelai que la fille de Zhantemir dans l'aoul, où j'avais passé la nuit précédente, me reconnut selon ma photo ancienne. Et mon nagachy natal ne me reconnut pas. Et en plus il ne me voyait pas seulement depuis quatre ans...
Je commençai à raconter au nagachy tout les détails de cet été-là, quand il était venu à notre aoul, je dis les noms des membres de notre famille et je fis à grand-peine l’aqsaqal à croire que moi je’étais quand même Saken.
Mon pauvre nagachy, s'étant persuadé enfin que c’était moi, se mit à pleurer à la fois.
- Mon cher ami, quel chagrin as-tu éprouvé!?.
- Seulement ne dites à personne ce qui je suis. Mon nom est Douissembi... Dites à tous que je suis le fils de votre neveu du district d’Akmolinsk, que j’ai travaillé à l'usine d’"Ekibastouz", je suis tombé malade et maintenant et je reviens aux pays natals...
Nous étant mis d'accord sur tout, nous entrâmes dans la masure divisée en deux par un long poêle. L’intérieur était très pauvre. Trois vieilles, deux jeunes femmes, deux djiguites et deux enfants s’y trouvaient assis. On se salua. Ilias me leur présenta comme il fut convenu. Dans un certain temps les étrangers partirent. Ayant fermé la porte de l'intérieur, étant resté en tête à tête avec les membres de sa famille, Ilias leur raconta ma vraie biographie. Quand le nagachy finit le récit, tous pleuraient. Dès ce moment-là je pris pied solidement dans cette famille-là...
Dans la maison de mon nagachy je me cachais pendant environ douze jours. Le voisin avait une dombra, je m'amusais à en jouer et amusais les autres. Les blessures aux pieds guérirent. Ilias vivait dans le dépouillement extrême, il eut un cheval gris décharné, un bœuf maigre gris-brun, quatre ou cinq chèvres et une vache à lait, voilà c’était tout son bétail. La famille fut grande: le vieillard avec la vieille, le fils Rakich, la fille d’Ilias - une veuve avec trois enfants. Les ustensiles de ménage ne coûtaient même pas la dizaine de roubles: une bouilloire camarde noire, une cochma façonnée rapiécé, une courte-pointe de cent ans, un coffre cassé. Les tasses à thé furent affermies avec un fil de fer. Le foyer fut mis tant bien que mal. La meule cassée, un plat crevé en bois et d’autres vieilleries comme ça. La masure fut construite de brique crue, les mur furent irréguliers.
Une autre maison de mon nagachy (la maison de son frère Zhounis) se trouva à cent verstes de Baïan à la frontière entre les districts d’Akmolinsk et de Karkaralinsk par. Zhounis et sa vieille décédèrent déjà. Le fils unique du décédé, Moukaï habitait ce temps-là dans l'aoul du clan de Karzhas chez les parents de sa femme. Je ne vis pas Moukaï. Selon les récits de la famille d’Ilias, il vivait dans l'aisance, avait dix vaches, près de vingt brebis et trois ou quatre chevaux. L'aoul, où Moukaï vivait, se trouvait sur la voie au district d’Akmolinsk, et cela me fit de la joie. Donc nous avec Ilias décidâmes de endre visite à Moukaï. Après cela Ilias m’accompagnerait jusqu'à mon aoul pour éviter les déboires.
On commença à se préparer pour le départ. Le fils d’Ilias chercha partout dans l'aoul, mais il ne trouvé pas de chariot avec un cheval. On dut atteler au chariot le bœuf gris-brun. On prit pour le chemin des galettes faites dans les cendres, on acheta de beurre et on se mit en route à deux.
Si nous nous assoyions tous les deux sur le chariot, le bœuf ne traînait pas. Nous dûmes donc aller à pied. Vers le soir on coucha chez un Kazakh pauvre.
De bon matin on continua notre chemin. En laissant une trace sur la terre noire veule de Baïan, nous traversâmes les champs des semailles. Cemin faisant on rencontra la famille d’un Kazakh nomade. Les deux chameaux furent chargés d’ustensiles.
Il y avait trois hommes et une jeune femme. Le Kazakh avec la barbe noire salua Ilias, et brusquement ils commenèrent à s'engueuler vigoureusement. Le Kazakh de rencontre demandait à Ilias de lui rendre une dette. Le scandale s'allumait. J’intervins, mais l’homme à barbe noire ne se calmait pas. Il appela encore deux hommes de sa caravane. On apprit qu’ils gardaient les semences d'un riche Kazakh d’un village de Baïan-Aoul.
- Je vous emmenerai au village, vous remettrai aux Russes... Vous sommes les fugitifs!..
Cette déclaration me rendit perplexele le plus. "Si je rencontrais cet homme à barbe noire dans la steppe déserte, je le chasserais à pied!" - je pensai méchamment.
Trois Kazakhs nous prirent le bœuf avec le chariot, établirent leur yourte et ne nous laissaient partir nulle part. L’homme à barbe noire fut connu comme un légiste parfait en ces lieux. Le brigadier de cosaque lui apprit toutes les lâchetés. Il me demanda les documents. Je les lui montrai. Il regarda le papier et prit un air digne du savantasse.
Depuis le jour de ma fuite des gens de Koltchak on contrôla mes documents seulement dans deux places: sur la pente d’est de Baïan-Aoul, dans l'aoul du khadzhi Zhantemir, et le deuxième fois c’était sur le pente d’ouest des mêmes montagnes admirables. Cela me fâcha. Et comment est-ce que je ne pouvais me fâcher? À la gare d’Omsk, à Tatarka, à Slavgorod, à Pavlodar les fileurs spéciaux de Koltchak ne me demandaient pas les documents. Dans les recherches du sauvetage j’arrivai de loin à Baïan-Aoul natal, et là-bas les premiers Kazakhs de rencontre demandèrent eux-mêmes mes papiers! Si Koltchak les eût connu, il les aurait bien sûr appointés dirigeants des ses limiers.
Les roublards kazakhs qui rampaient au pied de Baïan et qui apprirent chez les richards leurs habitudes lâches de tous les jours, se montrèrent beaucoup plus vigilant que les serpenteaux de Koltchak avec leurs pattes d'épaule brillantes!
Toute la journée nous étions assis dans la yourte de l’homme à barbe noire. Il ne nous laissa pas sortir. Vers le soir le temps tourna au froid, la tempête de neige éclata. La tempête neigeuse faisait rage le lendemain aussi. Nous étions assis recroquevillés dans la yourte solitaire à la disposition de l’homme à barbe noire. "Ah, la racaille, si je te rencontrais à la steppe!.. - je pensais. Je te chasserais avec mon fouet à pied, comme un chien misérable!"
Le lendemain matin tempête se calma. Vers le midi les Kazakhs nous rendirent libres, ayant s'approprié le bœuf et le chariot.
Que pus-je faire dans le pays lointain parmi les étrangers?! Mon compagnon fut un vieillard faible chétif...
Nous se mîrens à nous traîner à pied. Nous étant éloignés de quelques verstes, j'ai demandé le vieillard de revenir chez lui, et moi, je partis pour l'aoul de mon nagachy Moukaï.
À SARY-ARKA
Seulement la veille la terre avait été noire, et ce jour-là elle fut déjà blanche. De l'ouest le vent faible soufflait. Il n’y avait pas d’aouls.
Je suivais un sentier, j’était seul de nouveau.
Le soleil se leva, la neige commença à fondre, des trous noirs de fonte apparurent; ils s'élargissaient de plus en plus chaque minute, et vers le midi la neige fondit complètement...
Je passai à côtè du lac, sur lequel Ilias m’avait parlé. À son bord il y avait une maison d’hiver abandonnée, un bâtiment ruiné, semblable au nez qui tombait du nasilleur. Ensuite je traversai le plateau, sur lequel Ilias m’avait aussi parlé, et je vis l'aoul. Depuis mon évasion du camp, je vis pour la première fois si beaucoup de bétail. L'hiver fut pas très sévère en ces lieux et fit moins de tort aux Kazakhs.
À ma rencontre six ou sept chiens sortirent en courant avec l'aboiement. Ils furent tous comme un seul chien bien nourris, enragés. Ils m'attaquèrent. Les chiens de bey buvaient du bouillon gras, gongeaient les os avec beaucoup de graisse, tortoraient de la viande du bétail crevé à satiété, c'est pourquoi ils ne se sentaient plus dans leur peau. Rendus libres, ils pouvaient mettre un homme en pièces instantanément. Tant bien que mal je me défendis d’eux à l’aide de pierres.
J’entrai dans la yourte d’un bey, on me donna à boire du kozhé[122]. Étant sorti de la yourte, je marchais longtemps pieds nus dans l'eau fondue. Un aoul apparaissait au loin sur la pente du mont. Quand le soleil se coucha, je m’approchai de l'aoul d’aqsaqal à Aïssa, sur qui Ilias me parlait. À côté de l'aoul les gens écuraient le puits de l'eau stagnante. L’Aqsaqal Aïssa à la barbe blanche large, comme une pelle, était assis à côté du puits. Quatre ou cinq djiguites vidaient l'eau avec un bac. Je saluai Aïssa, et les questions habituelles commençèrent.
Ce temps-là ma biographie fut la suivante: moi, un jeune homme solitaire, me dirigeais à l'aoul de Balabaï de la génération de Babas, l’une des branches de Karzhas, l'originaire de Baïan.
M'ayant interrogé, l’aqsaqal Aïssa, dit en souriant d'un ton badin:
- Mon brave homme, tu es d'une solide complexion, convenable pour l’écurage du puits. Vas-y, montre à ces djiguites tes capacités!
Je commençai à agir avec le bac. Aïssa taquinait ses gens:
- Hé, vous, les braves, pourquoi vous vous tournez paresseusement, réglez-vous sur lui!
Je couchai chez Aïssa. En peignant sa longue barbe blanche, il m'interrogeait et racontait beaucoup. Aïssa se montra comme un vieillard sage et savant. Il fut semblable à un vieil épervier. Sa maisonnette en brique crue comprenait deux pièces.
En faisant le namaz[123], Aïssa a dit:
- Mon cher ami, tu donnes l'impression d’un djiguite digne, mais pourquoi ne fais-tu pas le namaz?
- Mes vêtements ne sont pas tout à fait propres pour l'accomplissement du namaz. En plus je suis accablé de mes blessures, - je commençai à nier.
Ont trait les juments stériles. Le matin, sans attendre le thé, je bus dy koumys et me mis en route.
Ayant franchi le mont, je vis trois ou quatre aouls. Les yourtes furent établies en rangs devant la montagne de Dalba, dans une vallée large et vaste. Les aouls furent aisés, avec beaucoup de bétail. Je quitté la route et entrai dans une yourte blanche. Derrière la yourte un cheval sellé, mais débridé pâturait. Étant entré dans la yourte, je dis bonjour restai figé sur place de la surprise. Ce fut une rencontre extraordinaire.
Dans la yourte on venait de commencer le thé de matin. Sur le coin honorable du dastarkhan, était assis s'étant redressé avec raideur un jeune homme, à face ronde, aux yeux du chamelon, au nez droit, à la petite moustache à peine visible. Je le reconnus à la fois.
Autrefois, en hiver de 1918, ce djiguite faisait ses études à l’école du soir à Akmolinsk, où j'étais enseignant. De Baïan-Aoul, de la génération de Karzhas, un Karim Satpaev faisait ses études au séminaire d’Akmolinsk. L’Alach-Orda porta ce temps-là candidat à l'assemblée constitutive des domaines d’Akmomolinsk et de Semipalatinsk Abikei Satpaev, son frère germain. À Akmolinsk Karim Satpaev se lia lui-même avec nous, et quand nous ouvrîmes les cours pour les jeunes garçons kazakhs, Karim amena chez nous un djiguite de son aoul.
Ce temps-là ils vivaient tous les deux dans la maison du bey connu kazakh Matzhan... Et voilà, en avril 1919, dans le district de Baïan-Aoul, dans un aoul kazakh à côté de la montagne de Dalba, je me rencontré le matin dans une yourte avec l'élève à face ronde, amené chez nous par Karim l’année passée.
Quelle coïncidence incroyable! Comme une matraque enfoncée dans la terre par son bout fin, le djiguite se montrait sur le coin honorable de la nappe et prenait tranquillement du thé. S'habillant avec gout autrefois, il ne changea pas son habitude et ensuite. Quand je dis bonjour, il répondit le salut poli. "Assoyez-vous prendre du thé!" – j’entendis l'invitation.
Je m’assis plus bas que tous, à une distance respectable de dastarkhan. Je tâche de ne me pas trahir. Quand on commença à mes poser des questions habituelles, je dit la même chose qu’au aqsaqal Aïssa: "Je vais de Baïan à l'aoul de Balabaï, du clan de Babas".
J’entraperçus que mon élève me regardait fixement. Pendant que je prenis deux bols de thé, il ne détournait pas yeux de moi. Quand je croisai son regard, il demanda:
- Quel est votre nom, s'il vous plaît?
- Douissembi, - je répondis.
Mon élève clappa des lèvres d'un air déçu, et se tut le visage étonné. Il fut le djiguite équilibré, sérieux et se borna à l’étonnement silencieux, ne se mit pas à m’interroger.
Ayant demandé le chemin, je me mis en route. Étant sorti de la yourte, je hésitais quelques instants: peut être, je dus appeler l'élève, le prendre à part et lui raconter tout en tête à tête? Mais si j'eusse découvert mon secret à l’un, ce secret aurait porté loin. Je continuai à me traîner. Le vent froid soufflait de l'ouest. C’était le vent ordinaire, le vent de printemps qui renforçait de temps en temps jusqu'à l'ouragan. Dans le ciel les nuages anthracites épais nageaient, comme les glaçons des grandes crues de printemps. Le pays plat, les ouvalas, les monts, les collines et les montagnes: ce jour-là tout me semblait gris, sans charme. Toute la journée je suivais le sentier désert.
Au déclin du soleil parmi les monts bas je reconnus l’élévation de Kara-Toka[124], sur laquelle Ilias me parlait.
Il disait: "Retiens qu’à son sommet tu verras des maisons d’hiver. Probablement, il te faudra passer la nuit dans cet aoul..."
Je m’intéressai au nom de "Kara-Toka", parce que mes ancêtres appartenaient à cette génération.
Je m’approchai tout contre la maison d’hiver, mais je n’y vis personne. Elle semblait que ses habitants vinssent de la quitter. Les cours furent ouvertes, comme les cavernes détruites.
Il y eut deux cadavres de chevaux. Autour de la charogne des chiens couraient. Ils se jetèrent sur moi avec l'aboiement acharné, en protégeant leur proie. J'entrai à une des huttes: il n’y eut personne. Je montai sur le toit et examinai les alentours. Un ravin sec s’allongeait entre les monts et disparaissait dans la steppe. Au pied de Kara-Toka un ruisseau bouillonnait. Au loin on put voir le bétail pâturant. Le soleil couvert de nuages gris franchit déjà le mont.
Qu’est-ce que je dus faire? Est-ce que je pus parvenir à cet aoul, où le bétail pâturait? Peut-être il valait mieux de passer la nuit dans une de ces maisons d’hiver?.. Je pus cuire morceau de charogne pour le souper? Qu’est-ce qu’il en était d’honteux?.. Dans le camp d'Omsk il y avait des Hongrois avec nous. Chaque jour ils tuaient un chien et le mangeaient. Une fois le Hongrois Khorvat et Pankratov m’offrirent un bouillon de chien, et je ne refusai pas. Et quelles avantages avions-nous en comparaison avec les Hongrois? S'ils mangeaient de la viande de chien, pourquoi moi ne pouvais-je pas me réconforter avec de la viande du cheval crevé?..
Il me fallut aller loin, mais je partis quand même là-bas, où je voyais les brebis pâturant. Je dus me déshabiller pour traverses la rivière dont les bords furent couverts de saule. L'eau bourbeuse fut froide, comme le fer gelé, elle échauda, a brûla le corps avec le froid et tâcha de m’entraîner à sa suite, comme l’éringe léger...
Quand le soleil se coucha, je parvins à peine à l'aoul disposé au bord d’une riviérette. J’appris que les habitants là furent ceux qui avaient quitté les maisons d’hiver au sommet de Kara-Toka. J’y coucha.
De bon matin, ayant pris du thé et une tasse de koumys, je continuai mon chemin.
Le jour fut froid. Le vent glacial pénétrant jusqu'aux os soufflait de l'ouest. Parfois les nuages gris se réunissaient, s'epaissisaient et descendaient vers la terre.
Je retraversai la rivière avec le saule et tombai sur un aoul. Quand je passais la rivière froide à gué pour la deuxième fois, un cavalier parti de l'aoul à ma rencontre. À barbe noire, aux joues vermeilles, avec un bon visage ouvert, il s’approcha de moi à la jument louvette.
- Laisse-moi t’aider à passer la rivière, monte sur la croupe de mon chevaal! - il proposa.
- Non, je passerai moi-même, merci...
Il remarqua avec ironie:
- Fichtre! Quel djiguite tu es, toi! Qu’est-ce que c’est cette politesse comme ça?!. Je ne te laisserai pas faire un pas jusque je t’aide à passer la rivière! - il déclara et mit le cheval en travers du sentier. Je passai la rivière sur la croupe de la jument et dis adieu au bon Kazakh.
Ayant visité l'aoul, je me persuadai que ne me détournai pas de ma route, je suivais le correcte chemin. Vers le midi je vis un aoul sur le plateau. Un troupeau des brebis pâturait près de lui. Je m’assis dans le ravin couvert de stipa épais, sortis de la poche la galette et, l’ayant beurrerée avec le reste du beurre, commença à la manger. Un garçon-berger s’approcha de moi sur le bœuf roux. Il dévorait le pain du regard. Ses vêtements furent déchirés, rapiécés. Il semblait venir de se remettre du typhus. Ses joues furent pâles. Je lui donnai la galette beurrée. Il la saisit à la volée, comme une perche avalant l'amorce.
- Voilà il est arrivé enfin, le jour quand j'ai vu le beurre! - le gamin remarqué avec amertume.
- Est-ce que vous n'avez pas de beurre dans l'aoul?
- On a survécu à peine l'hiver rigoureux! Ça fait déjà longtemps qu’on n’a pas goûté de beurre!
- Tu pâts un grand troupeau de brebis. Est-ce que le maître n'a pas de beurre?
- Peut être il en a pour lui-même, mais est-ce qu'il nous en donnera?
- Combien on te paie?
- Le paiement n’est pas si bon pour en parler...
- Mais combien quand même?
- Un poud du blé, une paire de bottes, ensuite encore un survêtement usé, voici c’est tout!
- Et c’est pour ce paiement que tu pâts le troupeau tout l'été?
- Oui! - le berger répondit.
... Dans un autre aoul je visitai la soeur aînée de Moukaï, sur qui Ilias m’avait parlée. Elle vivait aussi dans le dépouillement. Là il n’était déjà pas loin de l'aoul de Balabaï, où mon nagachy Moukaï vivait.
Au temps de la prière du soir j’arrivai à l'aoul de Balabaï Sary-Adyr. Il fut isolé. On pouvait voir le mont de Sary-Adyr de loin. L'aoul de Balabaï fut disposé à son sommet, il était encore à l'hivernage. Quand je m'approchais vers le pied de Sary-Adyr, les nuages gris s'epaissirent et s’abaissèrent, il neigea. J’étais tellement fatigué que je grimpai à peine aux épaules de Sary-Adyr.
L'aoul comprenait seulement quatre cours. Dans une des yourtes mon nagachy Moukaï habitait. Dans la grande yourte Balabaï habitait lui-même, il fut beau-père de Moukaï. Le fils aîné de Balabaï habitait dans la troisième yourte.
J'ai vu djiguite, qui faisait boire du seau une jument baie avec le chanfrein blanc qui avait une pelote. On se salua. Carré d'épaules, grand, à la barbe rare et à la moustache semblable aux brins d'herbe chétifs du terrain pierreux, il portait un court koupi, couvert de tissu rayé. Il avait des bottes kazakhes avec les bas de feutre aux pieds et un tymak usé d'astrakan noir, semblable au casque des preux à la tête. Selon la description d'Ilias, c’était Moukaï lui-même. Devant nous les gens entraient dans la cour et en sortaient sans tourner l'attention sur nous.
- Êtes-vous Moukaï? - je demandai.
- Oui... А d'où me connais-tu?
Je lui racontai brièvement d’où je venais et expliquai que j’étais Saken. D'abord il demeura bouche bée à cause de surprise, mais après il sourit avec méfiance.
- Vous ne devez pas conter des bourdes, jeune homme. Nous, les Kazakhs, nous devons en tous cas faire bon accueil au visiteur!
Moukaï ne me pas confia, il pensa que je n’étais pas Saken, et que je simplement faisais semblant d’être son zhiène pour y être accepté. Moukaï ne m’avait jamais vu. Je m'effarouchai. Que faire? Je commençai à raconter plus en détail. Je dis que j’avais été chez Ilias, je décrivit son économie, je racontai, comment Ilias m'avait accompagné et comment il avais dû revenir. Je parlais aussi sur la pauvreté dans la famille d’Ilias.
J'avais rendu mon linge et mon bechmet de drap à Rakiche, au fils d’Ilias, а en échange j’avais met le bechmet rapiécé de Rakiche.
Et pour me montrer plus convaincant je le montrai à Moukaï tout de suite. Je dit qu'en hiver le fils aîné d’Ilias était décédé. Moukaï me crut, changea de visage, pleura, se mit à m'embrasser. Peu après un homme à cheveux blancs le bâton dans les mains se nous approcha, ce fut Balabaï lui-même. Ayant vu les larmes aux yeux de Moukaï, il demanda avec sympathie ce que se passait.
On entra dans la yourte de Moukaï. À ma demande Moukaï me présenta à tous les habitants de l’aoul comme ça:
- C’est le fils de Katcha, la soeur germaine de mon père. Il est mon zhiène. Il revient de l'usine d’Ekibastouz à son pays natal au district d’Akmolinsk.
