L’année de ma naissance est établie avec une exactitude astronomique, je dirais. En plus, même si cela paraîtra étrange, elle est établie presque d’après la théorie de la relativité. Le cheval aveugle d’un œil droit fut tué par des loups en automne, et plus tard, le jour de l’équinoxe de printemps qui sépare l’année de la vache et celle de la panthère, je fus mis au monde. L’hiver ne partait pas encore et le printemps n’arrivait toujours pas. C’était Naourouz.[1]
Il y a juste un fait qui resta dans l’ombre : le garçon fut né avant l’aube ou après ? Si la naissance fut mise sur le compte de l’année de la vache, il devait posséder des troupeaux innombrables et faire son chemin dans le bien et l’aisance. Si la panthère l’a pris en protégé, c’était bien aussi... Qui risquera de l’attaquer le premier ?
Mais le fait d’être né avant l’aube ou après n’est resté dans la mémoire de personne. Peut-être, il y avait une tempête, et tous étaient assis dans l’iourte. Ce n’est pas de ma mémoire non plus. Et tout de même y a-t-il de l’astronomie ? Il y en a... Et de la relativité ? Il y en a aussi.
Mon premier jour ne fut marqué par aucun événement notable dans un petit aoul à la lisière de nord de la steppe kazakhe. Et même les chiens ne cherchaient pas la bagarre à cause des os délicieux. Il y a des années quand les chiens ne reçoivent pas d’os tout le temps. Il est vrai que cela ne me concernait pas. Cela ne me concernait pas qui était le roi sur terre, où je devais vivre ma vie et qui était le prophète dont la parole déterminait le destin de l’homme, tous ses actes, joies et tristesses. Cela m’était indifférent qui était le dirigeant tout-puissant de la volost. Le fait de savoir si mes parents étaient riches ou pauvres ne faisait rien non plus pour moi.
Comme je comprends maintenant, personne ne se réjouit vraiment pas de mon arrivée dans ce monde. Juste la famille qui était déjà nombreuse s’est accrue d’un garçon. On ne se mit non plus à casser la tête comment l’appeler. Il y avait Khamit, l’aîné, il y avait déjà un Sabit. En assonance avec les autres prénoms on donna au troisième fils un prénom de Gabit.
Ma mère se souvenait des fois :
- Tu étais obstiné... Tu ne pleurais jamais même quand tu avais faim.
La grande vie contournait notre aoul. Elle se faisait entendre juste par la volée de clochettes ; les troïkas ne tournaient pas dans notre aoul. Elles volaient suivant les traces de traîneau à travers les sentiers noirs dans l’aoul du vieux Torsan qui se trouvait à une demi-heure de marche à pied du nôtre. Les deux de ses fils étaient dirigeants de volost, et les deux autres approchaient déjà le pouvoir.
Le fait que notre aoul n’était pas toujours loin de la vraie vie, nous l’apprenions des récits des vieillards.
Les vieillards critiquaient la façon actuelle de vivre, leurs yeux décolorés s’enflammaient et leurs épaules se redressaient quand ils se mettaient à se souvenir des toïs bruyants, grouillants, des courses avec des prix riches ; du courage et de l’agilité des djiguites de notre peuple qui sortaient toujours en vainqueurs de luttes et disputes différents. Les vieillards regrettaient que le temps des grands voyages de nomades était déjà dans le passé, le temps quand l’aoul quittait sa place pour de longues semaines et partait arpenter la steppe immense.
Déjà l’air hardi des clochettes cessait mais les conversations causées par son apparition continuaient leur cours :
- N’attendez pas de bien de ces clochettes, - soupirait Rakhmet, un homme timide qui ne parlait pas beaucoup et dont la famille était considérée petite même pour un aoul.
- Oui, - était d’accord son frère cadet Kojak. – On ne se débarrassera pas d’un tel hôte juste en faisant égorger un mouton pour son arrivée !
~ Oh Allah ! – continuait Rakhmet. – J’ai peur qu’on vienne vérifier les choses impayées pour voir qui doit combien...Ces exactions ! Ces impôts ! Si on prenait en compte juste notre volost, toute une famille, même une famille comme la mienne, pourrait vivre aisément avec cet argent pendant un siècle ! Est-ce que cela ne suffit toujours pas au tsar et sa famille ?
Kojak guignait d’un air moqueur :
- Oh mon frère aîné !..Mais si c’était juste notre volost ! Mais le tsar blanc a des milliers de volosts pareilles.
- Kojak, tu devrais te tromper, - exprimait ses doutes Dossan : il s’embrouillait toujours quand il fallait compter quelque chose au-dessus de cent. – Tant d’aouls, tant de volosts, tu n’en trouveras pas autant dans le monde entier !
- Et oui ! Tu devrais voyager, voir toi-même, mon cher Dossan. Kojak ne venait que très rarement dans l’aoul. Il travaillait déjà depuis longtemps comme chargeur à Kourgan, et son monde était beaucoup plus large que celui de ceux pour qui le voyage à Presnovka tout près était un événement. On faisait attention aux mots de Kojak, même si parfois ils sonnaient d’une façon inattendue et brusque.
Les conversations s’interrompaient aussi subitement comme elles commençaient, - à quoi bon se plaindre si personne n’entendait tes plaintes, et même si quelqu’un les entendait, il les laissait sans attention. Si Kojak parlait de l’injustice sur terre, alors soit Rakhmet, soit Dossan acquiesçaient de la tête comme d’habitude : c’est ainsi que le monde est fait. Tout vient du Dieu. Et ce n’est pas leur affaire de s’y connaître en ces difficultés.
Mon père avait un rêve le plus cher qu’il avait depuis qu’il était tout jeune : celui de devenir riche ! Mais malgré tous ses efforts son ménage ressemblait à un korjoun[2] chargé sur un antenais fou non manégé. L’antenais s’agite, et le korjoun se balade sur son dos, ou même tombe par terre d’un bond brusque.
Parfois nous arrivions à nous approcher de l’aisance, et notre père était heureux et fier, et même sa voix sonnait différemment. Mais cela ne durait pas. Il arrivait toujours quelque chose : un mauvais dégel au début de l’hiver quand tout fond et après le gel crée une plaque incassable sur les pâturages - djout. Ou une vieille dette impayée. Ou l’impôt augmentait. Les yeux de mon père se faisaient distraits. Il semblait qu’il regardait au loin en essayant de ne pas remarquer la misère approchant.
Dans cette situation - nous, les garçons, avions chacun une chemise trouée, - notre famille se retrouva quand il fut le temps de faire la circoncision, la tradition établie par le prophète même longtemps avant que mes frères et moi fussent mis au monde.
J’avais quatre ans ou un peu plus quand un mollah-nollah à la barbe rousse vint dans notre iourte. Son chapeau était roux aussi, il était campé jusqu’aux sourcils, et peut-être pour cette raison le visage du mollah se faisait sinistre. Il prend son couteau et commence à l’aiguiser d’un air savant en crachant sur la barre. Son couteau était déjà bien aiguisé comme ça. Déjà le soir on voyait le mollah comme d’habitude couper d’un seul mouvement une oreille de la tête d’un mouton égorgé pour lui en guise de collation, bouger le couteau encore une fois et couper la deuxième oreille aussi.
En écoutant le son incessant d’aiguisage nous nous tûmes et nous observions anxieusement l’acier luire froidement dans les mains du mollah. Nos parents louaient leurs fils à l’envi comme s’ils les imposaient en ouvriers à quelqu’un. Selon mon père et ma mère il venait que le monde n’avait pas encore vu de garçons aussi intelligents et obéissants, aussi patients et courageux. Et si seulement Khamit, Sabit et Gabit n’allaient pas résister à l’accomplissement du sacrement, chacun d’eux recevrait un coursier. C’était mon père qui l’avait promis, il aurait dû inventer encore un moyen de l’enrichissement facile et rapide. Et ma mère disait : comme on allait devenir tous grands aujourd’hui, il était déjà l’heure de nous envoyer à étudier chez le mollah.
Elle posa une couverture près du mur, redressa les oreillers avant de les poser. Le mollah essaya la lame de son ongle et aurait dû la considérer assez aiguisée. Son visage à la barbe rousse devint concentré, sévère. Il posa le couteau près de lui et se mit à chanter les prières.
Je voulais avoir le coursier promis. Je voulais aller à l’école. Et tout de même, quand Khamit après nous avoir fait un clin d’œil échappa de l’iourte le premier, je le suivis discrètement.
Un petit bois nous protégea de la pluie. Je réfléchissais : de quels coursiers parlait mon père ? Près de notre iourte on pouvait voir un seul vieux cheval, un cheval grivelé. Et voilà qu’un seul de nous pouvait obtenir le grivelé comme prix pour la circoncision. Et les deux qui restent ? Peut-être l’accomplissement du rituel sera reporté à cause de ces deux qui restent jusqu’à ce que nous ayons un haras ?
Mais dès que je prononçai ces mots à haute voix, Khamit me coupa la parole :
- Vous ne savez pas encore aller à cheval...
Sabit lui objecta : « Nous savons le faire ! ». Mais le frère aîné grommela avec mépris, nous traita de velots bêtes et allait déjà donner une gifle à chacun de nous en guise d’éducation quand...
Des mains assurées et douces nous prirent à bras-le-corps, nez à nez...
Nous étions couchés sur la couverture dans l’iourte selon l’âge : Khamit le premier du côté qui était plus près du tor[3], Sabit au milieu, et moi plus près de la sortie.
De quel côté le mollah allait-il commencer ? Pourvu qu’il commence du côté de la porte ! Il me demandera le premier : « De quel pelage est ton cheval de la circoncision ? » Et moi, pour que personne ne me dépasse, je répondrai : « Il est grivelé ! »Et que mes frères me cajolent après, bien que je sois le plus petit, et me prient de permettre d’aller à mon cheval... Je vais le leur permettre, mais pas très souvent.
Sabit comprit que c’était lui qui était le plus désavantageux. Qui que soit le premier à être circoncis par le mollah, il sera toujours le deuxième, - à toute éventualité il me proposa d’échanger la place avec lui, mais je le cognai en réponse pour qu’il ne m’ennuie pas. Il commença à me piquer et me promit d’un murmure terrible de réduire mon nez à mon visage.
Mais nos disputes étaient vaines. Comme il se devait le mollah commença par l’aîné.
- Dis-moi, mon fils... Dis-moi le pelage de ton cheval sur lequel tu monteras à l’occasion de la fête de la tradition ancienne solennelle.
- Cheval grivelé ! – répondait Khamit et sa voix était joyeuse mais voilà qu’il cria de la douleur insupportable.
Le mollah avec le couteau caché dans la manche n’eut pas encore le temps de s’approcher de Sabit que celui-ci se mit à pleurnicher.
- Je n’en ai pas ! Je n’en ai pas ! Je n’ai pas de cheval ! ..
Il tremblait convulsivement de tout son corps et hurlait à pleine voix et continuait à hurler quand le mollah après avoir fait son affaire s’accroupit à côté de moi.
Ma mère pleurait tout doucement aussi. Elle vivait notre douleur, elle nous compatissait, elle jurait la pauvreté dure à cause de laquelle ils avaient infligé une peine involontaire à leurs fils un jour si signifiant. Il était vrai qu’un poulain pouvait aussi être un cheval de la circoncision, mais on n’en avait pas.
Mais cela m’importait peu.
- Je n’ai pas de cheval non plus, - dis-je et je décidai : quelle que soit la douleur, ne pas pleurer.
Et je ne pleurais pas.
Le frère de mon père, oncle Botpaï, soupirait tristement aussi, assis près du coffre. Il ne se retint pas et reprocha le mollah :
- Pourquoi poser trois fois la question sur les chevaux, si vous, mollah-yeké[4], saviez d’avance qu’il y avait juste une seule réponse.
- Ce n’est pas nous qui avons établi ces règles.
Le mollah haussa les épaules, mécontent, cacha son couteau et partit
Et l’oncle Botpaï nous consolait :
- Ne pleurez pas, ne brisez pas le cœur aux gens... Moi, je vous achèterai les coursiers, les plus rapides qu’on puisse trouver dans la steppe. Est-ce que votre père les aura jamais ? Est-ce qu’il aura un haras ?
On pourrait se vexer contre l’oncle Botpaï pour ses mauvais mots sur notre père. Mais est-ce qu’on pouvait le prendre mal ? Tout au plus que le père souriait avec nous. Alors il était aussi heureux que l’oncle Botpaï nous offrirait des chevaux pouvant rattraper le vent.
Depuis que le rituel fut accompli, deux ans passèrent. Les feuilles des bouleaux murmurèrent de nouveau dans le bois près duquel on hivernait tout le temps dans des cabanes construites avec du gazon. Il était l’heure de commencer notre voyage nomade au bord du grand lac Kojabay. Libéré de glace, il bleuissait, tentant, dans la verdure de la steppe de printemps.
Ce n’était que nous qui y allions pour l’été, mais aussi cinq ou six aouls voisins.
Au soir les saksakals de tous les aouls s’assirent gravement sur la pente de la butte, non loin du bord, se saluaient pendant longtemps, se renseignaient sur la santé, souhaitaient du bien. Enfin les convenances furent respectées, et les vieillards commencèrent à parler des choses à cause desquelles ils se sont réunis : comment payer le mollah qu’on avait invité pour les enfants, pour « la casse de la langue ». Ainsi appelait-on l’apprentissage à l’écriture et à la lecture.
Pour son enseignement le mollah devait recevoir une vache avec un velot, les dons religieux établis par les lois et les traditions ; aussi devait-il recevoir un paiement pour l’accompagnage des défunts ; à part cela les élèves devaient apporter à leur enseignant un paiement de lundi conforme à l’aisance de leurs parents et au degré de respect envers le mollah~ pas plus de cinq kopecks, mais non moins de deux. Il devait faire les cours une semaine dans chaque famille. Les parents devaient mettre leurs iourtes à sa disposition pour l’école et entretenir le mollah conformément à sa dignité.
La pauvreté a sa fierté, elle veut tout discuter d’avance pour qu’il n’y ait aucun mécontentement ou malentendu, pour que personne ne puisse reprocher le butin aux crochets de quelqu’un.