Moukaï vivait à la yourte rapiécée grise-brune à quatre ouvrants à avec sa jeune femme et une petite fille. Selon l’intérieur on put dire qu’il ne vivait pas dans l’aisance. On me fit m’assoir sur une courte-pointe dans la place d'honneur. Ayant appris le décès du fils aîné d’Ilias, la femme de Moukaï éclata en sanglots à haute voix. Des enfnts se réunirent vite, la vieille de Balabaï, la soeur germaine de Moukaï vint en courant, tous pleurèrent hautement. Une jeune fille grande brune, à face ronde, aux cheveux bleuâtres, la belle-soeur de Moukaï, la fille cadette de Balabaï vint. Deux de Balabaï arrivèrent. Bref, tous les enfants et toutes les femmes de quatre yourtes se trouvèrent ensemble pour pleurer.
AOUL QUI OFFRIT DU REPOS
L'aoul de Balabaï supporta avec succès l'hiver rigoureux. Il se trouva au bord le plus lointain du district de Baïan-Aoul, presque sur la frontière entre les districts de Karkaralinsk et d’Akmolinsk. Si on regarde du sommet de Sary-Adyr vers le sud-ouest, on verra les terres du district de Karkaralinsk, si on se tourne vers l'ouest, on verra les terres du district d’Akmolinsk, et au sud non loin se trouve la frontière du district de Semipalatinsk, on peut voir la masse bleuâtre des montagnes au loin.
Toutes les quatre cours de l'aoul vivent en bon accord, comme une famille. Les gens furent simple, le coeur sur la main, ils respectaient volontiers la coutume d'hospitalité propre aux Kazakhs. Ils ne furent ni bavards, ni roublards, ni capables de la lâcheté. Je m’installai vite dans leur millieu, trouvai le langage commun avec eux.
Je vivais chez Moukaï. On me donnait manger à satiété des beignets, du lait caillé et de la crème. Il eut quatre ou cinq vaches, toutes avec les veaux, près de vingt brebis, quatre chevaux maigres. Moukaï voulait me transporter à mon aoul natal sur l'étalon bai courtaud, mais seulement après qu'il ferait plus chaud, l’herbe apparaîtrait et l'étalon grossirait, reprendrait ses forces. Avant ces conditions je restai à vivre, à me reposer chez Moukaï.
Donc, ayant passé à pied huit cents quarante quatre verstes, je parvins à l'aoul de Balabaï sur Sary-Adyr, au rapprochement de quatre districts des provinces d’Akmolinsk et de Semipalatinsk. Après cette grande voie de martyre je trouvai enfin le repos tranquille dans cet aoul.
C'est facile à dire: huit cents quarante quatre verstes!
Au mois de janvier de 1919 quand il gélait dur nous fûmes chassés par le détachement du chef cosaque Annenkov d'Akmolinsk à Petropavlovsk. Je passé quatre cents verstes à pied. Je m’évadai du camp d'Omsk, vins par train à Slavgorod et de là pendant la fonte des neiges je passai cent cinquante deux verstes jusqu'à Pavlodar, de Pavlodar à la saison des mauvaises routes je passai à mi-jambe dans l'eau cent quatre-vingt-douze verstes jusqu'à Baïan-Aoul. Et enfin de Baïan jusqu'à l'aiul de Balabaï je passai près de cent verstes...
J'aimai l'aoul de Balabaï. Tous les gens y furent bons, sincères, pas scrupuleux. Je commençai à me rétablir vite. Les pieds couverts de blessures guérirent, les muscles se renforcèrent. Les jours devinrent plus chauds, l'herbe commença à verdir.
L'aoul de Balabaï se déplaça à Kokozek, à l'est de Sary-Adyr. À l'aoul je devins de la maison. Balabaï eut près de quarante chevaux, cent cinquante brebis et la multitude de vaches. Je soignais le bétail, gardais le troupeau. L'aoul se trouvait isolé, on n'avait personne à appeler à l’aide en cas de l'attaque des brigands, des voleurs de chevaux.
"En oubliant le mal, tu n'attendras pas le bien" - le proverbe populaire dit. L'aoul le plus proche de nous se trouvait à dix ou quinze verstes à l'est, excepté les gens de cet aoul il n’y eut personne à appeler au secours. Et il y avait beacoup de voleurs errants, la situation était difficile après l'hiver de famine.
Une fois vers le soir Balabaï lui-même remarqua du sommet du mont un groupe de cavaliers suspects du côté du sud de Sary-Adyr. Il arriva au galop à l'aoul. Tous les six hommes montèrent sur leurs chevaux. Pour moi on sella un cheval anthracite, sur lequel la fille de Balabaï allait. On s’arma par les matraques. Il y avait un fusil, et ce fut moi qui le prit.
En montrant notre armement, nous nous mîmes à galoper dans la direction des cavaliers suspects. Mais ceux-là, nous ayant remarqués, n’attendirent pas la bagarre et galopèrent pour la montagne de Semize-bougui (Cerf gras). Après la poursuite brève nous retournâmes.
Après ce cas je commençai à guarder les chevaux de Balabaï pendant la nuit. Si quelqu’un de suspect apparaîssait aux alentours, moi étais là tout de suite sur un bon cheval de Balabaï. Au crépuscule le troupeau était amené à l'aoul. La fille de Balabaï gardait les brebis pendant la nuit dans l'enclos. Voici avec elle nous passions à deux les nuits de printemps.
... Ayant mis le feutre à dessin sur l'herbe verte la fille de Balabaï fut assise à côté de l'enclos, le surtout sur ses épaules, la dombra à voix vibrante à la main. Et le soir fut tendre, chaud, de printemps. Le ciel bleu-bleu clair semblait cloué avec les clous innombrables en argent, comme une grande tente de velours bleu clair. Parfois les cirrus blancs comme en argent ciselé passaient. Et la lune fut comme un plat d'or suspendu au plafond de la tente bleu clair. Les étoiles et la lune éclairaient la terre sombre, sommeillant doucement. Les brebis dormaient dans l'enclos... L'aoul sommeillait dans le calme. Seulement parfois on entendait le bêlement, le meuglement bas du bétail. Tout l'univers jusqu'à un haut ciel fut comme dans le berceau de l'agréable ivresse.
Sur le cochma orné fut assise la fille de Balabaï, une belle sereine de la steppe avec la dombra aux mains. Je fus couché sur le dos et regardais le ciel, comme si je voulais compter les étoiles, je me baignais dans la mer profonde de mon rêve. À côté de nous se trouvait l’étalon roux-brun à une pelote, la bride attachée au pommeau de la selle. Un beau coursier semblait aussi rêver, il sommeillait en clappant parfois des lèvres. Tout fut silencieux autour... Mais voilà j’entendis la mélodie tendre de dombra. La dombra tremblait, comme réfléchissant sur quelque chose. La belle, la fille de Balabaï, exécutait la chanson de "Zoulkiia" composée à Akmolinsk. Avec sa chanson triste Zoulkiya semblait se consolait, comme un enfant...
Moi, je suis une fille d’Ospanbaï, Zoulkiia. Zoulkiia a un accordéon.
Aldi-aïe!
Il vaut mieux pour moi de partir en compagnie d’un bon homme, que vivre avec un sot chauve.
Aldi-aïe!
Ne pleure pas, mon bébé, ne pleure pas, cesse, ne pleure pas toi, mon cher, endors-toi.
Aldi-aïe! En effet, la génisse de deux ans conduit tout le troupeau. Les rides de chargin ont couvert mon visage.
Aldi-aïe! L’homme chauve te possède pour le bétail. Qui peut contredire la force du Très-Haut?
Aldi-aïe!
Ne pleure pas, mon bébé, ne pleure pas, cesse, ne pleure pas toi, mon cher, endors-toi.
Aldi-aïe!
Je vivais sur l'île de Canne Rouge. Le chauve ce n’est pas l’homme qu’il me faut, comment irai-je?
Al'di-aïe!
S’il eût été au moins de mon âge, et pas un vieillard, est-ce que aurais maudit ainsi mon destin?
Aldi-aïe!
Ne pleure pas, mon bébé, ne pleure pas, cesse, ne pleure pas toi, mon cher, endors-toi.
Aldi-aïe! Qui peut être touché par les pleurs d’une jeune fille? Qui peut la tirer des malheurs?
Aldi-aïe! C’est inutile de demander le Dieu de donner de la chance. Il est difficile d'échapper, si tu es sous clef.
Aldi-aïe!
Ne pleure pas, mon bébé, ne pleure pas, cesse, ne pleure pas toi, mon cher, endors-toi.
Aldi-aïe!
... Elle se consolait, parce que personne ne portait de l'intérêt au destin de la pauvre jeune fille, personne ne tournait l'attention à ses larmes.
Et la terre et le ciel se taisaient. Le ciel et la terre étaient sourds...
Je viens de raconter d'un des soirs, qui est resté dans ma mémoire.
Peu après on apprit une nouvelle que l'intendant de voloste et le commissaire de police arrivèrent aux aouls voisins.
Bien qu’à l’époque du pouvoir de Koltchak et de l'Alach tous appelassent la milice le "chef", dans les alentours de Baïan on l’appelaient par une vieille habitude le "commissaire de police".
"Pourqoi sont-ils venus? Pour collecter quoi?" - l'aoul de Balabaï s'inquiéta. Il se trouva que pour les besoins du front de chaque aoul on prendrait un cheval, un chariot, un cochma et un djiguite.
Après cela une autre nouvelle vint: "Le cheval convenant avec le chariot seront pris de vive force. L'intendant de voloste et le commissaire de police furent tous les deux féroces. L'intendant de voloste fut l’un des descendants de Tcherman, de la génération de Karzhas.
Balabaï eut un assez bon chariot et cinq bons étalons. Le meilleur d'eux ce fut l'étalon trotteur roux-brun à la pelote.
Les fils de Balabaï disaient que l'intendant de voloste Tchermanov l'avait admiré encore quand l'étalon avait eu seulement deux ans.
En 1916, quand les jeunes gens kazakhs avaient été envoyés pour les travaux de l'arrière, aux courses cet étalon roux-brun de deux ans avait gagné le prix. Après les courses le chef de volost Tchermanov avait libéré deux fils de Balabaï des travaux de l'arrière et pour cela avait pris l'étalon avec une marque. Après le renversement du tsar russe les fils de Balabaï eux-mêmes ont repris l'étalon. Et voilà, pendant Koltchak et l’Alach-Orda étaient au pouvoir, le même Tchermanov devint chef de voloste de nouveau. En se mettre en quatre pour collecter des moyens pour aider les troupes d’Alach-Orda, il tellement opprimait le peuple que les os de celui-là craquaient. Il était clair qu'il ne pardonnerait pas à Balabaï le vol de l'étalon de prix, de son favori.
L'aoul s'alarma. Moukaï me consulta. Je proposai un plan: se cacher dans raide ravin avec le chariot et les meilleurs étalons du troupeau.
Ayant pris avec nous du lait caillé, de koumys et du fromage blanc, nous avec un des djiguites de Balabaï partîmes de l'aoul. Je fus à l'étalon roux-brun à la pelote, nous emmenions d'autres chevaux par la bride. Nous nous mîmes d'accord que quand le chef de voloste partirait de l'aoul, on devrait nous le dire, et en outre le courrier devrait monter d'abord sur une place élevée pour que nous puissions le remarquer de loin.
Nous nous installâmes à l'hivernage abandonné dans la montagne, nourrissions des chevaux du foin, les protégions d'un oeil vigilant jour et nuit. Le jour, nous étant déshabillés à mi-corps, nous mettions avec le djiguite nos corps aux rayons du soleil chauds. Je racontais des histoires gaies, mon auditeur riait:
- Hé, Douissembi, tu es un homme très amusant!
Nous sauvâmes du chef de voloste les chevaux et les chariots. Je passai dans l'aoul de Balabaï plus qu’un mois.
Quand pendant la journée la fille de Balabaï trayait les juments, je tenais les poulains. Au printemps je vis et j’admirai à volonté la vie insouciante des poulains s'ébattant sous les rayons du soleil chaud sur la pelouse verte...
L'étalon courtaud bai de Moukaï grossit enfin. L'été commença.
Le jour, quand Moukaï attela son cheval bai vint. On mit au chariot une vieille besace ornée. Je m’assis à la place du cocher, et Moukaï comme le maître s'assit derrière, sur la place honorable dans le chariot.
Nous dîmes adieu à l'aoul hospitalier de Balabaï et nous nous allâmes. Je laissai mes souquenilles d'hiver dans la maison de Moukaï. Chez Ilias je changeai mon ouchanka contre le tymak d'astrakan gris. Je donnai à Rakiche, au fils d’Ilias, le veston de drap, ayant mis au lieu de lui un bechmet rapiécé. Je donnai à la femme de Moukaï ma courte pelisse de putois, et mis au lieu d’elle le surtout usé de tissu bon marché.
Habillé d’un surtout déchirée d'indienne, d’un tymak usé, du pantalon de peau de mouton, des bottes à bout obtus, j'étais semblable au cocher. L’homme portant de tels vêtements est bon seulement pour atteler et dételer les chevaux, les mener à la prairie, les ayant entravées, les faire paître, bref, soigner les chevaux.
Je ne vais pas décrire en détail tout notre chemin de l'aoul de Balabaï au nôtre pour ne pas fatiguer le lecteur. Je raconterai en bref.
Ayant franchi la frontière du district de Pavlodar, nous nous trouvâmes sur les terres d’Akmolinsk. Sans nous presser parvînmes en dix jours aux aouls de sud du district d’Akmolinsk.
On discutait partout sur la conduite des bolcheviks et des "Russes jaunes", comme le peuple appelait les fonctionnaires de Koltchak et les bourgeois russes. Le plupart des gens maudissaient tout doucement les "jaunes" et déclaraient ouvertement leur bonne attitude envers les bolcheviks.
Nous parvînmes aux bords de la rivière la Sabyr-Kozha, où notre aoul s'installait d'habitude pour l'été. Mais ce temps-là l'aoul ne put pas y venir et il resta dans la vallée de la rivière d'Essen. La Sabyr-Kozha se trouvait à l’environ cent verstes de l’Essen. Les aouls y étaient rares. À quinze ou vingt verstes de la Sabyr-Kozha au bord de la rivière de Koundyzdy il y eut deux aouls. Puis encore à l’environ quinze ou vingt verstes, au bord des lacs de Choptikoul et de Jamankoul encore deux aouls se trouvèrent. Il y avait encore deux bourgs au bord de Noura, et puis jusqu'à notre aoul tout fut désert.
Vers le coucher du soleil nous traversâmes la Sabyr-Kozha et vîmes deux aouls riches avec les yourtes blanches. Le long de la rivière, en piquant l'herbe savoureuse verte, un nombreux troupeau des chevaux louvets pâturait. Derrière l'aoul des troupeaux des brebis blancs bêlaient sonorement. Il y eut beaucoup de vaches et de chameaux. L'aoul n’était pas seulement riche, mais aussi connu: son chef fut le noble fameux Zhanguir, le petit-fils de Konyr-Koulzhy Khoudaïmendin, qui était l’ancien gouverneur de la ville dirigeant en son temps tout le district d’Akmolinsk. Dans l'aoul voisin Zhanguir vivait lui-même et dans l'aoul situé plus loin son tolèngoute[125] aisé vivait. Trois grandes yourtes blanches comme neige de Zhanguir s'élévaient comme les minarets. Nous avions les yeux fixés sur l'aoul et sur la multitude de bétail. Je vis l'aoul de Zhanguir pour la première fois, bien qu'autrefois je vécusse non loin.
Quand nous traversâmes la Sabyr-Kozha et sortîmes à cheval du ravin, nous vîmes cavalier allant à notre rencontre qui conduisant par la bride le deuxième cheval. Sans moustache, imberbe, maigre le djiguite fut bien habillé. Je le reconnus à la fois, mais n'en laissai rien voir. On se salua, s’interrogea. Moukaï parlait au djiguite, et moi, j'examinais paisiblement l'aoul, en faisant semblant ne pas du tout reconnaître le djiguite. Lui il était natif de là. Son nom fut Aoueskhan. Son père s’appelait le hadzhi Akhmetzhan. Aoueskhan faisait ses études ensemble avec moi à l'école municipale russe d’Akmolinsk, mais il fut seulement dans la classe primaire. En 1916 à cause de l'insurrection des Kazakhs il passa l'hiver entier en prison et fut libéré après le renversement du tsarisme.
Ce moment-là Aoueskhan, en me regardant fixement, demandait où Moukaï allait.
- Allez-vous à l'aoul des gens d’Enène de la génération de Toka[126]? - il demanda.
- Nous allons à l'aoul de Zhanibek! - Moukaï répondit.
- Y avez-vous des parents?
- Seifoulla est notre zhiène.
Je jetai ma vue tranquillement et froidement sur Aoueskhan, qui à son tour continuait à m'examiner obstinément du regard.
- Et qui est Saken pour vous? - Aoueskhan me demanda.
- Quel Saken?
- Saken Seifoullin connu - Sadvokas, - Aoueskhan dit fermement.
Je leva des sourcils étonnés et m’adressai à Moukaï:
- Sur quel Saken parle-t-il?
Aoueskhan commença à me décrire moi-même.
- Comment ne connaissez-vous pas Saken? Seifoulla avaient un fils nommé Saken... Hélas, il a été prisonnié et disparu... le djiguite finit avec regret.
Je ne voulus pas laisser Aoueskhan dans l'ignorance. Mais tout le monde connaît les coutumes kazakhes: le secret découvert à un ami est le secret découvert à tous.
Aoueskhan pressa déjà son cheval, ayant dit "au revoir", mais je ne pus me retenir de dire:
- Comment vous appelez-vous?
- Aoueskhan! - la réponse suivit.
- Est-ce que vous ne m'apprenez pas?
Aoueskhan vola en un clin d'oeil du cheval et les larmes aux yeux m'embrassa. Il se réjouir de notre rencontre, comme l'enfant.
- Koltchak fait rage, - raconta Aoueskhan. Dans un bourg entre Akmolinsk et Atbasar les paysans se soulevèrent avec les bolcheviks et voulaient libérer Atbasar, mais à ce moment-là un détachement puissant de gens de Koltchak arriva. Il écrasa l'insurrection. Plusieurs villages furent réduits en poussière. Après cela à Akmolinsk on fusilla tous les prisonniers. Si quelqu'un étant vexé pointe son index vers quelqu’un et dit "c'est un bolchevik", l’affaire sera dans le sac. Un professeur de la voloste de Koumkoul, considéré comme bolchevik, fut emmené en ville et tué. On arrêta Beketaev Toleoubek et son fils Seitrakhman. On fusilla ton camarade Nourgaïna et beaucoup d’autres, - Aoueskhan conclut.
Du côté de la tête de la rivière un cavalier un chien courant vint chez nous. On se salua. Sans descendre du cheval, il demanda à Aoueskhan qui nous étions?
- Ils sont du clan de Souiundik. Ce sont nagachys de Seifoulla de la génération de Toka, - Aoueskhan expliqua.
- Ah, du père de Saken? – le djiguite murmura quelque chose et partit.
On dit adieu à Aoueskhan. Selon son conseil, nous décidâmes de ne pas coucher chez Zhantir, parce que le chef de voloste avec le scribe étaient chez lui. Nous passâmes à l'aoul suivant, où son riche tolèngoute nommé Baïtougan vivait.
Baïtougan avait près de trois cents brebis, beaucoup de vaches et de bœufs. Il habitait dans une grande yourte blanche. Nous dételâmes l'étalon bai et nous approchâmes de la yourte. Baïtougan avec sa vieille ne nous laissèrent pas entrer.
- Notre maison n’est pas l’hôtel pour les Kazakhs errants! Hors d'ici!. - ils se mirent à hurler.
Nous ne savons où donner de la tête. Nous ne vous demandons pas de nous festoyer, mais au moins ne nous chassez pas! - selon la coutume kazakhe nous nous mîmes à discuter et en chahutant nous entrâmes sans autorisation dans la yourte. Les maîtres sortirent et commencèrent à nous gronder de dehors.
Nous restâmes à deux dans la yourte étrangère. Au bout d'un moment leur belle-fille entra, alluma le feu. Le grand fils du maître vint. Ils nous regardaient en silence. Ensuite Baïtougan entra aussi lui-même. Après tous et la vieille s'assit près du feu.
C'était au mois du carême. Spécialement pour l’"aouyze achar"[127] on prépara le thé et en nous offrit. Pendant le thé le fils de maître frappa sa femme avec le poing au visage. La femme tomba à la renverse, laissa la vaisselle tomber des mains...
"Comme ils sont polis", - je pensai.
Peu à peu on s’accoutuma à notre irruption et la conversation avec Baïtougan commença. Ayant simulé ne savoir rien, je demandai comment Zhanguir vivait. Baïtougan se mit à le glorifier à toutva pour la générosité.
- Une fois il a égorgé l'agneau pour sa chienne, qui a chienné pour la première fois, pour la nourrir avec sa viande fraîche... Quand il donnait le zakât[128], il comptait lui-même cent chevaux et chaque cent premier cheval, quel ce soit le cheval le plus précieux, il le donnait sans hésitation au mollah... Pendant le sacrifice il égorgeai toujours un grand bœuf. Il donnait le bétail aussi à ses serviteurs pour qu'ils le sacrifiassent. Il n’y avait encore personne sur terre plus généreux que ce noble...
Quand Baïtougan finit de glorifier son maître, je commençai à gronder Zhanguir, exaspérai et achevai tout à fait le pauvre Baïtougan!..
Il pleuvait toute la nuit... Nous avec Moukaï, nous étant recroquevillés, étaient couchés sans lit dans la yourte. De bon matin la vieille commença à nous regronder et jeta dehors avec acharnement notre harnais mis à la yourte pour la nuit... Je me réveillai de la voix claironnante de la vieille et commençai à ramasser le harnais.
- Regarde les, ils ont apporté l'arceau et le collier à la yourte! Est-ce que quelqu'un convoitera ce bric-à-brac?! - la vieille criait.
J’amenai le cheval à l'abreuvoir moi-même en passant exprès à proximité de l'aoul de Zhanguir. Plus tôt j'entendais parler que le noble avait les filles d'une beauté indescriptible. Je voulais les voir, c'est pourquoi, ayant laissé le cheval pâturer, j'étais longtemps couché près de la rivière, près de la yourte blanche comme neige...
Vers le midi nous partîmes. Après la pluie de nuit le chemin fut rompu, le cheval tirait à peine le chariot et c'est pour cela que nous allions à pied.
Vers le soir on parvint à Choptikoul. À côté du lac nous rencontrâmes trois cavaliers, les djiguites de l'aoul, où nous allions passer la nuit. Dans cet aoul-là vivaient les Kazakhs de la génération de Toka. Trois djiguites allaient longtemps à côté de nous. Un des djiguites, Abich, m’avait vu en 1917, quand on y passaient les réunions d’aoul à propos des élections aux comités. S'étant penché de la selle, il me regardait longtemps, mais ne me pas reconnut. Djiguites partirent.
Tard le soir nous arrivâmes à l'aoul de Beissembaï au bord de Choptikoul. Le matin on prit le thé dans la yourte d'un des fils de Beissembaï nommé Beksoultan. Pendant le thé un jeune djiguite entra et se mit à parler avec nous. On ne sait pourquoi il voulut se moquer de moi. Je fis le godiche naïf, le djiguite mordit à cet hameçon et se réjouit infiniment.
Dans la yourte il y avail un aigle royal. En le regardant, je demandai:
- C’est qui cet oiseau, est-ce le grand duc? Le djiguite ria à volonté et me demanda:
- Est-ce que dans notre pays nous n’avons pas d’aigles royaux?
- On disait que si... Je me l’imaginais pas tels... Mais qu’est-ce qu’il mange, du blé?
Le djiguite éclata de rire hautement.
- Et où habite-il? Peut-être il habite dans ce lac? – je continuai.
Ayant ri à volonté le djiguite expliqua:
- Nous l'avons attrapé dans la montagne de Kart, ils nichent là!
Cet aoul hivernait à côté du mont peu élevé de Kart, seulement à une et demi verstes de là-bas.
- Ah, probablement, Kart c’est une montagne inaccessible?
- Oui, tu ne parviendras pas à son sommet à cheval!
- А pour quoi tenez-vous l'aigle royal? Est-ce qu’il pondre? - je continuais à mener le djiguite en bateau.
- Oui, nous l’obligerons à pondre! - le djiguite content réponda.
Nous quittâmes l'aoul sans avoir été reconnus. À la distance du cri de cet aoul il y avait un aoul de Kochmagambet, au bord du lac de Zhamankoul. L'aoul se préparait au déplacement. Deux cousines aînées de mon père y vivaient. Je le trouvait inadmissible de passer en secret sans leur dire bonjour. L'aoul qui pliait ses yourtes, ne tourna pas l'attention sur nous dans la bousculade de déplacement. Justement à ce moment-là Abiche qui nous avait rencontré la veille sur le chemin arriva. Il ne me reconnut pas encore. Je le pris à part et lui dis mon nom réel.
- Maintenant vas chez ma soeur et raconte de moi. Seulement qu'elle ne pleure pas, quand on saluera. Qu’elle fasse semblant de ne me pas reconnaître!
Ma soeur démontait la yourte. Abiche se lui approcha, lui quelque chose dit, et tous les deux ils se dirigèrent vers notre chariot. Se m'étant approché, ma soeur ne put pas se retenir et éclata en sanglots à haute voix!..
Instantanément tous les aouls se trouvant aux bords de Choptikoul et Zhamankoul, apprirent sur mon apparition. Quelqu’un à cheval en galopant, quelqu’un à pied, tous se dépêchèrent à l'aoul pour me voir. Je ne pus plus déjà me cacher.
Ayant dîné, ayant bu du koumys, nous attelâmes deux étalons de choix bien nourris au chariot et continuâmes à aller au grand train. Chemin faisant on rencontra un marchand, le semi-Tatar, allant de la ville. Avec lui il y avait deux djiguites de notre aoul, ses salariés. Les djiguites passèrent devant et ne me reconnurent pas. Nous fûmes accompagnés par un gamin de l'aoul de Kochmagambet. Nous l'envoyâmes à la poursuite de djiguites de notre aoul pour qu'il leur dît de moi en cachette du marchand.
- D'abord que le plus aîné d'eux, Dilmagambet, vienne inaperçu, et après cela que le cadet Alchaguir s'approche, - j'ordonnai.
Le gars partit en courant. Peu après Dilmagambet vint près de notre chariot. Il pleurait, regardait autour de lui avec hâte et nous demanda:
- Où est Saken?..
Il ne me reconnu non plus.
Le marchand fit une halte au bord de Noura, lissa les chevaux pâturer. Nous nous arrêtâmes aussi, dételâmes les chevaux et fîmes le thé bouillir. Alchaguir infiniment gai, comme l'enfant, s'approcha.
Le lendemain nous arrivâmes à notre aoul. Dilmagambet trouva un prétexte, demandé la permission au marchand et alla avec nous. Je l'envoyai à l'aoul pour qu'il préparât ma famille (mon père et ma mère, mes frères et mes soeurs), et, deuxièmement, pour qu’il prévînt qu’excepté notre famille personne ne devrait savoir de mon arrivée. Après avoir vu mes parents en secret, je partirais à Tourkestan.
- Dis que nous sommes nagachys de mon père, nous sommes venus du district de Pavlodar, - je dis strictement plusieurs fois à Dilmagambet.
On s’approcha vite de l'aoul voisin du nôtre. On vis un grand groupe de gens causant paisiblement. Un garçon alla à cheval à notre rencontre. Je reconnus à la fois Zhaman, le fils de Souleimène. Nous ayant dit bonjour, il demanda où nous allions et d'où nous venions.
- Nous allons du district de Pavlodar, nous sommes nagachys de Seifoulla. Nous sommes d'Aïdabol, originaires d’une grande génération de Souiundik...
Le garçon revint au grand train vers pour le raconter.
Il nous restait de passer tout à fait un peu jusqu'à notre aoul. Nous vîmes un djiguite galopant à notre rencontre avec le deuxième cheval libre mené par la bride. Je grandissais ensemble avec ce djiguite dès l'enfance. Il s’appellait Kadyrbek. Hélas, il ne me reconnu non plus! Il arrêté brusquement le cheval, demanda à Moukaï, où nous allions, et voula continuer à galoper, mais je ne pus me retenir de dire:
- De quel aoul êtes-vous?
Il reconnut ma voix et se tourna vite. Très perplexe il sauta hâtivement du cheval. Et ce moment-là nous éclatâmes de rire.
Nous attachâmes les brides de deux chevaux de Kadyrbek aux nos chevaux et sont allâmes au grand train.Peu après on remarqua un groupe de cavaliers au loin. Ils galopaient, se dépêchaient. On vit de loin que parmi les cavaliers il y avait une femme au kimechèque blanc.
Kadyrbek commença à les saluer en brandillant. Les cavaliers se dirigèrent en galopant dans notre direction, il y avait beaucoup de poussière dans l'air. Portant le kimachèque blanc galopait ma mère Zhamal. Nous nous arrêtâmes, descendîmes respectueusement du chariot. Les gens de mon aoul faisaient reculer les chevaux et couraient chez moi. Tous furent en plein désarroi. Ma pauvre mère fut rendue tout à fait folle: elle balbutiait quelque chose, sans savoir quoi...
Je voulus venir à l'aoul natal en secret. Le jour suivant les habitants de cinq volostes d'alentour eurent vent de mon arrivée. Dans huit jours tous les quarante huit volostes du district d’Akmolinsk en surent...
FIN DE KOLTCHAK DÉMONIAQUE
Le loup enragé attaque tous, sans distinction. En empourprant tout, le loup enrage, s'enivre de la vue de la victime...
Au commencement, ayant eu peur de Koltchak, le peuple s'était caché du malheur pesant, et ensuite, s'étant persuadé que le malheur l’avait entouré de tous les côtés, il commença à se défendre. Les gens s’armèrent des haches, des ketmegnes, des déchaussoirs, des fourches, des pelles, des perches.
Quand j’arrivèrent à l'aoul, Koltchak agonisait déjà en fureur. Les gens de travail soulevèrent coude à coude contre le malheur noir.
INSURRECTION À АМАНТАÏ
En région de Koustanaï les paysans simples mis au désespoir, soulevèrent une insurrection armée contre Koltchak et libérèrent Koustanaï. Mais de nombreuses troupes régulières de Koltchak arrivèrent à temps par le chemin de fer et occupèrent la ville de nouveau.
Les insurgés furent dirigés par les ressortissants des paysans: Zhaleev et Taran.
Simultanément avec les gens de Koustanaï les villages disposés entre Atbassar et Akmolinsk, aux bords d'Ichim, se soulevèrent contre Koltchak. Ils s’armèrent, créèrent l'armée révolutionnaire de peuple. L'état-major se trouvait dans le bourg d'Amantaï, en russe c’était Mariinovka.
Les chefs de l'insurrection furent Gorlanov et Korolev. Gorlanov travaillait dans le bourg comme l'aide-médecin. Je pris connaissance avec Gorlanov encore a l'époque des études à Akmolinsk. Il devint fervent irréductible du pouvoir soviétique encore en 1917-18 à Akmolinsk, Korolev était commandant de notre détachement rouge.
Pendant le renversement du conseil des députés il fut prisonnié et envoyé sous escorte à Petropavlovsk avec les gardes-rouges arrêtés. Nous nous sommes rencontrés avec Korolev au camp de Petropavlovsk. S'étant libéré, Korolov partit chez lui et peu après prit la tête des insurgeants.
Le bourg d'Amantaï devint le fil conducteur du peuple révolutionnaire. De là les messagers allèrent au grand train de tous côtés avec l'appel de combat. De tous côtés les paysans commencèrent à arriver à Amantaï sous le drapeau rouge. L'armée d'insurrection prenait de l'essor jour et nuit. On dressa le plan de la conquête d'Atbassar et Akmolinsk.
En plein désarroi les administrateurs et les bourgeois d'Atbassar et Akmolinsk commencèrent à envoyer les télégrammes à Omsk, en demandant de l'aide à Koltchak. En réponse Koltchak y lança immédiatement les détachements punitifs de Koustanaï, Omsk et Petropavlovsk. Les monstres connus, les chefs cosaques Katanaev, Volkov et Chaïtanov géraient les punisseurs. Les détachements de garde-blanc partirent d'Akmolinsk et Atbassar pour Amantaï. Les bourgeois de ville d'Akmolinsk et d’Atbassar avec les représentants peu nombreux d’Alach-Orda passèrent volontairement aux gens de Koltchak.
À l'heure donnée Amantaï fut entouré de tous les côtés: du sud c’était fait par les gardes-blancs d'Akmolinsk, du nord les blancs d’Atbassar furent et de l'est les blancs de Koustanaï furent. Les détachements de Katanaev et de Volkov arrivèrent en automobiles aux mitrailleuses. Une mitraillade commença, le village se trouva sous la pluie de balles. Comme si mille éclairs tombèrent d'un coup sur la terre.
Les héros courageux d'Amantaï luttaient jusqu'à la dernière balle, sans laisser l'ennemi s’approcher. Quand il n’y eut plus de cartouches, les gens d'Amantaï quittèrent le village. Les punisseurs renversèrent Amantaï. Le sang humain coulait comme une rivière à cause de sabres des gardes-blancs.
On arrosait les maisons de pétrole et incendiaient. Les vieillards et les vieilles, les femmes et les enfants se précipitant dehors étaient pointés avec les épées-baïonnettes des gardes-blancs, foulés par les chevaux, écrasés avec les roues des automobiles. On emplit Amantaï gémissant avec les cendres et on l’inonda du sang...
Les roublards lâches d’Alach-Orda ne furent pas en arrière de leurs maîtres. Le membre du comité d’Alach-Orda d’Akmolinsk le mercanti Tachti Noussertchin y étant arrivé volontairement en emportait en breaks son butin sanglant.
Les loups enragés réduirent le bourg héroïque en poussière. On collecta près de soixante-dix Kazakhs et Russes à Akmolinsk et, les ayant considérés comme adeptes des bolcheviks, on les fusilla. Les officiers fusillèrent en une nuit tous les ouvriers construisant du chemin de fer près d'Akmolinsk. Tous les gens "sympathisant" aux bolcheviks furent capturés, punissaient avec les verges et jetés en prison. Mon ami le professeur Nourgaïn Bekmoukhammetov laissé à cause de maladie dans la prison d’Akmolinsk, fut fusillé sans forme de procès. Les arrestations totales des ouvriers de Karaganda, de Spassk et d’Ouspenk commencèrent. On arrêta Orynbek Bekov, P.Yumachev, Bloudin, Ouchakov, Khassen Moussin.
Une fois à côté de l'usine Nourmak Baïssalykov par mégarde prononça le mot le "camarade". Pour cela les soldats de Koltchak le fouettèrent, firent une perquisition dans son appartement, effrayèrent sa vieille-mère et ses soeurs, en tirant des fusils au-dessus de leurs têtes. Nourmak fut mis en prison à Akmolinsk et rendu libre seulement après la requête du riche Tatar Babaev.
Les scélérats d’Alach-Orda capturèrent et mirent en prison l'aide-médecin Adilbek Maïkotov, le révolutionnaire, le membre de l’ancien conseil des députés à Atbassar. Les gens d’Alach-Orda obtinrent sa fusillade. Quand les sangsues menaient Adilbek pour le fusiller, son fils natal se mit à le suivre en courant!
Adilbek s'arrêta pour dire adieu à son fils. Les bourreaux acharnés épaulèrent les fusils pour tuer le fils avec le père... Adilbek n'ayant pas dit adieu seulement fit au revoir de la main et continua à marcher. Dans cent pas il fut tué atrocement.
On fusilla notre camarade Makalkin échapé du camp d'Omsk à Akmolinsk.
J'ai raconté un millième de ce que le peuple avait vu. Tout cela c’est seulement miettes dépareillées de toutes les actions ignobles des messieurs "formés", "humains", " humanitaristes"...
Peu après les contre-révolutionnaires d’Akmolinsk commencèrent à me chercher aussi.
Le chef de la milice de district de Kolchak à l'usine d’Ouspensk était Efremov. Nous avec Efremov faisions ensemble nos études à Akmolinsk. Ayant entendu dire que je me cachais dans l'aoul natal après l'évasion du camp, les fonctionnaires d’Akmolinsk envoyèrent à Efremov l'ordre confidentiel de m'arrêter en urgence.
L’un de nos djiguites débrouillards alla à Ouspenka et m'emporta la note d’Efremov. Le chef de la milice disait que l'on avait reçu la prescription secrète de capturer Saken et le livrer en ville, mais Efremov avait répondu que: " on n’a pas entendu rien dire sur l'arrivée de Saken à notre district". Il me conseilla de me garder et ensuite, quand les bolcheviks viendraient, ne pas oublier ce service rendu par Efremov.
Je ne sentais pas de danger particulier, en connaissant que les gens de notre région ne me livreraient pas. Les Kazakhs n’avaient non plus trahi les fugitifs auparavant. Encore dans mon enfance je voyais moi-même plusieurs gens se cachant des poursuites du pouvoir tsariste.
Ils vivaient librement dans nos parages, et certains d’eux même restèrent là, se nous apparentèrent.
Mon état fut illégale, mais néanmoins les intendants de deux nos volostes me consultaient sur de différentes questions. Ces jours-là on reçut l’ordre de prendre de chaque voloste à titre de l'impôt vingt chevaux. Selon mon conseil dans notre voloste de Nildinsk (Ouspensk) ces chevaux furent pris des beys.
Je ne pus pas partir tout de suite à Tourkestan, parce que la route était lointaine et difficile.
À l'époque le chemin à Tourkestan passait à travers la steppe de Golodnaïa située au centre du Kazakhstan. De notre aoul à steppe de Golodnaïa il fut environ trois cents verstes.
Plus c’était les terres de Turkestan, où il n’y avait que des sables. La steppe de Golodnaïa était une plaine aride, jaune triste, où les saïgas, les loups et les renards habitaient. Dans la steppe de Golodnaïa il n'y avait ni lacs de miroir de Sary-Arka, ni rivières abondantes en eau, ni vallées fertiles, ni sources sonores de montagne.
Encore Assan-Kaïguy[129], selon la légende, disait que la steppe de Golodnaïa était une steppe sablonneuse, séche, déserte. Il n'y avait pas là ni prairies vertes savoureuses, ni plateaux avec le stipa duveteux, ni bois.
La terre grise fanée était couchée comme un cadavre enveloppé d’un linceul. Il y avait là l’abstinthe verte foncée chicaneuse, l’izène (l'espèce de l’abstinthe) rouge rare et le salsola, le buisson nain. On rencontrait parfois des puits abandonnés effondrés semblables aux yeux des aveugles. Ils n’avaient pas beaucoup d'eau, et elle fut en plus salée. En eux il y avait les grenouilles, les souris, le panicaut et les insectes.
Sur la frontière entre la steppe de Golodnaïa et Tourkestan coulait la rivière de Tchou. Nos aouls péripheriques hivernaient sur cette rivière.
Pour y aller de Sary-Arka, ils traversaient toute la steppe de Golodnaya. Les aouls partaient pour l'hivernage en automne avancé pour avoir chemin faisant l'eau de fonte, et revenaient à Sary-Arka au printemps, quand la neige ne fondait pas encore complètement. Pour cette raison-là je m'attardais à la maison en attendant le déplacement des aouls péripheriques sur le Tchou.
Du côté d'Atbassar des voyageurs vinrent chez nous. Je m’informais de l'insurrection à Amantaï, à Koustanaï et de l'activité de l’ Alach-Orda de Tourgaï. J’appris que Sabyr Sharipov avait déjà réussi à passer à l'Ak-metchet (Perovsk - à présent c’est Kzyl-Orda), où on établit le pouvoir soviétique. Sharipov s’enfuit par les districts d’Atbassarsk et Tourgaï. Je vais parler de lui plus tard, parce que les événements éprouvés par Sabyr, sont semblables à une légende...
Je réussis à contacter Akmolinsky et recevoir la nouvelle de Baïmagambet, qui s'était libéré du camp d'Omsk. Plusieurs camarades malades étaient morts dans le camp. Certain survivant avait réussi à s’enfuir, les autres furent envoyés à l'Extrême-Orient. Baken fut mort, le Tatar Khafize fut mort.
ENCORE UNE FOIS SUR L'ALACH-ORDA DE TOURGAÏ
En mars 1918 dans la ville d'Irguize le pouvoir soviétique s'établit, mais seulement pour quelque temps. Au début de mois de juin 1918 les révoltés tchécoslovaques renversèrent le pouvoir soviétique en Sibérie. Le chef cosaque d'Orenbourg Doutov arriva avec son détachement de Tourgaï à Irguize et établit son pouvoir. Après quatre ou cinq mois, environ en octobre, à Irguize il y avait de nouveau le pouvoir soviétique. Ses organisateurs les plus actifs étaient le professeur Baïmen Almanov et le camarade Kisselev. Peu après, ayant passé la mer Caspienne, le camarade Zhanguildin arriva au front d'Aktiubinsk. Avec une caravane de chameaux chargés de l'arme, des cartouches, des munitions, il traversa le désert d'Adaya sablonneux, livra l'arme à l'Armée rouge, et puis avec un détachement peu nombreux arriva à Irguize.
Ensuite une partie de détachement avec Almanova à la tête partit d'Irguize à Tourgaï et y établit le pouvoir des Soviets. L’Alach-Orda de Tourgaï passa à un des aouls lointains du district et en mars 1919 commença à négocier avec les autorités soviétiques de Tourgaï.
"Maintenant nous sommes d'accord de nous soumettre au pouvoir soviétique, - les gens d’Alach-Orda disaient. - Donc permettez-nous d'entrer dans la ville avec notre détachement et sans nous se désarmer..."
Zhanguildin se trouvait à Irgize. Ayant consulté les camarades, Zhanguildin accepta la proposition de l’Alach-Orda et appela chez lui l’un de ses meneurs: Akhmet Baïtoursounov.
Ayant mis à l'intérieur les oreillettes des tymaks, en échangeant des coups d'oeil, avec les sourires rusés, en trônant fièrement sur leurs chevaux bais avec le chanfrein blanc, les gens d’Alach-Orda entrèrent à Tourgaï et commencèrent à s'installer tranquillement.
Ils introduirent leurs hommes au conseil des députés. Karim Toktybaev devint adjoint du chef du bureau de recrutement à leur initiative. Doulatov et Espoulov s’occupèrent du travail politique et social. Quand Baïtoursounov avec Zhanguildin partirent pour Moscou, l’Alach-Orda se révolta, déclara Tourgaï "à lui", et le chef du bureau de recrutement Amangeldy Imanov appelé au post par Zhanguildin, et ses amis fidèles mit en prison.
Peu après les partisans rouges, qui avaient laissé Koustanaï sous la poussée des gens de Koltchak armés jusqu'aux armes, arrivèrent à Tourgai.
Les partisans rouges nourrissaient l'espoir sur pouvoir soviétique à Tourgaï. Le premier le commandant du détachement Taran vint à Tourgaï en compagnie de dix camarades fidèles. Les gens d’Alach-Orda fusillèrent tout de suite Taran lui-même et ses deux camarades, et les autres mirent en prison. Après cela le détachement d’Alach-Orda avec le commandant à la tête, qui savait charmer et duper l'adversaire, partit à la rencontre du détachement de Taran. On ouvrit le dialogue avec le détachement de Taran.
Les partisans, en sentant quelque chose de sinistre, furent en alerte. Mais gens d’Alach-Orda répétaient instamment:
- Tourgaï se trouve sous la domination du pouvoir soviétique. Nous sommes le détachement de Soviets. Nous ne vous connaissons pas, c'est pourquoi nous voulions nous garder de vous. Si vous voulez entrer à Tourgaï, déposez les armes. Si vous êtes vraiment rouges, à la sortie de Tourgaï nous vous rendrons vos armes... Si vous n’êtes pas d’accord de déposer les armes, nous ne vous laisserons pas entrer à Tourgaï. Voici notre mandat donné par le commissaire soviétique Zhanguildin...
S'étant trouvés dans une impasse, le détachement de Taran remit l'arme à l'Alach-Orda. Ses commandants furent tout de suite arrêtés, et le détachement désarmé, n'était même pas admis à Tourgaï, fur chassé pour Atbassar.
Après le détachement de Taran les partisans rouges de Zhelaev vinrent de Koustanaï à Tourgaï. Zhelaev entendit dire ce que l’Alach-Orda avait fait avec le détachement de Taran, et c'est pourquoi quand le détachement d’Alach-Orda vint à la rencontre de Zhelaev, il fut rencontré par la pluie de balles.
Les gens d’Alach-Orda coururent de côté et d'autre. L’Alach-Orda de Tourgaï, en reculant, tua Amangueldy Imanov et ses camarades. Zhelaev occupa Tourgaï, fit le plein de la provision nécessaire, vint chemin faisant à Irgize, où il y avait déjà le pouvoir soviétique, et fit partie de l'Armée rouge.