J’ai entendu en parler et j’ai aussi lu: plusieurs garçons se tournent troublés dans le lit la veille de leur première connaissance avec l’école, bondissent souvent : ils ont peur de rater le réveil. Je ne dirais pas la même chose sur moi. Ayant couru pendant toute la journée, j’ai dormi comme un sonneur et je me suis réveillé sur le même côté sur lequel je me suis endormi. Je pense que mes frères n’étaient pas non plus trop touchés à la pensée qu’on ne pouvait plus courir où l’on voulait le matin, mais qu’il faudra rester tranquilles et écouter ce que le mollah-professeur dirait et faire ce qu’il demanderait.
Le mollah qui vint chez nous était jeune. Pour cacher sa jeunesse il hérissait furieusement sa moustache et remettait plusieurs fois une rouette flexible fraîchement coupée. En même temps il donnait aux élèves des feuilles où étaient dessinées vingt-neuf lettres de l’alphabet arabe.
Ayant reçu une feuille pareille je n’étais pas tant intéressé par tous ces crochets, barres, frisons mais je regardais plutôt la queue de serpent de la rouette et réfléchissais pourquoi le mollah en avait besoin. Seulement hier je l’entendis parler de l’amour et de la réconciliation, de ce qu’il ne fallait pas causer des ennuis aux proches.
Il nous fit asseoir selon notre âge. Il n’y avait personne de plus petit que moi, je venais d’avoir six ans à l’époque. C’est pourquoi ma place éternelle dans toute iourte était près du seuil, en compagnie des agneaux et chevreuils. Souvent mes voisins étaient des chiens décrépits qui soupiraient et me regardaient avec compassion avec leurs yeux larmoyants.
Les leçons que le mollah nous donnait étaient aussi organisées selon notre âge. Il appelait le plus grand garçon et pointait de son long doigt sur l’alphabet. Je n’ai jamais vu d’ongles si soignés chez personne.
Alif, bi, ti... – prononçait le mollah d’une voix étrangère. – Répète ce que j’ai dit trois fois : alif, bi, ti. Et maintenant reviens à ta place et apprends.
Mais c’était juste le début de la science d’écriture.
Sous nos yeux la même lettre supportait huit ou même neuf transformations méconnaissables. Sans en avoir l’habitude, désemparés, nous prenions du temps à assimiler le sens de ces sons mystérieux, et alors personne n’avait de doutes pourquoi le mollah avait besoin de la rouette sifflante qu’il avait coupée dans les oseraies au bord du lac.
Prenons la lettre « a » par exemple. D’abord elle se prononçait plus doucement et s’appelait alif, et elle était dessinée comme une barre tenue debout. Et il fallait retenir que dans ce cas aucune barre ne pouvait se placer ni dessus, ni dessous..
Le mollah nous faisait la leçon de la même voix « savante » :
- Il n’y a pas de barres dans l’alif, mais il y a un point au-dessous du « bi » et il y en a deux au-dessous du « ti ».
A la nouvelle rencontre avec cette même lettre alif, elle avait à la fois trois façons de prononciation.
- Alifsin-a, albasin-i, aliftour-à... Si l’on lit en raccourci, on a a-i-o... Et ça se lit comme un mot étranger aio, c’est-à-dire comme des lettres indépendantes a, ir. Répétez, répétez, ne soyez pas paresseux, petits malheureux !
Si l’on a recours à l’alphabet kazakh moderne, il faudra écrire : ouly (fils ou grand) –aogouly, ondiris (production) – aondiris, il (dix) – aon, er (selle, homme, téméraire) –aïr...
Mais si seulement les hésitations de la barre dessinée d’un trait fin dans nos feuilles finissaient là ! Mais elle chavirait comme si le vent l’agitait. En la rencontrant pour la quatrième fois, nous commencions à bûcher d’une voix monotone et traînante après le mollah :
- Alifki-kousin-an... Alifki-kousin-yen... Alifki-koutir-on... An-yen-on !
La rouette d’oseille entre les mains du mollah nous redonnait de l’assiduité, mais elle n’ajoutait pas à la compréhension dans quels cas cette barre sacrée s’épaississait et sonnait pas doucement mais durement. Le professeur lui-même s’embrouillait des fois dans ses explications, sa moustache bougeait, il saisissait la rouette et à ces moments je ne regrettais pas du tout que j’étais le plus petit et que j’étais assis à l’entrée. En tous cas je ne consentirais pour rien au monde à échanger les places avec Khamit. Mon pauvre frère était assis à côté du mollah.
Peut-être que le lecteur d’aujourd’hui a du mal à suivre cette lettre perfide « a ». Mais s’il veut, il peut sauter cette page. Et nous, qu’est-ce qu’on pouvait faire ? Et si c’était seulement le « a » ! Vingt-neuf lettres, chacune d’elles a huit ou neuf façons d’être prononcées. Cela fait à peu près deux cent trente variantes ! Ainsi errions-nous à travers la brousse de l’alphabet arabe, et quelques-uns ne réussirent pas à s’en tirer. Ainsi, mon frère Sabit fut-il le premier à devenir berger sans terminer l’école
De temps en temps les adultes venaient dans l’iourte pour écouter comment se passaient les études, pour voir pourquoi tous les jeudis ils se séparaient de leurs pièces de cuivre verdâtres dont il n’y en avait pas beaucoup dans de vieux coffres coloriés.
A la demande du professeur nous scandions fort et distinctement, d’une voix traînante en présence de quelqu’un des parents :
- Alifki-kousin-an, alifki-kousin-yen, alifki-kou-tir-on !.. An-yen-on !
Notre oncle Botpaï venait plus souvent que les autres.
Bien qu’il n’achetât pas de chevaux à l’occasion de notre circoncision, nous continuions à l’aimer. Dans l’aoul on connaissait Botpaï en connaisseur fin et appréciateur des oiseaux de chasse et des coursiers. Mais il était surtout connu par son savoir de jouer au dombre et au kobyz[5] qui prenaient vie entre ses mains.
Botpaï écoutait ayant fermé ses paupières lourdes, et d’abord nous enviions qu’il pouvait le faire et que personne ne lui interdisait de somnoler paisiblement au son du bûchage traînant.
Mais il se trouvait qu’il ne somnolait pas.
- Mais qu’est-ce que c’est que ces mots que tu dis ? – demandait-il au jeune mollah non sans méchanceté. – Alifki-kousin-an... Est-ce que ce sont des mots de Dieu ? Ah ?.. Dis-moi, dis à l’illettré.
Le mollah se crispait peureusement. Botpaï était réputé d’être un homme d’une humeur brusque, autoritaire, un homme capable des actes inattendus, c’est pourquoi il fallait lui répondre après avoir bien réfléchi.
- Boteke, c’est de l’écriture de Dieu, - commençait le mollah prudemment. – Et le livre est composé par le prophète même, que son nom et ses œuvres soient bénis ! Ce que ces mots signifient, ce ne sont que les pères spirituels à Oufa, à Kazan qui le savent... Et les simples mortels doivent les répéter avec docilité et résignation.
En parlant avec Botpaï sa moustache n’était pas hérissée, il devenait poli jusqu’à faire la sucrée. Et nous nous figions en admiration – il y avait au moins un homme dans le monde devant qui le professeur terrible et implacable commençait lui-même à s’intimider et à bégayer comme un garçon coupable.
Les mots sur la docilité et résignation glissaient sur Botpaï et il disait sentencieusement au mollah :
- Et c’est ça qu’on appelle les études ! C’est non sans raison que les gens disent : rompement de la langue. Retiendraient-ils « an-yen-on » et cela suffirait. A quoi bon ils ont besoin de tes alifki-kousin ! Je viendrai dans une semaine. Si les élèves vont dire les mêmes bêtises, je ramènerai mon fils.
Une semaine passa, et après encore l’autre. Bien sûr que nous chantions « alifki-kousin, alifki-koutir », et le fils de l’oncle Botpaï continuait à chanter avec tous.
Il arrivait que la fille de Botpaï mariée dans l’autre aoul venait voir ses parents.
Elle attirait les gens non pas sa beauté, on ne pouvait pas l’appeler belle. Mais j’ai toujours le souvenir de son visage jusqu’à ce jour. Féminine, charmante... Et ce qu’elle avait de tout à fait extraordinaire, c’était le sens de l’indépendance complète, une chose rare pour une femme venant d’un vieil ou jeune aoul.
Le Dieu ne donna pas d’enfants à Batima. Je me souviens que nous les garçons essaimions autour d’elle, et elle s’occupait toujours de nos affaires : nous essuyait les nez brisés, réconciliait les brouillés parce que personne ne pouvait résister à ses prières et persuasions, consolait les vexés, grondait les coupables.
Les arrivées de Batima perturbaient toujours la vie monotone dans l’aoul, et pas du tout à cause de ce qu’elle aimait jouer avec les enfants.
Il lui suffisait de prendre un dombre, - et les airs les plus simples, connue à tous, retrouvaient une nouvelle vie d’une façon mystérieuse, comme si on les entendait pour la première fois.
Non seulement elle jouait, mais elle chantait aussi. Même maintenant quand je veux, je peux entendre sa voix résonnante velouteuse, fermer les yeux et me retrouver au bord du lac Kojabaï couvert d’oseille et de rosier, voir la raie large pourprée du coucher de soleil se regarder dans l’eau, loin du bord, là où il y a l’espace vierge.
Batima joue du dombre, et Botpaï joue du kobyz. Dans notre aoul à part le père et la fille personne ne pouvait jouer de ces instruments en accord. Batima jouait comme si elle était seule au bord du lac et il n’y avait personne autour à part elle. Mais autour il y avait une foule de gens des aouls qui déménagent ici, vers le lac, sur le jaïlaou[6]
Je sens autre chose aussi : l’émotion de la foule, toujours frappée par son don comme si c’était pour la première fois, se transmet à Batima, et à travers ces doigts elle se transmet aux cordes du dombre. Et la jeune femme brille bien que le soleil se couchât déjà et l’eau s’assombrît, et les roseaux murmurassent à côté.
Maintenant je me souviens qu’à l’époque c’est pour la première fois que je dus voir comment le talent de quelqu’un peut blesser et comment le succès de quelqu’un peut percer de part en part. Parmi les auditeurs il y a aussi d’autres musiciens. Ou plutôt ceux qui se considèrent comme musiciens. Le dombre, le même dombre tinte ennuyeusement dans leurs mains en irritant tous. Quelqu’un écoute en exprimant par son visage l’incrédulité méprisante. Celui qui est plus honnête devient tout petit, vidé jusqu’à ce que le dombre ne tombe en silence dans les mains de Batima.
Soudain une voix rompt le silence :
-Et oui… Là on voit tout de suite que Batima est vraiment la fille de Botpaï, aucun doute là-dessus !
Aux cas pareils Botpaï regardait fièrement de côtés.
Son iourte peu riche attirait les gens. On entendait les chansons magnifiques d’Akhan[7] et de Birjan[8] qu’apportait Batima, on entendait aussi des airs d’Arka[9] qui étaient soit pensifs et tristes, soit impétueux, appelant dans un voyage lointain. On devait encore un divertissement à Botpaï. A l’époque arrivaient les dastans[10] publiés à Kazan, Oufa et Tachkent. В Il est étonnant mais les livres ainsi que les gens provoquent des sentiments différents. Quelqu’un par sa naïveté pouvait se passionner d’une légende appelée « Sal-sal ». Là, avec des intonations mielleuses et élevées, on chantait les campagnes d’Ali, l’un des compagnons d’arme le plus proche du prophète, Ali s’apparenta même à la famille de Mohammed en se mariant avec sa fille. Dans l’opinion des gens qui composèrent ce dastan pour un grand public, les mots sucrés en l’honneur d’Ali, les louanges incessantes de sa sagesse, de son courage, voilà ce qui doit affermir la foi, dissiper les doutes chez les gens simples.
Mais il était difficile de tromper l’oncle Botpaï. « Kyz-Jibek », « Kozy-Korpech » et « Ker-Ogly » devinrent ses amis fidèles et respectés. Apprendre le reste était pour lui une occupation peu digne, une perte de temps.
On ne peut pas appeler Botpaï un chanteur au sens habituel de ce mot. Il récitait les œuvres à sa manière. Il donnait des explications, il jugeait les actions des personnages et exprimait son attitude envers eux. Je me souviens qu’en lisant « Kozy-Korpech » il bondissait furieusement et commencer à injurier Kodar pour sa perfidie, pour ce qu’il essayait d’empêcher le bonheur des amoureux à chaque pas.
«Kyz-Jibek »... Au cours du récit il s’arrêtait plusieurs fois et disait avec colère :
- Ce sont des ignorants qui ont sali le tout de leurs mains souillées. Des mollahs, des nollahs ! Et avant, parmi les gens simples c’était ainsi, je vais vous chanter maintenant... Et en récitant il faisait des corrections ou des digressions moralisatrices.
«Kyz-Jibek »... Voilà qu’une jeune femme refuse moqueusement de suivre la tradition selon laquelle la femme d’un défunt est prise par l’un de ses frères. Jibek n’eut pas encore le temps de pleurer son Toleguen que son frère cadet Sansyzbay la harcèle déjà.
Il entend en réponse :
Le pauvre garçon !
Qu’est-ce qui te force à te mettre sous la couverture
Qui couvrait ton frère aîné ?..
Botpaï le prononçait lentement en donnant à chacun la possibilité de réfléchir au sens amer de ces mots. Si parmi les auditeurs il y avait ceux qui s’étaient mariées avec les femmes de leurs frères aînés ou cadets, Botpaï interrompait son récit et s’adressait directement à eux :
- C’est de vous qu’il s’agit ! C’est de vous, salopards ignobles, que notre digne Jibek parle
Ceux-là rougissaient et souriaient désemparés.
Et ici ce serait bien de citer un exemple comment l’un d’eux ayant honte s’était séparé avec la femme gardant encore le souvenir de fortes étreintes de celui parti pour toujours... Mais malheureusement je ne pourrai pas citer un tel exemple. Botpaï terminait son histoire, tout le monde allait à la maison, et tout allait son train.
Malgré cela Botpaï et Batima m’aidèrent à voir le pouvoir de l’art sur les gens. Là, au bord du lac Kojabay, ou dans l’aoul près de l’iourte de Botpaï les gens devenaient meilleurs, plus purs, et si le dombre et le kobyz ne pouvaient pas changer leurs idées sur la vie, tout de même deux ennemis qui se disputèrent pour toute la vie pouvaient être assis côte à côte tranquillement et écouter...