Après le départ de Zhelaev l’Alach-Orda revint à Tourgaï et commença à créer l'armée. En mai 1919 le détachement d’Alach-Orda arriva à Irgize, quand s’y trouvait le détachement peu nombreux et mal armé de l'Armée rouge. L’Alach-Orda occupa Irgize, y établit son pouvoir. Certains membres de l’ancien comité exécutif d’Irgize (comme par exemple: Zhamounmourounov, Toïbazarov et Souguirbaev) commenèrent à se faire bien venir auprès de l'Alach-Orda. Les camarades Almanov et Kisselev partirent à travers Tchelkar pour se réunir avec les parties de l'Armée rouge faisant la guerre au front.
Pour la coopération avec les bolcheviks à Irgize, pour le lien avec eux, les gens d’Alach-Orda fusillèrent huit Kazakhs. Parmis eux il y avait les professeurs Almène et Kaïnarbaï, le forgeur Moldakoul et les autres. Pour l'appartenance aux bolcheviks on fusilla à Tourgaï dix-huit Kazakhs.
Telles furent les actions de l’Alach-Orda de Tourgaï. Voici eux, ses meneurs eclaires:
Myrzhakip Doulatov, Akhmet Baïtoursounov, Eldes Omarov, Telzhan Chonanov, Myrzagazi Espoulov, Salimguirei Karatileouov, Asfandiiar Kenzhin, Karim Toktybaev et plusieurs autres.
J’ai dû citer les actions sanglantes de l’Alach-Orda de Tourgaï pour que le lecteur s'imagine plus clairement la situation de cette période-là...
NOUVELLES POURSUITES
L'automne s'approchait. Tout faisait sentir que Koltchak s’étouffait. Des détachements des voleurs, des agents secrets, des patrouilleur commencèrent à apparaître dans les aouls.
Une fois devant le coucher du soleil notre aoul s'alarma. On se trouvait dans le creux de Karaozek. Je me trouvais dans la rue portant les vêtements kazakhs.
De l'est deux cavaliers apparurent étant assis maladroitement sur les chevaux. Étant arrivés au galop à l'aoul voisin, ils vinrent vers la yourte de bey, mais ne mirent pas les pieds. Ce furent des soldats. Les habitants de l'aoul se réunirent instantanément près d'eux. Je m’y dirigeai pour apprendre les nouvelles que les soldats apportèrent.
À ce moment-là un cavalier au kourouque[130] se détacha de la foule et prit le galop dans ma direction. Je reconnus le gardien de chevaux de bey Arèche. Avec le mouvement imperceptible du fouet il me fit le signe de retourner immédiatement. Moi, ayant fait semblant d’être occupé par quelque chose, je m’assis sur l'herbe. Arèche pâle effrayé, s’étant approché de moi prononça en passant:
- Ils te cherchent! Monte vite à ce cheval et galope vers notre troupeau, à la steppe!
Je montai au cheval d’Arèche, pris kourouque en mains et, sans m'empresser pour ne pas provoquer les soupçons, je partis vers le troupeau de bey.
Je regardais l'aoul de loin. Le soleil se coucha, les crépuscules tombèrent. Les soldats ont prirent un accompagnant de l'aoul et passèrent devant le troupeau de bey quelque part suivant la trace fausse.
Dans un certain temps Arèche vint pour moi, et je revins à l'aoul.
La nuit fut angoissée... Les soldats passèrent la nuit dans un aoul voisin, chez notre parent étant autrefois arbitre et intendant de voloste. Peu après un djiguite arriva au galop chez nous avec la même nouvelle: "Les soldats demandent de leur livrer Saken! Il faut leur donner un pot-de-vin. Que Saken trouve de l'argent!"
On commença à tenir conseil. L’un de mes parents avec le djiguite venu allèrent chez une veuve riche[131], aussi ma parente, consultèrent et m'appelèrent. Ils décidèrent de donner un rachat pour moi.
Je ne dis pas oui. Le djiguite partit, mais revint bientôt avec la même proposition: "Il faut donner le pot-de-vin, sinon ça ira mal!"
Je me fâchai sérieusement: "Si vous voulez me faire quelque chose de bon, ne dites pas sur le pot-de-vin! Donner le pot-de-vin, cela veux dire me livrer, me trahir!.."
Après cela les intermédiaires ne revenaient plus. Je craignais de coucher dans l'aoul et allai au cimetière. Dans la nuit j’entrai au mazar[132] de briques brutes, enjambai les tombes et me couchai sur l'herbe dans un coin.
De bon matin l'aoul se déplaça aux montagnes.
CHEMIN À TOURKESTAN
Il fit froid. Les aouls lointains commencèrent se déplacer dans la direction de Tchou à travers la steppe de Golodnaïa. Je décidai lever le camp aussi. Il fallut trouver le compagnon et le cheval. Il n’était pas facile de trouver le compagnon de route pour une telle voie lointaine, à un tel temps pénible. Qui laisserait son aoul, ses parents, ses enfants et sa femme pour partir aux pays étrangers? Seulement celui qui était poursuivi par les autorités, qui ne pouvait plus rester au pays natal.
Néanmoins je trouvai les compagnons de route. Mais nous ne pouvions trouver aucuns chevaux. Mon père avait un hongre, un étalon et près d’une dizaine de juments avec les poulains. L'étalon était pas très bon, le hongre était solide. Mais c'était le seul cheval, auquel mon père partait chasser en hiver. Il n’y avait pas d’argent pour acheter un cheval. Il y avait des parents riches, mais le jours, quand sur ta tête le malheur tomba, ils ne furent plus tes parents, au contraire, ils se réjouissaient de ton malheur et se moquaient.
Mais quand tu es "en grade", quand tu es fort et argenté, quand tu ne marches pas à pied, mais vas en voiture et aux chevaux postaux, tu as beaucoup de parents, d’amis et de chevaux. Quand j’arrivai à l'aoul après mon évasion, de mes parents seulement Daouletbek s’était trouvé bon et m'aavait donné le cheval. Mais il maigrit beaucoup, fut très jeune et n’était pas bon pour une voie lointaine.
Je me trouvai dans la situation difficile, m'éreintai complètement en demandant mes riches parents de me donner les chevaux chez. Je ne m'adressai pas aux parents pauvres, parce qu'eux-mêmes, ils avait leurs morceaux taillés. Combien d’humiliations dus-je supporter dès mon enfance à cause de l'absence du chariot! Quand je fus encore enfant on m’envoya à l'usine d’Ouspensk pour étudier la langue russe. Mon père me mit sur le chameau derrière le dos d'Akildek, le frère cadet de notre parent Raïsse. Je revenais à la maison derrière le dos de Raïsse sur le chameau, ou avec Douken, qui allait à l'usine chercher son fils.
Je reçus un satisfecit du professeur de l'école russe-kazakhe d’Ouspensk Roman Nikolaévitch Sklyankin et est partis à Akmolinsk. Pour les vacances d'été je revenais à l'aoul au charion chargé du marchand de notre aoul Omar aux jambes longues, ou sur le chariot du petit commerçant de notre aoul Sadyk Zhamanov qui portait à l'usine d’Ouspensk de diverses marchandises d'épicerie de Petropavlovsk, ou sur le chariot du marchand Salkaï du clan voisin de Tarakty de la voloste de Soransk...
Et à Akmolinsk j'allais sur les chariots étrangers. Et à Omsk aussi. L’"orfèvre" Moukhamedzhan Manasypov me transportait sur son chariot, Kozhamberdi Sarsenov le Kazakh de la voloste de Sarytaousk du district d’Akmolinsk, appartenant à la génération de Toungatar, me transportait sur son chariot. Même après à 1916 quand je terminai mes études au séminaire et "devins un homme", les parents riches ne me donnèrent pas le cheval pour gagner au moin le bourg le plus proche.
Et ils avaient les troupeaux de chevaux pâturant dans la steppe. Et seulement les enfants d'un parent pas riche Ibraguimbek donnèrent leur cheval rouan-pie...
Si tu es fort tu as beaucoup d’amis et de chevaux. Si est pauvre tu n’as ni parents, ni chevaux.
"Si tu es pauvre, même ton père t’est étranger", "si tu demandes à l'étranger, il a les clés du coffre au ciel..." les proverbes, qui convenaient beaucoup à ma situation, disaient.
Finalement, je sellai un cheval roux à courte queue de mon père. Mon compagnon de route ne trouva pas de cheval, et je décidai de traverser la steppe de Golodnaïa seul.
Ensuite j’entendis dire qu’un djiguite connu par moi de la génération d'Altaï, d’une des branches de la grande génération d'Argyn de la voloste d'Aktaou, fut prêt d’aller à Tchou pour y passer l'hiver. On s’entendis d’aller ensemble avec cet homme.
Je fus accompagné par mon père et encore deux parents.
Quatre masures solitaires, quatre maîtres de faible puissance allaient se déplacer eux-mêmes par la steppe de Golodnaïa, par les montagnes et les rochers, à travers le désert.
Les montagnes de Sary-Arka furent semblables aux visages de vieillards qui en avaient vu de toutes les couleurs, aux visages renfrognés aux rides profondes. Derrière des monts il y avait les collines, le plateau. Quand on les passait on voyait les steppes mortes, sand bois, sans herbes.
À l'aoul solitaire quatre ou cinq personnes avec les huttes chargées sur les chameaux se rallièrent. C'étaient les djiguites bien familier avec l'aoul, ils appartenaient aux clans de Tarakty Madibek, Akberguen et d’autres. Ils étaient allés à Akmolinsk pour porter plainte contre un chef de voloste et en revenaient, n'ayant rien obtenu. Nous fîmes vite connaissance, trouvâmes le langage commun et nous accointâmes. Ils furent tous les djiguites sincères, affables et courageux. Ils me racontèrent la multitude de nouvelles d’Akmolinsk.
Ce temps-là nous allions suivre ensemble les traces des aouls, se déplaçant plus tôt. Les chemins de la steppe de Golodnaïa furent dangereux pour les voyageurs solitaires, il y avait beaucoup de brigands et de voleurs là.
C’était nuit. Je dormais dans la maison en argile, et mon père fut dans la yourte. Je fus réveillé dans la nuit par le fils du maître de l'aoul qui s’appelait Kochkinbaï.
- Qu'y a-t-il? - je demandé, en me frottant les yeux.
- Ah, lève-toi, il y a une affaire intéressante! L’un est Kazakh, et l'autre, semble d’être Russe, ils couchent à l'aoul voisin. Ils vont de Balkhach, où ils avaient été conducteurs chez les officiers russes. Maintenant ils reviennent chez eux, - il murmura.
Quelques jours avant ce jour-là douze Russes armés jusqu'aux armes passèrent dans ces places, la plupart d’eux furent officiers. Ils se dirigeaient au Balkhach. Ces deux hommes-là les accompagnaient.
Ils vinrent à l'aoul aux chevaux avec la marque de Choubyrtpaly Agybaï. Le harnais en argent, les besaces garnies d’objets. Probablement ils revenaient avec butin pillé dans les aouls...
Je me rappelai à la fois que devant notre aoul douze Russes passèrent aussi. Parmi eux il y avait une femme. Les gens disaient qu'eux, ils devaient être tous officiers. On disaient aussi qu'ils avaient pris six ou sept nos meilleurs chevaux.
Le jour vint d'éclore... Kochkinbaï me proposa d'aller à l'aoul voisin et "contrôler les papiers" des nouveaux venus de nuit.
On alla avec Kochkinbaï et encore deux djiguites. L'aoul fut agité. C’était le jour sombre d'automne. Les Kazakhs réunis faisaient du boucan bruyamment comme les corbeaux. Nous entrâmes à l'isba, où les conducteurs couchaient. Je reconnus à la fois celui qui on appelait le "Kazakh de poste". C'était Rakhimzhan aux yeux bleus, qui s'était approché autrefois de la grille de la prison d’Akmolinsk et nous avait apporté les journaux.
Le deuxième homme fut aussi connu par moi, c'était le Tatar de l'usine d’Ouspensk Baouetten. Mais ils ne me reconnurent pas. On commença à parler. Je compris à la fois que les Kazakhs locaux voulaient prendre d'eux un rachat solide.
Baouetten se présenta comme un monsieur russe parlant un peu kazakh. Je fis semblant de lui confier.
Le professeur local d’aoul vint et demanda les documents aux "messieurs". Ils les montrèrent. En me trouvant près du professeur, je jetai un coup d'oeil de derrière son épaule sur leurs papiers.
On y demandait de donner à leurs détenteurs l'assistance de toutes sortes. Sous les documents il y avait des signatures: "Le colonel... L’officier d'ordonnance..."
Baouetten, en tâchant de cacher l'émotion, parfois criait en russe:
- Les chevaux sont-ils prêts là? Mais il n’y a pas de chevaux...
Rakhimzhan m'a demandé de sortir, me prit à part.
- Je viens d’apprendre que vous êtes Zhoumakas, - il commença.- Vous êtes notre beau-père. Moi, je suis le proche parent de Skandir Kalpemouratov... Le Dieu désirait que nous nous rencontrions. Aidez-moi, cet aoul nous a attaqué. Nous accompagnions jusqu'au Balkhach quelques messieurs. Faisant le chemin de retour on s’arrêta ici, et on nous a volé les chevaux pendant la nuit, on a pris tous les vêtements, tout le harnais, toute la provision et ils ne nous donnent même pas le chariot. Que cet aoul est de brigand! Bien que vous soyez de district de Karkaralinsk, mais ils vous écoutent. Dites-leur de nous rendre nos choses... On dit, que non loin d’ici se trouve notre parent Seifoulla, emmenez-nous chez lui...
- Quel Seifoulla? - je demandai.
- Connaissez-vous Seifoulla, le père de Saken?.. Et vous ne connaissez Saken non plus?.. Nous étions amis avec lui. Maintenant il s'est libéré de la prison et est parti à Tourkestan!
Trente minutes après je ramassai pour Rakhimzhan ses besaces, une partie de ses choses, le harnais et l’accompangai à l'aoul voisin, où mon père s'était arrêté.
Je ne pus pas trouver les chevaux, auquels ils étaient venus. Les propriétaires ne se chagrinaient pas beaucoup, parce que les chevaux n’étaient pas leur propriété. Et les objets appartenaient aussi aux Kazakhs d’aoul.
Chemin faisant Baouetten confessa qu’il était Tatar.
Dans la yourte du maître de l'aoul, où mon père s'arrêta, quinze personne se réunirent: Rakhimzhan, Baouetten, Madibek et les autres.
Rakhimzhan faisait la dombra, me regardait en disant: "Mon beau-père Zhoumakas!".
Les gens étant assis autour, se détournèrent, rirent tout doucement. Rakhimzhan ne remarqua rien de suspect.
- Le pauvre Saken, ce lui qui était dombriste! - il s'exclama. - à Akmolinsk nous avons frequenté avec lui les salles de koumys. En buvant du koumis, il prenait la dombra et, en jouant d’elle, chantait les chansons. Comme il était bon!
Madibek demanda:
- Vas-y, chante pour nous une des chansons que Saken exécutait.
- Oui, oui! Vas-y, chante! - les autres soutinrent.
Rakhimzhan fut content.
- Bien... Saken aimait une chanson composé par la fille du Russe Egor qui vivait parmi les Kazakhs de la génération de Tinali. La chanson s'appelle "Doudaraï". Encore il aimait "Zoulkiia".
On demanda Rakhimzhan de chanter "Doudaraï".
Maria fut la fille d'Egor. Quand elle eut exactement seize ans, elle tomba amoureuse du Kazakh Doudar et composa cette chanson...
Je suis une fille d’Egor, je m’appelle Maria,
J’ai seulement seize ans, mais,
Je vous dirai, mes amies:
Je suis fier de mon amour du Kazakh Doudar.
Doudari-doudym,
C’est pour toi que je suis née,
Oh, mon cher aimé,
Doudari-doudym...
L'eau de Touchtchikoulya étincelle dans les yeux,
Et le bonnet de zibeline sur les boucles noirs,
Doudar, oh, Doudar, viens plus vite,
Détruis mon chagrin, dissipe ma peur!
Sur les feuilles blanches inscrivez-vous, les mots!
Un autre fait valoir ses droits sur moi,
Puis-je partir de la maison avec un mal aimé?
Maria est vivante grâce à ton amour!
J'attends, mon désiré, j’attends, Doudaraï.
Mon coeur est triste. Où es-tu? Viens!
Je jetterai les bras autour de ton cou.
Si tu ne m’aimes pas, coupe les mains toi-même!
Je m'appelle Maria, je suis une fille d’Egor.
Seulement toi, Doudaraj, tu peux m'aider!
Ah, si tu me quittes parce que je suis étrangère,
Que la nuit tombale me cache!
Il est déjà tard, et tu ne galopes pas encore ici,
Le malheur est pendu au-dessus de notre amour!
Que le ciel te protège des ennemis féroces!
Reviens plus vite chez moi pour toujours!
Doudari-doudym,
C’est pour toi que je suis née,
Oh, mon cher aimé,
Doudari-doudym...
- Saken l’exécutait exactement comme ça!.. il dit et rejeta la dombra.
Le lendemain Rakhimzhan, Baouetten, mon père - tous avancèrent dans la direction de notre aoul. Chemin faisant visitèrent l'aoul de Seidouali, le parent de Madibek, du petit-fils du batyr connu Baïkozy. On passa quelque temps chez lui.
Dans la yourte le feu brûlait, l’eau dans le pot buillait. Madibek causait avec Seidouali. À côté d’eux un aigle royal fut assis s'étant renfrogné sur le support, la patte accidentée au combat avec le renard noir brun. Seidouali, jaune pâle, aux dents jaunis, avec une petite barbiche pointue, posait des questions sur Akmolinsk, sur la guerre, sur les blancs et les bolcheviks.
- Les bolcheviks vainquent partout Koltchak. Maintenant, probablement, et Akmolinsk est déjà pris... Madibek racontait.
Seidouali s'ennuya brusquement.
- Si les bolcheviks prennent Akmolinsk, dis-moi, est-ce que le fils de ce Seifoulla-là apparaîtra de nouveau? Il est un homme dépravé et malfaisant. Apparaîtra-t-il de nouveau?!
Madibek poussa imperceptiblement mon pied, précautionnant, mais je ne pus plus me retenir:
- Cher aqsaqal, comment le fils de Seifoulla s’est-il montré comme un homme dépravé et malfaisant?
Сейдуали s'secoua, en m'indiquant, il demanda à Madibek:
- Qui est-ce?
- Moi, j’appartiens à la génération de Toka... je suis parent de Saken, le fils de Seifoulla.
- Si tu es son parent, tu dois savoir, pourquoi il est malfaisant. Quand il était parmis les chefs, il a mis à la porte du comité d’Akmolinsk son proche parent l’aqsaqal Bitabar... Comment il n'est pas malfaisant, si en un jour il a divorcé dix-huit femmes à la fois avec leurs maris? Il ne prie pas le Dieu et affirme que le prophète Magomet était une personne ordinaire, comme tous les gens!
Nous partîmes, n'ayant pas dit à Seidouali, qui j’étais.
- Il t'a dit tout ça parce qu’il ne t'a pas reconnu, - remarqua Madibek en riant.
Eh c’est bien qu’il ne me reconnut pas!
DANS LA STEPPE DE GOLODNAÏA
Peu à peu, en s'éclaircissant, les steppes vertes de Sary-Arka se terminèrent. Le stipa épais disparut graduellement.
L’armoise grise, le kokpeck[133] nain gris épineux, des arbustes séchés de boïalytch[134] apparurent. Les hauteurs furent pierreux, les creux furent nus, salifères... Il n’y avait personne...
Nous nous avançions lentement dans cette mer grise. Dix chameaux furent chargés de quatre yourtes avec les ustensiles. La femme du maître de l'aoul menait à cheval la caravane à sa suite. Aux chameaux des vieilles et des gosses furent assis, enveloppés de surtouts usés. La caravane solitaire allait sur les vagues grises du désert silencieux comme une chaîne se balançant régulièrement. Elle fut semblable à la file d’oies nageant dans la mer infinie aux moutons gris. À côté des chameaux trois femmes allaient aux chevaux.
Quatre chiens courent à côté de la caravane tantôt prenant les devants tantôt restant en arrière. En hâtant le troupeau de chevaux, le maître de l'aoul allait avec son petit. Après le troupeau de chevaux un gamin blanc de visage portant le tchekmègne[135] déchiré et la pelisse chassait un troupeau des brebis allant à cheval de trois ans. Nous allions avec Madibek et cinq ou six cavaliers devant la caravane.
Il n’y avait personne autour de nous... La steppe Golodnaïa fut sans bornes. Tous les jours furent pareils...
Nous couchions près du puits "aveugle". Nous construisîmes en un clin d'oeil l'habitation. Nous recueillîmes du boïalytch, qui éclate, comme la poudre. Nous tâchâmes de prendre de l'eau du puits abandonné. Ce fut égale à tout le monde le goût de l'eau, pourvu qu'on la trouvât.
Le thé commença à bouillir vite. La viande fut prête aussi. Nos chevaux mâchaient avec craquement l’armoise. Les brebis et les chameaux pâturaient autour de l'aoul jusqu'aux crépuscules noirs.
Dans la nuit quatre huttes furent semblables au charbon noir répandu dans la steppe déserte sans bornes. En jetant le boïalytch au feu, nous nous groupâmes près du feu et nous tenions des conversations infinies. Nous jouions de la dombra, de accordéon. Deux petites filles chantaient. Parfois on jouait aux cartes dans la lumière du feu...
Nous nous défendîmes deux fois des voleurs de chevaux qui tâchaient de voler nos chevaux.
Madibek s’avança en espérant de trouver enfin un aoul. Je partis avec lui. Nous fûmes cinq cavaliers et un chameau, qui portait une yourte et deux sacs de farine.
On allait jusqu'au soir, mais on ne trouva aucuns signes de l’habitation. Les djiguites de Madibek brûlaient d'envie de s’avancer, ils hâtaient les chevaux, montaient sur chaque élévation pour en voir le plus vite l'aoul. Mais il n’y avait pas d'aoul, et les chevaux furent tout à fait fatigués.
- Mon Dieu, est-ce qu'à côté de Sary -Toranguy il n'y a pas de traces d l'aoul! - les djiguites s'exclamèrent, en fouettant les chevaux.