Un tel pouvoir n’entrait en aucune comparaison avec celui d’un dirigeant de volost, d’un juge ou d’un maltôte intransigeant venu pour vérifier le paiement des impôts et ramener le dernier mouton de l’iourte..
Nous allions chez le mollah pendant trois étés et deux hivers, et j’appris les subtilités de l’écriture arabe, je lisais des légendes populaires et je pouvais comparer les textes aux récits de l’oncle Botpaï. Je pouvais reproduire moi-même certains extraits, mais je ne m’y décidais pas en présence de tous.
Mon père réussit à redresser la situation. Il est vrai qu’il n’eut pas de grand haras. Mais si le rituel de la circoncision s’était passé maintenant, chacun de nous, chacun de trois frères aurait pu avoir un cheval pour s’afficher à la fête. Et de nouvelles chemises, et pas deux, mais trois kopecks au mollah, qu’il sache que nous ne sommes pas des miséreux.
Le père regardait tous victorieusement, avec l’air de « Et qu’est-ce que je vous disais ? », et ma mère laissait échapper de gros soupirs. Elle savait par expérience ce qui suivait après cette aisance relative. Et malheureusement ses appréhensions se réalisèrent.
L’année du sanglier vint. Il apporta le djout[11]. On disait que le djout nous était envoyé pour nos péchés humains.
- Pas pour les péchés, mais pour la paresse, pour la stupidité ! – s’écriait Botpaï.
Mais les gens se moquaient de lui quand il fauchait des roseaux se tenant dans l’eau du lac à mi-corps. Dans la steppe il n’y avait pas ce proverbe « Rira bien qui rira le dernier ». Ce dernier, ce fut Botpaï même par la suite.
En me souvenant de ces jours-là je comprends que c’est la paresse et l’insouciance, le koumys et le bechmarmak[12] qui sont les responsables des malheurs terribles. Nous, les pauvres, suiv ant l’exemple de nos parents riches, nous attardâmes sur les jaïlaous. Mais les parents employaient des ouvriers et se soucièrent de faucher du foin. Et quand tous les autres occupèrent les pâturages d’avant-hiver, il se trouva qu’il n’y avait pas de fourrage pour le bétail. La sécheresse brûla l’herbe, l’herbe se transforma en poussière sous les pieds des animaux errant à la recherche de la nourriture. L’automne ne faisait que commencer, et le long hiver sibérien était devant nous.
Les cours à l’école cessèrent. Il n’y avait de quoi payer le mollah. Il partit.
Notre famille était nombreuse, il y avait seize personnes. Mais juste quatre d’eux travaillaient. Les autres étaient soit des enfants, soit des vieillards.
L’hiver vint, et trois adultes allèrent vers d’autres seuils, en valets de ferme. Les brebis et les chèvres, les vaches et les chevaux mouraient de faim. Et on ne pouvait rien faire, et personne ne pouvait aider !
La faim s’installa chez nous et devint le maître de la maison. Je l’imagine toujours sous les espèces de notre grand-mère et des enfants affamés, c’est-à-dire de nous-mêmes.
Presque la moitié de notre iourte était occupé par un fourneau encombrant. L’eau bouillait sans cesse dans la fonte et des os nus se cognaient contre elle. Les os du bétail mort, la graisse osseuse qu’on fondait pour la cuisson du savon aux bons temps, - tout allait dans le chaudron.
Khabit et Sabit s’adaptèrent pour en tirer le profit et je ne tardais pas à suivre leur exemple:quand la moelle osseuse se détachait des os, les gouttes de graisse glissaient au-dessus de l’eau et se rassemblaient au fur et à mesure aux bordures du chaudron. La vapeur incessante créait une demi-pénombre, - et alors, en profitant du moment où les adultes tournent le dos ou sortent, nous enlevons vite la graisse à l’aide des cuillères prises d’avance. La menace d’une punition ne peut pas nous arrêter. Si quelqu’un de nos proches nous avait pris au dépourvu, on nous aurait battus. Mais une cuillère de bouillon vaut la plus cruelle des punitions.
Le thé qu’on buvait était blanc et amer. Il s’appelait ainsi parce que des feuilles de sauge y nageaient. Et tout de même on attendait ce moment avec impatience : on servait du blé cuit avec le thé. La grand-mère répartissait la collation : deux cuillères aux adultes et une cuillère aux enfants.
Les regards avertis étaient attachés aux mains de la grand-mère.
-Pourquoi agites-tu ta cuillère ?..
-Mais puise plus, plus !
- Oui, quand c’est mon tour, ta cuillère glisse toujours tout par-dessus...
Les vieux doigts noueux décidaient sur le coup à qui il fallait ajouter un mi-dé de blé et la portion de qui allait perdre quelques grains à juste titre.
Nous, les enfants, essayions de nous asseoir plus près de la grand-mère, la regardions complaisamment dans les yeux, et le soir, avant de nous coucher, lui grattions le dos sans cesse. Nous assimilâmes très bien que le bien-être de nos estomacs dépendait complètement de sa bienveillance ou malveillance envers nous.
Si quand même la grand-mère se fâchait contre quelqu’un de nous, il y avait encore le grand-père, le père... Sourire complaisamment, donner une tasse de thé à temps, prévenir : prends garde, ou ton blé se répandra... Cela faisait procurer une dizaine de grains des fois.
Mais plus l’hiver avançait, plus les relations avec la nourriture devenaient tendues. On remarquait déjà l’indifférence triste dans les yeux des adultes, et les bons moments, où l’on pouvait les aduler, se faisaient de plus en plus rares.
Parfois en servant le thé à quelqu’un des adultes, on frisait d’une manche sa poignée de blé comme sans le faire exprès :
- Mais où tu le tires ?! Où ? – entendra-t-on un cri méchant, et une grande main en frappant la tienne ramasse le tout jusqu’au dernier grain.
Tu soupires et commences à partager ta portion en sept ou huit parties juste pour faire prolonger la cérémonie de thé. L’eau bouillante, on en avait assez pour tout le monde dans le samovar de Toula. Bois à ta soif, et personne ne te dira un mot.
Là, où il y a beaucoup de monde et peu de nourriture, des malentendus sont fréquents, et chacun pense que c’est lui qui est vexé, privé, délaissé. La faim est effrayante parce qu’elle aliène même les gens proches.
On se retrouvât serrés et mal à l’aise sous le même toit ;
Les frères décidèrent de se séparer. Voilà une histoire anecdotique qui précéda leur rupture avec mon père. Dans ma tasse avec ce même thé blanc une particule de thé se retrouva par hasard. Chez les kazakhs c’est un signe d’arrivée d’un hôte, absolument indésirable par un hiver tellement affamant.
Mais moi, en garçon bête, je m’écriai !
-Le gendre Moussa vient chez nous !
- Non, ce n’est pas Moussa, c’est Boytan, - objecta mon frère Sabit. – Tu vois qu’il porte un vieux malakhaï[13] ébouriffé sur sa tête ?
- Non, c’est Moussa !
- Non, c’est Boytan !
Moussa était le père de la femme du troisième frère de mon père et je le respectais plus que Boytan, le père de la femme du deuxième frère de mon père.
- Personne dans cette maison ne respecte mes parents ! Personne dans cette maison ne veut pas qu’ils viennent ! – se mêlât à la dispute des enfants l’un des frères de mon père.
- Un beau-père avec ses yeux affamés et avares, je me refuserais de lui, il est grand temps déjà ! – lui répondit l’autre frère de mon père.
Et voilà que le poing du frère qui était plus grand effleura l’oreille gauche du frère qui était plus petit, et celui-là lui répondit d’un coup sur son oreille droite..
Une bagarre commençât... Après de longs reproches, accusations, disputes réciproques les frères se séparèrent. Nous eûmes juste une brebis, une vache inféconde avec une corne cassée et un antenais bai. Et nous les mangeâmes tous avant le printemps à part l’antenais.
Il n’y avait rien à faire, le père envoya Khabit travailler comme valet de ferme, et après notre Sabit s’en alla aussi vers un autre seuil.
Mon tour vint dans un an ou un an et demi.
En été de 1916 on commençât à appeler les kazakhs pour les travaux de l’arrière, et d’une façon inattendue un hôte vint chez nous, le frère de ma mère.
Il raconta qu’il fallait y aller et qu’il avait besoin de quelqu’un qui l’aiderait avec le ménage. Il avait deux gosses, encore tout petits, et sa femme ne pouvait pas quitter la maison. Il convainquait mes parents de me laisser partir dans leur aoul.
Ma mère et mon père pensèrent que vivre dans une maison d’un parent était mieux que vivre dans celle d’un étranger. Et ils me laissèrent partir avec lui dans district Koustanaïski. Je ne fus jamais aussi loin de mon aoul.
Dans leur pays les aouls s’installaient le long de la rivière Oubagan. Les iourtes d’hivernage, basses et grises, étaient les mêmes que partout, mais les gens vivaient ici un peu autrement. En souvenir du bon vieux temps ils partaient sur les jaïlaous, mais à peu près à cinq kilomètres de leurs iourtes, pas plus. Ca faisait longtemps qu’ils faisaient de l’agriculture, et les semences exigeaient leur attention continue.
Je me retrouvai chez mes nagachis[14] juste au moment de la récolte et je passais toute la journée, du matin jusque tard dans le soir, dans les champs, j’apprenais à faire des gerbes serrées, je chassais les chevaux en boucle pendant le battage...
Les travaux de champs furent enfin tous faits mais le temps de se reposer ne vint pas.
La pêche était aussi la tradition de ces gens. Je jonçais de longs panneaux égaux à la double taille humaine ensemble avec d’autres garçons et de vieux hommes. On me montra comment il fallait joncer : on met un bout fin de la tige vers un gros bout, après un bout gros vers un bout fin et ainsi de suite.
La glace sur la rivière atteignit l’épaisseur de deux doigts. Nous la burinâmes et barrâmes la rivière de panneaux. Dans quatre ou cinq endroits on laissât des passages, et on y mît des trappes joncées en huit. Cette façon de faire s’appelait kaza (la mort). Soit le poisson allait en amont, soit en aval, il ne pouvait pas échapper à la trappe.
Comment il en est maintenant, je ne sais pas, mais à l’époque on avait beaucoup de poisson dans l’Oubagan. Aie juste le temps de le pêcher! Les brochets, les perches, les cyprins, les brèmes, carassins frappaient désespérément contre la glace froide, battaient de leurs queues et après se calmaient. Les tchebatchkis[15]rapides étaient surtout peu enclins à accepter leur sort. Mais ils se calmaient eux aussi, et dans les rayons d’un soleil d’hiver froid ils scintillaient de leur bleu argenté comme des lames des poignards caucasiens durcies dans l’eau gelée.
Au plein de l’hiver on pêcha assez de poisson pour la vente et l’approvisionnement, et vint une trêve.
Dans l’aoul voisin il y avait une école russe à deux classes. En décembre contre les règles établies le professeur au nez rouge permit mon admission dans la première classe. Je ne peux pas me souvenir de son prénom, on disait qu’il venait de la région d’Aktjubinsk. Mais je n’oubliai pas la taille du pot de vin : six roubles étaient égaux aux quatre pouds de poisson, du poisson que je devais ramasser le matin, quand la rivière fumait de froid, et le soleil se levant au-dessus de la steppe était pourpré.
Bientôt le professeur au nez rouge fut licencié. Et c’est là que nous connûmes Beket Outetleouov. Je peux dire une seule chose : à cette époque lointaine quand on pouvait compter les professeurs de village sur les doigts d’une main, c’était un bonheur particulier de se retrouver dans les mains de ce professeur qui ne voyait pas sa mission comme celle de juste apprendre ces enfants de l’aoul ignares et un peu sauvages à écrire et à compter.
Après les cours il nous racontait parfois des histoires passionnantes qui élargissaient notre vision de la vie. C’est de lui qu’on entendit pour la première fois le nom de Krylov. Il nous lisait sa traduction de ses fables, et nous riions gaiement en apprenant comment le renard rusé avait réussi à tromper la corbeille, la louer à tel point que celle-là avait croassé à plein gosier et avait laissé tomber un morceau de kourout[16]. Beket nous présentait les œuvres d’Abaï et d’Altynsarin. Quelque chose s’oubliait : on n’était pas si grands que ça. Mais il y avait aussi quelque chose qui restait dans la mémoire.
-Quoi que tu prennes, prends-le avec des mains propres ! – nous le répétait Beket assez souvent, aux occasions différentes. Et nous courions nous laver les mains presque pendant chaque récréation.
Et ce que l’expression avait aussi un autre sens, un sens plus profond, je ne le compris que beaucoup plus tard.
Beket remarqua ma passion envers la chanson épique, envers les dastans et commença à me prêter des livres. Pour commencer il m’apporta ses poésies, elles s’appelaient « Jigan-terguen »[17]
J’eus beaucoup de goût pour ces poésies, j’appris certaines lignes et je les récitais silencieusement. Beket me demanda : « Et qu’est-ce qui t’a plu au juste ? ». Je rougissais, je balbutiais mais je ne pus pas vraiment expliquer ce qui m’avait plu. J’avais des idées, mais je manquais des mots pour les exprimer.
Il n’insistait pas et me donna le poème « Chakhmaran », me demanda de le lire et après le lui reproduire. Le poème me passionna. Je passai quelques jours en lisant, en refusant de courir avec les garçons. L’histoire du roi des serpents me toucha surtout. Je fus frappé par la haute dignité avec laquelle il avait traité l’homme en malheur et c’était d’autant plus triste de voir après la noire ingratitude, la trahison de cet homme.
Beket resta content de mon récit. Il me demanda ce que j’avais lu encore et je lui mentionnai les dastans qui me tombaient entre les mains, à la maison, quand j’allais encore chez le mollah.
Un soir des hôtes se réunirent chez le professeur. Il m’appela et me fit parler devant le public. D’abord j’étais terriblement gêné. Je croyais que je ne pourrais pas me rappeler un seul mot. Mais la première ligne apparut, elle entraîna la deuxième, la troisième... C’étaient des extraits de « Kyz-Jibek ».
Les hôtes louaient le don du jeune lecteur à l’unanimité. Pour un peuple ignare, chacun qui pouvait redonner la vie aux mots muets écrits dans un livre, était déjà considéré un savant, un homme respecté.
Pour moi, qui avait fait l’école chez le mollah pendant deux ans les cours, les cours dans la première classe parurent faciles. Je captais plusieurs choses plus vite que mes camarades pour qui les études étaient du tout nouveau. Et rien ne gâche autant que le sentiment de sa propre supériorité. En plus je voyais que le nouveau professeur m’aimait bien. En abusant de son attitude bienveillante je déclarai à Beket peu d’un mois après :
- Mougalim[18], je veux vous dire : j’ai déjà terminé la première classe. Maintenant je lis les livres de la deuxième.
Beket même resta désemparé de cet aplomb arrogant. Mais il ne fut jamais grossier avec nous.
- Comment ça, terminé ? – demanda-t-il avec surprise.
- Mais oui, vérifiez-le... L’alphabet, je le sais entièrement. Des chiffres qu’il faut additionner ou soustraire, je saurai le faire aussi ! Vous pouvez vérifier si vous en doutez.
Il y avait un grain de vérité dans mes paroles. En imitant l’écriture du professeur je commençai à écrire bien et lisiblement. J’appris aussi l’alphabet par cœur, pas pire qu’un dastan.
Beket se renfrogna strictement. Mais tout le monde savait qu’il ne savait pas vraiment se fâcher.
- On dirait que c’est moi l’élève Gabit, et c’est toi le professeur Beket. Je pense qu’il serait plus juste si ce n’était pas toi qui me parlais de tes progrès, mais que ce serait moi qui te louerais. Qu’est-ce que tu en penses ?
Je ne pensais plus rien. Je brûlais lentement de honte. Beket me donna du temps pour dominer ma gêne non prétendue et dit ensuite :
- Tu étudies vraiment bien, là je ne peux rien dire. Mais si tu veux devenir un homme, ne sois jamais content de toi-même. Dis-toujours à toi-même : j’aurais pu faire plus que j’avais fait...
Je supportais mon déshonneur en silence. Beket ajouta comme si rien ne s’était passé :
- Après-demain l’inspecteur vient chez nous. Il va contrôler comment l’école fonctionne. Il me demanda de lui montrer non seulement des élèves moyens, mais aussi les meilleurs. Prépare-toi. Je vais t’interroger à la leçon d’arithmétique.
Je préférerais lire quelque chose, comme j’avais déjà appris quelques poésies russes. Mais que faire, s’il voulait que ce soit l’arithmétique, ce sera l’arithmétique. Même s’il fallait penser : « J’aurais pu faire plus que j’avais fait », le fait qu’il m’avait compté au nombre des meilleurs avait chatouillé mon amour-propre.
...Nous savions que l’inspecteur était un chef, comme celui de volost ou même encore plus important. Il était habillé comme un chef aussi, en uniforme bleu foncé avec une broderie d’or, il avait une moustache et une barbe taillée en pointe.
Quand il entra dans la classe et nous salua poliment, je m’étonnai. Dans mon aoul j’étais habitué à ce que si la personne était chef, alors le chef crierait fort, exigerait des choses, lèverait la kamtcha[19] sur quelqu’un. Et celui-là, il était différent, il n’était pas comme les autres.
Sur les murs, dans des cadres lourds dorés étaient fixés des portraits du tsar et de la tsarine. Comme il se devait, l’inspecteur nous demanda si nous savions qui était sur ces portraits.
Des mains s’élancèrent en l’air en réponse :
- Bien, dis-moi, toi, - s’adressa-t-il à Mousataï qui se levait même de sa place d’impatience, en montrant de tout son air que ce serait lui qui raconterait le mieux si on le lui demandait.
Mais quand on apprend par cœur une longue phrase dans une langue étrangère et peu familière, sans en comprendre le sens, elle s’évapore vite de la mémoire. Il suffit à Mousataï juste de se lever d’un bond, de se poser dans le passage et de mettre les mains sur les coutures. Ensuite il se déconcerta de son propre courage. Il avala bruyamment sa salive et grommela :
-Je ne sais pas.
L’inspecteur regarda notre professeur de biais et celui-là rougit comme un garçon.
- Alors dis maintenant toi… - L’inspecteur s’adressait maintenant au garçon le plus robuste parmi nous, Jakyp qui avait 20 ans et qui avait du mal à s’asseoir devant la dernière table.
Ainsi eut-il du mal à en sortir et il se tint debout sans savoir où mettre ses grandes mains.
- Laui… - commença Jakyp en soupirant.
- Pas « laui », mais lui, - corrigea l’inspecteur et cela suffit pour que Jakyp se perdît et se tût pour de bon.
Notre pauvre professeur perdit tout à fait courage ; son regard errait d’une table à l’autre où étaient assis ceux sur qui il ne pouvait pas compter. Je le compris et je me mis à élancer ma main pas pire que Mousataï venait de faire tout à l’heure.
- Bon, toi, s’il te plaît, - se tourna l’inspecteur vers moi et montra de la tête la femme qui regardait d’en-haut le garçon kazakh maladroit que j’étais alors.
J’étudiais en première, et j’avais déjà presque quatorze ans. Et ma langue comme celle de tous les élèves vétérans, restait lourde. Pour moi il était surtout difficile de prononcer « eiya », le mot par lequel commençait le titre infiniment long de l’impératrice de l’Ancienne Russie. « Iya » ou même « ia », voilà ce que je prononçais à chaque fois différemment et à chaque fois incorrectement. C’est pourquoi j’essayai de sauter le mot funeste au plus vite. J’y réussis et après je dis tout d’un seul coup.
On voyait que l’inspecteur était content. Il fit un signe de la tête à Beket et me convoqua au tableau. La table de multiplication, je la savais et je ne m’embrouillai pas une seule fois en répondant ce qu’on recevait en multipliant quatre et huit, cinq et neuf, huit et sept. Je résolus aussi deux problèmes qu’il m’avait donnés.
Beket se remit un peu et offrit à l’inspecteur de m’interroger aussi en langue russe. Celui-là réfléchit et me demanda de lire une fable. Qu’est-ce que je lus ? « Serin et pigeon » ou « Singe et lunettes » ?
Le serin tomba dans le piège terrible,
Le pauvre s’y agitait et s’y déchirait,
Et le jeune pigeon se moquait de lui…
Si même maintenant je peux le réciter librement jusqu’à la fin, c’est cette fable que je lus le plus probablement.
Il y avait cinq filles dans notre classe. Trois d’elles ayant peur de l’inspecteur ne vinrent pas à l’école ce jour-là. Et l’une de deux, celle qui était plus courageuse, lut aussi une poésie. L’inspecteur me récompensa d’un recueil de Lermontov, et la fille d’un livre de Pouchkine.
Je lisais Lermontov, j’appris par cœur certaines de ses poésies. Mais leur sens m’échappait parfois.
Qu’est-ce que signifient les mots « empereur », « voile », « capitaine ». Voilà sa poésie « Terekh ». En kazakh le terekh signifie un tremble, et je ne pouvais pas comprendre ce que cela voulait dire : « Terekh hurle, Terekh est sauvage et méchant parmi les masses des rochers ». C’est le vent ou quoi ? Merci à Beket, il m’expliqua : Terekh est une rivière au Caucase, elle coule dans les montagnes, c’est pourquoi elle est si impétueuse.
Les fables, c’est autre chose. Là on pouvait beaucoup comprendre. L’auteur même expliquait où était leur morale. Les animaux étaient des personnages qu’on pouvait rencontrer dans notre steppe ou sur les pages de dastans ; là tout était à sa place : on savait qui il fallait juger bon, mauvais, qui il fallait condamner, de qui il fallait se moquer, à qui il fallait compatir.
Juste quatre jours passèrent suite au départ de l’inspecteur. Et juste un seul événement définit notre vie, notre destin pour toujours.
- Liberté ! Liberté ! – s’écriaient des cavaliers en galopant dans les rues, en passant dans des aouls proches.- Il n’y a plus de tsar !...Liberté ! – Et ils demandaient des souyounchis[20].
Mais soit le tsar était encore là, soit il n’y était plus, le lendemain matin nous vînmes tous en classe. La première chose qui sauta aux yeux : le professeur avait eu le temps d’enlever les personnes augustes du mur et les avait appuyées contre la table. Il se trouvait que leurs portraits étaient peinturlurés à l’huile sur des feuilles en fer-blanc. Et leurs majestueuses baguettes dorées étaient aussi en fer-blanc.
- Aujourd’hui pas de cours ! – nous annonça Beket avec un sourire radieux, - un nœud de ruban rougeoyait sur sa veste comme une fleur. – Si tout le monde est libre, vous êtes libres aussi, mes enfants. Et ces deux-là…- Il claqua un des portraits du doigt. – Ceux-là, vous pouvez les traîner dans tout le village, les traîner par terre. Pour que personne ne puisse les reconnaître vers le soir ! Et criez, criez à plein gosier qu’il n’y a plus de tsar, que maintenant c’est la liberté ! Crier, ça, vous savez bien le faire.
Oui, crier, ça on pouvait le faire. On trouva vite des bouts de ficelle et traîna le tsar et la tsarine derrière nous. Jusqu’au soir nous courions dans les rues, nous allions dans des aouls voisins. On entendait notre bande bruyante de loin. Les gens sortaient à notre rencontre. Les uns observaient en silence ce qui se passait sans dire leur opinion. On dit qu’il n’y a plus de tsar… Et s’il reprend le pouvoir, qu’est-ce qui arrivera à ceux qui l’injurient devant tout le monde ?
Les autres ne cachaient pas leurs sentiments. Ils criaient, ils s’égayaient, ils nous invitaient dans leurs maisons et nous offraient ce qu’ils pouvaient.
Je me souviens qu’une vieille femme kazakhe qui ne vit jamais le portrait de tsar ne cessait pas de s’étonner :
- Mais quelle gueule ! Ce diable est borgne encore !
Elle ne soupçonnait même pas que c’était Jakyp qui avait écorché la peinture.
Enfin on s’ennuya de traîner les portraits. Nous les fourrâmes dans le trou sur l’Oubagan.
L’été vint.
Cet été fut critique dans ma vie. Beket Outetleouov écrivit une requête à l’école Presnogorkovskaïa. Il parlait flatteusement de mes capacités et insistait sur le fait que je devais continuer mes études dans une école russe.
Le cours de mon histoire va déroger un peu, mais je dois dire quelques mots sur Beket. Il était l’un de ces kazakhs peu nombreux qui réussirent à recevoir une éducation dans une école normale. Il aurait pu rester dans la ville mais il ne l’avait pas fait. Si je devais définir toute la complexité et toute l’originalité de son caractère, je dirais qu’il était un civilisateur. Tel il était quand moi, gamin, je le rencontr ai pour la première fois. Tel on le connaissait toutes les générations des élèves consécutives – Beket Outetleouov enseignait la littérature pendant de longues années dans une école de Koustanaï. Il ne cessa jamais d’écrire les poésies, mais il traitait ses créations d’un œil critique, sans trop d’enthousiasme. Pendant toute sa vie –(Beket mourut il y a quelques années) il considéra possible de publier un recueil qui avait supporté l’épreuve du temps et qui était republié peu avant la mort de Beket.
Je n’ai pas maintenant la possibilité de parler de Beket en détail, tellement en détail qu’il l’avait mérité par sa vie. Mais je dois avouer que le mot professeur restera pour moi toujours lié avec son nom, qu’il se repose en paix comme on disait si bien jadis, et que ses réalisations continuent dans les réalisations de ses nombreux élèves !
Et maintenant revenons en 1918.
Les examens d’entrée à Presnogorkovka m’apportèrent une note excellente en arithmétique et un échec spectaculaire en russe. Mais je fus tout de même admis. Probablement ils crurent Beket sur parole.
En automne de la même année on fit un toï dans l’aoul voisin, je ne me rappelle plus l’occasion.
Je mis de nouvelles bottes en cuir, dont les tiges laissaient voir des chaussettes épaisses en feutre. Ces chaussures s’appellent saptama. Je campai mon chapeau d’astrakan gris artificiel aux oreillons jusqu’aux sourcils. J’eus le plus de soucis avec mon « manteau ».Une kazakhe que je connaissais le recousit d’une capote de soldat. Elle le recousit presque gratuitement, elle était une bonne femme, mais il suffit de me souvenir de mon apparence de l’époque, et je comprends que sa bonté n’a quand même rien à avoir avec l’art de coudre. Le manteau me rendait bossu que je n'étais pas, et mes bras paraissaient plus longs qu'ils ne l'étaient.
Je fus même étonné quand une connaissance m’avait reconnu et m’avait appelé pendant le toï, c’était un compatriote Sabit, Sabit Moukhanov commença à me parler, avec un air un peu gêné. Soit mon apparence l’avait laissé perplexe, soit ma réserve naturelle retenait même une personne si sociable comme lui. En s’étant habitué l’un à l’autre on rit de bon cœur et on partagea nos projets de futur.
Sabit allait à Omsk pour suivre un cours de professeurs. Il est surprenant qu’il entendît aussi la rumeur que j’établissais des « dostobirenys », c’est-à-dire des documents pour la vente des chevaux, aux compatriotes pendant la foire de printemps dernier. Les gens illettrés qui étaient plus âgés que moi me traitaient respectueusement en m’appelant scribe et c’est alors que je reçus mon premier cachet, trois roubles au total. C’était un argent considérable à l’époque.
En pensant que pendant la grande foire d’automne il devra aussi gagner sa vie, Sabit me demanda le modèle. Je lui donnai un modèle sur la vente d’un cheval gris foncé. Je le prévins qu’il fallait noter le pelage, et je lui écrivis en colonne des désignations kazakhes et en face de chacune d’elles des désignations russes : bouryl – grivelé, jiren – roux, koula – isabelle, sary – louvet, kara – moreau, choubar – pie, tory – bai. A part cela je crus nécessaire de noter aussi des « signalements » possibles : marques, marques au fer chaud.
Plus tard, durant la foire de printemps prochain j’appris que Sabit avait interprété mon modèle trop à la lettre.
Dans sa description tous les chevaux, moreaux et bais, étaient gris foncé. Tous ces chevaux avaient « une oreille droite coupée, une roussissure sous la selle, une crinière de deux côtés… » Il fit le même document pour le bétail cornu et les moutons.