Quand la nuit fut tombée, nous franchîmes la crête, derrière lui on vit la pente raide et l'abîme maussade. Il se trouva que ce fut cette abîme-là qu’on appellait Sary-Toranguy[136]. La végétation environnante fut incompréhensible, on la rencontrait seulement dans la steppe de Golodnaïa: "mouzhguin", "touïekaryn" (ventre du chameau), "it-siguek"et les herbes et les buissons pareils, dont les noms plusieurs gens n'entendaient même pas.
Nous nous arrêtâmes près du bord de creux.
- Ici les aouls nomades s'arrêtaient toujours, - Madibek expliqua. - Si quelqu'un a passé ici la nuit dernière, aujourd'hui les charbons de leurs feux ne sont pas encore tout à fait froids...
Nous descendîmes des chevaux et commençames à remuer les restes des feux. Le frérot de Madibek Batyrbek trouva des charbons rouges. Nous nous tassâmes tous près de ce feu.
On passa la nuit dans cette place-là. On entrava les chevaux dans l'obscurité, on mit la yourte, on ramassa du boïalytch et on alluma le feu dans la yourte.
Le gardien de chevaux Souïindik, un djiguite aux yeux globuleux, au front abrupt, noiraud, apporta de l'eau. On mit le trépied et on commença à préparer le brouet de farine.
Mes compagnons, en passant chaque hiver aux bords de Tchou, y connaissaient chaque colline, chaque puits sur le bout des doigts. Dans la nuit la plus noire ils ne se tromperaient pas, ils trouveraient l'eau et le stationnement.
On passa la nuit dans la yourte et de bon matin, ayant donné de l’eau du puits "aveugle" aux chevaux, nous continuâmes notre chemin...
À Sary-Arka mon cheval alezan mangeait les herbes bonnes et savoureuses vertes, molles, comme la soie, qui sentait comme un musc: betegué (stipa plumeux), tarlaou, armoise verte, armoise noire, trèfle, bidaïyk (chiendent), kodé (festúca valesiáca), miïa (réglisse) et la multitude d'autres herbes admirables.
Il n’y avait pas d'un tel fourrage dans la steppe de Golodnaïa, l'herbe y fut rare, monotone, séchéet, rigide, poussiéreuses.
L'eau à Sary-Arka fut presque toujours douce, propre et transparente, et il y en a beaucoup. On rencontrait rarement l'eau dans la steppe, et son goût était mauvais.
Sans bon fourrage et bonne eau mon cheval maigrit. Quand le soir je lui caressais le front et flattais le garrot, il me flairait et soupirait lourdement. Le regard de ses yeux tristes me chagrinait... J'embrassai le cou velouté du cheval et serrai mon visage contre ses lèvres... Mon compagnon le plus proche, mon ami intime depuis le temps que j’avais quitté mon aoul natal, c’était mon cheval! Je lui dédiai les vers.
Pourquoi soupires-tu, mon cheval?
Est-ce que tu t’es donné un effort?
Je ne te descends pas depuis
Beaucoup de jours.
Ou c’est parce que tu simplement
comprends mes rêves,
Tu t'ennuies
Du pays paternel? Mon roux,
Tu es devenu camarade au fugitif,
Et avec toi
Je me sens pas si seul. Vois-tu des larmes courire
Sur mon visage?
Moi, je m'ennuie beaucoup
D'Arka! Mais le feu dans mon coeur
N'est pas encore éteint, je te jure, Roux,
Sur Arka:
Tu henniras sympathiquement
Et te joindras à ton troupeau. Le jour heureux se lève sur la terre.
À un des jours frais, ayant monter sur la colline se trouvant sur notre voie, nous fîmes du bruit joyeusement! Au pied de la colline sur une large platière on vit un troupeau de chevaux.
Les gens de Madibek reconnurent ces chevaux à la fois.
- Ce sont les chevaux de Tynys!
- Oui, oui, les chevaux de Tynys!
Nous nous égayâmes. On vit deux cavaliers.
- C’est le bey lui-même!
- Oui, c’est Tynys lui-même! - les gens de Madibek s'exclamèrent joyeux.
L’un des passants portait le vêtement vieux brun, un kouryk[137] à l'épaule, probablement, il fut gardien de chevaux. Le bey lui-même était à un cheval bien nourri louvet au poil jaune avec la crinière noire et la queue noire. Il allait sans s'empresser.
Il portait la pelisse noire, le tymak de renard, les bottes noires aux pieds, la ceinture en cuir argentée.
Les gens de Madibek dirent salam[138] et commencèrent à pleurer comme des enfants. On apprit, que le fils aîné de Tynys venait de mourir. Tynys nous mena vers son aoul. On passa devant les troupeaux. Le bey avait près de six cents chevaux. Le poil fut de couleur jaune étonnante, et la queue et la crinière furent mores.
Les aouls de sept volostes hivernaient sur le Tchou. Cinq d'eux (Tama, Zhagalbaïly et encore deux volostes de Tarakty) furent de la génération d'Arguyn. Tynys fut un homme le plus riche dans deux volostes de Tarakty. Dans les aouls de Tarakty il y avait peu de chevaux et pas de beys vraiment riches. De grandes cours de bey se trouvèrent dans cinq volostes de Tama, Alchyn, Zhagalbaïly.
Nous nous arrêtâmes dans la maison de bey Tynys. L’intérieur fut pas luxueux, le regard ne s’arrêtait sur rien. Dans les aouls au déplacement les biens domestiques étaient d'habitude modestes, comme dans ceux qui se trouvaient avec les troupeaux à l’herbage. On ne peut pas comparer le mode de vie du nomade avec celui de beys de l'Arka, tels, par exemple, comme le Pan Nourmagambet ou les enfants de Nouraly: Olzhabaï et Barlybaï. Ceux-là furent le sang bleu, ils dédaignent de faire les gros ouvrages.
Dans l'aoul de Tynys nous nous sommes divisés. Les gens de Madibek firent leur chemin, et nous avec le petit-neveu de Madibek Batyrbek, en excitant les chevaux, cherchions jusqu’au soir l'aoul du beau-père de Batyrbek. On le trouva à peine, y passa la nuit, et le lendemain on arriva à l'aoul de Madibek.
À ce moment-là l'aoul qui nous suivait arriva. Je commençai à chercher Kochkinbaï, mais il était parti quelque part.
Dans l'aoul il y avait quatre yourtes laides. Les trois d’elles furent de pauvre. On pouvait considérer comme moyenne seulement l'économie du chef de l'aoul.
À Aktaou, Ortaou, Atassou vivaient les Kazakhs de la génération l'Altaï, qui se rapportait, à son tour, à la génération d'Arguyn. Les gens nombreux d’Altaï occupèrent douze volostes. Après eux le plus nombreux et puissants furent karpyks: ils vivaient dans neuf volostes.
De quatre yourtes de cet aoul-là amical l’une appartenait au Beau Syzdyk. Dans deux volostes de Tarakty beaucoup de gens s’appelaient Syzdyk. Deux d'eux furent riches et très connus. Le troisième Syzdyk, bien qu’il fût pauvre, devint célèbre aussi. Et pour distinguer ces trois Syzdyks, les gens leur donnèrent encore les surnoms supplémentaires.
Des riches Syzdyks l’un eut une grande barbe noire, la face large, les yeux de couleur différente.
Le peuple le surnomma Syzdyk Brun Noir. Le deuxième bey Syzdyk fut maigre, un peu courbé, faible. Le peuple le surnomma Syzdyk À Larges Pans. Et le troisième, le pauvre Syzdyk, on surnomma Syzdyk Sans Cheval. Mais certains gens, considérant ce surnom humiliant, l’appelèrent le Beau Syzdyk. Certes, ce surnom lui plaisait plus.
Les gens s’habituèrent à ces surnoms et n'appelaient tous les trois que Brun Noir, À Larges Pans, Beau.
Ce fut ce Beau-là dont je demandai de Kochkinbaï. Il sourit et répondit presque en chuchotant:
- Il est allé chercher un bon mouton pour le déjeuner.
Ce Syzdyk-là était en fait beau, gandin. C’était dommage seulement que les moustaches et une petite barbiche fussent un peu rares. Il était évident qu'il soignait sa mise, soignait son visage, arrache les cheveux mal plantés, épilait les sourcils avec pincette, qu’il portait toujours dans sa poche.
Bien qu'il fût pauvre, il tâchait de s'habiller d’une manière la plus élégante. Il portait le malakhaï de renard sur la tête, les itchiguis avec les caoutchoucs aux les pieds, un tchekmègne gris en drap, un bechmet fin sous le tchekmègne. Il portait le pantalon long. Entre le tchekmègne et le bechmet il portait imperceptiblement (non pour la beauté, mais pour le chaud) un koupi déchiré rapiécé. Le Beau cachait les guenilles, comme la caille cache son nid.
Nous avec le Beau allions aux chevaux vers l'aoul d'Orynbaï. Le jour était froid. Je portais les vêtements kazakhs, l’arguynekaïa (une toque d'astrakan), le koupi de laine de chameau, les bottes avec les baïpaks de feutre, le pantalon mi-laine, sous le koupi je portais la courte pelisse comme le bechmet de peau de jeune mouton. Bref, je fus couvert chaudement, bien que la toque d'astrakan ne fût pas bonne pour les froids d'hiver. Mais néanmoins je n'avis pas encore froid.
Je jettais des coups d'oeil sur le Beau. Sa taille sembla devenir plus fine, mais le Beau faisait comme s’il n’avait pas du tout froid. Le froid se faisait sentir, et je le voyais parfaitement. Le Beau allait à son seul cheval gris, efflanqué, tiré, comme le raisin sec, ses forces furent suffisants seulement pour une courses. Le cheval gris marchait en se courbant, comme un loup affamé. Le Beau fut frigo à son cheval, ses joues rougeoyaient du froid, les cils tressaillaient, mais il tenait ferme.
"Le pauvret! Probablement, dans l'aoul, où nous allons, il y a quelqu'un devant qui il est obligé de se donner des airs", - je pensais et dis:
- Je me demande, s'il y a dans l'aoul d'Orynbaï de belles jeunes filles ou de jeunes femmes?
Le Beau donna un coup de fouet à son cheval, ses yeux étincelèrent.
- Il n’y a pas de jeunes filles, mais en ce qui concerne de jeunes femmes...
En bavardant comme ça de différents sujets, nous arrivâmes à l'aoul d'Orynbaï. Une femme dans les trente ans, aux yeux noirs, au kimechèque blanc orné des perles, sortit de la yourte grise se trouvant à côté de la yourte de l'Orynbaï.
Les aouls nomadisant à travers la steppe de Golodnaïa, passaient toute l'année dans les yourtes et seulement deux ou trois mois d'hiver ils passaient dans les gourbis au bord de Tchou, c’est pourquoi leurs yourte étaient petites, adaptées pour les déplacements infinies.
Comme dans ces petites yourtes basses on allumait sans cesse les feux, elles se couvrirent de suie et devinrent noires. En été seulement quelques beys riches mettent les yourtes blanches au bord de Sarysou. Selon l’apparence des yourtes les habitants d'Arka reconnaissaient tout de suite les "gens de Tchou" et les "gens de désert".
Nous saluâmes la femme, descendîmes des chevaux, la femme prit les brides.
- Oreken[139] est-il chez lui? - Le Beau demanda.
Nous ayant donné la réponse affirmative la femme nous invita à la yourte. Orynbaï fut un homme corpulent avec le visage jaune pâle. Il fut assis à côté du feu et jetait de boïalytch sous le chaudron suspendu.
On jeta vite des charbons au samovar. On mit de la viande de mouton grasse au chaudron...
À tout le Kazakhstan je ne mangeais pas de la viande tellement bonne, comme dans la steppe de Golodnaïa. Et le bétail là se nourrissait des herbes maigres.
... Donc, ayant passé à travers toute la steppe de Golodnaïa, nous nous trouvâmes au milieu des aouls hivernant dans la vallée de Tchou. À cette époque -là notre vie devint plus intéressante. On eut la possibilité de connaître certaines particularités de la vie quotidienne des hivernants kazakhs.
La vie locale se distinguait de la vie dans les clans d'Arguyn, de Kereï, d’Ouak. Je répète que je vivais dans le clan de Tarakty, une des branches de la génération d'Arguyn. Les gens de Tarakty avaient plus de deux mille yourtes, ils vivaient dans deux volostes: Soran et Koïtas. Ce sont les noms des montagnes à Sary-Arka. Une part de gens de Tarakty hivernait dans la montagne d’Arka, une autre était au bord de Tchou. Dans notre voloste la grande génération d'Arguyn fut présentée par les branches de Karpyk, de Toka et d’Enène.
Les représentants de toutes ces branches furent les proches parents l'un à l'autre. Tous eurent les mêmes coutumes, les terres communes, et la vie quotidienne en générale fut identique. Mais il y avait quand même certaines particularités dans le caractère des Kazakhs hivernant sur le Tchou, et je veux en parler.
INTENDANT DE VOLOSTE TCHOKAÏ
Au jour incolore froid nous arrivâmes à deux avec le Beau à l'aoul d'Akberguène comprenant trois yourtes. On descendit des chevaux, les attacha à la yourte et on entra avec salutation chez Akberguène.
Un chaudron fut suspendu au trépied, sous lui le boïalytch brûlait gaiement. À un tel jour gris, froid et maussade il est suffisant d’avoir seulement du feu et de la viande...
Une jeune femme entretenait délicatement le feu. Le plat de mouton commençant à bouillir au chaudron embaumait. Près du feu Akberguène était assis et piochait quelque chose avec un gros tire-point. Sur la place honorable trônait, comme un pieu enfoncé, un homme de l'âge avancé avec la tenue altière. Akberguène sauta, se jeta vers nous avec la salutation: "Soyez les bienvenues!"- et sourit joyeusement.
Nous nous assîmes. Le dignitaire nous salua paresseusement, en traînant ses paroles. Le Beau avec Akberguène échangèrent un regard d'intelligence en souriant, et moi, je fixai des yeux sur le visiteur honorable. Il avait le visage un peu oblongue pâle au nez droit. Il portait le koupi brun, au col fait des pieds de renard. Sur la tête il avait le tymak usé de renard, un peu sale. Il se donnait des airs, fermait les yeux, était assis longtemps les yeux fermés.
"Il se trouve, que dans la steppe de Golodnaïa il y a aussi de gens comme Nourmagambet!" - je pensai.
- Qui est ce jeune homme? – la personne honorable demanda.
- Votre fils connu Saken! - Akberguène répondit. Le "Pan" me regarda doctoralement, plissa les yeux et prononça d'une voix traînante:
- Est-ce le même Saken?!. et il nous démontré encore quelques postures considérables.
- Qui est cet homme? - je demandai à Akberguène. En souriant légèrement il répondit:
- Il est frère germain de mon père, le chef de voloste connu dans la steppe... Tchokaï. J’ai apporté récemment d'Akmolinsk l'ordre de sa nomination au poste de l'intendant de voloste. Et seulement aujourd'hui je lui ai donné cet ordre. Et maintenant je fais le sceau de voloste...
Akberguène me montra un petit morceau rond troué avec le tire-point. À ce moment-là je compris aussi la situation.
- L’intendant de voloste, que Saken lise le document sur votre nomination, - Akberguène proposa.
L’"intendant de voloste" sortit lentement le papier de la poche et me le donna. Je le déploya, vis le sceau et le texte en russe. Un juge d'Akmolinsk appelait quelqu'un par cette lettre de convocation à l'interrogatoire. La date fut vieille. Je demandai avec embarras à Akberguène: "Qu'est-ce que c’est?"
- C’est un ordre du chef de district de nomination de Tchokaï au poste d’intendant de voloste, - Akberguène me répondit.
- Lis à haute voix! - Tchokaï m'ordonna.
Tchokaï commença à regarder autour de lui avec un air digne, regardait Akberguène, le Beau et moi, ne pouvant pas durer en place de la joie.
- Je vous complimente sur votre nomination au poste d’intendant de voloste! - je dit, en rendant le document.
Tchokaï, ayant plié le papier, le cacha délicatement dans la poche. À ce moment-là on entendit le martèlement des sabots, et un cavalier vint tout près de la yourte. Dans une minute on fit entrer dans la yourte un mouton grasse noir de deux ans à une grande queue grasse.
- Allez-y, l’intendant de voloste, dites la prière de bénédiction! – l’homme venu s'adressa à l’" intendant de voloste ", ayant ouvert les paumes et en se préparant à la prière.
Tchokaï nous examina orgueilleusement: moi, le Beau, Akberguène, dirigea son regard sur le mouton grasse, leva les mains pour la prière. Le djiguite et la femme égorgèrent adroitement le mouton noir et commencèrent à le débiter.
- Tu donna ton meilleur mouton pour l’intendant de voloste! - le Beau s'adressa à Akberguène.
Celui-là répondit avec un sourire:
- Non, c'est l’intendant de voloste qui nous l’offre. Le mouton noir c’est un cadeau à moi pour ce papier du chef de district, dans lequel Tchokaï est nominé l'intendant de voloste. Parce que c’était moi qui a apporté le papier!
Je demeurai bouche bée de la surprise.
- Comme ton intendant de voloste est généreux! - le Beau dit avec admiration, et dans sa voix j’entendit l'envie sincère.
Il arrive qu’un chasseur, ayant attrapé le renard rouge foncé, le débite sur la nouvelle neige blanche, ou un autre bon tireur tire avec succès à un grand saïga gras, et le troisième regarde l’un et l'autre envieusement et il reste mécontent de son destin.
Voilà le Beau se trouva, probablement, aussi dans la même situation. Lui il était un pauvre infortuné, bien qu’il fût énergique et fît preuve de savoir-faire. Il était beau, mais on ne pouvait pas manger la beauté avec du pain. Le destin lui dota une apparence attrayante, mais ne lui donna pas le richesse. Et Akberguène fut aisé, il avait assez de bétail, mais néanmoins le sort le nourissait du mouton grasse de Tchokaï. Mais dans la yourte du Beau il n’y avait qu’un brouet noir sans assaisonnement...
En attendant la viande cuire, nous causions et riions. La graisse sur le mouton fut de trois doigts d'épaisseur. La graisse liquide sous la peau était recueillie avec la tasse en bois.
Akberguène, ayant tenu le "sceau" dans la fumée, sortit le bout de papier de la poche, souffla sur le sceau noirci de suie et l’apposa au papier.
- Regarde, c’est bon ça, le sceau de l’intendant de voloste, n’est-ce pas? - il me demanda, en montrant le papier avec la tache.
En effet, le sceau fut à merveille. Avant tout, il était confortable de le tenir dans la main, et sur l'impression on pouvait lire les mots en petits lettres et on d'une belle manière: l’"intendant de voloste Tchokaï".
- C’est bon? - l’"intendant de voloste" me demanda.
- Oui, il est très bon! - je répondit.
- Est-ce que tout est en ordre maintenant? - il demanda à Akberguène.
- Oui, tout! - Akberguène a répondu.
L’"intendant de voloste" regarda l'empreinte sur le papier, prit le sceau dans la main, l’examina de tous les côtés, sortit avec l'air digne et froid le mouchoir de la poche, enveloppa le sceau et le mit dans la poche de poitrine.
- Maintenant je vous félicite! - Akberguène dit à l’intendant de voloste.
- Je vous félicite! - le Beau lui fit écho. L’intendant de voloste, sans changer la pose, répondit d'un air significatif:
- Que soit comme ça! – il ferma les yeux, comme en se livrant à un beau rêve...
Je m'exclamai en souriant discrètement: "La steppe de Golodnaïa, tu as de tels fils aussi!"
Akberguène me fit un clin d'oeil en cachette de Tchokaï:
- Saken, tu es venu de loin. Vous avez entendu parler probablement dans vos régions-là sur deux chevaux de course de l’intendant de voloste nommés Aklak (Chevreau Blanc) et Beskyrka (Cinq monts).
- Oui, oui, je connaissais votre intendant de voloste sans le voir. Nous avons entendu les nouvelles éclatantes sur ses deux coursiers! - je soutint Akberguène.
Tchokaï ouvrit les yeux et fixa les yeux sur moi:
- Sur qui on parle plus souvent: sur Aklak ou sur Beskyrka?
- Votre Aklak est plus populaire! - je répondis.
- Oui, exactement! Il est chanceux, le cheval Aklak, mais comme un coursier Beskyrka le dépasse! – L’"intendant de voloste" me corrigea.
Akberguène s'adressé d'un air entendu à moi:
- L’intendant de voloste est venu à Beskyrka. Tu es expert en chevaux. Après que nous mangerons de la viande, regarde-le et estime ses qualités!
- Je voudrais voir Aklak aussi, il doit être bien nourri ce temps-ci - je répondit.
- Malheureusement, non. Le batyr Bouènebaï[140], le fils de l’intendant de voloste, allait toute l’été à lui et ne lui a pas donné la possibilité de se reposer, - Akberguène expliqua.
- Est-ce que le batyr connu est le fils de l’intendant de voloste? - je demandai.
- Bien sûr! - Akberguène confirma avec plaisir. - S'il entre en colère à cause de quelqu'un, il volera son bétail de n'importe quel terrain, où qu’il se trouve!
- Les noms des batyrs se distinguaient toujours par leur singularité, comme par exemple, Targuyn, Kambar, Alpamys, Saïn. Mais Bouènebaï ça sonne un peu rudement, - je remarquai.
L’intendant de voloste ouvrit les yeux et expliqua:
- Dans la génération d’Ouïsin il y avait un voleur de chevaux connu Bouènebaï. Quand nos aouls arrivaient sur Tchou, il nous attaquait, comme le loup affamé, et faisait peur au peuple.
En croyant aux signes, j’ai donné son nom à mon fils!
Après le déjeuner succulent nous sortîmes accompagner Tchokaï. On vit que Beskyrka fut un cheval peu enviable bai brun.
Tchokaï sourcilleux monta sur son cheval ouvrier et partit.
Nous rîmes avec le Beau et commençâmes à interroger Akberguène:
- Est-ce qu'il t'a offert ce mouton gras? N’as-tu pas honte de le tromper? Et tu dis encore qu’il est le frère germain de ton père, lui.
Akberguène se mit à rire:
- Il n’y a rien d’honteux ici, lui, il est riche... Si je ne mange pas son mouton, quelqu’un d’autre en tout cas profitera de l'occasion... Tel il est né, tel il mourra... Cependant il est rusé, comme Khodzha Nasyr[141] - continua Akberguène.