Et quelle mésaventure eurent les propriétaires du bétail à la vente! Les gardes de bazar adroits comprirent vite comment en tirer le profit. Ils accusèrent les kazakhs d’aoul que le cheval était volé et les laissaient partir mortellement apeurés juste après avoir reçu un bon pot-de-vin.
Cela arriva aux plusieurs. Mais l’auteur de ces « dostobirenys » eut aussi une mésaventure pas moins grande.
Le père consentit à mes études à Presnogorkovka parce qu'à l'époque son korjoun[21] se tenait assez solidement sur l’échine de l’antenais dératé. Mais pour louer un appartement chez les russes, on n’y avait pas suffisamment de moyens.
Je m’installai à la lisière de la stanitza, dans la maison de Saguindyk. Il faisait paître les bovins appartenant aux cosaques locaux. Sa famille se familiarisa avec Presnogorkovka il y a longtemps. Les femmes cousaient des touloupes à la vente, lui-même était cordonnier, il transportait du bois et du foin, en hiver il nettoyait des trous dans la glace.
Ils parlaient tous russe assez bien, et en leur présence je ne me décidais pas pendant longtemps à m’adresser à cette langue à cause de ma prononciation tout à fait terrible. Je fus ami avec le frère cadet de Saguindyk. Il s’appelait Syzdyk. Dans son enfance il courait dans l’école russe et c’est alors qu’il nota le poème kazakh « Kyz-Jibek » en lettres russes.
Mais si je me sentais à l’aise avec Syzdyk, je me gênais surtout avec Salyma et Chayzat. Elles eurent 14 et 13 ans et selon les idées de jadis elles étaient considérées comme des jeunes filles. Ces moqueuses aimaient mettre le gamin d’aoul, qui venait juste de se retrouver dans la grande stanitza aménagée, mal à l’aise.
Je décidai que si j’étais devenu si grand et éduqué que même Beket-aga parlait bien de moi, alors je devais essayer de surmonter ma timidité naturelle. Elles vont me manger ou quoi ?..D’abord il faut montrer à ces sœurs aux langues méchantes que je n’étais pas pire que ceux qui avaient grandi et habitaient à Presnogorkovka.
Une telle occasion se présenta bientôt. Je rentrais de l’école à la maison. Et le chemin passait à côté du bazar. Une femme russe d’un certain âge criait vivement !
- De petites pommes, de petites pommes! Qui veut de petites pommes…
Du dictionnaire russe-kazakh que je parcourais parfois je savais que les pommes s’appelaient « alma » - un fruit juteux, délicieux et sucré qui pousse dans les arbres. Probablement c’est parce que je savais le sens du mot mais ne vis jamais de pomme que je m’arrêtai près d’elle.
- 2 copecks une pièce, - répondit la femme à ma question combien coûtait sa marchandise. – Et qu’elles sont sucrées, délicieuses, c’est du miel.
Je lui en achetai une dizaine. Les fruits étaient mûrs, prêts à exploser d’un moindre attouchement. Je n’avais pas de place où les mettre, alors je dus les fourrer dans des poches de ma veste et de mon pantalon.
Je marchais avec précaution comme un homme non habitué à la selle ayant fait tout le chemin à cheval. En m’approchant de la maison je sentis que les poches étaient humides.
Malheureusement il y avait des hôtes dans l’iourte.
Salima et Chayzat étaient assises à deux côtés du samovar et versaient du thé avec un air d’hôtesses important. Mes objections n’aidèrent pas, Saguindyk me fit asseoir au dastarkhan[22] Les hôtes pliés en chien de fusil se poussèrent et je m’assis sur la kochma[23] près d’eux.
Je n’eus pas encore le temps de tendre la main pour prendre une piala que les poches humides de mon pantalon devinrent mouillées. Les taches sombres trompeuses parurent à l’extérieur. Et les pommes que j’avais mises dans les poches de ma veste furent écrasées par mes voisins. On était serrés au dastarkhan, et on était assis coude au coude.
On but le thé pendant longtemps. Premièrement il faut raconter toutes les nouvelles l’un à l’autre, deuxièmement les kazakhs d’aouls aiment beaucoup le pain de levain, et les jeunes hôtesses accueillantes en servaient des miches sans cesse.
Enfin tous burent à leur soif et mangèrent à leur faim. Les jeunes filles enlevèrent le samovar et se rendirent rassembler du bois. Je marchai sur leurs pas. J’avais eu une conversation avec Saguindyk que j’allais les aider avec le ménage.
Nous nous éloignâmes de la maison, je rassemblai tout mon courage et je rendis aux filles leurs cadeaux.
- Voilà.. Des pommes…J’en ai acheté pour vous. Pour toi, Salima. Pour toi, Chayzat, - grommelai-je.
Salima prit gravement « une pomme » bien froissée, regarda mon pantalon mouillé et, ne pouvant pas se retenir, éclata de rire. Chayzat, qui était une fille impétueuse, gâtée par sa situation de la petite fille favorite fit tomber les fruits rouges de mes mains, les saisit et courut vers la maison en criant :
- Maman !Maman ! – riait-elle aux éclats. – Regarde quels cadeaux Gabit nous a achetés au bazar ! Il dit que ce sont de petites pommes, mais ce sont des tomates ! Des tomates !
Le rire contagieux de la sœur fit son effet sur Salima, et, épuisée de cette gaieté, elle tomba sur l’herbe.
Ainsi, sans gloire, mon premier mais pas le dernier essai de faire la cour aux jeunes filles finît-il. D’où pouvais-je savoir qu’à Presnogorkovka et dans ces contrées en général les habitants locaux appelaient les tomates « de petites pommes ».
...Quatre ans à l’école Presnogorkovskaïa. Je fus encore le témoin du fait qu’avant le début des cours tous les élèves de toutes les confessions s’alignaient dans la salle des fêtes pour la prière. Devant se tenait le professeur de loi de Dieu habillé d’une soutane élégante en soie, prêtre Malinovski. Près de lui se tenait le directeur Mikhailov, le diacre et les professeurs. Nous commencions toujours de la même façon : « Notre père qui êtes aux cieux… Que votre nom soit sanctifié… que votre règne arrive… que votre volonté soit faite… » Lui, Toi, le Dieu juste, on prononçait ces mots à la majuscule, et dans une salle spacieuse au premier étage l’écho retentissant nous suivait.
La voix de basse de Malinovski faisait trembler les vitres s’il était en verve. Le diacre, l’âme du chœur clérical et « laïque », le suivait. Le diacre était jeune et beau, et nos filles chantaient volontairement chez lui. Comme tout artiste, il appréciait leur dévouement. Pendant les leçons de musique et de chant le diacre ne regardait même pas de côté des garçons.
Ce qui était bien à l’école Presnogorkovskaïa, c’était l’attention particulière qu’on prêtait à la langue russe, aux belles lettres comme on appelait l’enseignement de littérature selon notre vieille habitude. Probablement nos professeurs croyaient justement que c’était la littérature qui aiderait leurs élèves à comprendre les complexités de la vie. Combien d’âme y mirent-ils, combien d’efforts déployèrent-ils pour atténuer la rugosité de ma langue raboteuse, pour apprendre à comprendre le sens des mots qu’on prononce. Quelle patience fallait-il avoir par exemple pour me corriger infatigablement pendant deux ans : pas souppixe, mais suffixe. Plexie, ce n’est pas correct, il faut dire flexion.
A l’école on pensait non seulement aux empyrées, mais aussi à notre futur terrestre. Les volontaires pouvaient apprendre la menuiserie, la cordonnerie, il y avait nos propres maçons, nos propres couturières.
Vers 1921 on avait déjà longtemps fini avec Koltchak dans nos contrées. Mais il y avait encore des gens qui espéraient faire revenir le passé. Au printemps il y eut une révolte contre le pouvoir soviétique, et nous, neuf élèves attardés, capables de porter le fusil, entrâmes dans le détachement : « Le groupe du sud des résistants de la province Akmolinskaïa ». Dmitriy Kovaliov les dirigeait, il venait d’Annovka, d’un petit village de paysans.
La sortie des bandits des gardes-blancs fut bientôt réprimée. Trois mois après nous revînmes à l’école, et probablement pour notre participation aux exploits de combat, on nous libéra de l’examen de fin d’études. On le remplaça par une composition libre.
Silviya Mikhailovna nous enseignait le russe et la littérature, elle était soit lettone, soit polonaise. Plusieurs étaient secrètement amoureux d’elle. Elle avait des yeux vifs, profonds comme le lac Kojabaï, près duquel notre famille passait l’été. Sa voix est belle, surtout quand elle rit, elle devient argentée comme des clochettes sur une troïka. Cela fait plaisir de l’entendre même si elle, comme maintenant, nomme les sujets des compositions. C’est mon destin ultérieur qui en dépend. Silviya Mikhailovna nous disait :
- Choisissez vous-mêmes… On peut écrire que par ces jours de printemps les paysans sèment le blé dans nos contrées. Le blé ! N’oubliez pas que la région de la Volga souffre la faim. Dans plusieurs villes on donne un huitième de pain à un adulte. Et dans notre stanitza certains gens ont les granges qui craquent de blé… Le pain, voilà un des sujets de vos compositions… Après on a chez nous l’ouverture de la foire de printemps. C’est un autre sujet de composition. Certains parmi vous participèrent à la liquidation d’une bande dangereuse. Je pense qu’ils ont des choses à raconter après la campagne.
Je me redressai fièrement quand elle se mit à parler de ceux qui avaient participé à la campagne des résistants de Kovaliov. Mais j’ai tout de même choisi un autre sujet : « Foire Presnogorkovskaïa de printemps de 1921 ». Ainsi fut-il écrit par Silviya Mikhailovna, et ce fut le titre que j’avais écrit dans mon cahier.
Seulement hier j’allai à la foire et j’y observai plusieurs occasions où le triste et le ridicule allaient main en main et il n’était pas clair s’il fallait s’en réjouir ou s’en attrister.
Il n’y a pas une seule foire où il n’est pas possible de marchander. Si vendre quelque chose, alors c’est pour plus cher, si acheter, c’est pour moins cher… Pour ceux qui ne parlaient pas la même langue il y avait des signes adoptés pour tout le monde : on montrait les roubles sur les doigts, les copecks sur les articulations, cinquante copecks d’un mi-doigt.
- Vingt ! – disait un paysan russe en élançant deux fois ses poings crispés devant le vendeur.
- Jiyrma !..persistait le kazakh en posant aussi deux fois ses poings devant lui mais en secouant la tête en désaccord.
- Mais qu’est-ce que tu veux encore ? – ne comprenait pas le vendeur. Le kazakh se taisait avec désapprobation en caressant le cou du taureau avec qui il ne se serait jamais séparé s’il n’avait pas fallu acheter des allumettes, du kérosène, de l’indienne pour des chemises et des robes, et surtout du thé !
- Bon, comme tu veux… - se décidait le russe après avoir réfléchi. – J’en ajouterai encore cinq, -montrait-il encore sur les doigts.
- Bes ? Jok, jok, - n’acceptait pas le vendeur et insistait : - Birboutoun. – Cela voulait dire : « Ajoute encore un poud de farine ».
Le kazakh ne pouvait pas expliquer ce dont il avait besoin, le russe ne comprenait pas le kazakh, et le tolmatch[24]n’était pas à leur proximité, comme par un fait exprès.
- Tu veux un kalatch ?.. Une mie de pain ?.. – La voix de l’acheteur trahissait la haine.
Le vendeur ne pouvait toujours pas montrer la farine. Là ni le visage, ni les mains ne pouvaient l’aider, et le marché n’eut pas lieu. Le russe jura en kazakh, le kazakh jura en russe et ils se séparèrent. Le russe battit l’air de la main, le kazakh cracha par terre.
Non loin d’eux, quelques étrangers d’un aoul, en essayant de ne pas trahir leur admiration, examinaient un cheval gris pommelé sur lequel un gitan en chemise rouge vif caracolait en tirant les rênes. Lui seul prononçait sept cents mots alors que ces sept-là avaient à peine le temps d’en prononcer soixante-dix tous ensemble.
Son fouet sifflait dans l’air. Le gitan tantôt descendait du cheval en offrant à tout volontaire de monter sur son cheval. Et celui qui montera ne voudra plus en descendre. Tantôt il remontait en selle en prétendant qu’il était désespéré par l’humeur peu conciliante de ses acheteurs, de leur incompréhension du profit.
- Je vous le donne mais presque gratuitement ! Gratuitement ! – criait-il. –Mais vérifie comment il marche, mon vieux ! Monte et vérifie ! Je ne le vendrais jamais mais j’ai besoin de l’argent…
Trois djiguites en gardant l’expression de méfiance sur le visage montèrent sur le beau cheval à tour de rôles, après ils se rangèrent de côté, discutèrent et l’un d’eux commença à compter des coupures de 5, de 3, d’un rouble. Le gitan tapa le nouveau propriétaire sur la main, lui donna les rênes et se dissipa dans la foule de la foire.
J’appris la suite de cette histoire dans la maison de Saguindyk ; l’acheteur fut sa connaissance.
Vers le soir le cheval commença à boiter du bras, et vers le matin il ne pouvait plus se lever. Le vétérinaire l’examina, haussa des épaules et dit que la vodka qu’on avait versée au cheval la veille s’était évaporée, et que si le propriétaire voulait vraiment monter sur ce cheval, il fallait à chaque fois lui verser de l’alcool.
L’étranger désemparé errait au bazar de foire, interrogeait si quelqu’un avait vu un homme à la barbe noire, avec un fouet, dans une chemise rouge satinée et un gilet noir.
C’est des images pareilles que ma composition de fin d’études se composait, elle prit dix pages dans mon cahier d’élève.
Un jour ou deux après notre classe se pressait en foule dans le couloir, près de la porte fermée de la salle des maîtres. On nous convoquait un par un. Il y avait neuf élèves attardés, comme j’avais déjà dit. Huit élèves franchirent le seuil et revinrent avec des papiers à la main : attestations de fin d’études.
J’écoutais sur mes gardes. Il y avait une discussion dans la salle des maîtres. La voix de Silviya Mikhailovna, d’habitude timbrée, se faisait entendre d’une façon sourde, comme si elle était fâchée et vexée. Elle insistait sur quelque chose, et visiblement on n’était pas d’accord avec elle. Juste une fois je réussis à comprendre ses paroles emportées :
- Et je vous le dis à tous !..
Mes camarades tenaient leurs attestations dans les mains comme s’ils avaient peur de les froisser dans leurs poches ou de les perdre. Ils me regardaient avec compassion, et partirent quand il fut clair que cela allait prendre du temps.
Je passai à peu près une heure et demie tout seul. Enfin la porte s’ouvrit, et Silviya Mikhailovna toute rouge, excitée, m’invita dans la salle des maîtres. J’entrai plus mort que vif. Le directeur feuilletait d’un air sombre mon cahier avec la composition. Il me regarda avec reproche : « Tu vois ? » - disait son regard.
Et oui, je voyais… Des lignes violettes corrigées partout de l’encre rouge de Silviya Mikhailovna comme s’il y avait une bataille sanglante, pas un seul mot ne survécut. Mes déclinaisons et conjugaisons non accordées, mes participes et gérondifs ressemblaient aux télégues paysannes stationnées à tort et à travers à la foire.
- Cent cinquante ! – s’exclama le directeur. – Sur dix pages tu as cent cinquante fautes !
Je fus tout à fait abattu. Comment j’allais faire maintenant ? Rester encore un an à l’école ? Ou tout laisser, partir ? Mais voilà que tout d’un coup le directeur me montra la dernière page.
C’était incroyable mais un grand chiffre 5 était marqué de la même encre rouge. Il était souligné par deux traits rouges provocateurs. Je fermai les yeux et je les rouvris.
Le directeur ne se renfrognait plus. Il souriait.
- Non, tu ne rêves pas... – Sa voix sonnait bienveillamment. – Remercie bien Silviya Mikhailovna. C’est elle... Elle seule est contre nous. Elle nous a convaincus. Elle dit que tu vas devenir écrivain.
Silviya Mikhailovna était assise devant la table. Elle souriait victorieusement au directeur et à moi, elle me souriait d’une manière encourageante, amicale. Ainsi pour la première fois entendis-je ce qui allait m’attendre au futur. Je ne pensais pas du tout devenir écrivain alors. Je voulais revenir à la maison au plus tôt pour mettre de l’ordre dans mon aoul, dans notre volost. Selon les rumeurs les beys s’accoutumèrent bien aux nouvelles conditions.
Le jeune homme qui revint dans son aoul en été de 1921 ne ressemblait pas à celui qui était jadis parti d’ici. Devins-tu adulte ? Oui... Vis-tu beaucoup? Oui, tu vis beaucoup... Ainsi parlais-je avec moi-même assis au bord de mon lac et regardant mon reflet dans l’eau riveraine calme.
Je changeai pour de vrai. Le fait qui m’invitait aussi à le croire était que « le professeur soviétique » Yesym Dosbolov me parlait d’égal à égal.
Si quelqu’un de loin nous observait, il penserait : ces deux-là allaient se battre. Ils bondissent de leurs places, agitent de leurs bras, crient l’un sur l’autre.
Mais en réalité nous étions unanimes dans nos idées et nous nous convainquions qu’on ne pouvait plus le supporter. Le Conseil de volost, les Conseils d’aoul étaient toujours dirigés par des beys. Ils prétendaient se tenir de côté, ils n’y occupaient pas de postes. Ils agissaient via les personnes interposées ; complètement dépendants d’eux et obéissant à leur volonté. Faux-belsendy, on appelait ainsi ces gens dans des journaux. Les faux activistes, des lèche-culs des beys par essence.
Un matin, Yesym, moi et trois activistes qui étions du même avis que nous, allâmes dans l’aoul où se trouvait le nouveau pouvoir, volrevkom[25].
Son chef était un fils de l’un des beys, et tout le personnel du revkom se composait des représentants des différentes familles influentes.
Dans une nouvelle langue menaçante à sa façon discrète nous exigeâmes la tenue d’un congrès de volost et la discussion des affaires dans la volost.
Le chef du volrevkom hocha la tête et partit ayant promis de revenir au plus vite.
- Et s’ils ne veulent pas nous céder ? –s’adressa Yesym à lui-même pensivement.
- Comment ça, ils ne voudront pas ! – C’étaient mes dix-neuf ans qui bouillonnaient en moi. – On expliquera tout aux gens, ils les feront obéir ! Et n’oublie pas que je fus né dans l’année de la panthère !.. – Je regardai belliqueusement mon fusil de résistant, je regardai de côté s’il y avait quelqu’un qui voudrait nous résister. Le chef revint.
- Réunir les gens, ça prendra beaucoup de temps, - dit-il. – Certains sont sur des jaïlaous, d’autres sont encore en hivernage... Chacun a plein de choses à faire. On fera mieux tous seuls... Si vous voulez nous suspendre de nos fonctions, allez-y ! Faites-le. Chargez-vous-en et dirigez les affaires. Et nous, nous partons de bonne volonté.
Ils n’auraient pas voulu discuter, se disputer à plein gosier, démentir les accusations justes publiquement. Ils ne voulurent pas de bruit.
Ainsi dans notre volost le chef du volrevkom, le secrétaire, le commissaire de guerre, le directeur du département de l’éducation populaire, le directeur du département foncier furent-ils suspendus de leurs fonctions en une demi-heure. Nous nous mîmes à répartir les charges entre nous.
Après la campagne des résistants je commençai à éprouver une passion particulière envers l’arme. Sabre à la ceinture, fusil aux épaules ou mieux – revolver dans une gaine, et il ne me faut plus rien !
En comptant mon expérience de bataille, on décida de me pourvoir en commissaire de guerre.
C’était bien surprenant, mais au centre de la province non seulement on ne nous accusa pas pour l’inégalité et l’arbitraire, mais aussi on nous valida sous nos nouvelles fonctions. On valida aussi notre première décision de transporter la capitale de la volost dans un autre aoul. Yesym le justifia d’une façon convaincante : les maîtres anciens avaient trop de complices, et dans l’autre aoul, dans l’aoul des pauvres il nous serait plus facile de nous mettre d’accord avec les gens.
Mais le vieil aoul cédait difficilement aux nouveautés. Je me souviens de mes conversations avec un vieil homme de l’aoul voisin, il s’appelait Omar.
- De quelle famille es-tu, jeune homme ? De quelle famille ? – me demandait-il sans me reconnaître après la deuxième rencontre.
Après avoir attentivement écouté la réponse il continuait ses interrogations :
- Ah, je vois ! Alors c’est toi, je te reconnus. Tout est encore à sa place ?
- Oui, Omeké, à sa place.
- Et qui est votre milice maintenant ? – Il entendait le chef de la volost.
- Le même jeune djiguite.
- Allah merci... Et kaperatyp, c’est qui ? – C’est au chef de la coopérative de consommation qui était considéré comme la deuxième personne la plus importante dans la volost qu’il s’intéressait.
- Mais vous le connaissez, Omeké. Il est grand...
- Alors tout va son train, tout est à sa place. Allah merci, Allah merci.
Et nous nous séparions jusqu’à la prochaine fois où ces questions se répétaient dans le même ordre. Je n’entendais jamais d’autres questions chez Omar. Il savait la seule chose : milice, c’est le pouvoir, kaperatyp, c’est le magasin. Il faut se tenir plus loin du pouvoir et plus près du magasin. .. C’est bien que c’étaient les mêmes gens qui occupaient ces places, les gens qu’il connaissait déjà et à qui il s’était habitué.
Je m’attristai franchement quand on avait supprimé le poste de commissaire de guerre dans les volosts neuf mois après et je fus privé de mon arme. Qui sait si cela n’était pas arrivé, j’aurais été général maintenant et je ne serais pas resté un gus.
Mais à l’époque je ne pouvais pas faire avec la pensée que j’allais me séparer avec l’arme, c’est pourquoi j’allai travailler à la milice comme sous-chef, et on commença à m’appeler Gabit-yourynbasar[26] dans des aouls.
Mais le temps passait, et je me souvenais de plus en plus souvent des conversations avec Beket Outetleouov, de ses conseils et de ses recommandations. Je me souvenais aussi des prédictions de Silviya Mikhailovna. Mais au lieu d’écrire des poèmes et des histoires j’écrivais des protocoles : un cheval bai volé à Mouhammedjan de l’aoul Alday retenu à Presnovka, son nouveau maître Touleou nie le fait de l’avoir volé et dit qu’il l’avait acheté...
Je me mettais à l’enquête mais je comprenais déjà que ce travail n’était pas pour toujours, que de nouveaux chemins m’attendaient.
Sabit Moukhanov vint chez lui en congé. C’était au gros de l’été, en 1923.
Il se trouvait que Sabit avait déménagé à Orenbourg, à la rabfak. Qu’est-ce que c’est que la rabfak ?.. C’est la faculté de travail. On y acceptait ceux pour qui le chemin vers l’éducation supérieure était fermé avant.
A vrai dire j’enviais Sabit. A partir de 18 ans il vivait dans de grandes villes, son horizon était beaucoup plus large que le mien. Il parlait facilement et librement de l’état du pays, du futur du Kazakhstan, des relations internationales. Et il le savait non des rumeurs, mais de première main, d’Orenbourg[27]. Il habitait chez le chef même du Sovnarkom, le poète révolutionnaire Saken Seyfoulline qui soutenait les jeunes artistes prometteurs. Et c’était clair : le chef du Sovnarkom de la république, Saken Seyfoulline, était l’un des fondateurs de la littérature kazakhe moderne, un grand poète dont les poésies se propageaient à travers la steppe peut-être plus vite que les décrets signés par lui.
- Partons ! – disait Sabit. – A quoi bon tu vas rester ici ? Et chez nous à Orenbourg, tu sais...
Et il commençait à me parler de ses connaissances, de ses rencontres, de ses poésies.
Ses mots tombaient sur le sol propice. Je m’imaginais dans une grande ville parmi les étudiants. Je les étonnais par mes histoires, par mon savoir-vivre...
- Alors tu dis partons ? Et moi je dis, partons ! – ainsi dis-je à Sabit un jour.
Les iourtes de mon aoul natal restèrent derrière nous. Pour la énième fois... Je me retournais en selle. Les iourtes disparurent de mon regard. Mon cheval ayant compris que le chemin était long et que ce n’était pas juste un voyage dans l’aoul voisin, cessa de récalcitrer, de retourner sur ses pas et se mit à aller plus gaiement.
Enfin nous gagnâmes Petropavlovsk et là nous dûmes quitter notre cheval fidèle qui m’avait au moins trois fois sauvé la vie. Je m’en souviens comme si cela venait d’avoir lieu : je quitte l’auberge à Petropavlovsk et lui, il me suit des yeux comme s’il comprenait que notre séparation était pour toujours.
Mon cheval était roux, avec une étoile blanche sur le front et une hanche dans un bas blanc.
A Orenbourg Sabit m’amena de la gare dans l’appartement de Seyfoulline. Le chef et le poète était entouré par tant de jeunes poètes, chanteurs, compositeurs que l’apparition de deux de plus ne pouvait pas l’étonner. Encore deux ? D’accord, encore deux…
Mais il est vrai qu’on ne voyait presque pas Saken. Quand il revenait de ses voyages à Orenbourg, il était à Sovnarkom du matin jusque tard dans la nuit. A part cela il occupait un poste de rédacteur du journal « Yenbekchi kazakh », le seul journal publié en kazakh. (Maintenant c’est un journal républicain « Socialistik Kazakhstan ».
Il partait tout le temps, mais ses poésies restaient avec nous. Dans ses poésies il y avait un coursier magnifique qui rivalisait avec le vent, et un dombre pensif qui savait les pensées les plus secrètes de l’âme humaine, une locomotive fulgurante qui traversait impétueusement la steppe ancienne en dévorant l’espace, - toutes ces images devenaient des symboles de révolution.
On lisait les poésies dans une chambrette exiguë, dans l’appartement de Seyfoulline.
La fenêtre unique donnait sur la véranda. Il y faisait sombre, mais même cela ne nous dérangeait pas. On pouvait ne pas trop se soucier de la propreté. Mais il était nécessaire de balayer le plancher sans parler qu’il fallait le laver. J’étais insouciant par ma nature et Sabit n’était pas non plus un modèle de l’ordre et de la discipline.
Des mégots étaient dispersés dans les coins de la pièce. Nous ne les balayions pas délibérément. Quand la nuit nous n’avions plus de« temeké », on ne se préoccupait pas de cigarettes, on ramassait les mégots. C’est là que je compris qu’être débraillé dans certains cas peut être incontestablement utile.
Pour la nuit on se couchait à deux sur un lit de fer simple. Le sommier était déchiré il y a longtemps et on couvrit le lit de feuilles de placage provenant des cartons de thé.
Souvent au milieu de la nuit on entendait un fracas accompagné d’injures étouffés,-nous vérifiions la solidité du plancher à l’aide de nos côtés. Que l’on veuille ou non, il fallait se lever et réparer le lit. Sabit se rendormait tout de suite sans faire attention aux bruissements et craquements.
Ce serait beaucoup plus facile de remplacer les feuilles de placage cassées par des nouvelles. Mais Sabit pensait que c’était moi qui devais le faire, et je pensais que c’était lui qui devait le faire. Nous habitâmes dans la pièce pendant presque six mois, et tout ce temps était rempli de ces accidents de nuit routiniers.
Sabit composait des poésies comme un obsédé, et il n’avait ni le désir, ni le temps, ni les forces de faire quelque chose d’autre. Il se réjouissait de chaque rime réussie et m’obligeait à me réjouir pour lui. Je le regardais en parcourant mon manuel et je pensais avec précaution : et si c’était un mauvais signe que Silviya Mikhailovna, cette brave femme, m’avait prédit mon futur d’écrivain? Est-ce que c’était cela qui m’attendait aussi : me torturer pour un mot comme si l’on tirait un gros sac et l’on allait tomber sous son poids…
Mais sans exercices littéraires de Sabit j’aurais vécu mal cet hiver d’Orenbourg, surtout les premiers temps. Sabit publiait ses poésies dans un journal, dans des revues et touchait des cachets pour cela. Il me convainquait aussi d’écrire. Mais je ne pouvais pas encore me décider, et il commença à m’apporter de différents décrets, directives, rapports à traduire qui étaient nombreux à l’époque.