Son fils est calme, peureux, mais le père ment exprès, le montrant voleur, athlète, brave. Il veut que les gens le craignent et aient peur de toucher son bétail. Il appelle ses chevaux coursiers et aussi avec ruse, soi-disant, le fils est batyr, le voleur fameux, et en plus au cheval-coursier.
Je demandai embarrassé:
- Comment est-il rusé, si on l'a dupé et a reçu pour cela un mouton grasse comme un cadeau?..
- Il n’est pas si benêt, comme les gens pensent à lui. Au printemps il ira dans les cours pour collecter les saucissons de cheval, les cuisses grasses de mouton, en déclarant que ce sera l'impôt et la régalade pour le chef de voloste.
- L'année passée il est arrivé en ma présence chez Altybaï et a demandé sa portion, - le Beau commença à raconter. – La femme rousse d’Altybaï a porté dehors le saucisson gras de cheval et l’a attachée vers la selle de Tchokaï. Et voici avec ce saucisson-là Tchokaï est allé dans les cours, en déclarant: "Chaque année depuis que je suis devenu l’intendent de voloste, Altybaï me donne ma part. Et où est la part destinée à moi de cette cour-ci?"
- Et quoi, est-ce qu’on accomplissent sa demande? - je demandai.
- Plusieurs l’accomplissent... On s'amuse par ce qu'il s'appelle l’intendent de voloste, on le gâte.
- Si les gens plaisantent Tchokaï, et Tchokaï se moque des gens, donc ils sont quittes! - je remarquai.
Khodzha Nasyr immortel, il se trouva que tu habitais dans la steppe de Golodnaïa aussi!..
ACHAÏ
Une fois, quand j'étais assis dans la yourte où il y avait beaucoup de gens, on entendit le martèlement des sabots, quelqu'un arriva et attacha le cheval à la corde ceignant la yourte. Un grand djiguite roux entra. Il avait la moustache courte et les petits cheveux roux sortant au bout du menton. Ses vêtements sotèrent aux yeux: un nouveau tymak de renard roux, couvert de soie bleue striée, un dokha longue usée courte de peau de poulain bai.
Il fut ceinturé de la ceinture sans attrait en tissue, il avait les vieilles bottes avec les tiges courtes aux pieds. Dans les mains il avait le fouet aux manches de spirée.
- Qui est-ce? - je demandai aux gens étant assis tout près de moi.
- Le djiguite connu Achaï!
J’entendis parler beaucoup de lui... Le jour précédent un lévrier d’Achaï avait attrapé le renard... Achaï lui-même avait tué d'un coup de fusil le sanglier... Au combat avec le bandit il lui a pris le fusil... L'année précédente Achaï avait vaincu seul dix cambrioleurs. D'abord il avait fait au dépourvu l’un d’eux descendre du cheval, l’avait encordé, avait dit à sa femme de le garder, avait saisi le fusil, avait monté à cheval et avait dispersé les autres...
Achaï roux ramassé s’assit à côté de moi.
- On dit, que votre lévrier venait de capturer le renard rouge? - je demandai.
- Oui, c’est ça.
- A-t-il été vraiment rouge?
- Quel renard ai-je à votre avis à mon tymak? - Achaï demanda, en balançant la tête.
- Rouge! - je confirmai.
- Et le renard-là a été encore plus rouge que celui-ci!
Quand Achaï allait partir, il m'appela de la yourte et dit qu'il était venu faire connaissance avec moi.
- Je vous propose d’être amis intimes! - il me dit.
Cela me fit plaisir.
- Tu m'es parlé du renard rouge, qui j'avais capturé hier. Je te ferai un tymak de lui et je le couvrirai de la soie fine. Viens demain à notre aoul, ma maison sera la tienne! - Achaï termina énergiquement.
Le lendemain, en m’attendant Achaï rangea sa petite yourte et mit nouveaux feutres. Étant assis près du feu, il jouait de la dombra.
- Il est dommage que mon kobyz se soit cassé pendant le déplacement! - il a dit. - Je joue bien de lui le kuï d’Yklas... Moi, j’entendais Yklas jouer lui-même du kobys. Il était ensorceleur! - Achaï s'exalta.
L'aoul d'Achaï comprenait quatre yourtes pauvres. Achaï lui-même eut la petite yourte grise. Les objets de valeur dans elle furent un lévrier roux et un tymak de renard. Un kabezhé[142] usé en bois et un abdra[143] cassé. Un trépied tortu avec un chaudron courbé, une bouilloire toute couverte de suie, un lit de plumes sale, fin. Seulement les feutres sous nous étaient nouveaux.
Achaï considérait la pauvreté comme quelque chose de très honteux, c'est pourquoi il tâchait de se montrer aisé par tous les moyens.
Le frère cadet d’Achaï à l'entrée dans sa yourte ne se lévait pas plus haut que le feu. Il s'adresse à Achaï, comme à un fonctionnaire, avec un inclination, avec un grand respect.
- Est-ce que quelqu'un a contrôlé le troupeau, dans quelle direction pâture-t-il? - Achaï demanda.
- Les chevaux pâturent dans le ravin noir, je viens de les voir! - le frère cadet répondit,
- Conduis le cheval de Saken au troupeau! – Achaï ordonna. Selon le ton du maître on put penser qu’il avait parfaitement assez de chevaux. Mais peu après je compris clairement qu'Achaï exagérait fortement, en appelant le troupeau seulement la dizaine de poulains agés d’un an et de juments qui appartenaient à toutes les trois cours.
Le soir à côté de l'aoul je vis un petit troupeau, près de cent brebis.
- Je vois que vous avez peu de brebis, - je remarquai.
- Non, pas si peu. Notre troupeau principal se trouve dans notre deuxième aoul!.. il répondit.
Mais peu après je connus qu'il n'y avait aucun troupeau principal. La pauvreté maudite accablait beaucoup Achaï, offensait sa dignité humaine, rognait les ailantes à son âme.
Nous nous liâmes d'amitié avec Achaï. Les soirs on était assis longtemps près du feu. Achaï racontait:
-... L'année passée, tout juste à ce temps-ci, notre aoul s’est déplacé du ravin noir dans la direction de Tchou. Nous n'avions pas assez de bêtes de trait, c'est pourquoi notre yourte est restée sur la vieille place jusqu'au jour suivant. Il n’y avait personne autour de nous.
Dans la nuit nous dormions à deux avec ma femme dans la yourte. Au minuit on a entendu le martèlement des sabots venant de l'est - du côté de l'Arka. J'ai sauté du lit, j’ai mis les bottes et le koupi et par l’ouverture de la porte j’ai vu que le troupeau entier (près de cinquante-soixante chevaux) galopait tout droit vers notre yourte.
Comme les taches noires on voyait les gens, ils faisaient approximativement dix personnes. Ma femme s'est habillée aussi. J'ai deviné que les chevaux étaient chassés par les voleurs de chevaux. Ils venaient du côté de l'Arka. Le troupeau a passé au galop devant notre yourte, et à ce moment-là un cheval fatigué, affamé, probablement, le cheval personnel d'un des voleurs de chevaux, épuisé par les passages infinis, s'est arrêté à côté de la yourte. Quelqu'un s’est approché de lui et voulait le chasser plus loin, mais le cheval s'est mis à courir autour de la yourte, et le cavalier a commencé à le poursuivre. J’ai regardé attentivement par l’ouverture et j’ai vu que le cavalier avait le fusil à son dos.
Pendant qu’il chassait le cheval de la yourte, ses compagnons se sont éloignés. Quand le cavalier passait devant ma porte, je suis sorti d’un bond de la yourte, ai saisi le voleur de chevaux par le pied et l’ai retiré instantanément du cheval. Sans le laisser reprendre ses esprits, je l’ai frappé plusieurs fois avec le poing à la poitrine, j’ai pris de la femme un foulard et l'a mis dans la bouche du bandit.
Je lui ai lié les mains et les pieds, j’ai retiré le fusil, pris de son sein les cartouches. J’ai ordonné à ma femme de garder le voleur de chevaux, et moi, j’ai sauté au cheval et j’ai poursuivi le troupeau. Le cheval du voleur a été vif et fort. "Ho!.." - les voleurs de chevaux ont fait entendre les voix. J'ai répondu, en montrant que tout allait bien, que je les suivais.
Dans la direction, où ils galopaient, il y avait notre clan de Toktaoul. J'espérais tout le temps que les voleurs de chevaux s'approchent de ces aouls, c'est pourquoi je ne les rattrapait pas intentionnellement. On a passé encore un peu, on s’est presque approché de nos aouls. J’ai entendu de nouveau la voix des voleurs. J'ai vérifié soigneusement les sangles et me suis décidé au risque. "Au voleur!" - j'ai crié avec acharnement, j’ai galopé le cheval et j’ai tiré un coup en l'air. Dans la nuit le coup de feu a été entendu de loin.
Les voleurs de chevaux galopant paisiblement ont été mis en désarroi de la surprise. J'ai tiré sur le cheval d'un des voleurs, celui-là a volé du cheval.
- Les voleurs de chevaux sont ici! Les gens, monter tous aux chevaux! - j’ai commencé à crier à haute voix.
On a entendu l'aboiement des chiens de l'aoul et les voix.
Les voleurs se sont mis à courir sans tourner la tête. À ce moment-là j'ai tiré encore et j’ai tué deux chevaux sous les cavaliers. Bref, avant les gens de l'aoul sont arrivés, j'ai eu le temps de démonter trois voleurs. On a capturé ensuite les autres, et seulement trois se sont enfuis.
Des voleurs de chevaux ont fait douze. Parmi il y eu et un toré[144] Zhoussoupbek...
Ayant fini le récit, Achaï tendit les cordes de la dombra.
- Est-ce vrai ce qu’on dit que quand Yklas joue du kobyz lui-même, une chamelle donne plus de lait? – je demandai.
- J'étais encore adolescent, - Achaï commença à raconter, - nous sommes venus à quatre avec Satpaï à la tête à l'aoul d'Yklas... Son aoul se trouvait sur une des îles de la rivière de Tchou dans un haut jonc épais. L'aoul n'est pas visible de l'extérieur. On est entré dans la yourte d'Yklas. Lui il était maigre, grand. Satpaï et Yklas se sont embrassés, et nous avons serré poliment sa main.
Satpaï a commencé à interroger Yklas sur les compétitions dans les aouls d'alentour. À cette époque-là j’aimais passionnément le kobyz et j’dévorais Yklas du regard. Sa posture, toute son apparence me semblaient tout à fait extraordinaire. Il était sérieux, probablement, ne riait jamais. Les doigts de ses mains étaient longs, noueux. Il était lui-même noueux et long.
Beaucoup de gens sont venus dans la yourte. Quand tout se sont placés, Satpaï a dit qu'il s'était ennuyé sans le kobyz d’Yklas.
- Donnez-mi le kobyz. Je ne le tenais pas dans les mains depuis le mort de mon fils. Mais Satpaï a dit qu'il s'est ennuyé sans le kobyz, - Yklas dit.
On donna le kobyz à Yklas. Moi, je le regardais avec l'amour sans détourner les yeux. Yklas, en accordant, a tendu les cordes de kobyz et a commencé à promener l'archet. De dessous des bouts de ses longs doigts un kuï triste, gémissant, poignant a coulé. Mon coeur s’est mis à palpiter plus vite... Le kuï pleurant semblait se coulait de quelque part de dessus, du ciel. Les gens dans la yourte se sont figés. Le kobyz s'ennuyait, se lamentait, sanglotait. M'étant réveillé de la torpeur profonde, j'ai levé les yeux sur Yklas et j’ai vu que la tête de kobyz était comme adhéré à la tempe d'Yklas. En obligeant à sangloter En faisant avec ses deux mains le kobyz pleurer Yklas lui-même pleurait avec le kuï.
Les larmes coulaient sur ses joues et sur la barbiche. Satpaï regardait aussi en bas et pleurait. Je n'ai pas osé bouger, Yklas a coupé brusquement le sanglot plaintif du kobyz... Les gens étaient assis longtemps dans le silence profond, - Achaï finit son nouveau récit.
Je n'entendais pas le kobyz d’Yklas, mais le récit d'Achaï m’influença beaucoup. J’imaginai l'aoul modeste de quatre ou cinq yourtes dans la vallée de Tchou, dans le grand jonc épais... La steppe de Golodnaïa était enveloppée de la nuit. Les étoiles éloignées brillaient au-dessus de la rivière.
Le jonc haut épais entoura les yourtes. Le vent léger soufflait, le jonc se balançait, froufroutait et faisait écho avec son bruit calme au kobyz sanglotant d’Yklas. La nuit noire était partout, pleine de malheurs et de souffrances. La nuit des temps de tsarisme sanglant.
Encore longtemps devant mon regard il y avait une image d’Yklas opprimé, sentant profondément le chagrin de peuple...
ROUTE À LA MAISON PAR LE TOURKESTAN
Il y avait beaucoup de voleurs de chevaux d'Arka poursuivant les aouls, qui s’étaient déplacés au bord de Tchou, pour voler leurs chevaux. Mais les voleurs "de Tchou" à leur tour aménaient chaque jour les chevaux d'Arka.
Un beau jour les voleurs de chevaux ne me laissèrent pas passer: ils volèrent mon seul cheval roux. Tout le bétail de cinq aouls contigus resta sur place. Le voleur choisit seulement mon cheval pour lui-même. Je pensai que pour voler seulement un cheval le voleur de chevaux ne pouvait pas venir de loin. Probablement, nous nous voyions avec lui chaque jour.
Le cheval put être volé par un des gens des aouls locaux. Les Kazakhs volent le bétail de main de maître, mais ils trouvent le butin aussi habilement. On apprit que ce jour-là à côté de l'aoul rôdait un voleur. Mais il n’était pas facile pour moi, le fugitif solitaire, de trouver les gens, qui seraient partis chercher mon seul cheval.
Certes, le voleur égorgea le cheval la même nuit. Donc, autant en emporte le vent. Chaque aoul comprenant trois ou quatre yourtes, volait ensemble. Qui est-ce qui livrerait ses complices? Les gens des aouls étrangers ne pouvaient pas voir le cheval égorgé, car la distance entre les aouls fut grande. Dans une telle région il était difficile de trouver un homme qui avait volé le cheval, mais il était encore plus difficile d’y trouver une personne qui ne volait pas. Cela valait-il de chercher le butin dans tels aouls!?
Nous tâchâmes de parler avec ces voleurs, qui rôdaient cette nuit-là à côté de l'aoul, mais, certes, ils refuser catégoriquement. Ces roublards pouvaient répandre exprès les faux rumeurs pour détourner l'attention.
Donc, avant le départ à Tourkestan je restais sans mon seul cheval...
J’obtins d’Orynbaï pour un certain temps un cheval maigre agé de trois ans, j’invitai à aller avec moi-même un djiguite solide, et nous partîmes pour l'aoul de notre riche parent Magzhan. Autrefois cet aoul-là voisinait aux aouls de la génération de Tarakty, faisait partie de la voloste de Tam.
Vers le coucher du soleil nous arrivâmes à un riche aoul de Zhoumadilda, le fils aîné de Magzhan. On nous accueillit dans une grande hutte noire, où Zhoumadilda vint aussi. On se salua, ont se fit connaissance.
Nous vînmes dans un mauvais temps, au jour du grand chagrin: juste ce jour-là on reçut la nouvelle sur la mort de Magzhan lui-même. Tout l'aoul s'installa dans le deuil, et nous pensâmes qu’on ne pourrait pas satisfaire notre demande. Mais Zhoumadilda le jour de la mort de son père ne traînait pas à la maison saisi par une grande tristesse, mais vint et parlait avec nous. On apporta dans la hutte noire des saxaouls[145] immenses et on alluma un feu chaud.
Vers le soir il devint plus froid, le vent se leva, il neigea, la tempête de neige éclata. Il ne nous inquiétait pas beaucoup, puisque dans la hutte le feu brûlait.
Sur un grand plat de bouleau on servit la viande grasse cuite couverte d’une serviette graissée. La viande fut parfaite: le saucisson gras de cheval, les reins gras, le soubé[146] merveilleux, le zhanbas[147] gras. Zhoumadilda lui-même mangeait avec nous. Après la régalade abondante nous nous mîmes au lit.
Le matin, quand je me réveillai, j’avais la tête moulue, comme si quelqu'un avait recueilli les cheveux à un fort poing et les avait serrés au sommet.
Dans la nuit la neige pénétrait par les fentes dans la hutte et fondait sur mes cheveux, et vers le matin ma tête fut couverte de glace. Il me fallut tenir la tête au-dessus du feu.
Après le thé Zhoumadilda me prit à part et demanda:
- Veux-tu me demander quelque chose?
Je dit franchement que j’avais un grand besoin de cheval.
- Bon, - Zhoumadilda dit sans autre préambule et partit à sa yourte.
Peu après mon compagnon entra dans la hutte et me dit avec sourire:
- Allons-y, le cheval est déjà prêt!
Dans la rue je vis mon cheval boiteux âgé de trois ans en licol, et à côté un beau cheval roux sellé.
Il faisait froid à pierre fendre. La terre fut couverte de neige. Le cheval roux sous moi courait, comme un saïga de steppe.
Sa croupe fut faite au tour, comme celle de lièvre, la crinière de soie, les yeux clairs, sombres et grands, le cheval était beau.
Chemin faisant nous visitâmes le Kazakh aisé Mynzhan, le parent de Zhoumadilda. Son aoul se trouvait à un autre bord de Tchou. On vint, s’arrêta, je demandai au cheval, mais Mynzhan refusa...
Après deux jours, ayant choisi quatre compagnons pour moi-même, je partit pour Aoulié-Ata (maintenant Taraz, ex-Dzhamboul). Mes compagnons (Batyrbek, Zhoussipbek, Rachit et le batyr Souïundik) étaient du clan local d'Ouïssoun. La femme de Batyrbek avait été née dans un de ces aouls.
On arriva vers la rivière de Tchou déjà couverte de glace. Il faisait froid à pierre fendre. Le jour était clair, le ciel était clair comme le miroir: le givre scintillant volait comme la poussière...
Souïundik avec la hache au long manche descendit sur la glace et, en frappant fortement, commença à vérifier sa fermeté. Il marchait longtemps sur la glace aux jonc, jusqu’il trouva une grosse couche de glace la plus solide et capable de soutenir le cheval et le cavalier. Souïundik était un djiguite énergique, noir comme la fonte, trapu. Les chevaux ne pouvaient pas marcher sur la glace glissante, c'est pourquoi Souïundik mit du fumier gelé et du sable sur la trace. Nous descendîmes et nous mîmes à suivre Souïundik à la file. Chacun de nous tenait avec une main une longue bride du cheval, et avec une autre tenait un pan avec le sable. Nous répandions le sable sur le sentier l’un après l’autre. Les chevaux nous suivaient timidement les jambes tremblantes. La glace fine craquait avec bruit, se cassait.
Nous passâmes la rivière de Tchou comme si c’était le pont de Sirat[148].
De l’autre côté de la rivière il y avait une mer sablonneuse, des collines, des broussailles épaisses du saxaoul. Après Sary-Arka il était particulièrement sauvage là.
Vers le soir on arriva chez les parents de la femme de Batyrbek à l'aoul du bout aux approches d'Aoulié-Ata. Tout ce que j’y voyais autour de moi tout me semblait spécifique: la vue, le bétail, et les vêtements des gens. C’était comme si je vis un autre monde. Parmi les saxaouls les chevaux aux cous fins, un peu courbés, aux grandes oreilles, aux grands sabots pâturaient.
Les chameaux avaient les poils rares, ils étaient eux-mêmes noirs et maigres. Les yourtes dans l'aoul étaient pointues avec les murs droits verticaux. Les gens portaient seulement des pelisses jaunes de peau de mouton, mal cousues, étroites à la poitrine, à longs pans avec les manches étroites.
Les gens eurent l’air pitoyable, regardaient un passant timidement, sournoisement, parlaient indistinctement, ils semblaient préparer en secret quelque chose de mauvais.
Mais les Kazakhs d'Arka sembleraient probablement aussi curieux pour les habitants locaux.
On passa deux jours chez les parents de la femme de Batyrbek et continuâmes notre chemin. Dans cinq jours on vint à Aoulié-Ata.
Mon coeur ennuyé brûlait d'envie d’aller au Conseil, mais nous arrivâmes à la ville tard le soir. On passa la nuit dans la maison du bout, et le lendemain le maître nous emmena chez les travailleurs kazakhs soviétiques. Tout d’abord on entra dans la maison d’un homme de guerre, le djiguite. Je ne pas retins son nom, mais il se me sembla un homme très honnête et lettré.
Dans l'appartement je remarquai beaucoup de journaux et de revues. Quand je me présenté, il s'habilla vite et nous emmena respectueusement et honorablement chez le chef de Commission extraordinaire, le djiguite très compétent, le Kazakh Zhylyspaev. On nous en emmena au comité exécutif. Je vis l’environnement natal, qui m’avait manqué beaucoup: les portraits de Lénine et d'autres chefs de la révolution, les appels passionnant aux murs.
Nous fûmes accueillis par le président du comité exécutif Kabylbek Sarmoldaev. On dit immédiatement à l’un des membres du comité exécutif de nous préparer un appartement et de faire tout le nécessaire pour nous installer. Cinq travailleurs de ville nous invitâmes à la fois.
Nous nous installâmes à l'appartement de Kalmagambet de la génération d'Arguyn, un homme énergique et sincère.
Pour deux professeurs d'Aoulié-Ata je recopiai ma poésie "Marseillaise des jeunes Kazakhs", leur chantai la mélodie. Les professeurs se mirent à l’apprendre et répéter vec plaisir.
Chaque jour je lisais les messages des journaux. Ils furent de plus en plus joyeux. Ayant appris que Koltchak et Denikin étaient battus définitivement, je commençai à me préparer pour le chemin de retour...
Kabylbek Sarmoldaev me persuadait longtemps de rester travailler chez eux.
Pendant ma prise de parole au bureau je racontai en détail la situation difficile à Akmolinsk, demandai de me laisser partir pour travailler dans région natale. Sur la proposition de Kabylbek le bureau musulman prit la décision de me fournir pour le chemin de l’argent, le transport, me livrer le mandat me donnant le droit de mener le travail politique et de masse parmi les travailleurs de la steppe.
Le lendemain je reçus le mandat et l'argent de Kabylbek, ainsi que deux sacs de brochures de propagande pour la distribution parmis les habitants, je reçus l'arme et avec deux miliciens je commençai mon chemin de retour à Akmolinsk sur les chariots administratifs. Kabylbek m’aida beaucoup, m'ayant cru sur ma parole. Quand j’étais arrivé à Aoulié-Ata, je n'avais eu avec moi d’aucun document valable certifiant que j’étais en effet membre du conseil des députés, évadé d'une prison de Koltchak.
En plus il n'y avait personne qui me connaissait à Aoulié-Ata. On pouvait tout aussi bien me prendre pour un agent secret de Koltchak, comme cela a été avec Sabyr Sharipov. Il enfuit d'Omsk, revint à Koktchetav, et ensuite, ayant passé à travers les districts d’Atbassar et Tourgaï il arriva à l'Ak-Metchet. Les chefs du comité exécutif d’Ak-Metchet ne lui crurent pas, l’ayant pris pour l’agent secret de Koltchak, il fut arrêté et mis en prison.
Sabyr se tira de l'enfer de garde-blanc et se trouva en prison chez les bolcheviks, qu’il rêvait de rencontrer . À l'Ak-Metchet il ne connaissait personne. On interrogeaient Sabyr bien des fois, il prouvait avec ardeur qu'il était bolchevik, membre du conseil des députés, que s'était évadait d'une prison de Koltchak, mais les brasseur d'affaires butés d'Ak-Metchet ne voulurent pas le croire.
Sabyr fut longtemps en prison, ayant subi beaucoup de supplices. Finalement on le mit en liberté conditionnelle et on l’envoya sous l'escorte armée au district d’Atbasar pour en apporter du pain pour les gens souffrant de faim d'Ak-Metchet.
À bref délai Sabyr vint à Atbasar, gagna même l’Ichima, conclut l'accord avec le "Khan" Khassen et amena à l'Ak-Metchet la caravane avec le pain.
Il aida beaucoup la ville souffrant de faim, mais ce travail de Sabyr ne fur non plus dignement estimé par les administrateurs de l'Ak-Metchet, à l'exception de l'un seul commissaire à l'alimentation.
Après le départ du commissaire à l'alimentation appelé à Tachkent pour obtenir de l'avancement, le télégramme en vint avec l'ordre d'envoyer Sabyr Sharipov à la disposition de la Commission extraordinaire régional à Tachkent. Juste à cette époque-là un régiment révolta. La la rébellion fut détruite, le Conseil révolutionnaire de Tachkent avec la Commission extraordinaire commença à arrêter tous les suspects, transmettre les affaires au tribunal d'exception et fusiller les coupables.
Tout juste en ce temps-là on amena Sabyra détenu sous l'escorte. Dans la Commission extraordinaire on lui posa seulement deux ou trois questions.
- Oui, et je le connais, il était membre du comité régional chez Koltchak, - l’un des gens du siège déclare.
Le président ordonna: "Emmenez-le!"
Sabyr fut conduit à la cellule où se trouvaient les gens condamnés à mort par fusillade. La Grande Faucheuse armée de griffes saisit Sabyr à pleins bras. Jusqu'à ce moment-là Sabyr se trouvait tout à fait indifférent, mais brusquement il se mit à crier, prit une colère à cause de l'injustice. En s'arrachant des mains des gens de l'escorte, il recommença à dire à la cour la vérité de lui-même.
- Appelle les noms des gens que tu connais! – le tribunal proposa.
Sabyr désigna le commissaire à l'alimentation, qui après l'arrivée à Tachkent devint chef de la Commission extraordinaire. Mais le commissaire fut mort, Ossipov l’avait tua.
- Est-ce qu’il y a quelqu’un, qui peut te prendre chez lui sous caution jusqu'à demain? – on demanda à Sabyr de nouveau. Sabyr n’avait pas une telle personne...
- Je le prendrai sous caution! - le soldat de l'Armée rouge escortant Sabyr de l'Ak-Metchet déclara.
Jusqu'à lendemain on remit Sabyr entre les mains du soldat de l'Armée rouge. Et aprés cela tout fut mis en place. Sabyr se rencontra avec Douïssenbaï Nyssanbaev et échappa finalement à la mort. Nyssanbaev fut membre de la commission d'enquête de Commission extraordinaire de Turkestan, l’un des gens qui furent debouts de pied ferme à cette époque-là sous le drapeau de Soviets de la république de Turkestan.
Sabyr se mit au mieux avec Douïssenbaï, visita avec le rapport Kouïbychev qui était arrivé de Moscou à Tourkestan, se rencontra avec Opin et, ayant reçu d'eux le mandat de parti, partit de Tourkestan à Tourgaï et aux volostes du sud de la province d’Akmolinsk.
À cause de la stupidité des chefs d'Ak-Metchet Sabyr faillit être fusillé.
Mais les pouvoirs à Aoulié-Ata dirigés par Kabylbek, se trouvèrent plus clairvoyants.
...Nous allions à Akmolinsk par la mer de sable et de saxaoul, par la vallée de Tchou et par la steppe de Golodnaïa.
Ce temps-là nous avions deux chevaux attelés, nous avions droit de prendre les chariots dans les aouls.
On repassa avec peine le Tchou quand il faisait froid rigoureux.
Le long des bords tortueux de la rivière le jonc jaunissait. De ses broussailles la fumée bleu clair montait dans les airs. Nous examinions les alentours du sommet du mont. Malgré le froid, Souïundik enleva son koupi peu ragoûtant et était assis sur le cheval habillé d’un bechmet acheté à Aoulié-Ata... Il voulait se pavaner portant son nouveau bechmet. Le batyr était assis sur le cheval le fusil en main. Brusquement il le leva et on entendit un coup de feu.
- Pourquoi tires-tu? - je demandai à Souïundik.
- Que les ennemis soient au courant de notre apparition, - Souïundik répondit, en roulant les yeux.
... Nous nous mîmes à établir le pouvoir soviétique aux aouls dans la vallée de Tchou et de la steppe de Golodnaïa.
On eut dix fusils, deux sabres et un revolver. Avec un tel armement nous luttions ouvertement avec ceux qui tâchaient de protéger les coutumes vétustes du passé. Autour de moi un groupe de camarades d'humeur révolutionnaire (de travailleurs kazakhs) se fit.
Nous réunîmes les sympathisants au pouvoir soviétique de deux volostes de Tarakty et élûmes à la réunion le président du conseil d’aoul.
On eut cette fois-là des histoires drôles aussi.
- Et maintenant peux-tu me faire l’intendant de voloste de nouveau? - Tchokaï déjà connu me demanda après la réunion.
Les gens nous ont entourèrent, en souriant, en faisant des clins d'oeil.
- Soit, restez l’intendant de voloste, - je répondis.
- En ce cas donnez-moi mon salaire, - l’"intendant de voloste" ne se laissa pas démonter et d’un air sérieux il me tendit les paumes.
Je sortis de la poche l'argent de bon marché de Tourkestan et lui donnai deux coupures...
Maintenant se tournèrent ouvertement contre les beys de tels djiguites, comme Souïundik, qui était la veille un garçon de ferme, et Achaï ambitieux, qui cachait par tous les moyens sa pauvreté des gens, se souleva aussi.
Ils se mirent à à diriger les gens de travail simples - les nomades. Les fils de la steppe de Golodnaïa humiliés, émaciés la veille, montèrent les chevaux et sont entrèrent en lutte avec les ennemis du pouvoir des travailleurs - du pouvoir soviétique...
Le 17 avril 1926, Kzyl-Orda.
RÉCIT
KHAMIT À LA POURSUITE DU BANDIT
C’était l’automne mille neuf cents vingt et un. Dans le district, où Khamit travaillait, les bandits couraient par-ci, par-là. De petites bandes de deux ou trois personnes armées de fusils, de revolvers, des sabres, parfois même de bombes, erraient dans le district, comme les loups qui avaient perdu leurs louveteaux, en imprimant la crainte constante aux civils. Les combats acharnés avec les gens de Koltchak dans le district venaient de prendre fin. Les gens dans les villages et dans les aouls se sentaient inquiets. L'adversaire tantôt reculait sous les coups de l'Armée rouge, tantôt attaquait de nouveau et quand il fut enfin battu et chassé définitivement, les gens poussèrent un soupir de soulagement. Mais pas pour longtemps: les bandes ôtèrent de nouveau les habitants du district la possibilité de dormir tranquillement.
Les bandes apparaissaient en coup de vent un jour ici, un autre là. Comme les loups enragés ils faisaient irruption dans la nuit ou de bon matin dans les aouls, en faisant peur aux femmes et aux enfants. Ayant entendu le tir et les exclamations sauvages, les habitants parlaient avec frayeur du dieu et étaient prêts à désavouer pas seulement leurs biens, mais aussi leurs propres âmes.
Les bandits prenaient les meilleurs chevaux et des chers vêtements. Ils rouaient les hommes tombant sous la main avec les crosses de coups, en exigeant de leur donner les fusils cachés et les cartouches, ils brimaient les femmes, tuaient les enfants.
Ayant entendu dire que dans un aoul le milicien apparut, les bandits le guettaient, sautaient sur le râble à lui dans la nuit et prenaient son arme. Ils faisaient la chasse aux communistes, aux présidents des comités exécutifs de voloste, à tous les sympathisants au pouvoir soviétique. Ceux qui tâchaient de résister étaient sabrés en morceaux.
En se cachant dans les bois, sans avoir ni appartements et ni stationnements constants, ils désignaient d'avance une victime, écrasaient les aouls kazakhs et les villags russes, couraient deçà et delà, comme un tourbillon furieux, et échappaient toujours à l’expiation. Leurs amis et leurs animateurs étaient les moujiks aisés, les gros paysans mécontents du pouvoir soviétique à cause de système de réquisition des produits agricoles. Les beys kazakhs les aidaient en secret.
Khamit se réveilla, comme toujours, à huit heures du matin, sauta du lit et accourut à la fenêtre. Dans la nuit il avait plu, la pluie avait été d'automne, fraîche, et le soleil rayonnait particulièrement vivement et joyeusement.
Le matin clair dilatait toujours le coeur de Khamit, lui donnait de la force d'âme pour toute la journée. Il se lava le torse et la tête rasée avec de l'eau froide, et, s'étant approché au miroir, il commença à s'essuyer avec la serviette. À la veille il avait veillé tard avec les papiers et il semblait mal dormir: les yeux furent rouges.
"C’est pas grave, ça va passer", - Khamit pensa et, ayant rejeté la tête en arrière, ayant tendu le cou arrondi, il se mit à tourner la tête comme l'aigle royal, de tous côtés et battre les muscles gonflés avec la côte de la paume.
Il aimait la gymnastique dès l'enfance et même dans l'aoul, sans avoir honte des aînés, il faisait de la gymnastique tous les matins. Son corps accoutumé aux mouvements rythmiques méthodiques demandait tous les modes d’applications de force: sauts, développés, arrachés.
Une fois à Omsk, au cirque municipal, il vit son compatriote célèbre Khazhimoukan lutter. Khamit fit connaissaince avec lui, se lia avec lui et, en admirant la force excessive de Khazhimoukan, se mit à faire de la gymnastique avec encore plus d’assidûment, avec plus de courage. Si dans son appartement il y avait un grand miroir et il n’y avait personne dans la chambre, Khamit se déshabillait à mi-corps et, en faisant les exercices difficiles, regardait les muscles des mains et de la poitrine se tendre. Il admirait son corps, chaque muscle jouant dilatait son cœur.
Khamit venait de terminer sa gymnastique, quand la porte s'ouvrit et la maîtresse de l'appartement, la femme tatare brune, l'invita boire du thé. Sans avoir seulement le temps de boire le premier verre, comme il vit le commissionnaire du Bureau politique entrer avec hâte dans la chambre et dire:
- Le chef vous appelle en urgence!
Probablement, quelque chose arriva. Khamit faisait son service dans le Bureau politique, il était toujours présent aux études. On l’appellait de la maison seulement dans les cas exceptionnels et très importants. Ayant laissé le thé, il s'habilla vite et se dépêché à l'appel.
Le chef du Bureau politique, un haut Letton, maigre blond portant l’uniforme militaire, invita Khamit à son cabinet et lui montra une des lettres urgentes reçues avec le courrier du matin.
-Tu devras Khamit, aller toi-même. Habille-toi aux vêtements du Kazakh simple et aie le nez en l'air, tâche d’apprendre tout. Le plus important c’est d’agir le plus vite possible. Nous enverrons encore une personne fidèle au bourg de Tchiili. Il sera en liaison avec toi. Et le plan des actions - comme convenu. Le tel fut l'ordre du chef.
- Et avez-vous des nouvelles de Seïssembaev lui-même? - Khamit s'intéressa.
- Non, il ne communiquait encore rien, - le chef répondit.
L’instructeur du comité exécutif de district Seïssembaev partit pour la voloste de Borlykoulskaïa avec l’ordre de mission d’investiguer les désordres au comité exécutif de voloste. Sur son chemin de retour Sejsembaev coucha dans l'aoul d'Akan boiteux le bey connu, riche autrefois.
Tard le soir, quand Akan lui-même, l’instructeur Seïssembaev et encore quelques visiteurs honorables s’installèrent souper autour d'un grand plat avec le mouton chaud, qui venait d’être pret, la porte s'ouvrit et Koudré, le bandit connu courant par-ci, par-là dans la voloste de Borlykoulskaïa entra. Aux dires des Kazakhs qui le connaissaient, il se distinguait par la force immense et l'intrépidité: il ne craignait pas le fusil directé droit sur lui. Il tuait les gens impitoyablement, comme les chiots, coupables les innocents.
Et voilà ce même Koudré, le coupe-jarret atroce, tout à fait seul vint à l'aoul et entra à la maison du maître de l'aoul, d’Akan boiteux.
Il s'arrêta devant le seuil et prononça, agitant doucement le revolver:
- Eh bien, qui est de vous l’instructeur du comité exécutif? Sors dans la cour pour une minute!
Seïssembaev se mit à pleurer à haute voix, en se cachant, tomba derrière le dos d'Akan et commença à l'implorer le protéger. Akan boiteux le sauva de la mort, il persuada Koudré de ne pas toucher l’inspecteur. Peut être Seïssembaev, en ayant été quitte pour la peur, tâcherait de cacher tout l’image, mais quelqu'un informa secrètement le Bureau politique sur cet événement honteux.
Et voilà le Bureau politique ordonna à Khamit de découvrir le bandit célèbre, apprendre tous ses liens avec les riches d’aoul et l’attraper. Ni Russe, ni Letton, mais seulement le Kazakh pouvait s'arrêter dans les aouls, parler avec les gens, sans éveiller les soupçons, déviner chaque geste, retenir chaque mot laissé tomber.
En compagnie de cinq camarades russes Khamit se mit en route suivant le grand chemin à Akmolinsk. Sans arriver au bourg de Tchiili, le détachement s'arrêta pour élaborer le plan de l'opération, se mettre d'accord sur le rôle de chacun et sur le lien de l'un avec l'autre. Ayant distribué les devoirs, Khamit laissa les camarades et partit seul. Peu après il tourna sur le chemin à l'aoul le plus proche kazakh.
Portant les vêtements simples kazakhs et le malakhaï d'astrakan, Khamit attirait quand même l'attention: il fut haut, mince, aux larges épaules. Il avait le nez droit, de grands yeux bruns un peu creusés. Khamit n'aimait pas la barbe et les moustaches, il les rasait. Beau, d'une solide complexion, il se balançait régulièrement en selle sur l'étalon rassasié, bien soigné brun clair et regardait autour d'un oeil vigilant.
S'il eût serré les doigts de fer semblables aux griffes de l'aigle royal, et, ayant grondé sévèrement, se fût jeté sur l'ennemi, - ce dernier aurait eu une peur bleue!..
La première nuit il passé dans l'aoul kazakh. En parlant prudemment il tâcha d'engager la conversation sur les bandits, mais il n’apprit rien ni du maître du logis, ni des djiguites d’aoul. Le matin il continua son chemin.
Vers le soir il vint à l'aoul d'Akan boiteux et il y apprit que les bandes, qui agissaient tout près, étaient parties aux aouls étant à la frontière du district d’Akmolinsk.
Khamit se dirigea là.
Il allait dans le bois épais suivant un vieux chemin abandonné. Le jour était clair et chaud, dans l'éclaircie entre les charpentes des arbres on put voir le ciel serein bleu clair. Près du bord du chemin s'élevaient les pins, les bouleaux blancs березки aux troncs fins, on vit parfois le peuplier mince laissant tomber les feuilles jaunes d'automne.
Khamit allait seul, en examinant d'un oeil vigilantle fourré épais, comme un berger contrôlant l'intégrité de son troupeau. Il y avait parfois des percées et de larges clairières avec les herbes fanées. Il y avait par endroits des gerbiers de foin. Parfois il voyait des huttes kazakhes, autour d'elles le bétail pâturait, et on voyait au loin des chariots couverts de feutre.
Les clairières, au printemps avec si beaucoup d'herbe et de couleurs vives, semblable aux tapis précieux de soie, ce temps-là furent pâlies et perdirent leur beauté charmant. Tout était silencieux et immobile partout, tout était d'automne et triste. On n’entendait plus d'alouette qui venait de tournoyer au-dessus des clairières fleuries avec la chanson sonore sur le charme des couleurs et des herbes odorantes.
Les oiseaux ne papillonnaient déjà plus de la branche sur la branche, les animaux se taisent, il n’y avait non plus de voix humaines, tellement joyeux en été, quand l'air enivrait avec son parfum.
Les prairies décolorées, se fanant, les steppes et les arbres avec les feuilles jaunissant se tenaient debout dans le silence profond, en se chauffant dans les rayons du soleil oblique d'automne, comme en vivant les derniers jours.
Si l'été est semblable à la symphonie précipitée, inquiétant joyeusement exécutée par un puissant ensemble polyphonique, l'automne triste rappelle la mélodie éloignée, le jeu du violon solitaire ou de kobyz aux cordes fines...
C’était le midi. Le cheval allait au petit trot, en secouant la tête en mesure des pas. Parfois parmi les arbres l'ombre du lièvre sautant follement courait, un oiseau des bois s'envolait avec bruit de dessous des sabots du cheval. Le cheval s’ébrouait avec inquiétude et remuait en désordre les oreilles dressées. "Il sent le danger", - Khamit pensa anxieusement.
La vue de la nature se fanant attrista Khamit. Il se rappel son l'aoul éloigné dans la steppe, au sud du district d’Akmolinsk, se rappela sa mère natale et son coeur se remplit de tristesse et de tendresse envers elle. Quand l'année passée il vint à la maison, la mère pleurait, en l'embrassant. Et lui, il riait et lui disait en la réconfortant:
- Ma chère apa, il ne faut pas pleurer! En effet, je ne suis pas gamine, n'est-ce pas? - me dérobais délicatement de ses embrassements. "Ah, pourquoi j'ai fait comme ça! Il fallait me serrer contre elle plus fermement et la tenir dans mes bras.
En effet, elle ma seule chère mère, - Khamit regretta pour l'instant et commença à se justifier immédiatement: - Je ne pouvais pas agir autrement. Quel djiguite serai-je, si je pleure avec ma mère, une faible femme? Après mon départ elle se rappellerait la tristesse du fils, ses yeux ne sécheraient jamais des larmes, et les souffrances de la séparation avec moi seraient encore plus grandes.
Il se plongea dans les souvenirs, mais à ce moment-là le cheval tressaillit et tourna la tête à droite, en louchant en alerte de l'oeil violet. Khamit regarda autour de lui.
Du sous-bois épais un cavalier au cheval gris efflanqué sortit. Selon ses vêtements, c’était un Russe, probablement, le travailleur de service forestier.
Khamit eut marre de sa solitude forestière, et s'étant réjoui de la rencontre fortuite, tira la bride à droite en se dirigeant vers le cavalier. Ils se saluèrent: Khamit en kazakh, le cavalier en russe. Alors Khamit se mit à parler russe aussi, en altérant exprès les paroles:
- Hé! Où est allé, connu?
- Le service forestier Lissii Bor, - le Russe répondit.
- Ton princhipal? - Khamit demanda de nouveau, en lui fichant avec le doigt.
- Le forestier, - il répondit,
- Ah, princhipal, la garde. Zhakssy!
Ayant parlé tant bien que mal, ils allèrent ensemble. Il se trouva qu'ils allaient dans la même direction. Le forestier était d'environ trente ans, pas plus. Immense, aux larges épaules, habillé d’une capote noire, chaussé des bottes à une grosse semelle, il se tenait au cheval de manière habituelle, de manière kazakhe soulignée. Il caressait la croupe du cheval avec une petite verge fine, en le hâtant.
"Ce Russe ressemble beaucoup au Kazakh" Khamit pensa.
Les cavaliers allaient sans s'empresser, en s'interpellant, en passant le temps dans la conversation paisible. Ils allaient la selle à côté de la selle. On ne voyait autour d’eux aussi loin que porte le regard d’aucun logement humain.
Khamit observait d'un oeil vigilant tout autour de lui, en retenant le terrain, en tâchant de fixer dans sa mémoire les boqueteaux, les clairières, les ravins.
Il ne remarqua pas, comment il s’avança, ayant admiré les feuilles purpurés et rouges des peupliers. Et soudain son cheval se jeta de côté. Khamit se tourna en sursaut. Le forestier tenait ferme avec une main la bride de son cheval, et dans une autre il avait un revolver scintillant pointé tout droit sur lui. Khamit resta bouche bée, perdit pied sans savoir que faire.
- Ha! Qu’est-ce qu’un tel? Princhipal! - il s’écria.
Khamit n'avaient pas d'arme, il l'avait laissé chez les camarades qui étaient allés à Tchiili. Il demeura médusé, ayant vu devant ses yeux la bouche du revolver, le visage contracté de la haine farouche et les yeux méchants de serpent du forestier.
- Descends du cheval! Vite, ou je te tuerai! - le forestier s’écria en kazakh parfait.
Mille idées et suppositions différentes passèrent en coup de vent dans la tête de Khamit.
- Descends! - le forestier répéta.
"Le bandit? Le voleur? Qu'il va faire?" - Khamit pensait anxieusement, en descendant du cheval.
Le forestier prit son cheval un peu à part et s'arrêta.
- Déshabille-toi! - Khamit cria, sans baisser le revolver.
En titubant, Khamit enleva l'armiak supérieur et la courte pelisse et resta habillé d’un bechmet.