Les documents officiels se traduisaient parfois d’une façon si approximative, en une langue de bois, que les gens sur place à qui ces documents étaient adressés en premier lieu comprenaient à peine de quoi même il s’agissait. Je dois avouer que je contribuai largement à cette affaire. Mais de manière ou d’autre le traducteur était payé. Les cachets de Sabit et mon salaire pour la déformation non préméditée du sens des documents officiels suffiraient largement pour vivre dans l’aisance. Mais nous ne savions pas du tout dépenser l’argent et c’est pourquoi nous vivotions pendant six mois.
Sabit entra à la rabfak une année avant moi et maintenant il était en sa deuxième année, et moi, j’étais en année préparatoire. Mais au milieu de l’hiver nous nous retrouvâmes tous les deux en première année. On me fit passer en première année avant terme pour mes progrès. Sabit avait encore quelques « queues »[28](c’est à cette époque que j’appris ce mot pour la première fois, le mot bien connu aux étudiants de toutes les générations), et on le fit redoubler.
Il n’en était pas très triste. « Les bolcheviks ne perdent pas courage et ne cèdent pas devant les difficultés », - me dit-il et continuait comme toujours à écrire des poésies. Et au printemps, quand les examens nous rattrapaient déjà, il fit tout à coup sa valise et partit.
Resté seul je n’étais plus si assidu avec mes manuels et cahiers. Je me distrayais des formules et des dates de plus en plus souvent. Je pouvais comprendre comment cela se passait : on est emporté dans un autre monde, dans le fouillis des événements connus à toi seul, et des images délicates et craintives t’entourent en foule. Dans ces moments, il se trouve qu’on peut oublier toutes les choses dans le monde : « les queues », le fait de ne pas avoir déjeuné aujourd’hui, le rendez-vous pris avec une fille non imaginaire, mais une vraie…
En feuilletant un volume de Pouchkine je trouvai tout d’un coup la confirmation de mes sentiments :
Le poète a des moments,
Quand il retrouve le calme suprême,
Et le don chauffé par le feu solennel,
S’ouvrira dans la vanité.
Alors les lignes se transforment facilement en poésie,
Et coulent d’un flot vivant,
Et la pensée inspirée
S’empare profondément de toute son âme.
Le doute, la timidité, le manque de confiance en ses propres forces, voilà ce qui empêchait ma pensée inspirée de s’emparer profondément de mon âme.
Mais en revanche c’est à la rabfak que je devins un lecteur assidu. L’enseignant de littérature Karl Karlovitch Bezine, un allemand russifié, contrairement à l’opinion fixé que les Allemands sont un peuple ponctuel, pouvait interrompre son cours à demi-mot et lire, lire de suite Byron, Béranger, Pouchkine, Lermontov, Blok, Goethe, Schiller, Heine… Je ne sais pas si tous mes amis de cours partageaient ses élans passionnés. Je peux dire pour moi-même que je les partageais.
Karl Karlovitch m’inculqua l’amour non juste envers la poésie. Gogol, Gorki et Jack London, je ne me séparais jamais de leurs livres. Tchitchikov rusé et affable, Nozdriov tapageur, Tchelkach, garçon immobile de l’histoire «Histoires terribles», Smok Bellew avec Gosse, son ami fidèle – ils devinrent tous pour moi des gens aussi réels que mon compatriote Omar qui me posait toujours les mêmes questions, comme Beket Outetleouov, comme Silviya Mikhailovna, comme Batima, la fille de l’oncle Botpaï.
Je vis : la vie qui m’entourait dès mon enfance, que je connaissais jusqu’au moindre détail et avec toutes les nuances de ces détails, peut devenir un matériel littéraire, s’il y avait un écrivain qui la connaissait aussi bien que nous, les gens de steppe. Et je décidais avec aplomb de la jeunesse, que c’est moi qui devais essayer mes forces et dire ce que j’avais à dire !
Ayant décidé ainsi je mettais hâtivement mon stylo à la plume de côté. Je le mettais de côté pour un temps indéfini. Ce serait trop dur de voir sa propre faiblesse devant une feuille de papier vierge.
Mais il fallait entreprendre quelque chose, et ne pas faire un écart comme un cheval qui eut peur de sa propre ombre. Je me répétais : « Je ne vais pas écrire, je ne peux pas être écrivain ». Mais c’était plus pour tromper soi-même. En avant-dernière année de la rabfak je décidai tout de même de faire une courte visite à la rédaction de « Yenbekchi kazakh » non seulement pour demander une autre traduction.
Ce jour-là je nettoyai particulièrement bien mes bottes chromées qui accompagnait chaque mon pas d’un grincement, je mis un jodhpurs – je gardai la passion envers ce pantalon depuis l’époque où j’étais commissaire de guerre, je repassai ma tolstovka[29], à l’époque tout le monde qui voulait suivre la mode portait des tolstovkas.
Je ne sais pas, peut-être que mon apparence fit impression, mais à la rédaction on décida que j’étais un activiste… Et ils me firent un contrôle de l’instruction élémentaire. Et c’est là que les alifsin-a, albasin-i, aliftour-o me servirent… Le journal était publié en alphabet arabe, l’autre n’existait pas à l’époque.
Le secrétaire technique en me remettant une copie de ma commission me donna un conseil amical :
- Le correcteur, c’est bien… Mais à tes amis, dis-leur que tu es un collaborateur littéraire. Ça sonne plus sérieusement, plus solidement.
Le secrétaire n’était pas beaucoup plus âgé que moi et je suivis son conseil volontairement. Et parmi mes connaissances on me connaissait comme collaborateur littéraire sans que j’écrivisse une seule ligne valable.
Mais quand même ce titre m’obligeait à quelque chose. A la rédaction je me heurtai pour la première fois à ce qu’écrire était un besoin professionnel. Ici j’avais sous les yeux des gens plus expérimentés, plus adultes qui avaient déjà atteint quelque chose. Le premier parmi eux que je mentionnerai sera Baiymbet Maïline.
Avec son nom, maintenant inconditionnellement et pour toujours étaient liées les premières armes de la prose littéraire kazakhe. Si notre poésie avait déjà de riches traditions littéraires, la prose, là il y avait un chemin à faire. Le premier récit de Maïline « Monument de Chouga »fut publié deux ans avant la révolution. Le récit avait du succès, on le lisait, on en débattait.
Dans notre rédaction Maïline était secrétaire en chef. A l’époque le nouveau rédacteur qui avait remplacé Seyfoulline à ce poste, participait sans cesse aux conférences et réunions ou partait en missions prolongées.
Un homme sensible, bon, humain, il traitait les débutants avec une attention particulière. Mais ce qu’il ne pouvait pas tolérer et ce qui pouvait provoquer son indignation extrême, c’était la paresse, la négligence, l’irresponsabilité.
Un jour tard dans la nuit (je m’en souviens bien mais j’ai du mal à croire que cela eut lieu il y a plus de quarante ans), après que le numéro était signé, Maïline avait réuni tout le personnel de la rédaction chez lui.
Le secrétaire en chef faisait une analyse scrupuleuse des numéros du mois. Il était très mécontent de notre travail : nous écrivions mal, nous ne soulevâmes pas de questions importantes. Il gronda aussi les collaborateurs littéraires et les chefs des départements.
Il analysa aussi en détail le matériel du service de critique et bibliographie : articles, comptes rendus… Presque tous d’eux prenaient pour un point de départ une affirmation incontestable mais uniforme : il ne faut même pas penser au progrès de la littérature avant que nous n’en finissions pas avec le retard de la critique. Cette idée prononcée ils entamaient une sorte de compétition : comment invectiver un écrivain le mieux. S’il était par exemple un homme érudit et éduqué, on l’accusait de son origine de féodal et de bey sans trop réfléchir aux preuves. Si l’on sentait que l’auteur n’avait pas trop étudié, on l’appelait ignare sans ambages.
J’étais relativement tranquille. Je devais juste soigner la grammaire, et on n’eut pas trop de fautes ce mois.
Maïline dit :
- Et encore une chose… Je pense que vous en avez déjà marre de l’écouter, mais j’en ai encore plus marre d’en parler! La qualité des traductions… Voici, je vais vous lire maintenant…
Occupé par mes propres pensées je n’écoutais pas attentivement le texte. Mais quand j’en ai capté le sens, je voulus tout de suite devenir petit et insignifiant. Baiymbet lisait l’un des décrets traduits par moi et pas par quelqu’un d’autre.
- Avez-vous compris quelque chose ? – demanda-t-il en remettant la feuille de journal sur le bureau.
La réponse ne suivit pas, parce qu’il était difficile de vraiment en comprendre le sens, même au traducteur.
- Comment pourra-t-on comprendre cela dans des aouls ? Ou nous publions ce journal pour que les autres l’utilisent pour en faire des cigarettes ?
La réunion express finit presque à trois heures du matin ; Maïline distribua aux collaborateurs littéraires tout un tas de manuscrits.
- C’est pour le traitement. Je vous donne deux jours. Il faut les rendre prêts à la publication.
Tout le monde commença à partir, et moi, je piétinais au seuil du bureau. Je décidai que Maïline ne me donnerait plus aucune tâche, à un homme peu éduqué, peu consciencieux, évidemment occupant la place de quelqu’un d’autre. Il me chasserait sans doute. Dans le meilleur des cas il me réduira à la fonction de commissionnaire, où je devrais porter des originaux à la typographie, et des épreuves et des pages montées de la typographie. Rien à dire, c’est un bon cadeau que je me fis pour mon anniversaire…
- Attends, - m’arrêta-t-il.
J’étais prêt à écouter une longue morale et je me trompai de nouveau. Maïline me regarda juste très attentivement, soupira et me tendit le manuscrit de l’article en kazakh.
- Tu vas le corriger et me l’apporter. La date butoir est la même que pour les autres. Vas-y…
C’était à la veille du 8 mars, et l’article était consacré à la question féminine. Je ne me montrai pas aux cours pendant deux jours, je ne sortais pas de foyer, je préparais l’article à la publication. J’écrivais, je barrais quelque chose, je recopiais, je faisais des ajoutés..
Au terme fixé je franchis le seuil du bureau de Maïline.
Baiymbet détacha le regard des pages montées et ses grands yeux gris suivaient comment je mettais le manuscrit devant lui. – Tu l’as apporté ? – Oui. – Assieds-toi.
Il lisait attentivement en revenant parfois vers les paragraphes précédents. Dans un endroit il fit une marque de crayon rouge.
- Et d’où as-tu pris cela ?
- De « Pravda ».
La question concernait un de mes ajoutés. Il s’agissait du fait qu’en Grande-Bretagne, pays d’une grande et vieille civilisation, les femmes n’atteignirent le droit de vote aux élections qu’en 1918, et nos femmes kazakhes l’eurent un an avant, en 1917. En étudiant érudit j’essayai d’expliquer cela par un règlement de Lénine connu sur les peuples oppressés avant qui entraient en voie du développement socialiste en sautant le stade de capitalisme.
Comme Maïline savait se réjouir des succès de l’autre, même si ce succès était juste une comparaison logique, résultant du cours des raisonnements dans un article ordinaire.
- Très bien ! As-tu essayé d’écrire quelque chose toi-même ?
- Non.
Je ne pouvais pas dire « oui » ayant en vue la composition qui n’avait pas franchi le seuil de l’école Presnogorkovskaïa.
- Tu vas essayer peut-être ?
Quelques jours après je lui montrai un petit essai, il s’appelait « Quand Edegué est bon et quand il est mauvais ». J’essayai de décrire brièvement les relations entre un ouvrier agricole Edegué et son maître dont j’étais témoin. Si tu chasses le haras sur le pâturage, tu es bon, si tu vas chercher du bois, tu es bon. Mais le même Edegué devient mauvais s’il s’assoit pour se reposer ou commencer à dire qu’il lui faudrait acheter de nouvelles bottes.
Dans le numéro suivant mon œuvre occupa la vingt-unième ligne, signée pour la première fois.
- Tu as vu ça ? – me demanda Maïline en me rencontrant. – J’y ai corrigé juste quatre mots. Continue comme ça.
«Continue».
Ces mots me poursuivaient, ils ne me laissaient pas tranquille. Ils mirent fin à mes doutes. Je ne dormis pas pendant quatre nuits. J’écrivais l’histoire « Dans les vagues déchaînées ». J’aimais beaucoup ce titre.
Je recopiai soigneusement l’histoire, j'apportai le manuscrit à la rédaction trois fois et je l'emportai chez moi encore trois fois : je ne me décidai pas à le montrer à Maïline, je ne rassemblai pas mon courage pour le faire plonger dans mes vagues déchaînées. Cela finit par la publication de mon histoire dans notre journal mural de la rabfak, sur toutes les feuilles en rez-de-chaussée de la longueur de deux mètres et vingt centimètres.
Les uns me grondaient, d’autres me louaient ou ne disaient rien du tout. Quelques jours après on commença à oublier cette histoire quoique le journal mural fût toujours fixé près du bureau de comité de komsomol.
Pendant l’après-midi, durant la pause entre les cours je me retins dans la salle, et tout d’un coup mon ami de cours y fit irruption.
- Mais qu’est-ce que tu fais là ? Cours plus vite en bas ! Maïline lit ton histoire !
En bousculant les passants je descendis à la rampe. Mais je ne trouvai plus Maïline dans le vestibule. Après la conversation avec mes camarades j’appris que Maïline avait été à l’institut voisin. Les écrivains de la plus vieille génération, comme je comprends maintenant, se préoccupaient d’avoir la relève, ils la cherchaient dans des établissements d’enseignement, parmi les jeunes.
Le soir nous nous préparions à quatre au séminaire de demain dans notre chambre de foyer. On entendit quelqu’un frapper à la porte. « Entrez »,- dit quelqu’un de nous.
La porte s’ouvrit et Maïline entra.
Nous nous levâmes d’un bond, et l’hôte fut offert quatre tabourets à la fois.
- Suis-je si gros? Un tabouret me suffira largement, - ria-t-il. – Mais vous avez fumé trop de makhorka ici…
Il nous offrit des cigarettes russes épaisses qui étaient très rares et luxueuses à l’époque. Il demanda quel était le sujet de notre séminaire et si nous avions peur d’y échouer. Nous répondîmes que nous avions peur bien sûr, mais que nous espérions avoir le temps de tout lire.
Maïline se tourna vers moi :
- Comment ça va, djiguite ?