- Tout, enleve tout! - le forestier ordonna, en visant toujours Khamit. – Le bechmet et les bottes aussi!
Khamit s’assit lentement sur la terre et avec les mouvements paresseux il commença à enlever les bottes lourds kazakhs l’un après l’autre... Ensuite aussi lentement il enleva de la tête le malakhaï et le jeta à terre. Et les pensées dans sa tête étaient de plus en plus précipitées: "Ah, diable, vais-je mourir? Si c'est un simple voleur de chevaux, qui a plu mon cheval, pourquoi donc il ne part pas, et demande encore mes vêtements? Il me déshabille parce qu’il veut prendre mes vêtements propre, et pas tachés de sang. C'est un criminel notoire, sûrement, l’un de ceux que fusillent la victime, l'ayant déshabillé préalablement. Ah, corniaud! Je m’intéresse s’il m’a rencontré exprès ou par hasard? Comme j'ai gaffé! Il n’ai pas dû partir sans arme et encore entrer en conversation. Je me suis confié à un tel diable... Mais lui i lest seul, sans bande. Et moi je suis seul aussi! Il a quand meme le revolver. Mais il vaut mieux mourir comme un lion, que comme un lièvre peureux!"
Ayant enlevé les bottes, il se leva et s’approcha du bandit, en déboutonnant en marchant son bechmet. Le bandit fut assis à cheval, s'étant tourné vers Khamit et sans baisser le revolver.
Khamit enleva le bechmet et, en faisant semblant tendre les vêtements au bandit, il s’approcha encore plus près de lui. À pieds nus, habillé d’un gilet par-dessus la chemise, il s'assit, en tendant les muscles en acier, et se jeté sur l'adversaire comme une panthère.
Un coup de feu gronda.
"Raté!" - Khamit eut le temps de penser et saisit avec ténacité la bouche du revolver. Le bandit s'élança, mais sans succès: Khamit semblait être adhéré à l'arme et le tirait par deux mains, en tâchant d'arracher. En se défendant, le bandit dut laisser la bride et il tomba par terre. Le bras du revolver resta en main forte de l'ennemi, la bouche regardait Khamit. Le premier coup de feu pouvait être pour lui fatal. Mais le bandit ne pouvait pas tirer, son doigt restait gourd d'effort dans l'anneau du chien de revolver. Pour tirer, il devait atteindre avec son doigt la détente, mais pour cela il lui fallut affaiblir ses muscles.
Mais alors le revolver se trouverait en mais de Khamit, qui ne laissait pas pour un instant la bouche, le tourna de tous les côtés, en tâchant d'arracher l'arme des mains de l'ennemi.
Les chevaux, ayant reniflé, regardaient avec frayeur quelques instants les gens, mais ensuite, en sentant la liberté, se dispersèrent, en paîturant. Le bois épais fut silenciuax, il n’y avait personne autour.
Deux ennemis, comme deux tigres furieux, aux yeux injectés de sang, luttaient pour l'arme. Tous les deux comprenaient que l’un d'eux mourirait ce jour-là, et chacun voulait survivre. Ils se battaient furieusement, se mordaient, se griffaient, demeurant enchaînés au revolver avec leurs deux mains.
S'étant ingénié, Khamit s'accroupit et, ayant levé l'ennemi aux épaules, le jeta à terre. Mais celui-là ne laissa pas le revolver et mordit le coude de Khamit. Khamit lui frappa la pommette, dégagea la main et, ayant enlevé l’ouchanka de la tête du bandit, le jeta loin.
Le bandit, ayant gloussé, se leva avec Khamit accroché à lui. Il chancela à droite, à gauche comme en ressemblant ses forces, le souleva vigoureusement et le jeta avec énergie à terre. Khamit heurta le dos, mais se mit debout tout de suite, n'ayant pas donné à l'ennemi de la possibilité se trouver au dessus de lui.
Ils se battaient sur la clairière dans le combat mortel. Égratignés et ensanglantés, ils tombaient sur l'herbe et se relevaient couverts de bleus et de sang. Les vêtements déchirés en morceaux, pendaient sur eux par les longues bandes. Khamit resemblait un garçon à côté du géant-bandit semblable à l'épouvantail avec ses mains noueuses avec les paumes larges comme des pelles. Il rongeait le corps de Khamit avec ses dents immenses, jaunes, comme celles de cheval.
Habillé en capote, lui-même, il était protégé contre les morsures.
Ayant rassemblé ses forces, Khamit écrasa de nouveau l'adversaire par son poids et se mit à l'étrangler avec sa main libre. Le bandit tâchait de s'arracher, frappait la terre avec ses pieds, comme un animal immense, frappa plusieurs fois le visage de Khamit avec la tête.
Alors Khamit mordit l'oreille de l'ennemi et commença à le déchirer, comme un chien courant qui saisit un loup. Le bandit se jetait de tous côtés sous lui, grognait et hurlait, comme une bête harcelé, et, ayant choisi le moment, il frappa Khamit aux yeux avec le coude. Хамит cracha le bout de l'oreille mordue, le bandit gémit à haute voix et se saisit involontairement la tête.
La main d’ennemi faiblit, et Khamit, l’ayant senti, arracha instantanément le revolver et le rejeta de côté.
À ce moment-là ils se saisirent par les deux mains et continuèrent la lutte avec une nouvelle force. Le revolver se trouvait à quelques pas, et par tous les efforts chacun des ennemis tâchaient d’échapper le premier et faire un bond jusqu'à l'arme.
Couverts de sang, ils ressemblaient les dépeceurs de l'abattoir municipal. Khamit espérait sa résistance, le bandit espérait sa force du coup.
À l'écart du combat sanglant les chevaux pâturaient paisiblement. Dans une place les vêtements de Khamit se trouvaient, dans une autre il y avait l’ouchanka du bandit. Le revolver se trouvait un peu plus loin. Et il n'y avait personne autour: ni bon homme qui serait venue en aide à Khamit, ni malfaiteur qui aiderait le bandit. Le bois calme desert et le ciel bleu furent silencieux...
Khamit décida d'user pour la dernière fois son atout principal: l'habileté. Il se défendait longtemps, sans tâcher d'attaquer en accumulant ainsi les forces. Et soudain, ayant saisi brusquement l'ennemi par les pieds, il recueillit les dernières forces, le souleva par un movement rapide le jeta à terre. Les mains du bandit se décrochèrentr, se desserrèrent, et Khamit se jeta immédiatement vers le revolver.
Sans s'arrêter en courant, en se rappelant que le bandit pouvait se lever et le suivre, Khamit, comme en voltige, saisit en courant le revolver et continua à courir. S'étant tourné, il leva l'arme et vit l'ennemi non loin dans la pose étrange: s'étant courbé le bandit mit la main dans le sein, sortit un petit browning et le chargea vite. Khamit visa avec les mains tremblant de la fatigue, mais le bandit tira le premier.
Khamit tressaillit, son épaule sembla être percé avec un tire-point chaud. Il pressa la détente, tira et rata le coup. En se rappelant que le browning frappe à la distance courte, Khamit s'éloigna en courant plus loin, se cacha derrière le tronc de bouleaux et commença à viser soigneusement. Le bandit se leva courageusement à la rencontre, mais Khamit tira et le bandit tomba.
Khamit recalcula les cartouches: il en resta quatre.
Il vit son ennemi, intact, courir en sautillant vers son cheval. Alors Khamit sans espérer l'arme, se mit à courir vers le sien, qui pâturait à une certaine distance. À cet instant-là il entendit derrière son dos le bruit des sabots d'un cheval, il se tourna et vit le bandit chasser intrépidement le cheval directement sur lui. Khamit leva le revolver et commença à attendre l'ennemi s’approcher pour tirer tout droit, sans manquer.
Le bandit tourna rapidement et disparut dans le fourré épais.
Khamit attrapa son cheval, s'habilla, ayant vu l’ouchanka du bandit qui était par terre, le leva et cacha dans le sein.
Le jour avanca. Il devint plus froid. Le soleil couchant peignit en pourpre du sommet des arbres. Le bois fut tout à fait silencieux. C’était seulement le bois, la terre et le ciel bleu qui egardaient toute la journée le combat des ennemis...
Ayant mit le revolver à la sûreté, en regardant souvent tout autour de lui et en écoutant, Khamit chassa le cheval au grand trot. Il savait qu’à cinq ou six verstes doit être le conseil d’aoul de voloste de Borlykoulskaïa.
Il allait, en se tranquillisant après le combat et en pensant que selon les descriptions c’était pas quelqu'un d'autre que le bandit célèbre Koudré. L'athlète, de grande taille, aux larges épaules... Dans le Bureau politique il n'y avait pas de photo de ce chien, c'est pourquoi Khamit ne l'avait pas reconnu à la fois.
"Comme je suis encore stupide, - il pensa fâché, - j’ai commis une telle bourde!"
- C’est dommage! - il dit à haute voix. – C’est bien dommage!
Le cheval clair-brun courait, en reniflant et en brûlant d'envie de s’avancer. Khamit essuya les mains couvertes de sang à sa crinière.
"C’est la honte! Quel l'athlète suis-je, si je n’ai pas pu vaincre un bandit!.."
Il serra les poings égratignés et mordus jusqu'il sentit la douleur et crissa de la rage. À ce moment-là il ressemblait à un aigle royal qui venait de vaincre au combat singulier un gros loup...
Khamit se rappela Khazhimoukan, le preux de steppe qui vainquait les militants avec les noms connus partout dans le monde.
"Martynov, Poddoubnyï, Gané-Gaban, Kazbek-gora, - Khamit pensa, en se rappelant les athlètes. - Khazhimoukan est le plus fort!"
Ayant regardé de côté et d'autre, il cria victorieusement d’une voix claironnante:
- Hola-hé! Khazhimouka-an! On a vaincu!
[1] une petite division administrative et territoriale
[2] un lait fermenté d'ânesse, de jument ou de vache, utilisé comme boisson en Asie centrale
[3] une grande outre
[4] un cavalier d’élite caucasien
[5] autrefois les Kazakhs utilisaient le nom et surtout le nom patronymique extraordinairement rarement, seulement les noms avaient de l’importance
[6] un poète-improvisateur et un chanteur
[7] un homme âgé et respecté par sa communauté
[8] une couverture en feutre
[9] les jeux nationaux:
- "Oramal tastamak" est un jet d’un foulard. Un joueur a un anneau dans la bouche et jette le foulard à celui à qui il souhaitera (un jeune homme le jette à une jeune fille et vice versa). Ce dernier doit prendre l'anneau à la bouche et à son tour jeter le foulard à une personne élue suivante;
- "Bouguibaï": les joueurs font un cercle, en se tenant par la main, et chantent. Deux dirigeants invitent dans le cercle un djiguite et une jeune fille (d'habitude amoureux ou "soupçonnés") et leur imposent une tâche quelconque (d'habitude pleine d’esprit) ou simplement leur demandent de chanter ou danser;
- "Myrchim": l’un de joueurs cache l'anneau à la bouche. Le leader demande au hasard de prononcer le mot "myrchim". Celui qui cache l'anneau doit le prononcer sans accroc et sans grasseyer. Le leader trompé doit accomplir quelque devoir des joueurs et continuer les recherches de l'anneau.
[10] messieurs
[11] une espèce de jaquette
[12] une ancienne unité de mesure
[13] des baguettes en bois arquées formant le squelette de la yourte
[14] un cercle de plafon en bois de la yourte
[15] une espèce de chaussure
[16] un couvre-chef féminin
[17] Portez-vous bien! Que la paix soit sur vous! - une salutation arabe qui est entrée en langue kazakhe du Coran
[18] un ustensile pour faire du thé en Russie
[19] un plat traditionnel des nomades
[20] une nappe
[21] un aksarybasse est une brebis blanche à tête jaune, une sacrifice traditionnele dans les cas très importants, de même que la brebis à calvitie claire – bozkaska
[22] un fouet de cuir
[23] une espèce de houe
[24] un lasso étendu par terre et fixé avec les pieux pour attacher les poulains et les agneaux
[25] un titre honorifique donné à un musulman qui a accompli la pèlerinage à La Mecque, le hajj
[26] une campagne militaire
[27] la loi islamique
[28] un fouet
[29] "C’est unique" altéré
[30] un capitaine de cosaques
[31] un homme (ici au pluriel)
[32] l’Assemblée législative de Russie
[33] une école musulmane religieuse
[34] un djinn (créature faite de feu sans fumée)
[35] les chefs des communautés des ismaéliens
[36] un apprenti
[37] le temps de la prière de soir
[38] une prière musulmane
[39] une personne avec un haut statut religieux
[40] un religieux musulman sunnite qui est un interprète de la loi musulmane (ici au pluriel)
[41] un couvre-chef kazakh
[42] un vicaire ou un successeur, titre porté par les successeurs de Mahomet après sa mort
[43] une assemblée locale
[44] Boukeïkhanov était membre du parti constitutionnel-démocrate
[45] un rang de serviteur du culte gradué, égal à un hazrat
[46] l’organe supérieur du pouvoir d'État de l'URSS
[47] un combattant-volontaire participant au gazavat (ici au pluriel)
[48] "Nouveau temps", un journal tatar à Kazan
[49] "Ouche zhouze" signifie trois centaines, c’est un jeu de mots ici
[50] les noms entre parenthèses ne furent pas indiqués dans l'original
[51] "Manal-Chamil'"est un pseudonyme de Saken Seifoullin
[52] une allusion satirique sur l'arbitraire du comité
[53] il s’agit de tous les Kazakhs sans division en clans et en classes
[54] on riaient pour deux causes: ka – c’est un appel du chien. En outre la femme russe de Samatov appela le chien Moukhtarka, et la plupart des assistants connaissait cela
[55] un djiguite de l’entourage d’un personnage haut placé
[56] un sultan principal
[57] une résidence du comité musulman militaire
[58] Recueil de documents et de matériaux. Kazgosizdat. Alma-Ata, 157, p. 158-160
[59] une revue progressive, étant en son temps contraire au journal bourgeois "Kazakh". Son rédacteur était le journaliste et le poète Moukhametzhan Seralin (1872-1929). La revue était publiée à 1911-1915 à Troïtsk
[60] probablement, ici l'auteur a en vue le poème de Soultanmakhmout Toraïguyrov "Compétition des poètes de steppe et de ville"
[61] un village (ici au pluriel)
[62] autrefois les Kazakhs appelaient comme cela les marchands, principalement les Uzbeks
[63] la direction vers la Mecque, où les musulmans tournent d'habitude le visage pour faire la prière
[64] une espèce de cafetan
[65] un toundik c’est une ouverture supérieure de la yourte, une conduite de fumée. Il est utilisé ici au sens de l'économie: une cour
[66] un chemin blanc; ici ce mot a la signification la voie honnête
[67] un héros des contes de fée et des poésies épiques; le défenseur du peuple, le symbole de la force et de la justice (ici au pluriel)
[68] une ancienne unité de masse utilisée en Russie valant 16,38 kg
[69] son nom était Moukhametkali. L’auteur a manqué de précision
[70] un valet du groupe dirigeant dominant au Kazakhstan prérévolutionnaire, un participant active aux affaires de la gestion publique
[71] la journée internationale des travailleurs
[72] selon la coutume, les Kazakhs ne donnent pas les ennemis dans leur propre aoul, dans leur yourte
[73] "mami aouyz" est un juron intraduisible. Seifullin ne ménagait pas ses termes dans les cas pareils, mais dans l'original il a montré sa colère avec un mot inexpressif "mami"
[74] abzi - le frère aîné (en tatar).
[75] une maison
[76] l'appel honorable à la personne qui a fait le pèlerinage à la Mecque
[77] une petite gaine d'un obus cylindrique hermétiquement fermée, récipient pour charge de poudre mesurée d'avance
[78] les billes menues pour la divination en quantité de 41 pièces
[79] un nom générique donné par les sociétés pastorales nomades des régions turco-mongoles à divers instruments de musique traditionnelle asiatique
[80] une unité de mesure de longueur en Russie d’autrefois, vaut 4,445 cm
[81] une ouverture ronde dans la porte du cachot
[82] le chien de contes aux pieds légers, dont personne ne peut s’échapper, prétendument né à la suite de l’amphimixie de l'oie sauvage et d’un chien courant
[83] une boisson lactée à base de yaourt
[84] un produit laitier. Il est obtenu par fermentation de matières grasses extraites lors de la cuisson du lait cru de vache
[85] une incursion, un vol à main armée, un vol du bétail par force
[86] sorokovina, sorokovka - le temps du 10 au 20 août, de température d'habitude la plus chaude
[87] Baken - manière respectueuse et tendre de l’adresse d’un cadet à un aîné. À la première syllabe du nom on ajoute "eke". Ici Baïsseit — Ba-ken
[88] le gouvernement provisoire
[89] les Soviets des bolcheviks
[90] Dinmoukhammet Adilev, qui aux rangs de l'Armée rouge faisait la guerre avec blanc sur l'Extrême-Orient
[91] L’auteur fait allusion à certains camarades, comme Adilev, Galim Aoubakirov et d’autres
[92] il s’agit de chou, de carotte et d'autres légumes: les éleveurs kazakhs appellaient tout cela "les herbes"
[93] un chapeau traditionnel kazakh des éleveurs de bétail
[94] le médecin vétérinaire Zhoussip Izbassarov s’appelaient aussi Toussip Izbassarov.
[95] "Khan zhaksy ma?" (est-ce que le khan est bon?) est un jeu kazakh national, où on accentuait l'égoïsme et la bêtise du du khan despotique qui était content de la réponse "Khan zhaksy" (le khan est bon)
[96] un maître du foyer, un vieillard honorable
[97] dans les contes kirghizes, "tulpar" désigne un cheval capable de voler en portant le héros sur son dos
[98] un produit de tabac non-fumé, traditionnel en Asie centrale
[99] les bas de feutre
[100] d’après ce que Seifoullin disait, cette personne fut le fils de Khabiba, de la fille de Moustafa, le frère germain du grand-père de Seifoullin Ospan qui fut le grand-père de Saken par son père. Selon la coutume kazakhe le fils de Khabiba (la propre tante de Saken) fut le zhiène. C'était Khamit Abaouovitch Tokin, le juriste.
Sont sortis sur la périphérie de la ville.
[101] un chef cosaque
[102] une longue pelisse en peau de mouton
[103] un bandit contre-révolutionnaire pendant la guerre civile en Asie Centrale
[104] un artel est une "coopérative de production" soviétique.
[105] ici l'auteur a fait erreur, en fait c’était dix-huit jours, comme il a été dit plus haut, i.e. du 5 jusqu’au 23 janvier
[106] une pelisse doublée de poil de chameau ou de mouton
[107] l’une des espèces les plus anciens et les plus populaires de courses de chevaux chez les plusieurs peuples turcs
[108] maintenant c’est Novossibirsk
[109] du poème de S.Seifoullin "Biz" ("Nous")
[110] l'homonyme de notre membre décédé du conseil des députés Piankovskii.
[111] un chapeau traditionnel russe ou scandinave, en fourrure, muni de parties rabattables qui peuvent couvrir les oreilles et la nuque, ou se maintenir nouées sur le haut du chapeau
[112] un plat traditionnel kazakh
[113] une épizootie de verglas
[114] Il s’agit du décret du tsar à propos de la mobilisation de la jeunesse kazakhe pour les travaux de l'arrière.
[115] ici l'auteur de l'article, probablement, fait allusion à l'invasion des Kalmouks autrefois. Le Kalmouk blanc est considéré comme les bolcheviks russes
[116] un parent du côté de la mère: nagachy-ata - le grand-père du côté maternel; nagachy-cheché - la grand-mère du côté maternel etc.
[117] Aïdabol et Karzhas: deux clans indépendants venant du clan de Souioundik. Ici Seifoullin confond intentionnellement, en se faisant passer pour Douissembi, l'ouvrier borné simple d'Omsk.
[118] l'appel poli à une femme plus aînée
[119] une lampe la plus petite des lampes à pétrole
[120] l'exclamation exprimant la surprise
[121] l'arbitre. Dans la génération d'Aïdabola deux biïs ont été connus autrefois: Tchon et Toraïguyr. La génération de Chaïbaï prend source de Tchon, sur quoi l'auteur fait allusion.
[122] un mélange liquide de farine avec du lait, est servi d'habitude aux visiteurs pauvres
[123] une prière musulmane
[124] Kara - noir; Toka - le nom du fondateur de la génération
[125] un soldat de l'armée de khan
[126] Toka est fondateur du grand clan. Son fils Bessim avait deux femmes: Botei et Daouletbiké. Plus tard les descendants ont donné à sa première femme Botei le nom honorifique Enène (Mère). Saken Seifoullin appartient à cette génération.
[127] "Aouyze achar" est le repas préparé pour le soir, quand celui qui fait carême ouvre la bouche pour la première fois pendant toute la journée, (Mot à mot: "vers l’ouverture de la bouche")
[128] zakât est un impôt religieux
[129] le chercheur légendaire de la terre promise, qui a donné la caractéristique à toutes les zones géographiques du Kazakhstan.
[130] une longue perche
[131] une veuve riche Nakizhan, la femme de Jaken décédé, le fils du cousin de Seifoulla, du père de Saken
[132] un mausolée
[133] atriplex cana
[134] salsola arbuscula
[135] une espèce de vêtements pour homme, entre le surtout et le caftan
[136] le peuplier jaune. Ici le nom de lieu
[137] une longue perche en bois avec une grande dragonne
[138] Que la paix soit sur vous! - une salutation arabe qui est entrée en langue kazakhe du Coran
[139] l'appel poli à Orynbaï aîné
[140] Bouène - le caecum, baï - riche. Les Kazakhs donnent rarement à leurs fils tels noms humiliants
[141] Khodzha Nasyr - Khodzha Nasreddin, le héros de folklore connu à tous les peuples de l'Est
[142] une huche pour les produits
[143] une huche pour les vêtements
[144] une caste aristocratique privilégiée dans la société traditionnelle kazakhe
[145] un arbuste en Asie Centrale
[146] le filet de mouton
[147] la partie coxale de mouton, est servie au visiteur honorable
[148] Selon la croyance musulmane les défunts passent dans l'autre monde le pont d’une aiguille d'épaisseur. Celui qui passe va au paradis, celui qui tombe va à l'enfer. C'est pourquoi les musulmans sacrifient des artiodactyles pour qu'il soit plus facile d’entrer au paradis après avoir passé le pont de Sirata sur leurs dos.