Je répondis que j’allais bien, et que j’étais à la maison parce que ce n’était pas mon tour d’être de service au journal, qu’il ne pense…
- Mais je ne pense rien du tout… Ce n’est pas cela que je suis venu vérifier. J’ai lu ton histoire dans le journal mural aujourd’hui. On va avoir une longue conversation avec toi, une conversation spéciale, mais maintenant je dirai que ce n’est pas mauvais, pas du tout. Pourquoi ne me l’as-tu pas montré ?
Le cœur battait des coups saccadés dans ma poitrine. Maïline dit- ce n’est pas mauvais…
Je dus mettre plusieurs années pour comprendre que dans mon histoire faible Maïline fut attiré avant tout par le fait qu’un jeune homme avait tout à coup écrit non des poésies que toutes les deux personnes écrivaient, mais une histoire… Mais j’étais donné du courage par ce « pas mauvais » approbateur. Alors, alors, c’était le début ?
Mais le fait que c’était le début, je m’en assurai quand ma première histoire se couvrit de nouveaux détails, événements, quand de nouveaux gens y entraient comme chez eux. L’histoire se transformait au fur et à mesure en récit. Je ne pouvais pas inventer un autre titre convenable, je laissai l’ancien « Toulagantolkynda » - « Dans des vagues déchaînées ».
Le soir je restais longtemps assis à table éclairée d’une lampe à pétrole à lumière pâle, et une feuille blanche – de droite à gauche, comme c’était de l’usage dans l’alphabet arabe, - se couvrait d’un dessin des mots. Je restais seul. Mais ce n’était pas de la solitude. Et comment ma petite chambre pouvait contenir tout ce monde – mes amis résistants du détachement de Dmitriy Kovaliov et plusieurs de ceux que je rencontrais dans des aouls dans des périodes différentes de ma vie : beys, pauvres, soldats de l’Armée Rouge, fusilleurs contre-révolutionnaires et alach-hordiens[30] aveugles dans leur haine envers les nouveaux ordres.
Il y avait aussi de l’amour dans le récit : le pêcheur Birjan ne pouvait pas se résigner à ce qu’on vendait sa bien-aimée Chayza en femmes au vieil et riche bey Ospan ! Elle entrera dans sa maison comme une deuxième femme. Et quelle vie elles mènent ! La nuit le mari qui ne la laisse pas en paix, et le jour les premières femmes qui étaient prêtes à la déchirer de jalousie. Mais Birjan et Chayza s’enfuirent de l’aoul en ville où se trouvaient les soldats de l’Armée Rouge et y trouvèrent leur bonheur.
Tandis que je décrivais ce qui se passait sous mes yeux, ce dont je faisais partie moi-même, tout allait facilement et, comme il me semblait à l’époque, assez bien. Mais voilà que dans le manuscrit vint le moment où il fallait dénouer les nœuds faits, et aussi fort que je m’y cassais la tête, rien ne me réussissait. Sans trouver de meilleur moyen je fus obligé à me comparer à un héros de l’antiquité audacieux et je défis les nœuds crânement !
Mais ce qui est pittoresque et convaincant dans la mythologie se révèle un échec fâcheux si tu as affaire à un sujet moderne spécifique. C’est dans un dastan qu’un héros accomplit plusieurs exploits pour une simple raison qu'il est héros et qu’il doit agir ainsi selon son titre de héros.
Le récit fut à la fin écourté, inauthentique, hâtif. Je ne serais même pas trop paresseux pour le refaire encore et encore, mais je ne savais pas comment, je ne voyais pas ce que je pouvais encore y refaire.
Même maintenant je peux envier Léon Tolstoï qui se mettait à refaire son «Hadji Mourat ». Et ce n’était pas la question de l’application, de l’assiduité, de la patience, de l’exigence. J’étais frappé par sa vue d’un aigle perçante, inexplicable : dans chaque phrase, dans chaque tour des événements, dans chaque mouvement de la pensée il comprenait exactement ce qui ne l’arrangeait pas, il savait exactement comment atteindre une nuance nécessaire, comment encore améliorer le texte qui paraissait être déjà parfait.
D’une manière ou d’une autre le récit « Dans des vagues déchaînées » est ma première œuvre qui vit le jour et fut jugée par les lecteurs. Mais comme l’avaient montré les événements suivants de ma vie même cela ne servit pas d’impulsion à mon travail littéraire permanent et pas occasionnel.
Au bout de plusieurs années il m’est difficile de dire si c’était bien ou mal que cela s’était passé ainsi. Je n’acquérais pas la maîtrise en restant systématiquement assis au bureau (et c’est seulement au bureau, dans des brouillons sans fin, dans des variantes rejetées et refaites, phrase par phrase qu’elle naissait). Mais en revanche je vivais, j’accumulais la réserve des observations de la vie, je pensais à ce que j’avais dû voir… Et sans cela aucune littérature ne peut exister.
...Je n’écris pas l’histoire de ma vie maintenant, mais je feuillète certaines de ses pages.
J’étais le fils de ma steppe qui m’avait donné à boire et à manger, et je comprenais à quel point elle avait besoin des gens ayant des connaissances scientifiques en agriculture. Peut-être comme ma mémoire gardait encore le souvenir trop vif du djout terrible de l’année du sanglier, je choisis l’institut d’agriculture d’Omsk, il s’appelait Sibac (Académie de Sibérie). Mais après la première année on m’engagea pour un an pour travailler dans des aouls. Après le terme de l’engagement fut prolongé pour deux ans, et je quittai pour toujours ma vie des études réglée.
Le travail dans l’agriculture comme l’activité militaire et celle de milice ne devinrent pas le sens de toute ma vie. J’étais toujours attiré à la blancheur vierge d’une feuille, elle me faisait vivre des événements dont je faisais partie, elle me faisait réfléchir et me souvenir de ce que j’avais vu, de ce que je savais , de ce que je devais parler. Personne d’autre ne le fera jamais pour moi.
Il se trouve qu’au cours de quarante ans je n’écrivis pas grand-chose. Deux romans, une dizaine de récits et de pièces, une quarantaine d’histoires. « Il faut faire moins, mais mieux ». J’essayais de suivre cette règle mais je ne vais pas l’imposer à tous. Je vécus assez pour comprendre : ce qui est bien pour moi, n’est pas nécessairement bien pour tout le monde. (Malheureusement il était juste plus facile d’écrire moins que d’écrire bien.)
Le récit « Dans des vagues déchaînées », 1928. Certaines histoires écrites dans des périodes différentes de la vie s’y joignent, - sur les grands changements sociaux dans la steppe, sur le fait comment le peuple de steppe préparait lui-même les changements dans leur destin. J’y rapporterai aussi le drame « Amangueldy » parlant du chef d’une insurrection populaire la veille même de la révolution.
Peu avant la guerre j’étais attiré par le destin de notre poète et compositeur connu. Il s’appelait Akhan-seri. Il était un mollah et occupait une place importante dans la société – il abandonna tout et s’abandonna à l’art qui était considéré à la fin du XIXe siècle comme une occupation pas très convenable, fiable, instable, et pour un mollah même pécheresse. Le mollah dans le passé, il avait ses comptes à régler avec le Dieu, et en effet Akhan devint le premier insurgé dans la poésie kazakhe qui se prononçait soit moqueusement, soit furieusement contre les principes intangibles de la religion avec une franchise sans précédent. Certains épisodes de sa biographie tumultueuse appelaient la pièce et je pensais que c’était moi qui devais l’écrire. On la donnait sous le titre « Akhan-seri » -« Aktokty » dans plusieurs théâtres dramatiques.
J’imaginais toujours la chaîne des événements étant indissoluble dans les vies des générations. Mais cet appel au passé sans lequel le présent serait impossible à venir, d’autres critiques imprévoyantes ou trop prévoyantes pour faire plaisir à la mode précoce, essayèrent d’annoncer comme un oubli de la réalité comme si l’écrivain pouvait se cacher quelque part de son temps!
Je croyais nécessaire à moi-même de parler en détail du fait que même du temps du tsar les nomades traditionnels trouvaient de nouveaux chemins dans leur steppe et devenaient ouvriers aux entreprises des métaux cuivreux et celles de charbon dans un pays abondamment couvert de karagana[31] d’où son nom Karaganda. Leurs sorts difficiles, leur nouvelle compréhension de leur place sous le soleil – tout cela constitua la base du roman « Contrée éveillée ».
Je dois avouer que je ne sus jamais me concentrer sans partage sur un seul thème contrairement à la profession spécialisée si populaire maintenant. C’est pourquoi je revenais toujours dans mes livres soit dans l’aoul Janbyrchi, chez les descendants d’une famille kazakhe noble, soit dans la steppe envahie par le feu de la guerre civile, soit je m’adressais à la mémoire du poète, premier poète parmi les kazakhs devenu chantre de la révolution. De l’histoire amusante qui eut lieu dans le train, j’allais vers une légende ancienne gardée dans l’origine des naymans, et après je commençais l’histoire sur mes impressions japonaises après la visite d’Hirochima et de Nagassaki…
Il peut paraître que je m’éparpillais d’une façon inadmissible, et non seulement dans le choix du matériel de vie. J’écrivais de la prose, des éditoriaux et des essais pour un journal, des pièces, des scénarios des films documentaires et ceux d’animation. Je faisais des traductions, je travaillais comme critique littéraire et théâtral. Mais la raison n’est pas dans l’insouciance et dans la présomption. Les écrivains nationaux de ma génération (et non seulement les écrivains kazakhs, mais aussi les écrivains kirghiz, ouzbeks, turkmènes et tadjiks) étaient obligés d’être uniques non en trois, mais en plusieurs personnes.
On appelait d’un journal : « Tu devins écrivain, mais on a encore besoin d’un essai et d’une critique au nouveau livre ». Je rencontrais un metteur en scène théâtral et il me reprochait : « Tu es écrivain, et on a besoin d’une pièce, de notre pièce ». Des compositeurs venaient : « Et alors, si vous réfléchissez sur un libretto, un libretto pour l’opéra ? ».
Un libretto pour l’opéra ?.. A tout moment je pouvais imaginer les berges herbeuses du lac Kojaba ï, entendre la voix de l’oncle Botpaï et de sa fille Batima. Ils furent les premiers qui m’initièrent à l’art, et pour toute ma vie je gardai l’impression indélébile après avoir lu les dastans populaires « Kyz-Jibek » et « Kozy-Korpech et Bajan-soulou ». J’essayai de créer des représentations scéniques sur leur base.
La musique pour « Kyz-Jibek » fut composée par Yevgeni Broussilovski. Cet opéra est toujours là. Il n’y a pas si longtemps que j’assistai au spectacle de mille spectateurs au théâtre de l’opéra du Kazakhstan, plusieurs de premiers artistes y participèrent (Les voyages de Jibek ne finirent pas par la scène de l’opéra. Au studio du cinéma « Kazakhfilm » on fit un film sur la base de ce dastan).
Mon envie d’imaginer le chemin historique du peuple de côtés différents me tournait aussi vers l’époque actuelle. Et non seulement dans des histoires. Le roman « Soldat du Kazakhstan » sur le garçon que j’étais autrefois, sur sa vie avant la guerre, sur sa vie de front devint pour moi l’incarnation la plus volumineuse de ce grand thème difficile.
On me demande parfois :
- Pourquoi êtes-vous devenu écrivain ? J’avais depuis longtemps la réponse prête :
- Parce que Silviya Mikhailovna, mon professeur à Presnogorkovka, m’ordonna ainsi. Je ne pouvais pas lui désobéir.
Et si l’on parle sérieusement, c’est vraiment difficile, si c’est possible en général d’expliquer pourquoi tout d’un coup des histoires différentes des gens commencèrent à t’attirer. Et à quel moment tu eus cette envie de parler des progrès de ton peuple qui t’avait donné la vie, qui t’avait donné la langue pour exprimer tes pensées, tes sentiments.
Pourquoi commençai-je à écrire ?.. Je ne peux pas répondre à cette question, ainsi que je ne savais quoi répondre si l’on m’avait demandé pourquoi c’était moi et non quelqu’un d’autre qui était né la nuit de Naourouz, quand l’année de la vache avait cédé place à l’année de la panthère.
[1]Naourouz – pour plusieurs peuples orientaux c’est le jour du commencement d’une nouvelle année qui arrive le jour de l’équinoxe de printemps, le 22 mars d’après le nouveau style ; l’année de la vache, l’année de la panthère constituent le calendrier au cycle de 12 ans où chaque année porte un nom d’un animal.
[2]Korjoun – un sac
[3]Tor – place pour les hôtes honorables dans une iourte
[4]Yeké – un préfixe respectueux ajouté à un prénom d’un homme plus âgé
[5] Kobyz – un instrument kazakh traditionnel à corde frottée
[6] Jaïlaou – pâturage d’été
[7] Akhan(Akhan-seri) – compositeur et poète de la fin du XIXe et du début du XXe siècles
[8] Birjan – compositeur, chanteur, poète de la fin du XIXe siècle
[9] Arka– Kazakhstan central
[10] Dastan – une œuvre épique folklorique dans la littérature du Proche et Moyen Orient
[11] Djout – épizootie de masse provoquée par le glaçage des pâturages
[12]Bechmarmak – un plat de viande chez les peuples turcs
[13] Malakhaï – un chapeau de fourrure avec de larges oreillons chez les kazakhs
[14] Nagashis – les parents maternels
[15] Tchebatchkis – des poissons fluviatiles de la famille des carpes.
[16] Kourout – un fromage jeune sec chez les peuples turcs
[17] Jigan-terguen – portraits à la base des observations
[18] Mougalim – professeur, maître
[19]Kamtcha - un fouet tatare
[20]Souyounchi – cadeau en échange pour une bonne nouvelle.
[21]Korjoun – un sac avec des cadeaux
[22]Dastarkhan – une nappe rectangulaire chez les peuples turcs où l’on met des plats
[23]Kochma - feutre
[24]Tolmatch - interprète
[25] Volrevkom – comité révolutionnaire de volost
[26] Yourynbassar - adjoint
[27]Le gouvernement de la république se trouvait à Orenbourg à l’époque
[28] Queue – un examen non réussi qu’il faut repasser
[29] Tolstovka – une blouse à la Tolstoï
[30] Alach-hordiens – habitants de l’autonomie d’Alach-Horda qui avait existé dans des années 1917-1920 sur le territoire du Kazakhstan
[31] Karagana – espèce des buissons caducifoliés